- Une bonne journée pour trucider ! -
- Décembre 1962 -
Le vent soufflait fort dans les voiles, un vent matinal et puissant, du genre qui décoiffe, surtout depuis le pont principal du vaisseau pirate ou il se permettait d'y fouetter les braves hommes de mer après avoir pris tout son élan sur de vastes étendues d'eau. Le mât grinçait, le plancher tanguait, les eaux de la mer de Resha étaient agitées. L'intrépide, c'était le nom du navire qui voguait ainsi en perçant les courants marins, crées par le contraste climatique des différentes régions. C'est vrai que l'intrépide c'est un nom un peu pourri quand on y pense, surtout quand on voit la tête du navire. Mais son capitaine avait réussi à en faire une vraie machine de guerre, avec quelques petites améliorations, et bien sûr, sa seule et unique présence, qui faisait déjà une bonne partie du travail. Il était en bois de chêne et cerné de plaquage d'or pour lui donner un petit coté majestueux, ce n'était pas parce que c'était un petit navire qu'il ne pouvait pas avoir la classe et être efficace, c'est pour ça qu'on lui avait donné un nom assez osé. Et puis, peu de navires pouvaient se vanter d'être aussi bien équipés, d'avoir des hommes aussi féroces à son bord. Ça pouvait justifier un peu le nom non ? De toutes manières, il était déjà choisi, c'était la première chose qui était venue à l'esprit de son heureux propriétaire, lorsqu'il avait cerné toute la beauté de cette embarcation qui affrontait unique et seule l'immensité d'un monde sans limite, d'un désert bleuâtre d'une totale infinité. Oh comme c'est beau, s'était-t-il exclamé contre l'attente de tout un chacun, Oh comme c'est brave, Oh comme c'est fou, comme c'est un inconsidéré de se jeter dans pareilles aventures ! Même un psychopathe mégalomaniaque comme Arakjörn Nygdmer était capable de reconnaître l'immensité de ce monde qui le dépassait, même lui était capable de reconnaître la propre folie que de dompter une bête plus d'un million de fois plus puissante et immense que le grand rouge lui même, et surtout, il en cernait toute la poésie.
Pourtant, pour un poète, il n'en avait ni toute la tête ni vraiment toute la carrure, en fait, pendant que ses hommes faisaient le sale boulot, il était en train de faire la grasse mat'. Son hamac se balançait au rythme de la houle, bien perché entre deux crochets, au chaud dans la cabine du capitaine. Bercé par l'air marin, le nabot hibernait tranquillement le visage couvert par un immense chapeau. Un chapeau si grand qu'on pouvait légitimement se demander comment il pouvait respirer avec un truc pareil sur la tête. On pouvait croire qu'il était mort dans son sommeil, étouffé par ses propres goûts extravertis. Pourtant, si l'on tendait l'oreille on entendait un petit reniflement. Le nabot humait l'intérieur de son chapeau, il était tellement égocentrique qu'en guise de salut matinal il savourait l'odeur de ses propres cheveux là ou il offrait le socle de ses semelles à d'autres. Par plaisir il s'amusa à balancer un peu plus son hamac en remuant dedans, un peu comme un enfant. Avant de dévoiler son visage à la lumière et de séparer son visage de son chapeau, qu'il reposa alors en haut de sa tête à sa place habituelle.
A cet instant, assis dans son lit suspendu, il contemple l'intérieur de la cabine, pas tant spacieux, mais ce n'est pas comme s'il prenait beaucoup de place. L'air un peu fatigué, il frotte ses petit n'yeux avant de descendre toucher les planches du sol de ses petits pieds. Associant ses mains au dessus de sa tête, il ne manque pas non plus à ses exercices d'étirement, nécessaire pour conserver son corps étriqué et malformé en bonne santé. Il glisse bientôt ses pieds dans ses énormes sandales à l'épaisse semelles, des pépites qu'il avait récupéré dans un bazar de Gloria. Elles lui donnaient bien une petite dizaine de centimètres supplémentaires, et bien que cela démontre ouvertement son complexe, il n'avait jamais pu s'en dissocier tant elles étaient plaisantes à utiliser, en dépit d'être pas mal contraignantes dans certaines situations.
Après avoir tapoté le sol de ses petit pieds blindés. Il s'approche finalement d'un miroir circulaire apposé contre l'un des murs de son bureau. Il aimait bien raconter à ceux à qui il ouvrait ses appartements qu'il l'utilisait principalement pour des sorts complexes et mystérieux, mais en vrai, il l'utilisait surtout pour s'admirer. A la droite de cette surface vitreuse, il se penche vers sa magnifique collections de chapeaux, tous soigneusement accrochés à des porte-chapeaux reliés au mur du bâtiment. Il en avait de toutes les formes et de toutes les couleurs, de toutes les tailles, il ne les utilisait pas souvent... Mais c'était un plaisir pour lui de constater l'étendue de sa progression et de sa force en comptant le nombre de chapeaux qu'il avait dérobés aux corsaires, capitaines et marins vaincus lors de ses nombreux assauts maritimes. Bien entendu, seul l'ultime chapeau pointu méritait de trôner sur sa tête. Après s'être assuré que celui ci était bien en place, il attrape son immense manteau déchiré ainsi que son écharpe dont le bout avait cramé lors d'un affrontement avec Verith, son père, et se drape de l'un puis de l'autre. Il s’équipe même d'une cape noire, accrochée dans son dos par deux épaulettes soigneusement apposées sur ses jointures fragiles, l'une plus grande que l'autre et couvertes de pics - pour donner un air menaçant - toutes deux reliées entre elles par une chaîne métallique. Ça ne lui servait à rien, même que ça le ralentissait vus le poids, mais ça lui donnait une véritable apparence de guerrier et rien que ça lui donne un agréable sentiment de protection, parce qu'en plus, c'est classe. Il ne manquait plus que la petite touche finale, alors après avoir tenté de se recoiffer devant son miroir, il attrape une petite boîte métallique, l'ouvre, et passe un doigt à l'intérieur pour y recueillir une couche d'un mélange de cendres et de charbon. D'un geste appliqué, il la dépose sur les bords intérieurs de ses orbites, évitant de s'en mettre dans les yeux, sous l'arc sourcilière et sur la paupière, ainsi que sous l’œil en dessinant des cernes noires de sorte à noircir la partie supérieure de son visage et mettre en avant l'éclat maléfique de ses yeux verts pétants. Si avec ça et l'ombre de son chapeau, il n'a pas l'air de l'un des plus grand méchants de toute l'histoire d'ambarhunà, il n'a qu'à se couper une main. Il se contemple une dernière fois en ajoutant son petit sourire ignoble au portrait, puis fait volte face en direction de la sortie de son antre. Il toussote, révise un peu, puis claque la langue : Le nabot est prêt.
« Salutations bandes d'ignares ! J'espère que mon navire est propre, que les voiles sont blanches, que les canons sont parés, huilés, et que cette bonne nuit de sommeil, qui nous a tous porté conseil, a un peu remédié à votre stupidité ! »
Il avait ouvert les portes de sa cabine d'un coup de pied bien placé, en gueulant sur tout le pont son petit discours matinal. Et sans mauvaises surprises, il constata que tout le monde était déjà au travail, à son poste. Il continua sa petite routine matinale, et commença à inspecter le travail de chacun avec une redoutable minutie. Descendant sur le pont principal du navire, il s'amusa à bizuter l'une des pauvres nouvelles recrues, un blaireau qui s'était retrouvé à Athgalan par pur hasard, mais qui avait eu la chance de se voir proposer un poste au lieu de finir dans une cage, du coup le voilà qui nettoyait les planches de l'Intrépide des débris, du sel et du sang qui parasitent leur beauté commune. Et en plus il n'avait pas l'air costaud le nigaud, raison de plus pour lui écraser la main.
« T'as intérêt à me faire mieux que ça mon brave, sinon c'est moi qui vais nettoyer mon navire de ton insignifiante présence. Faut que ça mousse, faut que ça brille, tellement qu'on va aveugler nos ennemis rien qu'avec l'éclat de ce vaisseau. Vu ? »
La marin acquiesça, la douleur qui se lisait sur son visage indiquait qu'en dépit du faible poids de son capitaine, ses imposantes semelles d'acier n'étaient pas des plus simples à supporter du bout de ses doigts. Chapeau Pointu satisfait, il s'en retourna à la barre, laquelle était tenue par Alyssa. Cette pure gamine était en train de les conduire n'importe ou, c'était une vraie gratteuse qui profitait de sa protection pour faire des conneries. Qu'il les fasses lorsqu'il la mettait au service de Nath, c'était une chose, mais qu'elle le fasse à la barre de son navire, s'en était une autre. Après l'avoir chassée en l'engueulant - évidemment elle s'était enfuie en tirant la langue – Il installa son tabouret qui lui donnait la hauteur nécéssaire pour pouvoir manipuler en toute tranquillité et fit rapidement un bilan de sa matinée. Il avait découvert quelques rudiments supplémentaires de son livre noir durant la nuit et par la suite il avait bien pioncé pour récupérer, il avait rekt le nouveau et donné un semblant de correction à la gamine de l'équipage. C'était plutôt pas mal, alors en toute légitimité, il se laissa le soupirer.
« Aaah.. c'est une bonne journée... »
Le vent balayait son visage tandis qu'il examinait la mer, aucune terre à l'horizon, mais il savait ce qu'il faisait. Quant tout d'un coup, le guetteur lui gueula la présence d'une proie au loin. D'un coup de longue vue, il confirma le message et fit jouer de la barre en direction de leur prochaine victime. La journée ne pouvait pas mieux commencer : Un sourire carnassier aux lèvres, il s'exclama :
« ...Une bonne journée pour trucider ! »