~3 Janvier 1763~
La journée battait son plein comme à son habitude. Les températures n’étaient pas exceptionnelles mais la ferveur qui animait la tribu suffisait à réchauffer l’atmosphère. Un œil extérieur n’y verrait qu’un village ordinaire, quoique plus grand que la moyenne et pourtant. Et pourtant, cette effervescence n’avait rien de vraiment paisible. Les forgerons fabriquaient des armes ou en affûtaient certaines, les ébénistes taillaient des stocks de flèches et un peu partout, des graärh, petits et grands, s'entraînaient aux combat. Les préparatifs pour la libération de l'oppression des pirates avançaient bien, en dépit des lacunes du peuple félin en matière de bataille militaire. Cela faisait des siècles que les graärh n’avaient pas eu à se battre, hormis quelques dissensions internes, et rien que pour cela, il fallait reconnaître qu’ils ne s’en sortaient pas si mal que ça. Sa’Hila comptait beaucoup sur l’ingéniosité et la faculté d'adaptation de son peuple pour faire le plus de ravages possible sur le moment même. Bien sûr, en arriver à de telles extrémités ne l’enchantait, mais alors pas du tout, et pourtant elle s’était résignée à faire ce qu’il fallait, pour le bien de son peuple. A cette occasion, elle avait entreprit de former certains graärhons à ce qui allait être une page importante de leur Histoire. Entre autre ses fonctions d’Aaleeshaan, elle s’était découvert une certaine passion pour l’enseignement. Jugeant que le savoir est une puissante arme, elle s’était efforcée de former les nouvelles générations à qui voulait s’instruire. Les rares mauvaises langues affirmaient que c’était surtout pour distiller sa domination dans l’esprit des plus jeunes. Toujours est-il que ce jour là, accompagnée d’une douzaines de jeunes graärh, elle les intéressés à leur élevage de Khaanatma.
-Qui parmi vous on déjà vu ou aperçu un Khaanatma ?
Comme à son habitude, sa voix était calme, chaude et empreinte d’une douce sévérité. Une voix qui incitait à l'excellence. C’est donc plein d’entrain qu’on lui répondit dans une certaine cacophonie, que oui l’un en avait déjà vu, qu’un autre en avait chassé une fois mais la majorité secoua la tête négativement.
-Ce n’est pas grave, je vais vous expliquer. Le Khaanatma est comme vous le voyez, un tout petit animal. Il faut faire extrêmement attention à sa morsure, sinon vous serez couper des Esprits sacrés pendant un moment !
Un murmure d’effroi saisit alors le petit groupe, affichant des grimaces d’horreur et de dégoût envers les petits animaux en cage qui les regardaient d’un œil torve. Fière de son petit effet, elle continua.
-Vous comprenez maintenant pourquoi leur salive est particulièrement importante pour nous ? C’est peut-être un puissant poison, mais c’est aussi un puissant atout pour les batailles à venir. N’oubliez jamais que les meilleurs armes se trouvent dans la nature. C’est en vivant avec elle, en osmose, que les graärh tirent leurs forces. Utilisez là à votre avantage et respectez là et elle vous honora de ses bienfaits.
Son discours alluma dans leur grands yeux un étincelle d’admiration que Sa’Hila ne pouvait que trouver adorable. Peut importe ce qui se disait, Rien ne lui enlèverait ce plaisir d’enseigner et de guider son peuple.
-Sa’ ?
Elle n’eut pas besoin de s’offusquer en se retournant. Cette voix, ça ne pouvait qu’être Par’Vati. Ses soeurs de portée étaient les seules à pouvoir s’adresser à elle à n’importe quel moment du jour et de la nuit sans risquer de l’offenser. Si tout le monde confondait encore les jumelles, la Dompteuse savait parfaitement faire la différence. Surtout qu’une seule Inséparable se trouvait à la Légion ce jour là.
-’Mani arrive bientôt avec l’émissaire des Bardes. Je voulais juste te prévenir.
-Très bien. Demande aux cuisiniers de préparer des collation pour herbivores. Prouvons leur que nous ne sommes pas que des sauvages et que nous avons de la mémoire. Merci ma sœur.
Une rapide accolade fraternelle et la Lancière repartait déjà. Ses désirs étaient des ordres après tout.
-Bien ! Les chatons, le devoir m’appelle, je vous laisse aux bons soins de Raji si vous voulez connaître mieux les Khaanatmas !
Saluant ladite Kisaan et lui laissant les petits graärhon surexcités, Sa’Hila remonta tranquillement le long du village, direction sa demeure. En passant les grandes portes de la Légion, elle héla rapidement les vigies, leur intimant de bien surveiller l’arrivée de sa sœur et de sécuriser les environs.
Il fallait dire que cette rencontre était très importante après tout. Plus qu’une rencontre, c’était avant tout une réunion diplomatique entre Vat’aan’Ruda et le Domaine. On lui avait dit et répété que les Baptistrels étaient des agents de la paix, pacifistes et inoffensifs. C’est pourquoi, en tout innocence des réelles capacités de ses nouveaux “voisins”, elle avait fait envoyer deux douzaines de guerriers félins, dont Par’Mani, assurant la meilleure des protections possible sur cette île.
Elle avait attendu cette rencontre avec une lenteur insoutenable, compte tenu des funestes événements que la vieille Corneille, Kaaplanik Neend, avait prédit avant de s’éteindre, rejoignant leurs ancêtres dans les étoiles. Si dans l’Ouest, les pirates mettaient la main sur un antique artefact ou toute autre chose tout aussi puissante, alors elle se devait de savoir si l’Est serait un allié ou un ennemi. Les rapines avaient été chaque jours plus difficiles pour les esclavagistes depuis quelques mois, mais la menace était toujours présente. C’est pourquoi cette rencontre devait avoir lieux sous tout les bon augures possibles.
Alors qu’elle gravissait la pente formée par la colline de la Légion, une garde d’honneur formée par de nombreux Nayaak et Shikaree se forma à sa suite, libérant un accès direct à la demeure de la Kamda Aaleeshaan, comme selon ses instructions donnés des jours auparavant. Si la fonction première était pour impressionner les invités de l’Aaleeshaan, cette fois-ci c’était surtout pour séparer son hôte de la masse de graärh curieux qui voudrait s’approcher pour voir les fameux sans-poils chanteurs. Le but ici était de les mettre à l’aise dans un environnement encadré. A terme, elle souhaitait que leur deux cultures puissent s’apprivoiser mutuellement. Mais, tout dépendrait de ce premier échange…
Pour l’occasion, elle revêtit rapidement un simple robe de lin brodée aux couleur de la Légion et vint se positionner au milieu de la salle du Conseil, où l’attendaient déjà Par’Vati et Baahasha, le plus puissant des spirites Hibou et Pie de la Légion. Toujours présent pour les réunion importante, elle comptait beaucoup sur ses capacité à déceler les mensonges et surtout, ses connaissances linguistiques ne seraient pas de trop.
Tandis que le feu crépitait tranquillement devant elle, les tambours à l’extérieur du bâtiment accompagnèrent l’avancée de la délégation baptistrale. Enfin, Par’Mani entra la première, précédent l’escorte comme son rang lui imposait et rejoignit Sa’Hila sans préambule. Son regard seul rassura la dirigeante, lui confirmant que tout s'était bien passé pendant le trajet. Rassurée, elle observa donc le nouvel arrivant.
Dès le premier regard, elle sut qu’elle n’avait pas affaire à un amateur. Elle n’était pas la plus calée en sans-poils mais elle savait reconnaître un chef de tribu quand elle en voyait un. Il était évident que derrière ces traits austère, se cachait une force insoupçonnée… tout comme elle en somme. Cela présageait une rencontre fort intéressante.
-Je tiens tout d’abord à vous souhaiter la bienvenue à Vat’Aan’Ruda. Je vous remercie d’avoir accepté mon invitation. Je suis Sa’Hila, Kamda Aaleeshaan de Néthéril. Je parlerai au nom de tous les Graärh honorables de cette île.
Pendant des jours, elle avait travaillé sa façon de parler, essayant du mieux qu’elle pu d’adoucir son fort accent ronronnant pour ne pas offenser la langue des nouveaux venus. Sans réel succès malheureusement. Il y avait certaines barrières qui semblaient ne pouvoir être traversées après tout. Ceci dit, on ne pouvait décemment pas lui reprocher de ne pas mettre tout en oeuvre pour que tout se passa bien. Désignant les coussins confortables et richement décorés des Tribyoon, elle l’intima de prendre place.
-Je vous en prie, prenez place, je vous ai fait apporter du thé et quelques collations, annonça-t-elle en montrant le petit plateau argenté non loin. Après ce long voyage, vous devez être un peu fatigué. Loin de moi l’idée de vouloir vous surmener, mais nous nous devions de nous parler. Cette sourde cohabitation n’a que trop longtemps duré, il est temps de briser ce silence et de parler à cœur ouvert et faire pattes blanches. Si vous le voulez bien sûr.
S’asseyant sur ses propres coussins molletonnés, elle ouvrit sa main délicatement griffue en direction de son hôte pour l’inciter à parler et à se présenter.