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Février

Au moins ce n'étaient pas les récits qui lui manquaient.
L'Enwr aux veinules cuivrées avait deviné, en partant pour Keet-Tiamat quelques mois plus tôt, que quelques surprises viendraient à lui. Moteurs de son existence, les découvertes exerçaient sur lui un attrait fatal. Fatal... Oui, ç'avait bien failli être le cas. Il s'était attendu à explorer pacifiquement un temple, éventuellement devoir jouer de patience et de diplomatie avec quelques entités et créatures encore inconnues et mystérieuses. Il ne s'était pas attendu à ces violences, ces explosions, ces douleurs, l'aura terrifiante des chimères, le bain glacé dans les eaux de Nyn-Tiamat, les rencontres "intéressantes" avec les figures emblématiques de son passé. Beaucoup d'émotions qui, liées à une convalescence trop tôt abrégée, avaient permis de donner l'illusion d'un trajet de retour plus court, en l'obligeant à beaucoup de sommeil pour refaire ses forces.

Néanmoins, Valmys avait été celui qui avait insisté pour pouvoir faire son rapport à son maître attitré "au plus tôt possible tant que cela lui convient et lui plait". Peut-être craignait-il de s'ennuyer. Peut-être avait-il besoin de conter. Trop d'images et de son hantaient sa mémoire. S'il s'imaginait porter ces mémoires à un Cawr, l'idée lui venait qu'il s'en sentirait libéré, sans savoir pourquoi. Dans tous les cas, faire son rapport était à ses yeux le premier acte à effectuer à son retour au sein du Domaine, celui après lequel il pourrait véritablement songer à établir quelque plan pour l'avenir.

Ces foutus plans pour l'avenir. C'était plus fort que lui. Jamais il ne s'était arrêté quelque part sans savoir où aller après, sans avoir quelque plan de départ plus ou moins esquissé. Revenu auprès des siens, dans un lieu qui avait presque tout ce dont il pouvait rêver, Valmys était incapable de savourer pleinement le repos auquel il aurait pu s'adonner. Son regard se tournait vers Tiamaranta, et toutes ces histoires qu'ils ne savaient pas encore, ces trésors qu'ils n'avaient pas découverts. Une porte ouverte au rêve autant qu'un réflexe gênant. Une sensation mi-figue mi-raisin qu'il n'appréciait pas vraiment. Un inconfort quand, pour une fois, ce n'était pas le monde qui l'embêtait. Quel gâchis de bonheur.

C'était avec le coeur entre joie, impatience, frustration, que l'Enwr voyageur s'était enfin présenté auprès de Kehlvehan, dans cette partie du Domaine qu'il ne connaissait pas. Des yeux, il dévora l'endroit, comme s'il avait également un rapport à faire sur ce dernier ensuite.
Face à celui qui était désormais son maître, Valmys avait l'impression d'être un enfant. Ce n'était pas qu'une histoire de verticalité. La jeune pousse vouait à son aîné un profond respect mêlé d'admiration muette. Le Chantelarme avait vu, vécu, appris, et créé. Il gardait cette allure magnifique malgré les épreuves qui avaient voulu le mettre à genoux. Bon, d'accord, il buvait, parfois, mais... Si Valmys avait dû juger les bipèdes pour cela, ses multiples nuits passées dans les tavernes auraient été moins joyeuses.

Il avait beaucoup avoir bu cent quarante ans de savoirs, Valmys peinait à considérer ses propres connaissances au même titre que celles du Maître. Mais le pire, encore, ce qui vraiment faisait scintiller des étoiles dans son regard, c'était ce que les elfes devaient à Kehlvehan. Entre ses mains, le Cawr en avait la preuve. Le carnet qui lui avait été remis était le carnet "commun" de Valmys, celui où il croquait le monde, et veillait à ne pas perdre la main en matière de dessin. Dans les premières pages se trouvaient encore quelques reproductions de la capitale elfique, des endroits qui avaient captié le petit être sensible qu'était l'Enwr. Ces dessins étaient nombreux, prenaient parfois plusieurs angles, et quelques notes, pour ne rien oublier. Ils inspiraient d'autres édifices venus tout droit de l'imagination. A côté, quelques habitants du royaume elfique étaient esquissés. Quelques visages se reconnaissaient et se répétaient : le bourgmestre de Caladon, ainsi qu'un elfe masqué, notamment.
Le reste du carnet était plus sage. Caladon avait été une ville moins intéressante architecturalement. Quelques vagues dessins narraient le mariage de deux dragonnières. Beaucoup de bipèdes qui tenaient au coeur de Valmys étaient immortalisés ici ; sa nouvelle famille, des Enwrs auxquels il s'était attachés, un pirate particulier. Il y avait aussi des animaux. Surtout deux. Shi'Ry, souvent le nez vers le bas à profiter de l'herbe, et Deïa, sa chienne au port altier, qui s'était assise aux pieds de son bipède, refusant de le laisser aller voir son maître sans protection.

Mais Valmys avait ouvert le bel ouvrage directement sur les pages qui les intéressaient présentement. Le temple qu'ils avaient voulu visiter était croqué, un peu à la hâte, il était vrai. Quelques écritures graärh avaient pu être reportées, le tout sur l'initiative de l'Enwr. Une vague esquisse du Gardien qui les avait "accueillis" trouvait également son coin de page, avec une petite note comme quoi il avait reculé sur menace du dragon de jade. Un schéma rapide, plan du temple, trônait dans un autre coin, assez simple, clair, et direct, en comparaison avec le reste du contenu du carnet. Un autre endroit était clair : celui qu'il avait préparé pour les notes qu'Aramis lui donnerait quant à ce qu'elle pouvait percevoir de spécifique de cet endroit. Une seule phrase résidait là : "les vibrations sont étranges".
Il fallait tourner la page pour retrouver enfin un récit, mais qui n'avait pas véritablement été écrit sur le coup. Valmys y racontait qu'il était allité, au sein du Palais elfique et que, franchement, la décoration, l'agencement, les sculptures, et la construction en elle-même que représentait le palais, était magnifique. Ces considérations faites, il expliquait comment ils s'étaient scindés en groupe - Aramis et Hartea d'un côté, Orfraie et lui de l'autre. Il racontait les veinules qui brillaient, pulsaient, et la magie d'Orfraie qui implosaient. Il contait Orfraie à terre, alors qu'un incroyable golem végétal naissait de leur chaos. Il racontait sa douleur, la façon par laquelle elle l'avait jeté à terre, puis ce qu'on avait pu lui rapporter ensuite. Un bref schéma montrait son dos, l'emplacement de l'excroissance magique qui lui avait été retirée, et la cicatrice qui demeurait.

Les notes suivantes étaient leur seconde expédition. Le désert était moins intéressant à dessiner lorsque l'on s'écartait des sculptures de roches pour ne croiser que les dunes. Néanmoins, un magnifique dessin de ver des sables occupait une double page, avec quelques flèches et indications sur ses blessures. Les notes qui suivaient, encore, ne dataient pas du même jour. Elles dépeignaient leur rencontre avec l'Enwr du Néant et la Couronne de Cendres... Puis l'arrivée très malheureuse au sein d'un bateau pirate connu. Venaient ensuite de magnifiques et soignés dessins de Nyn-Tiamat. Valmys avait toujours aimé la neige.

Sage et silencieux, l'apprenti laisser à Kehlvehan le soin de découvrir tout cela. Dans l'expectative, il passait son impatience en caressant et gratouillant sa chienne. Ce à quoi il s'attendait ? Il ne savait pas trop. Une déduction que lui n'aurait pas pu faire, et une quête qui lui avait échappée.
Il l'avait noté, et c'était évident à ses yeux : leur mission avait été un échec sur bien des points. Son coeur était lourd de leurs destructions, et le maître le percevrait sans doute. Il s'en tenait coupable, tout impuissant qu'il avait été. Mais il était incapable encore de prendre du recul sur tout cela, et voir plus loin. Il n'attendait nul réconfort sur ce qu'il avait pu vivre, et nul remerciement ou félicitations. Juste la suite, une direction pour sa boussole désoeuvrée.

Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Sam 19 Jan 2019 - 13:39, édité 1 fois

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Le bec était endommagé, portant les traces d'un fil d'acier venu mordre la kératine avec une cruauté inutile. Les mouvements n'étaient pas encore assurés, les plaques délavées s'ouvrant et se fermant lentement. Pourtant, elles étaient déjà en bien meilleur état si on se rapportait à ce qu'avaient laissés les trappeurs derrière eux. Le métal avait provoqué de profonds ravages, aidé par les mouvements désespérés de l'oiseau tentant de s'échapper, lui arrachant presque l'appendice. Fort heureusement, avec les soins appropriés, son emplumé patient se remettait lentement de cette sinistre aventure. Présentement, il était occupé à grappiller de copieux morceaux de viande tendre depuis la main du chanteur qui s'occupait de lui. L'observant attentivement, chaque nouvelle bouchée étirait sensiblement le coin des lèvres de l'elfe blanc, son regard sombre couleur de roche volcanique suivant chaque geste, tandis que son ouïe délicate écoutant avec intérêt le chant nom de l'animal. Il se remettrait. Les séquelles resteraient, preuves de la barbarie humaine mais cette étincelle de vie endurerait encore, au moins quelques années. Dans le silence des lieux, Kehlvehan attira à lui un nouveau bol de viande, prit un couteau et entreprit de couper des lanières dans la chair morte, puis, se levant, il s'éloigna du bec quémandeur qui s'ouvrait pour happer la pitance. Le regard outré de l'oiseau lui arracha une chaude vague d'amusement et il se posta à l'autre bout de la pièce, tendant dans sa main une lanière de viande, attendant de savoir si le vautour allait daigner décoller pour venir le chercher.  Ses ailes étaient également en rémission et il avait besoin de savoir s'il était désormais capable de prendre son essor ou non, même de façon temporaire. La créature se ramassa sur elle-même avec un air boudeur, ramena le cou contre son corps, tandis que le chanteur agitait la viande dans l'air. Il prit finalement son envole, et vint se poser sur le bras du Gardien, le faisant descendre de plusieurs centimètres avant qu'il ne l'assure de nouveau. Félicitant l'animal d'une voix tranquille, il lui donna le reste de sa pitance morceau par morceau.

La porte s'ouvrit dans un frottement furtif de bois et de gonds bien huilés, et la forme brune d'un des intemporels, les résidents et serviteurs du Domaine, se dessina à l'entrée. Sa taille était ceinte d'une bande de tissu bleu, indiquant qu'il était autorisé à pénétrer dans sa demeure. Pourtant, lorsque sa voix vint rompre l'immobilité phonique des lieux, elle était lacée d'incertitude.

« Chantelarmes ? Votre Enwr, Valmys Neolenn, se présente à votre office. Il désir s'entretenir avec vous de ses voyages. Dois-je le faire entrer ? »

Un instant, les mires sombres jaugèrent la silhouette simplement vêtue de la jeune elfe, un œil en partie contrarié par l'aile plumeuse qui tendait à passer devant. Puis, après une poignée de battements de cœur, le maître-chanteur hocha la tête, s'attirant un sourire soulagé de la part de la messagère. Elle s'inclina légèrement puis battit en retraite, le laissant seul avec son compagnon animal qui claqua du bec.

« Tu as eu ta part pour aujourd'hui »

La voix mélodieuse, antique et grondante comme la mer noya le vautour sous le ton Baptistral intimement lié à la sonorité riche et subtile. L'emplumé rentra de nouveau la tête, ébroua son plumage abîmé et dansa d'une patte à l'autre sur le bras qu'il serrait de ses serres. Fronçant des sourcils au blanc crayeux, le chanteur mira l'animal un instant puis le guida pour qu'il vienne se percher sur son épaule. Se dirigeant vers la table de bois, il trempa ses mains dans un récipient plein d'eau afin de les nettoyer avant de quitter la pièce, la fermant dans le même mouvement.

Il avait introduit Valmys au sein de son bureau personnel. Pas celui du bâtiment central, réservé au Gardien, mais le sien propre, dans sa maison. La pièce était construite avec simplicité, disposant de lignes épurées, et d'un vide ajusté, défait de tout ameublement ornemental oppressant, ne gardant que le stricte minimum. Chaque pièce installée était pourtant riche d'un travail minutieux d'artisan.  Le décor rappelait un navire, avec ses murs au blanc cassé et ses boiseries chaudes, brunes et laquées. Le bureau central était une merveilleuse pièce aux pieds sculptés avec un réalisme saisissant dans des scènes marines diverses, présentant poissons, végétations et coraux, oiseaux de mer et prédateurs à écailles. La surface de travail était un ensemble complexe de plaques de bois et de verre soufflé. Les chaises étaient toutes des animaux criant de réalismes, l'une une baleine, une autre un serpent de mer, un troisième représentait un poisson étoile de l'Archipel. Le siège dans lequel le Gardien s'installa était sculpté à l'image d'une grande conque royale. Un pan entier de mur n'était que des bibliothèques ornées contenant des ouvrages reliés de cuir brossé, protégés derrière des plaques de vitraux discrets se fondant dans la luminosité ambiante.

Une partie de la grande salle était consacrée à l'exposition sous vitres d'instruments nautiques anciens provenant de Lyssa la Vagabonde ainsi que de quelques collections privées elfiques. Le mur derrière le grand bureau portait la barre d'une frégate depuis longtemps disparue, superbement conservée. Sur la gauche, en retrait, un passage conduisait dans une autre pièce, coupé du bureau par une arche magnifique entièrement constituée de coraux encore en vie, baignant dans la puissance aqueuse du maître des liens. Au-delà, le couloir était entièrement constitué de plaques de verre ouvrant sur un monde maritime impressionnant. Sous leur pieds se trouvait une natte de pêcheurs tressées à la main, formant un tapis. La porte d'entrée possédait, quant à elle, un verrou de bronze travaillé à la forme de poisson qui bougeait selon que la pièce était verrouillée ou non. Dans toute la salle, un système ingénieux de fontaines permettait de purifier en permanence les vibrations et de garder un discret bruit de fond apaisant pour les nerfs. Il chantait avec allégresse lorsque le jeune immaculé fut introduit auprès de son professeur.

« Merci de ta présence. Assieds-toi »

Lui-même s'installa dans la grande conque, laissant le vautour se percher sur un présentoir placé là pour lui depuis qu'il suivait son bienfaiteur comme une ombre emplumée. L'Enwr déposa devant lui un carnet qu'il savait être le recueil de ses impressions sur le monde et avec une délicatesse et un respect profond, le maître-chanteur récupéra l'ouvrage pour pouvoir le consulter en silence, son regard à présent teinté d'un intérêt azuré, les traits fixes, l'intensité de son attention palpable dans ses gestes. L'appréciation de Valmys pour le travail qu'il avait réalisé en pensant la capitale elfique était un compliment qui lui allait droit au cœur, bien qu'il le garda pour lui. Intérieurement, il nota les éléments qui avaient le plus attirés l'attention de son élève, se promettant de lui montrer les croquis originaux et les calculs qui avaient servit pour leur réalisation. Son atelier privé était encore noyé sous les maquettes et les milliers de page de parchemin destinés aux plus infimes détails de la grande capitale. Son élève ne pourrait qu'apprécier cette visite, du moins le pensait-il.

Cependant, son humeur se fit progressivement plus songeuse, puis plus sombre. Caladon était une ville dangereuse et Aldaron un elfe dangereux. Il n'imaginait pas l'Indigne faisant volontairement souffrir son Enwr mais… mais il restait toujours la possibilité qu'il le fasse involontairement. Interdire tout cela à Valmys n'était pas dans ses plans, ce n'était pas ainsi qu'il fonctionnait, mais il était certain de garder un œil vigilant sur tout développement qui auraient trait à la famille adoptive du jeune immaculé. Puis, il était revenu aux pages ouvertes par Valmys et là tout était allé de travers. Le temple le fascina immédiatement, il y avait là une richesse immense qui n'attendait qu d'être comprise et traduite. Le Gardien végétal était un phénomène excessivement intéressant. Il aurait été riche d'enseignements de pouvoir étudier le lieu de façon approfondie, de reporter toutes les écritures ainsi sommairement ébauchées,  Certains secrets de l'Archipel auraient pu ainsi être dévoilés, ainsi que des pans d'histoire et des chemins à suivre afin de mieux communier avec leur terre d'accueil. De nouvelles sciences Baptistrales auraient pu être initiées afin d'inclure les Graarh au sein de leurs doctrines. Ils auraient pu. Hélas, cela n'arriverait jamais. D'abord parce que le temple n'était plus, ensuite parce que les membres de l'expédition s'étaient montrés exactement sous le jour que les natifs détestaient et enfin parce qu'il y avait de fortes chances que de toute façon, dès l'entrée et sans traitement adéquat de la part de la Chantebrise, le monument aurait de toute façon été altéré par l'essence étrangère qu'ils transportaient.

Et qu'en plus de tout cela, son élève avait failli ne jamais revenir. Et évidemment, personne n'avait cru bon de l'informer. Ses lèvres élégantes s'étaient progressivement affinées en une mince ligne dure, pincée, alors qu'il crispait les mains sur l'ouvrage qu'il tenait. Une veine palpitait de plus en plus à sa tempe droite alors que la ligne de ses sourcils était si serrée qu'il semblait n'en avoir plus qu'un. A la fin de sa lecture, le Chantelarmes avait réellement envie de pleurer, mais son maintient d'acier l'en empêchait. Reposant très nettement l'ouvrage sur la table, dans un cérémoniel un peu appuyé, le seul indice de sa rage intérieure était cette manie qu'il avait à bien placer le carnet perpendiculaire aux lignes alentours. Il se leva, remercia son élève pour ce retour d'une voix posée et sobre, puis s'écarta de son bureau afin de faire quelques pas vers le mécanisme central de la fontaine pour le régler sur un rythme différent, qui aiderait à calmer l'ire qu'il couvait comme un dragon ses œufs. Ses gestes étaient lents, volontairement lents, et lorsqu'il eut terminé, le flot aqueux s'élançait avec une réelle fougue. Il comprenait intimement l'expectative de l'Enwr autant que son sentiment d'impuissance et de culpabilité. Et à vrai dire, cela prouvait que Valmys avait la tête sur les épaules et beaucoup de bon sens. Ce qu'il ressentait n'était pas seulement légitime, c'était même très sain. Cela tenait du respect de beaucoup de valeurs que le reste du monde aurait mieux fait d'adopter. Hélas, l'utopie n'existait que pour les fous et les simples d'esprit, pas pour eux.

« Retire ta tunique Valmys »

Le retour à l'action était sans doute brutal pour le petit être qui attendait, accroché à son souffle, mais il n'en avait rien à faire sur le moment. Savoir qu'un boucher doué d'une seule main s'était occupé de l'inciser lui laissait un goût âcre dans la bouche, il voulait absolument vérifier que l'immaculé ne portait aucune séquelle. Son regard comme sa posture ne souffraient pas qu'on vint discuter ce qui était plus un ordre qu'une demande courtoise. Une fois que Valmys se fut exécuté, il plaça un genou au sol et passa une dizaine de minute à l'examiner sous toutes les coutures en lui posant des questions directes afin qu'il lui parle davantage de son ressentit lorsque la douleur l'avait frappé, ce dont il se souvenait, les sensations exactes, et s'il avait eut des symptômes une fois de retour au sein du royaume elfique. Perceptions ouvertes, il écoutait attentivement le chant-nom de son patient pour corroborer ses dires et lorsqu'il en eut finit, il semblait partagé. Certes, Valmys n'était pas dans un danger immédiat quelconque mais la façon dont on avait traité sa santé était alarmante de candeur.

« Je dois me rentre au sein de la légion du soleil très bientôt afin de m'entretenir avec la matriarche. Tu viendras avec moi afin de présenter tes découvertes. Elles concernent directement les Graarh, il s'agit de leur héritage et il leur revient de droit. S'ils acceptent de nous entretenir des détails et des fragments d'histoire concernés, alors nous en saurons davantage. Nous avons commencé à nous préparer à l'arrivée des Chimères, mais ce Graarh que tu décris… nous ne devrions pas écarter cet évènement. A ce titre et avant notre départ, j'aimerais que nous exécutions tous les deux une séance de transe par la musique afin d'aider tes souvenirs à revenir plus aisément. Je veux que tu puisses retrouver davantage de détails sur ce qu'il s'est passé. Acceptes-tu ? »

Il n'évoqua pas un seul instant la discussion qu'il devait avoir avec Aramis au sujet de son comportement indigne d'un membre élu de la Rhapsodie. Elle disposait d'un lourd devoir qu'elle avait prit totalement à la légère, devenant non seulement un danger pour elle-même, pour les autres, mais aussi pour leur survie su l'archipel. Elle n'était pas l'image que devait porter l'Ordre et le dommage pouvait être terrible si rien n'était fait. Mais cela ne concernait pas Valmys. Lui devait se concentrer sur d'autres questions, et c'était son devoir de tuteur de le lui indiquer.

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Valmys était assez bon en relations inter-bipèdes pour comprendre les émotions retenues de son maître, et assez lucide pour s'en sentir coupable, et craindre leur expression. Son regard restait résolument tourné vers le poil de Deïa, qu'il papouillait avec grande attention, avouant par son attitude toute sa gêne et sa honte. Néanmoins, nulle remarque ne vint à ce sujet. Au goût de l'apprenti, ç'aurait peut-être été préférable, finalement. Subir les reproches aurait donné corps à la colère qu'il avait envers lui-même, et aurait pu l'apaiser. La pauvre Deïa percevait toute sa nervosité, sans en comprendre la cause. Elle lui lécha un peu la main. Il était bizarre, cet humain, à n'avoir jamais peur face à du danger, et à ne pas se sentir bien quand tout allait bien. Qu'allait-elle faire de lui ?

Toujours dans l'expectative, l'apprenti osa quelques coups d'oeil aux gestes de son maître. Ils étaient lents. Et chaque seconde qui passait, Valmys craignait un peu plus la teneur des premiers mots qui viendraient au Chantelarmes. Ils ne furent rien de ce à quoi il s'attendait. Ses entrailles se tordirent, en songeant qu'une telle réplique, venant d'une autre personne, et sans le contexte qu'ils savaient, aurait été assassine. Machinalement, ses mains retirèrent sa tunique, avant de la porter contre son torse, comme s'il avait quelque chose à y cacher. Tout aussi machinalement, il se retourna. La cicatrice était là, évidente. Plutôt grande, par rapport au corps de Valmys. Elle rayait le bas de son dos, au milieu de quelques veinules. Du reste, le temps l'avait rendu relativement propre, et bien fermée, malgré son apparence assez vilaine. Elle ne le faisait pas souffrir.
D'une voix aussi neutre que possible, pour ne pas attiser le feu qui brûlait dans les eaux sombres, le jeune Enwr expliqua les douleurs qui l'avaient élancées, et cette impression que quelque chose d'invisible comprimait ses côtes. Il évoqua ses veinules qui brillaient, ainsi que celles d'Orfraie, et l'urgence de la situation qui avait fait qu'ils ne s'étaient soignés. Il raconta sa chute, lorsque la douleur était devenue insoutenable, et son réveil au sein du Palais elfique, avec l'information qui lui avait été donnée : pour retirer la boule de magie qui, à cet endroit, avait grossi, les soigneurs avaient choisi d'opérer. Il se souvenait avoir eu mal encore quelques temps, avoir eu faim, soif, et avoir pu se nourrir de magie.

"- Mon père m'a déconseillé de le refaire, préférant attendre votre avis sur la question, savoir si cela est dangereux. Je pense pouvoir le refaire plus ou moins n'importe quand..."

C'était comme s'il s'était découvert un nouveau muscle. Il avait hâte de l'utiliser à nouveau. La sensation qui était restée à sa mémoire n'était pas désagréable, bien que très surprenante. Il caressait l'espoir secret de pouvoir s'alimenter de magie, et ne plus dépendre d'autres vies, si végétales soient-elles. Mais tout ceci n'était pas urgent.
Tandis que son maître reprennait la parole, Valmys se trouva face à une nouvelle hésitation. C'était que... Il ne savait pas. Il n'avait pas l'habitude. Devant le garder, devait-il attendre l'ordre avant de remettre sa tunique ? Un instinct puant coupa court à ses réflexions. Il remit sa tunique, et fit face au Gardien, désormais plus attentif. Un mouvement affirmatif de tête répondit d'abord au Chantelarmes.

"- Tant que cela ne concerne que mes deux dernières expéditions en Keet-Tiamat, j'accepte."

Non pas que l'esclave des marées ait certains souvenirs à esquiver, mais... Certains fragments de mémoire se passaient de détails. D'autant plus que la dernière réaction d'Ilyanth à ce sujet ne donnait pas tant envie de réitérer l'expérience, surtout auprès du Gardien. Il allait se faire tirer les oreilles s'il le faisait défaillir.

Valmys se saisit de son instrument, s'asseyant à nouveau, prêt à jouer. Mais alors qu'il vérifiait brièvement l'accordage de son fidèle compagnon, quelques remarques lui vinrent :

"- Je peux peut-être leur préparer une version en partie traduite de mes travaux. J'avais commencé à apprendre leur langue et écriture au sein de l'un d'eux. Jangali Pasu. Il est réputé auprès des siens pour ses compétences culinaires." Un léger sourire en coin lui vint. "Rien qui ne soit usurpé, à mon goût." Il reprit plus sérieusement : "Je pense que ce serait un petit pas vers eux qui serait apprécié. Il me semble également qu'il était question de porter ces écritures à un Grah érudit, du nom de Purnendu. Mon père avait évoqué l'idée auprès de Cawr Aramis, qui semblait approuver. J'ignore si cela a été mis en place ou non."

Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Sam 23 Fév 2019 - 18:36, édité 1 fois

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Aldaron Leweïnra se découvrirait-il des compétences paternelles après tout ce temps ? Voilà qui était très étonnant mais personne n’irait cracher sur un miracle quand il se produisait à son profit non ? Les cas d’immaculation étaient encore relativement rares, établir une conjoncture sur les spécificités des individus touchés par l’évènement et les conséquences de leurs capacités, leurs possibles us et habitudes futures, n’était pas encore envisageable. Il faudrait attendre d’avoir davantage de cas, et de longues études sur la question. Leurs observations préliminaires, à ce stade encore délicate et prématuré montraient néanmoins que l’ingestion de magie comportait des risques potentiels pour des créatures qui n’étaient pas nées pour cela. L’énergie de la trame était une chose à la fois précieuse et dangereuse, une ressource de grande importance mais qui n’étaient pas ineffablement bonne telle la conception que les peuples du vieux continent en avait, le manichéen combat du bien contre le mal, l’image d’une chose ou d’un outil qui ne pourrait jamais faire de mal. Non, la magie n’était pas bonne, elle n’était pas non plus maléfique. Si elle devait ne posséder qu’une seule essence, peut-être serait-elle Chaos. Elle avait été source de beaucoup d’avancées, et de beaucoup de destructions également, d’opportunités et de dangers. Consommer une essence avec de telles caractéristiques, le don même des Déesses, n’était pas un acte de faible portée, et certainement pas quelque chose à faire comme on décidait de planter une laitue.

« Il a bien fait, et je te demande de ne pas en consommer avant que nous ne puissions étudier le phénomène en détail. C’est dangereux, indubitablement. Restes à savoir à quel sorte de danger vous êtes exposés exactement. Si tu acceptes d’être un sujet d’observation, tu pourras être amené à recommencer, dans un cadre strictement délimité et contrôlé, mais en dehors de cela, ne cherches pas à le développer »

Il pressentait l’enthousiasme de son élève mais y était plus que tiède. Néanmoins, il s’agissait d’un sujet dont ils auraient toute largeur de reparler plus tard, dans d’autres circonstances. Ce n’était pas un sujet dont il fallait gaspiller la teneur en le dilapidant rapidement entre deux chapitres complémentaires. Pour l’instant, il avait autre chose dont il devait s’occuper. Entretenant l’apprenti à ce sujet, il lui lança un sévère regarde en coin après un bref instant. Et bien, il se rhabillait oui ou non ? Il n’allait pas rester indéfiniment torse nu tout de même, ce n’était pas décent. Satisfait de le voir revenir à la raison et lui répondre dans la foulée, il se passa de tout commentaires. Il s’agissait d’une demande parfaitement professionnelle, mais le lui indiquer ne ferait que remuer le couteau dans une plaie qu’il savait douloureuse. Valmys avait très certainement besoin de beaucoup plus de temps pour panser ses plaies. Retournant s’installer derrière son bureau un bref instant, il prit plusieurs feuilles d’un fin vélin blanc, les installa sur une plaquette de bois aux accroches d’argent afin qu’elles restent tendues et prit une plume courte et élégante qu’il trempa dans l’encre avant de se mettre très rapidement à écrire, les gestes assurés. La missive se dessinait avec une hâte qui n’enlevait rien au style du tracé qu’il gardait élégant, comme il l’avait toujours fait. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut d’une voix retenue.

« Je n’ai eu aucun écho mais ça ne m’étonne pas. Nous nous chargerons de cela nous mêmes. Je ne t’apprend pas ce proverbe humain, n’est-ce pas ? On est jamais mieux servit que par soi-même... »

Et ça n’avait sans doute jamais été aussi vrai. S’il pouvait éviter de s’en remettre à Aramis il le ferait sans une hésitation. Sa confiance était une denrée rare et la Chantebrise n’en recevait pas une miette.

« J’approuve ta proposition de traduction. Néanmoins penses-tu avoir suffisamment apprit pour que tes travaux soit intelligibles dans une autre langue ? Le temps est une denrée précieuse pour tout le monde »

Avisant de nouveau l’instrument dans les mains de son apprenti, il se détendit légèrement. La ligne sévère de ses sourcils s’adoucit de même que la dureté implacable de ses traits. Il termina sa lettre, passa une fine poudre dessus afin de faire sécher l’encre puis la chassa et roula le vélin soigneusement avant de le cacheter. Puis il fit signe à Valmys de le suivre et l’emmena dans une pièce adjacente, une salle de musique où se trouvait actuellement son orgue, Noathun.

« C’est moi qui vais jouer pour toi Valmys, installes-toi »

D’un geste de la main, l’elfe lui indiqua un espace prévu pour le confort, couvert de tapis moelleux et de tissus chamarrés, avec des coussins, sous une fenêtre par laquelle la lueur entrée en haubans poudrés. Une petite table se trouvait non loin, pour le matériel de croquis de Valmys s’il désirait coucher les souvenirs sur papier. Lui-même s’assit sur le tabouret devant l’orgue et ajusta le son pendant quelques instants. Puis, après un moment, il se mit à jouer. L’air était simple, pour convenir au caractère de celui qu’il visait, mais il restait d’une agréable fraîcheur, incitant aisément à se perdre dans son rondo. Il ne chercha pas à dicter le rythme, laissant Valmys aller au sien, et il ne s’arrêterait, en fin de compte que lorsque le jeune Enwr le sentirait, non quand lui l’aurait décidé.

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"- Je veux bien servir de sujet d'observation."

Avait murmuré Valmys, quand il fut question de ce nouveau mode d'alimentation qu'il avait découvert. Aurait-il seulement pu ne pas accepter ? Outre l'intérêt qu'il voyait à manger la magie, il avait l'intuition qu'observer le phénomène ne pourrait que leur en apprendre davantage sur l'immaculation. Non pas qu'il soit particulièrement curieux, et que cela puisse le concerner... Mais il était très curieux, et cela concernait de plus en plus de monde. Si Kehlvehan l'avait exclus du rôle de cobaye, il aurait insisté pour connaître au moins les résultats des expériences.

Sa tunique reprit sa place sur ses épaules, et son instrument entre ses mains. Son esprit était tourné vers les actions de son maître comme le regard d'un chat vers une plume trop remuante. Qu'écrivait-il ? Que pensait-il ? Etait-il déjà en train d'agir suite à l'annonce liée à Purnendu ? Voilà qui était agréablement surprenant. Valmys savait d'expérience que même les humains, avec leur empressement naturel, mettaient parfois plusieurs réunions, réflexions, et obstacles de protocoles, avant de réagir à une annonce ou un événement. La réactivité de l'Ordre n'était pas pour déplaire à l'Enwr, qui approuvait de tout son petit coeur. Il déplorait la lenteur de son peuple natal, sur qui il faisait reposer l'absence de circulation de la précieuse information de son père.

Un sourire en coin, amusé, un peu moqueur envers ceux dont ils allaient récupérer les responsabilités, répondit au proverbe du Chantelarme. Il ne pouvait l'approuver totalement, la plupart des situations houleuses de son existences n'ayant pas été sauvées uniquement par lui-même. En revanche, ils étaient, quoi qu'il advienne, toujours mieux servis par des êtres qui leur étaient proches. Des êtres à qui Kehlvehan pouvait faire les gros yeux si la tâche n'était pas exécutée. Valmys ne se sentit néanmoins pas la proximité avec son maître pour faire cette remarque à voix haute. Elle l'amusa sincèrement.

Il reprit un peu de son sérieux d'élève appliqué et soucieux de bien faire, et de faire autant que possible, sitôt que le mot "traduction" fut prononcé. Il prit le temps d'une sincère réflexion, estimant ses compétences, imaginant brièvement le discours à tenir. Une grimace déforma ses lèvres, moins laide qu'avant son immaculation.

"- Je peux peut-être accélérer la lecture ici et là, mais peut-être pas offrir des travaux complets en Graärh. Sur place nous pourrons peut-être proposer ma collaboration avec eux pour établir une version de mon récit qu'ils pourront garder."

C'était une idée, qui lui était venue en parlant, qu'il évoquait sur le ton d'une question. Pour lui, qui avait eu de bons contacts avec les Graärh, et qui avait eu le même rôle qu'eux dans les cellules des esclaves, cela ne paraissait pas impossible. Cependant, il ignorait le caractère et les idées des confrères et consoeurs de Jangali, ainsi que leurs liens avec le Domaine.

Il accorda son instrument, sagement, tandis que son maître finissait sa missive. Au final, le brave psaltérion n'allait pas être utile dans l'immédiat. Pas plus ennuyé que cela, Valmys le laissa à sa place, sur le siège qu'il avait emprunté, avant de suivre son maître.

Son regard traina sur cette partie toute neuve qu'il découvrait du Domaine. Une impression paradoxale lui venait de cet endroit. Un sentiment de sécurité, et l'idée, curieuse, d'être à sa place, entre un instrument et des parchemins. Ah, si seulement ses jambes avaient su rester en place, s'il n'avait pas eu besoin d'air neuf, quelle vie aurait-il pu mener au sein du Domaine ! Peut-être aurait-il été le premier bipède Heureux au monde. Quel dommage que l'univers fut si vaste, si neuf, si fascinant.
L'Orgue était majestueux. Immense et plein de subtilités... Comme un océan. Rien de surprenant à ce qu'il fut lié à un Chantepluie. Valmys ne le quitta pas des yeux, en s'asseyant maladroitement sur un coussin, le confort lui permettant de ne pas se soucier d'autre chose. Le soleil vint apporter des reflets ambrés à sa peau et ses cheveux, avant de couler le long de ses habits. Il ferma les yeux.

Bien qu'il fut prêt, s'attendant à la musique, cette dernière le prit aux tripes dès les premières notes. Le son était pur comme l'eau de source, et délicat comme la goute de stalactite. Valmys n'eut besoin d'aucun effort pour se laisser emporter par la musique, chercher à respirer chacune de ses fines gouttes de brume jusqu'à s'en imprêgner totalement. Son souffle s'était vite assorti au rythme que proposait son maître, et un fin sourire bienheureux teintait ses traits. Oui, ces notes, elles étaient... Elles étaient l'oasis au milieu du désert, elles étaient l'humidité le long des feuilles des arbres, c'était...!
Il lui parut que son coeur s'accéléra, et qu'un barrage venait de se briser dans son cerveau. Les souvenirs lui revenaient d'eux-mêmes, plus précisément que si lui-même les avait appelé. Par les Huit. S'il les laissait passer, il allait les oublier, à nouveau. Précipitamment, il se jeta sur le matériel de dessin, et commença à griffoner à folle allure tous ces petits détails qui traversaient son crâne. Le voyage sur l'eau, le visage de ses alliés, l'allure du Gardien des lieux, et celle du temple, vinrent habiter les premières feuilles qui passèrent sous la griffe du bout de graphite. Puis les inscriptions sur le temples se précisèrent, mais aussi la texture de la pierre à ce moment-là, et le niveau de l'eau. Les hésitations sur le chemin à prendre, elles lui revenaient en détail, avec la composition des groupes, le choix donné de le séparer d'Aramis, et les expressions sur les visages des Décideuses. Puis il y eut ces moments chaotiques, où même le dessin le plus précis restait aussi flou que ce qu'il avait pu voir. Valmys dessina Orfraie blessée, puis le golem très spécial... Puis sa fuite, et les quelques coups d'oeil qu'il avait jetés en arrière.

L'excitation et l'adrénaline avaient porté son poignet, par-delà son énergie. Il avait un peu mal, avait un peu froissé les pages ici et là, et donnait l'impression de revenir d'une longue et pénible course... Ou des événements qu'il contait. Une partie de lui grognait, mécontente, que c'était un crime de ne pas profiter d'une si belle musique. L'autre partie était trop occupée à essayer de ne perdre aucune miette de ce qui lui revenait.
Il y eut encore d'autres images, des dessins. Il refit ce croquis de ver des sables mort, avant d'avoir à dessiner les chimères, et le Graärh qui avait été le véritable adversaire de ces derniers. Il eut droit à un portrait si détaillé que Valmys lui-même se demanda comment il pouvait avoir teneu tout cela.
Le dernier dessin représentait un bateau, vu depuis le niveau de la mer. Un craquement brise-coeur marqua l'instant où la pointe de graphite se brisa contre le papier, sous le tremblement de la main de Valmys. Ce dessin-là ne ressemblait pas à sa mémoire. À bord du bateau, il n'y avait que des ombres, avec des sourires plein de crocs.
Son autre main s'était glissée devant son regard, tant pour soutenir une tête qu'il trouvait lourde que pour l'empêcher de voir ce qu'il pouvait encore dessiner.

"- Maître... Peut-être pouvons-nous arrêter ? S'il-vous-plait."

Son petit corps implorait le repos, son petit coeur implorait qu'on le laissa roulé en boule dans un coin sombre. Pour éloigner au plus vite les images qui lui revenaient, Valmys remit en ordre ses croquis, les numérota hâtivement, et commença à les sous-titrer, et à préciser certains. Par chance, son entrainement au dessin avait porté de très bons fruits, et il avait le trait aussi clair que précis. Les derniers dessins avaient un trait plus épais, sa main tremblante cherchant à s'appuyer sur le crayon pour se stabiliser.
Son regard se glissa vers Noathun, avec une pointe de regret. Il aurait aimé passer davantage de temps avec lui, et dans des circonstances plus légères.

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La demande marqua avec une justesse sibylline la dernière note à la clarté parfaite de la grande orgue… ou bien était-ce la note qui marquait si nettement la demande ? Elle ondoya dans l'air puis s'atténua jusqu'à disparaître, s'éclipsant devant le bleu silence des lieux. Le vieil elfe se détourna de son instrument lentement, laissant un instant ses doigts caresser les touches d'ivoire et d'obsidienne en un geste complice et aimant, avant de faire face à son apprenti. La découverte de sa mine défaite et essoufflée n'inspira aucune expression au maître chanteur, mais il se releva néanmoins pour approcher de l'assise du jeune immaculé, venant souplement s'installer à ses côtés pour étudier d'un œil intéressé les croquis que la musique mystique lui avait évoqué. Manipulant les pages avec beaucoup de précaution, il s'arrêta sur chaque esquisse, à la fois pour les détails extrêmement précis qu'ils faisaient ressortir mais également pour la richesse émotionnelle qui en ressortait. Le croquis du Graarh l'intéressa tout particulièrement et il passa de longs instants à le détailler, sourcils froncés. Celui-ci sortait du lot, il serait particulièrement utile de le montrer à la matriarche de la Légion, de même que ceux concernant les structures des temples. Ces pièces étaient des témoignages importants de la culture native. Et surtout, il y avait là des secrets encore dissimulés, des questions encore en suspend. L'exercice était satisfaisant car si un récit écrit était une chose, les images étaient plus simples et un tantinet moins sujettes à interprétation.

« C'est réussit »

L'appréciation fut courte mais pas moins sincère. Le vieil elfe était réellement satisfait du travail accomplit et intéressé de voir à quel point la transe par la musique pouvait faire remonter des souvenirs. Cependant, ce n'était pas le moment de faire des tentatives bien que l'envie ne lui manqua pas de replonger son apprenti dans une nouvelle vague de réminiscence, peut-être plus ciblée. Tout ne l'intéressait pas à égale valeur. Il voulait surtout faire ressortir les éléments qui avaient traits au peuple de l'archipel et son passé. Ce ne serait pas pour aujourd'hui, mais il était certainement possible de s'attarder sur cette possibilité dans les jours à venir. Avec attention, il reprit une seconde fois l'observation des esquisses depuis le début pour bien s'imprégner de leur rythme et de leur logique. Chacun était relié, mais chacun pouvait être prit séparément également. Cependant, ce n'était pas le sentiment qui s'échappait de ces tracés qui l'intéressait pour une présentation aux félins. Il s'agissait là d'une critique d'artiste, pas d'historien. Il devait avant tout se concentrer sur cette valeur stratégique avant tout.

« Je pense qu'adjoindre certaines de ces représentations à tes écrits serait une très bonne idée. Nous pouvons travailler à les inclure de façon intelligente dans tes récits pour appuyer la parole donnée, non comme preuve de véracité, mais davantage pour accompagner et aider à la visualisation. Au sein d'un même peuple, il existe déjà des différences d'appréciation, et, découlant de cela, des différences dans l'usage des adjectifs et des descriptifs. Il est donc naturel qu'entre membres de races différentes, ces dissemblances soient plus avérées encore. Mais une image se passe de cette interprétation, dans une certaine mesure »

C'était également de cette façon qu'ils procédaient pour de très nombreux ouvrages sur la magie et les rituels après tout. Il ne serait pas si illogique de procéder de la même façon pour cette fois. S'appuyer sur plusieurs moyens de communication était également une assurance d'un succès plus large et d'une réduction de perte de temps. De plus, cela permettait également à son apprenti de ne pas s'abîmer à une seule tâche. La spécialisation advenait toujours, consciemment ou pas, mais l'encourager n'était pas dans ses habitudes. Et dans ce cas, utiliser une nouvelle séance de transe afin de se focaliser sur les détails serait certainement parfait. Il suffirait de l'orienter autours du temple, puis de l'apparition Graarh dans le désert. Intéressé de connaître le sentiment de Valmys à ce sujet, il lui exposa son idée avec simplicité, attendant de savoir s'il serait prêt à se soumettre à une nouvelle tentative le jour suivant par exemple. Il ne souhaitait pas le brusquer ou lui imposer un procédé pouvant toucher intimement à son esprit et donc avoir de graves conséquences.

« As-tu contacté ton père adoptif depuis ton retour ? »

La question n'était pas innocente. Aldaron avait montré une vive volonté de s'impliquer dans l'éducation de son fils adoptif, et une réelle inquiétude pour son bien-être. Ce serait mal le remercier que de le laisser dans l'ignorance des faits et gestes de sa progéniture de substitution. Dardant un regard pénétrant sur la petite forme de son apprenti, il attendit une réponse qui ne pouvait que venir promptement… on ne délayait que rarement les réponses qu'on lui devait de toute façon, ce n'était pas l'habitude qu'il avait instauré au sein du Domaine. Aucun de ses apprentis ne lui avait jamais désobéi et aucun résident du Domaine n'avait pêché par non coopération à la bonne tenue de la sécurité des lieux. Une sécurité plus que primordiale, chaque jour le démontrait un peu plus. Valmys t son récit ne faisait que renforcer encore davantage cette certitude.

« Si ce n'est pas le cas, je t'encourage à le faire. Je pense qu'il sera intéressé de connaître tes futures occupations »

Pour le moment, aucun étranger n'était réellement entré en contact avec les légions Graarhs. Le rapprochement encore timide avec le Domaine était une première. Que Valmys en fasse partie serait une excellente expérience de vie et un chance inespérée de s'enrichir à la fois comme Enwr et comme personne. Autant de choses qu'Aldaron serait certainement content d'apprendre. Et peut-être que cela lui donnerait quelques idées. Et il saurait également au-devant de quels dangers ils iraient. Cela aussi serait important. Pour ne pas laisser son apprenti avec uniquement des ordres et des plans, il décida néanmoins également de partager le récit de sa rencontre avec la matriarche, afin qu'il puisse se faire une idée de la position de la légion ainsi que de ses attentes et de leur volonté commune d'apprendre à se connaître mutuellement. Lorsqu'il eut terminé, il l'observa de nouveau platement, semblant attendre quelque chose.

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Épuisé, comme après une course, Valmys n'eut pas la foi de bouger lorsque Kehvehan vint vers lui, là où, en temps normal, il lui aurait cédé la place pour rester debout derrière lui, en retrait. Il n'avait pas même la foi de craindre quelque jugement quant à ses dessins. Sa tête toujours appuyé sur sa main, les yeux fermés, Valmys reprit son souffle, tandis que son maître relisait ses écrits, examinait son travail. À travers le graphite, le Chantelarmes parvenait-il à lire la sueur que son apprenti avait mis dans ces croquis ? Si lui n'y parvenait pas, Valmys y parviendrait à sa place. Les vieux croquis étaient comme les vieux écrits : les regarder suffisait souvent à ramener à l'auteur les sensations et images qui étaient venues à la réalisation, pour peu qu'il en eût. Le jeune immaculé n'était pas sûr de vouloir retrouver cela. Qu'il avait été bête, de s'être attendu à coucher un savoir bête et méchant, une copie purement factuelle, sur le papier. Qu'il avait été innocent, insousciant.

Son souffle lui revenait petit à petit, et ses idées se transformaient, passant du tourbillon chaotique d'émotions, qu'il avait vaguement tenté de contenir comme on contient le débit d'une cascade entre ses doigts, à un cours de rivière certes vif, mais au moins roulant dans une seule direction vaguement cohérente. Inconsciemment, il avait commencé à se masser les tempes pour s'aider. Peut-être que le temps passé sans la musique qui l'avait transporté aidait également. Les images devenaent plus distantes, les souvenirs plus flous, à nouveau. Il reprenait pied au sein du Domaine. Il aurait juré que, quelques instants plus tôt, la lumière avait été moins forte. Combien de temps avait passé ? Si peu que cela ? Soit, c'était une plaisante surprise, il lui restait de quoi occuper sa journée.

La fatigue restait tout de fois trop importante pour qu'il soit exhaustif en répondant à Kehlvehan, ou qu'il lui offre l'intégralité des efforts sociaux qu'il aurait pu fournir en temps normal. Son regard ne croisa pas le sien, plutôt occupé à chercher des forces dans les formes élégantes et sans souvenirs de Noathun. Il opina plusieurs fois du chef, signifiant qu'il écoutait, et approuvait, notamment par rapport à l'avenir de ces croquis. Lorsque ce fut à son tour de donner son avis, il le glissa hors de ses lèvres dans un murmure honteux :

"- Je veux bien d'une autre séance de transe." L'intérêt était trop évident pour passer à côté. "Je crains juste les souvenirs liés à ce Graärh. Non pas pour leur nature, mais parce que ce qui les a suivi m'a... Jeté dans les bras des pirates. Et qu'ils ont voulu que je leur compte l'histoire également." Ses lèvres pâlirent sous une morsure discrète. Au moins, revenir aux souvenirs du Graärh, et seulement du Graärh, en présence d'un Cawr, lui permettrait peut-être de détacher les événements de ses tortionnaires.

La question quant à son père eut l'avantage de le troubler assez pour l'écarter de ces considérations. Qu'avait à voir son père dans tout cela ? Un sourcil haussé, et l'air un peu perdu, Valmys répondit avec une voix semblable à son expression :

"- Oh, euh, oui, bien sûr. Dès que je suis arrivé, pour lui assurer que le voyage s'était bien passé." Lorsqu'il eut enfin la raison de la question de son maître, il opina à nouveau du chef, pas moins troublé, ne comprenant pas le fondement d'un tel intérêt du Chantelarmes pour les informations que percevait Aldaron. "Je lui transmettrai. Par ailleurs... Il a proposé de venir au Domaine sous peu. Si cela n'allait pas contre votre volonté."

Il se tut à nouveau, le temps d'écouter la récit de la rencontre avec la matriarche. De ce qu'il en percevait, les peuples pouvaient être bien plus amicaux entre eux que ce qu'ils étaient déjà. Et de ce qu'il percevait de son maître, il comptait sur lui pour avoir conscience de leur position, du rôle qu'ils pouvaient jouer. Valmys prit donc le temps de lui faire comprendre qu'il avait saisi ce qu'impliquait son récit, convenir de l'intégralité des documents et récits qu'il allait produire, tant pour eux que pour le Domaine, à titre d'archive. S'il y avait un quelconque message à passer à son père, dans le même temps, il le ferait. Et s'il y avait une occasion pour lui d'aller un peu se remettre de ses émotions dans un coin de Domaine un peu tranquille...
Eh bien, par les Huit, il ne manquerait pas !

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