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18 Novembre 1762


Il était épuisé, moralement épuisé. Malgré sa volonté d'assumer pleinement le choix qu'il faisait, la peur rongeait son cœur. La raison en était pathétiquement simple : même s'il savait combien les nordiques détestaient ce qu'il était, il aurait terriblement aimé pouvoir être accepté et s'identifier pleinement à eux. Il ne le pouvait pas. Différent, mage et vampire, tout ce qu'ils détestaient. Il avait peur de la douleur qui viendrait forcément avec le rejet inévitable. Et pourtant, tel une phalène inepte, il essayait tout de même d'approcher la flamme qui l'attirait. Un jour, il faudrait bien qu'il arrête, qu'il laisse tomber et ne tende plus la perche pour se faire battre. Ce ne serait pas aujourd'hui pourtant. Expirant profondément, Ivanyr observa le ciel, puis la garde loup en faction près de la tente d'Ilhan Avente et nota immédiatement que les soldats n'étaient pas les mêmes qu'une heure plus tôt. Pas les mêmes qui avaient accueillit sa demande de visite. Ce qui signifiait dans le meilleur des cas que c'était dû simplement à des rotations pour repos et dans le pire, et le plus probable, que les loups du nord avaient mit le chef de meute au courant de la situation et de la demande qu'il avait soumise au Diplomate. Soupirant lourdement, Ivanyr quitta les lieux le plus rapidement possible afin d'éviter d'envenimer la situation. A grandes enjambées, il revint vers le campement des Caladoniens. Après ce qu'il venait de se dire et puisqu'il ne pouvait pas se confier à Aldaron afin de garder la surprise, il devait se tourner vers sa sœur Cymorill. Du reste, il n'était pas bien certain qu'elle lui en veuille de revenir à elle afin de partager ce qu'il avait sur le coeur, car cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas pleinement fait, trop occupé qu'il était à graviter autours de son lié.

La journée suivante débutait aussi simplement que toutes les précédentes alors qu'il profitait de la présence de son elfe pour un moment. Pourtant, cette nuit-là, il n'avait pas réussi à se reposer dans la transe, trop préoccupé. A la place, il avait observé Aldaron dormir, découvrant toutes ses petites particularités avec une fascination profonde. Même s'il avait commencé à le découvrir auparavant, ce n'était pas la même chose depuis qu'ils partageaient le lien de l'Inséparable. C'était plus intense, sa vision était plus claire et précise et il savourait d'autan mieux chaque infime petite information découverte. Il l'aimait, au point qu'aucun mot ne pouvait rivaliser avec la chaleur qui irradiait de son cœur chaque fois qu'il se trouvait avec lui. Il l'aimait au point que son esprit se teintait de lui à chaque instant. Il l'aimait au point que les longues heures lui avaient semblé de simples minutes tant il aimait l'observer. Mais Aldaron ne lui appartenait pas, pas entièrement. Il avait ses propres devoirs et ses obligations, et la matinée arriva bien assez vite pour lui arracher son aimé et le rendre au reste de l'Alliance. C'était à la fois plus simple et plus dur désormais, mais il lui revenait toujours. Pour cette fois, il ne serait pas son garde du corps, d'autres membres de la garde veillaient sur lui car il avait à faire de son côté pour préparer leur mariage. Il devait envoyer une missive à Valmys puis contacter le maître glyphe destiné à la protection du havre où ils fêteraient leur union. Il voulait également aller trouver Purnendu afin de profiter un peu de sa présence et de ses connaissances sur les esprits.

Quittant les tentes Caladonniennes, il s'aventura sur l'extérieur du campement pour trouver le maître des aviaires à qui il pourrait louer un oiseau pour envoyer son message. Les tentes se firent plus espacées, la concentration de population moins importante. Enfin en vue de la tente aux oiseaux, il en prit résolument le chemin et ne s'arrêta qu'en entendant vaguement le bruit puissant d'un coeur calme s'approchant de lui. Le son profond et constant ne semblant indiquer aucune peur, il en conclut qu'il s'agissait simplement d'un membre du campement occupé dans le même endroit que lui, et il reprit sa marche. Cependant, cette certitude vint très vite voler en éclat au son caractéristique d'une épée qu'on dégaine et du sifflement dans l'air. Par pur instinct, le haut mage fit un violent écart, glissa sur un carré d'herbes mouillées et glissa au sol juste à temps pour voir l'acier lui frôler la gorge.

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Dire qu'il était simplement en colère était une estimation dangereuse, bien en deçà de la vérité. Furieux ? L'on était encore loin du compte alors que ses doigts se refermaient sur la garde de son épée à deux mains ; ødelagte tenner – les Crocs brisés. Cette arme lui était fidèle depuis plus de quinze ans et il l'avait forgé à son retour du Rite à l'âge adulte, dans Glacern. Elle avait été trempée dans le sang de sa proie, forgée avec son cœur tandis que les canines du monstre étaient à jamais enchâssées dans sa garde. Par tradition, c'était toujours avec elle qu'il achevait jadis ses proies, avant que les peuples n'aient l'idée saugrenue de signer un traité qui empêchait désormais la chasse de toute sangsue. Sous ses gants de cuir, il sentait le pommeau familier, caressa la série d'encoches qui comptabilisait ses victoires lors de Chasse. Ses yeux au bleu polaire ne quittaient pas le dos efféminé de la sangsue qu'il traquait depuis plusieurs minutes maintenant. De longs cheveux au blond platine, une musculature quasiment inexistante et une marche raide ; tout dans cette silhouette révulsait le Général jusqu'au plus profond de ses tripes. Ce cadavre ambulant était une insulte à sa famille, une honte qu'ils portaient depuis plus de mille ans. Toutefois, Sigvald n'était pas naïf au point de croire qu'il pourrait s'en débarrasser seul, ni même avec les autres Chasseurs qui l'accompagnaient en silence. De toute, il ne comptait pas l'exterminer, non pas que l'envie lui manqua, mais il avait cruellement conscience des lourdes répercussions que cela entraînerait pour Délimar.

Lorsque le camps Caladonnien fut derrière eux, le Général exécuta quelques mouvements de la main qui dispersa silencieusement ses frères et sœurs en une formation de chasse particulièrement rigoureuse. Leur proie était un ancien vampire, un mage de surcroît, et même s'ils ne comptaient pas l'exterminer le simple fait de l'immobiliser pour avoir une petite « conversation » avec lui serait déjà une prouesse de force et d'adresse conséquente. Ce n'était pas la première fois qu'ils prenaient un gibier d'envergure similaire et tous connaissaient parfaitement leur place. Formant un U évasé, ils avaient pour objectif de guider le vampire plus loin encore des habitations, profondément dans les collines du Sud-Est. Ils resteraient à la périphérie de sa vision, serrant ses flancs pour l'empêcher de virer d'angle lorsque sa fuite commencerait et ils useraient de leur arc ou pavois afin de le tenir en respect jusqu'à ce qu'ils atteignent un lieu à leur avantage. Sigvald, qui était la pièce maîtresse de cette formation, se trouvait toujours derrière la sangsue et scrutait cette silhouette maudite sans ciller. Son cœur battait profondément, il était puissant et ne manquait aucune pulsation alors qu'il commençait lentement à se rapprocher.

Lorsqu'il vit le vampire s'arrêter et écouter, le Chasseur continuer son approche impavide à grandes enjambées silencieuses. La transe dans laquelle il se trouvait l'empêchait d'éprouver de la peur. Ses sentiments avaient reflué au plus profond de son subconscient, ses prunelles n'étaient que deux puits aux reflets métalliques, tel des flaques de mercure. Tous ses sens étaient aiguisés, tous ses muscles frémissaient avec des nerfs à fleurs de peau. Le cuir du gant grinça alors qu'il fermait ses phalanges sur la garde et sortait la lame en un suintement distinctif. L'éclat du métal fut fugace avant qu'il n'effectue un moulinet ample et puissant, visant sans une once d'hésitation la nuque de sa proie. Un sifflement fugace pu s'entendre alors que Crocs brisés décrivait un sublime arc de cercle, mais son fil ne trancha qu'une poignée de cheveux platine, ces derniers aussitôt emportés par la brise hivernale. Sans perdre l'inertie et la force de son mouvement, Sigvald manœuvra avec souplesse et renversa sa prise sur la garde, effectua un quart de cercle et pointa l'épée vers le bas. Le vampire qui, de maladresse et de panique, avait perdu l'équilibre et comptait fleurette au sol verglacé de la campagne, pu voir l'arme s'abattre en direction de son cœur, comptant bien le lui transpercer proprement.

Encore une fois, la vermine s'esquiva d'une roulade maladroite et le Chasseur ne fendit que la fibre soyeuse d'une cape. Un léger tressaillement au coin de son œil gauche vint à trahir son agacement. Pendant quelques secondes, le vampire fut cloué au sol par sa cape, mais bien vite le tissu se déchira et il fut libre de ses mouvements. Sans un mot, sans un frémissement dans le battement de son cœur, Sigvald retira Crocs brisés du sol et la fit tournoyer d'un ample mouvement du poignet. Il roula de ses épaules puissantes, jambes légèrement fléchies dans une posture d'attente, prêt à esquiver si le monstre se décidait à contre-attaquer. A quelques dizaines de mètres, les autres Chasseurs bandaient les arcs dont certaines flèches étaient à peine alourdies de petites fioles en verre contenant un acide particulièrement efficace, ainsi que d'autres substances qui s'attachaient aux chairs mortes et aimaient à les ronger en une agonie indescriptible. Toutefois, aucun ne tira le premier et leur présence n'était là que pour faire comprendre à leur proie qu'il était encerclé. Tous les cœurs battaient de cette même union profonde, des tambours menaçants par leur calme et leur sinistre résolution.

Sigvald plissa légèrement des yeux et commença à tourner lentement autour du vampire. Ses pas étaient méticuleux, glissant sur l'herbe mouillée, cristallisée du gel nocturne afin de ne pas risquer de perdre son équilibre. Derrière lui, la haute silhouette d'Amarok apparaissait par instant, fugace dans la futaie des arbres et les ombres projetées, déformées, par ce soleil pâle et maladif d'hiver. Le Chasseur s'élança soudainement et effectua plusieurs tailles et estocs visant à handicaper sa proie alors qu'il visait ses articulations ou sa gorge ; en partie pour l'immobiliser, mais surtout pour l'empêcher de conjurer ses sorts. Jambes ployées, il laissait la pointe de son épée trancher plusieurs brins d'herbes alors qu'il moulinait de bas en haut pour l'ouvrir comme une vulgaire sardine, quand le mage eut l'insolence de se téléporter plusieurs mètres hors de sa portée. Le chasseur auprès duquel il réapparu n'eut pas l'ombre d'une palpitation dans son cœur et leva son immense bouclier dans l'idée de se protéger d'un possible coup alors qu'il reculait pour préserver une distance raisonnable entre eux.

« - Tu ne nous échapperas pas, Uverdig. »

Sigvald fut là en quelques foulées, accroupit sur le dos d'Amarok et plongea vers son adversaire avec Crocs brisés levée au dessus de sa tête pour l'abattre dans un sifflement strident. Il visait l'épaule droite, prêt à le trancher jusqu'à la hanche gauche et l'ouvrir en deux. Pour éviter toute retraite, un des chasseur au bouclier se glissa dans le dos de vampire et s'apprêta à lui plaquer le pavois entre les omoplates alors que deux flèches sifflaient aux tempes du vampire pour couvrir une possible esquive sur les côtés... Au diable ses intentions de l'épargner, maintenant qu'il l'avait en face de lui ? Il voulait le couper en fine lamelles.

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Ses sourcils se froncèrent au surnom dont on l'affublait mais il décida de ne pas répondre, ne souhaitant pas jeter plus d'huile sur le feu s'il pouvait l'éviter. Pourtant, le surnom ne lui fit pas aussi mal qu'il l'attendait. Oh il fit mal, sans aucun doute, mais une part très cynique de son esprit ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il se rapprochait un peu de son fiancé, ainsi. Aldaron était indigne aux yeux des elfes, peut-être s'étaient-ils tous deux très bien trouvé si on l'appelait également ainsi. Coi, il se contenta d'observer fixement le guerrier qui le menaçait, attendant de savoir comment il allait tenter de l'atteindre au prochain mouvement. Une stratégie simple aurait été de foncer vers le centre du campement pour forcer les Délimariens à s'arrêter net, mais cela le gênait d'user des autres comme un bouclier, surtout quand ils n'avaient rien à voir avec tout ça. Il pouvait aussi simplement bondir jusqu'à se perdre dans la campagne et revenir par un détour, mais cela aurait été éviter le problème plus qu'autre chose. Ou alors il restait et il tentait de régler la situation maintenant pour que cela n'aille pas plus loin et qu'ils le regrettent tous. Il sentait le bouclier dans son dos mais gardait le regard posé sur son descendant, appelant l'énergie qui faisait fonctionner le glyphe apposé sur l'anneau de sa main droite et d'un cillement des yeux appela un mur de force juste devant lui et un dans son dos. Simultanément, l'homme au bouclier se trouva projeté vers l'arrière, les deux flèches ricochèrent et Sigvald vint embrasser le mur d'énergie solidifiée que le haut mage avait dressé à un centimètre devant lui. Un fin sourire s'accrocha aux coins de ses lèvres, instinctif, en voyant le chasseur de vampire glisser et s'écrouler au sol à ses pieds. Et maintenant que faisait-il ? Il était bien protégé derrière sa barrière, ce serait certainement le meilleur moment possible pour essayer de discuter et de mettre fin pacifiquement à toute cette folie.

« Je comprend que venir dans ton camp n'était pas la meilleure des idées »

Sa voix était posée, et il essayait de n'avoir l'air ni plaintif ni en colère, alors qu'il était un peu des deux et bien d'autres choses encore. Blessé, dépité, défait par leur violence, il y avait beaucoup à dire. Ils étaient là parce qu'ils considéraient qu'il était un monstre, et pourtant c'était eux qui l'attaquait et qui agissaient comme des bêtes fauves. Mais ça, il n'allait pas le leur dire ainsi, sinon il allait définitivement les braquer. En revanche il pouvait tenter de tourner la conversation, unilatérale certes, autrement, pour pouvoir le leur faire comprendre.

« Mais je me suis ouvertement présenté auprès de tes hommes, j'ai clairement annoncé qui je venais voir. Ils pouvaient refuser de me laisser entrer, j'aurais accepté et je serais parti. Tes gardes m'ont conduits jusqu'à mon interlocuteur. Je n'ai pas forcé ma route un seul instant. Peux-tu vraiment me reprocher cela par la suite ? J'ai agis selon les règles de la courtoisie et les codes de présentation. Peux-tu me dire ensuite que je suis un animal ? J'aurais pu me téléporter auprès de lui, sans vous demander votre avis. J'ai pris le risque d'un refus, j'ai accepté que vous décidiez pour moi. En quoi est-ce mal agir ? En quoi est-ce indigne ? »

Il s'agenouilla pour être à la hauteur de l'Elusis, cherchant son regard, les mains élevées dans un geste qui se voulait pacifique et ouvert, montrant clairement qu'il ne voulait rien lui faire. Vaguement, il essaya de sourire, sans montrer les crocs, mais abandonna bien vite. Autant rester sérieux et ne pas tenter trop sa chance. Inspirant et expirant profondément, il se concentra et tenta de trouver un levier à pousser, un fil à suivre pour calmer ses assaillants.

« Restons-en là, Général. Nous sommes alliés. Je sers le Bourgmestre de Caladon. Nous devrions nous concentrer sur ceux qui nous font face, non ? Je ne vous veux pas pour ennemis »

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Il fut difficile de déterminer lequel de son corps ou de sa fierté furent le plus blessé par l’impacte.

Déjà lancé par la charge d’Amarok, bras levés au dessus de la tête afin d’abattre son épée sur le vampire, Sigvald n’avait pas eut le temps de réagir et, même s’il l’avait eut, qu’aurait-il pu faire en plein milieu d’un bond ? Rien et c’était bien ça qui le frustrait autant alors qu’il tombait lourdement au sol après une lente et agonisante glissade le long du bouclier d’énergie. Le contact avec la terre gelée fut douloureux et un râle lui échappa alors qu’il portait une main aux doigts engourdis jusqu’à son nez brisé. Un sang épais et carmin ruisselait sur le bas de son visage, venant goutter de son menton pour perler les herbes en dessous. Si ses tempes bourdonnaient encore et que sa vue était légèrement trouble, il ne lâchait pourtant pas la silhouette d’Achroma de son attention toute entière. Corps massé et frémissant de rage, il était clairement sur la défensive, prêt à s’esquiver au moindre mouvement brusque et à contre-attaquer en conséquence. Son autre main, crispée sur la garde de son épée, était encore totalement goure par l’impacte, la réverbération le long de la lame n’ayant pas épargné sa dextre et il vint la tirer sous lui afin de pouvoir se redresser sur un coude.

« - Même à un chien on lui apprend à faire des tours... »

Grogna-t-il avant de se remettre le nez droit dans un claquement écœurant de cartilage. Mais le monstre n’avait pas totalement tord dans ce qu’il disait, même si le glacernois ne l’avouerait jamais à haute voix. Mais il se trompait en prenant pour acquis les paroles d’un seul homme… d’un althaïen par dessus le lot. En le voyant s’accroupir, Sigvald plissa des yeux avec méfiance, mais ne desserra pas des mâchoires et se contenta de se redresser à son tour sur une main afin de se garder à sa hauteur. Il replia une jambe sous lui et serra son autre main en un poing crispé aux phalanges blanchies. Leurs yeux s’encrèrent l’un dans l’autre et il écouta sa demande avant de détourner la tête et de cracher dans l’herbe un mélange de sang et de salive. Son regard ne le quitta pas d’une seconde, c’est à peine s’il cillait pour garder ses yeux humidifiés.

« - Ta simple nature est une raison suffisante pour te considérer comme un ennemi. Tu as su manipuler et leurrer le Bourgmestre, mais jamais les glacernois de Délimar ne seront dupes. Aucun vampire n’est digne de confiance... »

La voix rauque, il lui fit de nouveau face. Ses prunelles d’un bleu aussi pâle que les ciels de leurs terres natales soufra, l’espace d’un instant, d’un trouble confus alors que plusieurs émotions se mêlaient. Il haïssait du plus profond de son être les vampires, mais celui-là était connu pour être le plus ancien encore en « vie » et ancien dragonnier qui plus est… Ses actes de bravoure n’étaient plus à prouver et pourtant… pourtant le Général ne parvenait pas à passer outre. Le savoir jadis être un Elusis lui retournait les tripes de frustration, d’indignation et de colère. Pourtant, en cette période, il existait un miracle accordé par les Dieux : l’immaculation. Peut-être s’agissait-il d’un acte de rédemption de la part de ces êtres supérieurs, peut-être n’avait-il lieu qu’en cet Archipel étrange. Personne encore n’avait de réelles réponses à fournir à l’égard de ce phénomène, mais c’était un espoir maigre… de rédemption pour ces misérables choses corrompues.

« - Jadis tu étais Sylath Elusis. En as-tu seulement le moindre souvenir ? Chaque patriarche de la Famille apprend ton Histoire afin que jamais nous n’oublions cette honte que tu représentes. »

Les autres Chasseurs étaient à distance, mais leur posture témoignaient de leur attention exacerbée par la position dans laquelle se trouvait leur Général. Silencieux, ils attendaient le moindre signe, la moindre raison pour intervenir. Toutefois, Sigvald ne leur accordait aucune attention et il baissa la voix jusqu’à un souffle à peine audible, parfaitement conscient que le vampire en comprendrait chaque syllabe.

« - Je ne peux pas te laisser souiller un autre héritage pour quelques raisons que ce soit… plus encore si la famille n’est plus là pour donner son accord ! Cependant... »

D’un revers de la manche, il essuya le sang qui maculait encore son visage et sembla hésiter. Un dilemme le travaillait sévèrement et il joua de la mâchoire alors qu’il contemplait toujours le vampire d’une expression grave, hostile et méfiante. Il n’était pas aisé d’aller à l’encontre de toute une éducation, de seulement considérer sérieusement l’idée qui venait de lui traverser l’esprit. Ou plutôt qu’une idée : un visage. Nyko Svenn avait été un vampire et avec l’immaculation il avait été de nouveau accepté… Toutefois, avant même de tourner en monstre, il avait été un humain d’honneur, un glacernois irréprochable ! Pouvait-on dire la même chose de Sylath ? Que savait-on encore de cette personne ? Une douleur s’insinua dans sa tempe et Sigvald fut incapable de décider si la migraine provenait de son intense réflexion ou d’avoir embrassé un peu plus tôt un mur d’énergie. Claquant de la langue, il gronda alors qu’il se redressait sur ses deux pieds. Non, quelque soit la décision qu’il comptait donner, elle n’était définitivement pas la bonne. Il devait se ressaisir ! Nyko était un cas à part, comme bien d’autres vampires immaculés… et pourtant. Un doute le gagnait. Une hésitation qu’il refoula.

« - … Ne remet plus jamais les pieds dans notre camps et n’essaie plus de contacter mon peuple. Si tu te tiens tranquille, peut-être que j’écouterai ce que tu as à dire. »

Il était fort probable qu’il s’adresse à une paire d’oreilles volontairement sourdes, mais au moins avait-il fais sa part du travail en l’avertissant. Il faudrait toutefois plus d’une escouade pour mettre à terre une créature de son âge, mais s’il était sincèrement attaché au Bourgmestre et à son vœux de trouver une « famille » parmi les siens, alors peut-être… Encore une fois, le glacernois s’ébroua mentalement.

« - Pourquoi maintenant ? Après tout ce temps… pourquoi ? »

Il se fustigea intérieurement d’avoir posé ces questions. La raison voudrait qu’il le laisse là et s’en retourne à Cordont. Une part de lui, toutefois, voulait comprendre. Comprendre afin de prendre la meilleure décision. Pas forcément la meilleure pour lui en tant qu’individu, mais celle qui rendrait le mieux justice à tout ce foutoir qui traînait depuis des siècles.

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L'insulte le fit grimacer et le regard qu'il porta sur son descendant se fit tiède, résigné. Même un chien, hein ? Il avait beau savoir par avance la haine des hommes pour lui, cela n'en faisait pas moins mal pour autant. Parce qu'au fond, même sans le vouloir, il avait espéré. C'était plus fort que lui. Pas de réponse donnée, pas de réaction orale à la rebuffade, et de toute façon, à quoi bon ? L'autre l'affirmait à voix haute, de toute la force de sa conviction, il ne lui laisserait pas même le bénéfice du doute simplement parce qu'il était vampire. Alors à quoi bon, pourquoi essayer, pourquoi lutter ? Jamais il ne serait accepté, pas même toléré. S'il persistait à aller vers eux, il ne récolterait que des souffrances inutiles. C'était idiot, il fallait qu'il arrête ça au plus tôt, avant de s'abîmer dans une quête insoluble. Soupirant, il baissa les yeux, ne cherchant même pas à maintenir sa place ou à l'empêcher de prendre l'ascendant d'une quelconque façon car il n'en avait que faire. Le coup avait porté, bien assez violent pour qu'il n'ait pas besoin de plus que cela. Et il semblait que sa fête n'était vraiment pas finie. Des larmes carmines montèrent à ses yeux alors que sa gorge se nouait. Avait-il des souvenirs ? Est-ce que c'était une blague de mauvais goût ? Il resta silencieux, encore et encore, mais ne put empêcher une larme de couler sur sa joue alors qu'il s'étouffait avec l'émotion qui bloquait sa gorge. Ses traits se froissèrent, alors qu'il tentait de conserver un masque calme et de ne pas s'abaisser à montrer toute l'étendue de sa détresse face à ces hommes qui ne pourraient qu'en user pour lui nuire. Mais même ça était dérisoire. D'un geste sec et gauche, il essuya la traînée carmine et se redressa, jetant un regard méfiant et blessé sur le nordique.

« Même un chien a le droit à un foyer et un chenil non ? »

Sa voix était sourde et retenue, et il constata avec une certaine fierté féroce qu'elle ne tremblait qu'à peine. Une part de lui avait simplement envie de tourner les talons et partir. Ça aurait été plus simple, moins douloureux. Mais il n'y arrivait pas. Il bataillait avec ses propres émotions. Attaquer ne serait pas une bonne idée, même s'il en ressentait également l'envie. Juste pour lui faire ravaler ce qu'il avait dit. Mais cela porterait tord à l'Alliance, et à Aldaron, et ça il ne le voulait pas. S'il n'avait pas craint pour sa vie, sans doute aurait-il laisser les glacernois le passer à tabac. Mais il craignait pour sa vie. L'autre avait essayé de le fendre en deux après tout, avant de s'écraser sur son mur d'énergie. Et il était troublé, voilà ce qu'il gagnait à s'être approché d'eux. Il inspira profondément, déglutit lentement, serrant les crocs.

« Si j'ai des souvenirs de Sylath ? Juste assez pour savoir que ce n'est pas un nom nordique. Que ma propre mère a eut assez honte de ce que j'étais pour me refuser la simple joie de porter un prénom de patricien. Et je n'étais pas un vampire, à l'époque »

On l'avait désigné comme un étranger, alors même qu'il n'était qu'un enfant de dix ans. Pas encore un homme. Il avait peu de souvenirs et encore moins de celui qu'il avait sans doute été quand il était encore humain mais cela, ça s'était gravé au fer rouge en lui. Le premier souvenir qu'il avait retrouvé de cette période. Il avait porté cette marque de la honte et du mépris devant tout le monde même lorsqu'il était trop innocent pour comprendre ce qu'on lui avait infligé. On lui avait fait ça sans lui donner l'occasion de faire ses preuves, de montrer qu'il pouvait être comme eux, d'appendre à être comme eux. On l'avait condamné sans lui laisser la moindre chance, sans même qu'il puisse se défendre. En quoi était-ce juste ? Était-ce cela l'honneur nordique ?

« Vous dites que la famille Elusis conserve le souvenir de mon histoire… mais quelle partie de celle-ci ? Pourquoi étais-je en route vers Gloria depuis Aldaria cette nuit-là ? Pourquoi n'étais-je pas à Glacern ? Est-ce vraiment ma vampirisation qui me rend honteux à vos yeux, ou bien ma magie, celle pour laquelle on m'a signifié à l'âge de dix ans que je ne reverrais plus jamais ma patrie ni ma famille alors que je ne rêvais que d'en être digne ? Je suis confus… j'ai du mal à comprendre quelle histoire on peut bien conter sur moi… du peu que je sais, c'était plutôt moi qui contait des histoires aux hommes... »

Il secoua la tête, légèrement. Sa voix tremblait par instant, il parlait par souffles, comme les halètements d'une bête blessée dont l'agonie psychique se réverbérait dans son regard, le rendant sombre et fragile, distant. Sans doute allait-il regretter de parler ainsi. Mais tant pis. Il n'était pas à ça près et quoi qu'il puisse essayer d'être objectif, il avait besoin de réagir à ce qu'on venait de lui assener. Il avait besoin de ne pas être une victime silencieuse. Et la vérité qu'on exhumait sans la moindre délicatesse était hideuse à voir. Sa vampirisation n'était… qu'une goutte d'eau, le moindre de ses soucis au final, même s'il s'agissait d'un déclencheur majeur. Les glacernois le détestait, mais la vérité, c'était pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on le détestait vraiment ?

« Dites-moi général, dites le moi. Je suis réellement curieux. Quel conte est le mien ? Pourquoi suis-je une honte, parce que je suis un vampire et que je pourrais porter votre nom, ou parce que mon exile était discutable et que son absence aurait évité qu'on me transforme ? On a éloigné un loup de sa meute, est-ce si étonnant qu'il dépérisse et soit vulnérable ? »

Les mots de l'humain résonnaient encore à ses oreilles, comme des tintements ou le fracas du fer sur le fer. Il inspira profondément, crispa un instant une main puis la détendit. Le geste banal, simple, l'aidait à rester ancrer dans l'instant et maître de ses émotions.

« Je suis mort général. Et je ne l'ai plus été ensuite. On m'a ramené. J'ai perdu presque tous mes souvenirs, ceux qui me restent sont un puits de souffrance et de désespoir. Les rares… fragments entourant mes origines glacernoises, cependant, m'apportent un semblant de… je ne sais pas. D'espoir peut-être. J'essaye de comprendre qui je suis, de quoi je suis fais. Tout simplement »

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Du sang...

Ersatz d’une larme.

L’immense glacernois se figea à la façon d’une statue de glace alors qu’il contemplait avec horreur cette goutte carmine s’écouler de l’œil du vampire pour tracer un sillon le long de sa joue pâle. Qu’il s’agisse d’un subterfuge ou d’une émotion réelle, l’homme ne savait comment réagir face à une telle fissure dans le masque de l’Aîné. D’une façon plus générale, il lui était inconcevable qu’un homme adulte puisse pleurer en public à moins qu’il ne soit confronté à la mort d’un être cher ou frappé par une intense douleur physique. Les larmes étaient, sans être forcément un signe de faiblesse, un abandon dans la volonté de fer qui devait être la marque de tout homme digne de ce nom. Pleurer était un visage à ne montrer qu’à ses proches, un acte d’abandon et de confiance : de confidences même. Malheureusement, dans ce cas précis, il s’agissait non seulement d’un vampire… mais pire encore ; d’Achroma Seithvelj. Un profond malaise gagna le Général qui ne parvenait toutefois pas à s’arracher au spectacle de cette unique bille pourpre et de son ruban délavé qui souillaient la figure d’un être de légende. Il aurait préféré se détourner pour offrir à l’autre un peu d’intimité afin qu’il se reprenne, ordonner à ses hommes de s’éloigner, regarder ailleurs afin d’ignorer cette faiblesse temporaire et totalement déplacée… mais il n’y arrivait pas.

Fascination morbide ou vérité crue, Sigvald semblait frappé par la foudre. Une nouvelle fissure dans ses convictions venait de se creuser, penchant davantage encore la balance de ses hésitations. Conservant pour sa part un masque impénétrable aux traits durcis par le trouble qui le gagnait de plus en plus, ses orbes pâles miraient le vampire d’un orage indéchiffrable d’émotions. La torpeur qui le prenait s’interrompit aussi sèchement que le geste qu’engagea la créature pour effacer sa larme et le Champion s’ébroua mentalement avant de s’accrocher un sourire aigre aux lèvres. La réplique que lui renvoya Achroma avait de cinglant son fond de vérité et l’homme n’eut rien à répondre sans devenir à son tour hypocrite. La suite toutefois le fit se tendre et il crispa les poings alors que sa mâchoire se refermait et que le muscle maxillaire dansait sous sa peau mangée de barbe. L’intensité de son regard s’accrut, tout comme la tension dans ses épaules. Toutefois, il ne vint pas l’interrompre et resta parfaitement silencieux tout le long de ses aveux. S’il entendait les tremblements de sa voix, il n’en montra rien. Ni satisfaction, ni sentiment de supériorité. Il accorda, sans savoir pourquoi, le mérite de ses efforts à se contrôler alors que le sujet, visiblement difficile, mettait les nerfs de la créature à rude épreuve.

S’agissait-il encore d’un jeu d’acteur ? Devait-il écouter sa méfiance si justement construite à l’égard de ces monstres et tourner les talons sans plus un regard en arrière ? Il avait donné ses avertissements, confié sa rancœur et ses doutes à son égard. Qu’avait-il de plus à dire ? A prouver ? Non. Il n’avait rien à prouver, rien à rechercher dans cette voie obscure qui s’ouvrait timidement à lui. Ses ancêtres n’avaient pas pu se tromper… et pourtant. Pourtant si l’immaculation était arrivée mille ans plus tôt, comment auraient-ils réagis ? Le doute s’approfondit, tailla davantage sa place dans son esprit et ses racines s’ancrèrent plus loin encore. Le malaise qu’il éprouvait plus tôt revint en force et Sigvald passa une main dans sa tignasse pour en ordonner les mèches. Sa dextre restait crispée sur la garde de son épée, comme une bouée pour garder la tête hors du flot de ses interrogations. Mille ans plus tôt, s’ils n’auraient probablement pas abattu les Sainmurs comme ils le faisaient des vampires, jamais ils ne les auraient accueilli de la même façon. Il était probable que la souillure vampirique aurait été un frein, une honte marquée au fer rouge malgré leur retour quasiment miraculeux. Alors quoi ?

L’appel de son titre le tira de ses interrogations et il cligna plusieurs fois des yeux, comme surpris par les questions du vampire. L’appel semblait légitime… en une autre personne, en une autre situation. Son malaise grandit encore et il sembla hésiter à prendre la parole, mais préféra garder le silence. Une fois de plus. Et il ne regretta pas sa décision, car les dernières paroles d’Achroma furent comme un poids ultime dans la balance de ses doutes. Une pierre jetée dans la mare de ses convictions et qui en brisait l’épaisse couche de glace. Un frisson lui coula le long du dos alors qu’il s’ébrouait physiquement, ses épaules massives roulèrent alors qu’il se craquait lentement la nuque. Ses yeux s’arrachèrent enfin du visage figé dans le temps pour se reporter sur ses compagnons de meute. Un à un, Sigvald les observa avant de leur faire signe de partir. Chacun à leur tour, ils hésitèrent à obéir et craignirent probablement que leur Général ne soit victime d’une illusion du vampire, d’un charme ou ce que Néant savait ! Un vague grondement de leur supérieur confirma que tout allait bien, que son humeur exécrable était bien la sienne et qu’ils n’avaient aucun intérêt à le défier une seconde de plus.

En quelques minutes, le glacernois et le vampire furent laissés seuls. Un silence pesant tomba entre eux avant que l’homme n’avance pour dépasser son ancêtre et marcher en direction de la colline la plus proche. Il s’arrêta au bout de quelques mètres, posa une main sur une épaule pour la masser distraitement, comme s’il cherchait à chasser un inconfort persistant.

« - Suis-moi. »

Et il reprit sa marche. Ses foulées étaient longues, régulières. Il ne doutait pas que l’autre parviendrait à le suivre sans peine, car il ne risquerait pas de s’essouffler. Les deux hommes marchèrent longtemps au travers d’une futée épaisse et encombrée de fougères, de ronces et de débris végétaux pourrissants. L’odeur de l’humus était forte, elle prenait à la gorge de son humidité âcre. Lorsqu’ils émergèrent enfin au sommet de la colline, ils étaient à plusieurs centaines de mètres au dessus du niveau de l’océan et avaient une vue saisissante sur le Gouffre, les ruines et le campement. Le vent était bien plus vif, mais Sigvald ignora le froid qui vint mordre son visage et balayer ses cheveux. Il contempla le paysage un long moment sans mot dire, laissant la créature près de lui faire de même. La marche avait eut le mérite de l’aider à digérer tout ce qu’il venait de se passer et la vue de Cordont la Chue, de raffermir ses choix pour le plus grand bien.

« - Je vais te raconter l’Histoire de Sylath Elusis comme il me l’a été transmise… mais seulement si tu me promets de ne plus recommencer « ça ». »

Il lui coula un regard en coin, prudent alors qu’il observer les restes carmins sur sa joue.

« - Ne pleurs qu’en présence de tes proches… et pour des raisons qui en valent vraiment la peine. Ne montre jamais de faiblesse à celui qui revêt l’image d’un ennemi. Si ce n’est pour lui prouver ce que tu vaux, au moins pour honorer ceux qui partagent ton nom et ta réputation. »

Ses yeux raclèrent la silhouette bien trop fine et petite pour satisfaire les normes glacernoises de l’époque. Aujourd’hui, il y avait les Lyssiens et les Almaréens. Il y avait ceux qui ne combattaient pas, mais qui aidaient autrement dans Délimar. Il y avait des survivants et tous n’avaient pas forcément combattus face au Tyran Blanc. Tous ne s’étaient pas entraînés toute leur vie… bien des normes avaient changé depuis mille ans. Un soupir lui échappa et Sigvald alla s’asseoir sur le bord d’un rocher couvert de mousse. Il sentit son humidité imbiber le cuir de sa tenue, mais n’y prêta pas attention. L’inconfort ne valait rien comparé à ce qu’il s’apprêtait à raconter. Pourquoi se décidait-il ? Parce qu’il avait confiance en Tryghild Svenn. Et parce qu’il avait confiance en elle, il avait aussi confiance en ses jugements. L’Intendante était une femme droite, pétrie d’honneur et dont les conviction ne viendraient jamais à ternir la réputation de Délimar et de son peuple. Parce qu’elle considérait Aldaron Leweïnra comme un ami et un confident, alors elle devait aussi estimer ses choix et ses décisions comme suffisantes… Donc, pas succession d’une logique aussi cartésienne que simple : si Aldaron voyait quelque chose ce vampire et si Tryghild avait confiance en Aldaron alors il y avait réellement quelque chose à creuser avec Achroma. Que ça lui plaise ou non d’ailleurs.

« - Quelle prise de tête. »

Maronna-t-il dans sa barbe alors qu’il se raclait ensuite la gorge. D’une voix profonde lorsqu’il passa en sa langue natale, Sigvald entonna le Conte de l’Impur. Il lui fallu de longues minutes pour en faire le tour, car il s’agissait plus d’un poème que d’une véritable biographie. La morale était crue, Sylath étant pris comme exemple pour la trahison et la vilenie du venin vampirique. Lorsqu’il eut terminé, il évita de regarder en direction d’Achroma, craignant de le voir verser de nouvelles larmes rouges et se contenta d’appuyer ses coudes à ses genoux, menton posé dans le creux de ses mains jointes et dos voûté.

« - … Un Svenn a été mordu il y a plusieurs décennies et nous l’avons considéré comme mort… à défaut d’avoir pu le sauver du venin. Il s’agissait de Nyko Svenn, le père de Havard… Mais il nous est revenu après son immaculation et nous l’avons accueilli comme un parent oublié cher à nos cœurs. Aujourd’hui il est l’Amiral de nos flottes. »

Il marqua une pause, hésita, puis continua :

« - Aujourd’hui, nous avons nombres d’autres immaculés à Délimar. Même ceux qui ne se souviennent pas de leur vie passée, tant que leur existence en tant que vampire n’était pas entachée de crimes et d’horreurs… nous les acceptons. »

Sigvald poussa un lourd soupir.

« - Nous… glacernois… ne sommes plus… Comment dire ça ? Nous changeons, nous nous adaptons. Nous survivons. En cela, nous sommes identiques à ceux d’il y a mille ans. Mais parce que la situation entre cette époque et la notre est si différente, alors... »

Il ne termina pas et haussa des épaules, espérant que le vampire parvienne à suivre son fil de pensées sans avoir à le contraindre de tout expliquer de vive voix ! Il détesterait devoir mettre lui-même les mots sur ce qu’il proposait.

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Le suivre ? Il se campa un peu plus sur lui-même, l'observant avec un mélange de tristesse et de méfiance tiède. Est-ce que l'autre voulait l'étriper dans un coin sombre ? Si c'était ça, alors il serait mal reçu. Hors de question qu'il soit tué, encore moins ici, encore moins maintenant. Il avait un inséparable qui l'attendait maintenant et aucune envie de rendre les armes tout de suite. Fermé, il n'en décida pas moins de le suivre, de lui laisser une chance. N'était-ce pas ce que lui-même demandait ? S'il voulait qu'on lui laisse le bénéfice du toute, il devait bien commencer par le laisser aux autres, cela semblait plutôt juste et logique, non ? Traverser la forêt ne fut pas l'activité la plus simple qui était pour lui dont les cheveux et la cape se prenaient en permanence dans les branchages, mais il parvint tout de même à ne pas se laisser distancer. La traversée dura un moment, avant qu'ils ne parviennent enfin à l'air libre. Le haut de la colline offrait un contraste saisissant avec son air pur et frais, brassé et nettoyé, en comparaison de l'ambiance feutrée, renfermée et lourde de la forêt. Et il préférait sincèrement cet espace ouvert. Il était moins oppressant, moins proche de ce cycle de vie et de mort qui l'avait tant traumatisé. La forêt parlait de choses sombres, secrètes, enfouies et endormies, là où le ciel dégagé et le panorama parlaient de liberté et de grands espaces, de la dynamique et de la grandeur d'un monde sauvage et lumineux. Il n'était définitivement pas un enfant de la forêt.

Entrouvrant la bouche dans l'intention de demander au Délimarien pourquoi diantre il avait voulu venir là, le silence de l'humain le rendit pourtant rapidement au coi. Perturbé, il prit le parti de l'observer. Lentement, il se familiarisait à cette étrange humain qui n'avait aucune peur de lui. Il apprenait ses battements de cœur, le musc de son odeur corporelle et le rythme de sa respiration, la tiédeur de la peau, plus fraîche que celle de bien des humains. Le haut mage était curieux, naturellement, d'apprendre cet homme qui le détestait mais qui lui était pourtant rattaché d'une bien étrange façon, plus de mille ans les séparant, alors que les événements les faisait se télescoper. Vraiment, le camp était grand, l'archipel aussi. Il aurait pu exister cent autres années sans jamais le rencontrer, et pourtant il l'avait fait. Pire, l'autre l'avait traqué, mais dans quel but réel ? Parce qu'il était venu dans son camp ? Parce qu'il avait demandé à faire des recherches héraldiques ? Le soudain son de sa voix le fit cligner des yeux, et il pencha légèrement la tête sans comprendre de quoi l'autre parlait. Fort heureusement, si on pouvait véritablement dire cela, Sigvald décida de s'expliquer sans se faire prier, surprenant Ivanyr. Quoi, il avait réellement été perturbé de le voir pleurer ? L'explication le laissait incrédule, et sans même réellement le vouloir ou penser aux possibles conséquences, le vampire répondit tout de go.

« Mais vous n'êtes pas mon ennemi, général. Nous sommes des alliés. Si demain je dois mourir près de vous pour défendre ce qui nous est cher je le ferais sans regrets. »

Et il lui était d'autant plus difficile de se faire ainsi chasser par ses alliés alors même qu'il espérait que cet accord lui permette d'approcher un monde qu'il ne faisait qu'admirer de loin. Était-ce vraiment inutile de pleurer la perte d'un tel rêve ? Pour lui non, car il y avait énormément tenu. À tort de toute évidence. Il ne savait pas quoi lui dire de plus. Sauf si les Délimariens venaient à le menacer de nouveau ou pire, menacer Aldaron, il ne serait probablement jamais leur ennemi car il n'avait pas cette vocation. Ces hommes avaient des valeurs qu'il pouvait admirer et respecter et leur code de conduite était simple et efficace. Pourtant, autre chose naquis dans son cœur tandis qu'on lui contait ce qui se disait de l'homme qu'il avait sans doute été de son vivant. Et ce qui croissait en lui, c'était l'outrage. Trahison ? Vraiment, c'était ainsi qu'on le voyait ? C'était eux qui avaient décidé de l'exiler ! C'était eux qui l'avaient rejeté, qui avaient dit qu'il n'était plus des leurs, non ? Pourquoi disait-on ensuite qu'il avait trahit quoi que ce soit ? Chez les vampires, il avait eut un père et une mère, on le lui avait raconté. Il avait eut une famille, de l'amour… des choses que les Gacernois lui avait refusé, des choses auxquelles même un animal avait droit, et c'était lui le traître ?! Son corps se crispa, son visage se ferma. C'était injuste…

« Je l'envie... »

La constatation était aigre et glaciale. L'autre ne semblait pas l'avoir entendu, ou alors il l'ignorait volontairement. Sans doute était-ce mieux ainsi. Il avait l'impression d'une vaste blague. Accepter des immaculés seulement s'ils n'avaient pas commis de crimes ? Et qui jugeait de cela ?

« Si je suis réellement Achroma, alors jamais je ne pourrais prétendre à cela »

C'était un couperet sur ses propres rêves mais qu'est-ce qu'il y pouvait ? Achroma avait commis des atrocités, en son temps, qui ne tenaient pas de l’interprétation comme le vampirisme pouvait l'être.Ainsi donc, jamais il ne serait éligible à la reconnaissance de Délimar. Voilà qui était dit au moins…

« Je ne m'y attendais pas réellement, d'ailleurs. Je ne m'attendais pas à la moindre acceptation… je comprends, je crois, votre position. C'est de la naïveté de croire que je serais un jour de nouveau chez moi avec... »

Il déglutit rapidement l'amertume qui menaçait de lui bloquer la gorge et poursuivit en se forçant.

« Peu importe. Je ne cherche qu'à savoir qui je suis général et à pouvoir porter un nom qui sera représentatif de qui je suis. Un nom dans lequel je me reconnaîtrais. Peut-être que vous n'avez même rien à craindre. Peut-être qu'aucun ne me conviendra »

Il déglutit de nouveau et inspira profondément. Ce n'était pas du tout à cela qu'il s'était préparé… peut-être que, finalement, combattre à mort était une meilleure idée. Cela avait le mérite d'être franc et définitif comme façon de se faire du mal. Que pouvait-il lui dire ? Cet homme n'était pas Purnendu, pour arriver à comprendre que les vampires, pour la grande majorité, n'étaient pas des criminels mais des victimes d'une absence de choix et d'une terrible malédiction. Mais même s'il militait, cela ne changerait rien en ce qui le concernait personnellement car les actes qui lui faisaient de l'ombre étaient bien trop terribles… S'ils étaient vrais. Alors quoi dire ou faire maintenant ? Rester là, bras ballants, à attendre que le jour passe ? Est-ce qu'il devait partir là tout de suite car il n'y avait de toute façon aucune issue à tout ça ? Pourquoi est-ce qu'il essayait même de lui parler ? C'était une autre forme de torture que d'essayer de le faire espérer pour mieux le fracasser derrière sans plus de merci ? Ce n'était pas exactement Glacernois… mais n'avait-il pas dit qu'ils avaient évolués ? Si c'était cela leur évolution alors il n'en voulait pas le moins du monde, c'était beaucoup trop cruel. Une impression d'oppression recommença à lui peser sur les épaules, même dans cet espace à l'air libre et il se demanda si prendre congé en sautant de la falaise ne serait pas la meilleure des décisions. Il se téléporterait arrivé en bas et puis en aurait finit…

« Je suis heureux que vous acceptiez d'accueillir d'anciens vampires. Je leur souhaite tout le bonheur possible, ils le méritent. Mais… je pense que je suis condamné à chercher le mien ailleurs… Beaucoup de vampires n'ont pas choisis de l'être. Quand on devient vampire, on perd nos souvenirs, ce qui permet une évolution du caractère en fonction des expériences et de l'éducation reçue. Souvent, c'est en mal, car les parents vampiriques sont issus du même moule de violence et d'incompréhension. Mais ce n'est pas davantage leur faute… Dans mon cas, c'est encore différent. Si ce que l'on m'a dit est vrai, j'ai eu une vrai famille, général. J'avais un père et une mère vampirique… et sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, des vampires m'ont donné ce que ma propre famille m'a refusé… j'ai été éduqué comme un être pensant et conscient. Mais c'était la guerre, et comme aujourd'hui, je n'avais pas l'intention de mourir simplement parce qu'un fou de l'épée aurait décidé que je n'avais pas le droit d'exister. Je combattais pour ma famille… comme vous combattez pour la vôtre »

Est-ce qu'il essayait de justifier ses actions ? Les expliquer, sans doute… parce qu'il avait agit pour sa famille et était prêt à tout. Encore aujourd'hui, il était prêt à tout pour Aldaron, même au pire. Et il savait très bien que les scrupules seraient secondaires. Et en même temps, il pouvait envier la certitude de n'avoir pas de doutes ou la conscience lourde, grâce à des valeurs suivies et ancrées. Mais définitivement, il n'était pas comme cela. Il n'était pas comme eux et ne le serait jamais. Si son monde existait, il se trouvait ailleurs.

« Voilà qui est étrange. Je m'attendais à ce que ce soit vous qui démontiez mes rêves les uns après les autres, et je me rend compte que je fais cela tout seul, simplement en réfléchissant à cette situation. Peut-être un jour trouverais-je ma place. Pas aujourd'hui, en tout cas. Je ne sais même pas pourquoi vous essayez de m'ouvrir cette porte impossible »

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Il leva les yeux vers lui pour l’observer tout d’abord avec gravité, puis à mesure que le vampire s’exprimait, le bleu pâle de ses orbes s’obscurcit d’incompréhension grandissante. Que voulait-il dire par là !? S’il était réellement Achroma alors il ne pourrait pas prétendre à rejoindre Délimar s’il subissait l’immaculation… Allons bon ! Quelles conneries était-il encore en train de lui tirer de sa manche !? Les sourcils du glacernois se froncèrent et ses muscles roulèrent sous le cuir souple, faisant grincer les coutures et lanières qui l’en composaient. D’un mouvement fluide et brusque, Sigvald fut debout et il croisa les bras sur son large torse alors que son expression se durcissait davantage encore.

Un blanc se posa durant lequel le vampire semblait encore pris d’un profond émois. Craignant de le voir se remettre à pleurer, le Général détourna la tête et crispa la mâchoire alors qu’il scrutait nerveusement, presque avec embarras, les bois alentours. Est-ce que ses mots avaient été mal interprétés ? Probablement, sinon l’autre ne pleurnicherait pas de cette façon… un vague grondement lui échappa, fruit de son agacement et de son impuissance face à ce genre de situations délicates. Passant une main dans ses cheveux, les doigts accrochés à quelques nœuds, il finit par pousser un profond soupir.

« - Par Loup, je n’ai jamais… Gmph... »

Exaspéré, il leva les yeux vers le ciel et poussa un long soupir alors qu’il venait se masser l’arrête du nez entre le pouce et l’index. Sa peau commençait déjà à se marbre d’un bel hématome, mais le glacernois n’y accorda pour l’heure aucune attention.

« - C’est à se demander comment vous avez réussi à survivre mille ans avec une telle mentalité... »

Marmonna-t-il dans sa barbe naissante. Il se planta devant lui et posa une main sur son épaule, y fermant les phalanges en un étaux ferme, mais pas douloureux… comment le pourrait-il, de toute façon ? C’était un foutu vampire. Regrettant déjà ce qu’il allait lui dire, Sigvald fut toutefois incapable de retenir les mots qui se bousculaient déjà à ses lèvres. Une ardente résolution brillait à présent dans ses yeux et cette flamme était celle des enfants de Glacern, des guerriers forgés du même moule, taillés pour les guerres et ne respirant que dans l’unique désire de préserver la liberté et la sécurité des peuples.

« - Vous le dites vous-même ; c’était la guerre. Les guerres ne sont pas faites pour être propres, elles ne sont pas jolies et poudrées ! Une guerre c’est sale, c’est traître et surtout ? Surtout ce n’est jamais blanc ou noir. Il n’y a pas de gentil ou de méchant, un camps n’est jamais l’image du bien absolu tandis que l’autre est la personnification du mal. Tout ça n’est qu’un joli emballage que les livres d’histoire essaient de nous vendre… comme si résumer un champs de bataille avec des chiffres et une foutue romance changerait le fait qu’à la fin le sol est une boue de sang où un charnier à ciel ouvert se confronte à la puanteur des corps qui se sont relâchés dans la mort. Une fois le visage rongés par les charognards et les yeux arrachés par les corbeaux ; il n’y a plus de camps. Il n’y a que la décomposition, le deuil et les fantômes de nos victimes. Ona beau se dire que l’on œuvrait pour le « bien » que l’on agissait selon nos convictions ; nous avons tous les mains tâchés de sang. »

Il se pencha au dessus de lui, le brasier de son regard intensifié, nourris par la ferveur de ses propos. Combien de fois se réveillait-il encore en sueur au beau milieu de la nuit, tiré du sommeil par la hantise des horreurs commises et vues sur les champs de guerre ? Combien de nuits blanches à s’épuiser contre un mannequin d’entraînement ? Il en avait rapidement oublié le compte.

« - Vous aviez un camp et vous agissiez pour le bien, les valeurs et la protection de ce dernier. Pour vos adversaires, vous étiez le mal. Mais on l’est toujours aux yeux de quelqu’un. Pourquoi vous blâmerez-t-on pour ça !? Je crois savoir qu’Achroma était contre le Tyran, je crois savoir que malgré votre puissance, votre passé avec Glacern, jamais vous n’avez essayé de la détruire… Aujourd’hui vous êtes lié au Bourgmestre Leweïnra, un allié de Délimar. On a tous commis des actes dont on ne peut pas être fier, mais c'était dans votre cas il y a longtemps. Nous aussi nous avons un honte indélébile ; je vous rappel qui a eut la brillante idée de tirer un carreau de baliste dans l'épaule de la dragonne Skade ? »

Sigvald lui relâcha l’épaule, esquissant l'ombre d'un sourire dérisoire, puis le toisa sévèrement et s’écarta pour se mettre à marcher de long en large. Toute cette situation échappait totalement à son contrôle. A la base, il devait simplement faire peur à ce vampire, l’inciter à se tenir éloigner du Conseiller Avente ainsi que de Délimar… de se tenir loin de sa famille. Et pourtant ? Ah ! Le voilà qui essayait de le convaincre de ne pas perdre espoir dans ce rêve absurde qui pourtant le révulsait jusqu’au plus profond de ses tripes. Mais plus que cela, il ne supportait pas de voir son ancêtre, aussi maudit et renié soit-il, paraître comme une lavette sans ambitions. Un glacernois ne baissait jamais les bras ! Même face à Mort, ils venaient l’étreindre comme une vieille amie, sourire aux lèvres.

« - Je ne le répéterais par un troisième fois ; si vous venez à immaculer, tentez votre chance à Délimar. Votre demande sera étudiée par le Conseil restreint qui, par chance, n’est pas que constitué par la famille Elusis. »

Il lui fit un sourire féroce alors qu’il venait masser l’une de ses épaules, ne réalisant que maintenant combien il était tendu et crispé. En même temps, toute cette situation était à s’arracher les cheveux… Son regard pâle tomba sur Cordont en contrebas et il poussa un dernier soupir frustré alors qu’il venait fouiller les petites sacoches à ses hanches.

« - En attendant cet événement, je vous pris de conserver vos distances avec ma famille et Délimar… et cet incapable utopiste de Conseiller. Vous avez attendu mille ans pour vous associer à une famille, pourquoi pas attendre encore un peu ? »

Où avait-il mis cette chose.. Ah ! Avec un grondement victorieux, Sigvald émergea un petit paquetage fait d’un tissu élimé, probablement un chiffon pour huiler et graisser les armures. Il déplia les angles pour révéler une gemme de sang. A la vue de l’ingrédient magique, l’expression du glacernois se ferma et se lissa d’une froide hostilité. De toutes les babioles sur laquelle il aurait pu tomber il fallait que ce soit quelque chose d’aussi funeste. Il referma le paquet d’un nœud grossier et le balança dans les mains du mage vampire avec nonchalance.

« - Et tant que l’on y est, gardez ça loin de Cordont. Cette ville n’a réellement pas besoin de ce genre de saloperies traînant dans ses ruines. »

Le Général se détourna et siffla Amarok qui apparu dans une traînée de poudre d’étoiles et de brume sombre. D’un bond souple, il fut sur son dos et baissa la tête en direction de son ancêtre afin de le toiser avec sévérité. Avait-il une dernière chose à lui dire ? Dans le cas contraire, lui comptait bien prendre son départ. Il en avait assez dit… trop même et il n’avait qu’une envie ; s’isoler quelque part et ne plus émettre le moindre son pour les prochaines heures.

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Mais… mais par les déesses, qu'est-ce qu'il lui avait encore fait ? Bras ballant, à court de mots, le vampire regardait l'humain avec une détresse incrédule. Mais c'était qu'il allait finir par se vexer à la fin ! Comment ça comment il avait survécu ? Et son mur de force sur le museau, il le sortait d'un pochette surprise ? Mais qu'est-ce que c'était que cette lapidation gratuite et sur mesure ! Il était gentil mais personne n'avait écrit souffre-douleur sur son front tout de même ! L'indignation lui coupait complètement la voix, et même les moyens, et c'était finalement une très bonne chose parce qu'il aurait été capable de le secouer comme un prunier autrement. Ou il l'aurait fait voler. En fait il n'était pas bien certain, une grosse partie de son esprit était dédiée à digérer ce qu'on lui infligeait aussi gratuitement. En le voyant se redresser et s'approcher, il cru un moment devoir dresser une autre barrière magique entre eux. Mais non, il lui posait juste son énorme patte sur l'épaule. Et aller, comment le faire complexer encore un peu plus. Il avait fait un pari avec ses hommes pour trouver comment l'humilier de toutes les façons possibles ou quoi ? Elle était où la valeur Glacernoise ?!

La scène devait être au mieux comique et au pire absurde. D'un côté Sigvald avec cette soudaine ferveur un peu inquiétante et de l'autre lui, pauvre vampire qui ne comprenait pas du tout ce qui lui arrivait et qui observait le regard flamboyant avec une mire de lapin prit dans le faisceau d'un spirite lampyre. Il ne savait réellement pas sur quel pied danser et la suite ne fit que le perdre davantage. Alors là, ou alors il était tombé dans une dimension parallèle, ou alors Sigvald s'était frappé la tête sur son bouclier plus fort qu'il ne l'avait cru, ou bien il y avait un problème générationnel majeur entre eux. Parce que son instinct, à défaut de souvenirs clairs, lui soufflait qu'un Glacernois l'aurait tout de même condamné simplement parce que guerre ou pas, certains crimes ne se justifiaient pas. Mais puisque c'était lui l'amnésique, il devait bien se ranger à l'avis de la personne qui avait, elle, tous ses souvenirs.

« Techniquement, j'aimerais ne plus jamais tuer quiconque... »

La simple description qu'il en faisait lui soulever le cœur. Pas d'une nausée quelconque mais bien parce cela le navrait au plus haut point. C'était triste, et révoltant, et méprisable. Tuer le répugnait, même s'il l'aurait fait pour le bonheur de son tendre aimé. Ça n'aurait pas dû être comme ça. Même un champ de bataille ne devait pas être une excuse pour libérer sa folie interne et ses instincts les plus bas. Même les bêtes agissaient avec plus de dignité. En le voyant se pencher davantage, il revint à la réalité et lui décocha un regard méfiant. Non, décidément, c'était oppressant de le voir agir comme ça. Il aurait bien voulu lui demander de reculer un peu pour lui laisser son espace vital mais il avait la nette impression que la demande tomberait dans l'oreille d'un sourd. Excessivement perturbé par la soudaine défense qu'on lui offrait, il se retrouva à ouvrir de nouveau la bouche comme une carpe hors de l'eau jusqu'à ce que, soudainement, il se retrouve à hoqueter.

« Svenn défendait les siens. Il n'agissait ni pour la gloire ni pour les richesses ou le besoin de sang mais pour protéger d'innombrables innocents qui seraient autrement morts pour la cupidité et les vices d'un souverain indigne. Il était prêt à se faire déchiqueter par un dragon enragé si cela signifiait que son peuple perdurait. Il existe difficilement un exemple plus marquant de don de soi et d'abnégation »

Qu'il ait été contraint de faire face à une dragonne et de la blesser était regrettable. Que celle-ci ait agit comme une bête enragée également. Si les dragons étaient les porteurs de vie, pourquoi dévaster une ville qui n'avait rien demandé à personne ? En quoi la vie d'un dragonnet devait être plus importante que celle d'un humain ? L'humain avait pu être dragon dans une existence antérieure et inversement. Si les Glacernois avaient effectivement des fautes, celle-ci n'en était pas une à ses yeux. Le premier seigneur Svenn n'avait pas été béni par l'esprit Loup pour rien. Sa malédiction n'avait pas été juste, pour tout ce qu'il était et avait donné. Mais allez donc dire ça à un dragon ! Lorsque l'autre s'éloigna enfin, il dissimula un léger soupire de soulagement, pas mécontent de ne plus avoir son ombre qui lui tombait dessus comme une figure de justice.Se massant l'épaule, plus par réflexes que par réelle douleur, il le regarda du coin de l’œil sans répondre.

Il n'avait pas de réelle réponse.

Perplexe, le voir fourrager ne l'aida pas beaucoup, le faisant se questionner. Qu'est-ce qu'il allait encore subir ? La vue de l'ingrédient le fit cligner des yeux et décocher un regard à présent torve sur le général. Mais qu'est-ce qu'il faisait avec ce truc lui ? Il se droguait ? Il était accro ? On lui cachait quelque chose ? Non de toute évidence… non il ne présentait aucun symptôme d'une atteinte par gemme de sang. Puis il ouvrit a bouche sans réussir, une fois de plus, décidément, à parler, tant il était indigné. Non mais il allait lui mettre sur le dos que c'était ça faute ça aussi ? Cet espèce de… de ! Malotru ! Il avait presque envie de lui balancer l'objet en pleine poire juste pour lui apprendre. Laissé seul, il se demanda encore un long moment pourquoi il ne l'avait pas fait d'ailleurs, ronchonnant en repartant à pied puisque LUI n'avait pas de superbe monture de parade brillante et rutilante à en faire baver un marchand Caladonien.

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