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    12 Février 1963, 17h - Nevrast

    Les embruns de la mer gelée caressaient l'odorat acéré de l'elfe à la peau de cendres. Ici, à Nevrast, Aldaron était venu chercher des réponses, un lien. Et il renterait avec tant d'autres choses. Les tracas s'agglutinaient comme dans un entonnoir, bouché à outrance, alors que leurs ennemies les chimères approchaient, telles des ombres qui feraient revenir le marteau de la guerre et l'enclume des dépouilles jonchant le sol, terrassées. Il poussait un soupir, là, portant un regard d'émeraude sur les montagnes, en directions d'Aerthia. Le manque de son Inséparable se faisait sentir et les environs étaient devenus tristement ternes. Combien de fois avait-il songé envoyer paître la promesse qu'il avait fait à l'Aîné que de rester en sûreté, pour le rejoindre. Juste... Le retrouver ?

    Il était devenu trop sage pour ce genre d'excès de naïveté. Alors, ici, il restait et attendait alors que le monde lui devenait si terne, presque gris tant il perdait des attrait jour après jour, heure après heure. Même l'avenir luisemblait morose et sans issue. Y aurait-il un lendemain, après ces vestiges d'Armada ? Ou nourriraient-ils ces terres encore inconnues de leur sang ? Ce monde n'était pas clément pour les enfants des dieux. Elfes, vampires, humains... Tous avaient quitté leur terre d'origine pour le continent, et même celui-ci vint à les recracher comme des nourritures avariés pour les contraindre dans une errance funeste. Jusqu'ici. A Tiamaranta, où là encore, la route serait longue pour le calme et la paix. Peut-être n'était-ce qu'une utopie, au fond, stérile ? De paix, il n'y aurait jamais ? Pourquoi y croire ? Il n'y parvenait plus. Pas après Morneflamme. L'Ordre ne régnerait jamais sans le Chaos. Il aurait beau lui cracher dessus et vouloir éradiquer, s'il y parvenait, il gangrènerait.

    C'était pour cela qu'Aldaron deviendrait Capitaine des Contrebandiers : si le Mal ne pouvait disparaître, alors il préférait le choisir et avoir un pied à l'intérieur pour, à défaut de le contrôler, l'orienter, lui donner une direction plus propice à chacun. Ainsi avait-il fait ce choix litigieux, mais comment oserait-il le dire à Tryghild, à Delimar, au monde ? Jamais. Il avait pris la décision de se cacher sous les traits d'Elendil Voronwë, son Maître des Arsenaux au sein du Marché Noir qui gérait les relations avec la Confrérie. Ce serait lui, le nouveau Capitaine, connus de tous, haï, pourchassé par ceux qui luttaient contre la piraterie. Et sous le masque, Aldaron se cacherait, tirant les ficelles de cette contrebande, agrandissant l'ombre que tant craignaient stupidement, de son organisation.

    Alors non, il ne le dirait pas, mais même sans le dire, comment pourrait-il seulement regarder Tryghild dans les yeux ? Il savait mentir et il le faisait fort bien. Aussi y serait-il contraint et réussirait, mais c'était dans don cœur que cela remuait, perplexe. Être une ombre, par delà les frontières d'un pays ou d'une alliance, imposait qu'il soit allié avec ceux qui étaient des ennemies ou pourraient devenir. Et il pouvait se battre contre ceux qui pourraient un jour devenir des alliés, ou l'étaient d'ores et déjà. N'était-ce pas ce qui se produisait ? En prêtant son concours à la Confrérie, ne luttait-il pas contre la volonté de Délimar qu'était d'éradiquer la piraterie ? Il n'avait jamais vraiment craint d'être vu comme le méchants de l'histoire, le volcan n'avait pas laissé de lui un être immaculé. Il était corrompu et certains moyens étaient nécessaire à certaines fins. L'elfe avait seulement un peu moins de morale que la moyenne, tout en faisant preuve d'une irrépressible rigueur dans d'autres situations.

    Intérieurement, il priait pour que l'Intendante ne l’apprenne jamais. Et que dire des vampires où il était en train de propulser son futur époux, et Achroma, sur le Trône Noir controversé ? Son inquiétude croissait et ce n'était pas le seul fait de ces licornes qui couraient dans la dangereuse forêt... Puis il y avait les nouvelles de Keet-Tiamat que son fils, Valmys, lui avait rapportées, et qui venaient se nouer autour de ce qui s'était produit à Netheril, près du Canyon et dont le graärh Jangali leur avait fait le récit. Un sourire de plus, l'elfe se massait les tempe et rentrait à l'abri de la bâtisse de pierre pour se poser sur le coussin confortable près du feu, posé sur un tapis brodé. Peu de luxe, mais bien assez pour lui. Une part de lui savait qu'il devait informer l'Intendante de ce qu'il avait découvert à Licorok et la mauvaise nouvelle dont son fils lui avait fait part, à propos de l'expédition sur Keet-Tiamat.  Une autre part ne se sentait pas près de parler à Tryghild, pour leur, alors qu'il venait de sceller un pacte de collaboration avec Nathaniel et qu'Ivanyr lui manquait. Son absence l'accablait.

    Il fermait les yeux, se figurant mentalement le Seigneur des Chèvres, sa chevelure bouclée et son bouc caprin. Et lorsqu'il tomba en transe, son être se détacha.



    12 Février 1963, 17h - Délimar


    Telle une ombre dans les ombres, son corps se matérialisait dans le dos du spirite du dauphin. Oh que c'était fourbe... Oh que ça allait être divertissant... D'une voix douce mais assurée, il salua l'humain d'un courtois : « Bonjour Ilhan. » Voilà de quoi faire sursauter le pauvre Conseiller auprès duquel il était apparu, alors que celui-ci était affairé à un bureau pour rédiger une lettre. Cryptée de surcroît. Par respect, Aldaron avait détourné le regard et même tout le corps dans un second temps. S'éloignant d'une proximité qu'il n'aurait pas risqué avec Tryghild, pour une telle arrivée, au risque de se prendre une beigne bien sentie et méritée. Il faisait dos à l'althaïen pour que celui-ci se remette tranquillement de la surprise. Jouer ainsi lui arrachait un petit sourire en coin, amusé... Qui se fana immédiatement lorsque la garde entra en trombe à l'intérieur de la pièce, craignant à une catastrophe. Ilhan avait crié ?

    Calme et charismatique, l'elfe tachait de ne perdre rien de sa superbe alors qu'il levait les mains pleine d'une pseudo innocence. En son for intérieur, il était plié de rire. Il n'avait pas aimé sa sinistre journée, Ilhan lui mettait du baume au cœur sans le savoir.

    « Tout va bien, messieurs. Ce n'est que moi. Promis la prochaine fois, je passerai par la porte pour rentrer. » C'était un mensonge malgré lui. Son sort ne lui permettait pas de déterminer où la cible se trouvait. Ilhan aurait très bien pu être en train de prendre son bain ou au beau milieu d'une scène dangereuse. Il était attaché à une personne, son sort, et non pas un lieu... Ce qui rendait les choses parfois cocasses. « Je viens vous apporter des nouvelles de Nyn-Tiamat et de Licorok. » Cette fois, il avait tourné son regard vers Ilhan pour s'adresser à lui.

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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Ilhan n’avait que peu apprécié les dernières nouvelles.

Notamment l’accord pirate du mois dernier, jour pour jour, lui donnait encore des aigreurs d’estomac. Devoir payer pour une information de cette importance ! Devoir se plier aux desiderata de ces mécréants de pirates ! Et tout cela pour pouvoir se préparer à la survie de tout l’archipel ?! Non, cela le dépassait, lui laissait un goût amer comme seul Fabius avait su lui inspirer. Les Hommes n’étaient pas forcément les plus cupides, voilà ce que cet événement lui avait révélé. Mais la cupidité de certains individus corrompait toutes les sphères, tous les peuples, sans distinction aucune. Et que dire du fait que Sélénia était apparemment au courant ? Et qu’au lieu de donner aux autres peuples cette information cruciale pour que tous, main dans la main, puissent se préparer à cet ultime combat à venir, l’Empire avait choisi de laisser les pirates marchander et faire cet odieux chantage ?

S’il s’était agi de toute autre chose, de toute autre information, le Tisseur aurait pu comprendre, accepter, ce stratagème politique. Même s’il n’était pas des plus politiquement corrects. Après tout, en politique, il était difficile, voire impossible, de rester toujours dans la décence et la droiture. Mais là, il s’agissait d’une question de survie de tous les peuples. Sélénia pensait-elle pouvoir survivre sans l’aide des autres ?

Et que cela serait-il alors face aux autres dangers qui les guettaient ? Depuis l’arrivée du Graärh Jangali Pasu, ils avaient appris de bien d’autres sinistres nouvelles. Les chimères n’étaient plus le seul danger à les guetter. Un autre couvait au sein de cet archipel sauvage et menaçait à tout instant de ressurgir pour mieux tous les ensevelir sous ses âpres cendres. Devaient-ils alors s’attendre à une autre fourberie de la part de leurs alliés au combat alors que leur survie serait encore en jeu ?

Ilhan sentit un énième élan de révolte enfler en lui. Il lui fallait agir. Cette idée germait en lui depuis quelque temps déjà. Depuis les accords pirates. Depuis les informations qui avaient suivi de la part de ses araignées quant aux contacts de Sélénia avec lesdits pirates. Idée renforcée ensuite quand le Graärh leur avait apporté ces autres terribles nouvelles. Oui, il devait agir. Mais il devait agir avec doigté. Avec prudence. Par sa Toile. Ses papillons allaient pouvoir reprendre du service… et bientôt courraient de nouvelles rumeurs dénonçant les prémisses d’une sombre vérité.

Juste des rumeurs, oui. À tous ensuite de se faire sa propre opinion, de creuser, de trouver les secrets vilement cachés entre les lignes, entre les mots, parmi tous ces bruits qui couraient les rues et les couloirs du palais.

Ilhan s’installa alors à son bureau dans sa salle d’études. Tellement pressé de coucher sur parchemin les mots qui lui venaient, surtout qu’ils devaient les écrire en crypté, il ne prit pas même la peine de s’asseoir à son siège habituel. Il prit la place qu’aurait pris l’un de ses visiteurs, s’empara d’une plume, d’un parchemin, et écrivit, les mots coulant à flots, même si en un langage peu commun. Ses consignes étaient détaillées, précises. Ses araignées de Séléna avaient l’habitude de telles procédures. Ils en avaient tellement usé du temps de Fabius ou des Almaréens. Mais… Cela faisait aussi tellement longtemps. Il leur rappela alors ses consignes de sécurité. Les messages à transmettre. D’abord le premier, dans les jours à venir dès réception de ce courrier. Puis un autre un peu plus tardivement, dans les semaines qui suivraient.

« Bonjour Ilhan. »

Il était tant accaparé par son travail qu’il n’avait pas entendu quelqu’un entrer. Il sentit alors son coeur faire une sacrée embardée quand il entendit les mots résonner dans son dos. Un frisson glacé lui courut le long de son échine et il eut toutes les peines du monde à réprimer un sursaut, à ne pas poser une main sur son coeur pour tenter d’en calmer sa chamade effrénée. Sa panique soudaine était telle qu’il ne reconnut pas la voix sur l’instant. Il parvint à ne pas trahir son émoi, se contenta de se figer en plein mouvement. La plume toujours dans sa main gauche, la main du Tisseur, et son autre… doucement… doucement.. glissa vers le système d’alerte situé sous le bureau. Avant qu’il ne se rappelle ne pas être à la bonne place. Le bouton du système n’était pas à portée de main. Mais il l’était à portée de genou. D’une légère contorsion, il l’actionna alors vivement puis enfin, se leva et se tourna vers son visiteur.

Leweïnra. Ici. Certainement par… téléportation ? Par magie en tout cas. Il n’avait pas été annoncé, n’était donc pas entré par la porte. Fichtre, s’il s’était attendu à ça. Il se permit enfin de poser sa main sur son coeur et de l’autre s’appuya à son bureau. Il expira profondément pour tenter de calmer et d’éviter la crise cardiaque qu’il avait manqué de peu de faire. Ces yoyo émotionnels n’étaient plus de son âge !

« Tout va bien, messieurs. Ce n'est que moi. Promis la prochaine fois, je passerai par la porte pour rentrer. »

Le glyphe de détection des mensonges de son anneau si précieux ne réagit pas. Mais vu la force mentale de l’elfe, le glyphe pouvait ne pas marcher. Rien ne lui disait qu’il ne mentait pas. D’ailleurs…

D’ailleurs rien ne lui disait qu’il s’agissait bel et bien de l’elfe. D’un geste vif, Ilhan enjoignit le garde à rester. Et dardant son regard sombre et acéré sur l’elfe, tous ses traits criant méfiance, il demanda :

De quoi avons-nous parlé en privé lors de notre dernière rencontre ?

Le meilleur moyen de vérifier l’identité d’une personne était souvent de confronter les informations les plus personnelles qu’elle pouvait posséder. Des informations que seules deux personnes partageaient, connues d’elles seules. L’information avait toujours été la clé pour Ilhan. Et en ces instants où il fallait faire tomber les masques de possibles usurpations, cette clé était précieuse.

Tout en gardant l’elfe dans son champ de vision, il se positionna, à reculons, à la véritable place qu’il aurait dû avoir, à son siège dirigé vers la porte et la baie vitrée, de l'autre côté du bureau. Il entraina d’une main son précieux parchemin et attrapa de l’autre le sceau du tisseur. D’un geste vif, il jeta son sceau dans un tiroir, qu’il referma à clef. Puis en quelques pas rejoignit la cheminée et jeta son parchemin au feu.

Une fois ces précautions prises, il se retourna de nouveau vers l’elfe et attendit, le coeur battant à tout rompre, la réponse. Prêt à se jeter vers la porte et vers le garde si usurpation il y avait.

Quand bien même, il espérait avec ferveur que ce ne soit pas le cas. Quand bien même les derniers mots de l’elfe lui soufflaient que ce n’était pas le cas. Des nouvelles de Nyn-Tiamat et de Licorok ? Quelles nouvelles catastrophes allait-on encore lui annoncer ? Mais pourquoi à lui, et non pas directement à Tryghild, comme Aldaron en avait pris l’habitude ? Son regard, de méfiant, passa à songeur alors qu’il sondait l’elfe de ses orbes de jais perçants.

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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    Le regard verdoyant coulait vers le Conseiller qui avait l'air d'avoir pris une bonne douche froide. Un instant, il eut quelques remords, mais ils 'évaporèrent bien vite à la satisfaction de l'avoir toujours sain et sauf et surtout... De le taquiner gentiment. Il aurait pu comparer Ilhan à un camarade d'école, un complice, tantôt bourreau, tantôt victime, mais surtout un allié. Pour un petit humain, comme Ilhan s'était appelé, l'elfe trouvait qu'il avait le cœur bien accroché. A bien y réfléchir : fort heureusement. Il s'était mal vu se rendre auprès de Tryghild pour lui annoncer avoir tué Ilhan sans le vouloir. Il n'était pas bien certain qu'elle lui aurait pardonné un jour. Ses mires suivaient le geste sec de l'Althaïen puis le soldat qui restait sur place. L'elfe arqua un sourcil, perplexe : Ilhan espérait que son humain de garde ferait vraiment le poids s'il se révélait être une menace ? La question lui arracha un sourire alors qu'il secouait la tête de gauche à droite.

    Mine de rien il était bien embêté. Soit, il avouait franchement et sincèrement qu'ils avaient tout deux parlé du traumatisme Fabius qu'endurait le Délimarien, et ce en présence du soldat. Ainsi trahirait-il sa promesse de garder ce qu'il savait pour lui. Soit il mentait et Ilhan le prendrait pour un usurpateur. Il lui adressa un regard désabusé par autant de paranoïa. On aurait pu se croire retourné à l'ère du Tyran Blanc. « De boules. » répondit-il calmement, alors qu'un sourire taquin naissait dans le coin de ses lèvres cendrées. Ce n'était pas très généreux de sa part que de balancer cette pauvre erreur de langage devant le soldat... Mais il aurait été moins charitable d'évoquer pleinement Fabius. Une chose était certaine : si le célibat endurci du conseiller avait fait courir des rumeurs, cet aveu au sujet de boules risquait fortement de le faire passer pour un homosexuel. L'elfe n'y voyait guère d'opprobre, s'étant lui-même lié à un mâle... Mais peut-être que le Grand Manitou des Chèvres le verrait autrement.

    Et puis, cela n'avait rien d'un mensonge. Il avait été effectivement question de ces petites sucreries au cours de leur soirée privée, dont Sigvald était aussi témoin à cet instant. Puis plus tard, lorsque Fabius avait été évoqué, il avait été aussi, indirectement, question de ces mêmes boules. Ou presque. Il écarta les mains en signe d'impuissance quant à ce qu'il venait de lâcher : « Vous m'avez fait promettre, Ilhan. Je ne peux pas vous trahir, même devant votre propre soldat. Allez-vous donc le congédier enfin ? » L'elfe poussa un soupire et vint s'asseoir dans le creux d'une chaise pour attendre... Jusqu'à ce que le dit soldat ait bel et bien quitté la pièce. Il coula un regard de la porte fermée jusqu'au Conseiller bien empressé de cacher des choses. « Si votre prochaine question inquisitrice est de savoir comme je fais pour être ici.... » Prévisible. C'était si prévisible : « Je vous répondrai que vous n'êtes pas le seul à vous amuser avec... » Il chuchotait, une main dressée près des lèvres comme pour prononcer un secret honni dans un lieu où il ne le fallait pas : « La magie. »

    Un sourire complice, bien que régalien dans sa réserve, et il enchaînait : « Si votre seconde prochaine question inquisitrice est de savoir pourquoi je ne vais pas m'adresser directement à Tryghild... » C'était tellement prévisible aussi. « Apprenez que mon fiancé est en train de prétendre au Trône Noir et que je me voyais mal l'annoncer à Tryghild pour l'heure. Je ne sais pas vraiment comment elle le prendrait et je n'ai pas envie d'expérimenter... Ni même lui cacher pendant toute une conversation. » Alors il était là. Devant l'Avente. Pendant quelques secondes, il resta le regard posé sur lui, vaguement, l'air songeur à n'en pas douter. «Je ne voulais pas vous déranger pendant votre office... Vous m'aviez l'air bien occupé. » Autant dire que son comportement ne le laissait pas de marbre. Il était dubitatif. D'abord la lettre crypté puis la destruction de celle-ci comme pour effacer des preuves. Que complotait-il ? Il n'aimait pas vraiment ce doute qui s'insinuait sournoisement en lui. La méfiance lui venait doucement et désagréablement.

    « Mais je ne peux pas prévoir ce que mes hôtes font lorsque je me présente. Si vous souhaitez que je revienne plus tard et que je vous laisse à vos... Courriers, je peux revenir. » La question était silencieuse, mais pas moins appuyée dans sa subtilité. Il aurait apprécié avoir des explications. S'il n'en avait, il n'insisterait pas outre mesure, mais il s'inquiéterait, en son for intérieur, c'était évident.

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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« De boules. »

Bon. Ce n’était pas la réponse qu’il aurait aimé entendre. Il avait espéré une réponse un peu plus… poétique ? Recherchée ? Raffinée ?

Il fusilla Aldaron du regard. Aucun doute, il s’agissait bien là de l’elfe de Caladon. Mais par tous les Dieux, pourquoi fallait-il qu’il insinue des propos si litigieux devant le soldaton ? Il coula alors un regard oscillant entre agacement et inquiétude vers le garde. Des rumeurs couraient déjà le concernant. Un homme de son âge, veuf depuis si longtemps, de si frêle constitution, porté sur les arts et l’intellect et non sur les arts guerriers plus virils, un homme vivant avec tant d’autres hommes dans sa maisonnée… Oui des rumeurs couraient. Elles avaient déjà couru en Gloria, et même Aldaria, mais il avait su les faire taire. Elles semblaient toutefois lentement, mais sûrement, renaître de leurs cendres, maudites soient-elles, et l’elfe ne l’aidait en rien en le titillant sur ce point-là.

Sur ce point sensible entre tous.

Diantre ! Allait-il devoir prendre femme et se remarier pour faire taire à jamais ces vils et déloyaux racontars ? Il tenta de calmer les palpitations effrénées de son coeur, qui semblait déterminé à marteler si fort que son sang pulsait à ses tempes.

« Vous m'avez fait promettre, Ilhan. Je ne peux pas vous trahir, même devant votre propre soldat. Allez-vous donc le congédier enfin ? »

Malheureusement, il devait concéder ce point à l’elfe. Sans doute devait-il ne s’en prendre qu’à lui-même, se fustigea-t-il mentalement. A question fourbe, réponse tout aussi fourbe. Il était en tout cas inutile de s’étendre sur le sujet, de tenter de justifier ces mots nébuleux si porteurs de ouï-dire. Inutile en effet. Alors, gardant pour lui son agacement montant, il congédia le garde d’un simple signe de tête à la fois respectueux et péremptoire.

Puis se retourna vers Aldaron, et l’affronta calmement, de son port noble et digne, sans être hautain pour autant. Et fut plus que surpris que les questions qui lui brûlaient les lèvres obtiennent réponse sans qu’il n’ait besoin de les exprimer. Un court instant, il craignit que l’autre ne lise en lui. Comme lui avait pu lire en l'autre, ce même soir fatidique. Il renforça ses défenses mentales, érigeant non pas un mur imprenable comme certains pourraient le croire, mais un écran de pensées futiles et inutiles, et se concentra pour ressentir quelque effet de violation de pensées. Mais… non, rien, aucune intrusion ni même tentative. Ou alors l’elfe était plus que doué. Ce qui n’était pas impossible, mais…

Non, aucune intrusion. Il aurait fallu chercher en profondeur pour trouver ces questions-là, tant il avait été accaparé par deux petits mots… " des boules "… Rien que ces deux mots lui donnèrent la chair de poule et il dut se forcer à se reconcentrer.

Non, l’autre le connaissait suffisamment pour savoir les questions, évidentes, qu’il aurait posées en pareille situation.

Donc il était venu là par un sort. Téléportation ? Mais… l’elfe n’était jamais venu ici. Un sort particulier ? Qui permettait une téléportation auprès d’une personne et non d’un lieu ? Soudain intéressé, Ilhan haussa un sourcil. Mais n’osa poser ses questions et écouta la suite.

« Apprenez que mon fiancé est en train de prétendre au Trône Noir et que je me voyais mal l'annoncer à Tryghild pour l'heure. Je ne sais pas vraiment comment elle le prendrait et je n'ai pas envie d'expérimenter... Ni même lui cacher pendant toute une conversation. »

Oh jolie information. Il savait que les vampires se scindaient, que le trône était, de nouveau, contesté. Il avait su que Dalis pensait le revendiquer, en plus des prétendants actuels. Il s’était un peu douté que, un jour du moins, Achroma Seithvelj soit aussi de la partie. Il n’aurait pas parié qu’il le soit si tôt toutefois. Il ne put en tout cas que se féliciter intérieurement d’avoir soutenu sa requête auprès de l’Intendante. Si l’Aîné montait sur le trône des vampires… s’il devenait prince noir… autant garder des relations… cordiales… autant que faire se peut.

Il soutint le regard d’Aldaron qui sembla pour quelques fugaces instants perdu dans ses pensées. Il ne rompit pas ce silence étrange, et apaisant. Un silence qui permettait aux pensées de s’écouler, de cheminer, de mieux se former pour tisser la toile des possibles. Non, ce fut l’elfe qui le rompit. Et le ton de sa voix résonna des échos de la méfiance. Ilhan resta de marbre, le visage lisse, et laissa un sourire énigmatique étirer ses lèvres. Mais il n'aimait pas ce ton, qui pouvait sonner le glas d'un lien naissant. Lui qui pourtant s'était écrié ne pas vouloir de liens... Il chassa ces pensées soudain chaotiques qui se chahutaient en se contredisant, et se força à répondre, d'une voix calme et trainante.

Mes… courriers… peuvent attendre. J’écrivais à une connaissance. De Sélénia.

Il ne mentait pas. Une connaissance… de la Toile certes… mais une " connaissance" tout de même. Qui siégeait bel et bien en Sélénia.

J’ai gardé nombre de relations là-bas.

Dont les Kohan eux-mêmes. Et cela n’était pas un secret. Il avait reçu après tout Luna Kohan chez lui, avec accord de l’Intendante, en visite de pure courtoisie.

Au vu de sa position, il lui serait difficile de recevoir un courrier de ma part sans que cela ne pose question, vous en conviendrez. Et s’il vous venait à l’idée que je pourrais crypter ce courrier à un Sélénien en vue de vendre des informations sur Délimar…

Lui-même, à la place de l’elfe, pourrait émettre pareille idée après tout. Et il frissonna que de tels soupçons puisent peser sur lui. Venir aux oreilles de l'Intendante. Non vraiment, il n'avait aucune envie que ses relations avec sa Reine soit ternie par la corruption de la méfiance. Il préféra alors taire dans l'oeuf tout possible soupçon de l'elfe. Même si cela signifiait accorder à Aldaron une once de confiance pour se révéler lui-même un peu. Ne serait-ce que révéler sa crainte qu'on le pense, encore, un traitre. Il l'avait été certes, mais en l'occurrence... Il n'avait jamais été si fidèle de toute sa vie.

Ce serait bien mal me connaître. Je puis vous faire le serment, même magique si mon honneur ne vous suffit pas, que cette correspondance ne revêtait aucun caractère de trahison. Aucun. Et si cela ne suffit toujours pas…

Il ancra ses perles de jais, déterminées, dans les émeraudes de l’elfe, sans faillir.

Nous pourrions faire appel à un totem hibou.

Il songea à Shan, le plus vieux de ses domestiques, hibou de plus haut niveau, qui aurait pu… mais il lui était lié. Aldaron n’aurait pu s’y fier après tout.

De votre connaissance. Ou nous pouvons faire appel à un baptistrel.

Se disant, il pencha la tête de côté, laissant flotter entre eux la question muette de savoir si cela suffisait à l’elfe. Après un long silence, qui sembla s’éterniser, Ilhan le rompit et rejoignit son bureau à pas posés.

Je n’attendais pas de visite, mais je ne puis que me réjouir…

Et il était sincère. Ses yeux noirs, qui n’avaient pas quitté Aldaron, exprimaient pour lui tous les non-dits que sa pudeur taisait. Sa joie, forte, sincère, de revoir un… presque ami. Et tout l’élan, étrangement chaleureux, déroutante sensation, qu’il ressentait à le voir venir le voir, lui, plutôt qu’un autre, quand il ne pouvait aller voir Tryghild. Sensation qui fit écho à celles qu’il avait ressenties lors de leur dernière conversation.

de vous recevoir enfin dans mon antre. Elen síla lúmenn' omentielmo.*

Il lui offrit alors le salut elfique, de celui qu’on offre quand on veut honorer quelqu’un. Il croisa les deux mains sur la poitrine et s'inclina profondément. Même s’il n’attendit pas pour se relever que son interlocuteur le lui permette.

Puis-je vous offrir du thé ? Ou… toute autre chose ?

Il entrevit alors la table basse encombrée du jeu de dames, table basse dont ils allaient avoir besoin pour la collation à venir. Il la rejoignit en quelques pas et s’empara soigneusement du plateau de jeu qu’il alla poser à terre près de son coin de méditation. Shan viendrait le ranger plus tard.



* Une étoile brille sur l'heure de notre rencontre, en elfe

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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    A en juger par le regard réprobateur qu'on lui décocha, sa réponse ne semblait pas être de celles auxlaquelles l'Avente s'était attendu... Il avait aimé le surprendre, comme un enfant trouvait le bon mot, celui qui clouait le bec, en juste équilibre entre l'audacieuse désobéissance et le pardonnable. Était-ce puéril que de s'amuser de cela quand on avait son titre ? Certains lui auraient dit qu'il n'était vraiment pas drôle, l'elfe lui trouvait que sa vie était bien trop longue pour y mourir d'ennui. De ses proches, beaucoup pourraient dire qu'il avait changé. Depuis le retour d'Achroma, il donnait l'impression de respirer et son caractère fantasque, celui qu'on lui connaissait avant Morneflamme, refaisait surface. Pour le meilleur et pour le pire : il était bon de voir un homme qui ne donnait pas l'impression de porter le masque d'une royauté superficielle, rigide, ferme et froide mais il était plus difficile de se voir être le dindon de ses farces... Ilhan s'en sortait néanmoins à merveille, au fond. Était-ce alors si mal ? Probablement. Il savait qu'il ne tiendrait pas en place. Si ses extravagances faisaient loi, il y avait fort à parier que l'abandon de ses fonctions étaient pour bientôt et en vérité... Seule l'arrivée prochaine des chimères le maintenait à où il était, à la tête de Caladon.

    Le soldat les quittant, ses mires verdoyantes revenaient sur son interlocuteur attentif à l'explication qu'on lui fournissait au sujet de ces lettres cryptées. Plus Ilhan se justifiait, plus il en rajoutait et plus le Bourgmestre le fixait en silence, pour voir quand il s'arrêterait de lui-même ou s'il continuerait encore longtemps à aligner les défenses. Il parlait beaucoup pour un innocent, et il n'avait eu à peine qu'à le pousser un peu, lui poser une question pleine de non-dits pesants dans son silence interrogateur. Il lui arrivait d'adorer l'aura charismatique qui émanait de lui, il aurait pu faire avouer à un innocent le meurtre de son frère et cela avait quelque chose de terriblement grisant et effrayant. Puis il lui vint à l'esprit l'idée qu'Ilhan soit plus malin qu'il ne lui paraissait et qu'il le conduise sur une fausse piste de laquelle il se défendait coûte que coûte pour qu'Aldaron se focalise dessus et en oublie d'autres hypothèses bien plus plausibles. Il voyait très mal l'Avente trahir Tryghild. Ou il jouait excessivement bien son jeu et le jour terrible où il ferait tomber les masques serait très douloureux pour Délimar.

    « En vérité, il me venait plus l'idée que vous pourriez crypter ce courrier pour votre connaissance qui elle, vous vend des informations sur Selenia. » Oui, dans ce sens-là, cela sonnait beaucoup mieux à ses oreilles. C'était plus cohérent avec l'image et la fidélité qu'il se faisait d'Ilhan... Et puis aussi, tout simplement, avec l'histoire de cet homme dont il découvrait l'état, bribe par bribe. Et s'il l'espionnait pour découvrir le fin mot de l'histoire ? Se risquerait-il à mettre le nez dans les affaires de Délimar ? Sa raison lui disait oui, son cœur le refusait. N'aurait-ce pourtant pas aidé Trghild que de débusquer un éventuel tricheur... Et si cela n'était effectivement pas le cas, connaître la force de frappe d'Ilhan en terme d'espionnage lui permettrait de jauger de sa dangerosité, tant à l'égard de Sélénia... Qu'à son propre égard. Il avait des secrets, lui aussi. Un, pour être exact. Un secret qui s'appelait 'Marché Noir'... Et il ne pouvait pas vraiment se permettre de le laisser se faire infiltrer. Il en avait déjà bien dit assez à Tryghild en la matière.

    « Il est fort habile de votre part que de tenter de me conduire sur une fausse piste dont vous vous défendez corps et âme mais... Vous oubliez peut-être à qui vous vous adressez. » Le coup de pression était dosé, menace esquissée et doucement liée d'amitié. Il lui rappelait ses propres capacités, mais aussi son désir d'établir une relation saine entre eux. « Et la confiance que je place en vous. » Car c'était au final cela, le plus important, et c'était parceque son cœur refusait d'espionner cet homme pour savoir exactement de quoi il en courait. Chacun avait ses petits secrets, il préférait l'entendre lui dire 'je ne peux pas vous répondre' plutôt d'un mensonge ou une fourberie. Il pouvait respecter cela, jusqu'à un certain point... Mais tant qu'Ilhan ne basculait pas dans le côté du nuisible, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. Les traits de son visage se détendirent pour un sourire doux. « Je suis heureux de vous revoir Ilhan, un thé sera parfait. » approuva-t-il finalement : « Non, laissez le. » Le retint-t-il, comme pris d'une toquade, lorsqu'Ilhan retira le jeu. « Ne voudriez-vous pas que nous nous distrayons d'une partie pendant notre conversation ? » Lui, avait besoin de s'occuper les mains.

    La proposition était à peine acceptée, qu'il appuyait sur le plateau dans les mains de son hôte, doucement, pour qu'il retrouve la table basse. Il replaça les pions, un par un, à leur position de début de partie, pendant qu'Ilhan s'occupait du thé. « Jouez-vous les noirs ou les blancs ? » Il eut un sourire en coin, avant d'ajouter... « Je suis sûr que d'ordinaire vous prenez les noirs pour laisser à votre adversaire l'impression qu'il a un coup d'avance sur vous. » Il tourna alors le plateau pour offrir les blancs à Ilhan et le sortir de ce qu'il pensait être la zone de confort de son interlocuteur. « Il y avait une licorne dans Licorok. Des licornes. Des créatures manipulatrices et avides de sang qui n'ont pas du aimer qu'on traverse leur forêt. Elles défendent leur territoire férocement. Il va falloir s'en occuper. Elles donnent des cauchemars aux habitants de Nyn-Tiamat... Tant que c'est sur cette île, je pense que Delimar n'aura que faire du sort des vampires, mais... Mais on ne sait pas encore quel ampleur pourront avoir ces choses et je préfère tuer cela dans l’œuf. » Son visage, assombri pour l'occasion semblait témoigner de la torture qu'avait été l'affrontement avec cette chose. « Dans tous les cas... Rien à voir avec ces graärhs immenses dont nous a parlé Jangali. Du moins pas à première vue. Il faudrait éradiquer la menace pour en être complètement certain...  Mon fils Valmys m'a néanmoins porté des nouvelles de Keet-Tiamat qui sont très mauvaises. Un portail y a été ouvert en janvier, c'est pour cela que les elfes se sont retrouvées coupés du monde par une tempête de sable. Un autre graärh... Et des chimères.»

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« En vérité, il me venait plus l'idée que vous pourriez crypter ce courrier pour votre connaissance qui elle, vous vend des informations sur Selenia. »

Que la peste emporte ce bougre de Triade ! Il en savait décidément trop sur lui. Ou en soupçonnait beaucoup et les rumeurs courant sur le Tisseur, sur son retour en activité et sur sa possible identité, n’aidaient en rien. Le surnom se susurrait trop déjà en Calastin. Et, comme il avait pu devenir gênant que l’on sache qui était la Triade, à savoir nul autre que l’elfe en face de lui, savoir qui était vraiment le Tisseur le serait tout autant. Si ce n’est plus. Même si heureusement, en Délimar, il était plus en sureté que nulle part ailleurs si les rumeurs se répandaient trop et prenaient une ampleur incontrôlable. Ici, même si son identité secrète se révélait finalement pleinement au grand jour, il pourrait tout de même continuer d’oeuvrer sans trop de risques. Il perdrait un atout considérable, et ne pourrait plus prendre un quelconque adversaire par surprise sur ce plan-là. Mais après tout, on le connaissait déjà pour son formidable réseau d’informations. On le savait avoir été maitre-espion, avoir espionné et trahi Fabius et les Almaréens. La vérité du comment il avait pu ainsi oeuvrer serait juste révéler au grand jour. Peut-être cela pourrait-il même soulever quelques vocations pour repeupler la Grande Toile.

Chassant ses pensées inopinées, Ilhan se força à revenir au moment présent et non aux fils des possibles qu’il pourrait tisser.

« Il est fort habile de votre part que de tenter de me conduire sur une fausse piste dont vous vous défendez corps et âme, mais... Vous oubliez peut-être à qui vous vous adressez. »

Oh non il ne l’oubliait pas. À cette phrase, Ilhan se contenta de répondre d’un simple sourire. Un sourire entre férocité et amusement. Entre le grand félin prêt à vous sauter dessus par l’arrière et le petit chaton prêt à jouer avec vos mollets.

« Et la confiance que je place en vous. »

Un haussement de sourcil accompagna son sourire, alors que ses yeux brillèrent d’une lueur intriguée. Mais ses réponses en restèrent là. Tout en gestes et en silence. Pas de parole. Pas encore. Il devait réfléchir, peser ses mots. Funambuliste sur une corde pouvant se rompre à tout moment face à l’adversaire qu’il avait devant lui, un adversaire à la dague si vive et si acérée. Il avait connu bien des joutes verbales, bien des adversaires au verbe fort, mais peu atteignait la trempe de cet elfe-là. Lui-même pouvait-il se targuer d’être de taille ? Il l’espérait. Il en avait les capacités, il devait juste les adapter, les utiliser à bon escient, au bon moment.

Et alors qu’il allait déplacer le jeu plus loin, une main le retint, appuyant sur le plateau pour qu’il le repose là où il était. D’un autre haussement de sourcil, Ilhan céda à la demande. Après tout, pourquoi pas ? Jouter en verbe tout en joutant aux dames… Voilà qui lui rappellerait de vieux souvenirs.

« Ne voudriez-vous pas que nous nous distrayions d'une partie pendant notre conversation ? »

Si cela vous sied, répondit-il d’une voix grave en reposant le bel objet.

Il laissa son invité improvisé s’occuper de remettre les pièces en place, tandis qu’il appela Shan pour lui demander de préparer une collation. Il n’eut guère le temps de finir sa phrase que Shan disparut et revint aussitôt, avec un plateau chargé d’une théière, de deux tasses et de quelques friandises althaïennes en accompagnement, qu’il déposa sur une autre table basse juste à côté du plateau de jeu. D’un sourire amusé, Ilhan le remercia. Le garde avait dû les avertir, et Shan ou Dihya, en serviteurs avisés, avaient déjà tout préparé. Le domestique s’esquiva presque sans un bruit et laissa les deux hommes.

Ou comment montrer que, dans la maison du Tisseur, ses serviteurs veillaient, à l'affût, prêts à tout pour lui s'il le fallait.

Enfin Ilhan se tourna de nouveau vers son invité, s’assit devant lui, et observa les blancs tournés de son côté.

Vous me connaissez décidément bien trop. Tout comme je commence à vous connaître assez.

Réponse déguisée au fait qu’il n’oubliait en rien à qui il avait affaire. Et sous-entendu non dit sur la possible teneur des informations, possiblement vendues sur Selenia, par ses possibles connaissances. Ou sur tout autre secret… Il n’en dit pas plus toutefois. Tout avait déjà été compris après tout, il en était sûr.

Effectivement, d’ordinaire j’aime d’abord observer avant d’attaquer.

Son regard de jais voleta sur le plateau de jeu, sur l’elfe, puis de nouveau sur le plateau, et dans un sourire mi-prédateur, il déplaça un des pions.

Mais cela ne veut pas dire que je ne sais pas m’adapter à mes adversaires.

Puis d’une main assurée, masquant parfaitement l’étrange gêne qu’il ressentait en cet instant à la fois intime et confidentiel, se remettant encore tout juste de sa surprise passée, il leur servit du thé, et invita d’un geste l’elfe à se servir en pâtisserie ou confiserie.

Charmantes nouvelles que vous nous apportez là, répondit-il alors d’une voix sombre et cynique.

Il avait su ranger un tant soit peu son sarcasme mordant au placard à Délimar, là où franchise, honneur et bonne camaraderie avaient su lui faire changer un peu sa vision méfiante, délétère et austère de toute relation humaine. Mais parfois, quand des temps sombres les menaçaient de nouveau d'un sinistre manteau de mort et de chaos, son pessimiste acéré refaisait surface.

Si je résume les catastrophes que nous avons sous la main : des chimères en approche pour une bataille imminente, des licornes menaçant l’île de Nyn-Tiamat… Des licornes, vraiment ? Ont-elles alors des capacités psychiques qui provoqueraient ces… effets indésirables sur le repos des mortels ?

Il soupira, dépité, se sentant épuisé par tout ce qui s’annonçait.

Les Couronnes de Cendres, menace Graärh d’un temps passé des plus dramatiques, qui nous attaqueront d'un instant à l'autre, un autre Graärh apparu… lié aux Couronnes de Cendres ? Et… un portail dîtes-vous ?

Il ne le questionna même pas sur son " fils " Valmys. Il avait eu vent de cette adoption par l’un de ses informateurs. Valmys Neolenn, nouvellement Leweïnra, Enwr de son état, magicien de forte puissance. Un immaculé ayant vécu une sombre aventure sur un navire pirate, même s’il n’en avait pas eu tous les détails. Il ne l’avait jamais rencontré. Mais il était bien décidé à garder un œil sur cet individu-là qui semblait si lié à Aldaron maintenant.

Un portail en… Keet-Tiamat ? Ouvert… mais par qui ? Comment ?

Une catastrophe avec un portail se déclenchant en janvier... N'était-ce pas aussi en janvier que nombre d'événements frôlant la catastrophe avaient eu lieu avec ces maudits pirates ? Et qui d'assez fou pour ouvrir une telle chose inconnue ? Pas les elfes, assurément pas. Peut-être les hommes mais il en aurait eu vent. Les vampires en auraient été capables, s'ils n'avaient pas eu tant de problèmes autrement plus urgent à régler. Dont apparemment des licornes sanguinaires. Quant aux Graärh... peu probable, cela mettrait trop leurs propres terres en péril. Ce coup de folie pouvait fort ressembler aux pirates.

Il attrapa sa pythie, dont il avait noué la chaine autour de son poignet, et ne put résister. Il la roula par trois fois entre deux doigts en pensant fort à son hypothèse, à ce qui se passerait s'il posait la question, à la réponse probable que l'elfe pourrait lui donner... et sa pythie lui soufflait que c'était une réponse fortement probable. C'était toujours une impression confuse. Mais de toutes les réponses possibles, celle-ci se dessinait fortement. Il osa alors reprendre, voulant en avoir le coeur net.

Ne me dîtes pas par les pirates... Et comment un portail ouvert a-t-il pu isoler ainsi les elfes du reste du monde ? Qu’a-t-il de... particulier… ? Le Graärh… serait-il venu de ce portail ?

Ça y était, la migraine s’annonçait rien qu’à toutes ces questions.

Il soupira, et prit une gorgée de thé, manquant se brûler la langue. Il grimaça et reposa rapidement sa tasse sur la table, avant de reprendre d’une voix grave. Et lasse.

Et si vous me racontiez tout en détail ? J’adore les histoires contant chaos et menaces mortelles.

Cynisme encore et toujours.

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    Le silence et les sourires tantôt marqués, tantôt esquissés, n'étaient, entre eux, que le symbole d'une complicité singulière. Ils s'appréciaient et s'estimaient. Ils savaient aussi que leurs objectifs respectifs les conduisaient à collaborer ou à lutter l'un contre l'autre. C'était un jeu à la fois plaisant et frustrant mais pour tout l'amour du monde, Aldaron avait déjà bien connu trop de malheur pour rechigner sur celui-ci quand il lui apportait la satisfaction d'un ami à sa hauteur. Les hommes de sa trempe n'étaient pas légion. Beaucoup se seraient échinés à répondre et à se défendre, là où Ilhan avait toute la sagesse et la maîtrise du silence, entérinant définitivement la conversation plutôt que de s'y enfoncer inexorablement. Aldaron respectait ce silence, autant qu'il le trouvait habilement avisé : lui-même en servait un identique à chaque fois qu'on lui parlait de Marché Noir et d'un trafic qui serait toujours en activité. Il n'alla guère creuser plus en amont, il n'y voyait pas la nécessité, si ce n'était assouvir une curiosité qui aurait été mal placée. Il était bien plus habile que cela : il attendrait le moment opportun pour approfondir.

    Le thé arriva trop promptement pour qu'ils ne soient pas étroitement surveillés. Il aurait largement préféré un entretien en tête à tête, mais puisque les murs avaient des oreilles, il surveillerait ses propos autant qu'il s'interrogeait. Ilhan était bien trop intelligent pour ne pas voir que le thé avait été apporté trop vite pour le commun des mortels. Si ces hommes n'étaient pas les siens, il lui aurait fait savoir, d'une manière ou d'une autre, peut-être même subtile, tout simplement. Car il était dans leur intérêt commun que les conversations politiques de l'Alliance ne s'envolent pas aux quatre vents. L'elfe fronça délicatement les sourcils, venant même à s'interroger sur le contenu de sa tasse de thé. Néanmoins l'affirmation d'Ilhan vint chasser ses questions pour une réponse. Il aurait été une insulte pour l'intelligence d'Avente que d'affirmer qu'il serait le dernier en ce monde, à découvrir que le Marché Noir œuvrait encore, surtout après ce que le Bourgmestre avait confié à l'Intendante en novembre. Il ne doutait pas que cela avait du faire son chemin dans l'esprit du Conseiller et c'était l'une des raisons pour laquelle il s'évertuerait à faire de lui un complice, à défaut d'un allié. Il achèterait son silence, au moins pour un temps. L'elfe s'était fait à l'idée qu'un jour viendrait où le secret du Marché Noir serait révélé au grand jour. Il s'y était préparé. Tout comme il s'était préparé à ce que sa place au sein de la Confrérie Pirate soit tôt ou tard révélée. Lorsque cela serait le cas, lui et ses sbires les plus gradés sauraient quoi faire... Tout comme ils savaient expressément quoi faire si Aldaron venait à être mordu par un vampire.

    Le sourire fin, silencieux et discret, fut sa réponse, à son tour, alors qu'Ilhan jouait et résumait les nouvelles autant que ses questions, jusqu'à lui réclamer un récit plus complet. L'elfe se pencha en avant pour attraper la tasse de thé, avancer l'un de ses pions et retourner s'échouer lentement dans le fond de son assise. Il entama de répondre, point par point : « Nous nous sommes rendu à Nyn-Tiamat avec Ivanyr et nous avons suivi l'expédition de la Princesse Faust. Nous n'avions pas pris d'hommes avec nous, autres que ceux de la Princesse. Nous voulions être discrets et nous nous protégerions l'un et l'autre bien assez. » Ivanyr était un mage remarquable, là où Aldaron était un archer d'exception. Ils étaient Inséparables et ils étaient accompagnés du dragon Kaalys. « Notre convoi a été attaqué par des fenrisulfrs. Cela aurait pu être assez normal si nous n'étions pas accompagné de Kaalys. C'était suicidaire de la part de ces loups géants et les faits l'ont prouvé. Je doute qu'ils aient eu la stupidité d'attaquer par eux-mêmes. Les licornes doivent pouvoir contrôler les animaux... Tout comme les humains. Elles leur montrent leurs peurs, et attise le feu de leur noirceur profonde, la faim des vampires, la colère et la haine. Même mon esprit n'était pas assez fort pour y résister, alors des bêtes... »

    Il y avait à l'intérieur de ses pensées bien des horreurs que la licorne avait su utiliser habilement contre lui pour le briser sans sommation. Mais il n'en prononça pas un mot, si ce n'était l'aveu silencieux qui émanait de : « J'ai eu la chance de pouvoir compter sur la protection infaillible d'Ivanyr. Nous sommes rentrés après qu'il ait mis le feu à cette bête mais nous avons entendu les hérissements de ses pairs dans toute la forêt sur le chemin du retour. Je les crois tout à fait capables d'être à l'origine des cauchemars et des perturbations de transe. En vérité, après ce qu'il s'est passé, je vois difficilement comment cela pourrait être autre chose. » Il porta la tasse à ses lèvres pour en boire une chaude gorgée réconfortante. Tiens, son thé préféré. Le clin d’œil était délicat : Ilhan avait du se renseigner sur ses propres goûts après que la Triade lui ait servi son favori la dernière fois. C'était un retour de bâton habilement joué et cela amusait beaucoup le Bourgmestre. Leur jeu silencieux, formé de messages subliminaux, distrayait son amour pour la subtilité. Il ne doutait pas que l'échange soit réciproque et qu'Ilhan saurait s'en amuser.

    « Ce sont les pirates qui m'ont apporté mon fils à Nevrast, au péril de leur propre vie puisque la tension régnait dans le fief de Faust après que j'ai envoyé leur Princesse se faire soigner au Domaine de ses lourdes blessures et que mon fiancé soit en train de réclamer le trône. Vous comprenez ? » Et cela n'était pas un comportement de pirate. Ces gredins ne protégeaient pas un homme sans raison. Aldaron savait qu'Ilhan en serait fin analyste... Mais ce qui s'était passé à Nevrast finirait par ce savoir, surtout par Avente. Il était plus habile de sa part d'expliquer la rumeur que d'attendre qu'elle arrive au Conseiller et que celui-ci réfléchisse trop. « Le Maelström a repêché Valmys en haute mer, après qu'il y soit tombé de nulle part. Nathaniel Eärendil est venu me le rendre généreusement, maintenant qu'il sait qu'il est mon fils... » Ce qui n'avait pas été le cas la première fois que Valmys avait séjourné sur ce vaisseau. « Beaucoup croient que le Marché Noir est toujours en activité et qu'il vaut mieux ne pas se le mettre à dos. Nathaniel a travaillé pour moi, pendant la Théocratie. Il sait de quoi je suis capable. » On en revenait toujours là. C'était sont aura et son passif qui rendait Aldaron dangereux ou intéressant dans l'esprit des gens. Ils imaginaient tout et n'importe quoi... Mais aussi la vérité. « C'est lui qui a ordonné à ses sbires de me rendre mon fils, même dans ce contexte périlleux. Il faut croire que Nathaniel leur fait plus peur que la possibilité de mourir. »

    Il reposa doucement sa tasse, un sourire en coin : « Oh... Je sais ce que vous vous dites derrière vos sourcils froncés. Pourquoi ne m'a-t-il pas fait chanté ? Pourquoi ne m'a-t-il pas demandé une rançon ? Aldaron Leweïnra est-il vraiment un allié entre son amour pour le probable nouveau Prince Noir et maintenant les largesses dont il dispose auprès de redoutables pirates ? Ce que je me demande, de mon côté, c'est s'il est mieux de vous apporter une réponse à ces questions ou s'il vaut mieux vous laisser cogiter sur tout ceci et bâtir je ne sais quelle théorie du complot que votre esprit un brin paranoïaque pourrait construire... » Il se moquait un peu, mais c'était de bonne guerre : il l'était également, bien que moindrement. Ses mires d'émeraude le dardèrent d'un regard profond et intrigué alors que tout son être semblait paisible dans ses affirmations. Une part de lui avait envie de voir Avente douter. Pas par sadisme mais parce qu'il ne gagnerait rien à chercher à l’affronter. L'homme face à lui était un stratège, il voulait voir comment il l'attaquerait, comment il chercherait à comprendre, à expliquer. Pour se rendre compte de quoi ? Que comme tout les hommes, Aldaron n'était ni noir ni blanc. Qu'il avait ses propres idéaux basés sur l’Équilibre, là où le Chaos et l'Ordre luttaient indéfectiblement pour garantir que le monde ne stagne pas.... Sans avancer trop promptement.

    L'elfe passa sa main sur sa mâchoire, pensif, avant de décider : « Je vais vous laisser faire votre propre chemin, je suis curieux de voir comment vous allez moudre ce grain-là... » Trop le guider aurait été contre-productif. Ilhan devait se faire une idée par lui-même de tout cela. Il pouvait aussi regretter de ne pas l'avoir orienté vers des horizons moins dangereux pour la Triade et le Marché Noir. C'était un jeu dangereux. Mais avait-il le choix ? « Valmys m'a relaté son périple. Le Domaine et les Hautes Instances Elfiques ont décidé d'explorer un temple retrouvé au cœur de la jungle de Keet-Tiamat en remontant le fleuve, pour comprendre ce qui s'y tramait. La première exploration n'avait pas été pleinement fructueuse et cette seconde a été pour le moins... Catastrophique. Pardonnez-moi du terme, mais cette... Cruche d'Aramis... » Il avait prévenu, il n'avait pas maché ses mots. Mais le père qu'il était en demeurait bien froissé. Aramis avait presque fait passé Nathaniel pour un ange à côté. « A charcuté mon fils pour lui retirer une excroissance pleine de magie, par chirurgie. Par tout les Dieux, quand on dispose de talents comme les siens, ne peut-on pas les utiliser à bon escient ? » Il secoua la tête de gauche à droite avant de se frotter les yeux et d'expulser dans un soupir sa rancœur, afin de poursuivre.

    « Ils ont réduit le temple qui se trouvait à Keet-Tiamat en ruines et ils y sont retournés dans le désert découvrir ce qu'y s'y tramaient. Ils sont tombés sur les chimères. Près d'un portail semblable à celui trouvé sur Néthéril, elles ont réveillé un graärh, tel que Rog. Il avait faim et a dévoré des chimères. Celles-ci ont tenté de s'enfuir par des vortex mais le graärh était capable de maîtriser un vent d'une puissante telle que les membres de l'expédition se sont retrouvés propulsés aux quatre coins de l'archipel, à travers des vortex de vide invoqués par les chimères. Nous avons donc un deuxième graärh de la légion des cendres libéré. Si ce n'est plus... » Malgré l'aspect critique de la situation, il gardait son sang froid : il n'était pas encore certain qu'ils survivent seulement aux chimères. « Quant aux pirates... Il me semble logique qu'ils doivent y être pour quelque chose. Jangali nous a annoncé que Purnendu a été conduit sur les terres enneigées de Nyn-Tiamat avant que le portail ne soit accaparé par la Confrérie. Si celui de Nyn-Tiamat s'est à nouveau ouvert pendant l'attaque de la légion Vat'Em'Medonis, c'est que les pirates ont du l'activer d'une manière ou d'une autre... Ça ou... Ils sont en difficultés. Je sais que Delimar que les tient pas dans son cœur, mais quand il en va de l'avenir de l'archipel... Il faut parfois un peu de chaos pour que l'ordre survive. » Un fin sourire vint naître et mourir à l'aveu : « Je tâcherai de me renseigner du mieux que je le peux. »

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Ce qu’appréciait le plus Ilhan dans ces entrevues avec Aldaron était ce calme, cette sérénité, qui émanait de lui et enrobait la pièce entière. Une sérénité apparente, il le savait, cela n’enlevait en rien la charge des tracas de sa tâche de bourgmestre… ou de Triade. Mais l’elfe savait se contrôler et rester calme, et ce en toute occasion, Ilhan en était presque sûr. Cela le changeait de l’impétuosité volcanique de bon nombre de délimariens. Ou de la harangue fanatique de certains autres, que ce soit au sujet des mœurs délimariennes à protéger envers et contre tout par exemple, ou que ce soit sur d’autres sujets tout aussi litigieux, tels la magie ou les dieux disparus. C’était là, réalisa l’althaïen, un des rares moments de paix comme il n’en avait plus connu depuis longtemps. Quand bien même leur discussion était lourde de sous-entendus, de petites batailles tout en silences et non-dits, ou de lourdes révélations qui menaçaient leur avenir à tous. Il était bien déterminé alors à en profiter un minima.

Il écouta d’une oreille attentive le récit que lui offrit Aldaron. Des licornes avides de sang et pouvant contrôler hommes et animaux… rien que cela ? Qu’est-ce que la faune étrange et déroutante de ce maudit archipel leur réservait encore ? Pourquoi avaient-ils échoué sur ces terres hostiles qui semblaient vouloir les tuer tout autant que les chimères ? Et si même l’elfe n’avait pas su y résister… Lui, un esprit aussi puissant… Ilhan peina à réprimer un frisson. Un frisson vite chassé à l’idée du vampire jouant avec le feu. Il comprenait mieux soudain le surnom qu’il avait vaguement entendu à son sujet. L’Incendiaire. Oui, cela lui allait comme un gant.

Quand l’elfe goûta enfin le thé, un fin sourire ourla les lèvres de l’althaïen et il savoura lui-même chaque goutte de sa petite revanche tisanière à chaque gorgée que l’autre buvait. Si l’elfe avait su se renseigner sur son thé préféré, lui aussi. Il était dit que tous deux allaient s’amuser longtemps à se renseigner l’un sur l’autre pour connaître chaque goût, chaque habitude, et mieux taquiner l’autre à leurs prochaines rencontres.

La suite toutefois le laissa beaucoup plus dubitatif. Les pirates ? Ramener son fils… au péril de leur vie ? Les pirates n’agissaient jamais au péril de leur vie sans raison. Pas sans gain. Qu’avaient-ils alors à y gagner ? Oh oui, il comprenait. Il comprenait qu’il y avait anguille sous roche. Et si l’althaïen ne se départit pas de son sourire, la lueur fugace qui traversa ses yeux sombres dénotait le vif intérêt et surtout le sentiment d’alerte qu’il ressentait soudain.

Que les pirates ramassent un égaré en haute mer, pourquoi pas. Cela pouvait s’expliquer : un bon esclave en vue, un bon amusement le temps du trajet… Mais venir rendre un individu… généreusement ? L’elfe se moquait ouvertement de lui, en tenant de tels propos ? Ou cherchait-il vraiment à attiser les fers de sa méfiance ? C’était comme si Aldaron lui agitait soudain sous le nez une information consciemment falsifiée, pour le pousser à aller la vérifier. Ce qui agitait plus encore les neurones de l’althaïen était le "maintenant qu'il sait qu'il est mon fils". Intéressant. Vraiment… Très intéressant.

« Beaucoup croient que le Marché Noir est toujours en activité et qu'il vaut mieux ne pas se le mettre à dos. Nathaniel a travaillé pour moi, pendant la Théocratie. Il sait de quoi je suis capable. »

Ah, voilà le sujet Marché Noir évoqué de vive voix ! Une première ! Pas pour déplaire à Ilhan, cela dit. Il se doutait bien qu’il y avait quelque chose dans ce goût-là sous le rocher. Mais… était-ce la seule anguille ? Ou y en avait-il une autre encore ? Ilhan avait joué les espions et les traitres pendant bien longtemps pour savoir que parfois, souvent, on aimait agiter une information véritable en faux leurre, en espérant cacher derrière une information plus vitale encore. Plus gênante. La question était alors : quelle information plus vitale, plus gênante, Aldaron voulait-il cacher en lui avouant, presque ouvertement, que le Marché Noir était revenu de ses cendres et que, potentiellement, il avait également un lien avec les pirates ? Pas que cela l’étonnât, cela dit. Quiconque soupçonnait le Marché Noir de nouveau à l’oeuvre se doutait, ou savait, qu’il oeuvrait en partenariat plus ou moins étroit avec les pirates, s’en servant dans ses intérêts propres, plus que les pirates ne s’en servaient eux-mêmes d’ailleurs. Ce fait ne gênait en rien Ilhan, pour tout avouer, tant qu’il avait l’assurance que le Marché Noir aidait et servait l’Alliance par ailleurs. Il était de ceux qui savaient que parfois il fallait user de sombres moyens pour arriver à ses fins.

Mais le simple fait qu’Aldaron agite une telle information sous son nez lui faisait dire qu’il y avait bien plus derrière que ce que l’elfe voulait bien lui révéler. Bon, révéler était peut-être un bien grand mot. Tout n’était que suggéré. Sur l’éventuelle réputation qui trainait dans le sillage de l’elfe au point que tous avaient peur de lui… et que des pirates lui rendent "généreusement" son fils. Mais pour Ilhan, cette suggestion se basait sur une réalité bien plus tangible. Le Marché Noir étendait de nouveau ses tentacules dans l’ombre, possiblement dans tout l’archipel, et avait un lien, peut-être étroit, avec les pirates. Pour le Tisseur, restait alors à en avoir la preuve d’une part, et à savoir jusqu’où allaient ces tentacules et quel lien précis avec les pirates, d’autre part. Foi d’araignée, il aurait l’information. Coûte que coûte. La Toile devait savoir. Cela devenait urgent et vital.

« Oh... Je sais ce que vous vous dites derrière vos sourcils froncés.»

Maudit soit l’elfe qui le connaissait bien trop. Ilhan se maudit lui-même d’ailleurs d’avoir pensé si fort. Il se contenta alors d’un sourire en coin, et d’un léger hochement de tête. Il n’allait pas lui cacher que ces questions lui trottaient effectivement en tête. Ce serait faire honte à l’intelligence de son invité. Et oui son esprit paranoïaque échafaudait déjà mille théories. Quelques-unes en particulier. Dont certaines lui donnaient de terribles frissons. Jusqu’où ce lien avec les pirates allait-il ? La Triade virait-elle elle-même à la piraterie ? Fichtre, qu’il n’aimait pas cette idée-là. Et sa paranoïa échafaudait surtout déjà mille plans pour parvenir à avoir l’information. Depuis quelque temps déjà, la Toile oeuvrait pour infiltrer le Marché Noir et les pirates. Mais c’était là deux sphères très privées et compliquées à infiltrer. Il fallait ruser, avancer par petits pas. Il lui fallait trouver comment avancer plus vite toutefois.

« Je vais vous laisser faire votre propre chemin, je suis curieux de voir comment vous allez moudre ce grain-là... »

Il n’est pas toujours sage de me laisser moudre, répondit-il presque en chuchotant. Je peux le moudre longtemps, jusqu’à le réduire en poudre et en extirper beaucoup plus que ce que l’on voulait.

Était-ce une promesse ? Peut-être. Ou peut-être juste un fait. Un peu des deux, aurait-il eu envie de dire. Mais il ne s’avança pas plus loin sur l’instant, écoutant la suite d’une oreille attentive. Et haussa un sourcil face à la harangue soudaine de l’elfe contre Aramis. Même si la suite lui fit comprendre la verve soudain acérée d’Aldaron. Et voilà de nouveau les chimères à l’oeuvre, réveillant un nouveau membre de l’ancien fléau de cet archipel. Un ancien fléau qui avait su ne faire qu’une bouchée des chimères ? Parlait-on bien de ces sombres créatures qui les pourchassaient à travers le monde et dont ils peinaient à se défaire ? Si un seul membre de la légion de cendres était assez puissant pour défaire des chimères… comment donc les enfants des dieux allaient-ils pouvoir se défaire de cette satanée légion ? Par les Sept, qu’on leur donne la force de pouvoir se libérer de tous ces cauchemars avant qu’ils ne détruisent ces nouvelles terres !

« Ça ou... Ils sont en difficultés. Je sais que Delimar que les tient pas dans son cœur, mais quand il en va de l'avenir de l'archipel... Il faut parfois un peu de chaos pour que l'ordre survive. »

Moui. Il pouvait comprendre. Même si pour sa part, il ne portait pas le chaos en son coeur. Apparemment toutefois, l’elfe semblait aimer cette idée. Devait-on penser qu’Aldaron entretiendrait alors suffisamment de chaos par cet idéalisme d’équilibre et de survivance de l’ordre ? Ou n’était-ce que paroles lancées au vent, par esprit de provocation ?

À toutes ces pensées, Ilhan sentit poindre une migraine épouvantable. Il se pinça alors légèrement l’arête du nez entre deux doigts tout en fermant les yeux. Et dire qu’il allait devoir annoncer tout cela à Tryghild ensuite… Misère de misère.

« Je tâcherai de me renseigner du mieux que je le peux. »

Pensez-vous pouvoir extorquer quelques informations à vos… nouveaux acolytes... qui vous ont si généreusement ramené votre fils ? susurra-t-il dans tous ses accents althaïens. Je me renseignerai aussi de mon côté, ajouta-t-il en un sourire teinté d’une ombre prédatrice.

De ce sourire où perçait alors l’ombre du Tisseur.

Bien qu’il savait d’ores et déjà devoir mettre les bouchées doubles pour avoir ne serait-ce qu’une once des informations pirates que pourraient avoir Aldaron, si la Triade était bien affiliée aux pirates. Mais peu importait. La Toile ne s’avérait pas si facilement vaincue.

Voilà en tout cas de bien sombres nouvelles. À croire que nous n’en finirons jamais des menaces qui cherchent à nous exterminer.

Il avala une gorgée de thé, puis avança un pion, tout en laissant son regard sombre voguer quelques courts instants dans ses songes. Des songes bien sinistres, pour tout avouer.

Comme si nous ne nous suffisions pas à nous-mêmes pour nous exterminer, murmura-t-il doucement.

Puis relevant les yeux sur l’elfe, ses obsidiennes reprirent une lueur plus vive, plus acérée, alors qu’il ajoutait plus distinctement :

Je subodore que si vous ne vouliez pas vous entretenir avec Tryghild, ce n’est pas seulement parce que votre époux vient de se réclamer du trône des Vampires.

Pour tout avouer, c’était déjà une possibilité qu’Ilhan avait anticipée. Ce n’était pas pour rien qu’il avait tenu à accepter la demande d’Achroma Seithvelj. Il savait que l’Aîné avait l’étoffe d’un prince noir et pouvait, à tout moment, vouloir reprendre les rênes de son peuple en perdition, vu les catastrophes des derniers commandants en titre. C’était aussi pour cette raison, outre ses liens proches avec le bourgmestre de Caladon, qu’Ilhan avait tant insisté pour que Delimar fasse preuve d’un peu d’effort à ce sujet et accepte cette demande. Même s’il ne pouvait évoquer cela auprès d’Aldaron, puisqu’il n’était pas encore au courant.

Aviez-vous peur qu’elle vous pose plus de questions au sujet de cette… interaction… avec les pirates ? Et que vous n’auriez pas pu ne pas lui répondre ? Tryghild a ce don de vous faire avouer même l’inavouable, il est vrai, fit-il en un sourire.

Cette fois, un sourire de connivence. Lui-même n’avait pas pu lui cacher plus longuement son identité secrète, et lui avait révélé être le Tisseur et l’oeuvre de sa Toile. Une Toile qui était dès lors au service de la louve et de Delimar. Tant que la louve et Delimar oeuvraient pour le bien du peuple humain, du moins. Mais Ilhan doutait que cela change, c’était bien trop ancré dans leurs mœurs, leur histoire. Cela relevait même de leur honneur. Les Veilleurs aux remparts. Le bouclier protecteur du royaume des humains. Vouant son existence et son honneur à tous les siens. Ces quelques mots, de cet ancien serment des Svenn qu’il avait déterré dans les archives, étaient encore gravés en lui. Et l’avaient conforté dans son choix quant à servir auprès de Tryghild.


Partie en cours, avec le dernier coup d'Ilhan :

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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    L'approbation d'un signe de tête venait lui confirmer que l'elfe était loin de s'égarer en affirmant qu'Ilhan élaborait d'ores et déjà mille et un plans tordus pour expliquer le comportement des pirates à l'égard de la Triade. Les multiples sous-entendus des propos de son interlocuteur ne faisaient que lui approuver cette idée. Il ressentait cet ersatz de peur qu'il avait ressenti à l'ère de la Théocratie, même si les retombées ne seraient pas les mêmes. L'Avente n'avait rien du Tyran, mais il était redoutable et le confirmait lui-même. Il ne s'arrêtait pas aux premières informations qu'on lui énonçait et allait souvent bien au-delà, creusant jusqu'à la substantifique moelle de la vérité. En soi, cet objectif était sain. Il l'était moins lorsqu'il était entouré par une aura de paranoïa qui lui ferait penser ne jamais avoir toucher le bout... Mais si Ilhan allait véritablement au bout de ses recherches, Aldaron avait foi que l'enseignement serait riche pour l'humain que d'apprendre qu'en dépit des mauvais présages, en dépit des apparences qu'on jugeait trompeuses, il pouvait en ressortir une quête saine. Si le Marché Noir avait si bien fonctionné pendant la théocratie, c'était par sa capacité à se fondre dans le mauvais camp, faire des choses peu louables pour un but lui, de plus grande envergure, était plus digne. Il rêvait d'une paix durable. Il rêvait d'équilibre et de progrès qui ne s'emballe pas au détriment de l'éthique, sans pour autant être castré par l'ordre.

    Il voulait voir tout cela éclore, mais il ne répondit pas à Ilhan, dans un premier temps. Il ne doutait pas qu'il se renseigne, au sujet de ce portail gardé par les pirates. Le visage du bourgmestre se marqua d'un fin sourire alors que son buste allait en avant, légèrement, pour diriger un pion et saisir à nouveau sa tasse de thé. Il la dégustait à sa juste valeur puisqu'Ilhan semblait avoir pris un grand soin pour trouver ce qui lui ferait plaisir. « Si tant est qu'il s'agisse de quelque chose d'inavouable, Ilhan. Vous semblez d'ores et déjà partir sur des perspectives plus que pessimistes me concernant. Je trouve dommage qu'après tout ce temps, qu'après tout ce que j'ai fait, vous commenciez par ces pistes douteuses. Je ne vous en veux pas d'y songer : à votre place, j'en aurai probablement fait autant... » Il le concédait bien volontiers. Il serait sot de ne jamais envisager le pire... Tout comme il était décevant de n'envisager que cela : « Mais de là commencer sur ces hypothèses alors qu'il y en a tant d'autres préliminairement à explorer. » Son torse se souleva d'un soupir avant qu'il n'ajoute, d'une voix posée mais ferme : « Je n'extorque pas des informations, je les achète. Je n'ai pas peur des questions de Tryghild, je saurai lui répondre ou lui dire que je ne peux pas lui répondre, dans l'intérêt de l'Alliance, si cela s'avère être le cas. Tryghild n'est pas mon Intendante : ma réserve vient la protéger de sa propre honnêteté et de ce qu'elle pourrait faire de mes secrets, malgré elle. Et elle le sait. »

    Plantant ses orbes verdoyantes dans le regard ténébreux de l'Avente, il se demandait s'il avait bien fait de le laisser réfléchir par lui même sur tout cela... S'il n'aurait pas fallu qu'il lui explique tout plutôt que de le laisser mener ses investigations avec pour billet en tête qu'il était devenu une personne qui extorquait et trahissait ceux envers qui il avait convenu d'une alliance. « J'espère bien que vous aller moudre longuement, Ilhan. Il serait dommage que vous ne vous contentiez de ce que vous pourrez trouver en surface. » Parce que de toutes évidences, sa paranoïa tirait toutes les ficelles du visible. Une fois qu'il les aurait écarté, il en viendrait peut-être à des hypothèses qui lui glaceraient moins le sang. En cela, il était important qu'il aille moudre bien plus qu'il ne le fallait. Indirectement, il lui confirmait qu'il trouverait en surface des choses qui viendraient dans le sens de ces hypothèses monstrueuses et tant qu'il n'aurait pas été jusqu'au bout, il ne parviendrait pas à donner un sens et une vérité à tout ce qui se manigançait dans l'ombre. « Me feriez-vous une promesse, Ilhan ? Ou au moins celle d'y réfléchir ? » demanda-t-il finalement : « Celle de garder pour vous vos trouvailles tant que vous n'aurez pas été jusqu'au bout. Votre paranoïa pourrait mettre en péril l'Alliance tant que vous n'aurez pas fait les bons liens et les bonnes découvertes. Je sais que votre allégeance envers Délimar est sincère mais si elle l'est, il serait bon que vous réfléchissiez également à la mesure dans laquelle vous pourriez représenter un danger pour sa pérennité. A trop vouloir servir aveuglément, on en vient à commettre des erreurs qui poussent nos peuples à s’entre-tuer. Je ne vais pas vous raconter l'histoire des almaréens. Je pense que vous la connaissez. »  Persuadés de servir Néant, ils avaient obéi sans remettre en cause leur soumission. Cela avait été un massacre. Aldaron ne voulait pas que Délimar et Caladon se retrouvent à couteaux tirés après tous les efforts de rapprochement qu'il avait opéré.

    Il acheva sa tasse de thé avant de la poser dans sa soucoupe. « Je vais y aller, n'oubliez pas de jouer votre coup, nous reprendrons notre partie. Puis-je venir vous rendre à nouveau visite dans trois semaines ? Je quitterai Nevrast à ce moment-là. »

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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Oui il y avait d’autres préliminaires, il voulait bien le concéder. Et certainement qu’à tête reposée, il les étudierait aussi. Ses séances de méditation l’aidaient aussi à faire le tri et à y voir plus clair, à voir d’autres horizons, d’autres fils des possibles, sans s’arrêter aux premiers qui lui étaient venus spontanément. Toutefois il ne dit mot à ces paroles et se contenta d’un léger hochement de tête, presque solennel, acquiesçant en silence à ces assertions.

Il devait avouer aussi que l’elfe n’avait pas tort concernant Tryghild. Il ne savait s’il devait se sentir flatté qu’Aldaron ait préféré alors le voir lui et lui faire un tant soit peu confiance pour lui révéler tout cela, sachant son caractère curieux qui ne manquerait pas pour autant de fouiner plus en profondeur ensuite au risque de déterrer d’autres sombres secrets, ou s’il devait se sentir vexé et blessé qu’il le juge capable de taire des choses d'une telle importance à Tryghild et de redevenir un traitre potentiel comme il l'avait été. Lui qui avait fait vœu d’être honnête avec elle, d’être sincère. Allait-il devoir cacher ces possibles autres informations à sa Reine ? Devait-il lui cacher ses soupçons quant à un lien entre la Triade et les pirates ?

À la requête de promesse que l’elfe lui fit en ce sens, Ilhan le fusilla d’abord du regard. Ses orbes sombres se teintèrent d’une lueur furieuse et blessée qu’on ose lui demander une telle chose. Qu’on ose, encore, le mettre dans une situation où il devrait faire un choix crucial, peut-être contre ses propres convictions et propres vœux. Qu’on le mette encore entre deux feux, entre deux voies, entre deux choix. Garder pour lui ses trouvailles tant qu’il n’aurait pas été jusqu’au bout ? Taire de possibles informations importantes, même si encore incomplètes ? Mentir à sa Reine, si ce n’est ouvertement, en tout cas par des non-dits ? Sous le coup de l’émotion et du déchirement de conscience qu’il ressentit soudain, il détourna le regard et baissa les yeux sur sa tasse. Il sentait des larmes lui monter aux yeux sous la colère et la douleur, mais il les retint et les chassa d’un revers de pensée.

Pourtant… Pourtant les mots de l’elfe sonnaient juste. Autant qu’ils étaient douloureux. Pouvait-il être un danger pour l’Alliance ? Lui qui avait fait voeu de vouloir allier le peuple humain sous une même bannière, quand bien même cela prendrait toute une vie humaine et au-delà… Serait-il devenu dangereux pour l'avenir et la paix qu’il s’était promis de servir ? Oui, entendre cela faisait mal. Mais il y avait là une part de vérité. Ne disait-on pas que seule la vérité blessait ? Et en cet instant, Ilhan saignait au plus profond de son coeur. Mais il n’entendait aucune réelle dissonance dans les paroles de l’elfe. Certes, il n’était pas baptistrel, mais il avait l’impression d’entendre une sincérité profonde dans une telle demande.

Serait-ce mentir que de ne rien dire à Tryghild tant qu’il ne saurait pas tout ? Après tout, son rôle était de lui donner des conseils les plus avisés possibles, de lui enseigner tout ce qu'il savait et de lui donner toutes les informations que sa Toile pourrait récolter. Mais tant que ces informations étaient tronquées, voire erronées, il ne les révélait pas toujours. Parfois, souvent, il attendait d’avoir des preuves, des confirmations, de ce qu’il s’apprêtait à lui révéler, avant de tout lui dire, et de mettre entre ces mains des décisions cruciales. En quoi en cet instant, cela serait-ce différent ? Ne pas se précipiter… Cela avait été tout le leitmotiv de sa vie. Creuser, s’informer, et seulement une fois toutes les informations en main, décider pour agir.

Cette pensée calma un tant soit peu son agitation intérieure et chassa toute émotion malvenue. Il inspira discrètement et expira lentement à trois reprises, pour ramener une sérénité intérieure pleine et entière avant de relever, enfin, ses yeux sur l’elfe.

Aldaron s’était déjà relevé et s’apprêtait à disparaître, quand Ilhan répondit enfin en un souffle :

Oui, vous pouvez. Et je vous promets d’y réfléchir.

C’était déjà là une grande concession. L’elfe avait-il entendu ? Il ne saurait dire. Le vide s’était déjà chargé de son écho quand il avait fini sa phrase.

L'althaïen regarda le plateau de jeu, mais, trop préoccupé par toutes ses pensées, il délaissa la tablée et laissa le jeu en plan, se dirigeant vers la fenêtre pour observer sa cour paisible d’un air sombre et las. Un danger… Était-il temps de changer de Tisseur, de passer la main ? Était-il trop aveuglé pour continuer sur une droite lignée ? Ou devait-il simplement travailler sur lui pour se défaire de son manteau de paranoïa et de pessimisme patentés ?

Dans un lourd soupire, il sortit et s’assit en tailleur, à même le sol humide de pluie, sans prendre garde de se détremper, et se plongea dans une profonde transe.


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20 février 1763


Alors qu’il se levait pour aller chercher un parchemin derrière lui, son œil achoppa la table et le plateau de jeu, laissé en plan. Il n’avait toujours pas joué son coup. Pour tout avouer, plus il observait le plateau, plus il jugeait avoir joué comme un pied. Peu habitué à jouer les blancs et trop accaparé par les révélations de l’elfe, il n’avait guère prêté attention à ce qu’il faisait et allait s'en mordre les doigts, lui qui était si mauvais perdant. Peut-être pouvait-il encore se rattraper. Mais cette partie lui serait délicate. D’autant plus face à un tel adversaire.

En un léger sourire, il se décida toutefois, et bougea enfin un de ses pions. Advienne que pourra.


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3 mars 1763, à la nuit tombée


Cela faisait du bien de se délasser dans un bon bain chaud aux senteurs parfumées. La journée avait été éreintante, entre ces longues séances d’enseignements partagés avec Sigvald et les entrainements qu’il lui avait fait endurer, et qui l’avait laissé fourbu et courbaturé de partout, puis l’organisation de son voyage vers le moulin pour rencontrer Dame Falkire de Caladon. Il devait partir demain à l’aube et la simple perspective d’un voyage à cheval, alors que chacun de ses muscles criait déjà leur agonie, lui donnait des frissons rien que d’y penser.

Mais il ne s’y déroberait pas. Cette rencontre pouvait avoir son importance. Il irait donc. Il tiendrait, forcerait son corps à en assumer les contrecoups. Il prévoirait divers remèdes conseillés par le guérisseur qui le suivait. Et en attendant, autant profiter de ce petit instant de paix.

Ilhan se prélassa alors dans son grand bain, creusé à même le sol de sa salle d’eau, attenante à sa chambrée. Ce bac à bain, loin de l’inconfort des bacs de bois qu’il avait pu avoir pendant longtemps, permettait de s’étendre de tout son long. Deux personne pouvaient s’y tenir confortablement sans se gêner. Ilhan avait toutefois l’avantage d’en profiter seul et il ne se priva pas d’étirer ses membres endoloris, en calant sa nuque contre le rebord.

Il avait longtemps hésité à se payer ce luxe éhonté de faire construire une telle chose. Sa première préoccupation avait été que pour le remplir cela allait s'avérer fastidieux au quotidien, surtout lui maniaque de l’hygiène qui se lavait chaque jour, mais quand il avait fait mention de cette difficulté avant de faire aménager cet espace, Shan et Elyas lui avaient dit de ne pas se priver de ce plaisir pour cette simple raison et qu’ils trouveraient un système. Et ils l’avaient trouvé en aménageant une pompe à eau, inspirée des astucieux systèmes almaréens, pour pouvoir remplir ou vider le petit bassin.

Ilhan pouvait alors s'y délasser sans plus aucun scrupule. Et il s’amusa à barboter encore un peu dans l’eau qui refroidissait doucement, mais restait encore à température agréable. Il écarta les bras, soupirant d’aise, puis pris d’une envie soudaine, il plongea sous l’eau, en s’étalant de tout son long, jusqu’à sentir la paroi du bassin dans son dos… Il ferma les yeux en retenant sa respiration, s’amusant à compter jusqu’à combien il tiendrait...

Jeu de Dames avec le coup d'Ilhan :

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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    Il y réfléchirait, c'était une bonne chose. Il n'avait pas aimé cette tristesse qu'il avait éveillé chez l'althaïen. Aldaron l'appréciait bien assez pour que lui faire du mal, de quelques manières que ce soit, ne soit ni agréable pour l'humain ni pour lui. Il savait néanmoins qu'il était un homme dur et exigeant, qui ne prenait pas par des pincettes son entourage. Il savait dire les vérités aussi crues que douloureuses et surtout, pour le cas présent, il savait se protéger. Ce que découvrirait Ilhan tôt ou tard ne plairait pas du tout à Tryghild. Mais la raison pour laquelle il menait toute cette entreprise, elle, avait du sens. Du moins pour lui, elle en avait et il espérait qu'elle en ait aussi pour Ilhan en bout de compte. Le pari était risqué, mais avait-il une autre opportunité ? Il poussa un soupir, dans la froideur de Nevrast. Il ne pouvait pas s'empêcher, en son for intérieur, de craindre la perte de ses amis. Son père, jadis, n'avait pas compris son fonctionnement et Aldaron avait du les quitter pour vivre librement ses choix. Et si Ilhan ne comprenait pas ? Si Tryghild ne comprenait pas ?

    ***

    Plouf.

    Il devait avouer, pour être honnête, que ce sort l'avait mis dans des situations plus ou moins abracadabrantes. A plusieurs reprises, il s'était fait la réflexion que déployer un système lui permettant de savoir si son hôte était disposé ou non à le recevoir serait une riche idée. Dans le flot de ses activités, cela lui échappait, mais dans des situations comme celle-ci, la sottise de son inaction lui revenait en tête avec une ironie qui, maintenant qu'il se retrouvait dans le bain d'Ilhan, avec Ilhan, le faisait éclater de rire tandis que ce pauvre althaïen suffoquait et toussait après être remonté à la surface de l'eau, outré. « Oh, Ilhan ! Moi aussi je suis extrêmement heureux de vous retrouver ! Inutile de cacher votre joie, je la sens d'ici ! » fit-il avec un enthousiasme débordant et hilare pour couvrir les sommations véhémentes de l'humain à quitter son bain sur le champ. Bien sûr, il ne tarda pas à obtempérer et à sortir de l'eau, il ne voulait pas que son petit vieux fasse un ulcère.

    Humant l'air après avoir saisir une serviette, il continua d'un ton jovial : « Par les sept, qu'est-ce ? Du magnolia ? Vous les althaïens, vous m'étonnerez toujours... Encore plus précieux que des elfes. » Il roula des yeux et se tamponna le visage en finissant par lui tourner le dos afin de laisser au conseiller délimarien sa dignité. Ce fut le moment que choisit le fameux garde pour entrer, inquiet, la main sur son épée. Le même garde devant lequel Aldaron avait avoué avoir parlé de boules avec Ilhan. Sur un petit air enjoué, se retenant de pouffer de rire, l'elfe le salua : « Bonjour à vous ! Vous aussi vous avez envie d'un rafraîchissement corporel au magnolia ? Je vous en prie, cette baignoire à l'air bien assez grande pour deux... » Quel petit coquin cet Ilhan ! Le soldat était reparti en fermant la porte sans répondre. Sans nul doute qu'Ilhan lui avait réclamé de partir. Il pestait tellement en manquant de s'étouffer qu'Aldaron n'y prêtait plus trop attention. Il prit une autre serviette qu'il apporta près du bord de la baignoire : « C'est bon, j'ai compris, je vous attends dehors. » fit-il en riant toujours autant.

    Il traversa la chambre pour rejoindre le corridor, mais s'éloigner de son hôte n'avait rien de facile et lui demandait beaucoup d'énergie. Sans compter qu'il mettait de l'eau un peu partout, trempé comme il était. Il tâcha de se sécher du mieux qu'il le pouvait, même si au fond ce n'était que de l'eau parfumée. Il n'y avait pas mort d'homme. Poussa un soupir, il fut soulagé qu'une dame, qu'il ne connaissait, lui apporte une autre serviette. Il put continuer  de se sécher avant qu'on vienne le couvrir d'une belle couverture éponge blanche. « Je ne peux pas m'éloigner trop de mon hôte.... Vous savez ce que c'est quand on s'attache à nos petits vieux... On ose pas les laisser tout seuls, ils peuvent se casser une jambe ou se noyer dans leur propre baignoire, c'est tragique. » Il attacha son sort à cette dame qui le lui accorda, pour aller s'installer dans le bureau, assis dans un siège, humide mais recouvert. Il ne comptait pas rester ici très longtemps et s'il retirait ses vêtements, cela lui coûterait de l'énergie de les défaire de sa projection. Il s'occuperait de cela plus tard... Pour l'heure, il était bien au chaud près de la cheminée. C'était suffisant. Il porta son regard sur le jeu de dames, toujours en place, et bougea son pion dans la foulée.

    Quelques minutes plus tard, il relevait la tête en voyant Ilhan revenir. Il attachait son sort à son hôte tandis que la dame quittait le bureau : « Ah vous voilà Ilhan, vous avez fait vite. J'espère que vous avez quand même eu le temps de vous passer votre petite crème à l'aloe vera. » Il raillait, joueur, mais lui même avait l'air d'un saucisson humide enroulé dans un torchon de luxe. Il n'avait pas fier allure, mais il trouvait la vie trop courte pour ne pas s'amuser, surtout avec ce qui leur arrivait. « Je suis désolé, je ne sais pas dans quelle situation je vais me retrouver quand j'arrive. Je ne voulais pas vous mettre dans un tel embarras... » Il eut un sourire en coin : « Enfin, de mon côté, j'ai trouvé cela assez drôle et très honnêtement, vu ce que j'ai appris au sujet du siège du port de Sélénia, je chéris ces moments de joie sincère... Avez-vous eu plus d'information sur ces chimères ? Combien sont-elle ? Ont-elle attaqué ailleurs ? C'est préoccupant... Je suis en train de faire voile pour Caladon, mais il y a de fortes chances pour que je n'y reste pas éternellement et que j'organise promptement un voyage pour Delimar. Tryghild a-t-elle appelé à un Conseil de Guerre pour l'Alliance ou pas encore ? »

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Il sentit un corps plonger dans l’eau et un poids soudain sur lui. Aussitôt Ilhan se débattit, pris d’une panique sans nom. À la fois parce que, sous la surprise, il avait ouvert la bouche, et de l’eau s’infiltrait dans ses voies respiratoires le faisant soudain suffoquer, et parce que personne n’était censé faire irruption ainsi dans son bain. Dans SON bain ! Heureusement le poids se releva bien vite et se dégagea de lui. L’althaïen s’empressa de remonter à la surface en inspirant une grande goulée d’air. Et cracha tous ses poumons. Dès qu’il parvint à respirer sans que ses poumons ne le brûlent, il vociféra des imprécations contre le sinistre sire qui avait osé s’incruster ainsi dans son intimité. Comme jamais il n’avait vociféré. Et sans même prendre garde à l’ambiguïté de ses propos.

Il était bien trop accaparé à chasser ce bougre d’elfe qui lui avait fait une peur sans commune mesure, et qui lui infligeait une honte affligeante. Il tentait de cacher sa nudité en se coulant dans l’eau jusqu’au cou, mais en vain… le bain avait perdu toute sa mousse et un œil acéré ne pourrait que tout voir. TOUT ! Et maintenant le garde qui entrait sans frapper. Ilhan le fusilla du regard et lui intima d’un geste sec et péremptoire de sortir. Aux mots de l’elfe, Ilhan grogna un rugissement de fond de gorge qu’on ne lui connaissait guère. Il attrapa un savon et l’envoya valser contre la porte quand l’elfe sortit.

Quand enfin, il fut seul, Ilhan ne réalisa qu’à cet instant combien son coeur battait vite et semblait vouloir s’échapper de sa cage thoracique tant il martelait fort. Il sentit des réminiscences de vieux souvenirs le happer et dut fermer les yeux et faire appel à toute sa maitrise méditative pour retrouver un semblant de calme. Ce ne fut qu’au bout de longues minutes qu’il parvint à calmer la frénésie erratique de son palpitant. Il rouvrit les yeux et porta une main à sa joue, s’étonnant d’y sentir des traces de larmes. Il contempla son doigt imprégné de larmes d’un air étonné, presque songeur, puis se rabroua, en se rappelant que le maudit elfe devait l’attendre. Il espérait que l’épouse de Shan avait su prendre soin de son hôte forcé le temps qu’il soit prêt. Soupirant, il attrapa la serviette qu’Aldaron avait eu au moins la délicatesse de lui apporter, et s’extirpa de son bain, grognant quand ses muscles
crièrent leur douleur. Adieu bain apaisant et relaxant. La vie sociale le rappelait à l’ordre, à son plus grand regret. D’autant plus qu’il ne se sentait pas du tout en état d’esprit d’accueillir qui que ce soit en cet instant. Pas après une telle frayeur et de tels spasmes venant le hanter de son passé.

Avisant que sa chambre était libre et vide de toute personne inopportune, Ilhan s’y engouffra tout en se séchant rapidement. Il enfila un pantalon large noir, ainsi qu’une longue tunique en soie de couleur orangée, ourlée de noir et d’or le long des manches, qui lui tombait jusqu’au genou. Avisant son reflet dans un miroir, il s’essuya une dernière fois le visage d’un geste rapide puis se passa un rapide coup de peigne en plaquant ses cheveux en arrière. Il attrapa un petit flacon de parfum et en huma les flagrances en fermant les yeux. Son Althaïa s’imposa à son esprit et un sourire, enfin, fleurit sur ses traits tirés. D’un doigt il s’apposa une goutte de chaque côté du cou et enfin, après une profonde inspiration, il plaqua son plus beau sourire, et sortit, direction son invité.

Ce fut avec ce même sourire forcé, qui n’allait pas jusqu’à ses oreilles toutefois, qu’il entra d’un pas digne, de son port altier. Il ne releva pas la petite remarque taquine de l’elfe, qui l’agaça et l’amusa tout à la fois, et se contenta de lui adresser un regard austère. Et fatigué. Une fatigue, que, même avec toutes les peines du monde, il ne parvenait pas réellement à cacher. Il avisa que son hôte n’était pas dans une meilleure situation que lui, ainsi emmitouflé dans la serviette que son personnel avait dû lui offrir.

« Je suis désolé, je ne sais pas dans quelle situation je vais me retrouver quand j'arrive. Je ne voulais pas vous mettre dans un tel embarras... »

Un simple soupir répondit tout d’abord. La convenance aurait voulu qu’il nie avoir été dans l’embarras et que l’elfe ne le gênait en rien. Mais, il ne savait pourquoi, il n’avait pas envie de mentir, ni de vraiment faire semblant, ce soir. Pas après… ça. Pas alors que déjà d’autres images le hantaient.

Peut-être devait-il s’estimer heureux s’il faisait sourire l’elfe, songea-t-il, tout en offrant un sourire sincère teinté d’un brin de tristesse.

Il s’installa en face de son hôte et ne répondit pas de suite aux flots de questions, laissant son esprit s’évader quelque peu ailleurs, le fermant aux fantômes qui le hantaient, tout en achoppant du regard leur plateau de jeu. Négligemment, il bougea un de ses pions puis releva ses orbes sombres sur Aldaron.

Je suis honoré de vous avoir soutiré au moins quelques amusements.

Il fut étonné lui-même de l’absence de tout sarcasme dans ces mots-là. Il se surprit à les penser. Sincèrement.

Vous devriez vous défaire de vos vêtements. Je peux sans doute vous trouver de quoi vous vêtir plus chaudement et plus convenablement que ces reliquats trempés. Peut-être souhaitez-vous du thé pour vous réchauffer ?

Se disant, il se levait déjà et alla à la porte mander Dihya. Il souffla rapidement quelques mots à la jeune femme qui arrivait, lui demandant d'apporter des vêtements de grande taille et dignes de ce nom, ainsi que du thé chaud et de quoi se sustenter, puis revint à son hôte, se rasseyant devant lui.

Un autre soupire lui échappa, mais cette fois son regard perçant ne fuit pas.

Aucune information autre que celles que vous avez déjà dû avoir. Malheureusement non. Et ce n’est pas faute d’avoir eu des informateurs aiguisés qui ont tenté d’en soutirer.

Inutile de cacher qu'il avait des informateurs, ce serait faire offense à l'intelligence de la Triade. Tous deux jouaient à cache-cache, mais au fond chacun savait qui ils avaient en face d'eux.

Je subodore que Sélénia n’en sait pas plus malheureusement non plus. Nous n’avons pas déploré d’autres conflits aussi marqués ailleurs, mais il se murmure que des chimères parviennent à prendre possession de certains corps par petits groupes et quelques escarmouches sont à déplorer un peu partout sur Calastin, même si plutôt dans les endroits isolés, mal défendus. Il est difficile toutefois d’avoir un chiffre précis en la matière. Toutes les données sont souvent informelles, sans aucune précision utile.

Il s’arrêta un instant, son regard se faisant vague, avant qu’il ne replonge dans les perles d’émeraude de l’elfe.

Delimar est effectivement sur le pied de guerre, sous la charge particulière du Général Sigvald Elusis et de l’Amiral Nyko Svenn. Même si nous devons faire front également contre le fléau des Ekinoppyres sur Cordont. Un fléau qui se fait de plus en plus envahissant. Je pense que vous avez déjà eu quelques comptes-rendus à ce sujet ?

Il pencha soudain la tête sur le côté et fronça les sourcils, alors qu’une question lui venait tout d'un coup.

Ainsi, vous pensez venir séjourner à Delimar et ne pas rester à Caladon ? Caladon doit aussi être en plein préparatifs de guerre, n’est-il pas ? Ne comptez-vous pas les superviser ?

Pourquoi diantre l’elfe viendrait à Delimar ? Pour une visite de mise au point sur la guerre ? Alors qu’il lui suffisait de se "téléporter" comme il le faisait ? Qu’est-ce que cela cachait encore ?

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    Ilhan lui paraissait bien affecté. Plus qu'une personne normale n'aurait du être pour un peu de peau dévoilée. Il savait néanmoins que quelque chose de cet ordre s'était joué dans l'histoire du conseiller et il n'aimait pas sa position de bourreau. Lui-même n'aurait pas apprécié qu'on remue le couteau dans la plaie de Morneflamme. « J'aurais préféré que la joie soit partagée. » répondit-il calmement mais tout aussi sincèrement. Il ne lui en voulait pas d'être malheureux et touché. Il aurait néanmoins préféré que le sujet de l'hilarité soit quelque chose qui les rassemble. La guerre approchait : les incidents avec les chimères, ici et là, n'étaient que les prémisses de quelque chose de monstrueux qui allait leur tomber sur le coin de la figure. Ils avaient si peu de temps pour être heureux. « Il n'est pas utile de me chercher des vêtements sec... » fit-il pour l'arrêter dans sa démarche inutile. « Prendre ou défaire des objets de mon corps me coûte en énergie et je ne voudrais guère la dépenser pour quelque chose que je pourrai faire une fois revenu dans mon véritable corps. Je n'ai pas froid, cette couverture et le feu de la cheminée me sont d'un grand réconfort. Et puisque vous me le proposez, du thé me ferait plaisir. Je vous remercie de votre bienveillance » Un excellent thé chaud pour se protéger du froid.

    Une réaction nerveuse, dans le coin de ses lèvres, le fit brièvement sourire à l'évocation des informateurs aiguisés dont disposait l'althaïen. Ils avaient beau jouer l'un avec l'autre, il ne doutait pas d'Ilhan. Il n’avait rien de stupide pour ignorer la Triade, tout comme il ne pouvait ignorer le Tisseur. Ils auraient pu faire une si belle équipe s'il n'avaient pas joué dans ses équipe différence. Il acquiesça brièvement au sujet des ekkynopyres. Il avait bien entendu parler de ces choses et comme les couronnes de cendres et la licorne, cela devrait attendre qu'il survivent à une menace de plus grande ampleur : les chimères. Les dernière question d'Ilhan lui arrachèrent un sourire en coin : « Décidément, vous avez le don pour mettre le doigt là où il faut. » Il accepta la tasse de thé qu'on lui servait et ne tarda pas à en savourer une gorgée réconfortante. La remarque soulignait l'estime qu'il avait pour son interlocuteur et ses capacités. Une homme remarquable, vraiment. « Mon Conseil a reçu des directives, et je resterai en contact avec eux. Caladon aura tout ce qu'il lui faut lorsqu'il le faudra. » La maîtrise de la Triade et ses multiples seconds pour faire le travail à sa place lorsqu'il s'absentait.

    « Mon fiancé est une personne très protectrice. Lorsque nous devions nous rendre à Aerthia après les événements de Licorok, Ivanyr a refusé que je le suive. Je n'ai pas compris au début, parce qu'il aurait besoin de moi, il n'était pas Achroma et cela n'était pas qu'une question de sécurité... Mais je m'étais trompé. Seithvelj est toujours là pour le guider dans cette voie et Ivanyr refusait qu'il m'arrive quoique ce soit. Vous comprenez ? Il préfère me laisser en arrière plutôt que de me laisser courir le moindre risque. Il est Achro... » Achro ou accro ? « Accro à moi. A nous. » Et il lui en rendait grâce. Sa bienveillance était salvatrice et attentionné mais Aldaron refusait d'être une poupée qu'on enferme à l'abri dans un donjon. L'elfe poussa un long soupir : « Vous connaissez l'histoire du règne d'Ehrïs Psehltrion ? Lui et sa sœur ont marché ensemble à la conquête du trône. Tant qu'ils agissaient de concert, ils étaient une tempête que rien ne pouvait arrêter. Mais quand est venu le moment de poursuivre des objectifs personnels, les choses ont commencé à déraper. Lorsqu'elle s'est retrouvé seule, inséparable tronqué, elle a enfermé l'essence d'Erhïs dans une lance, parce qu'elle était incapable de vivre seule. Ce n'est pas écrit dans l'histoire, mais je le sais puisque j'ai retrouvé cette lance et je peux vous assurer que sa vue me révulse. Pour survivre à sa solitude, elle a gardé Erhïs captif. Mais maintenant que c'est elle qui est morte... C'est lui qui est seul et c'est quelque chose que je ne compte pas expérimenter un jour. »

    Cela lui faisait froid dans le dos. Il refusait finir en pareil état. Il aurait trouvé le moyen de faire revenir Ivanyr ou il se serait donné la mort. « Ivanyr ne voudra pas que j'aille me battre, dusse-t-il m'enfermer quelque part pour rester à l'abri.... Mais je ne peux pas. Je ne peux pas rester en arrière, je n'ai jamais été ce genre d'homme, jamais. Mais puisque le destin semble vouloir que nous affrontions cette guerre sans être l'un avec l'autre... Alors je ne me contenterai pas d'attendre de savoir s'il va mourir au front ou non. S'il y a bien un endroit où il n'ira pas me chercher, c'est à Délimar. C'est pour cela que j'ai fait le choix de me joindre à Tryghild afin que nous coordonnions les efforts de l'Alliance dans cette ultime bataille... » Il leva son regard vers Ilhan, la tristesse napée dans le fond de ses prunelles : « La seule chose que je regrette, c'est qu'en ces derniers instants face à l'ennemi, nous ne soyons pas ensemble. Et qu'il me faille passer outre la volonté d'une personne qui m'est chère pour défendre des valeurs qui me sont tout aussi chères. Le choix était cornélien...  Mais je ne peux pas ne rien faire. Je prie pour que notre histoire ne tourne pas au drame, les Inséparables ont tendance à faire des choses stupides quand ils n'agissent pas de concert. »

    Il se pencha en avant pour avancer un pion sur le plateau avant de s'enfoncer à nouveau dans son assise : « Où serez-vous pendant la bataille ? » demanda-t-il, curieux.


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« J'aurais préféré que la joie soit partagée. »

Oui, il l’aurait aimé aussi. Et pourtant ce n’était pas faute de se réjouir, sincèrement, de revoir l’elfe. Et ce malgré les révélations troublantes de leur dernière entrevue. Mais il avait beau essayer, y mettre toute sa volonté, il se sentait incapable en cet instant, de chasser ses ombres, cette brume poisseuse qui lui collait à la peau depuis tant d’années. Et la culpabilité de ternir la petite joie éphémère de l’elfe vint alourdir son coeur d’un poids délétère. Il se força à sourire toutefois, même s’il sentit son rictus bien trop assombri pour parvenir à imiter une quelconque joie.

« Décidément, vous avez le don pour mettre le doigt là où il faut. »

Cette fois son sourire s’élargit un peu, même si aucune gaieté n’en irradia. Ni même de jubilation. Juste un petit sourire de contentement. Il prenait cette petite phrase comme un compliment venant de la Triade. Pour tout avouer, il s’estimait un brin flatté de jouer en confrontation avec un tel personnage. Lui, humain éphémère, pouvoir se targuer d’affronter en un jeu d’ombres et de lumières la Triade, si célèbre pour tous ses hauts faits… Oui, c’était pour lui une sorte d’honneur. Et il se faisait une joie de relever le gant pour affronter dignement cet adversaire allié, cet ami rival, en un tout mêlé.

Il but lui-même quelques gorgées de thé bienvenues tout en écoutant les explications qu’on lui offrait d’une oreille attentive. Il en profita pour observer d'un œil perçant son interlocuteur, comme cherchant tout indice, toute trace, que son corps pourrait lui donner. Même s’il n’était pas le plus affiné à ces jeux-là, il avait appris à lire quelques gestes corporels, à décrypter le langage du corps tout autant que celui des mots. Mais en cet instant il ne décela ni duperie ni fourberie. L’elfe semblait se révéler réellement, sans chercher à lui mentir. Il lui était étrange d’entendre parler du millénaire, d’Ivanyr et d’Achroma, comme deux personnes différentes. Mais après tout, cela faisait sens… Au petit lapsus et… accroc… que fit l’elfe, Ilhan ne put que laisser un sourire amusé lui échapper. Les paroles de l’elfe apaisèrent son agitation première et lui apportèrent une chaleur insoupçonnée, alors que la teneur de ses propos n’avait pas lieu de lui inspirer tel sentiment.

Peut-être simplement le fait de se concentrer sur autre chose que lui-même, songea-t-il. Peut-être s’attacher à la peine, l’affliction d’un autre, plutôt que se focaliser sur la sienne propre. Peut-être était-il un peu trop égocentrique pour s’ancrer ainsi dans sa douleur sans parvenir à s’en détacher, s’en extirper réellement ? Toutes ces ombres n’étaient plus que du passé, il lui fallait tourner la page. Arrêter de pleurer sur son sort et se tourner vers celui des autres peut-être ? Pour autant, il se savait prompt à se tourner vers les autres, à leur tendre une main pour les aider, à les épauler, les guider, à compatir avec eux. Mais… peut-être n’était-ce pas assez ? Sans doute devait-il arrêter de s'attarder sur ses douleurs passées…

Le nom de Psehltrion l’arracha soudain de ses pensées tourbillonnantes. Il acquiesça d’un hochement de tête. Oui, il le connaissait, un ancien conte. À la fois beau et triste. Un peu sinistre. Il frissonna à l’idée de la mort d’un inséparable. Oh oui il comprenait. Il n’avait pas été inséparable avec son épousée, et pour autant sa mort l’avait laissé anéanti. Il n’osait imaginer la torture que cela devait être pour un inséparable alors.

Et la suite fit également écho en lui. Que quelqu’un en qui vous teniez vous impose de ne pas aller vous battre, quand tout votre être vous criait d’y aller ! Qu’il était étrange qu’une fois encore il partage, en quelque sorte, ce vécu. D’un air grave, Ilhan hocha la tête, en un silence soudain lourd de sens.

Je compatis, fit-il enfin d’une voix profonde et grave.

Il laissa ses accents althaïens chanter pour lui. C’était là sa véritable voix. Il savait les gommer à volonté, mais en cet instant il n’en avait nulle envie. Il voulait que ce soit lui qui parle. Lui, Ilhan. Lui, l’althaïen.

À la question, il baissa les yeux sur le plateau et bougea son pion de façon presque machinale. Un lourd soupir lui échappa. Où serait-il ? Un sourire désabusé s’étira sur ses traits fatigués.

Ma Reine ne veut pas de moi non plus au combat. Je comprends en soi. Je ne suis pas un guerrier. Je ne sais pas me battre, je n’ai jamais appris, n’ai jamais su et mon corps n’est pas adapté à cela. Je n’ai ni l’endurance d’une Ékinoppyre ni la force d’un Golem. Tenir une épée est un véritable défi pour moi. En sont pour preuve mes courbatures de ce jour après un entrainement intensif, et désespérant, auprès de Sigvald. J’aurais pensé toutefois avoir assez de volonté et d’ingéniosité pour y avoir ma place… Mais apparemment je suis trop précieux pour que je risque ma vie là-bas. Ma Reine m’a ordonné de rester ici, de veiller sur la cité, de former ses enfants à prendre la relève s’il lui arrivait malheur, de les soutenir et de veiller sur eux pour l’avenir.

Il releva alors des yeux sombres teintés de larmes encore non versées.

Mais quel avenir avons-nous réellement ? Suis-je donc condamné à voir la mort arriver sans rien faire, sans avoir la chance de tenter moi aussi de l’affronter dignement ? Car c’est là ce qu’on me demande en fait.

Il posa abruptement sa tasse de thé, qui se renversa et se brisa, tant le geste fut brusque. Mais faisant fi des bris de porcelaine, il se leva, manqua marcher de ses pieds nus sur l’un d’eux. Il n’en eut cure toutefois et se dirigea vers la baie vitrée, plongeant son regard dans l’obscurité de son petit jardin.

Je ne veux pas revivre ce que j’ai vécu à Fort Espérance. Je ne veux pas voir tous les miens mourir, je ne veux pas apprendre que Tryghild ou Sigvald, ou qui sais-je, sont morts, et que moi je n’ai rien fait. Sans doute ne pourrais-je rien faire, mais… Un cauchemar me hante, une ultime bataille, où je les vois mourir, impuissant… Je ne veux pas le voir se réaliser. Je ne veux pas… Je ne veux pas attendre que la mort me cueille, les bras ouverts, les yeux fermés, sans rien avoir essayé. Sans rien pouvoir faire. Sans compter…

Un sanglot lui échappa qu’il parvint à écourter.

Althaïa n’est plus, les chimères l’ont décimé. J’en suis le dernier Seigneur vivant. Nous ne sommes plus qu’une poignée de rescapés, perdus et affligés, une espèce en voie de disparition qui bientôt ne sera plus. Moi, Seigneur d’El’Althaïa, me dois de les servir encore une dernière fois. Je me dois d’honorer leur mémoire, et de donner jusqu’à mon dernier souffle pour qu’ils ne soient pas morts en vain, dans la honte et l’oubli. Althaïa se doit d’être à cet ultime combat, qui sera sans doute notre dernier, et son Seigneur se doit d’y être aussi. Même si je ne sais encore comment j’irais. J’ai demandé aux Baptistrels de les accompagner. Mais cela m’a été refusé aussi. Même eux…

Il ne finit pas sa phrase. Il sentit un étau lui comprimer le coeur et dut faire un effort pour se retenir de laisser sa peine, sa douleur ou sa colère, il ne savait plus, éclater devant son invité.

Il se tourna alors vers l’elfe et pencha la tête légèrement de côté, comme songeur et perdu. Comme si, soudain, lui venait une idée…

J’ai écouté vos conseils, le saviez-vous ?

Oui, il sautait du shibi à la licorne, il en avait vaguement conscience. Son discours devait paraître décousu soudain. Il sentit alors le besoin d’approfondir sa pensée, toute chaotique qu’elle puisse être elle-même.

À Cordont. Quand vous m’avez demandé de parler, de m’ouvrir. D’apprendre à faire confiance. J’ai tenté de suivre ces conseils. Je ne puis prétendre être devenu un parangon de confiance, ce serait mentir, mais… Je me suis un peu ouvert à quelqu’un. Bon, pour tout avouer, il s’agit d’une personne rencontrée en rêve, vous allez sans doute me rétorquer que cela ne compte guère. Pour autant, me concernant… C’est déjà un grand pas. Elle a vu des choses me concernant…

Un frisson lui courut le long de l’échine et le fit trembler de tous ses membres.

Ces mêmes choses qui me hantent depuis tant d’années. Depuis plus de quinze années. Des choses que j’avais enfouies en moi, croyant pouvoir les calfeutrer à jamais dans les labyrinthes de mon esprit. Des choses que je pensais sceller dans un coffre-fort inaccessible en lui pour mieux les oublier à jamais, et les réduire au silence pour l'éternité. Mais c'était me leurrer. Elles reviennent me hanter de façon inopinée et aux plus mauvais moments. Comme tout à l’heure. Je vous prie d’ailleurs de m’excuser de mes… invectives outrageuses… qui ont dû vous sembler bien… discourtoises. Et surtout disproportionnées. Et elles l’étaient. La faute à ces ombres du passé. Ma faute aussi, de ne pas avoir voulu les affronter et les gérer comme je l’aurais dû. Les années passant, elles sont devenues au final plus fortes et bien plus âpres à…

Il déglutit, et cette fois une larme glissa sur sa joue sans qu’il ne parvienne à la retenir.

Pardonnez mes digressions. Toujours est-il que je vous ai écouté.

Il essuya d’un geste presque rageur la trace humide qui trahissait son trouble et reprit, tentant de faire comme si de rien n'était. Sans y parvenir. Ce qui ne lui ressemblait guère.

Et j’ai décidé de tenter de faire confiance. De vous faire confiance aussi. J’ai entendu vos paroles lors de notre dernière rencontre. J’ai gardé mes sombres doutes, mes suspicions les plus noires pour moi. Je ne vous cache pas que je mouds mon grain… et je subodore que vous savez comment je le mouds.

En disséminant des espions ici et là.

Mais tant que je n’aurais pas d’informations avérées, tant que je n’aurais pas descellé toutes les possibles vérités cachées, et je pense bien qu’il y en a en grand nombre, je garderais mes doutes pour moi, autant que faire se peut. D’autant plus que…

Il s’humecta les lèvres, hésitant à révéler ce qu’il pensait. Mais n’avait-il pas parlé de confiance ?

D’autant plus que je pense avoir su vous cerner. Si vous avez revêtu un masque sombre, j'aime à penser que ce doit être pour une bonne raison. J’aimerais avoir l’honneur de la connaître un jour.

Réalisant qu’il devenait de plus en plus confus, que ses propos se décousaient plus encore, il leva une main comme chassant un insecte gênant.

Mes propos vont, et viennent, sans queue ni tête, j'en suis profondément désolé. Cela ne me ressemble pas. La fatigue sans doute…

Son trouble précédent aussi n'y était pas pour rien. Et la fourbure de tous ses muscles qui s’écriaient de devoir encore marcher. Il se rassit alors dans son siège en grognant quand il marcha sur un morceau de porcelaine.

Fichtre.

Il le retira d’un coup sec, et grogna sous la douleur, mais posa simplement le morceau sur la tablée, et ignora son pied légèrement ensanglanté. Même si la douleur l'élançait doucement mais sûrement.

Je parlais de confiance. D’une confiance que j’ai voulu placer en vous. En partie du moins. Je ne sais comment me rendre à cette bataille. Mais il me faut y aller. Il me faut y être. J’en assumerai toutes les conséquences, mais je ne peux rester en arrière en un moment aussi fatidique. Quelque chose m’appelle. Je ne sais quoi, vraiment, ni pourquoi, mais c’est là.

Il désigna son coeur.

Quelqu’un m’a dit, ce quelqu’un en rêve, d’apprendre à écouter mon coeur. Qu’il fallait parfois suivre son coeur plus que sa raison. Je ne sais s’il était dans le vrai. Mais… pour cette bataille, je me dois de suivre ce besoin viscéral. Aussi stupide et égoïste puisse-t-il paraître. Si les miens doivent mourir, alors je mourrais avec eux, en leur apportant un peu de force et de dignité.

Il happa le regard de l’elfe et hésita quelques instants, avant d’enfin se lancer.

Je ne sais si j’ai le droit de vous demander cela. Vous pouvez refuser, je ne m’en offusquerai pas. Mais… pensez-vous pouvoir m’aider ? Du moins, m’aider à trouver une solution pour m’y rendre ?

Et de nouveau les larmes revenaient, traitresses et honteuses.



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    Sa compassion le touchait, autant qu'il la sentait sincère. Il était pourtant si aisé de mentir sous des sourires mielleux, Aldaron en était lui même un très grand adepte. Il n'en blâmait pas ceux qui s'en servait. La politique le réclamait, autant qu'il aurait préféré pouvoir parlé franchement avec les siens, tout comme il le faisait en l'instant avec Ilhan. L'elfe acquiesça d'un signe de tête discret, mais qui le remerciait de cette commisération... Car en vérité, il ne pouvait pas véritablement compatir ou comprendre. L'Inséparable était terriblement au delà de toute mesure, au delà de l'imaginable. Il n'avait aucune idée d'à quel point cela lui brisait le cœur d'avoir à choisir entre la volonté de son fiancé et la sienne. Le trahir, c'était se trahir lui-même. Et se trahir, c'était trahir tout le vœux de bonheur qu'Ivanyr rêvait pour lui. Il saluait néanmoins la volonté de l'althaïen d'entrevoir un ersatz de ce qui pouvait le tarauder en son sein. La réponse à sa question ne l'étonna pas. Délimar était dirigée par d'anciens glacernois qui ne voyaient que la force brute des muscles sur un champ de bataille. Ils étaient éduqués pour cela depuis leur plus tendre enfance. Même si certains se montraient plus ouvert que d'autres, il était assez rare qu'on accepte de croire en la puissance d'un mage, même sans grande prétention, ou d'un esprit vaillant pour affronter les chimères.

    Il comprenait la déception d'Ilhan, tout comme il comprenait aussi l'espoir de Tryghild en agissant de la sorte. La Dame Loup ne savait pas si elle en sortirait vivante et elle désirait le meilleur qu'il soit pour son fils, dans le cas où elle venait à disparaître. Lui-même avait acté bien des directives pour l'avenir de ses enfants. Eleonnora, à la tête de Caladon. Celëborn et Valmys auraient ce qu'ils désiraient, s'ils survivaient également car il ne doutait pas que ces deux êtres soient sur la bataille. Quant à Cirth, il avait pris des dispositions, par le Marché Noir, mais cela avait également nécessité que de précieuses personnes restent en arrière du combat pour mener à bien ces ambitions, sans lui. A en croire les larmes qui perlaient dans les yeux d'lhan, il n'y avait pas de place au doute quant à l'authenticité de son affliction. Cela le bouleversait. L'elfe sursauta légèrement lorsque la tasse fut abruptement posée. Non pas qu'il fut particulièrement surpris de l'acte en lui-même. C'était plus l'auteur de l'acte qui le surprenait. L'althaïen s'était toujours montré d'une mesure très pointilleuse. Il avait, dans ses gestes, la maîtrise qu'ont les grands de ce monde, parfaitement calculés. Les émotions ne passaient jamais au travers de son masque marbré. Sauf aujourd'hui. C'était inattendu autant que glorieux. Parfois, les plus beaux instants résidaient dans ces cristaux purs où l'Homme mis à nu de son apparat s’exprimait en toute franchise, en fiertés et en brisures.

    L'elfe baissa les yeux, détournant le regard, craignant d'avoir vu plus que ce que la dignité de cet homme permettait de déclarer, en cet instant de faiblesse. C'était par respect pour lui qu'il avait cessé de le mirer, ne trouvant nul plaisir dans la contemplation de sa souffrance exhibée sans le vouloir. Il l'estimait bien assez pour lui redonner sa réserve égarée. Tête basse, il l'écoutait attentivement déverser le flot de sa peine, sa frustration. L'envie de se rendre sur le champ de bataille n'avait rien d'une toquade. C'était bien plus que cela, c'était viscéral. Il pouvait comprendre, là aussi. Jadis il avait été un marchand que rien n'aurait du mener sur les champs de bataille. Le Marché Noir avait besoin de son ingéniosité et de son charisme, pas qu'il aille manquer de mourir dans un combat. Mais il y avait eu Achroma et avec lui, ce désir brûlant de ne pas rester en arrière quand il pouvait faire mieux. Quand il pouvait se battre pour tout ceux qui comptaient pour lui. Il avait payé ce désir au prix fort, dans la prison de Morneflamme, mais il ne parvenait, malgré l'horreur, pas à regretter son dévouement et sa volonté. Désirer se battre, c'était quelque chose de poignant dans lequel s'investir coûtait beaucoup... Mais quand on avait goûté à la satisfaction d'avoir bien fait, d'avoir donné de soi pour sauver d'autres, on ne comptait plus. On oubliait que ce risque avait une valeur considérable. Précieuse.

    Lors qu'il perçut dans son extrême champ de vision qu'Ilhan s'était retourné vers lui, il redressa sur l'humain ses prunelles tristes, affectées, d'un vert aussi riche que l'émeraude. Le discours était décousu, mais un sourire apparaissait dans le coin des lèvres du bourgmestre lorsque le conseiller lui confirma l'avoir écouté. Il était satisfait, non pas parce qu'on l'avait suivi, mais parce qu'il était certain que le geste ne pouvait que lui faire du bien et le guérir des maux qui le rongeaient. Il se retrouvait beaucoup en lui, sur certains points. Comme un miroir de souffrance et d'histoire. De caractère aussi. Et il voulait qu'il s'en sorte. Un homme aussi brillant que lui ne pouvait tomber sous le poids de l'horreur, il devait tenir bon. Il se satisfaisait de savoir qu'Ilhan avait fait confiance à une personne pour vider son sac et exprimer le fond de sa pensée. C'était un grand pas en avant qu'il applaudissait. Autant qu'il s'en trouvait soulagé de le voir accepter de lui faire confiance à lui aussi,tant en l'instant que pour tout ce que la Triade pouvait bien tramer dans l'ombre.

    Il se mordit la lèvre lorsque qu'Ilhan vint à se blesser, et grimaça en le laissant retirer le morceau de porcelaine. D'un doigt placé sous son œil, Aldaron tâcha de visualiser s'il y avait encore un morceau de bris dans la chair. Il aurait été maladroit de la refermer sans vérifier qu'il n'emprisonnait pas quelque chose qui torturerait le pauvre Ilhan. Il savait que ce n'était pas une utilisation très conventionnelle du sort de perception de contenu.... Mais il avait vu, jadis, Dawan faire ainsi... Et Dawan et les conventions... L'important, c'était qu'il pouvait ainsi vérifier l'état de son patient du soir, puis, sans attendre, il tendit l'un de ses mains vers ce pied, paume vers la blessure et d'un sort de magie humaine, il veillait à ce que cette plaie soit refermée... Jusqu'à ce que la demande d'Ilhan tombe et arrache un sourire amusé à son visage frappé de compassion. « Vous me demandez vraiment si la Triade est capable faire placer une personne clandestinement au travers de la frontière de l'illégalité et de l'interdit ? » L'humour était doucement dosé, sans excès ni manque, pour chasser les spectres de la peine qui frappaient l'althaïen. Sa réputation n'était plus à faire, en la matière. A l'ère de la Théocratie, la Triade, jadis composée de son frère, sa sœur et lui, extradaient des protégés hors du territoire théocrate. Des bipèdes, autant que des vivres ou des armes. Quand on entendait le nom de la Triade, on ne pouvait jamais oublier qu'ils pouvaient faire passer tout et n'importe quoi, où ils voulaient, et au nez et à la barbe des autorités. Impunément. Parce qu'ils étaient doués pour cela et qu'ils savaient s'entourer de personnes de confiance. Réussir ce tour de passe-passe serait presque un jeu d'enfant. S'il le voulait. Car le pouvoir, ça s'était facile. Le vouloir, c'était aussi accepter de se mettre Tryghild à dos mais...

    Mais il avait promis qu'une aide serait toujours apportée à celui qui la demanderait à la Triade et il ne comptait pas mentir cette affirmation, cette main qu'il avait tendue, à Cordont, vers Ilhan. Il n'avait pas l'intention de la retirer maintenant, de revenir sur ses mots. Il veillerait néanmoins à ce qu'Ilhan en paie l’entièreté. Cette décision lui revenait et si Aldaron acceptait de lui prêter son aide, il s'en laverait les mains par la suite. Il se doutait bien que le diplomate le savait déjà. Une fois le pied guéri, l'elfe apposa une main sur l'épaule d'Ilhan, en se penchant en avant : « Je vous aiderai, bien sûr. Si vous êtes certain de ce que vous vous apprêtez à faire. Les ombres du passé vous animent et vous poussent à payer une dette. C'est noble à vous de la respecter, tout comme il est dangereux de vous endetter également sur l'avenir. Vous risquez de vous mettre Tryghild à dos, de compromettre votre partenariat et je ne pense pas que c'est ce que vous voulez... » Tout comme continuer de vivre avec ce manque, ce loupé n'était pas une option viable. « Cruel choix que tout cela. Mais si... Si vraiment cela ne se solde pas correctement, vous pourrez toujours trouver mon aide à Caladon... Ou ce qu'il restera de moi là-bas. » Il ne savait pas ce qu'il adviendrait de lui, dans la bataille, mais le Marché Noir accueillerait le Tisseur s'il devait s'exiler. Si Tryghild ne voulait le pardonner. Le temps ferait eut-être assez bien les choses. Il l'espérait. Il ne voulait pas que les rêves d'Ilhan se brisent, il voulait simplement lui assurer qu'il aurait un endroit où se reposer, au cas où.

    « Je programmerai sûrement ceci au dernier instant, je vous ferai connaître les détails en temps et heure pour ne pas que cela filtre malencontreusement. Quitte à ce que vous baviez des conséquences de votre décision, mieux vaut que ce soit en ayant accompli ce pourquoi vous le faisiez. Vous savez percer à jour les secrets des autres... » Il n'en doutait pas. Ilhan le sous-entendait autant qu'Aldaron le faisait pour le Marché Noir. Il savait comme Ilhan pouvait moudre, du moins le supposait-il. Un homme aussi brillant qui s'était mis pour but de percer les secrets du Marché Noir... Était soit stupide, soit le Tisseur et Ilhan n'avait rien d'un homme stupide. S'il l'avait laissé avec tant de croyance à son égard, c'était bien parce qu'il était assuré qu'Ilhan était capable de découvrir tout ce qu'Aldaron était capable de cacher. Le Tisseur était extrêmement doué et il fallait un homme de son envergure pour percer un secret que le Tyran Blanc n'avait pas réussi à agripper. « Moi, je m'occupe de les cacher... » Tout comme il tairait ce qui s'était produit ce soir : cela n'avait jamais eu lieu. « J'espère que vous n'êtes pas claustrophobe ? » Il songeait vaguement à une histoire de caisse. Il faudrait qu'il peaufine le projet. « Je vous félicite d'avoir trouvé le moyen de parler de ce qui vous ronge. Je crois que c'était la meilleure décision que vous puissiez prendre, la plus courageuse aussi, eu égard de ce que traversez en l'instant. Je crois qu'il n'y a pas plus douloureux que d'ouvrir son cœur pour exposer au regard d'un autre toute sa souffrance la plus profonde. » Il était passé par là, lui aussi, avec Ivanyr. Cette nuit avait été longue, épuisante et pleine de larmes.

    « Je vous remercie de la confiance que vous m'accordez également et vous avez raison. Il y a un masque sombre et il y a une bonne raison. Morneflamme m'a révélé une partie de moi particulièrement monstrueuse. Honteuse. Elle m'effraie moi-même, parfois, lorsque je vois ce dont j'ai été capable, ce dont je suis encore capable. Vous et moi, nous sommes comme cette tasse... Brisés. Et il ne tient qu'à nous ne ne pas laisser traîner nos débris tranchants au hasard. Car nous sommes capable de faire beaucoup de mal... Ou beaucoup de bien. En ce monde, il n'y a pas d'un côté, le bien et de l'autre, le mal. Il y a une part de lumière et d'ombre en chacun de nous. Ce qui compte c'est celle que l'on choisit de montrer dans nos actes, ça c'est ce que l'on est vraiment. En vérité, je suis heureux que ce soit vous, le seul à même de discerner ce qui se joue dans l'ombre. Parce que vous êtes capable de comprendre l'humanité. L'humanité dans toutes ses erreurs et ses doutes. Dans tout ses paradoxes et ses choix impossibles. Dans tout ce qui va au delà des apparences. » Il n'allait pas plus loin, persuadé qu'Ilhan comprendrait qu'il était dans le vrai lorsqu'il disait que l'elfe tâchait d'agir pour de bonnes raisons... Du moins, le pensait-il. « Oui... Je m'estime chanceux que ce soit vous. Gardez foi. En l'avenir et en vous. On pourra tout vous blâmer pour votre choix, on pourra vous dire que c'était égoïste ou stupide mais... Il n'y a qu'un seul Ilhan Avente en ce monde. Tout comme il n'y a qu'un seule Aldaron Triade ou une seule Tryghild Svenn. Aussi important que puisse vous sembler ce que pensera votre Reine de vos actes, elle ne pourra jamais aussi bien vous connaître et vous juger que vous-même. »

    Tout comme personne ne pourrait jamais mieux connaître Aldaron Triade, sinon lui-même, mais il comptait sur la justesse d'Ilhan pour arriver à discerner tout cela. Il se pencha en avant, pour bouger son pion, conscient qu'Ilhan menait une danse agressive, en jeu et qu'il ne lui restait qu'à suivre ses attaques, en palliant au mieux pour ses propres intérêt. Ce plateau de jeu, c'était comme le Marché Noir, Aldaron savait qu'Ilhan en viendrait à bout. « Souhaitez-vous que je me retire, pour ce soir ? » Pour le laisser se retrouver avec lui-même, et reprendre ses esprits. Ils pourraient parler une autre fois, sans aucun doute. Il n'avait qu'un mot à lui dire. Il déposa délicatement sur la table une bourse d'or en paiement des taxes de sa visite et de ses sorts.


descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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Tout à son discours, il ne fit pas réellement attention aux gestes de l’elfe et fut donc assez surpris de le voir lui tendre la main vers son pied. D’abord étonné, il manqua reculer, quand, enfin, compréhension se fit en son esprit. L’elfe voulait le soigner. Il connaissait le sort pour l’avoir déjà vu à l’oeuvre, notamment par Dihya, même s’il ne le pratiquait pas vraiment lui-même. Il se laissa donc faire, bien que fort gêné de cette situation et de cette position.

« Vous me demandez vraiment si la Triade est capable faire placer une personne clandestinement au travers de la frontière de l'illégalité et de l'interdit ? »

Oui, non, il ne demandait pas s’il pouvait faire cela, pas réellement. Il savait ce dont la Triade était capable, il en avait après tout usé (et abusé ?) pour faire passer certaines informations, personnes, voire pour extraire des araignées en danger. Sans la Triade en ces temps compliqués, nombre d’araignées seraient mortes pour trahison ou pire. Il se souvenait de cette fois où un passeur leur avait fait faux bond, et pire avait manqué les trahir. La Triade avait su, il ne sait comment, et avait retrouvé l’araignée avant qu’elle ne tombe dans le piège et l’avait extraite au nez et à la barbe des impériaux de Fabius, in extremis. Oh oui, il savait que la Triade était capable de le faire passer en douce.

Non, ce qu’il demandait vraiment, c’était si l’honneur et l’équité de la Triade le pouvaient. Car oui, contrairement à ce que certains pensaient, le Tisseur se doutait bien que le Marché Noir avait lui aussi son éthique propre. Certes, elle était très différente de celle de la Toile, mais elle n’en était pas moins noble. Les deux  groupuscules avaient des buts bien ancrés, bien définis, et oeuvraient pour façonner activement le monde. Et ce qu’ils voulaient façonné n’allait pas forcément en contradiction d’ailleurs. Ils utilisaient des moyens différents, mais savaient se fondre dans l’ombre et user d’artifices parfois douteux pour parvenir à leurs fins, certes plus nobles ou plus glorieuses, mais qui n’en avaient pas moins nécessité quelques noirceurs, se parant d’une gangue de gris tout en nuance.

Mais Ilhan était persuadé que la Triade avait parfaitement compris cette petite nuance, cela serait faire insulte à l’intelligence de l’elfe, et qu'elle se moquait, sans méchanceté, de lui. Il pinça alors quelque peu les lèvres face à la boutade et retint un commentaire cynique. Il ne retint pas toutefois un soupir de soulagement quand l’autre accepta.

S’il était certain de ce qu’il s’apprêtait à faire ? Oui. Plus que oui, acquiesça-t-il en silence, la mine sombre. Il s’apprêtait à désobéir, un acte de trahison potentiel dans nombre de royaumes, un acte de trahison de confiance envers sa Reine que pourtant il avait juré, il s’était juré, de servir. Malgré cela, au fond de lui, il était certain de devoir y aller, de devoir y être. Un appel indicible que vous ne pouviez ignorer. Oui il s’endettait pour l’avenir. Pour l’avenir à court terme du moins. Mais il savait que cet endettement était nécessaire. Il devait d’abord clôturer ses dettes du passé, afin que les siens et lui puissent, enfin, comme les autres peuples, se tourner pleinement vers l’avenir.

Il écouta toutefois l’elfe jusqu’au bout, presque avec avidité. Ancrant en sa mémoire chaque mot, autant que faire se pouvait, comme il avait tant pris l’habitude de le faire. D’écouter lui permit de juguler un peu le flot d’émotions qui l’avait submergé et de calmer les battements frénétiques de son coeur.

« Souhaitez-vous que je me retire, pour ce soir ? »

Non, vous pouvez rester.

Il détesta sa voix, qui sonna presque comme une requête, plutôt que comme la simple réponse polie qu'elle aurait dû être. Mais pour tout avouer, il n’avait aucune envie de se retrouver seul, avec lui-même, en cet instant. Quand bien même Méditation serait là pour l’aider à affronter le maelstrom qui l’habitait. La présence de l’elfe avait au moins cette sensation rassérénante de douce distraction qui, étrangement, apaisait son esprit.

Si cela vous sied bien entendu, je ne voudrais pas vous retenir et vous épuiser.

Il poussa vers l’elfe une petite coupelle de friandises, et lui resservit du thé, comme pour se donner du temps pour peser ses mots. Des mots lourds de sens qui, une fois dits, ne pourraient être repris.

Oui je sais risquer tout ce que je tente de construire avec Tryghild pour l’avenir, et plus encore, répondit-il enfin d’une voix sombre. Mais le passé nous forge, le présent nous lie…

Comme en cet instant où il contractait une dette, énorme, envers la Triade. Et pas seulement pour le petit sort de soin que l’elfe venait de lui offrir. Mais endetté, pour endetté… Il était dit que ce serait son lot en ce nouveau monde.

Et nos intentions enfantent notre avenir. Telle est la devise de ma maison. Si je fais cela, si je m’endette sur cet avenir immédiat c’est pour en forger un plus fort et plus solide, plus vrai et plus sincère ensuite. Je sais qu’il sera compliqué de faire entendre cela à ma Reine qui se sentira trahie. Du moins pour un temps. Mais Tryghild est une femme qui sait allier intelligence et coeur aussi. Avec le temps, peut-être... Si nous survivons… J’en paierai le prix. Et si elle m’accepte encore à ses côtés, j’oeuvrerai ardemment tout le temps qu’il me reste de vie pour reconquérir sa confiance. Et si le bannissement est mon lot…

Il réprima un lourd soupir, et tenta de reforger le masque qui s’était tant fissuré depuis le début de cette entrevue.

Eh bien je n’aurais que l’embarras du choix du lieu où aller. Vous n’êtes pas le premier, et peut-être ne serez-vous pas le dernier, à m’offrir l’asile. Je pourrais, à ce charriot-là, m’installer sur l’île que je souhaite.

Il tenta de donner une note joyeuse à ses dernières paroles, mais en vain. Elles sonnaient plutôt comme désespérées. Il peinait réellement à reprendre pleinement contenance. Il préféra alors se focaliser sur le plateau de jeu. Aldaron avait bougé le sien, mais n’avait pas ôté le pion blanc que son pion noir avait pris. Ilhan se focalisa alors sur ce dernier et entonna en chuchotant un rapide chant elfique, son regard ancré sur ce maudit pion blanc. Et peu à peu, le pion tomba en miettes. D’un sourire sans joie, il releva les yeux sur Aldaron. Rien que d’avoir lancé ce petit sort anodin, d’avoir déchargé une certaine pulsion destructrice sur ce petit pion qui n’avait rien demandé, lui avait permis de chasser ses idées noires et de se recomposer un masque décent. Et de calmer les accents de sa voix qui le trahissaient beaucoup trop à son goût en cette soirée.

Mais je vous en remercie. Pour tout. Pour l’aide que vous acceptez de me donner, mais aussi pour… partager votre séculaire expérience, si précieuse d’enseignement de vie. Je n’ai jamais autant appris qu’au contact des elfes, même si Delimar est un enseignement à part entière en soi, d’une certaine manière. Et vos compliments me touchent, plus qu’ils ne le devraient sans doute. J’ai parfois l’impression que nous… avons en commun plus que nous pourrions le penser, en effet. Ce serait éhonté de ma part de parler de miroir, mais j’ai souvent cette impression quand je suis avec vous.

Gêné, il détourna de nouveau le regard. Et se décida, enfin, à bouger son propre pion.

Nous portons tous des masques. Ceux qui nous disent le contraire ne font que se mentir à eux-mêmes, dans l’espoir que les mots chasseraient cette troublante vérité. Nous avons tous en nous une part d’ombres, mais plutôt que d’en avoir peur, nous devrions apprendre à la comprendre, l’accepter, la faire nôtre, pour mieux la juguler. Quant à savoir si personne ne pourra jamais aussi bien nous connaître que nous-mêmes… je ne pourrais l’affirmer. J’ai au contraire souvent eu l’impression que nous étions les plus mauvais juges nous concernant.

Il offrit alors un doux sourire à l’elfe et hocha la tête lentement.

Mais encore une fois, je songerai à garder en tête vos précieuses paroles.

Même s’il était assez sujet à se nourrir de multiples culpabilités, quand bien même il n’en montrait rien à ceux qui le côtoyaient. Il était si perfectionniste, que Dame coupable avait souvent le don de l’abattre de son joug funeste.

Je commence, je crois, à accumuler des dettes aussi envers vous, dirait-on, ajouta-t-il en un sourire mi-taquin, mi-sérieux.

Et un petit pétillement amusé revint, enfin, éclairer un peu son regard sombre. Il repoussa alors la bourse d'or. Cette taxe-là il pourrait bien la payer. Il n'était plus à cela près.

J'espère que vous me pardonnerez ce spectacle affligeant qui ne m'est pas coutumier.


Plateau du Jeu de Dames avec le coup d'Ilhan :

descriptionJouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan] EmptyRe: Jouez-vous les noirs ou les blancs ? [Ilhan]

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    La demande de rester fut rapidement acceptée. Il se serait retiré par respect mais il restait volontiers pour lui tenir compagnie et le soutenir. Aldaron était convaincu que l'amitié n'était pas faite que des bons moments passés ensemble. Les amitiés composées uniquement de cela étaient souvent factices ou superficielles, sans grande profondeur. Là où l'amitié se forgeait vraiment, c'était dans ces instants de tristesse, de doute, de souffrance et de détresse, là où le besoin de l'autre devenait primordial et que quelque chose de fort et solide se façonnait. Les épreuves et la peine étaient les moteurs de l'amitié, le moment où elle se révélait sous son plus beau jour. Ilhan était de ces humains qu'il n'apprécierait pas d'abandonner. Il s'était attaché à lui et parfois, il maudissait sa capacité à créer des liens sincères avec des créatures éphémères qu'il ne cessait de voir mourir. Mais il était ainsi fait, et il ne désirait pas changer. Il trouvait chez les humains quelque chose de vivace qu'il ne discernait pas chez ceux qui avaient de plus nombreuses années devant et derrière eux.

    La coupelle de friandises fut accueillie avec un petit sourire amusé alors que l'elfe choisissait l'un des petits chocolats en forme de boule. Il aurait très bien pu pendre ces petits cubes ou ceux d'une forme ovale... Mais non, il préférait ceux, parfaitement ronds, pour leur habituel petit jeu. Il ne doutait pas qu'Ilhan soit un assez bon observateur pour remarquer la taquinerie à peine dissimulée. Quoiqu'il n'était pas au meilleur de sa forme, ce qui n'était pas sans inquiéter l'elfe à la peau cendrée. Son comportement, ce soir, était celui d'un homme qui perdait pieds dans les méandres d'un choix cornélien. Il aurait aimé le soulager. Une part de lui même hésitait encore à revenir sur sa parole pour lui affirmer que c'était bien trop risqué pour lui même et qu'il refusait une pareille manœuvre alors que Tryghild avait refusé qu'Ilhan se présente au combat. S'il lui avait dit 'non', il lui aurait probablement définitivement fermé la porte de cette possibilité. Ainsi, il n'y aurait plus eu de choix pour l'Althaïen. En lieu et place de ceci, il y aurait eu des regrets ou de l'amertume... Et ce n'était pas plus sain, dans la relation entre Tryghild et Ilhan, que de laisser vivre de pareilles frustrations. C'était avec ce genre de frustration, qu'au cumul, la relation entre les Glacernois et la Couronne s'était dégradée amèrement. Si le Bourgmestre aurait aimé avoir Ilhan dans ses rangs, il n'aurait jamais voulu que cela se fasse au détriment d'une relation plus âcre, voire rancunière, entre l'Avente et sa Reine.

    Aussi fut-il assez rassuré de l'entendre lui exposer combien les tenants et aboutissants de cette désobéissance lui étaient connus, évalués, pesés avec le soin le plus méticuleux. Il avait sondé ses sentiments, ses attentes, ses remords. Il les entendait autant qu'il les comprenait. Jadis, il n'avait été, lui-même, qu'un marchand. Cercëe et Corinne n'avaient pas compris ses choix lorsqu'Aldaron avait décidé de s'investir pour la défense du continent. Ils avaient même beaucoup pleuré son absence quand ils surent que leur frère était enfermé à Morneflamme et si l'elfe avait énormément souffert de son enfermement, sa volonté à combattre avait aussi fait souffrir ces proches qui lui étaient si chers. On payait souvent le prix de ses ambitions, de ses désirs et rêves à réaliser, mais on faisait aussi beaucoup payer ceux qui nous entouraient et qui supportaient le risque, la peur, la trahison, la solitude ou même la colère. Bien sûr, inversement, l'elfe avait beaucoup souffert que son frère et sa sœur ne viennent pas combattre, à ses côtés, qu'ils restent sagement dans l'arrière boutique du puissant Marché Noir. Il comprenait, autant qu'il regrettait. Mais il avait jadis trouvé Achroma pour le comprendre et comprendre la volonté qui était sienne de ne pas laisser toujours les autres faire les gestes nécessaires.

    La volonté d'Ilhan était naturelle, du moins l'elfe l'acceptait et était prêt à l'aider même s'il s'agissait d'une trahison avec Tryghild. Quant au bannissement, Aldaron afficha un vague sourire en coin pour répondre. Ilhan n'aurait pas autant l'embarras du choix qu'il ne le pensait, ou du moins l'affirmait... Tout simplement parce que même banni, le Conseiller continuerait de n'avoir que Tryghild pour Reine et ne saurait la trahir. Partir à Ipse Rosea ? Pour aider un peuple à présent majoritairement composé des mêmes elfes qui s'étaient impunément installés à Glacern ? Non, trahison. Pour servir Selenia et la Couronne Kohan ? Non, trahison. Les vampires ? Certainement pas. Les elfes, loin de là. Les graärhs ? Ils ne le connaissaient pas. Les pirates ? Oh mais quelle drôle d'idée. Les dragons ? Point besoin d'un Conseil. Il ne restait encore que la campagne, et Caladon pour alliés... Bien qu'avec ce qu'Aldaron avait en tête, il doutait que savoir Ilhan à la botte d'un vampire Triade ne saurait lui convenir. Non, au final, il n'y aurait pas tant d'endroit adéquat pour l'Althaïen. Plus d'un lui ouvrait les bras... Mais rares étaient les lieux où il pourrait réellement continuer, par amour pour ses propres valeurs. Il restait le Domaine, en vérité, dont la Neutralité apporterait à l'éleveur de chèvres un repos mérité.

    « Si vous saviez le nombre de personnes qui ont des dettes envers moi, Ilhan. » répondit-il avec le sourire d'un enfant auquel on parlerait de son jeu favori. Nevrast était sa plus grande débitrice. S'il avait été un créancier cruel, il aurait pu réclamer à tout ceux à qui il avait prêté, asséchant alors une bonne part des ressources de l'archipel. Le redressement économique auquel il forçait Nevrat pour son propre bien, le rendait propriétaire des terres et exploitations du royaume vampirique. C'était aussi risible que désespérant, mais il n'avait pas tant de choix : l'argent ne tombait pas du ciel et il ne savait très bien. « Vous n'êtes ni le premier, ni le dernier, mais je n'attends rien de vous comme de beaucoup d'autres. Rien de plus que ce que vous m'accorder de vous-même. Votre dette n'est pas si grande, en comparaison de ce que vous me donnez. Peut-être ne réalisez-vous pas encore l'ampleur de ce que vos investigations vont me retirer comme épine dans le pied. Vous ne me devez rien. » Quand il saurait pour le Marché Noir et sa non-infiltration néfaste à Délimar, Ilhan deviendrait son meilleur allié lorsqu'il faudrait en appeler à la confiance à donner au vampire Aldaron Elusis. Quand il saurait pour sa place dans la Confrérie, il saurait aussi qu'Aldaron ne se joignait pas à eux par vice, appâts du gain... Aldaron venait de lui dire : il était le créancier de bien des personnes, pour autant il ne réclamait pas toujours ses dettes. Il n'en avait pas besoin. Tout comme il n'avait pas besoin du marché de contrebande pirate. Il avait simplement besoin de ne pas l'avoir comme concurrent ou ennemi à contrer. Il avait besoin d'avoir la main sur Nathaniel, connaître ses coups à l'avance, pour choisir de les laisser porter leur fruits ou de les dévier subtilement.

    « Je me retrouve aussi beaucoup en vous, nous partageons bien des appétences, des goûts et des qualités. J'aime à espérer que cette amitié durera. » Mais il en doutait et cela se lisait dans ses yeux. Ilhan était un humain. Il n'y avait pas d'amitié qui durent des centaines d'années avec les humains. Il le savait, autant qu'il le regrettait... mais il ne pouvait rien y changer. Sauf à décider de faire d'Ilhan son fils vampirique mais... il savait qu'au fond de lui, il n'avait pas envie de le briser. Il préférait le laisser mourir, que de lui offrir une éternité rejeté par une Reine dont il ne se souviendrait plus. Il n'avait pas cette cruauté et cet égoïsme là, même s'il ne pouvait pas encore prévoir, pour l'heure, quel genre d'Aldaron il serait une fois vampirisé. Cet inconnu-là, il ne savait pas trop comment l’appréhender pour l'heure. Il terminèrent leur partie de dames, qu'Ilhan reporta sans grande surprise, puis, lorsque la soirée fut suffisamment avancée, Aldaron se retira avec la promesse de le recontacter pour la bataille.

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