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Le soleil commençait à fondre dans le ciel, baignant d'une lueur orangée l'horizon où il s'écoulait, laissant un bleu sombre apparaitre face à lui. Le froid commençait à venir caresser la peau fragile des bipèdes. L'écoulement tranquille du Tampocuilë offrait un clapoti calme, régulier, une musique parfaite pour accompagner les esprits sans étouffer leurs chants, une mélodie qui guidait les êtres diurnes vers un repos réparateur.

Légèrement éloignés de la ville des elfes, deux bipèdes se promenaient sans hâte le long du fleuve. L'un avait de soyeux cheveux blancs, et une aura hors du commun. L'autre, plus petit, portait une cape de facture rudimentaire sur ses épaules, et des veinules cuivrées toutes neuves sur le visage, telles des ombres de branchages. Valmys avait accepté d'être le guide d'Aldaron sur ces terres que lui-même connaissait à peine. Force était d'admettre qu'il tenait mieux son rôle de baptistrel de compagnie que de guide. Il avait chanté pour cet elfe, il avait joué de la musique pour lui, tout en lui présentant quelques recoins de la cité que les recherches liées à son maître lui avaient permis de découvrir. Peu à peu, l'ami de Dawan avait su gagner sa confiance, et l'Enwr s'ouvrait de plus en plus à lui, se montrant de moins en moins craintif. Aldaron avait peut-être même dû le surprendre à quelques plaisanteries, lorsqu'ils étaient seuls. Valmys appréciait la conversation que pouvoir avoir le bourgmestre de Caladon, et la gentillesse qu'il avait eu de ne le molester ni le trahir.

Leur promenade crépusculaire les avait menés jusqu'hors de la ville elfique. Loin de son agitation, à l'abri de la chaleur des journées, la sortie ne pouvait être que plus agréable. Ils longeaient des champs, parsemés de palmiers dont les silhouettes élancées se détachaient sur le ciel, avant de laisser la lumière ambrée du soir dégouliner sur leurs feuilles. Il n'y avait rien à craindre, ici. Valmys ne percevait d'autres présences que celle d'un elfe qui avait déjà prouvé sa vertu, et celles d'oiseaux qui pépiaient, invisibles, comme des esprits liés au fleuve. L'ambiance était propice au repos. Tout en entretenant une conversation badine avec son aîné, Valmys songea que le défunt Chanteciel avait définitivement d'excellents goûts en matière d'amis. Avoir à tenir compagnie à Aldaron lui faisait du bien, il en était sûr. A se forcer la main pour accomplir son rôle, l'immaculé tout neuf avait ré-appris ce que cela faisait d'avoir une personne à qui parler chaque jour, avait ré-appris à communiquer de façon autre qu'utilitaire.
Il avait évoqué à Aldaron le périple qu'il avait récemment accompli en remontant le fleuve qu'ils longeaient; comment il avait tenté d'éviter le bateau, comment il était retourné sur le bateau, le temple que lui et son équipe avaient découvert, et les bêtises qu'ils avaient fait une fois à l'intérieur. Le récit n'omettait pas cet elfe masqué qui lui avait plusieurs fois sauvé la vie. Valmys n'avait pas réussi à le re-voir. Ce n'était pas faute de l'avoir cherché du regard, lors de leurs sorties plus citadines. Il en était venu à secrètement s'inquiéter.

Le hasard et les aléas de la conversation menèrent les deux compagnons à évoquer une connaissance commune. Ils quittaient désormais les champs, suivaient un méandre du fleuve, au milieu d'une végétation plus sauvage et d'un chemin moins malmené de pieds et de sabots. Valmys conta ce qu'il savait de cet elfe: son lien avec la lumineuse Aurore, avec les Aigles, et sa volonté de défendre ceux qu'il aimait. Il s'était lancé dans le récit d'un souvenir, son regard perdu sur les cimes qui couvraient leurs têtes. Sa voix portait juste assez pour qu'Aldaron puisse l'entendre malgré l'eau qui courait à leurs côtés.

"- ....Alors je vis un smilodon inerte, et la blessure profonde au niveau de son coeur, puis un second smilodon, allégé de sa tête."

S'il n'y avait de reproche dans sa voix, une sorte de dégoût pouvait néanmoins être perceptible. Un dégoût plus ancien. Un souvenir qui avait été suivi par beaucoup d'autres douloureux instants.

"- Je dois avouer que je savais les elfes capables de décapiter des bipèdes d'un coup. J'ignorais néanmoins qu'ils pouvaient faire de même sur de plus grandes créatures..."

Il avait fait de son mieux pour donner à sa voix un ton neutre, ne voulant ni accuser ni honorer le geste de Seö. Ce dernier lui avait offert un discours bien plus baptistralement acceptable par la suite. Valmys allait l'évoquer, lorsque son regard passa directement des cimes vers le sol, pour y trouver une forme inattendue, qui capta toute son attention.
Intrigué, le Sainnûr s'en approcha. Assez vite, il vit qu'il s'agissait d'un habit.

"- Aldaron, avez-vous vu ceci ?"

Il s'en était saisi, et s'était retourné vers son camarade pour le lui montrer. C'était vraiment très très étrange ! Hélas, si certains neurones de Valmys aimaient à se tenir la main, les deux qui auraient dû se rapprocher l'un de l'autre étaient actuellement en froid. Le jeune être ne songea pas un seul moment que, peut-être, le possesseur de la tunique pouvait être dans les environs. Au lieu de cela, pour trouver les réponses à ses questions, il inspecta le bout de tissu sous toutes ses coutures. Il ne trouva rien de spécial, mais... Quelque chose titilla ses narines. Il enfonça son nez dans le vêtement, et inspira un grand coup. Eh ! Il ne savait pas ce que c'était comme odeur, ni pourquoi elle l'intriguait autant, mais il l'aimait beaucoup.
Il fallut l'intervention d'Aldaron pour le sortir de son investigation peu fructueuse, et orienter son attention ailleurs. Alors, il le vit. Là, dans le fleuve, la lumière et l'eau ruisselant sur son anatomie impeccable. Le pauvre coeur de Valmys n'était pas prêt à une telle vision. Si une partie de lui hurlait au danger par la présence d'un mâle peu vêtu, une autre partie, qu'il avait enterrée après l'avoir rouée de coups, revenait d'entre les morts. Paralysé, la bouche entrouverte et le regard fixe, Valmys resta beaucoup trop longtemps à admirer la vision qui s'offrait à lui pour que c'en soit poli et décent.

Néanmoins, il n'interprêta pas sa propre réaction comme elle devait l'être. Pour lui, le danger était revenu, tout proche, et traître, et son corps menaçait encore de le trahir. Il valait mieux fuir. Bouger était cependant incroyablement compliqué. Il parvint tout juste à se cacher derrière Aldaron, sa trouvaille de tissu serrée contre lui comme pour lui donner du courage. Au moment où il s'apprêtait à intimer à son aîné de fuir, une lumière se fit -enfin !- dans son esprit. Il connaissait cet elfe. C'était un des rares à qui il avait accordé sa confiance. Le regard arrondi de surprise, il était pour le moment bien trop perdu et choqué pour pouvoir énoncer quoi que ce soit.

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Une brise se leva, et vint créer de fines vaguelettes à la surface de l'eau, la perturber et falcifier les doux mais ardents reflets d'un soleil crépusculaire. Elle parcoura le fleuve, les feuilles, et la peau nue. Perdu au millieu de la nature étrangement foisonnante autour du long courant d'eau, abrité par l'ombre obscure des arbres absorbés par la rougeoyante lumière du soleil. Cette brise serpentait un paysage silencieux et presque immobile, une silouhette masculine qui s'étendait là, à demi-immergée, la tête levée, droite, fixant l'infini horizon. Les reflets d'or et de feu sur l'eau la mêlant à la nature dans une image poétique, révélant toute la symbiose de cet elfe avec la nature, comme un énième végétal s'abreuvant de l'eau magnifique.

Ce n'était qu'un vagabond qui suivait son chemin, qui s'avançait toujours vers un lieu mais dont il ne connaissait rien, il faisait confiance en son instinct pour lui indiquer là ou il devait se rendre, il se laissait porter par le vent. Il n'avait pas de montagne sur laquelle se percher, il préférait donc vagabonder, et se donner l'occasion de méditer.

Réfléchir, à propos de lui même, de ce qu'il était devenu, depuis que Kaalys avait glissé une partie de lui dans son coeur, depuis qu'il était revenu du royaume des morts. Réfléchir à propos de son sacrifice, des risques qu'il avait fait encourir, de ses actes. Avait-il besoin de se justifier ? Pas auprès de lui même, il savait que l'archipel était un espoir, mais que les hommes, les elfes et les vampires auraient à se battre pour le mériter. Les civilisations s'écrouleraient à nouveau, la vie sera envahie et contaminée, possédée, annihilée. L'immense poid qui reposait sur ses épaules, sur cet unique masque qui lui servait de visage, l'avait poussé à effleurer de ses doigts fins le coeur de la forêt, son instinct l'avait poussé à en libérer toute la puissance, à la laisser se répandre en lui, parmis eux, tous, elle se répandrait partout. Ce qu'il avait libéré exactement ? Il ne pouvait le savoir, et pourtant, il savait que cela les unifierait, ni pourquoi ni comment, mais si cette chose pouvait apporter un peu de paix dans les âmes en rages, si dans sa quête de paix et de rédemption, elle pouvait lui apporter le salut, il se devait de la libérer de sa prison pour l'offrir au monde. Pour peut être, finalement, pouvoir sortir de la sienne.

L'eau glissait sur sa peau pâle et l'apesait, elle le dénudait de ses doutes, l'aidait à effacer ses inquiétudes, à maîtriser la moindre erruption de personnalité, contrôlée. Elle le refroidissait, elle le lavait. Il pouvait percevoir le courant, très faible, autour de lui, la longue lame d'eau se scindant pour épouser son corps, mouler ses muscles. Sa main bougeait, ses doigts y trempaient, sa peau y plongeaient, ramassant le liquide transparent, il l'amena parcourir d'autres zones de son corps, pour pouvoir fermer les yeux, et se concentrer sur chaque gouttes qui longeaient sa peau, perlant de sa poitrine, circulaient autour des courbes de son corps. Ce rituel lui permettait de sonder son propre corps, l'appréhender dans le moindre détail, étudier l'emprise du poid sur lui, sur l'eau. Il lui permettait de mieux ressentir l'air autour de lui, il lui permettait de clarifier ses pensées, de capter les vibrations du monde, et lorsque le vent venait caresser sa joue, lorsque l'intuition venait troubler son esprit, ouvrir les yeux.

Il passa lentement la main au dessus de sa tête, longeant ses propres lèvres, son nez, son front et ses cheveux pour venir saisir le masque de métal, et le glisser sur son visage. Et alors, il se retourna, immergé par l'obscurité naissante de cette scène crépusculaire, présentant une eau noire si elle n'était pas enflammée par le soleil. A l'ombre des épaisses feuilles, seul un infime reflet lumineux venait mettre en valeur son corps musculeux et le métal de son masque. Ses cheveux noir jaïs, dépourvus de toutes artifices de décorations, flottaient dans le vent. Son seul vêtement était un collier de perles qui entourait son cou. Le masqué observait deux elfes qui le surplombaient depuis la rive, il avait reconnus la voix de l'un d'entre eux, il semblait curieusement se cacher derrière son congénère. Il eut un petit sourire lorsqu'il se souvint de lui, soutenu par les yeux bleus, intelligents, qui observaient les deux individus depuis les fentes de son masque blanc.

“Salutations messires, maître Neolenn... seriez vous perdus ?”

Il inclina quelque peu la tête, mais légèrement, ne voulant pas quitter son autre interlocuteur des yeux ni trop se dévoiler dans une posture plus inconfortable que celle ou il se situait déjà. il cherchait leur regard du sien, et les capterait très vite.

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    Qui l’aurait cru ? Pas Aldaron en tout cas, si on lui avait annoncé que son séjour au Royaume Elfique pourrait être aussi calme. La compagnie de Valmys y était sûrement pour quelque chose et, sans aucun doute, le baptistrel avait largement payé la monture que le bourgmestre lui céderait. Valmys était un être attachant, dont les chants lui rappelaient ceux de sa boîte à musique préférée : Dawan. La vision candide de son ami d’autrefois lui manquait par moment, en particulier lorsque celle, biaisée, qu’avait gravé en lui Morneflamme, lui faisait voir monstre après monstre, dans cette jungle hostile de bipèdes. Ici, loin de Caladon, il avait cette impression de repos. Son voyage, sur les flots, l’avait extirpé de l’environnement politique, cuisant et éreintant, pour lui accorder quelques temps de relâche avant de reprendre, sur le retour les divers poids que formaient, lourdement, les responsabilités qui lui incombaient. C’était un moyen de s’échapper à la fourbure qui voulait le courber alors que lui, n’aspirait qu’à cette droiture régalienne qu’il maintenait, presque malgré lui, dans son port altier et dans ce visage lisse d’émotions, si ce n’était celles qu’il laissait transparaître volontairement, comme s’il maîtrisait chaque millimètre de son apparence.

    L’habit d’un gris clair, qui le couvrait impeccablement, était tristement simple dans sa coupe et dans sa décoration. Les siècles l’avaient élevé dans la hiérarchie sociale humaine jusqu’aux titres de noblesse et pourtant, ce qui exsudait de lui en abondance, était le caractère humble et simple de ses propres convoitises. Cela rappelait étrangement combien il était bien mieux en second homme, dans l’ombre, qu’ainsi exhibé à la lumière de ses hautes fonctions pour la cité libre de Caladon. S’il possédait des richesses, probablement bien plus que certains rois grâce au Marché Noir, elles n’étaient pas ostentées comme de fiers trophées… Tout simplement parce qu’une très large partie de l’or qu’il pouvait brasser servaient à financer les œuvres qu’il jugeait justes. Autrefois, c’était la Rébellion, puis le Protectorat et enfin la Caste des Dragonniers. Aujourd’hui, c’était la tranquillité de Caladon qui achetait jour après jour et demain ? Il pouvait bien décider de revenir chez les elfes. Si ses habits étaient de très bonne facture, si tout le monde connaissait son nom de Triade, et la richesse qui y était naturellement liée…. Cela s’arrêtait là. Il n’était pas né en ce monde pour briller narcissiquement.

    Le crépuscule était de loin le moment qui préférait dans ce désert. La chaleur du jour lui rappelait, insupportablement, le volcan sordide de Morneflamme. Mais la nuit, ténébreuse, était l’ode à ses cauchemars. Ainsi, les entre deux mondes lui semblaient un parfait compromis et la promenade en devenait si parfaite que rien n’aurait pu troubler l’eau calme de son esprit. Il allait finir par ne plus vouloir rentrer à Caladon. La pensée l’amusa et puis, il la chassa très vite. L’osmose naturelle qu’il ressentait avec le calme aurait fini par l’ennuyer. Il était un être qui avait besoin de bouger et d’agir. Et puis, il y avait les marchands. Toutes ses vies humaines qui tournaient leur regard sur lui, pleins d’espoirs. Il ne fuyait pas. Il ne fuyait plus. Il avait perdu son fils ainsi et il refusait de se priver de quoique ce soit d’autre. Si décevoir les Caladonniens l’attristerait… Cela n’était rien en comparaison de sa propre déception. Eleonnora, avant son départ, lui avait rappelé que les personnes qui étaient strictes avec leurs élèves ou leurs protégés, l’étaient avant tout, et plus durement encore, avec eux-même. Aldaron n’était pas un tuteur des plus laxistes. Il se montrait rude. Morneflamme l’avait rendu cruel, malgré ses aspirations de justice, et il savait manier cette cruauté avec un doigté effrayant. Même contre lui-même. Sa propre douleur l’aidait à se rappeler de ce pourquoi il se battait. Il retournerait à Caladon, mais n’oublierait pas le Havre de Paix qu’il s’était offert en venant ici.

    Le bourgmestre arqua un sourcil lorsque Valmys lui conta les exploits de Seö. Son ami était décidément plein de ressources… Et peut-être aurait la chance de le retrouver tôt ou tard : il avait un anneau à lui montrer. Il s’apprêtait d’ailleurs à signaler à Valmys que s’il croisait la route du maître des glyphes, il serait fort appréciable qu’il l’envoie faire ses courses à Caladon, mais le baptistrel eut l’attention détournée de leur conversation par un amas de tissu. Se demandant s’il devait se montrer vexé d’être relégué au grade de ‘moins intéressant qu’un vêtement’, l’elfe laissa les traits de son visage se parer d’une expression perplexe. Cela lui prenait souvent de ramasser des étoffes abandonnées ?… Et de les renifler ? « Valmys. » fit-il d’une voix ferme et grave, comme on sonne une cloche dont le tintement avait des vertus d’éveil. Le possesseur de ces vêtements, il l’avait trouvé, lui. Et son baptistrel de poche aussi à présent.

    C’était amusant : Aldaron n’avait jamais été attiré par les hommes. Du moins n’avait-il jamais cherché ce genre de relation si on ne venait pas le chercher. Contrairement aux femmes. Aussi pouvait-il trouver l’elfe nu esthétiquement plaisant sans tomber dans l’état de tension où se trouvait son guide. L’eau et la luminosité jouaient un rôle prépondérant sur la poésie de l’instant et si cela avait été une peinture, Aldaron se serait laissé aller à contempler la splendeur des reflets qui rendait harmonieusement cet elfe à la nature. Ça n’était toutefois pas une peinture, et sa réserve régalienne lui fit détourner le regard sur le petit chanteur qui se cachait à présent derrière lui. A entendre les palabres de leur nu inconnu, ces deux-là s’en trouvaient à se connaître et Aldaron avait passé tellement de temps à inspecter la nature humaine et les émotions qu’il en vint vite à la conclusion indéniable que Valmys éprouvait quelques sentiments mitigés à l’égard du masqué. Bien, il ne pourrait donc pas compter sur lui immédiatement. Ses prunelles d’émeraude, strictes et pourtant cordiales, se plantèrent directement des celles bleutées de l’inconnu, sans passer par la case ‘abdominaux’.

    « Bonsoir. » répondit-il de façon nette de concise, avant d’incliner brièvement la tête, quelque peu troublé. Au Royaume Elfique, il était de coutume de laisser l’aîné saluer en premier, au risque de vexer celui-ci. Si Valmys était un candide enfant, les cheveux blancs d’Aldaron trahissaient plus aisément un âge avancé. Le bourgmestre ne s’en offusquait pas, il avait lui même tournait le dos à ces mœurs depuis bien des siècles, même s’il les respectait scrupuleusement lorsqu’il rencontrait quelques congénères aux oreilles pointues. Toutefois, il s’interrogea un bref instant sur la raison de cette prise de parole : avait-il une histoire singulière qui l’ait détaché, lui aussi, du peuple elfique ou venait-il volontairement de lui manquer de respect ? Son nom était célèbre et sa renommée d’indigne parmi les elfes s’était estompée, avec le temps et les exploits du Marché Noir, sans pour autant s’éteindre. Ainsi le bourgmestre naviguait-il entre deux eaux avec cet inconnu. Soit ils partageaient une histoire similaire, soit ils se mépriseraient fougueusement. Le double tranchant l’intriguait et le poussa à de plus amples investigations. Ce marque en métal blanc qui couvrait la partie supérieure de son visage, Aldaron en avait déjà entendu parler, la réputation de celui-ci se faisait et ses marchands lui ramenait des murmures des quatre coins de l’archipel… Et de leur ancien continent. Le dernier détail à l’intriguer était ce collier. Les perles lui semblait d’une valeur que les vagabonds ne pouvaient s’offrir. L’avait-il volé ?

    Le bourgmestre posa son regard Valmys et roula des yeux ostensiblement en découvrant qu’il n’avait pas bougé d’un iota : « Dona Mihi. » fit-il, tout aussi gravement. Valmys lui en voudrait peut-être d’user à nouveau de ce sort sur lui… Mais il ne faisait là que souligner que son esprit avait encore du travail avant de pouvoir s’échapper de l’emprise du sien. Vêtements d’Aeglos en main, il appela Shi’Ry, la ponette, à coups de claquement de langue et grand renfort de morceaux de carottes, pris dans sa besace. Il déposa les vêtements sur le dos de la monture et fit aller celle-ci jusqu’à proximité d’Aeglos pour qu’elle lui serve de paravent, le temps qu’il se vêtisse à nouveau… Puisque de toutes évidences, le regard de Valmys n’avait rien de pudique. Ses bottes de cuir trempaient dans l’eau, alors que l’animal le séparait d’Aeglos. Il détourna chastement son regard songeur et brisé sur l’immense étendue d’eau, plus loin. Ses pensées allaient retrouver leur prison de feu, vision d’horreur à laquelle il était en permanence rattaché, malgré la distance, à présent, et les années. Il ferma les yeux pour sentir la légère bise sur son visage, chassant la chaleur cuisante du désert. Pour le consoler de sa douleur constante, il y avait ces yeux d’un bleu céladon si intense. Les yeux d’Achroma.

    Il ouvrit les paupières, lèvres scellées dans un mutisme avant de constater que son baigneur s’était rhabillé. Enfin, il se décida à parler : « Bien. » C’était presque paternel, comme expression. Celle par laquelle un père félicite son fils pour la tâche accomplie avec brio, n’en faisant ni trop, ni pas assez. Il écarta Shir’Ry d’entre eux pour tendre une main de salutation : « Valmys m’a conté vos exploits de ces derniers jours, c’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Aldaron Leweïnra Triade. » Il ne précisa ni son rôle politique, ni ses fonctions auprès du Marché Noir : en général, les gens faisaient le lien par eux-même. D’un geste de la tête, il l’invita à le suivre pour rejoindre la rive sèche et Valmys. Bien sûr, après sa propre présentation, il attendait naturellement la sienne, comme un échange de bons procédés

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Ce monde était plein de dangers, surtout pour les jeunes Enwrs avec une fâcheuse tendance à traîner trop près de l'eau. Il avait cru qu'ils étaient en sécurité, loin des bipèdes et de leurs vices. Force était de constater que ce n'était pas le cas et que, partout, il fallait veiller à ce que ses habits restent en place. Car n'était-ce pas là la menace qui planait dans l'air ?

Selon la petite voix terrifiée qui feulait en Valmys, si. Cette même voix le paralysait totalement, crispant ses doigts sur sa trouvaille -encore non-identifiée par son esprit trop préoccupé-, maintenant ses jambes en place dans un réflexe que des prédateurs auraient sans doute apprécié. Ces détails-là n'étaient pas les plus stupides d'une telle réaction. Non, ce qui était vraiment stupide, c'était que son immobilité concernait aussi son regard, le forçant à contempler la musculature de son tortionnaire, luisante d'eau et de crépuscule. Mais plus il regardait, plus sa paralysie s'ancrait en lui.

Aldaron eut la grande bonté de le sortir de ce cercle vicieux, là où le tortionnaire avait échoué. C'est que l'appeler "maître" n'aidait que peu à ce qu'il se sente concerné. En revanche, lui rappeler qu'il suffisait de deux mots du bourgmestre pour que son esprit et son corps abdiquent, cela fonctionnait mieux. Ses mains offrirent le bout de tissu à son aîné, auquel il jeta un regard faussement fâché, suivi d'un léger sourire qui valait tous les discours qu'il aurait pu lui sortir. Il n'était pas fâché de cet entraînement impromptu. Il était juste frustré de n'être pas encore capable de tenir tête à sa magie. Il lui était reconnaissant de l'avoir ramené sur terre.

Naturellement, son attention suivit son touriste favori, ainsi que sa jument. Un bref instant, il se demanda, sourcil haussé, si Aldaron avait toujours des carottes sur lui. L'instant d'après, il se souvenait de leur conversation avant le départ, des carottes prises au cas où Shi'Ry se montrait capricieuse. Soit... Mais que comptait-il faire avec sa jument ?
Le regard de Valmys passa d'Aldaron au masqué, plusieurs fois. Oh, il avait compris assez tôt, mais avait refusé d'y croire tant c'était gênant pour lui. Décidant de se faire le plus petit possible, Valmys resta à distance, baissant le nez pour éviter de regarder ses bêtises êtres réparées, jouant du bout du pied avec un caillou tout à fait fascinant. Peut-être que ces deux êtres qu'il appréciait allaient sympathiser, qu'ils iraient tous faire un tour ensemble, et que là, Valmys trouverait un trou de souris magique qui le ramènerait dans le passé et lui éviterait de reniffler les habits de l'elfe masqué, et s'en servir comme gris-gris.

Tout gêné, Valmys se reprocha cette réaction qu'il n'avait pourtant pas commandée. Au moins désormais, il savait à quoi s'accrocher pour ne plus rencontrer le même souci. La honte avait un rôle important à jouer, mais le désir de ne pas ennuyer ses camarades par son comportement également. Même s'ils n'avaient l'air de s'en être offensés pour l'instant.
Un bruit humide le sortit de sa contemplation caillouteuse. Shi'Ry ne semblait pas en vouloir à Aldaron de l'avoir amenée dans l'eau. Au contraire, elle était très bien là où elle était, et commençait à jouer avec. Elle était attendrissante. Valmys avant concédé à cette quadrupède qu'elle savait mieux que lui comment le soigner. Aussi n'eut-il pas besoin de davantage de réflexion pour retirer ses chaussures, et rejoindre sa camarade à quatre sabots, évitant de trop regarder le baigneur qu'ils avaient dérangé.

Chôyant sa jument, l'Enwr laissa ses camarades échanger les présentations de base, devinant déjà que l'elfe à la flûte-nan, l'elfe masqué, on va plutôt dire elfe masqué- ne dévoilerait, de toutes façons, aucune information de plus que ce qu'il avait concédé à dire jadis à Valmys. Lorsqu'il sentit une place pour lui dans la conversation, Valmys glissa:

"- J'espère que vous allez bien." C'était plus une demande qu'un réel espoir. Devinant néanmoins les réticences de Sire Abdos à parler de lui, il préférait néanmoins lui laisser la possibilité d'esquiver ses questions. N'était-ce pas la moindre des choses, désormais ? "De mon côté, il semblerait que j'aie écopé de quelque effet secondaire à notre excursion."

Il pointa du doigt les veinules sur son visage, avec un léger sourire. Elles ne l'avaient pas trahi pour le moment, et l'embellissaient. Il en était assez fier, mais ignorait si elles étaient évidentes à voir, avec cette lumière. Reprenant les caresses sur sa jument, il ajouta:

"- Sire Leweïnra m'a offert d'être son guide, en échange de cette jument." Il laissa un instant de silence, ne sachant s'il avait offert l'information à l'elfe masqué lorsqu'ils s'étaient rencontrés, ou si ce dernier allait la déduire. "...Néanmoins que je ne suis pas d'ici. Connaissez-vous quelque endroit que nous pourrions voir ?" Voilà ! Le plan "trouver un trou de souris magique" était en place... Ainsi que le plan "permettre à deux personnes appréciées de se rencontrer". Sans le réaliser, le petit immaculé avait également posé les préparatifs pour un autre plan: tenter potentiellement d'obtenir quelques informations sur cet elfe et son lieu de vie.
Parce que bon. Il était mignon à agir comme si tout allait bien. Mais Valmys, lui, avait peiné à le revoir après leurs aventures, ne sachant où le chercher. Au moins, après toutes leurs émotions, il pourrait se trouver soulagé de l'avoir revu, et savoir que, pour lui au moins, tout allait bien.

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L'homme au masque ne semblait pas le moins du monde gêné par sa position, c'était le but du port du masque, ne pas paraître, ne pas sembler. Pourtant il l'était, c'était certain, s'il s'était exilé par ici, ce n'était pas pour être retrouvé démasqué, et s'il s'était mit à nu, c'est qu'il ne s'était pas attendu à ce qu'on l'y retrouve. Son visage était la seule chose qu'il avait besoin de masquer, car c'était la seule chose qu'il avait de spécial. Son corps était simple, marqué par les événements, robuste, bien sculpté, tellement bien qu'il pouvait attirer le regard rêveur des imprudents, mais il était beau et fort au même titre que tant d'autres dans ce monde. Or, son visage lui, était celui d'un traître impérial. Un personnage, un nom, une identité, que cet homme avait laissé derrière lui, un visage qu'il avait choisit d'oublier. Mais de la même manière que l'on ne se défait pas de son passé, ce corps, et ce visage dont il ne pouvait changer le suivraient jusque dans sa mort, c'était la condition qu'il avait accepté pour être, et aborder ce masque blanc comme son vrai visage. Pourtant, cela ne l'empêchait pas de porter et d'afficher ce corps comme s'il aurait pu en porter des milliers d'autres différents, sans aucune empathie pour ce qu'il était.

La gêne qu'il éprouvait était causée par la position de faiblesse dans laquelle il se trouvait, assiégé par le regard persistant de son ami, et par le regard perçant de son mentor, loin de son arme et de ses vêtements, il arrivait encore à se sentir vulnérable. D'un regard et d'un sourire, il finit par indiquer au petit elfe qu'il serait bon de lui permettre de se rhabiller en lui rendant sa robe, mais celui là demeurait paralysé par ses pensées, comme empreint d'une terrifiante révélation. Il patienta quelques secondes – aussi longtemps qu'il le faudrait – sans avoir aucune réaction de sa part. Neolenn le dévorait du regard, ne le reconnaissait-il pas ?

Son congénère semblait lui aussi ne pas vouloir engager la conversation sans s'assurer de la bienaisance de chacun de ses protagonistes. Aussi cet étrange elfe, à la carrure droite et sûre, aux cheveux étrangement blancs et aux traits anguleux contraint le dénomé Valmys à lui remettre les biens qu'il détenait, par magie. Une autorité stupéfiante que le masqué n'aurait pas pensé voir ainsi utilisée sur un baptistrel. L'animal qui les accompagnait, une jument, vint lui porter ses vêtements en s'immergeant elle aussi dans l'eau noire. Il longea de sa main le museau de la bête, elle semblait un peu nerveuse, mais son contact devait la rassurer quelque peu. La douceur du masqué lui permettait parfois de communiquer avec l'élément du vivant, pourtant, ce n'était pas celui qu'il cotôyait le plus. Après avoir pris le temps, à sa manière, de remercier la bête et l'elfe aux cheveux d'argent du regard. Il s'avança vers la terre ferme, le bas du corps enfin voilé et la gêne levée alors qu'il passait sa robe et un fin foulard autour de ses épaules. Les habits paraissaient sales et déchirés, impropres à la classe qu'exigeait le respect de l'elfe, mais c'était là les dût de la vie de vagabond, et le masqué aimait la sobreté de sa tenue. Et son interlocuteur semblait aimer de même. De son coté, le petit Valmys avait trouver de quoi occuper son pied avec des cailloux. Le masqué, très insensible à la gêne qu'il avait pu provoquer chez ce petit être, se contenta de le laisser digérer le malaise comme il le pouvait pour se concentrer sur celui qui, apparamment, dominerait cette conversation. Ce dernier semblait absorbé dans d'étranges rêves mais quand il se présenta à lui, vêtu et prêt, attendant patiemment que l'elfe aux cheveux blancs fasse le premier pas, il se reprit et se présenta.

“Oh, c'est un honneur de vous rencontrer, sire.”

Fit-il avec un absurde naturel, craignant en réalité que ses lacunes en coutumes elfiques lui fassent défaut. Aldaron Leweïnra Triade, il s'agissait du bourgemestre de Caladons, il faisait partie de ces hommes dont le destin des peuples reposaient entre les paumes de leurs mains. Mais que savait-il de lui ? De l'homme qu'il a été autrefois aux jours d'aujourd'hui, pas grand chose. Mais il comprenait soudain d'ou il tirait cette puissante figure d'autorité. C'était un homme dangereux. Evidemment, le silence pesant et Valmys jouant à faire trempette avec la jument, c'était à lui de se présenter. Peut être était-il impossible de communiquer quel destinée incarnait le masque blanc, jusque à présent, il avait échoué à chacune de ses présentations, n'attirant que les foudres des hommes et des marins qui couraient presque lui arracher son masque. Mais quelle idée, de demander à un homme masquer de se présenter ? Les mains jointes au niveau du bas de son ventre, l'une dans l'autre, il oscilla de la tête, un sourire se dessinant sur son visage.

“Pour ma part, si vous trouviez un nom qui irait à ce masque, je serais fier de le porter le temps de cette conversation. Mais mon nom rime avec celui du néant."

Oh on l'avait appelé de bien d'autres manières. Le danseur sur la montagne, le fils du vent, d'autres noms elfiques qui enjolivaient les marques d'or qui cernaient les paupières de son masque. En réalité, il n'était personne, alors il se présentait comme tel, ni plus ni moins, cela n'avait rien d'une pique ou d'une remarque hostile, son esprit de paix s'était dénoué de tout cela il y a bien longtemps déjà. Suite à cela,  Valmys se réveilla soudain de son innocent mal être, et se rapprocha d'eux, aux cotés d'Aldaron, il lui pointa une veinule luminescente sur sa joue. En plissant les yeux, il en distingua d'autres encore, elles parcouraient librement le visage du jeune baptistrel, en suivant ses traits, les harmonisant, une magnifique mutation magique. Il s'agissait des mêmes qui étaient apparues sur le corps de la capitaine Thaidforodren peu après la libération des eaux du temple de Keet-Ishorot.

“Oh...c'est curieux, en effet.”

Il n'ajouta rien d'autre, il ne voulait pas le mettre mal à l'aise, mais il se posait des questions. Si cette caractéristique se répandait, il fallait en mesurer l'entièreté de sa nature. Oserait-il demander à son ami un peu de son temps pour en parler avec lui ? Le masqué se contenta de surveiller le corps de cet elfe avec suspicion, méfiant. Si cette chose n'était pas bégnine, Valmys l'aurait su de suite, il savait qu'il pouvait lui faire confiance.

En tant que vagabond, isolé depuis plusieurs centaines d'années, en tant qu'être brisé, il n'était pas prompt à la conversation, peut être n'était-ce qu'une mesure de sécurité vis à vis de son secret, peut être était-ce sa simple maladresse. Sans doutes un peu des deux, quoi qu'il en soit, il ne donnait pas, il attendait d'abord de recevoir : Sa compagnie était-elle requise ou désirée ? Il ne pourrait rien refuser ni au bourgemestre de Caladon, ni à son compagnon baptistrel, mais il avait besoin qu'on lui en fasse clairement la requête.

"Je ne suis pas d'ici non plus, mais si vous aimez le crépuscule et l'écoulement de l'eau, je suggère que vous continuez votre route sur votre élancée auprès de ce fleuve, tout simplement.”

Fit-il avec un air amusé, comme toujours.

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    D'aucun manque de respect, le bourgmestre n'avait été accablé. L'elfe inconnu, qui se dressait près de lui, faisait montre d'une politesse et d'une réserve des plus sages. Ses mots ne trahissaient aucun visage, aucune histoire, aucun relief, donnant à Aldaron un sentiment indéchiffrable qui l'intriguait. Il ne cherchait pas tant à découvrir le nom de l'homme de la rivière, mais il aurait aimé percevoir quelques bribes de lui comme autant d'ergots sur lesquels trouver les prises d'une conversation polie ou profonde. Il était rare, pour lui, de se retrouver en une situation telle. Il avait l'art et la manière de trouver des accroches avec son interlocuteur, qui qu'il soit. Et si cet inconnu ne lui fournissait pas de matière, Aldaron allait devoir creuser plus en profondeur. Car l'homme qu'il avait devant lui n'avait rien du néant. Son cœur battait. Étrangement, cela faisait écho en lui. Combien de fois avait-il affirmé sincèrement être mort à Morneflamme ? Combien de fois avait-il souligné qu'il n'était qu'une coquille vide qui continuait d'avancer, œuvrant pour le bien de ce monde ? Soudain, cela les rapprochait, dans une similarité impromptue et dont il était le seul à en percevoir la nature. Un elfe qui n'était pas d'ici était un elfe qui avait choisi de quitter les siens, ou y avait été contraint. Tout comme lui. Et puis à mesure qu'il observait ce visage, Une certitude prenait forme. Les angles de sa mâchoire, la courbure de ses lèvres, la forme de son nez, ces yeux d'un bleu hypnotisant, sa longue chevelure sombre évoquaient, chez lui, des similitudes physiques qu'il avait pu connaître par le passé. La famille Thrëde, la famille Evanealle. Aldaron avait du mal à se décider entre les deux, voyant tentôt le visage d'Aramis et des Thrëde, tantôt celui d'Aegnor et de la lignée impériale. Pourtant, d’ordinaire, il était très physionomiste. Ces longues années passées auprès des générations d'humains le rendait capable d’inférer les descendants et ascendants d'une lignée.

    Il ne lui donna pas de nom dans l'immédiat, se laissant le temps de la réflexion tandis que le vagabond observait les veinules ambrées qui étaient apparues pendant la nuit. « Je suis certain qu'un Cawr saura en dire d'avantage sur ce phénomène. Valmys, vous pourriez prendre le bateau du retour en ma compagnie, afin que je puisse vous déposer sur Nethéril. Mon Capitaine est un batelier qui travaillait autrefois pour le Marché Noir. » Il travaillait toujours pour le Marché Noir, mais très rares étaient ceux qui connaissaient l'existence du légendaire marché qui avait agi dans l'ombre, au nez et à la barbe du Tyran Blanc. « Je peux vous certifier que le voyage sera sûr. » A Néthéril, il serait entre de bonnes mains, Aldaron n'en doutait pas un instant. S'il orientait ses prunelles, tranchantes comme de l’émeraude, sur le baptistrel lorsqu'il lui parlait, son regard revenait souvent de reposer sur le masque blanc de son inconnu, comme pour y percer le mystère qu'il avait sur le bout de la langue. Pour autant, il n'avait pas l'air insistant. Il avait cette maîtrise de lui-même qui lui permettait de jongler entre ses besoins et la bienséance. « Si vous en avez le temps, vous pouvez vous joindre à nous, dans ce cas. » D'un geste net du menton, il désignait le long du fleuve où l'homme de la rivière leur avait conseillé de poursuivre leur chemin. Valmys et lui avaient peut-être des choses à se dire. C'était du moins son propre comportement lorsqu'il retrouvait un ami : échanger sur leurs dernières aventures, sur leurs opinions et leurs découvertes. « Quant au nom que vous porterez avec fierté, pour cette promenade, disons... » Il marqua un instant de réflexion, alors qu'il laissait sa phrase en suspens.

    « L'Enfant. »

    Cela semblait sortir de nulle part. Rien du masque blanc ne l'évoquait, pas même la forme des dorures et pourtant, imperturbable, le visage d'Aldaron, défait d'animosité ou de tendresse, gardait cette neutralité sereine et cette autorité charismatique. Lorsqu'il fut assuré que les deux autres aient épuisé les pistes de réflexion qu'ils auraient pu avoir sur l'origine de ce titre, et qu'ils ne gardent en leur cœur que la perplexité de l'incompréhension, il entrouvrit les lèvres pour les éclairer. Ou plutôt pour en éclairer un seul, car il doutait que Valmys saisisse la profondeur de son propos aussi bien qu'Aeglos. « L'Enfant qui manque à sa mère. » Parlait-il réellement d'Orfraie ? Eu égard de la fermeté de ses prunelles, il était possible de croire que oui, se plaçant inévitablement en ami de la dragonière, par la gravité du son de sa voix. Il avait revu la princesse quelques jours plus tôt, et lorsqu'ils avaient évoqué le sujet des enfants, leurs opinions s'étaient heurtées. Aldaron avait un fils, mais cela faisait 450 ans qu'il l'avait abandonné et il n'était pas pressé de renouer. Orfraie avait aussi un fils et les années qui s'écoulaient sans lui paraissaient à la jeune vampire être une éternité. « L'Enfant qui se cache de ses erreurs et qui se refuse à embrasser ses responsabilités. Êtes vous vraiment livré au néant... » Cela ne faisait plus le moindre doute, si Aeglos en avait encore eu. Le bourgmestre ne pouvait pas bluffer avec une chance si odieuse. « Ou saurez-vous être l'Homme qui a grandi, pour faire face à un fragment d'âme forgé dans le volcan de Morneflamme ? » L'Enfant portait le Masque, l'Homme s'afficherait en toute authenticité. Avait-il déjà croisé le chemin d'une victime de la prison du Tyran Blanc ? Avait-il déjà réussi à regarder l'une de ces rares personnes dans les yeux ? Avait-il ne serait-ce que mis un pied en ce lieu immonde et cruel ? Qu'il en soit certain, les prunelles d'un vert saisissant le lui confirmait : Aldaron ne le laisserait pas l'insulter en se dérobant. L'elfe savait être cruel, c'était le prix à payer pour son pardon et sa complicité.

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Le guerrier vagabond n'eu évidemment d'autre choix que d'accepter l'offre, non pas que cela lui déplu réellement. Il attendit simplement que l'on ouvre la marche pour suivre, ses affaires récupérées, son corps couvert, et son arme en main, dont il caressait subtilement l'empoigne. Jusqu'à ce qu'une désignation tout à fait étrange lui soit attribuée.

Au début, ce nom curieux qu'on lui avait trouvé sonnait comme une bonne farce, jusque là la conversation s'était faite de manière naturelle, agréable et tranquille, quoi que plutôt anodine, il ne suffit que d'un mot pour en remettre en cause toute sa  tranquillité. Oh, il avait toujours su garder une pointe d'humour, fine et difficile à chatouiller mais toujours délicate et juste, néanmoins la présente drôlerie, qui venait tout de même d'un aîné et qui plus est, d'un homme de la noblesse, semblait avoir manqué sa cible. Le masqué regarda son interlocuteur en penchant un peu la tête, attendant une chute qui ne vint pas. Ce qui rendait la situation d'autant plus gênante, et presque, devant l'air mystérieusement neutre du bourgemestre, inquiétante. Finalement, il développa et ce qui avait pu être interprété comme une blague le piégeant habilement dans ses sur-marques de politesse, se révéla plus être une provocation. Mais lui l'interpréta plutôt comme une réflexion ouverte. S'il devait lui associer un nom, autant qu'il soit le plus juste possible, c'est pour cela qu'il le fixait ainsi, tentant de lire en lui, faire  ressurgir d'anciennes lignées dans ses traits fins, pénétrer son coeur et lire le nom d'un mort. Et ce qu'il rapportait de cette analyse, il avait décidé d'en faire un nom.

Avait-il réellement deviné de qui il tenait son passé ? Avait-il vraiment pu deviner ce qu'il avait laissé derrière lui ? Si lui n'avait pas tout oublié, le masqué aurait très bien pu faire l'amalgame entre sa mère et la princesse des ombres, l'enfant et le petit orphelin qui jouait avec une flûte. Le corps du guerrier se figea, il arrêta de caresser d'un doigt l'empoigne de son arme, il ne marchait plus non plus, et il observait son interlocuteur. Du moins, c'est ce qui était le plus probable qu'il fasse, pusiqu'il semblait plutôt laisser son regard vagabonder dans le vide, dont il avait trouvé le point d'entrée derrière l'iris verte du bourgemestre, comme s'il était mort les yeux ouverts. Son sourire s'en alla petit à petit à la manière d'un tas de sable soufflé et dispersé par le vent. S'évader, s'enfuir, ignorer cette situation aurait été préférable, mais tant pis, bat les masques, il montrait son vrai visage. S'ensuivit alors un duel de neutralité faciale entre l'ultime contrôle de soit et l'absence totale de retenue, qui allait autant avec silence qu'avec acte de langage.

“Je ne suis et ne saurais être ni l'un ni l'autre, pas même un fantôme, pas un courant d'air. Pourtant j'ai une dette envers ce monde et je ne pourrais exister qu'après l'avoir payée, aussi suis-je condamné à ne point être nommé, à n'aborder aucun visages, et à faire ce qui doit être fait. Jusqu'à ce que vous tous m'autorisiez à m'en aller.”

Pour un mort aux yeux ouverts, il articulait bien, il était même éloquent, toujours. Cela lui effeleura l'esprit que, aux dire de son interlocuteur, il l'avait peut être lui même traîné dans la boue et jetté dans la braserie de Morneflamme. Ou alors, tué ses proches devant lui, même en commandant, Aeglos s'était salit les mains. Il y eu ce petit moment de silence, dédié à cette réfléxion et au soulignement de cette petite tirade qui représentait l'entièreté du chemin qu'il avait été ammené à emprunté. Difficile à entendre, impossible à  comprendre. Cette réponse n'aurait jamais suffit, il du aller plus loin. Ses yeux quittèrent le néant pour braquer ceux d'Aldaron, et il reprit.

“Malgré tout, si vous souhaitez en votre nom ou celui du monde que vous foulez, me soumettre à ces responsabilités...”

Il laissa planner un certain silence enjolivant sa mystérieuse proposition, puis il passa une main sur son visage, et en changea. Du bout de ses doigts fins il aggripait le métal doux, les rebords de son masque, qu'il fit glisser de son front au dessus de sa tête.
Plus aucun voile ne le protégeait plus de la vengeance des ambarhunéens, il était nu devant eux. Se cacher, il le faisait pour eux, pour pouvoir les aider, mais si réellement la rédemption était arrivée, si les peuples n'avaient plus besoin de lui pour harmoniser leurs esprits, si la reconstruction de ce monde saurait vraiment unifier les siens, les hommes et les elfes de la nuit, alors il était heureux de se laisser aller à leur jugement et disparaître.

Il avait des traits anguleux, mais étrangement harmonieux, parfaitement proportionnés, subtils. Il avait un nez fin, et dégagé de tout artifices, un grand front blanc. Les hautes herbes entamèrent leur chant, le vent vint agiter la crinière du jeune elfe, et une longue mèche de cheveux jaïs tomba devant ce visage découvert, qu'il repassa derrière une oreille pointant en arrière alors qu'il ancrait à nouveau ses yeux dans ceux de son interlocuteur. Furent des yeux libérés de l'ombre du masque, d'un bleu éclatant, presque surnaturel. Sa peau était pâle, même pour un elfe, presque blanche, et son parfait faciès n'était défiguré que par une unique cicatrice qui barrait l'arrête de son nez, le dernier coup de lance de son frère, Aegnor, lors de leur utltime affrontement dans l'oeil du cyclone.
Cet homme là avait le visage du traître de la lignée impériale, et il était condamné à mort. Et surtout, il était l'un de ceux qui avaient forgé ce fragment d'âme, encore chaud du feu de ce volcan qu'il avait nourrit.

“Eh bien...”

Il s'approcha d'un pas vers Aldaron, puis il baissa les yeux, observant la lame qu'il tenait en main, une longue lance, imprégnée de l'énergie du vent, légère, mortelle, l'arme parfaite.

“... Faites donc”

Il l'avança devant lui, la tenant à l'horizontale d'une main, puis de l'autre, il empoigna la lance et la pivota avec précaution, plaçant l'embout aux côtés des hanches d'Aldaron, et la lame au dessus des siennes, au niveau de son ventre, entre ses muscles abdominaux révélés par son autre main qui l'avait mit à nu.
Le vent sifflait tout autour de son acier, il l'imprégnait, il n'y avait pas même besoin d'appuyer sur la lance, seulement d'y exercer une petite pression magique, pour qu'elle libère tout son potentiel. Il devina que c'était une situation extrême, peut être pertubante, aussi il ajouta, un sourire se dessinant sur son visage, à la fois mort, à la fois sincère, à la fois trompeur.

“N'ayez crainte, car il ne s'agirit pas un geste sale, il s'agit la naissance d'un Homme.”

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    Le silence souverain retombait, les mots implacables faisaient leur office saisissant et son regard, à l'âme indomptable, le toisait avec une patience logée dans un écrin de cruauté. Vengeance salvatrice était ce que clamait son cœur plein d'ire violente et de douleur incommensurable. La souffrance de Morneflamme, en son éclat le plus pur, vibrait dans le fond de ses prunelles comme un tambour de guerre. Cela pulsait, le long de la corde tendue de ses émotions, étiré avec une fermeté rigide et incorruptible, ancré sur ses positions. Il lui en voulait. A lui. A tous ceux qui avaient ployé. Tout ceux qui avaient collaboré. Tout ceux qui avait servi le Tyran blanc de force ou de gré. Plus les secondes de silence se cumulaient, s'alignaient, et plus il savait qu'il avait touché à juste. A ses premiers mots, ses yeux d'une froideur macabre s’enflammèrent d'un brasier aux teintes héraldiques, intense et vivant, comme s'il avait pu être capable de le consumer, s'il l'avait voulu. Lèvres scellés dans le mutisme d'un juge, il mira le visage qu'on exposait enfin, à la fois satisfait qu'il obtempère et courroucé de le reconnaître pleinement. Non pas qu'il l'ait déjà rencontré, mais cette figure portait les traits de sa lignée. Relevant le menton par dignité, il jaugeait de son expression et des mots qu'il lui offrait, incarnant à lui seul le peuple des imbrisés de Morneflamme. Le peuple de ceux qui avaient survécu à l'inhumanité et qui la couvaient, dangereusement.

    Il éleva une main à la peau sombre et ses doigts, émaciés par la prison, frôlaient le manche longiligne de l'arme, y décelant l'enchantement tempétueux qui logeait en son sein. Il se souvenait de sa fuite, une fois que leur groupe d'infortunés eut défait le mécanisme qui protégeait les murs brûlants du volcan. Il se souvenait que tous avaient fait route solitaire vers le désert, vers les campagnes, pour ne pas se faire attraper. Il se souvenait de sa cavale sur les chemins escarpés et dangereux de la Théocratie, de son corps follement maigre, squelettique, si faible... Il se souvenait de ceux qui le poursuivaient, sans relâche, loups et humains, bêtes et chiens. Il se souvenait n'avoir que peu dormi ou mangé... Mais il était habitué à cela. Morneflamme lui avait appris à rester toujours éveillé et à ne se nourrir que de bien peu. Il se souvenait aussi de Vanaël, la vampiresse à qui il avait voué une certaine affection et qui s'était retrouvé dans le mauvais camp. Il se souvenait de sa colère, du poignard qu'il avait enfoncé, avec rage dans son abdomen avant de la laisser pour morte. Comme cette scène d'aujourd'hui lui ressemblait. Comme elle y faisait tellement écho... Et comme il ressentait, avec une certaine tristesse, que sa douleur et sa colère n'avaient pas faibli, même après toutes ces années... Elle avait survécu. Il n'avait pas trouvé la force de rester pour s'assurer qu'elle trépasserait, pour châtiment de trahison. Il lui avait dit que si elle survivait, elle devrait pourchasser le Marché Noir. Qu'ainsi, elle finirait par le retrouver. Elle l'avait fait, mais il l'avait attendu et l'avait ramenée au Protectorat. Achroma avait eu la force de l'éliminer là où Aldaron avait eu la faiblesse de l'épargner. Le vampire l'avait tuée et l'elfe n'avait rien fait pour le retenir, à ce moment-là. Aurait-il seulement pu avoir un seul argument ?

    Elle l'avait trahi. Ils étaient nombreux ceux qui avait nourri les rangs de l'ennemi et avaient engorgé la prison infâme. Aeglos avait été de ces hommes-là. Le bourgmestre refermait délicatement ses doigts sur le manche, comme s'il s'était agi d'un objet précieux : le bout d'une vie. Le terme, la fin. D'une voix qui incarnait toutes les victimes de Morneflamme, il soufflait : « Je vous autorise à vous en aller, Aeglos. » La magie picota ses doigts, il la sentit lorsqu'elle afflua, pleine de véhémence, dans l'arme. Le vent trancha la chair, les muscles, les nerfs. Bientôt, le vent aurait raison de sa vie. Avait-il cru qu'il n'aurait pas cette détermination ? Qu'il le regarderait avec dédain en le laissant vivre ? Le hoquet de souffrance sembla trouver écho dans l'inspiration choquée du baptistrel. Aldaron leva son autre main et planta son regard dans les prunelles de sa boîte à musique. « Non. » L'ordre était net, tranchant, froid et sa voix avait la marque d'une autorité suffisante pour se faire obéir. Il refusait qu'il intervienne, pourtant il comprenait que son enseignement se vouait à réduire et annihiler la souffrance. Ce d'autant plus lorsqu'il s'agissait de celle d'une ami. « C'est son choix. » Il savait que l'Ordre était très respectueux de cela. Ses prunelles revinrent sur l'homme qu'il venait de saigner à vif. Sans soin, il se viderait de son sang, l'acidité de ses organes aurait raison de sa souffrance. L'agonie serait douloureuse, mais Aeglos avait défini sa mort et Aldaron n'avait été que la main impeccable d'un bourreau suivant une procédure toute écrite.

    Tenant la lance à présent seul, il observa avec une satisfaction morbide, le corps de l'elfe choir à genoux devant lui, incapable de tenir plus longtemps, après avoir titubé. Ses prunelles étaient aussi froides que les neiges éternelles de Nyn-Tiamat. « Partir... Mourir... C'est tellement facile. » ajouta-t-il avec un dégoût qui transparaissait légèrement dans les vibrations sourdes et graves de sa voix. Sa main libre vint se refermer sur la mâchoire d'Aeglos, le retenant avec force et le forçant à le regarder droit dans les yeux, malgré la douleur. Le corps penché en avant, ses mires ne le quittaient pas un instant. « Le véritable combat, c'est de rester. » Rester quand on perdait tout, jusqu'à sa dignité. Rester dans ceux qu'on aimait venaient à disparaître, emportés dans les bras de la mort. « C'est d'exister. C'est d'être. » Il l'insultait ouvertement de lâche que de s'être caché tout ce temps pour échapper à son jugement. Payer de son néant sa dette. Il s'était infligé sa propre peine, il l'avait choisie, aussi douloureuse soit-elle, elle n'aurait jamais de véritable reconnaissance. « Partez, si vous le voulez. Disparaissez vraiment. » Il lui avait ouvert la porte grande et sanglante pour cela. La plaie béante de ses abdominaux était la fontaine de sa vie dont la source finirait par être à sec. « Mais si vous restez, si vous survivez... Je vous interdis de vous cacher. Je vous interdis de croire seulement le pouvoir encore . Je briserai votre masque et je vous briserai vous. Je vous broierai. Je vous annihilerai. »

    Les mots étaient crus, mais c'était le prix du pardon. Le prix qu'il acceptait de le voir verser pour avoir droit d'être encore en ce monde. Son affection pour Orfraie lui laissait la faiblesse de la miséricorde. « Que naisse l'Homme, si vous en êtes seulement capable. » Que la douleur inattendue lui fasse prendre conscience, brutalement, qu'il était toujours en vie. Qu'il devait sortir de son exil et se battre. Il relâcha sa mâchoire et le pauvre homme, convulsé de spasme de douleur, s'écroula enfin à terre. Le dirigeant du Marché Noir l'observa quelques secondes, avant de réaliser avec horreur que sa souffrance ne lui faisait rien. Qu'il ne sentait plus rien. Ni l’empathique douleur, ni la satisfaction vengeresse. Pas même de la pitié ou de la peine. Ça ne lui évoquait plus rien. Il avait enterré ses émotions. Il planta la lance dans le sol, d'un coup sec. Il s'agenouilla pour ramasser le masque et se détourna avec la même froideur insensible. Il s'arrêta, un bref instant, pour autoriser Valmys à s'occuper de lui, enfin, puis il marcha vers le fleuve. Il longea le bord sur une centaine de mètres et resta à contempler la surface légèrement ondulante de l'eau, jusqu'à ce que l'éclat orangé du crépuscule disparaisse, trophée de chasse en main où l'éclat de la nuit, lunaire, fit une caresse aux reliefs d'argent.

    Le froid de la nuit l'enserra de ses bras, lui donnant brièvement l'impression qu'Achroma venait l'enlacer. Un sanglot étouffé serra sa gorge douloureusement. Achroma était mort et il aurait voulu que ses sentiments le soient aussi. Mais ils ne l'étaient là. Il étaient toujours dans le creux de son cœur... Il percevait encore ce qui remuait en lui, lorsque cela touchait à quelque chose de très important pour lui. Aeglos n'était personne pour à ses yeux, personne d'intime. C'était pour cela qu'il n'avait rien ressenti pour lui. Ça ne le touchait pas assez. Il ravala sa peine et rejoignit Valmys ainsi que son patient. La situation s'était calmé après l’effervescence. Aeglos avait été entre de bonnes mains. L'Enwr devait être épuisé, magiquement, mais veillait. Il vint s'asseoir à côté d'eux, jaugeant de l'état d'Aeglos. Il respirait toujours... « Je sais que vous tenez à lui, Valmys... » fit-il d'une voix grave, presque d'outre-tombe. « Comprenez que c'est un cadeau que je lui ai fait. Par pitié ou par faiblesse, personne ne l'a sorti de la prison où il s'est enfermé. Il vivait sans exister et le laisser ainsi c'était comme voir un animal agoniser. A défaut d'avoir la force de l'achever, l'on préférait froncer les sourcils de tristesse, détourner le regard, sans rien faire. Je ne suis pas l'homme de l'inaction. Certaines choses doivent être faites et je suis là pour cela, dussé-je en récolter votre colère, Valmys. Ou celle de tout autre. » Il laissa le silence retomber. « Je ne sais pas ce qu'il attendait de moi, exactement... » S'il avait cru qu'il pourrait le faire ou si sa cruauté aurait préféré lui dire qu'il méritait ce qui lui arrivait. « Mais lui sait ce que j'attends de lui, à présent. La douleur ancre des messages plus efficacement que des mots. Vous devriez vous reposer, Valmys. Je vais veiller sur lui, s'il y a quoi que ce soit, je vous réveillerai. Vous avez été à la hauteur. A présent, c'est à lui de se battre... S'il le veut. »

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Il n'avait rien compris.
Ce n'était pas faute d'avoir essayé ! Croyant connaître un minimum au moins Aldaron, Valmys avait tenté de tirer quelque information de leur énigmatique conversation. Du sein de cet océan d'ombres que l'Enwr avait abandonné à l'identité de l'elfe au masque, leur aîné arrachait un enfant. L'elfe aux veinules de cuivre n'aurait osé agir ainsi, même s'il avait eu le moindre savoir à ce sujet.
Son regard passait du bourgmestre de Caladon à cet inconnu qui lui avait sauvé la vie. Se connaissaient-ils ? Comment diantre faisaient-ils pour entretenir le même langage secret ? Aldaron, bluffait-il ? Valmys l'en savait capable, et son masque de neutralité aurait pu soutenir une telle hypothèse. Seulement... Le mot "Morneflamme" portait trop de sens pour qu'Aldaron l'utilisât en vain. Son seul emploi avait un aspect inquiétant. Faire face à Aldaron ? Que s'était-il passé entre ces deux-là ? Ils n'allaient tout de même pas en venir aux mains ! Pas devant lui ! En sus de l'incompréhension, la crainte commença à parer le regard du petit baptistrel.

Jadis, il avait admis l'elfe au masque pour ce qu'il était au présent. Son passé semblait désormais tout aussi important, mais il n'en savait rien. Une dette ? Quelle dette ? Qu'avait-il fait ? Il vint bien à son esprit que le lien pouvait venir de la guerre avec le tyran blanc, mais... Pourquoi, comment ? Et en quoi était-ce important ? La guerre était finie ! Ne pouvaient-ils pas se faire des bisous, comme tout le monde ?
Désormais l'expression de Valmys parlait bien plus que lui. En plus de l'incompréhension, sa nervosité était palpable. "S'en aller" ? Comment ça s'en aller ? Pourquoi parlait-il de s'en aller ! Le masque tomba. Valmys ne connaissait pas ce visage. Il n'était pas assez défiguré pour que cela justifia de le cacher ainsi. Ce devait donc bien être son identité, son identité d'Enfant. Mais ! Pourquoi ? Et qui voudrait du mal à un enfant ? Pas Aldaron ! Pas tel que Valmys le connaissait !

Les mots et les symboles allaient et venaient dans tous les sens, et le pauvre petit Enwr n'avait pas de quoi les saisir. Le regard de Valmys s'arrondit en voyant les mouvements de la lance. Il en sentit la magie. Non mais...! Là c'était trop ! Les symboles, d'accord, il voulait bien, mais les armes et le sang, était-ce vraiment nécessaire ? Les affaires du passé ne pouvaient-elles pas y rester, ou revenir en de simples termes miséricordieux ? Son regard vint à nouveau sur Aldaron, espérant que ce dernier, raisonnable qu'il était, saurait qu'ils allaient trop loin. Ce ne fut pas le cas. Il n'allait tout de même pas abîmer le joli corps de l'elfe au masque pour des symboles ?
Il y eut un mouvement de trop. Nul besoin d'être Cawr; Valmys partagea la douleur de celui qui l'avait sauvé, dans une brusque inspiration d'effroi.

Aldaron trouva les justes mots pour empêcher Valmys d'agir tout de suite. L'évocation du choix plaça l'Enwr en assez grand dilemme pour le figer ainsi, le coeur battant, le souffle coupé. Son regard ne quittait pas la blessure et le sang. Il pouvait presque en ressentir le fantôme dans son propre ventre. Il pouvait presque deviner la vie qui s'écoulait et, inversement proportionnelle, l'espérance de vie de celui qu'un instant plus tôt il admirait, qui diminuait.
Jamais il n'avait vu Aldaron agir ainsi, jamais il ne l'avait entendu parler ainsi. Il avait connu sa voix presque paternelle, bienveillante, et ses délicates intentions. Etait-ce du fiel dans sa voix ? Du dégoût, du mépris ? Il ne savait pas. Mais ce n'était pas l'Aldaron qui lui avait offert un poney au sein d'Endeaärumë. Une possession ? C'aurait été inquiétant. L'esprit de cet elfe était fort, Valmys le savait très bien. Rah, par les Huit ! La douleur se lisait sur tout le corps de l'elfe au masqué tombé. Où était passé le grand coeur d'Aldaron ? Ne sentait-il pas ce qu'il avait fait ? Sitôt l'autorisation donnée, Valmys n'hésita pas, se jetant presque sur le blessé pour l'installer dans une position correcte, et commencer à chanter pour lui. Qu'être blessé fut son choix ou non, rien ni personne ne pourrait changer la nature du petit Enwr. Tout son être hurlait que la peine de son ami cesse, et que sa vie soit protégée.

Lorsqu'Aldaron revint, le froid de la nuit n'avait pas réussi à retirer l'humidité des joies de l'apprenti baptistrel. La tête de l'elfe défait de son masque reposait sur l'une de ses jambes, il était assis en tailleur, une main sur le coeur de son patient. Il était sauvé. Une vilaine cicatrice barrait désormais son ventre, et le manque de sang devait le maintenir épuisé. Valmys ignorait totalement s'il était conscient ou non. S'il l'était, il n'en avait pas montré signe, et... Bon, d'accord, il en avait un peu abusé. Non, pas comme ça, bande de pervers. Il l'avait juste pris dans ses bras, à un moment, ayant besoin d'une peluche sur laquelle passer ses émotions. Son soulagement n'était parvenu à apaiser le tourbillon de ses émotions. La fatigue, en revanche, avait obtenu cette victoire. Elle se devinait désormais sur son visage, même immaculé. Son regard était hagard lorsqu'il se tourna vers Aldaron, pour l'entendre parler encore. C'était un peu facile de dire tout cela... Et si Valmys n'avait pas réussi à le sauver ? Aurait-il tenu le même discours ? Et l'elfe blessé, éveillé, lui tiendrait-il le même ? Valmys était bien trop épuisé pour vraiment y penser, et vraiment en vouloir à qui que ce soit. S'ils étaient tous deux d'accord pour cela... Eh bien ils étaient tous les deux stupides. Et ils lui devaient tous les deux l'énergie du chant de soin, et si possible en repas. L'Enwr répondit à Aldaron en observant le visage de son patient - il était bien plus beau sans douleur.

"-Il risque d'avoir faim à son réveil." Lui aussi. Mais lui n'avait pas frôlé la mort. "Il faudra..." Non, finalement il était trop fatigué pour finir sa phrase. Un lourd soupir lui échappa. "Aldaron, la prochaine fois, par pitié, trouvez un autre moyen d'ancrer les messages, de faire passer des symboles, ou que sais-je. Je suis sûr que vous ne manquez pas de ressources ou d'imagination." Ne savaient-ils pas tous deux combien la douleur d'un corps pouvait être dérisoire en comparaison avec la douleur de l'âme ? Inconsciemment, les doigts de Valmys se crispèrent sur le torse de son patient. Il n'avait pas vraiment envie de le re-poser. Et si on le blessait pendant qu'il dormait ? Et si on le lui dérobait sitôt qu'il s'en écartait ? Nan, ce patient-là, il était à lui. Cherchant à empêcher Aldaron de se dérober à sa demande, il ajouta: "Qui est-il ? Qu'a-t-il fait ? Vous connaissez-vous ? ...Que va-t-il advenir de lui, désormais ?" Les mots s'évanouirent dans le bleu de la nuit et le roucoulement du fleuve. Valmys fit de son mieux pour rester éveillé et écouter la réponse qui lui était apportée. La nuit eut néanmoins pitié de sa fatigue -non pas celle de son chant, mais celle de ses émotions. Elle le prit dans ses bras, et l'allongea, à terre, plus ou moins contre son patient, avant d'emporter sa petite âme, très délicatement, dans un univers plus doux, où panser ses propres blessures.

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Délivrance.
En était-elle réellement une ? Sentiments, s'il était encore capable d'en ressentir, et émotions, si à l'instar d'un froid cadavre leur étreinte n'avait depuis longtemps déjà délaissé le coeur, lui informaient d'une erreur dans le processus, un malaise semi-réel qu'il n'avait pas connu jusque là. Le vent qui obéissait à sa commande, lacérait le tissu, puis sa peau, sa chair, ses organes, le trait d'un soupir qui le traversait au moment ou il expirait. Sensation, puisque c'était la seule chose dont il avait besoin pour jouer de sa lame, puisqu'il ne lui restait que ça, n'était pas la même que lorsque les milles lames des chimères vinrent entailler son corps nu au détroit d'Ëoma. La paisible innocence de son dernier soupir n'avait pas de points communs avec le froncement de ses sourcils, son équilibre qui se perdait, ses membres qui titubaient, et la peur de ne pas se voir capable de reprendre son souffle. Ses mains joignirent instinctivement son abdomen, comme pour en retenir le sang de s'écouler : réflèxe indigne de la chair, il ne voulait pas échapper à ce destin là, il voulait boire chacune des gouttes des sermons qu'on lui adressait, il voulait se laisser traverser par le regard plein de haine de son agresseur autant que sa propre lame l'avait fait. Il voulait qu'on lui ôte le doute de cette incomplète délivrance : Avait-il commandité sa propre mort ? Par le passé il s'était déjà relevé, il avait capturé sa propre âme pour l'enfermer quelque part ou l'appel de la mort ne viendrait pas la chercher, et avait chargé son corps de toute sa bonne volonté, qu'il fasse écho au regret, au désespoir, aux pleurs d'Aeglos Evanealle,et à son désir de changer. Oh il s'était battu, pas pour se reconstruire, il s'était détruit lui même, mais pour aider tout à chacun à le faire, apporter l'opportunité à ceux qu'il rencontrait de pouvoir le faire. Il était resté aussi longtemps qu'il l'avait pu. Pourtant, on le traitait de lâche et on l'humiliait, on le menaçait de l'annihiler. Il ne pouvait pas répondre, la poigne sous son menton était trop insoutenable. Y aurait-il seulement quelque chose à annihiler, les dernières volontés d'un enfant berné par le destin ?

Il ne pouvait pas savourer cette mort là parce qu'il l'avait provoquée, avait fourni l'arme à son bourreau. Et il n'avait pas tort, car dès lors, cela ne rimait qu'avec une exécution, pas un jugement, encore moins le jugement impartial de sa propre morale. Pourtant, on l'accusait de ne pas vouloir se battre, de s'enfuir, de se cacher. Sans qu'il n'ai jamais été question de volonté mais de devoir, celui qui lui adressait ces mots avait eu le choix entre lui laisser l'arme en main pour qu'il puisse continuer le combat, ou la lui retirer et mettre fin à ses jours. Qui donc était le plus responsable d'une fin aussi prématurée entre le bourreau de haine et la victime qui lui en avait fournit la hache ?

Il s'écroula, terrassé par la violence. A genoux le regard vitreux, il accepta sa blessure, au final, seule la violence de cet acte n'avait un sens pour lui car elle était infiniement légitime. Si par sa mort il pouvait aider quelqu'un, s'il pouvait lui donner l'occasion de se reconstruire, s'il pouvait continuer son travail, alors n'était-il pas de son devoir de l'accepter ? Lorsqu'il s'écroula sur le dos, un liquide écarlate imbiba sa robe déchirée, dans ses longs cheveux fins éparpillés autour de lui, dans l'herbe douce et humide. Il hoquetait, mais la douleur n'avait enfin plus de sens pour lui. Il ne voyait plus ni baptistrel ni bourgemestre, ni nocturne délicat paysage, ni imposantes montagnes, ni émergentes cités, ni dragons, ni urgentes présomptions ni or et corruption. Il ne voyait qu'un mirroir d'eau face à lui, vide de lumière. Une étendue calme et parfaitement lisse, jusqu'à ce que l'une des gouttes de sang ne s'écoule de la plaie pour aller en troubler la surface, faire naître un petit nuage rouge et des ondes qui se propagèrent en cercles excentriques. Une forme se dessina alors. Un homme pitoyable, avec le visage d'un meurtrier, blessé et meurtit, les joues humides de larmes. Seule une brise semblait avoir pitié de lui et venait caresser son visage dans ses derniers instants.  

“Qui es-tu ?”

Le bras levé, il tentait de lui venir en aide, mais il ne touchait du doigt que son reflet.


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Il n'y avait pas de douleur, pas de mal être. Pas de sentiments, d'émotions, de sensations. Désormais, il n'y avait que du vide, mais un vide emplit d'une lumière douce dans laquelle il flottait, qui instillait une grande paix, le fruit de sa recherche, une grande sérénité. Il pouvait encore penser, et il se demandait ou il était, peut être au royaume des morts ? Peut être était-il une âme qui flottait dans l'infini, si c'était le cas, il devait bien avoir une identité, il fallait la chercher. Il savait que c'était une perspective qu'il avait longtemps ignorée, l'idée de savoir qui l'ont est, il savait qu'il avait eu un passé ou en cherchant, la seule réponse qu'il avait trouvée était erronée, mais maintenant il avait l'impression de pouvoir y répondre un peu plus justement, s'approcher un peu du vrai. La lumière était si douce, il se sentait bien ainsi, il se sentait réconforté, récompensé. Peut être avait il touché du doigt la rédemption avant de disparaître, qu'il avait fait de grandes choses... Et maintenant il était choyé par cette athmosphère apaisante et cette ambiance doucereuse, que de récompenses. Mais s'il avait oublié qui il était, il ne pouvait être sûr de les mériter, l'ombre du doute vint l'entourer, comme toujour, et malgré toute cette bien aisance, il prit le risque d'ouvrir les yeux.

Des formes apparurent alors, il reconnut des feuilles, une plaine, des arbres, beaucoup de vert, et une grande chaleur. Les choses avaient une forme et une texture, une idendité, il pouvait reconnaître le soleil, l'astre diurne haut dans le ciel. C'était beaucoup d'un coup, il mit du temps à se situer dans l'espace et le temps. Il était allongé contre le tronc d'un grand chêne et était éclairé par les rayons doux de la matinée, d'ou, probablement, toute cette lumière lorsqu'il avait les yeux fermés. Il s'était endormi, paraît-il, ou plutôt évanouit, mais il n'avait pas été tué. Il tenta de bouger, pour voir ce que ça faisait. Et il se trouva lent et affaiblit, il n'avait pratiquement aucune forces et quelque chose pesait contre lui. Un petit être s'était endormi contre son torse, la tête sur son épaule, et lui avait un bras passé tout autour de son dos. Cette position était surprenante, de sa part en tout cas, et sa main se leva dans un réflèxe lent. Qui était ce petit être ? Il jurait qu'il était un elfe, comme lui ?  Une telle proximité ne lui semblait pas naturelle, il eu envie de se lever et de partir... Mais après quelques instants, trop faible pour agir, il reposa la main sur son épaule. C'était à lui qu'il devait cette sensation de confort. Son regard encore ivre alla ensuite se poser plus loin, il vit une lance plantée dans le sol, il la reconnu vite, c'était Gwearen, sa lame.

Une étincelle de douleur vint brûler son ventre à cette simple vue, et les souvenirs les plus récents lui revinrent en mémoire. La réalité revint à nouveau s'installer en son esprit, mettre fin petit à petit à son délire et la sensation de brûlure évoqua son accident, lorsqu'il avait retourné Gwearen contre lui même. Son regard se précipita, presque paniqué, au niveau de son abdomen. Sa robe était en lambeaux mais pas sa chair, une immense cicatrice barrait ses muscles abdominaux, mais la blessure qui il y a quelques heures était jeune et sanglante, semblait déjà agée de plusieurs années. Il ne mit pas longtemps à faire le lien avec l'elfe qui sommeillait contre lui. Son regard se porta à nouveau sur son visage innocent. Il n'était pas paisible, mais malgré ces traits un peu effrayants sur le visage d'un si bel enfant, il reconnut le dénommé Valmys, apprentit baptistrel, connaissant le petit homme il avait dû s'étouffer d'angoisse lorsque la vie gicla hors de son corps, il n'avait pas pu le supporter, bien qu'il n'ait jamais eu de rôle dans son histoire. Malgré tout, il avait encore une fois démontré de ses grand talents pour la maîtrise du chant.

Ainsi donc, il avait survécu, une fois de plus. Il ferma les yeux à nouveaux, cherchant à retourner dans sa douce lumière pleine de promesses, mais elle n'avait plus rien d'authentique : La réalité l'avait déjà rattrapé et pesait maintenant, tout comme d'habitude, sur ses épaules. Combien de fois lui faudrait-il mourrir pour ne plus être sauvé ? A combien de jugement allait-il être soustrait ? De sa main libre, il alla prendre celle du baptistrel avec une aussi grande lenteur que douceur, et la serra affectueusement. Il ne savait pas s'il lui était redevable, c'était une dette de plus. Il pensa à Aegnor qui lui avait épargné la mort, il pensa à Kaalys qui avait pleuré pour lui, et puis il pensa à ce petit être innocent qui s'était épuisé de chagrin sur sa dépouille. Il avait déjà vécu cette scène, comme d'habitude, il finirait par se relever, lorsque le sang qu'il a perdu lui sera revenu, et il retournerait mécaniquement contempler la beauté du monde pour la préserver.

Sa vision s'était encore un peu affutée, il cernait mieux les détails, il pouvait voir plus loin, aussi en relevant la tête, en ouvrant les yeux, il distingua une autre forme. Plus sombre, plus imposante. Il s'agissait d'un grand elfe aux cheveux blancs. Le juge était donc resté à son chevet, cela signifiait qu'il s'inquiétait peut être que son jugement soit bien appliqué, mais comme ce n'était pas le cas, probablement qu'il n'avait simplement pas finit d'appliquer sa peine. Dans ce cas, c'était à lui de parler, alors il se contenta de le toiser, le regard vide. Savourant la levée d'une brise qui caressait ses lèvres, son nez, ses cheveux, en attendant la suite.

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    « Dors. » L'ordre impeccable, froid mais surtout juste, avait été celui du bourgmestre pour mettre un terme aux abondantes questions du baptistrel. Il ne le priverait pas de réponse, mais il ne le priverait pas non plus du repos réparateur auquel il aspirait de tout son être. Des explications, il en aurait. Elles viendraient lorsqu'il serait en état de les comprendre. La fatigue n'y aidant pas, il patienterait le lendemain. L'elfe à la peau sombre se faisait régalien, et sa décision était irrévocable. Il déviait le regard sur l'horizon, caressant de son attention la courbe calme du fleuve fertile où le soleil dessinait ses éclats jusqu'à la nuit obscure. La lune venait blanchir la surface d'un apparat tranchant. L'ombre était son refuge, ici, Aldaron se sentait bien. Il aurait pu être un vampire, autant qu'un humain et il était un elfe. Des trois peuples, il n'avait trouvé sa place, jamais, son cœur ne voulant pas s'accrocher, s'afficher comme n'était qu'un seul. Son cœur battait pour tous les peuples et son cœur abattrait tous les tyrans, ainsi que ses sbires, aveugles ou sadiques. Les complices n'étaient pas moins coupables que les commanditaires. Ils étaient les mains qui auraient du se rétracter de l'horreur qu'elles formaient d'elles-même. L'homme qu'il avait épargné de la mort, aujourd'hui, était un monstre, à ses yeux.

    Aldaron, lui-même, était un monstre, à sa manière. Le cœur de pierre pesait dans sa poitrine, froid et terme. Il n'avançait que par faiblesse et par peur. Il refusait qu'Aeglos ait droit à la douceur de l'ombre et du néant. C'était une punition bien trop paisible pour un monstre. Le véritable châtiment, c'était la lumière. C'était vivre avec son fardeau sans pouvoir se consoler ou se cacher. C'était verser ses larmes de regrets devant tout le monde. Et payer. Ses prunelles verdoyantes tombaient sur le masque argenté logé entre ses doigts. La lumière lunaire baignait d'un feu de lait le profil singulier, celui du lâche. Il ne fuirait plus. Dormir, c'était l'ordre qu'il avait donné à Valmys, mais dans sa psyché tourmentée, le bourgmestre ne trouva aucun repos. Il ne disait rien, il ne pensait plus rien. Engourdi par le froid, il avait à peine vu ses sbires du Marché Noir porter de quoi les couvrir des glaces nocturnes du désert. Un panier de fruit suffirait à les sustenter au réveil. S'il avait faim. Morneflamme lui avait appris à se contenter de rien. Il coula son regard, sur les deux endormis, terne et insensible. Il se moquait bien de ce qu'ils pouvaient ressentir l'un pour l'autre, il ne parvenait pas à comprendre cet attachement, quand bien même il avait pu le contempler plus d'une fois. Il était l'être qui ne s'accrochait à rien. Ni aux siens qu'il avait abandonnés, ni aux humains qui mourraient si vite. Rien n'avait ce goût si singulier.

    Le regard qu'il porta sur Aeglos, lorsqu'il s'éveilla, était sévère, et sa posture droite et altière lui conférait volontiers le rôle du juge. Il avait cogité toute la nuit, à la fois perturbé et rongé par ses réflexions et sa colère. Il lui en voulait, avec toute la légitimité qui était la sienne. Combien de fois les portes de Morneflamme s'étaient ouvertes avec des prisonniers capturés par des traîtres à la solde du Tyran Blanc ? Combien avaient souffert ? Combien avaient été torturés ? Combien avaient trouvé la mort, dans cet écrin d'inhumanité bestiale et chaotique ? Il le haïssait pour cela. Autant qu'il avait haï Vanaël d'avoir collaboré avec le monstre sanguinaire. D'avoir pourchassé les Protégés au nom des ordres du Blanc et de les avoir jugé coupables de vouloir être libre. Il méritait la mort et il ne méritait que cela, sans la moindre hésitation.

    L'elfe avait encore en tête la voix d'Orfraie, quelques jours plus tôt, qui lui expliquait combien l'amour pour un enfant pouvait être aveugle et débordant. Celëborn lui faisait sentir pareil attachement, en fond de son cœur froid. Il pouvait comprendre la dragonnière. Mais pouvait-il pardonner pour autant ? Et puis il y avait Valmys qui lui avait conté combien le masqué avait été bon avec lui. Un ami et un allié sur lequel il pouvait compter. Aurait-il le courage de lui arracher cet homme, au nom de la justice ? Oui, sûrement. Aldaron était un homme d'actes et il ne manquait pas de détermination. La douleur aurait étreint son cœur pour la perte que Valmys subirait mais... Il se relèverait, non ? Alors qu'il était aussi inflexible, pourquoi avait-il laissé l'Enwr soigner ce rebut de la société ? Pourquoi lui avait-il accordé ce havre de paix ? La vérité s'appelait espoir. Il ne pouvait ni la nier ni la réfuter. Elle s'imposait comme voie par excellence à ses yeux... Lui laisser une seconde chance pouvait être envisagée. Une opportunité, une seule, qui ne pourrait être trahie d'une quelconque manière que ce soit. Parce qu'il le tuerait dans le cas contraire.

    Sans répondre au regard silencieux de l'elfe du vent, celui de l'ombre reporta son attention sur le fleuve et ses bruissements tranquilles jusqu'à ce que Valmys s'éveille à son tour. Il laissa l'Enwr s'occuper de son patient pendant de longues minutes avant de lui désigner d'un signe du menton le panier de fruit qui leur servirait de déjeuner. Pas un mot, à nouveau. Le mutisme renforçait sa prestance directrice, celle qui prendrait l'avenir en main pour la modeler au gré de sa volonté torturée. « Il s'appelle Aeglos Evanealle. Des titres qu'il s'est donné pour cacher son identité, aucun n'est "Monstre" et pourtant, c'est celui qui lui correspond le mieux. » Il portait un regard froid d'une colère couvée sur le dit-nommé. « Sans contrainte, sans marque d'allégeance forcée, il a pourchassé les ennemis du Tyran Blanc et il les a exécutés. Il les a envoyé à Morneflamme. »

    Ses mots se nimbaient d'un écœurement souverain, qui stagnait sur la langue avec un goût amère. Il était calme mais il était en colère. Il était concis et il était cru. Il parlait sans détours, sans arrondir les angles comme son charisme pouvait si bien le faire. Là, il n'en avait pas le moindre envie. « Il a combattu les siens au nom de la colère. Il a versé leur sang avec un dédain si vindicatif qu'aucune rédemption ne peut lui être accordée. S'il s'est annihilé, c'est pour se cacher, pour échapper aux conséquences de ses actes odieux. Qu'importe ses mots pleins d'abnégation, ils ne sont qu'hypocrisie factice pour camoufler la facilité confortable qu'il s'est offert. Être au néant, c'est si doux alors que ceux qu'il a envoyé à Morneflamme n'ont pas eu droit à ce vide salvateur. Ceux qui ont été enfermé dans la prison ne pouvaient pas être libre, même dans leur tête. Il les a forcé à être des bêtes. Il les a forcé à s'entre-tuer. Il les a asservi, corps et âme. Il les a souillés. Il les a salis. La mort était la seule chose qu'une personne sensée peut lui octroyer. Cet homme est monstrueux. »

    La haine piquait ses doigts d'une envie de l'étrangler, de l'observer froidement suffoquer et étouffer jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent. Le voir souffrir, payer. Peut-être s'arrêter avant qu'il n'atteigne le Royaume de Mort, pour mieux recommencer. Sa cruauté le dérangeait autant qu'il aurait été comblé de la réaliser. S'il se jugulait, c'était parce qu'il savait que c'était sa propre part monstrueuse qui s'exprimait. « Voilà ce qu'il est, Valmys. Voilà ce qu'il a fait. Voilà pourquoi je suis en colère. » L'elfe posa délicatement le masque sur le torse d'Aeglos, l'expression toujours aussi sévère et lisse. « Mais je ne veux pas être le monstre qu'il a fait de moi. Je ne veux pas laisser cela s'exprimer. Et si je suis capable de me battre, il devra le faire aussi. Il devra porter son fardeau à la lumière. » Le silence se fit long et lourd, pesant sur les épaules de celui qu'il jugeait sans le moindre ménagement. « Je vous laisse votre masque. Portez-le autant que vous le voulez. Mais avant la fin de cette année, vous viendrez à Caladon pour me l'offrir, parce que vous n'en aurez plus besoin. Parce que vous aurez cessé de vous cacher. Vous me l'apporterez avec tout le respect d'une promesse, celle d'être l'Homme et non plus l'Enfant. »

    Ses traits devinrent sensiblement plus doux alors qu'il poursuivait : « Orfraie pleure votre absence. Si vous avez vraiment cessé d'être cruel, vous mettrez fin à sa souffrance et vous irez aux portes du Royaume Elfique pour vous acquitter de votre dette, redorer votre blason. Valmys n'a pas à subir la compagnie d'un paria, d'un fugitif, aussi douce puisse-t-il la trouver. Il mérite quelque chose de plus sain et vous lui offrirez, Aeglos. » L’émeraude se fit lentement aussi tranchant que des lames : « Parce que si vous ne revenez pas avant le terme de cette année, je vous retrouverai. » Sa voix devenait aussi froide que ses yeux, de façon dérangeante, alors qu'il terminait : « Et je vous montrerai Morneflamme. » Oh oui, il lui montrerait ce que ces traîtres comme lui avaient fait des hommes comme Aldaron en les envoyant à Morneflamme.

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Son sommeil fut profond, lourd de régénération. Un sommeil troublé par un rêve pulsant contre sa poitrine, dans cette petite poche où il gardait ce caillou si particulier. Le froid l'enveloppa, avec cette odeur particulière, cet air unique qu'il peinait pourtant à associer à un nom. Les ombres enlaçaient la neige, des silhouettes acérées se profilaient au loin. Le monde était silencieux, à l'exception de cette respiration, forte. Du bout de sa langue, Valmys perçut des écailles, et de l'humidité. Etait-il... Un dragon ? Un dragon qui faisait sa toilette. Les couleurs dévorées par la nuit, il ne distinguait toujours pas l'identité dudit dragon. Son attention se porta de façon plus précise sur les écailles devant lui, dans l'espoir de distinguer une nuance, un reflet, quelque indice.
Un esprit vint contre le sien, l'ayant remarqué. Le choc l'éveilla un très bref instant. La fatigue le ré-assomma aussitôt, le forçant à nouveau à un vrai repos.

Un mouvement toucha ses sens physiques, l'arrachant à sa torpeur. Il retrouva le son de l'eau et sa fraîcheur, ainsi qu'une odeur particulière qu'il identifia comme "agréable" avant de lui apporter une identité plus précise. A plein poumons, c'était de l'odeur de son elfe démasqué qu'il était en train de s'imprégner. De même, c'était autour de son torse que ses bras s'articulaient. En peu de temps, le petit Enwr comprit que sa position était loin d'être décente. Et il n'avait pas envie d'infliger à son flûtiste ce qui lui avait été infligé.

Voyant qu'ils étaient tous deux éveillés, il se détacha de lui aussi délicatement et prestement que possible, avec un petit "désolé" tout gêné qu'il s'empressa de compléter par quelques questions sur son état de santé; avait-il mal ? Comment se sentait-il ? Après une très brève inspection magique, lorsqu'il fut sûr que tout allait bien, le petit Enwr se détendit un peu, comme si une blessure bien soignée pouvait lui assurer que l'esprit de son aîné ne s'était vu molesté par son contact trop rapproché. Alors, seulement, les questions plus rationnelles, détachées du chaos de ses émotions, lui vinrent. Comment était-il arrivé à s'endormir sur cet elfe ? Cela ne lui ressemblait pas du tout. On l'avait sans doute assommé ! Mais qui ? Son dernier souvenir était dans les mots échangés avec Aldaron. Il lui avait posé une question, et ne se souvenait pas même avoir entendu la réponse. Pourtant, nulle douleur sur sa tête. Un assommage magique ? Il n'avait pas envie d'y croire, pas venant d'Aldaron. Ceci dit, il n'avait pas envie de croire non plus à ce geste qu'il avait pu avoir, cette lance et ce sang versé. Les réponses qu'il n'avait pu recevoir lui manquaient. L'elfe aux cheveux blancs avait-il seulement été lui-même ?

De nouvelles inquiétudes assaillirent le petit immaculé, qui observa frénétiquement autour de lui, cherchant tant ses repères que la lumière de ses zones d'ombre. La silhouette qui se découpait dans les clairs-obscurs de l'aube, il la reconnut, instinctivement. Les mots se bousculaient encore à la porte de ses lèvres lorsqu'un geste détourna son attention. Un panier avec des fruits. Oh... Voilà qui était prévenant. L'énergie lui manquait, son ventre était creux. Néanmoins, le noeud qui y avait pris place entravait sa faim. Valmys se saisit d'un fruit, davantage pour que la suggestion finisse par le motiver que par réelle conviction. A ce moment, Aldaron prit la parole, achevant de couper son appétit.

Il était sidéré. Ce qu'il entendait lui paraissait beaucoup trop éloigné de ce qu'il connaissait, de cette réalité. Des rêves avaient déjà prouvé plus de réalisme à ses yeux. Son regard oscilla entre le survivant de Morneflamme, et le masqué qui ne l'était plus, ce sauveur qui avait été un bourreau. Rien dans leurs attitude ne venait pourtant démentir ce qu'il venait de vivre. Cela lui coûtait, mais il devait admettre, désormais. Admettre que Morneflamme avait marqué Aldaron plus qu'ils l'auraient tous deux désirés, que ce nouvel et magnifique ami avait ses penchants sombres. Admettre que celui qu'il avait eu si hâte de retrouver avait un passé de monstre, qu'il fuyait.

Quelque chose en lui, de très fort, venait interférer avec sa réflexion. Il aurait peut-être dû haïr, craindre, en vouloir à cet elfe d'être l'odieux responsable d'un crime aussi grand. Là où son esprit énonçait posément que c'était une des pires actions de ces derniers siècles, les émotions peinaient à venir. Il n'y arrivait pas. C'était impossible, et il ne comprenait pas pourquoi. Au lieu de cela, il n'y avait que ces pensées qui serraient le coeur, qui crâchaient sur la raison pour soutenir son propre équilibre. Elles avaient un nom. Jadis, Valmys avait beaucoup trop peiné à les ressentir et à les trouver pour vouloir désormais s'en défaire. L'espoir brûlait en lui, et il voulait le consummer jusqu'à ne plus trouver que satisfaction ou déception.

Un petit sursaut accueillit le bras d'Aldaron se tendant vers Aeglos. Il allait le blesser, encore ?! Ah, non. Le masque était au bout, et il n'était nullement une arme blanche. Par les Huit, un jour les êtres de ce monde finiraient par avoir la peau du coeur fragile de Valmys !
La crainte retomba aussi vite qu'elle était venue. Le jeune immaculé se fit l'observateur silencieux et attentif et l'échange, des promesses, des explications. En un sens, il admirait Aldaron. Cet elfe qui bridait sa colère et, d'elle, créait quelque chose. Lui aussi aurait aimé pouvoir vaincre les chimères qui le hantaient, et être capable de métamorphoser ses blessures les plus profondes. L'heure viendrait peut-être. Cette scène en aurait été une actrice.
Son regard s'attarda sur Aeglos avec une once de demande de pitié. Il voulait le voir rendre ce masque.

"- Aldaron..."

La menace du survivant avait été suivi de cet appel, à voix basse. Elle avait ce côté légèrement plaintif qu'ont les appels à la douceur. Mais il ne s'agissait point de cela. Avec un faible sourire en coin, Valmys précisa:

"- Je ne pense pas que ma présence se mérite plus qu'une autre."

Il se tourna vers Aeglos, observant avec un peu trop d'insistance cette partie de visage que le masque avait découverte. Il aurait aimé lui prendre la main, pour le soutenir autant que pour lui porter ses émotions. Une sale odeur d'iode l'en empêchait encore.

"- Aeglos, je doute que nous puissions changer le passé. Mais puisque votre existence en ce monde n'est pas achevée, le présent et le futur sont encore à votre portée. Vous avez blessé, vous avez tué... Et vous m'avez sauvé. Je suis certain que vous pourriez apporter à de nombreuses autres personnes. Peut-être pas de la même façon..." Il eut à nouveau un sourire en coin. Oh non, il n'allait pas passer son temps à guetter les accidents de vol à dos de dragon !
Son sourire s'effaça néanmoins pour une expression plus sérieuse, interrogative. Dans le regard qu'il lança à Aldaron, et dans les traits de son visage, il demandait son aîné d'alimenter ses espoirs, tant envers Aeglos qu'envers lui. Il avait été réconforté par sa miséricorde, il voulait savoir si, déjà, leur aîné approuvait son propos, et s'il pouvait l'emmener plus loin, suggérer quelque action à celui qui ne porterait plus de masque. Son aide, Valmys ne la lui demandait pas encore. Il savait que, déjà, Aldaron offrait énormément.

descriptionPour un -magnifique- poulain EmptyVolonté

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Un bruissement de vent dans les feuilles du chêne, et l'elfe sombre savait qu'il était éveillé. Il le contemplait alors, durement. Lui ne le lui rendait pas, il le supportait, tout simplement, il n'avait que cette seule possibilité. Cela lui paraissait étrange, car ce regard colérique signifiait bien que le bourgmestre de Caladon n'avait pas fini d'appliquer sa sentence, pourtant il n'avait tenu qu'à lui de l'empêcher d'être soigné, de l'achever, ou bien Valmys lui avait-il tenu tête ? La chose était inachevée oui, elle continuerait. Aldaron allait s'en assurer. Plus que la colère, à force de l'observer, il distinguait quelque chose d'autre dans son regard, quelque chose comme de la tristesse ou de solitude, comme des remords qui ne lui seraient pas destinés.

Le petit elfe baptistrel le tira cependant de ses rêveries. Il commença à bouger et lui tourna le regard vers ses petits yeux qui s'ouvraient. Son regard pur qui s'éveillait, il y avait à l'intérieur de celui là une identité authentique, intacte, qui avait toujours fasciné l'elfe au masque. Cette lueur se retira bien vite, sans tout de fois disparaître, pour laisser place à une sorte de panique. Il ne devait pas réellement assumer la position relativement intime dans laquelle il se situait vis à vis de lui, et se dégagea rapidement pour prendre quelques distances avec un petit « désolé » timide. Il chercha sans doutes à se situer, se repérer et bien se placer car il lui posa aussitôt plusieurs questions quant à son état de santé ce à quoi il lui répondit simplement qu'il allait bien.

Ils avaient passé la nuit ici, mais on leur avait apporté de la nourriture, semblait-il. Le baptistrel ne perdit pas de temps à croquer dans une pomme. L'elfe ne pouvait pas imaginer l'effort qu'il avait du fournir pour le sauver d'une blessure aussi grave et ne portait là aucun jugements, ça lui aurait été artificiel. Il ne porta pas non plus de jugements lorsqu'Aldaron prit enfin la parole, le décrivant dans toute son histoire à Valmys. Et cela ne lui fit rien. Ces paroles ne lui étaient pas adressées, mais il continuait à observer l'elfe aux pâles cheveux ne sachant ou déposer son corps et ses yeux, il demeurait assit contre le tronc du vieil arbre. à certains de ses mots, il en déduisait qu'il n'était pas compris, mais pouvait-il lui en vouloir, lui qui avait tant souffert de ses crimes, comment pourrait-il comprendre la voie qu'il avait choisi, personne ne le pouvait, pas dans ces conditions. Alors il l'admirait pendant qu'il dressait un portrait probablement véridique de sa personne en expirant tant de dégoût et de haine sanguine et dégoulinante, et il le fit tellement bien que ses yeux en devinrent humides : Il le niait comme on nierait qu'il fait jour lorsque le soleil brille haut dans le ciel, mais il pouvait encore ressentir, il avait encore des émotions, il avait encore une compassion, c'était ce qui lui permettait de s'orienter vers la lumière, d'être juste dans sa quête et ses actions. Et en cet instant, il avait pitié de cet homme qui se laissait dévorer par cette abominable gangrène qu'est la haine, et il avait honte de lui même, de ne pas être capable de le sauver, de l'aider, autrement qu'en la nourrissant. Cet homme représentait à lui seul l'héritage de son passé, le feu qui l'avait consumé venait consumer les peuples de cette nouvelle ère...

Leweïnra revint lui rendre son masque, il en contempla quelques instants les reflets, mais il l'écoutait. Cette fois, c'était bien à lui qu'il s'adressait. Il resta de marbre encore quelques minutes, totalement immobiles, les yeux cette fois détourné vers le vide, emporté loin de l'endroit ou reposait son corps, pour réfléchir, méditer, même quand Valmys s'adressa à lui, il était ailleurs. Puis, il se releva.

Lentement, en prenant son temps, jaugeant de son état et de sa force, et s'appuyant tant bien que mal sur le chêne, il se rehaussa à leur niveau. Les deux le regardaient à leur manière, Aldaron avec doute, Valmys avec espoir. Ils attendaient tout deux sa réponse, sa réaction. Mais qu'avait-il à dire ? Lui qui faisait de manière permanente le vide en lui pour ne pas ressentir plus que le nécessaire. Quand bien même il s'exprimerait, on ne l'écouterait pas, on ne l'écoutait jamais car on ne l'avait jamais écouté, même dans sa plus tendre enfance, même dans ses pires moments, alors il en avait perdu si seulement il l'avait eu cette qualité d'expression, le bon alignement de mots. Il patienta contre son arbre, le temps que des mots viennent pour faire ressortir cette boule qu'il avait dans le ventre. Son regard se perdit sur ce qu'il avait vu, son propre reflet dans le miroir d'eau, et là seulement il se décida à s'exprimer. Il inspira lentement, ferma les yeux, et expira doucement. Il le ferait, mais pas de manière conventionnelle.

Il créa d'abord un fil, une base sur laquelle se reposer, un élément purement constructif qui lui permettait dans un premier temps de se soulager, de réaliser qu'il avait la parole et de faire le tri dans son ressentit. Certaines choses devaient être prises en compte, d'autres non. Ensuite, cette note grave et linéaire servait la mélodie, c'était la médiane de son histoire, la neutralité qu'il lui faudrait transcender pour pouvoir s'exprimer. Sa vie n'était pas linéaire, son chant non plus. Il jouerait en trois temps, d'abord pour lui même, puis pour les autres.

Ses doigts frêles parcouraient le bois taillé de l'instrument.

Les feuilles du chêne s’agitaient, le vent vint s'engouffrer entre ses fines couches de tissu végétal pour les animer, puis serpenter autour de son tronc, venir apporter une brise sur le visage métallique du musicien. Il appréciait la présence de son esprit-lié, il appréciait les conseils qui lui étaient chuchotés à l'oreille, et alors il contemplait son reflet d'une manière différente. Il plongea en lui même à la recherche de l'époque ou le feu avait dévoré son souffle, ou le vent avait été englouti par les flammes de sa colère, ou il avait perdu sa liberté, ne laisser son art s'exprimer qu'au travers de la mort. Il changea de note, un peu plus grave, mais mélancolique, au même titre que la mélodie qu'il se mit à construire. Elle était lente, il calquait son rythme à celui des clapotis de l'eau du fleuve, et s'inspirait de la caresse chaleureuse du vent et de celle rafraîchissante de ses souvenirs. Il chercha le jour ou il s'était tué lui même et prosterné devant le mal, puis de tout les visages qu'il avait précipité dans ses propres flammes. A cette époque, il avait fait l'effort de les oublier pour ne pas sombrer, aujourd'hui, il les récupérait et les gardait précieusement au creux de son cœur. Car il les aimait, et que, parmi eux, il retrouvait Hieba.

La brise devint un souffle, et elle agita ses cheveux.

Il ouvrit grand les yeux et vint retrouver la colère d'Aldaron. Il l'affronta avec quiétude. Les notes grimpaient, sa mélancolie s'y retranscrivait un peu plus, mais il y avait plus de force dans son souffle, plus d'énergie, et le vent autour de lui se mit à soulever ses cheveux, les feuilles des arbres et le tissu léger de ses vêtements. Cette quiétude trahissait tout le vide de son âme, mais cette force, sa volonté et sa confiance en le chemin qu'il empruntait. Il ne craignait pas Morneflamme, il endurerait les brûlures de sa colère, le feu des survivants, la glace des morts et le tranchant froid de sa propre lame mille fois encore, durant l'éternité s'il le fallait. Il accepterait le jugement de chacun, il ne demandait pas de secondes chances, il accepterait de parcourir le monde avec ce fardeau, de le retranscrire dans chacun de ses mouvements, de ses actes, de ses pensées. C'était là le propre jugement d'Aeglos Evanealle.

Une libellule quitta les eaux pour venir chercher le soleil et le vent.

Il tourna le regard vers Valmys, sa musique entraînante ne ralentissait pas, mais s'adoucissait, le vent passait de son corps au sien, il prenait soin de venir le caresser, alléger ses peines, le réchauffer, à sa manière. Ses yeux s'étaient adoucis, et chargés de mélancolie, d'une profonde tristesse qui se ressentait aussi dans ses notes si douces. Il n'était pas un néant, mais plutôt une volonté d'affronter, mais aussi d'accepter. Il était la dernière chose qu'Aeglos Evanealle avait laissé derrière lui, un espoir de rédemption. Cet espoir passerait par de nombreuses phases pour arriver à sa finalité, et lorsque ce sera fait, il disparaîtrait. Il s'adressait à lui, et il lui disait qu'il était un être unique, d'une pureté, et d'une beauté qu'il gravait dans son cœur, comme l'image de cet enfant de la paix les cheveux volants dans la brise. C'était pour cette raison qu'ils n'auraient pas de liens, et qu'il n'aurait rien à lui offrir sinon sa justice. Il ne lui devait rien, mais lui osait lui demander de fleurir et d’embellir le monde.

La musique cessa et il s'avança, rangeant sa flûte, ajustant son masque, retirant Gwearen de son fourreau de terre. Sans regarder ni l'un ni l'autre il s'avança entre eux deux. Leur faisant dos, il contempla le paysage rayonnant face à lui.

« Ce que je tire de cette rencontre sir Lewenïra... »

Contempla le reflet d'Aeglos dans la lumière. De l'un de ses foulards bleus il enroula ses cheveux pour laisser pendre une grande queue de jais derrière lui.

« C'est qu'avant d'implorer votre pardon, et celui du monde qui m'entoure, je dois me le pardonner à moi même. »

Il se retourna une dernière fois vers eux, le soleil dans son dos illuminant ses contours, on ne vit peut être pas l'une de ses larmes humidifier son sourire sincère.

« Je ferais le nécessaire, sire Neolenn, mais cela accomplit, je disparaîtrais. Ne cherchez pas à me retrouver. »

Et il fit le premier pas vers l'avenir, vers son reflet, vers Orfraie.

descriptionPour un -magnifique- poulain EmptyRe: Pour un -magnifique- poulain

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    Le regard verdoyant d'Aldaron s'était porté sur Valmys, silencieusement. Parfois il avait l'impression de voir Dawan en lui, dans sa volonté à croire qu'il pouvait encore en ressortir du bon en chacun. Aldaron avait abandonné cela à Morneflamme. Ses yeux se fermaient, à la mélodie, sans chercher à en être absorbé ou à se laisser porter. Il prenait les notes qui lui parlaient, qui lui évoquaient quelque chose de vrai ou de sincère. Mais comme toujours, l'amère déception revenait. Comme si, à chaque fois, tout ne se transformait qu'en d'âpres cendres. Ça n'avait plus de saveur, c'était tellement vide. Il n'y avait que la bile de la haine qui avait encore du goût.

    Il porta sur le musicien un regard lisse, imperméable, loin de l'orage des larmes, loin des tremblements de sa chair comme une terre perturbée. Il n'y avait ni le frisson, ni l'extase, rien que des sentiments plats. Et cette haine si violente, si virulente. Il avait envie de la laisser exploser mais comme chaque jour depuis son évasion, il la jugulait, insatisfait. Frustré. Le silence revenait et lui ne bougeait pas de ses positions. Il détournait le regard sur la surface de l'eau, sans agir ni par pudeur, ni par gêne... Mais par déception. Les mots qu'il entendait ne le satisfaisaient pas, mais il savait être difficile à satisfaire, ses protégés en subissaient l'enseignement. Si la philosophie d'Aeglos était bonne et sincère, il n'en demeurait pas moins vrai qu'elle était rigoureusement égoïste. Et un monstre ne pouvait pas être égoïste.

    Après avoir volé tant au monde, s'octroyer le droit de passer encore avant tous le révulsait. La crispation de sa mâchoire en témoignait et pour autant ses lèvres scellées ne laissaient échapper les mots de sa pensée. La seule chose qui comptait pour lui étaient que les plaies d'Orfraie soient pansées. Il lui laissait son fils plutôt que d'en faire un charnier, car lui avait appris à penser aux autres plus qu'à soi-même, après avoir été le monstre dans le volcan. « Vous êtes un Enfant. » répondit-il, sans un regard pour lui. Ainsi lui épargnait-il sa haine la plus crue et pourtant si ces mêmes mots avaient été prononcés avec douceur un peu plus tôt, il y avait cette fois une vibration écœurée aux termes des inflexions de sa voix. Elle n'était pas crachée, elle était subtile dans le son sourd de son accent elfique.

    Dans cette affirmation, il soulignait son lien avec Orfraie et lui réclamait l'acte de la retrouver. Son regard dévia sur Valmys, rempli d'une douleur contenue qu'il camouflait petit à petit jusqu'à n'être qu'un roc solide. Là était la force de son esprit, celui qu'il voulait voir copié par l'apprenti, pour le servir en ses heures obscures. Il trouva un éclat de sincérité dans les mots d'Aeglos lorsqu'il s'adressa à Valmys. Au fond, disparaître... C'était ce qui attendait ceux qui étaient trop faibles pour survivre. Ceux qui n'en avaient pas la volonté. Ceux qui n'étaient pas capables de donner un tournant à leur vie. Il lui avait tendu une main pour se relever dans ce monde nouveau, une opportunité... Mais si l'autre désirait disparaître malgré tout, Aldaron ne s'escrimerait pas pour lui.

    « Rentrons, Valmys. » Il secouait doucement la tête de gauche à droite, amère et déçu.

descriptionPour un -magnifique- poulain EmptyRe: Pour un -magnifique- poulain

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