2 Novembre 1763, Plaines Séléniennes
Il galopait sans un regard en arrière, s’accrochant fermement au pommeau de sa selle et laissant les rênes lâches, confiant envers son destrier elfique. Lenwë ne l’avait jamais trahi jusque là, il lui avait murmuré la destination souhaitée, était monté en selle et ils avaient galopé. La Vagabonde avait jeté l’ancre proche d’une côte sauvage de Sélénia, loin des villes et des curieux qui contemplaient chaque fois son bâtiment avec crainte ou émerveillement. La frégate maudite attendait son retour mais les sabots du destrier l'emmenait toujours plus loin. Vêtu d’une simple chemise de lin blanche, d’un pantalon sombre et de bottes hautes, il n’avait rien emporté de son habituel attirail si ce n’était la bague dans sa chevelure et le collier offert par Kaalys et, à sa ceinture, la boussole de Lyssa Kohan. Nouées aux mèches blondes et pâles, des coraux rosés et orangés, brillaient encore de leurs couleurs vives. Des algues enlaçaient ses épaules. Ses bras et ses jambes commençaient déjà à lui faire mal, à s’engourdir. Il n’avait pas l’habitude de chevaucher ainsi, follement et pendant des heures entières. Il n’y prenait pas garde, il ne prenait garde qu’à la présence grandissante dans son esprit, et son âme, qu’il retrouvait après l’éloignement de ces dernières semaines. Il sentit un premier contact réel, sourit et lança un encouragement essoufflé pour sa monture dont le galop se fit plus nerveux encore, secouant son corps.
Là, dans ces plaines, il n’y avait plus aucun village, plus de paysans curieux, plus de gardes, tout au plus des voyageurs en chemin qui ne viendraient pas regarder de trop près. Il vit enfin la forme sombre se dessiner contre le ciel gris. Sa monture s’arrêta dans une glissade des sabots, envoyant de la boue autours d’eux, maculant ses bottes. Tout sourire, le vampire mit enfin pieds à terre et manqua s’écrouler quand ses jambes se refusèrent à le porter. Achroma resta accroché à la selle, riant alors que le museau de Lenwë venait le presser, comme si le destrier s’inquiétait pour lui. Après quelques instants, il fut capable de se redresser et de tenir par lui-même et gronda en s’étirant avant de se baisser, de desserrer la selle et les rênes, puis de proposer à Lenwë de brouter un peu en l’attendant. Le laissant seul, il s’avança vers le dragon, ouvrant grand les bras pour étreindre le puissant poitrail de son lié, se pressant contre les écailles chaudes et solides alors que leurs deux âmes s’entremêlaient intimement. Au travers de ce lien, il ressentit de nouveau la joie de sa présence faire fondre le gel de son âme et rayonner en lui. Kaalys et Aldaron étaient les seuls à pouvoir avoir ce pouvoir sur lui mais il le leur donnait sans réserve. Pendant un moment, il resta silencieux, caressant les écailles. Le geste ne serait peut-être pas ressenti par l’énorme créature mais son impact dans leurs esprits combinés, en revanche, n’était pas à douter.
“Merci” Lui dire qu’il était heureux était inutile, il le sentait forcément. Se décollant enfin de lui, il fit plusieurs pas en arrière, buta sur une pierre qui manqua le déstabiliser et pu enfin lever la tête pour l’observer correctement. “Je suis désolé de ne pas pouvoir t’accueillir à Sélénia même mais au vu des circonstances… la parole des anti-liens et la mort de Firindal… je préférais ne pas te mettre en danger par pur égoïsme.” Risquer de le voir périr sous les coups d’imbéciles avides de sang et le cerveau vidé par une colère sans fondement. Oh certes, il avait entendu les rumeurs sur l’implication du lien dans la libération des Chimères mais que le lien lui-même soit un problème, cela ne datait pas d’hier tout de même. Et ils se réveillaient tous maintenant pour taper sur des liés qui n’avaient, pour la plupart, rien demandés à personne. Des liés qui avaient soufferts pour ces peuples d’ingrats qui leur crachaient dessus. Il ne dissimulait pas ses pensées à Kaalys mais ne leur donna pas non plus voix. A la place, il eut un regard pour l’immense plaine autours d’eux. “Tu as décidé de migrer sur Calastin alors ? Shyven est en âge de voler ? Je doute que cette plaine soit très hospitalière pour un nid de dragon” Mais il n’y avait pas beaucoup de montagnes, sur cette île. Et il y avait également le fait qu’ils ne pouvaient pas êtres vus ensemble par les Séléniens…