Celui qui tend la main à son prochain, tend la main au monde [Kälyna]

3 octobre 1762

Le ciel était en feu. L'horizon se drapait de rouge, d'orange et de rose à mesure que le soleil déclinait. Bientôt, il disparaîtrait derrière l'horizon et plongerait le monde dans les ténèbres bienfaitrices. Avec l'aube, l'aurore était sans aucun doute le moment de la journée que Marche-flammes aimait le plus. Le début et la fin, le jour et la nuit. Un cycle sans fin. Beaucoup pensaient que la nature s'endormait également à la tombée du jour. Mais c'était là une pensée bien nombriliste. La nature, au contraire, semblait s'éveiller un peu plus sous les diamants des étoiles. C'était, en tout cas, l'opinion de Marche-flammes.

La féline s'était envolée en début de soirée après une journée passée à patrouiller les abords de la savane. Assister au coucher du soleil aux abords de la mer était un spectacle encore plus fascinant. Accompagnée dans sa chevauchée des vents par Heyra, Leksa décida donc de reste encore un peu dans la zone afin de profiter de ce moment si particulier. La petite chouette chevêche volait donc vers la mer dans l'ombre de la pygarde qui semblait lui servir de garde du corps. Ici, le vent était différent, chargé d'humidité et d'iode. La tribyoon sentait presque le sel marin dans ses poils.

Face à ses grands yeux jaunes, le soleil était devenu une boule de feu. Il brillait comme de la lave et était encore plus orange que le fruit du même nom. La nature était tellement belle, songea Leksa en s'approchant de la surface ondulée de la mer. Elle y fit traîner ses serres et laissa des gerbes d'eau dans son sillage. Son plumage s'humidifia légèrement. Au-dessus d'elle, Heyra la dépassa et piqua soudainement vers la houle. Dans ses imposantes pattes, la pygarde sortit de l'eau un petit poisson qu'elle s'empressa d'avaler. Cette race de rapace était d'excellent pêcheur, se rappela Leksa avec amusement. L'oiseau sustenté remonta ensuite dans les airs et surplomba de nouveau la petite chouette. C'était son rôle de veiller sur Leksa. Celle-ci observa de nouveau son reflet dans la surface houleuse. Il lui était toujours étrange de se regarder et, plutôt que d'observer un faciès félin, se retrouver nez à becs avec une petite chouette au regard sévère.

Whii-oh-hyo-hyo-hyo

Le cri d'alarme surprit Marche-flammes. Son reflet lui renvoya deux grands yeux exorbités puis, l'instant d'après, une ombre lui tomba sur le bec. La petite chouette fut emportée dans les vagues, le remous lui fit perdre ses repaires et sa gorge s'emplit d'eau salée. Deux serres se refermèrent sur son corps sans douceur. La piqûre du sel lui fit prendre conscience d'une importante plaie sanguinolente sur le flanc. Il lui sembla rester des heures sous l'eau, mais l'imposant volatile qui venait de l'attaquer l'en extirpa à peine quelques secondes après son plongeon. Il l'y avait laissé juste assez de temps pour la désorienter. Prisonnière de serres bien plus gros que les siens, Leksa n'avait que peu d'espoir de s'en sortir sans aide extérieure. À moins qu'elle reprenne sa forme originelle.

C'est ce que la jeune Graärh décida de faire. Dans la pénombre, elle distinguait la surface de l'océan à une dizaine de mètres. C'était encore assez bas pour qu'elle ne se fracasse pas sur l'eau comme si la mer était devenue du marbre, ce dit t-elle. La transformation fut douloureuse, cette fois-ci. La blessure de son flanc était proportionnelle à sa taille de plus de deux mètres et saignait abondamment. Les serres s'ouvrirent pour la laisser tomber, incapables de supporter une telle masse. Au loin, Heyra continuait de s'affoler, mais son cri était faiblard. Sans doute c'était t-elle rendue compte de la libération de sa maîtresse. Leksa fut incapable de se métamorphoser une nouvelle fois, elle compta donc une position adéquate pour ne pas se blesser d'avantage.

Or, ce n'était pas la mer qui se profilait sous elle, mais le pont silencieux et sans vie d'un navire. Sans la lueur de la lune, la Graärh s'en rendit compte au dernier moment. Elle fut, toutefois, en mesure de corriger sa position au dernier moment. Leksa se réceptionna sur ses puissantes pattes ,apparement sans mal. Elle n'eut, cependant, guère le temps d'étudier le navire sur lequel elle venait de s'échouer malgré elle. Il n'était certainement pas de facture Graärh, mais ses pattes se dérobèrent sous elle tandis que le sang continuait de maculer son flanc. La Graärh tomba à genoux sur le bois humide, une patte sur sa blessure. Dans les cieux, Heyra s'était enfin tut et, du coin de l'oeil, Leksa distingua sa silhouette dans la mâture.

Kälyna adorait la tranquillité. Le moment dans la journée qu’elle aimait le plus allait bientôt arriver : c’est-à-dire la nuit. Elle aimait particulièrement la danse des étoiles et la caresse de la lune. Le calme et la sérénité, c’était la mer. Ce n’est pas pour rien qu’elle avait trouvé un moyen de faire fonctionner son navire sans qu’il n’ait besoin de qui que ce soit d’autre qu’elle. Certes, le fait qu’elle n’appréciait pas la présence d’autrui et qu’elle leur accordait difficilement confiance était le plus grand facteur dans sa décision. Or, les soirées comme celles-ci lui confirmaient qu’elle avait fait le bon choix. Aucun jacassement ne venait brimer le chant des vagues accompagné des notes du vent maritime.

En ce moment, le paysage était magnifique. La lune pouvait être jalouse du soleil qui se couchait et qui embrasait le ciel d’une couleur dorée, rose et violette. L’elfette avait monté, ou plutôt s’était téléportée, sur la mâture de son navire pour observer le coucher de soleil. Se sentait-elle seule? Oui, certainement et dire le contraire serait mentir. Toutefois, elle appréciait également cette solitude ou plutôt, elle s’y était habituée. Avec qui aimerait-elle partager ce moment? Les deux individus qu’elle avait énormément aimés, même si c’était de façon un peu tordue ou maladroite, avaient trépassé. Elle pensait à sa fille et au Tyran Blanc. Ses pensées voguèrent à l’horizon et se tournèrent vers Arya. Qu’advenait-il de sa sœur? Il faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu de nouvelles, en espérant qu’elle se porte bien. Qui sait? Peut-être regardaient-elles le même coucher de soleil toutes les deux.

Elle leva ses ors au ciel tandis que les cris d’un oiseau l’extirpaient de ses songes. La scène qui se déroula sous ses yeux la surprit : une Graärh faisait un vol plané et descendait tout droit en sa direction. Elle allait s’écraser sur le pont de son navire! D’où sortait-elle? Aucune idée. Mais instinctivement, elle leva sa main blanche devant elle. La magie de télékinésie s’enroula autour de Leksa et la fit déposer au sol en douceur. Cette dernière n’aurait pas eu besoin de son aide, mais cela, elle ne pouvait le savoir.


La dame blanche avait remarqué le sang qui s’échappait de son flanc. Ce n’était pas les meilleurs mots de bienvenue, mais c’était quand même mieux qu’une attaque. Elle éleva sa voix à nouveau, en un chant. Doucement, les plaies de la Graärh se refermaient.


Sombréclat n’avait pas bougé de son mat tandis qu’elle s’adressait à cette dame de race féline. Tout ce qu’elle espérait était qu’elle comprenne ses paroles et qu’elle n’ait pas l’audace de vouloir s’en prendre à elle.



*chère Flamme

Heyra se tenait silencieuse dans la mature. Elle s’était posée sur un bout, celui-ci reliant le grand mat au mât de misaine. La caresse du vent faisait doucement basculer le cordage d’avant en arrière, et Heyra avec. La pygargue, dont les premières lueurs de la nuit caressaient le plumage, dardait sur Leksa un regard qui lui semblait interrogatif. La main sur son flanc, la féline ne bougeait plus. Elle sentait le sang couler entre ses doigts, poisseux, gorgeant sa fourrure rousse d’une teinte rougeâtre que la nuit dissimulait. Mais, l’odorat de Marche-flamme ne pouvait la tromper sur la gravité de sa blessure. Elle en sentait les élancements jusqu’au bout de sa queue touffue. Jusqu’à ce qu’une voix inconnue l’interpelle. Elle reconnut les accents du parler des sans-poils, bien sûr, et comprit le sens des mots qui arrivèrent à ses oreilles. Leksa ne parlait pas très bien la langue des peaux-lisses mais avait au moins le mérite de bien la comprendre. Et c’était une menace à demi-voilée qui lui parvint et lui fit pousser un grognement. Sa réponse fut coupée dans sa gorge lorsque la voix se transforma en un chant mélodieux qui, lui sembla-t-il, referma sa blessure. L’écoulement de sang s’était, en effet, arrêté. De même que la douleur, qui avait totalement disparu. Sa balafre n’était plus qu’un mauvais souvenir.

Une nouvelle fois, la dame s’exprima. Cette fois, la menace était claire. Leksa devait se tenir tranquille afin de ne pas déclencher les foudres de la femme qui se tenait dans la mature. La féline releva enfin le regard et découvrit la silhouette de l’elfe. Les premières lueurs de la nuit caressaient ses formes, dévoilant à Leksa un teint aussi blanc que les neiges de Nyn-Tiamat. Ce détail curieux intrigua aussitôt Marche-flamme, de même que les deux mots qu'elle ne sut saisir dans les paroles de ce qu’elle devina être une elfe.

« Ma présence est un malheureux accident. » répondit Leksa. Sa voix sonnait étrangement à ses propres oreilles tandis qu'elle s'exprimait dans la langue des sans-poils. N’étant guère habituée à l'employer, Marche-flamme parlait doucement, presque de façon incertaine. Doucement, elle se redressa sur ses deux pattes. Dans la mature, Heyra poussa un petit cri puis s’envola. Elle vint se poser sur l’épaule de sa maîtresse, défiant Kälyna de ses grands yeux jaunes.

« Je n’avais pas l’intention de troubler ta soirée, Kälyna Vallaël. » reprit la Graärh. L’Elfe lui étant venu en aide malgré ses menaces, Leksa se voyait mal l’envoyer sur les roses. Elle avait une dette envers Kälyna, même si cette idée répugnait. « Je suis Leksa et j’ai une dette envers toi. » C’était, sans doute, sa façon à elle de lui dire “merci”. Car il était certain que ces mots ne franchiraient pas ses crocs, pas aussi facilement en tout cas.

Les lèvres noires de Kälyna esquissèrent un sourire satisfait. Sa magie avait opéré comme elle l’avait souhaitée et la réaction de cette chère Flamme était celle qu’elle recherchait, c’est-à-dire qu’elle considère sa bienfaitrice avec respect. Elle n’avait aucunement l’envie d’ajouter une nouvelle ennemie à la longue liste qui désirait sa tête, mais elle agissait avec précautions.


Elle murmura ces mots suite aux explications de la Graärh. Ses ors suivirent ensuite la trajectoire de l’oiseau qui surveillait sa maîtresse et qui se posa sur cette dernière. Elle comprit tout le jugement que lui portait Heyra : elle aurait affaire à elle si elle voulait s’attaquer à Leksa. Mais heureusement pour l’animal, la pygargue n’était pas sur le menu du soir…  


En d’autres mots, elle cherchait à faire la paix ou plutôt, elle ne cherchait pas à faire la guerre. Kälyna n’avait aucune envie de malmener cette nouvelle venue tombée du ciel puisqu’il n’y avait là aucune raison. Puis, un peu de compagnie pouvait être parfois bien agréable en ces soirées tranquilles et monotones. Comme la Graärh avait pu le remarquer, il n’y avait personne d’autre à bord du navire.


L’instant d’avant, Kälyna était sur le haut du mat. L’instant d’après, celle-ci se trouvait sur le pont à quelques mètres de Leksa. Elle l’avait avisée par simple précaution, car une majorité de gens n’aimait pas les surprises et ce, surtout lorsqu’elles provenaient d’étrangers.


Sombréclat croyait à tort que les blessures de Leksa avaient été causées par des chasseurs d’esclaves qui en voulaient à sa race. C’était une supposition très probable puisque ces énergumènes grouillaient les mers et ils n’avaient pas de scrupules. Elle n’imaginait pas que la Graärh avait la capacité de se transformer en chouette et que c’était la cause de sa mésaventure.

Ses ors toisèrent la Tribyoon. Il était rare qu’on la dépasse en taille, mais lorsque cela arrivait, ce n’était jamais à ce point! Leksa était imposante par sa grandeur et sa carrure. Qui serait assez fou pour vouloir la capturer? Elle n’avait aucun mal à imaginer ses griffes, longues et acérées, transpercer la chair de ses ennemis. Pourquoi était-elle descendue d’ailleurs, car là-haut lui semblait bien plus sûr désormais? L’incertitude vint la frapper et elle espéra que ses opales de feu ne transpercent son masque.

Soyez les bienvenues à bord. De surprise, les oreilles de Leksa se dressèrent. Elle ne s'était pas attendue à cela. En effet, le peu d'expérience que la féline avait avec les sans-poils se résumait à des conflits. L'attitude de Kälyne avait donc de quoi surprendre. Sans se départir de sa méfiance, Leksa se permit finalement un coup d'oeil aux alentours. C'est là que le silence la frappa, ainsi que l'absence d'équipage. Sur un vaisseau de cette taille, c'était très étrange. Comment Kälyna manoeuvrait-t-elle ce navire seule ? Avec sa magie ? L'énergie que cela devait demander était sans doute colossale et Leksa n'imaginait pas se tenir devant la plus puissante magicienne sans-poil. Mais elle commença à y songer lorsque l'elfette se matérialisa devant elle. Ce pouvoir n'était pas sans lui rappeler celui de la Sauterelle. Kälyna y était liée ?

Maintenant que la magicienne était toute proche, Leksa pouvait la détailler davantage. Et, sans surprise, elle était fort étonnée par l'apparence de cette sans-poils. Sa peau était aussi blanche que la craie, ses yeux entourés de noirs. Ses pupilles, comme celle de la féline, étaient d'or. Quel tableau étrange ! La Tribyoon fut, également, rassurée lorsqu'elle nota la petite taille de son hôte. Leksa devait bien faire deux ou trois têtes de plus qu'elle.

« Pas les chasseurs que tu imagines. Je suis bénie par l'esprit de la Chouette et j'ai été imprudente. » admit-elle. « J'ai été attaqué en plein vol et ait dû atterrir en catastrophe. Je pensais rencontrer l'eau, pas le pont de ton bateau. » expliqua la féline. Il était encore trop tôt pour le dire, mais Leksa commençait à être heureuse d'être tombée sur Kälyna plutôt que dans l'eau salée. L'elfe l'avait soigné et son navire était un refuge temporaire. Le sel et les prédateurs de l'océan, ainsi que la distance avec la cote, auraient sans doute eu raison de Marche-flamme. « Et toi, tu es seule ici ? Comment navigues-tu sans équipage ? » Les connaissances de Leksa en la matière étaient faibles, mais elle savait que prendre la mer dans une telle embarcation demandait des bras. Beaucoup de bras.

Tout n’était qu’une question de prestance et de maîtriser l’art des apparences. C’est du moins ce que Kälyna croyait et c’est justement la raison pour laquelle elle vint s’asseoir de façon nonchalante sur le rempart de son navire. Elle n’avait pas montré une partie de ses capacités sans raison à la Gräarh et c’était pour qu’elle comprenne qu’elle n’avait pas affaire à n’importe qui. Il y avait de ces gens qui prenaient automatiquement pour proies ceux pour qui leur étaient inférieurs. Malgré son ascendance elfique qui faisait d’elle un être bien plus grande qu’une majorité d’humains, la dame blanche semblait petite et frêle aux côtés de la Tribyoon. Un coup de pattes bien réussi s’avérerait douloureux… L’idée était justement de faire que Leksa ne croit pas qu’il s’agisse d’un bon plan. Un peu comme les grenouilles bleu clair qui avertissaient leurs ennemis d’y repenser deux fois avant de s’en prendre à elles.  


Or, Kälyna avait volé, mais jamais cela n’avait été par elle-même. Elle avait caressé les cieux avec l’aide de Verith ou encore, elle avait pu flotter grâce à sa magie ou les différents artéfacts magiques qu’elle possédait, mais on ne pouvait pas qualifier cela d’un vrai vol. D’ailleurs, elle avait déjà rencontré des liés à la Chouette, mais jamais de son niveau. Ou peut-être l’avait-elle fait sans le réaliser.


L’elfette qui n’en avait pas l’air d’une parlait sur un ton calme et d’une voix claire. Aucune hésitation ne s’y logeait. Elle écoutait poliment les questions de son interlocutrice sans lui couper la parole puis elle se releva. Elle ne craignait visiblement pas de perdre l’équilibre et de finir à l’eau. La prêtresse blanche fit un large geste du bras pour présenter son brick. Elle appréciait la question de Pram’heda, car elle avait passé beaucoup de temps et d’énergie à concevoir ce concept de navire sans équipage.


Sombréclat était satisfaite du produit final et elle parlait avec fierté. Elle n’était pas connue pour modestie et avait en elle le sens du spectacle ainsi que du spectaculaire.


Kälyna ignorait si Leksa prendrait son envol dès que possible ou si elle resterait un peu profiter du transport maritime. Elle était officiellement la première Graärh avec qui elle échangeait quelques mots.


À ses mots, elle leva les bras et ses lèvres noires arquèrent un sourire. Derrière elle, l’eau de l’océan s’éleva en une vague qui passa par-dessus sa tête pour créer une courbe jusqu’à son navire. Le tout était bien contrôlé, car quelques poissons s’échouèrent sur le bois. La vague retourna ensuite à la mer. Ni Leksa ni Kälyna ne furent mouillées dans le processus, tout comme l’eau sur le navire était repartie avec la vague. C’était ça, notamment, le sens du spectacle.


Ils ne pouvaient pas être plus frais à voir ces poissons balloter d’un bord et de l’autre.

La méfiance laissait peu à peu place à la curiosité. Leksa était comme un graarhron quittant le giron de sa génitrice. Son regard se promenait partout, tout autour d'elle, et elle enregistrait chaque détail. La taille du navire, pour commencer, l'impressionnait grandement. Les embarcations de son peuple étaient bien moins grande et moins perfectionnée, lui semblait-t-il.

Les pupilles de Leksa revinrent ensuite fixer son hôte. L'Elfe s'était assise sur la rambarde de son navire, nonchalante. Elle ne semblait pas se méfier de Leksa et la Tribyoon comprenait bien qu'elle n'avait pas à faire à n'importe qui, elle en avait eu la démonstration après tout. Mais Kälyna ne savait rien de la chasseresse qui se tenait devant-t-elle.

Leksa ne répondit pas verbalement. Il était plus qu'évident, pour elle, que la possibilité de voler procurait des sensations extraordinaires ainsi qu'un sentiment de liberté hors du commun. Marche-flamme se contenta de hocher la tête et ourla les babines en un demi-sourire graarhresque.

« Elles le sont, je crois. » Répondit Leksa à la question. De sa main droite, elle passa ses doigts dans sa fourrure rousse et inspecta la plaie que Kälyna avait refermée pour elle. Il n'en restait aucune trace, fut-elle surprise de constater. Aussitôt, elle vrilla ses orbes orangés sur l'Elfette. « Plus la moindre trace. Ta magie est impressionnante. Ou ton talent. » Se reprit la féline. Elle ronronna de plaisir et porta sa patte à sa gueule. Une langue rosée en sortit et lécha le dessus de sa main, puis la frotta à son poil, à la manière d'un chat, pour le nettoyer.

Lorsque Kälyna reprit la parole, Leksa ouvrit grand les yeux,  sa surprise apparente. Elle ne s'attendait pas à tant de gentillesse de la part d'une sans-poil. À moins que cela soit une manigance pour mieux lui planter un couteau dans le dos ? Non, cela ne faisait pas de sens. Kälyna possédait, de toute évidence, des pouvoirs susceptibles de terrasser Leksa en un tour de main. User d'une telle ruse était inutile. Si l'Elfette voulait la peau de la Graârh, elle n'avait qu'à tendre la main pour la lui prendre...

« Tes paroles t'honorent. J'accepte ton invitation et je t'en remercie. » Ronronna Leksa en s'approchant un peu de l'Elfe. Elle croisa les bras sur sa poitrine. La Tribyoon portait une simple tunique de coton qui laissait ses bras nus ainsi qu'un pantalon qui s'arrêtait au niveau de ses genoux. Leksa marchait pattes-nues et, malgré sa taille, ne faisait pas plus de bruit que le bruissement du vent grâce à ses coussinets. La garde finement travaillée de son kataana dépassait dans son dos.

Les surprises s'enchaînaient avec la Vallaël. Leksa fit un petit bond en arrière lorsque, en faisant appel à sa magie, l'Elfette fit s'élever la mer. Il était si simple, pour elle, de pêcher ! Une pointe de jalousie et d'envie naquit dans le coeur de Leksa. De telles capacités pourraient être utiles à son peuple !

Leksa fit un pas en avant et s'accroupit près des poissons. « Laisse-moi les cuisiner. Pour te remercier. » lui dit-elle en relevant le regard vers son visage de craie. Pourquoi était-elle si pale, d'ailleurs ? C'était étrange.

Avec ses grosses pattes, Leksa attrapa les poissons. Par chance, pendant ses transformations, la Graärh gardait ce qu'elle portait sur elle. Dans sa basasse, elle avait de quoi cuisiner et quelques idées de recettes germaient dans son esprit.

« As-tu un endroit pour cuisiner ? » lui demanda-t-elle en se redressant, les bras chargés. « Et nous pourrons parler de la magie. »

Kälyna se sentait définitivement mieux depuis qu’elle avait pu reprendre la maîtrise de la situation. Certes, elle gardait une méfiance envers la Graärh, mais celle-ci s’était grandement dissipée. Elle croyait fermement que si la chère Flamme avait voulu la brûler, qu’elle serait déjà passée à l’acte. Il ne lui semblait pas que cette race féline était perfide comme pouvait l’être la race elfique qui savait garder rancune pendant de longues années pour enfin étancher sa vengeance. Mais en même temps, la dame blanche ne savait que très peu d’informations concernant les Graärh… Néanmoins, elle ne mettrait pas tout le monde sur le même bateau.

Parlant de bateau, ses lèvres noires esquissèrent un sourire de satisfaction face à son spectacle réussi et à la vue des poissons qui se dandinaient lentement. Elle pensait avoir réussi à impressionner suffisamment sa convive suite à l’exposition de ses talents magiques et ressentait dans sa voix qu’elle était sincère. Elle ne décelait pas de ressentiments dans ses remerciements. Puis, si elle ne désirait pas être là, rien ne l’empêchait de prendre simplement son envol, car définitivement, elle ne craignait pas l’elfette.


Certainement plus que si c’était elle qui cuisinait, en fait. Kälyna n’était certainement pas la meilleure cuisinière, surtout en ce qui concerne la viande. Peu à peu, son alimentation s’était transformée en quelque chose de plus omnivore et elle avait intégré le poisson à ses menus. Peut-être qu’en observant la rousse, elle apprendrait de nouvelles façons d'apprêter cette viande.


Sur ces mots, elle descendit gracieusement et vint rejoindre Leksa. Oui, cela lui avait pris énormément de volonté, mais c’était un risque qu’elle était prête à assumer. Elle la dépassa et d’un mouvement de son bras, l’invita à entrer à l’intérieur. La porte s’était ouverte comme par magie. Elles descendirent ensuite quelques marches pour se rendre à la cuisine. Celle-ci était en effet très simple et contenait tout ce qui était nécessaire, sans superflu. Rangés de façon impeccable, il y avait de nombreux aliments, des végétaux surtout, conservés grâce à sa magie. Non loin de l’espace de travail se trouvait une table carrée et quatre chaises.


L’aide de Kälyna était à la disposition de son chef cuisinier d’un jour. Les fantômes, ou devait-on dire la magie qui animait Luntë, étaient aussi là.


L’une des armoires s’était ouverte et deux assiettes en bois avaient lévité pour se poser sur le comptoir.

La proposition acceptée, Leksa suivit son hôte dans les entrailles du navire. Le bois craquait à cause de la légère houle qui faisait tanguer le navire. Être enfermé dans cette coquille de noix n'était pas l'expérience la plus agréable qui soit, se rendit compte Leksa, mais elle préféra taire son malaise et finit par pénétrer dans la cuisine à la suite de la dame blanche. C'était effectivement modeste, comme l'avait précisé Kälyna, mais Leksa n'allait pas s'en plaindre.

« Cette cuisine est très bien. Nous autres, Graärh, nous moquons de ces choses-là. Si une pièce ou un outil est fonctionnel, alors il nous convient. »

La vie tribale du peuple félin avait des avantages comme d'inconvénients, bien entendu, mais Leksa appréciait la simplicité du mode de vie Graärh. Sans un bruit - ce qui était étonnant compte tenu de sa taille - la féline s'approcha du plan de travail et y déposa les poissons. Son pelage était un peu poisseux à cause des écailles argentées qui s'y étaient collés. Ce n'était rien qu'un coup de langue râpeux ne pouvait retirer, mais Leksa devina que faire cela devant son hôte n'était sans doute pas une bonne idée…

« Je vais me débrouiller. Assieds-toi et observe, comme cela, tu pourras reproduire cette recette toi-même. »

Leksa releva le museau vers Kälyna et lui offrit un regard aussi intense que le coucher du soleil. Ses babines se soulevèrent en un semblant de sourire, mais pour un non Graärh cela n'avait sans doute rien d'amical, au contraire !

« Je vais te préparer un plat que nous appelons machhalee ka tukada. Ce sont des tranches de poisson cru, parfois assaisonné, que nous mangeons avec une sauce un peu sucrée nommée chammach. Et pour accompagner tout cela, je te propose une bière à la kela, la banane, que je prépare moi-même. »

De la besace qu'elle avait posé sur le plan de travail, Leksa sortit une outre remplie de la fameuse bière.

« Nous aurons besoin de chopes. »

Aussitôt, une porte s'ouvrit et deux chopes en bois vinrent se poser devant la Graärh. Ce que c'était pratique ! se dit-elle en remplissant les contenants de l'alcool ambrée. Le liquide moussait un peu et était suffisamment clair pour qu'il soit possible de voir au travers. D'un coup de coussinets, Leksa poussa la chope vers l'elfette à la peau blanche.

La morphologie Graärh laissait penser que l'utilisation des verres était complexe. Et en effet, le risque de s'en mettre partout était élevé. Cependant, Leksa n'en renversa pas une seule goutte sur sa fourrure lorsqu'elle porta la chope à sa gueule et but une longue gorgée désaltérante. Cette bière n'avait que peu d'amertume et était très parfumée, ce qui en faisait une boisson traîtresse pour les personnes dont la constitution ne permettait pas de tenir l'alcool.

« Qu'en pense tu ? » demanda Leksa en dressant joyeusement les oreilles. Kälyna était la première non-Graärh à goûter au breuvage de la Tribyoon !

Il était désormais temps de préparer la sauce. Dans un bol - qui se posa devant la féline tout en douceur - celle-ci mélangea une sauce brunâtre sortit de ses effets personnels, ainsi que du sucre brun et de l'eau qu'elle prit dans les provisions du navire. À l'aide d'un couteau bien aiguisé, Leksa hacha une racine de gingembre et l'inccorpora à la préparation, puis fit de même avec un peu d'ail. Pour terminer, elle ajouta de quoi faire épaissir la préparation, puis renversa quelques petites graines dedans. Avec vigueur, Leksa remua encore un peu la délicieuse sauce, puis la réserva sur le côté. Il était temps de passer au fretin.

Avec un autre couteau à la lame plus fine, Marche-flamme se mit à découper consciencieusement les nageoires de trois poissons. Elle sépara ensuite la tête du reste du corps, puis entailla le dos du poisson sur toute sa longueur avec la pointe de la lame en acier. Les chairs orangées se révélèrent doucement aux regards des deux bipèdes. Une fois les deux moitiés séparées, Leksa balada son index le long du filet, puis se servit de ses griffes comme d'une pince afin de retirer les petites arêtes traîtresses. Toujours avec le même couteau, la féline trancha le filet en plusieurs lamelles d'environs un centimètre d'épaisseur et les disposa dans les deux assiettes posées devant Kälyna. Les gestes de la féline étaient étonnamment rapides et précis. Pour terminer, elle versa la sauce dans deux petits bols en bois et les disposa sur les assiettes.

« Et voilà. C'est un plat plutôt simple, comme tu peux le voir. Mais la découpe du poisson demande un peu d'entraînement. »

De son sac en cuir, Leksa sortit deux paires de fines tiges en bois. Elle en offrit une à Kälyna.

« Tu peux manger avec tes doigts, mais les baguettes en bois permettent de ne pas se salir. Sinon, utilise tes outils habituels. » Pour sa part, Leksa utilisait souvent ses griffes pour piquer la viande, tout simplement. Avec Kälyna, elle ferait toutefois l'effort de lui montrer la marche à suivre. « Remercions les Esprits pour ce repas. » fit la féline en une courte prière.

Les deux assiettes rejoignirent la petite table, même si Leksa préférait manger à l'air libre. Face à Kälyna, elle empoigna les baguettes avec cette agilité étonnante, et s'en servit comme d'une pince pour saisir une première tranche, la tremper un peu dans la sauce puis la manger avec délice.

« Comme promis, je vais te parler de notre magie. Pour commencer, il s'agit parfois de rituels, parfois de simples gestes, comme vous le faites. Nos rituels demandent parfois des ingrédients particuliers pour être exécuté. D'autres fois, nous prions certains esprits de nous accorder leurs faveurs. Notre magie ne permet guère de lancer des boules de feu. Elle est intimement liée à notre environnement, elle nous renforce. Cependant, tous les Graärh, à quelques exceptions, sont au moins liés à deux Esprits. Nous bénéficions donc de leurs pouvoirs en plus du reste. »

Si elle avait vraiment voulu, Leksa aurait pu recourir aux coups de langue. Kälyna ne lui aurait fait aucun commentaire, de même qu’elle aurait opté pour une expression neutre. Seuls ses ors auraient pu trahir un léger inconfort, ou plutôt étonnement, face à une telle scène. Elle était d’une autre race qu’elle, bien sûr qu’elle agirait différemment. C’était même mieux ainsi puisque la dame blanche était loin d’avoir un sentiment d’appartenance avec les elfes. La Graärh ne savait rien d’elle et n’avait aucune idée préconçue. Elle se formerait sa propre opinion au fil de la rencontre.

Sombréclat s’était installée en retrait comme l’avait souhaité son invitée et elle la regardait travailler le poisson. Son doigté était fin et ses gestes étaient agiles. Sans un mot, sans la déranger, elle laissa la curiosité la gagner et se faisait un plaisir à analyser ce qu’elle faisait. Elle n’avait pas l’intention de l’imiter, quoique s’il s’avérait être un repas succulent, elle s’y laisserait probablement tenter. Or, elle comprenait que ce n’était pas simplement du poisson cru tranché en morceau. Il y avait tout un art dans la préparation, sans parler de la sauce l’accompagnant.


Kälyna avait porté la chope à ses lèvres noires, goûtant ainsi à cette fameuse bière à la banane. Bien sûr, avant toutes choses, elle avait porté sa main à son coeur, geste habituel qu’elle posait avant de porter quoi que ce soit à sa bouche. On ne pouvait jamais être trop prudent quant au poison. Elle attendit quelques secondes après sa première gorgée, mais la mort ne la serra pas. Si empoisonné c’était, sa magie avait été suffisamment puissante pour enrayer l’effet.



Utilisaient-ils des termes différents? Elle avait parlé de bière, mais elle ne détectait pas les arômes amers du houblon. Elle prit une autre gorgée. C’était définitivement très bon.

Le temps de terminer les machhalee ka tukada, sa choppe était vide. Elle vit la Graärh s’installer à ses côtés avec leur assiette puis remplir à nouveau son verre de cette fameuse bière à la banane. Ensuite, mitigée, Kälyna la regarda sortir des petits bouts de bois dont elle reçut une paire. Elle la remercia d’un signe de tête, mais attendit d’abord la démonstration de la technique. Par politesse, elle ouvrit la bouche pour prononcer quelques mots de remerciement à l’égard des esprits, mais aucun son n’en sortit. Elle balaya son inconfort d’un faux sourire.



La pirate avait prononcé ces mots à l’égard de l’élue de la chouette, pas pour les Esprits dont leur nom lui rappelait l’Inséparable tronqué. Dompter les baguettes fut tout un défi et malgré les minutes qui suivirent, elle se satisfit d’une tranche de poisson coincée qui ne tomba pas dans l’assiette. Elle sut l’apporter à ses lèvres et goûta au poisson. Ce dernier fondait dans sa bouche et apprécia le goût fin. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle avait oublié la sauce. Après quelques tentatives, elle abandonna les baguettes puisqu’elle désirait que le repas ne s’éternise pas non plus.



Kälyna aurait pu sortir des ustensils plus conventionnels pour elle, mais elle agita simplement sa main: la télékinésie serait suffisante. Le poisson enrobé de sauce disparut dans sa bouche.



Mangeant, buvant, elles se parlaient de magie. L’intérêt se lisait dans sa voix.



La mage d’exception prit une nouvelle gorgée de bière avant de poursuivre.


Posant sa paume devant Leksa, elle se concentra quelques secondes. Quelques petites choses rouges se formèrent dans le creux de sa main: des fraises.



Partir de rien et créer quelque chose était difficile. Cela nécessitait beaucoup d’énergie, mais heureusement, elle la regagnerait rapidement grâce à ces délicieuses tranches de poisson. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. Cependant, elle n’avait pas tenu compte que son endurance était déjà impactée par l’alcool traître qu’elle buvait.

Qui l’eut cru? Une Elfe et une Graärh discutant sagement autour d’un bon repas, en voilà une première! Personne, à la Légion, ne croirait la féline si elle racontait cette aventure. Mais, à bien y réfléchir, peut être était-il plus sage de ne pas conter ses péripéties au premier venu. Cela pourrait créer des problème à la jeune Tribyoon, voir à son Aaleeshaan, si tout cela tombait dans une mauvaise oreille.

Face à Kälyna, Leksa eut quelques difficultés à garder son sérieux et, au final, un immense sourire ourla ses babines. Telle une petite enfant, l’Elfe avait bien de la difficulté à manier les baguettes de bois.

« C’est une technique peu usitée, même parmi mon peuple. » la rassura la féline en appuyant ses propos d’un regard sincère.

Ensuite, la surprise se peignit quelques instants au fond des orbes orangées de la femelle. Elle ne s’était pas attendue à une utilisation si futile de la magie, mais pourquoi pas? Cela fonctionnait, après tout, et Leksa aimait les choses pratiques.

« Tes compliments réchauffent mon coeur. » répondit humblement la Tribyoon.

Un simple repas pouvait avoir des répercussions inattendues. Pour l’instant, les deux femmes s’entendaient. Est-ce que cela allait durer? Seul l’avenir était en mesure de répondre à cette question cruciale.

À son tour, Leksa se resservit. Son stock de bière n’était pas infini, malheureusement, mais elle avait encore de quoi remplir une dernière fois la chope de son hôte, si besoin. Et à en juger par sa décente, cela risquait fort d’arriver. Je me demande quelle est la tolérance des Elfes à l’alcool, songea la conseillère en l’écoutant parler.

« Nous avons des sorts instantanés, ou presque, qui demandent une certaine gestuelle. D’autres sont directement liés à des capacités de notre anatomie, comme feuler, rugir ou ronronner. »

D’un geste de la main, Leksa balaya les propos de son hôte. « Je ne suis pas ici pour t’étudier, n’ai crainte. » lui répondit-elle doucement. Puis, avec surprise, la féline vit les fraises apparaître dans la paume de Kälyna. C’était surprenant! Avec une certaine retenue – comme si elle craignait que le fruit lui saute au visage – la Tribyoon saisit une fraise entre son pouce et son index, puis l’approcha de son museau afin de mieux en sentir le parfum. C’était chaud et sucré. Un coup de langue rose termina l’inspection et le goût conforta Leksa, qui poursuivit en retirant la queue feuillue du fruit, puis en le gobant. Elle mâchouilla quelques instants, puis déglutit.

« Je salue ton talent ! Elles sont très bonnes. Je me demande si on peut en faire de la bière. »

Leksa se perdit un instant dans ses rêves d’alcool à la fraise, puis songea à la conversation qu’elle menait avec Kälyna. Elle revint donc au sujet principal après une lampée de bière. Son assiette, elle, était vide.

« Pour ce qui est des rituels… Nous pouvons avoir besoin d’objets ou de matériaux que nous trouvons sur notre île. Sinon, il nous arrive aussi de chanter ou de danser. Ta magie demande t-elle quelque chose de semblable? » Enchaîna Leksa. « Jusqu’alors, tu esquisses à peine un geste pour lancer un sort. »

Ce qu’avançait Leksa concernant sa magie Graärh était très intéressant pour Kälyna et elle l’écoutait avec attention. Après tout, la connaissance n’était-elle pas une arme redoutable? C’est ce qu’elle croyait, car l’information retenue pouvait donner l’avantage lors d’une situation. Laquelle? Aucune pour le moment puisqu’elle ne considérait pas les gens de sa race comme étant ennemis à elle, mais sait-on jamais combien de temps cela resterait en statut quo.


Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres noires. Elle aimait impressionner et c’était réussi avec ses fraises. Même si elles venaient d’un processus magique, les fruits rouges étaient aussi bons que si elle venait tout juste de les cueillir.


Le ton de sa voix était doux et bienveillant. Cela ne ressemblait pas à elle, même si l’ancienne inconnue ignorait que dame blanche était d’une nature plutôt froide à l’habituelle. C’était la bière à la banane qui commençait à parler. Son masque d’imperturbabilité et de froideur commençait à céder. Tandis que la Tribyoon poursuivait la discussion sur la magie, Kälyna attira à elle une sacoche en cuir d’un simple geste de la main.


Kälyna avait terminé son verre et celui-ci était déjà plein. Elle aurait pu jurer que son verre était magique, mais son sang n’était pas encore assez alcoolisé pour cela. Il l’était cependant suffisamment pour qu’elle envisage réellement soulever son navire avec sa magie. Mais son attention fut gagnée par son verre plein qu’elle l’entama sans attendre. Faudrait peut-être lui rappeler que ce n’était pas du jus, car elle semblait l’avoir oublié…


Sombréclat avait prononcé ces mots en remplissant la sacoche de fraises et en la lui donnant par la suite. Son sort ne nécessitait pas de gestes, mais la création requérait beaucoup d’énergie. Cela signa la fin d’elle et de sa ténacité contre l’alcool.

L’inhibition n’était plus.

Elle avait parlé des chants pour certains sorts, mais avait fini par littéralement faire des démonstrations. Elle avait même sorti sa lyre, objet qu’elle avait longtemps laissé prendre la poussière, et s’était mis à chanter pour le plaisir. L’elfette avait invité la Gräarh à se lever et à danser.

La nuit était à elles.

Les premières lueurs du matin chatouillèrent les paupières de Kälyna qui se réveilla en gémissant. Elle avait l’impression que sa tête était dans un étau et que plusieurs carrioles étaient passées sur son corps. La nuit passée lui paraissait tellement floue… Une image d’elle dansant sur la table lui revint. Mais qu’est-ce qu’elles avaient fait d’autre? Elle n’avait aucune idée comment elle avait atterri sur cette petite île. Il n’y avait plus de Leksa à l’exception d’une plume qu’elle avait laissée tomber à ses côtés.


La dame blanche s’était exclamée en jetant ses ors sur son navire : ce dernier était en partie sur la terre ferme.