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12 novembre


Après s'être assurée que Luna ne courait aucun risque, Orfraie avait traversé la frontière invisible avec Firindal pour aller prêter main forte aux mercenaires et autres envoyés de l'Alliance. Pendant de nombreuses heures, qui s'étaient transformées en jour, la dragonnière et son dragon avaient tiré des centaines de corps des décombres de la Chue. Le couple laissa aux autorités humaines, à savoir Nolan et les dirigeants de l'Alliance, le soin de négocier le maintient de la paix. Mais, même après huit jours, il restait beaucoup à faire.

Huit jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée de l'Empereur Kohan à Cordont. Huit jours qu'Orfraie était sur les lieux du drame. Huit jours seulement et il lui semblait que cela faisait une éternité. Le temps ne lui avait jamais paru aussi long qu'ici, à Cordont, tandis qu'elle faisait face à l'horreur sans avoir pu y faire quoi que ce soit. L'odeur du charnier lui rappelait, surtout lorsque le soleil était au zénith, à quel point la vie pouvait être injuste, à quel point elle n'avait aucun contrôle.

Il était encore tôt lorsqu'Orfraie quitta la tente de Luna. Le soleil se levait à peine. C'était, sans aucun doute, le meilleur moment de la journée. Avant que l'odeur de putréfaction emplisse l'air et bien avant la soirée, où les visages se peignaient de sentiments tous plus sombre les uns que les autres. Toutefois, en huit jours, beaucoup avaient été faits. La plupart des corps avaient été sortis des décombres de la Chue. L'aide de FIrindal et d'Orfraie n'avait pas été de trop pour cela, le couple pouvant emprunter la voie des airs pour remonter de l'immense fausse tout ce qui devait l'être. À ce balai aérien, Alkhytis et Luna s'étaient joint également, bien entendu.

Pensive, la Liée aimait croire que la présence de deux couples liés avait aidé à maintenir un moral convenable au sein des troupes, quelles soient Sélénienne ou de l'Alliance. Car, bien entendu, Orfraie ne s'était pas contentée d'aider les hommes de Nolan. Au contraire, dès qu'elle en avait eu l'occasion, la princesse elfe s'était envolée avec Firindal de l'autre côté de la frontière invisible, passant juste au-dessus de l'immense trou qui éventrait Calastin, pour se rendre auprès des renforts venant des Cités Libres. Par sa présence et son exemple, à son échelle, Orfraie avait oeuvré pour maintenir la paix.

Est-ce que cela aidait réellement ?

Pensive quant à cette question, la princesse elfique s'élança vers le gouffre où Cordont était tombée. Tout autour d'elle, les constructions étaient sorties de terre à la vitesse d'un cheval au galop. Il y avait toute une ville à reconstruire, quelques blessés à soigner et surtout de nombreux corps à identifier, à rendre aux familles pour un dernier hommage. Les améthystes fatiguées se posèrent, l'espace d'un instant, sur la tente où s'entassaient presque les corps. Il y en avait moins qu'au début, fort heureusement, mais de nombreux morts restaient encore là, n'ayant personne pour les réclamer. Une catastrophe comme celle-ci avait deux visages, songea l'Ataliel en s'éloignant. Le premier était le plus frappant. La destruction, les morts. L'autre était les familles endeuillées, les cris des mères, les larmes des pères, les hurlements déchirants des enfants. Ne pouvant être insensible, le coeur d'Orfraie s'était serré à de nombreuses reprises au cours des huit derniers jours. Mais elle n'avait jamais craqué. Elle ne pouvait tout simplement pas faillir.

Cette pensée la ramena à son propre peuple qui avait besoin d'elle également. Pas de façon aussi dramatique, certes, mais tout de même. L'immaculation, dont elle-même avait bénéficiée, causait de nombreux troubles au sein de la population Elfique, séparant plus encore les conservateurs et les progressistes. Le désir d'aider le monde entier était grand dans le coeur de la princesse, mais elle se rendait compte qu'elle ne pouvait pas s'éparpiller.

Ce fut sur cette pensée qu'elle s'arrêta au bord du gouffre, vêtue d'une tenue hautement pratique - mais de facture elfique - face à la journée qui l'attendait. Devant elle, tout était sombre. Le soleil n'éclairait pas encore les profondeurs de Calastin.

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Le garde passa une main sur l'ouverture de la tente, sans oser l’ouvrir complètement, mais seulement pour attirer l’attention de la conseillère. « Il y a un… livreur, pour vous. » Autone fronça les sourcils, intriguée. Qui, donc, était venu lui livrer jusqu'à Cordont? Le message était-il de si haute importance? La conseillère posa sa plume et se présenta à l’entrée de sa tente pour recueillir le colis enveloppé d’une étoffe résistante. C’est lorsqu’elle ouvrit la ficelle qui tenait tout en place qu’elle se souvint de la commande passée il y a de cela longtemps. Cela ne lui dérangeait pas d’attendre, puisqu’elle connaissait le talent du tailleur et savait qu’il en valait la peine. La veuve remercia le livreur d’une petite bourse et s’installa sur son lit de fortune pour ouvrir le petit message qui venait avec la robe.

« Je ne savais quand vous alliez revenir à Caladon, j’ai pensé qu’elle pourrait vous être lumineuse en cet endroit sombre. »

Elle sourit et déballa complètement l’étoffe, dévoilant un tissu doré et lumineux. Cela aurait pu attendre à son retour, mais c’était une attention délicate. Elle succomba à l’envie d’essayer immédiatement la robe et cela tombait parfaitement, puisqu’elle était faite sur mesure. Elle observa l’effet de la traine et les ouvertures sur les côtés, comme elle les avait demandées, pour lui permettre de courir si le besoin était présent. Un peu moins modeste que ses autres robes au niveau du col, mais les manches étaient longues, bouffantes aux épaules, puis collée à la peau.

Autone retira la robe et la rangea dans la malle qu’elle verrouillait avec les objets de valeurs qu’elle avait sur place. Elle enfila quelque chose de plus pratique et décida de porter son armure. Elle avait décidé d’aller voir en direction du gouffre, s’il y avait encore besoin de gens pour descendre et de proposer son aide si c’était le cas. Elle n’avait pas la force physique de transporter des réfugiés mais pouvait emmener des soins immédiats et pouvait se faufiler sans gêne. Quelque part, elle était curieuse, de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. D’explorer le gouffre causant tellement de conflits.

Autone s’était surprise à se sentir insensible à la douleur de l’autre. Elle aurait cru le ressentir, bien plus intensément mais c’était comme si tout s’engourdissait dans la violence qu’on croirait presque fictive. Elle était capable d’avoir de la compassion pour eux, de s’occuper des blessés sans rien demander en échange juste par principe, mais cela ne lui faisait pas mal, de voir la souffrance. C’était Morneflâme, qui avait engourdi cette sensibilité à la violence avec son feu dévorant.

Sagement escortée, Autone ne promettait pas à sa garde qu’ils pourraient la suivre jusque dans le gouffre si elle venait à y aller. La conseillère doutait, à vrai dire, qu’il y ait encore possibilité de trouver des survivants. Mais même rendre des corps à leurs familles, leur offrir une sépulture décente, pour permettre de libérer leur âme plutôt que de les enfermer dans la terre, était une raison suffisante pour y aller.

Lunatique, elle observait le gouffre en s’approchant sans peur et sans franchir la limite des profondeurs. La veuve sentit une bourrasque de vent sur sa nuque et se retourna pour apercevoir l’atterrissage d’un dragon et de sa liée. Et il y avait désormais à ses côtés, une princesse et un dragon. La princesse qui avait conquis le cœur de Luna et sur laquelle Autone comptait pour protéger la flamme blanche.

La veuve s’inclina dans une révérence polie, mais sans prétention. Elle se sentit nerveuse à l’idée de parler à cette femme, qui avait probablement connu son mari et qui savait que ses allégeances avaient changées. Mais elle ne se laissait pas submerger et souriait courtoisement. Les yeux sans expressions et fatigués, elle était venue ici la nuit dernière, alors qu’elle ne trouvait pas sommeil.


« Princesse Ataliel. Il y a longtemps depuis la dernière fois que nos chemins se croisèrent. »
Quelquefois très brèves, d’ailleurs. Sans réelle discussion ou connexion. Orfraie restait une connaissance, sans animosité ou affection.


« Je ne vous ai pas non plus rencontré depuis l’annonce de votre mariage avec Luna. Cela fait plaisir de savoir qu’elle sera entre les mains de quelqu’un qui puisse la protéger. »


La jeune femme arbora un air plus maternel, quelque chose qui se ressentait quand elle parlait de Luna. Son sourcil gauche se levait, geste récurrent et inconscient. Il n’y avait pas d’innocence derrière ces mots, c’était un avertissement : Luna en aurait besoin. L’imbrisée ne serait pas celle qui la mettrait en danger, au contraire, mais prendre le nom de Kohan comportait des risques et Autone n’aurait pas accepté de la savoir seule alors qu’elle avait prit cette grande décision.


« J’étais venue voir si de l’aide était nécessaire pour chercher des corps. Je ferais une piètre porteuse, mais je peux éclairer et détecter des dangers potentiels. S’il y a lieu, les désamorcer. J’ai entendu parler que vous avez porté votre aide dans les derniers jours, êtes-vous ici pour continuer? »

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Perdue dans ses pensées, elle jouait machinalement avec sa bague de fiançailles. Entre son pouce et son index, l'anneau d'or blanc tournait autour de son annulaire. Le métal précieux c'était déformé depuis que Luna le lui avait glissé au doigt, en épousant ainsi la forme. Le temps continuait sa course, inexorablement, mais semblait suspendu au-dessus de Cordont la Chue.

Un puissant battement d'ailes troubla le silence matinal. Firindal entoura l'esprit d'Orfraie de sa propre conscience, réchauffant et réconfortant le coeur de sa Liée. Plus que quiconque, le jeune dragon avait partagé la peine de la princesse elfique. Celle qu'elle s'efforçait de cacher, même à Luna. Être ici remuait invariablement quelques choses, tordant les intestins de la guerrière. « J'en ai tellement vue. » avait t-elle dit à Firindal le lendemain de son arrivée. « Mais c'est si injuste. » avait t-elle rajouté en suivant.

Le réconfort apporté par le jeune Jade sortit Orfraie de sa torpeur. À travers le Lien et les yeux de Firindal, elle vit s'approcher une jeune femme. Lorsqu'Autone s'arrêta à quelques pas de l'Ataliel, celle-ci posait sur elle un regard redevenu serein. La Conseillère ne lui était pas inconnue. Surtout pas depuis qu'elle connaissait son nom de famille. Falkire. Ce nom avait réveillé des souvenirs en l'immaculée. Le visage séduisant d'un homme pour qui elle avait eut le plus grand des respects. Matis avait fait partit de ces personnes qui lui avaient donné une seconde chance au moment où elle en avait le plus besoin. Trouver sa femme du côté Caladonien avait fait haussé un sourcil à Orfraie, forcément. La guerre avait tué Matis, sa veuve était partie dans les rangs adversaire. Où avait t-elle simplement rejoint sa véritable allégeance, depuis le début.

Orfraie chassa une mouche imaginaire. Elle n'avait que faire de l'allégeance d'Autone. De sa possible trahison. Ces affaires ne l'intéressaient en rien, pas aujourd'hui, pas ici. Tout ceci, en comparaison de ce qui se dressait autour d'elle, était dérisoire. La princesse rendit le sourire poli, ses orbes améthystes croisant le regard fatigué de la Conseillère. À son tour, elle inclina légèrement le buste.

« Conseillère Falkire. » Le nom de famille roulait d'une façon bien particulière entre les lèvres charnues de l'Ataliel. « Cela me semble être une éternité. » Aldaria en était une, de petite éternité.

Son mariage avec Luna était toujours une façon de commencer une conversation. Orfraie détailla davantage Autone et remarqua le changement dans son expression. Les deux femmes se connaissaient et étaient sans aucun doute amies. La Liée ignorait les évènements qui les avaient rapprochés, mais pouvait l'imaginer. Luna n'avait pas eut une vie facile malgré son jeune âge.

« Nous veillons l'une sur l'autre. » Luna savait se débrouiller par elle-même malgré ses airs innocents. Et Orfraie assurait une partie de son entraînement dès qu'elles en avaient l'occasion. Sa façon à elle de veiller sur la blonde lorsqu'elle n'était pas là.

« C'est exacte. » L'aide de Firindal et Orfraie avait été précieuse. Outre l'avantage de pouvoir voler, Firindal pouvait déplacer facilement les gros bloc de pierre tout comme la force sainnûr permettait de les soulever ou transporter des corps sans faiblir. Combien de regard sans vie avait t-elle croisée ? « Le plus gros est fait. Mais il reste encore des gravats à déblayer. Souhaitez-vous vous joindre à nous ? »

Les améthystes se posèrent brièvement sur la garde de la jeune femme. Firindal pouvait porter Autone et Orfraie pour descendre au fond du cratère.

« Firindal peut nous faire descendre, vous et moi. » précisa l'Ataliel, en écho aux pensées échangées avec son Lié.

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Elle les voyait, ces hésitations, ces regards muets avant d’oser prononcer quoi que ce soit. Elle savait qu’ils pensaient d’abord à Matis, se souvenaient, puis la regardaient elle, troublés. Elle savait puisque depuis longtemps elle avait été la femme de Matis et non elle, Autone. Depuis longtemps elle était l’inconnue qui s’était mariée au héro de guerre. Celle qu’on connaissait mais sans savoir réellement pourquoi. Les regards avaient simplement changé, ils avaient passés du simple jugement superficiel à l’horreur. Au trouble.  Elle savait reconnaître cela à présent mais elle ne dit rien. C’était là une de ses armes, faire semblant de ne pas savoir. Faire semblant d’être une idiote. Cela l’avait sauvé de l’empire tyrannique de Fabius.

« Je sais qu’elle est entièrement capable de se défendre. Mais j’ai connu Luna alors qu’elle était encore, presqu’une enfant. C’est difficile de réaliser que nos proches ont grandis… »  

Elle pensait à ses enfants, qu’elle avait laissés à Caladon. Pendant qu’elle était absente, elle manquait toutes les premières fois de leurs vies. Et quelque part elle s’était dit que Matis serait là pour le vivre. Elle aurait voulu qu’il les voit grandir. Son cœur se resserra, elle chassa les pensées mêlées entre la passion et le chagrin.

« Il s’agit bien plus que de sécurité. On peut également protéger un cœur. » souffla-t-elle d’un sourire triste. Elle regarda le dragon vert, auquel elle ne savait pas réellement comment s’adresser. Autone s’inclina simplement pour lui, n’osant pas lui adresser la parole.

« J’aimerais aider autant que possible. Je ne pourrais imaginer être incapable de rendre hommage à un défunt proche. Tous les corps que nous pourrions retrouver sont importants. »  

Elle songea à la chance qu’elle avait eu de pouvoir récupérer et brûler le corps de Matis rapidement. Un peu intimidée, elle passa son regard sur le dragon puis sur sa liée avant de reprendre. « Si évidemment cela ne dérange pas, j’accepterai votre offre. »  

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Le temps change, songea l'Ataliel. Et les humains étaient d'autant plus sujet aux changements que les elfes ou les vampires. La sollicitudes d'Autone fit sourire Orfraie. Les coins de ses lèvres se soulevèrent. La princesse avait bien compris le propos tenu par la Conseillère Caladonienne. Elle veillait à la sécurité de Luna, de corps et d'esprit. En cela, la veuve pouvait lui faire confiance. « Tout ce que je peux dire ne vous empêchera pas de vous inquiéter pour elle, je présume. Vous êtes une vraie amie. » répondit-t-elle d'un air entendu. « Son corps et son coeur sont entre de bonnes mains. Et quand bien même, j'ose croire que vous garderez un oeil sur elle, vous aussi. » C'était là le rôle d'une amie, après tout. Et avec tout ses déplacements, Orfraie ne pouvait être toujours auprès de Luna. Il était donc bon de pouvoir compter sur d'autres gens en cas de besoin.

Le sujet redevint grave. Les corps qui se trouvaient encore en bas méritaient les derniers rites. Ils ne pouvaient rester à pourrir sous les gravats de la Chue. « C'est pour cela que nous sommes ici. »

Orfraie sourit une nouvelle fois, doucement, puis se tourna vers Firindal. Le Jade pencha sa tête vers sa Liée, qui caressa tendrement son museau. Ils conversaient en silence et, finalement, le jeune dragon donna son accord. Il les conduirait toutes deux au fond du gouffre.

« Approchez. » souffla Orfraie. Elle tendit une main, paume vers le ciel, et cueillit doucement les doigts d'Autone au creux des siens. Sa poigne était chaude, sa peau était douce. « Êtes-vous déjà monté sur le dos d'un dragon ? » s'enquit-t-elle. Cela pouvait sembler être une question idiote. Tout en attendant la réponse, la princesse posa la paume de la Conseillère sur le museau de Firindal. Sous ses doigts, les écailles étaient chaudes et étonnamment douce, comme celles d'un serpent.

Orfraie fit ensuite le tour du Jade. Elle passa un pied dans l'étrier de la selle magique, puis se hissa sans difficulté sur le dos de son Lié. Une fois confortablement assise, elle s'avança sur la selle et offrit, une nouvelle fois, sa main à Autone. Celle-ci devait s'asseoir derrière Orfraie. « Tenez vous bien à ma taille. N'ayez pas peur de vous appuyer contre mon dos, surtout lorsque nous allons descendre. » la prévint-t-elle. La Liée avait les pieds dans les étriers, aussi ne pouvait-t-elle pas basculer en avant, même si Autone s'appuyait contre elle.

Firindal s'approcha du bord du gouffre. Son pas ressemblait à celui d'un cheval et, au final, la sensation n'était pas si différente. Mais lorsqu'il déploya ses larges ailes et s'élança d'un bond, ce fut une autre histoire. Orfraie couvrit les mains d'Autone de la sienne, l'incitant à serrer sa taille le plus fort possible. En effet, doucement, l'ange changea. Firindal plongeait vers le fond du gouffre en décrivant un cercle. Il tombait doucement, comme si on avait lâché une feuille au-dessus du sol.

« Ça va ? » s'enquit Orfraie en tournant la tête, offrant son profil gauche à Autone. Celle-ci était si proche de la princesse qu'elle pouvait distinguer la fine cicatrice qui barrait sa joue gauche.

Déjà, le fond du gouffre apparaissait. Les ruines, bien que déblayées, étaient toujours aussi impressionnantes. L'arrivée de Firindal fut presque silencieuse, le saurien se contentant de planer jusqu'à poser ses pattes au fond de la caverne. Il était minuscule à côté des deux golems. Le vainqueur se tenait debout. Le vaincu était allongé sur les ruines. Une semi-obscurité régnait en ces lieux. La lumière du jour peinait à descendre jusqu'au fond du gouffre. De nombreux gardes éclairaient donc les environs, formant comme une barrière lumineuse. Au-delà, c'était le noir complet.

Orfraie descendit la première, puis offrit galamment sa main à Autone.

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Autone ressentit un brin de culpabilité en entendant le compliment. Une véritable amie, elle ne savait pas si elle méritait ce titre. Elle avait l’impression d’être si loin de Luna, en tout point. Elle se sentait traître, pourtant fidèle à elle-même. Fidèle à ce qu’elle avait toujours cru, c’était pourquoi elle avait quitté Selenia. Mais Autone sourit et n’ajouta rien. Cette culpabilité ne devrait jamais devenir le fardeau de Luna.

Puis lorsqu’Orfraie lui tendit la main, la veuve sembla hésitante et les yeux un peu absents, elle posa sa main dans la sienne, que l’Ataliel attrapa. Et alors qu’elle lui posait cette question, Autone figea et se sentit soudainement nerveuse. Elle retint son souffle, vieux réflexe associé à des anciens jeux de cache cache qui n’avaient rien d’innocents. Penser à monter sur un dragon et avoir l’opportunité devant soi, les écailles sous la paume et le pied à côté de l’étrier, c’était des choses différentes. « Non… » Elle relâcha son souffle sans bruit, comme elle l’eût pratiqué, souvent. Il n’était pas question de se défiler, elle n’avait jamais ployé devant la peur. Elle s’était tenue debout devant Vraorg alors…
Son cœur se mit à battre très rapidement, elle retira sa main presque brusquement. Elle coupa le souvenir pour éviter de le laisser émerger. Le regard doré s’encra sur les écailles vertes. Et alors elle se concentra sur la couleur, avant de lever la tête. Puis elle monta et lui offrit sa main à nouveau, dont Autone eût besoin pour monter. Retenant à nouveau son souffle avant de grimper sur le dos du Jade, elle ne savait pas si s’accrocher à Orfraie calmerait sa peur de tomber. La petite veuve s’agrippa tout de même, sa nervosité était facile à percevoir, aussi ne la cachait-elle pas.

L’imbrisée sentit quelque chose se soulever en elle quand le dragon bondit et prit son envol. Elle échappa un petit cri, c’était quelque chose qu’elle n’aurait pu décrire d’aucune manière puisque rien au monde ne pouvait s’apparenter à ce genre de déplacement. Un instant, elle eût peur de ne pas tenir la saïnur suffisamment fort, mais l’Ataliel prit ses mains, rassurant la veuve que la poigne était bien solide. Elle tenta de se répéter qu’elle ne tomberait pas, mais ne put répondre à la question d’Orfraie. Les yeux dorés étaient ailleurs, tellement cela lui semblait irréelle, Autone était simplement stupéfaite. Autone redescendit avec l’aide d’Orfraie, mais ne manqua pas de descendre un peu maladroitement. Elle recommença alors à respirer normalement, sans retenir le volume de sa respiration.

« Pardon, mais il n’y a rien au monde pour préparer à cela. Et j’imagine que c’est plus facile pour quelqu’un qui est lié… »


Autone porta sa main devant son visage, des cinq doigts écartés* surgirent les flammèches. Elle regarda autour d’elle, utilisant de sa main comme d’une torche. « Pouvez vous me montrer où en sont les recherches? Y-a-t-il un endroit où il serait mieux de se diriger? »

[Contrôle] Flammèches
Fait apparaître cinq petites flammèches, une pour chaque bout de doigts, sur la main droite ou gauche. Utile dans l'obscurité ou pour apprendre le contrôle à un jeune élève. Le feu peut brûler ou s'éteindre très vite à ce niveau. Une fois le sort bien maîtrisé, le feu peut devenir inoffensif et peut rester durant des heures.

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Pour un premier vol, Autone s'en sortait bien, imagina Orfraie. En effet, cette dernière n'avait pas vraiment de point de comparaison à part elle-même. Son propre baptême de l'air remontait à quelques années maintenant et avait pourtant laissé un souvenir indélébile dans l'esprit immortel. La peur avait étreint son coeur lorsque Firindal, alors bien plus petit, s'était élancé avec la dragonnière sur son dos. Cette dernière balaya l'excuse d'Autone d'un geste de la main.

« Ne vous excusez pas. Vous vous en sortez bien. Je me suis habituée à cela, mais mon premier vol avec Firindal fut fort en émotion, croyez moi. C'est seulement devenu facile avec le temps et l'habitude. »

Donc oui, en quelque sorte, être Lié facilitait les choses. Mais c'était comme n'importe quelle discipline. L'entraînement régulier et l'habitude finissaient toujours par étouffer les craintes et la peur. Par exemple, Orfraie n'avait pas été à l'aise les premières fois où Firindal avait réellement prit de la hauteur. Elle s'était longtemps cramponnée à la selle. Aujourd'hui, elle se jetait de son dos et se laissait happer par le vide.

La lueur du jour éclairait légèrement les environs, au fond du cratère, mais les flammèches invoquées par Autone furent bienvenues pour cette dernière. Pour sa part, Orfraie n'avait pas besoin de cela et n'avait donc pas pensé à éclairer les lieux pour la Conseillère.

« Attendez, je vais vous aider à éclairer les lieux. »

Cela demanda un très léger effort conscient à la princesse pour invoquer la phalène dorée. Le petit insecte luminescent apparu au niveau de sa main gauche et tourbillonna autour d'Orfraie avant de s'éloigner un peu, apportant de la lumière dans les alentours. La magie qui invoquait la phalène provenait de la bague de fiançailles de la guerrière, un bijou qu'elle n'avait jamais retiré depuis le jour où Luna le lui avait glissé au doigt.

« Si cela ne vous suffit pas, faites-le moi savoir. »

Orfraie, en faisant preuve de prudence, commença à s'éloigner de leur air d'atterrissage. L'aide que Firindal pouvait apporter était différente, c'est pourquoi il ne les suivit pas et partit de son côté. La Liée n'était pas inquiète pour lui.

« Les recherches se concentrent là-bas. » De la main, elle désigna les décombres de Cordont. C'était un amas de pierres, mais on distinguait parfois les restes d'un encadrement de porte, une fenêtre. Et parfois, il y avait de mauvaises et tristes surprise, comme la découverte d'une main tendue vers le ciel, écrasée entre deux blocs de pierre. « Mais il y a assez de monde. J'aimerais m'éloigner et fouiller plutôt de ce côté. Ceux qui n'ont pas été ensevelis ont pu atterrir par là-bas, ou même ramper s'ils étaient blessés. »

Ce "là-bas" dont parlait Orfraie se trouvait à droite du lieu de recherche principal. Il y avait moins de débris, mais de gros blocs de pierre avaient roulés dans cette direction. Il y avait également beaucoup de gravats, de poutres en bois et de terre. La Liée jeta un coup d'oeil vers Autone, puis la devança. Orfraie faisait preuve d'un grand détachement pour ne pas se laisser happer par l'émotion. Mais il était certain que se trouver ici remuait quelque chose au fond de ses tripes. Sa mâchoire serrée pouvait en témoigner, pour peu qu'on y prête attention.

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« Et bien, je ne crois pas en faire une habitude, je ne connais pas vraiment de dragons ou alors je leur ai très brièvement parlé. Le dernier auquel j’ai adressé la parole fût Vraorg et les mots que j’ai prononcés ne lui ont pas plu… »

Elle se souvenait s’être retenue de soupirer et de gifler Matis. Elle savait qu’il n’aurait jamais accepté de faire comme elle. Il n’aurait pas pu être inauthentique, même pour elle. Et puis elle s’était souvenue des raisons pour lesquelles elle l’admirait et avait suivi son insoumission au plus lourd des prix. La veuve soupira au souvenir aigre-doux. Elle se demanda si elle préférait être ici seule, où à Morneflâme avec lui.

« Je suis habituée de monter à cheval, mais ça n’a rien à voir. Il y a comme une pression qui monte à la tête. » Comme lorsqu’on nageait plus profondément, mais cela elle ne le dit pas, parce que c’était une habitude inhabituelle et qu’en expliquer les raisons lui valait des regards étranges.

Autone éteint les flammèches, pour éviter de gaspiller sa précieuse énergie vitale. Elle remercia l’Ataliel d’un hochement de tête pour sa lumière. « Bien, allons de ce côté alors. » La dame suivit la princesse dans sa marche en ne restant pas trop loin de l’ancienne elfe afin de ne pas perdre l’avantage du phalène. Le silence ne le dérangeait pas, mais elle se souvint que certains considéraient l’absence de conversation comme une impolitesse et chercha rapidement un sujet de discussion, mais n’ouvrit finalement pas la bouche. À vrai dire, il n’y avait rien d’intelligent à dire et une elfe comprendrait probablement la source de son silence. Autone observa les pierres et les éboulements. Il y a longtemps, elle aurait été troublée à cette vue et aurait eu peur de ce qu’il pourrait y avoir dans ce tunnel. « Je ne sais pas si je suis la seule. Probablement pas. Mais cette catastrophe me semble irréelle tant je suis incapable de ressentir quoi que ce soit face au drame. » Elle arriva devant une grande pierre qui bloquait le chemin et la dégagea à l’aide de télékinésie. Elle sembla faire un effort considérable avant de parvenir à la retirer de son carcan de pierres. Un éboulement découla, Autone protégea sa tête avant de réaliser que rien ne les avait atteintes. Puis elle ouvrit les yeux sur un corps inerte. « Cela ne me fait ni dégoût ni mal. Et j’aimerais ne pas être…désensibilisée. » Elle avait dû apprendre à objectifier les cadavres, dans le volcan.

Autone s’approcha du corps et vérifia s’il respirait. Appuyant la main sur sa poitrine, elle constata que le corps ne battait plus et fronça les sourcils en inspectant l’homme inerte. « Il est parti, mais les charognards n’ont pas encore fait leur œuvre… S’il était en train de chercher du secours, peut-être y a-t-il d’autres corps plus loin ou…Des survivants? »
Cela lui semblait improbable, mais elle voulait y croire. L’espoir fait aussi mal qu’il est fort.

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