Aldaron Leweïnra - Le régne d'Erhïs Psehltrion

¤ Sacrifices ¤


Que faut-il pour être roi ?
La réponse ne vient pas de soi.
La Couronne a ses exigences,
Rude, elle arrache son dû.
Qu'à ces élus, rage y lance,
Et trouve des réponses perdues.


Car à conclure avec vérité,
Ceux qui ont fermement gouverné
N''ont jamais eu à s'interroger.


Seuls les avides désireux
Palabrent pire que mieux,
Pour désigner d'un doigt sévère
La moindre faute, la moindre erreur,
De celui dont ils espèrent
Leur voir céder leur honneur.


Que les Esprits m'en témoignent :
Ceux qui ont vraiment un peuple en poigne
Savent qu'on perd plus que l'on gagne.


Brûlent le désert traversé,
Les larmes sur les joues griffées.
L'ascension est vertigineuse,
Et sur le front une suée
Coule sur des rimes trompeuses
D'une macabre ruée.


De leurs yeux résolus,
Les rois vous mirent à nu
A côté d'eux, vous n'êtes plus.


Eux seuls vous le diront :
Le pouvoir est une illusion.
Jamais on ne le dirige,
Jamais on ne le dompte.
C'est lui qui vous afflige,
C'est lui qui vous rompt.


De la nuit, il était le fils,
De la couronne le sacrifice.
Son nom était Erhïs.
Erhïs Psehltrion.

¤ Inséparables ¤


Son corps était plein de grâce
Et ses lignes élancées,
Héritées de sa première race,
Elfe à la chair transpercée
De canines d'ivoire.
Un cri de plus dans le noir.


Ses mains se faisaient rudes
Autant qu'habiles à manier
La lance, en si belle aptitude
Qu'aucun ne l'avait nié.
Ses yeux de glace acérés
Avaient plus d'un corps éviscéré.


Et évincé.


L'acier claque sa jumelle
Par sa sœur contrôlée
Un entraînement qui révèle
Une étonnante complicité.
Estëria était sa sœur de sang,
Elfes jadis, vampires maintenant.


Plongés dans la nuit par un même père,
Liés par le sang et le fer,
On les disait inséparables,
On les disait inébranlables.
On les disait capables de tant,
On les disait foudre et ouragans.


La tempête.


Violence en leurs gestes peu retenus,
Mais aucune blessure jamais
Ne venait rompre leur dû.
Ils s'affrontaient pour gagner
Car leur renaissance portait les valeurs
Du peuple maudit et sans cœur.


Par milliers, leurs ambitions
Venaient éclairer leur avenir,
Sans jamais craindre la trahison
Qu'aucun d'eux ne désire.
Lui convoitait le trône noir,
Elle, un nouvel espoir.


Plus égoïste.


Ils étaient force.
Ils étaient croyance.
Ils étaient religion.
Ils étaient légion.

¤ Convoitise ¤


Sous la tente des nomades,
Se réunissent les plus hauts gradés,
Pour percer les barricades
D'un peuple humain courroucé.


La guerre de la faim persévère,
Depuis des siècles, inchangée,
Telle une maladie délétère
D'une plèbe maudite et décriée.


Nulle rédemption.
Nul pardon.


Leur prince était de haute stature,
Et d'aussi généreuse carrure :
Colosse dans une effrayante armure
Solide.
Sa poigne d'acier était rigoureuse,
point de décision hasardeuse
Ni de trahison malheureuse.
Impavide.


De cet homme, Erhïs était le Général
Un bras droit valeureux
Qui au fil des batailles, sans égal,
Avait fait montre de son mieux.


La confiance était de si bonne consistance
Que rien n'ébranlait sa résistance
Ni les tensions, ni les "on-dit",
Ni les blasphèmes des voix ennemies.


Mais elle camouflait la convoitise,
Joyau sinistre de la bêtise.


Le prix de la couronne d'épine
La Couronne Noire.

¤ Manigances ¤


Le long du Wylorel,
Paisible ville d'humains,
Trônait la magnifique citadelle
De Rivechagrin.


Bénie par des vents favorables
Qui remuaient les eaux du fleuve,
La pêche était mémorable.
Cette nuit, elle ferait celle des veuves.


Car à l'aube naissante,
Leurs époux, par l'astre rassuré,
Glissaient le long de la pente
Leurs fructueux filets.


Leurs poissons auraient des crocs
Et emporteraient dans la pénombre
Tant les habiles que les ballots.
La chair ferait bon nombre.


L'opportunité était à saisir,
Pour qui savait ruser,
Pas forcément besoin de salir
Pour le trône jalousé.


Les batailles font des morts,
Alliés ou ennemis,
Tous dans le même décor
Qui blêmit.

¤ Poignard ¤


Rivechagrin se dessinait à l'horizon,
Quand l'oiseau prit son envol
Pour informer des funestes oraisons
Dont les humains se désolent.


L'Empire, par le traître, avisé
Fit descendre de Glacern
De puissants guerriers-nés
Pour leur rappeler qui gouverne.


Ils avaient foi que la garnison
Parviendrait à défaire les vampires
De leurs sanglantes ambitions,
Ainsi détenteurs de l'oracle de l'avenir.


Le peuple de la nuit, à la naissance de l'aube,
Avala serein, le sang plein de honte.
Les meurtres leur faisaient des robes
Carmines, comme dans les contes.


L'escadron décapita ces aberrations,
Ces monstres tueurs, par dizaines,
Tant que seule une poignée évita la prison
Et le joug fatal de leur haine.


Erhïs ne tendit nulle main à son Prince,
Ni par bonne conscience, ni par grâce.


Le souverain disparut par cette trahison
Mais ni vivant, ni mort, aucun ne se risquait
A suivre Erhïs comme chef proclamé :
Tous savaient qu'Andelion viendrait laver l'affront.

¤ Duel ¤


Ce qu'Erhïs redoutait
Vint à se produire,
Andelion n'avait succombé
Au joug de l'Empire.


Yeux d'acier dans les yeux de glace,
La froideur était délicate.
Ils avaient tant partagé pour que prenne place
Une sinistre toccate.


La trahison le faisait tomber des nues,
Autant qu'elle le désolait,
Mais Andelion ne put
Que dégainer son épée.


Erhïs, tiraillé entre convoitise
Et sa sincère fraternité,
Payait le prix de sa bêtise
En combat armé.


De mémoire, jamais on ne vit
Un duel aussi prolongé.
On dit qu'il dura toute la nuit
Secoué de râles affligés.


Andelion pestait, consterné
Par celui qui l'avait toujours secondé,
Celui qui était, par le fer, né
Un frère qu'aux déesses il avait demandé.


Pour traverser la nuit,
Une âme qui le suit.


La rage s'écriait, féroce,
Jusqu'à ce que l'astre insole.
La lance désarma le colosse
Et l'épée fut au sol.


De la tête tranchée du Prince Noir
Coulait le sang de la victoire.
Mais alors qu'Erhïs se couronnait de son trophée,
Une lance, dans son dos, vint se planter.

¤ Le règne d'Erhïs Psehltrion ¤


La douleur irradiait ses sens,
Mais plus que le sang noir
Qui maculait la traître lance,
C'était le désespoir.


Contre lui, dans son dos, il la reconnaissait,
La sœur, l'inséparable qui lui susurrait :
« Erhïs... J'ai faim du pouvoir plus que ton amour.
J'ai faim, plus que ces autres vautours.


Mon ami, mon frère, ton sacrifice
Fera en sorte qu'ils me craignent.
Tu meurs pour mon bénéfice,
Tu consolides mon règne.


Car si je sais tuer mon inséparable,
J'aurais moins de peine encore
Pour tous ceux qui, indésirables,
Voudront me reléguer au décor.


Je t'aime Erhïs, n'en doute pas,
C'est le cœur que je m'arrache
Pour qu'il ne me déroute pas.
Je voulais que tu le saches. »


Et la tête, tranchée, tomba.


Que faut-il pour être roi ?
La réponse ne vient pas de soi
La Couronne a ses exigences,
Rude, elle arrache son dû.
Qu'à ces élus, place sa lance,
Et trouve un trône perdu.


L'on raconte souvent l'histoire
Du règne d'Erhïs Pselhtrion,
Un règne qui ne dura qu'un soir,
Une si courte abomination.