Béatrice se tenait adossée au bastingage de son navire « l’Albatros », amarré dans le port d’Athgalan la perfide. Le vent marin, chargé d’embruns, qui soufflait violemment faisait claquer le pavillon pirate fixé au sommet du mât. La jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années, arborait une peau couleur miel, tannée par le soleil et des mèches brunes que la brise océanique parfumait d’une senteur salée.
Une bouteille d’alcool à la main et un cigare aux lèvres, la femme-pirate affichait une posture, à la fois lascive et nonchalante, qui lui était habituelle. L’éclat acéré de ses mires sombres étaient rehaussé par un trait de crayon noir et des tatouages ornaient ses bras dénudés. Une grande partie de son corps en était décorée, mais pour admirer la splendeur de ses motifs tatoués, encore fallait-il avoir la chance de voir la donzelle entièrement dévêtue. Pour l’heure, cette dernière portait un pantalon moulant, gris à rayures, et une fine chemise blanche qui laissait peu de place à l’imagination quant à ses formes voluptueuses. Une ceinture bustier en cuir accentuait la finesse de sa taille et des bijoux en or, bracelets massifs et larges boucles d’oreilles parachevaient sa tenue. Et comme toujours, elle ne se séparait jamais de son sabre qui avait déjà fait couler des mares de sang sur l’océan.
Béatrice observait avec acuité la foule populeuse, amassée sur les quais d’Athgalan, mélange hétéroclite de pirates, de catins, de criminels et de la lie de toutes les nations du monde. Le regard qu’elle portait sur ces rebus de la société était un mélange de sympathie et de condescendance. Après tout, n’était-elle pas l’une d’entre eux ou presque ? Et qu’est-ce qui ressemblait le plus à un pirate…hormis un autre pirate ? Cependant, la jeune femme possédait une petite originalité qui résidait dans le fait qu’elle était une espionne au service de l’Empire Sélénien. Certes, à vouloir jouer à ce genre de petit jeu, on risquait d’y laisser sa peau, mais Béatrice avait le goût du risque et rien ne l’excitait autant que la saveur du danger.
D’ailleurs en parlant d’amusement la mission que venait de lui confier l’un des maîtres espions était des plus hilarantes. Il lui avait fait remettre une boite noire, fermement scellée, avec pour instruction de ne jamais l’ouvrir, surtout en plein jour. Et pour cause, ce joli paquet contenait des graines d’Ekkinopyres, ces abominations florales apparues à Cordont et qui menaçaient de ravager la surface de Calastin. La description de ces monstruosités l’aurait fait glousser en d’autres temps si l’affaire n’était pas si sérieuse. Et ce n’était guère pour ses beaux yeux ou afin de gagner ses faveurs sexuelles qu’on lui avait offert de telles fleurs.
Béatrice avait pour mission de prendre contact avec un certain Demens Torqueo, un alchimiste et de négocier avec lui l’octroi de ses services concernant l’étude de ces plantes. La femme-pirate avait déjà rencontré ce curieux bonhomme, au visage marmoréen et inexpressif, et dont une partie du corps était hérissé de cristaux.
La jeune fille brune s’éloigna du bastingage et se rendit dans sa cabine afin de prendre la boite qui contenait les graines maléfiques. Un sourire carnassier s’afficha sur ses lippes tandis qu’elle contemplait le réceptacle d’un noir d’obsidienne. A l’intérieur se trouvait une belle saloperie et il lui suffisait de briser les scellés et de l’exposer en pleine lumière pour la libérer. Une pulsion mauvaise l’envahit en imaginant les Ekkinopyres coloniser les marais à proximité d’Athgalan, répandant leurs graines afin d’ensemencer cette terre vierge dans une floraison orgiaque et empuantir la cité pirate du parfum de la destruction. C’était terriblement excitant…et tentant et, à cette idée, elle sentit s’allumer en elle un feu passionnel semblable au désir charnel. Hélas, sa mission se limitait à contacter l’Alchimiste et à aborder avec lui la question de sa collaboration pour l’étude des Ekkinoppyres et rien de plus. Son sourire s’effaça et ses lèvres pulpeuses s’ourlèrent d’une moue de dépit tandis qu’elle enfournait la boite d’obsidienne dans une sacoche. Le plan d’extermination d’Athgalan attendrait. Ce n’était guère l’envie qui lui en manquait, mais les instructions de son supérieur avaient été claires et elle ne représentait que le simple maillon d’une longue chaîne.
Ensuite, la jeune femme quitta son navire, et déambula dans la foule délinquante, marchant d’une démarche féline et chaloupée, l’expression pleine d’assurance et comme indifférente aux regards concupiscents que lui lançaient certains badauds. Elle traversa les ponts sur pilotis, le centre-ville et ne s’arrêta qu’une fois arrivée dans le cul-de sac où se trouvait l’atelier de l’alchimiste. La porte était entrebâillée, ce qui indiquait aux visiteurs la présence du bougre au sein de son antre de perdition et d’expérimentation.
Béatrice respira une gorgée d’air, imprégnée de l’odeur de fleur de fumier d’Athgalan ; puis elle pénétra à l’intérieur de l’atelier et referma la porte derrière elle afin que nul curieux ne puisse épier leur future entrevue. Elle examina la pièce qui ressemblait à un véritable capharnaüm de fioles et d'objets divers et la pirate ne sourcilla guère à la vue de certains restes...humains ou d'animaux ainsi que des traces de sang qui maculaient le sol.
- Hé oh l’Alchimiste ! Je viens te faire une petite visite, pas de courtoisie car je n’ai pas le temps pour ces conneries. J’ai un employeur qui aurait besoin de tes services.
Ensuite, avec son sans-gêne habituel, la femme-pirate s’installa sur une chaise et dans, une attitude détendue, posa ses pieds sur la table, attendant que le bonhomme se manifeste.