Duo de forbans

1er Octobre 1763, Athgalan

Que de tremblements ! Décidément, Nid-Puant n’était pas le lieu qu’elle préférait lorsque son lié décidait de ne pas aller glisser. Cela parlait, cela piaillait, cela grinçait, cela marchait dans tous les sens. Dès que son éclat d’espoir posait la patte sur les ponts de bois humide il était happé comme par les bêtes des marais, sauf que c’était bien plus ennuyeux. Mais comme c’était quelque chose qui rayonnait d’importance dans son esprit de bipède, elle le laissait faire et en profitait pour faire ses affaires de dragon. Parfois, elle essayait, vainement, de suivre ce qui sortait de la bouche des bipèdes de bipède, et les images des bipèdes autours de bipède. Parfois, souvent, elle n’en avait vraiment rien à faire et préférait nager ou explorer, ou chasser la boule de poils chapardeuse qui se perchait sur bipède.

Mais cette fois, elle n’avait pas vraiment envie de le laisser faire ses affaires de bipède. Peut-être aussi parce qu’elle voyait, dans son esprit, que son lié n’avait pas très très envie de faire ses affaires de bipède. Alors elle avait quitté nid-glissant avec un gros bipède à crocs et elle était partie retrouver son lié dans un perchoir bizarre au centre du gros nid des bipèdes puants. Se glissant à l’intérieur, les griffes claquant sur la pierre puis le verre, la dracène s’arrêta un instant en observant le sol sous ses pattes. Le verre, une création bipède transparente, recelait une chose bizarre qui ressemblait à un oeil quand on regardait de loin, et à des bipèdes figés quand on regardait de près. Et ça la perturbait.

Elle finit néanmoins par secouer la tête et continuer son chemin, se plantant devant son lié, bien installée sur ses pattes arrières et se soulevant, pattes avant ramenées contre son corps. Tendant le cou, elle plongea son regard doré dans le sien, poussa un petit grondement-roucoulement et fit cliqueter ses écailles avant que son esprit ne touche le sien avec fermeté. Dans la bulle de ses pensées d’images et de couleurs, il y en eut une qui trouva son chemin vers la surface de leur lien comme une petite bulle de son.

“Nathaniel”

C’était là la première fois qu’elle daignait, ou parvenait, à user du langage des bipèdes. Et ce n’était pas du tout par hasard, mais bien par volonté de sa part. Elle était presque certaine d’avoir son attention pleine et entière peu importe ce que les bipèdes de lié pourraient bien inventer. Il n’avait pas grand chose à faire, juste à se concentrer sur elle !

“Na.tha.niel”

Un profond grondement lui fit vibrer le poitrail de la dracène et un élan d’amusement parcourut leur lien. Puis, elle lui fit parvenir une pensée en image : l’extérieur. Elle voulait sortir. Avec lui. Maintenant. Mieux que ça, elle voulait aller vers les marais. Les bipèdes de bipèdes n’allaient jamais dans le marais. Mais elle sentait qu’il y avait des choses, là-bas. Des choses à voir, à explorer, à combattre. Et c’était tout près ! Une fois déjà, elle s’était approché, et avait même vu une autre dracène à cet endroit, mais qui ne l’avait pas vu. Toute noire comme un morceau de charbon. Elle avait vu aussi des lumières qui dansaient comme les bipèdes de bipèdes quand ils buvaient trop de l’eau qui n’était pas eau et sentait fort.

“Viens ?”

Elle eut un petit grondement en le voyant sourire, appréciatrice. Oui, elle parlait un peu bipède. Son lié faisait de gros efforts pour elle, ça allait dans les deux sens ! Bien, maintenant qu’elle avait toute son attention, la prochaine étape, c’était sortir d’ici. Qu’il exerce son droit de bipède alpha et vienne avec elle. Comment cela ce n’était pas si simple ? Et pourquoi pas d’abord ? Il était bien le bipède alpha non ? Le patriarche de sa nuée de bipèdes. Oh allez quoi, les dangers mortels c’était bien plus intéressant que d’entendre des bipèdes sentent-fort pendant des heures ! Le soudain mouvement de l’elfe vint à surprendre la dracène qui releva le museau et dressa sa crête, trépignant d’attente. Ondoyant entre les jambes de son lié, elle manqua le faire trébucher alors qu’il quittait la tablée et se précipita dehors pour l’attendre en grondant et griffant le sol. Enfin !! Se laissant gratouiller les cornes, elle envoya une pointe d’amusement féroce dans l’esprit de Nathaniel.

“Rien fait”

Qu’il attende qu’elle grandisse un peu plus et elle l’enlèverait sans que personne puisse l’en empêcher. C’était une promesse. Elle n’aurait pas besoin de tactique pour le voler aux bipèdes sentent-forts. En attendant, il était à elle toute seule !

“Tu mets tes écailles, alors ?”

L’accompagnant en trépignant toujours et en manquant tout renverser sur son passage, la dracène se calma pourtant une fois devant leur nid secondaire craquant. Sauf que chez elle, calme n’était pas synonyme de bonne nouvelle. Crête rabattue, museau vers le sol, Kaiikathal joua de ses griffes sur le bois tendre, l’esprit malicieux. Elle semblait intérieurement pondérer quelque chose tandis que Nathaniel attrapait ce qu’il désirait prendre avec lui. Quand il revint avec une peau et un objet bipède faisant de la lumière et de la magie elle renâcla un amusement moqueur et sembla se décider. Elle aussi elle avait un jouet avec des glyphes bipèdes maintenant ! Cependant, la question vint l’obliger à scinder son attention en deux. Ce qu’elle souhaitait voir aller ? Mais le danger, justement ! Enfin pas seulement et elle n’avait pas encore les mots pour bien exprimer ce qu’elle avait en tête. Après plusieurs essais infructueux elle en revint à la méthode la plus simple : le partage.

Ainsi, elle pu transmettre tout ce que le marais lui inspirait. Pour commencer, elle sentait la magie qui émanait du marais et des créatures, mais au milieu de tout cela, il y avait un point plus étrange et attirant que les autres : le lieu où le portail-qui-fait-boum des bipèdes de son bipède avait été trouvé. Et elle était très curieuse d’aller voir tout cela. La magie du marais elle-même l’attirait : elle avait envie de la défier, d’y établir leur territoir. Pas comme dans la ville sent-fort ! Non un vrai territoire de dragon et lié. Un territoire avec énormément de magie, des bêtes à combattre et des secrets à découvrir. Cela ferait du bien à son lié également, d’affronter des créatures plus fortes que des bipèdes. Un instant, elle cessa de l’abreuver de ses pensées et images puis pondérer de nouveau et lâcher finalement, en détournant légèrement le museau l’air de rien.

“Et puis, j’ai vu un poilu là-bas”

Elle se lécha une griffe, très satisfaite d’elle-même.

“Un poilu devenu plumes et puis poilu de nouveau. Nathaniel n’aime pas poilus sans… fers… non ? Toi et moi, on chasse et on trouve poilu ?”

Graärh. Elle avait l’impression d’entendre un bipède crier de douleur quand on prononçait ce mot, et ne se gêna pas pour le faire savoir, moqueuse. Mais oui, elle parlait bien de… ça. Et elle observait les pensées de son lié avec attention. En fin de compte, elle l’avait bien résumé : il n’aimait pas les sans-fers. Bon, les sans-fers pas de sa nuée. Mais sans-fers quand même. Des poilus qui voulaient attaquer le nid-puant, si elle avait réellement tout compris. Elle n’aimait pas nid-puant mais s’attaquer à ça c’était attaquer son lié et elle avec, donc elle se sentait forcément concernée. Opinant de sa petite tête pointue, elle lui emboîta le pas, ne pouvant qu'acquiescer au fait de se montrer vigilant. Sur le chemin, elle réitéra son avis au sujet du mausolé et de ce qui pourrait peut-être s’y trouver. Oh, elle le voyait bien, que cela ne plaisait pas beaucoup à Nathaniel mais elle était certaine qu’il y avait un intérêt à y aller. Depuis la première fois qu’elle avait posé la patte sur cette île, le marais l’avait attiré et appelé, ce n’était certainement pas pour rien !

“Elle fait quoi ?” Nathaniel pensait à la chose lumineuse sur son crochet alors naturellement qu’elle se montrait curieuse ! Néanmoins et progressivement, tandis qu’ils marchaient, Kaiikathal sentit une désagréable impression de prédation lui hérisser les écailles. Qu’est-ce que c’était que ça exactement ? Au détour d’une ruelle, tandis qu’ils approchaient de la palissade, il y eut un sifflement désagréable et vindicatif, avant qu’une tête triangulaire ne jaillisse en manquant happer son lié. Sous la surprise, la petite dracène émit un croac, crète rabattue. La chose était longue et toute lisse, comme les saucisses des bipèdes à lié, sans pattes mais de grands crocs et une armure d’écailles comme elle, et elle avait l’air d’en avoir après lié. Pourquoi, comment, quand, trois questions qu’elle poserait sans doute… quand la grosse saucisse à crocs arrêterait de vouloir manger son bipède à elle ! Alors que Nathaniel était aux prises avec l’animal, Kaiikathal chercha à s’approcher pour mettre un bon coup de ses crocs à elle dans la bête.

Non mais ! Et pourtant, cela ne fut pas suffisant pour que la saucisse disparaisse. Elle se rétracta seulement, noire et sinueuse, et Kaiikathal, par instinct, fit vibrer ses écailles en se faisant aussi menaçante que possible. En raison des travaux des bipèdes puants, il n’y avait qu’eux dans le coin. “Pas besoin des marais pour du danger, finalement” La réplique était grinçante mais joyeuse tout à la fois. Elle qui avait voulu absolument se confronter à des adversaires dignes d’eux, elle était servie ! Queue relevée pour bien montrer ses piquants, elle gronda à l’encontre de la chose, physiquement, et mentalement auprès de son lié pour savoir ce qu’il voulait faire de cette saucisse. Parce que celle-là, Fabius-poilu n’allait pas pouvoir la voler !

Il était toujours très flatteur de constater à quel point les bipèdes tenaient les dragons en haute estime. Néanmoins, sa mémoire ancestrale lui soufflait que parfois, les bipèdes pouvaient être aussi intelligents et ingénieux. Et si elle se prenait à douter de ses ancêtres, alors son lié était un bon exemple prouvant que la race ne faisait pas toujours tout. Même si les dragons étaient toujours un peu mieux bien sûr. Juste un tout petit peu. Elle épiait les pensées de son lié comme elle aurait chassé un rat, ou ce voleur de Fabius, très intéressée par ce qui pouvait se tramer sous son épaisse crinière d’écume. C’était la façon qu’elle trouvait la plus simple pour essayer de comprendre certaines des habitudes de bipèdes. En sentant Nathaniel s’interroger sur les liés avant lui, la dracène se fit plus perplexe et il lui fallut les images et sentiments qui venaient avec les mots pour comprendre ce que l’elfe observait. Les classifications sociales des bipèdes avaient tendance à lui passer loin au-dessus de la crête. Les forts, les faibles, les pleins de nourriture, les sans nourriture, les pleins de ronds brillants et ceux qui n’avaient pas du tout de ronds brillants, ceux qui suivaient la façon de faire que les bipèdes établissaient comme la chose à faire et ceux qui faisaient ce qu’ils voulaient. La conclusion que Kaiikathal en tirait ? Que les bipèdes aimaient se compliquer la vie et faire très attention aux détails pour se distinguer les uns des autres. Quant à savoir si oui ou non il y avait d’autre liés qui ne suivaient pas ce que la plupart des bipèdes faisaient… Elle aurait beaucoup aimé le lui dire, mais elle n’arrivait pas à bien saisir les éléments qui permettaient de reconnaître, justement, ces liés-là. Non parce que, d’après ce qu’elle avait comprit, les humains vivant n’aimaient pas qu’on tue mais pas tous et pas tout le monde et les humains non vivants mais pas morts eux aimaient bien tuer de façon générale. Allez comprendre !

“Pourquoi les piou-piou ne seraient pas contents ?”

Et voilà qu’il l’avait encore perdue ! Bon, les piou-piou, à savoir les bipèdes qui pioupioutaient des chansons qui faisaient du joli son comme des oiseaux, ils étaient de la catégorie qu’elle trouvait la plus simple chez les bipèdes qui aimaient se différencier les uns des autres : ils étaient des ‘pas agressifs, sans fers, laissés tranquilles par les autres bipèdes’. Elle les appréciait assez, simplement parce qu’elle n’avait pas mal au crâne à chaque fois qu’elle essayait de les classer. De ce qu’elle avait comprit, n’importe qui pouvait aller voir les piou-piou si on n’était pas agressif et qu’on n’en voulait pas à leur territoir. Comme les dragons. Mais voilà que son lié pensait ne pas pouvoir aller chez eux. Un doute la prit. Si on agissait par logique, si son bipède ne pouvait pas aller chez les piou-piou s’était qu’il avait attaqué.

“Tu as chassé un piou-piou ?”

Le ton était légèrement sévère. Mais ! On ne chassait pas les piou-piou enfin ! Quel intérêt, pour commencer et ensuite voilà qu’il se retrouvait mit à la porte du nid, comme les bipèdes disaient. Ah bravo. Bon, pas de voyage chez les piou-piou. Alors où aller en attendant qu’elle arrive à faire son chemin dans les interminables définitions des différents bipèdes ? Bon, on y pouvait pas grand chose. Au pire s’il voulait être accepté, pourquoi ne pas offrir quelque chose aux pious ? Pour montrer qu’il n’allait pas vouloir les re chasser ? Elle en tout cas elle apprécierait. Et puis bon, maintenant qu’il était lié à elle, les choses étaient un peu différentes. Il y avait plus intéressant à chasser, surtout sur l’eau !

L’explicatif au sujet de la lanterne fut bien moins compliqué à comprendre pour elle. Ce fut même extrêmement intéressant. Et le feu-follet lui-même était fascinant. Ainsi, il avait le pouvoir d’absorber la vie ? Et il n’absorbait pas la vie du porteur de lanterne ? Comment avait-on fait pour enfermer le feu-follet ? Ils marchaient sur les pontons lorsque ses questions avaient été remplacées par de la méfiance. Et son instinct était le bon, puisqu’ils furent alors attaqués par ce que Kaiikathal n’arrivait pas à qualifier autrement que comme une ‘grosse saucisse avec des crocs’. Ah parce que cette créature n’attaquait que son lié ? Est-ce qu c’était un châtiment de la magie pour avoir chassé un piou-piou alors ? Si c’était ça, elle voulait bien comprendre qu’il ne veuille pas aller dans leur nid.

“Oui enfin… vous êtes pires”

Elle n’avait pas pu se retenir ! Mais elle n’allait pas non plus laisser son lié se faire becqueter par la saucisse. Le coup de dent qu’elle mit parvint à l’arrêter un instant mais elle ne pu pas garder sa prise. Déjà parce que la force de la chose était supérieure à la sienne, et qu’elle aurait été traînée sur le ponton, ensuite parce que la chair sous les écailles était dure de muscles. Elle était encore trop jeune pour pouvoir percer ça. Finalement, ils n’avaient pas eu à aller bien loin pour avoir droit à de l’action. Le voir essayer de gronder la créature lui fit plaquer sa crête sur sa tête. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas foi en lui hein mais il y avait juste un léger détail qui rendait tout son charisme inutile dans cette situation...

“...Nathaniel, tu ne parles pas serpent...”

Il arrêta pour une autre idée, plus appropriée selon elle et elle gronda son accord avec détermination. Elle observa la saucisse un instant et se décida finalement à gâcher la surprise et le mauvais tour qu’elle avait voulu faire à son lié au profit de sa sécurité, de leur sécurité en fait. Alors qu’ils faisaient face à la bestiole, Kaiikathal activa l’anneau qu’elle avait sur la corne et projeta des tentacules d’ombre pour obliger la créature à un combat de saucisses. Pendant ce temps elle se tourna vers Nathaniel. Ils étaient une équipe, n’avait-elle pas cessé de le dire ? Ensemble ils étaient d’autant plus fort et pas seulement lorsqu’elle serait assez grande pour croquer cette chose tout rond. Non, même maintenant en réfléchissant ils pouvaient en profiter.

“Donne ton truc brillant. Je vais l’attirer et toi tu l’écrabouille après, d’accord ?”

Il suffisait qu’elle réussisse à détourner la saucisse de son lié, juste quelques instants, comme cela, Nathaniel pouvait abattre son écrabouilleur sur la créature et la blesser. Pour le moment, elle ne voyait pas comment attraper la chose mais si lié y réfléchissait ça marchait aussi. Lui, il était plus au fait des outils des bipèdes.

Oh, elle l’avait vexé ? Krkrkr. Il était mignon quand il était vexé. Cela produisait un son amusant dans son esprit. Elle émit un bruit ronflant et cliquetant et frotta le bout de son museau triangulaire contre sa patte. En même temps, si elle ne pouvait pas jouer un peu avec lui, qui en avait le droit ? C’était son lié après tout.

“Parce que tu n’est pas la vie ?”

Si la petite cornue se payait sa tête ? Un peu. Mais c’était bon enfant car au fond elle était un peu d’accord quand même. Même si avec ce genre de raisonnement, on pouvait aussi essayer d’être un poulet. Si le poulet était un poulet, pourquoi ne serait-on pas poulet soit-même hein ? En tout état de cause, il ne fallait pas se laisser croquer, oui, dans tous les cas.

Quant à parler serpent… il était fort, mais là, ça semblait quand même très improbable. La dracène gronda en un petit son un peu grinçant et hérissa plus encore ses écailles. C’était un animal, pas un dragon ou un bipède, même s’ils communiquaient entre membres de la même espèce, ça restait… et bien des créatures un peu moins développées.

“Pourquoi il comprendrait les bipèdes ? Il n’est pas lié”

Même si elle devait reconnaître qu’il était agressif et que c’était bizarre qu’il le soit uniquement envers Nathaniel.

“Si ça se trouve, c’est une de tes femelles qui est morte et réincarnée”

Du peu qu’elle en avait vu, les femelles bipèdes pouvaient être très agressives, comme eux dragons, surtout quand les mâles se comportaient mal avec leurs petits. En même temps, pourquoi se comporterait-on mal avec un petit ? Les bipèdes étaient parfois très bizarres. Alors si cela se trouvait, le serpent était une ancienne bipède qui se souvenait de son lié ? Parce que de femelles, il en avait beaucoup, son lié. Et des femelles-mâles aussi. Bref, cela faisait des candidats pour la réincarnation en serpent.

Mais réincarnation de bipède pas content ou pas, ils allaient gagner.

“D’accord, on fait comme ça”

Elle se mit sur les pattes arrières, tendit le cou et attrapa la lanterne entre ses crocs en vacillant. C’est que c’était plus lourd qu’elle ne l’avait d’abord pensé ! La dracène parvenait à braquer la chose vers le serpent au moment où celui-ci se libérait des tentacules magiques. Cet objet était vraiment une aubaine. Il allait falloir qu’elle l’essaye sur Fabius. Ce sale voleur n’irait plus très loin maintenant. Attentive aux mouvements de son lié, elle essaya de se caler sur lui, usant de leur lien pour avancer au même rythme qu’il reculait avec la bestiole.

En y allant avec prudence et en évitant de se presser, ils réussirent à gérer le serpent avec moins de mal qu’elle ne s’y était attendue. Cependant, le serpent avait l’air d’une créature particulièrement intelligente, pour un serpent. Il arrêta subitement d’attaquer après plusieurs minutes et se ramassa sur lui-même dans le but évident de se protéger. Par mesure de sûreté, elle renvoya des tentacules s’occuper de la bestiole.

“Il faudrait quelque chose pour l’attraper mieux que ça. Tu n’aurais pas un sort bipède pour ?”

Il était mauvais en magie. Très bien, elle ne comprenait pas comment c’était possible mais elle ne pouvait pas réfuter ce qu’il était entrain de lui dire malheureusement, elle le voyait en lui, il ne mentait pas par paresse. Bon, tant pis, ils allaient devoir faire sans ! Peut-être que les pouvoirs des bestioles liées seraient suffisants. Quand on y pensait, tout ce qui était lié était fort non ? Dragons et Dragonniers liés, Bestioles liées… Oui, ce serait très bien, il n’y avait pas de raisons que cela ne suffise pas, définitivement. Le lien, il est bien. Mais, attendez, quoi ? Que venait-il de dire ? “Tu… tu as quoi dans ton sac ? Tu as un sac sur toi ? Il est invisible ?” C’était… c’était une image pour dire que le sac était grand, n’est-ce pas ? “On peut y mettre le serpent dans ton sac ?” Oui, si le sac avait effectivement la place d’un ‘tour’ il devait être assez grand pour un serpent. Il fallait juste assez d’adresse pour parvenir à l’attraper, mais c’était faisable pour lui, non ? Il avait réussi à le tenir à distance jusque là, avec son bout de tissu. Cependant, il semblait que Nathaniel ait d’autres plans. Tant pis pour le sac, elle acquiesça à l’idée et se tint prête.

Se rapprochant de son lié, elle déposa l’objet qu’elle tenait dans sa gueule, avec un claquement sec et un vacillement de mauvais augure. Mais cela, elle n’en avait pas grand chose à faire. Nathaniel voulait pousser le serpent à le frapper, lui faisant confiance, à elle, pour le protéger. C’était très important, pour elle. Son lié l’avait sauvé, quand elle était encore dans son oeuf, lui permettant de résister aux Chimères et maintenant elle avait l’occasion de l’aider et de le protéger à son tour. C’était extrêmement important, dans son esprit et dans son être tout entier qui en rayonnait intérieurement. Elle pouvait le protéger ! Mieux, il voulait qu’elle le protège ! Hors de question qu’elle faillit à cette tâche. Se rengorgeant d’enthousiasme et de fierté, elle vrombit de détermination et se tint prête, y mettant tout son coeur, se focalisant sur les mouvements de la grosse saucisse. Elle ne laisserait pas son lié être blessé. Ce n’était pas une saucisse sifflante qui allait lui faire peur, pas après ce qu’elle avait déjà vécu, surtout face à un simple animal ! Elle allait planter ses petits crocs là-dedans et elle n’allait pas lâcher.

“Comptes sur moi !”

Laissant l’elfe s’élancer, elle se tassa sur elle-même et attendit. Soudainement, l’esprit de son lié vint frôler le sien, en un contact très différent des précédents. Surprise, elle manqua bien ne pas comprendre ce qu’il lui communiquait. Au tout dernier moment, elle s’élança pour percuter la chose de plein fouet, sur la gauche de son lié. Ensemble, ils parvinrent à envoyer la bestiole dans l’eau et Nathaniel usa de son esprit-lié du poisson pour le piéger. Mais l’eau, ça ne piège pas efficacement malheureusement. Ce qui se passa juste après, elle ne le su pas vraiment, mais le serpent retomba sur le bois du chemin, enfermé dans une bulle de glace, avec un ‘bonk’ sonore. Il y eut un blanc, pendant lequel la dracène observa tour à tour la boule froide et son lié, puis elle s’assit sur les planches, plia la crête et penchant le museau de côté, perplexe. Qu’est-ce que c’était que cela ? De la glace ? Comment cela de la glace ? Il produisait de la glace comme ça, sans rien ? Et qu’est-ce qu’ils allaient faire d’une bestiole glacée ? Enfin, au moins, elle ne mordrait plus personne, maintenant. Après une poignée de minutes, elle s’avança, lapa la boule de glace et grogna de dégoût.

“Répugnant … Qu’est-ce que tu veux faire de ça ?”

Elle eut une idée alors même qu’elle demandait et avec un grincement moqueur, Kaiikathal donna un coup de queue dans la boule pour l’envoyer sur son lié.

“Attrape !!”

Elle émit un grincement amusé en le voyant d’un seul coup aussi tendu, voulant rattraper la sphère au prix de la tête qu’il tenait dans sa main. Se penchant, la dracène renifla la chose bizarre et la toucha d’une patte, pour voir si cela allait bouger. Oh que oui, elle bougea, et même un peu trop d’ailleurs ! Sursautant en entendant la voix bipède, Kaiikathal eut un léger bond en arrière et se hérissa en feulant, de petites étincelles crachottants hors de sa gueule. Mais qu’est-ce que c’était que cette chose ! Mauvaise, bien qu’elle ne comprit pas tout ce qui venait de lui être hurler, elle savait au moins qu’elle n’aimait pas cela et elle attrapa une planche un peu pourrie et à moitié partie du ponton, tira dessus de toutes ses forces pour l’arracher, faisant protester le ponton sur lequel ils se trouvaient. Avec de l’élan, elle utilisa la planche en question pour frapper la tête de toute ses forces. Concentrée sur le fait de donner un coup au bon endroit, la dracène ne prêta aucune attention à là où la tête allait atterrir, en revanche et feula de nouveau en laissant tomber sa planche lorsque la tête insolente percuta Nathaniel en plein sur le nez, et que leur lien répercuta la douleur dans son propre museau. La boule de glace retomba de nouveau et elle la bloqua au tout dernier moment avec la planche qu’elle envoya dessous, envoyant des ondes de regrets à l’elfe qui devait avoir mal au museau lui aussi.

Et maintenant ? Un peu penaude, elle essaya de détourner la conversation en rapportant son attention sur la saucisse congelée maintenue dans sa boule de glace.

“Hm. Tu veux faire quoi avec ?”

Est-ce que ça se mangeait le serpent glacé ? Mais non, elle n’y croyait pas trop. Son lié avait déjà bien assez de venin pour essayer d’en intégrer davantage en mangeant cette chose. Et elle savait aussi qu’il avait consulté des bipèdes qui parlaient avec les animaux. Pour apprendre auprès d’eux. Peut-être voudrait-il essayer avec cette créature également ? Hm, pourquoi pas après tout. Cette bestiole avait l’air résistante, cela pouvait faire une bonne alliée pour eux, elle n’avait rien contre. Mais ça allait être compliqué, si c’était vraiment cela qu’il voulait, parce que la saucisse n’avait pas l’air coopérative. En fait, elle avait plus l’impression que la chose ne voulait que gober son lié et rien d’autre. Et elle-même ne pouvait pas réellement aider Nathaniel à ce sujet. S’asseyant de nouveau, elle lança un petit regard à la tête bipède et émit un petit grondement mesquin, n’ayant quand même pas du tout apprécié de se faire hurler dessus ainsi par un morceau de chair fripée. Peut-être pouvait-elle la pousser dans l’eau discrètement pendant que Nathaniel s’occupait de la bestiole ? Il ne remarquerait rien non ? Aller, du bout de la griffe là, juste un peu plus… oups non, ça n’allait pas bien se passer, le machin recommençait à vouloir hurler. Décidément.

“Tu veux ramener la saucisse et t’occuper de la mettre dans quelque chose de mieux ? On ne peut pas vraiment prendre ça avec nous si on va dans le marais, pas vrai ?”

Elle ne doutait pas vraiment de la réponse et, oui, elle voulait toujours aller dans le marais. Ce n’était pas parce qu’un serpent était venu les ennuyer qu’elle allait changer d’avis. Bien au contraire en fait, cela leur servait d’échauffement.

“Qu’est-ce que tu en penses ? Tu ne va pas arrêter maintenant, pas vrai ?”

Un entretien privé avec Catherina. Catherina parlait ? Depuis quand ? Son lié lui avait caché ça aussi, en plus du sac extensible invisible pour serpent ? Mais enfin combien de choses dissimulait-il ainsi ? C’était pour lui faire une surprise ? Est-ce qu’il savait qu’il n’avait pas besoin de ça pour la surprendre ? C’était bien cela, non, un entretien, c’était quand deux bipèdes parlaient entre eux ? Ou alors c’était quand on prenait soin d’un objet. Il voulait que le serpent prenne soin de son gourdin ? Mais comment il ferait ça avec juste son corps de saucisse et pas de pattes ou de bras de bipèdes ? Il y avait encore un grand mystère là-dessous et elle se devait de découvrir de quoi il retournait, parce qu’elle avait vraiment l’impression d’être perdue pour le moment et que c’était proprement intolérable. Mais pas aussi intolérable que les beuglements de cette maudite tête sèche et fripée qui lui hérissaient les écailles. Elle gronda de nouveau, voulant se faire menaçante, et claquant des mâchoires. Si la fripée ne se taisait pas, la prochaine fois elle croquait dedans !

Malheureusement, Nathaniel l’attrapa avant qu’elle ne puisse mettre sa menace à exécution. Frustrée et ronchonne, elle tourna plusieurs fois sur elle même en produisant un bruit qui était pour moitié un glouglou et pour moitié un grondement, faisant fouetter sa queue autours d’elle. Son regard doré restait fixer sur la tête, mais elle ne tenta pas de l’attraper. Mieux valait se changer les idées. Nathaniel ne voulait pas que la saucisse s’échappe, très bien, ça lui allait, vu combien elle était ennuyante, mais comment faire pour mieux la sécuriser ? Il voulait la ligoter pour la faire sécher un peu ? “D’accord” Elle suivit, mais non sans un fond de mauvaise humeur. Sur le chemin, ils croisèrent les pirates avec lesquelles son lié était entrain de sécher et d’agoniser d’ennui. En voyant que les bipèdes commençaient à vouloir que attraper son elfe pour recommencer à l’ennuyer. Ah non, hors de question hein ! Elle avait voulu allait dans le marais et elle irait dans le marais avec lui ! Elle siffla, menaçante et décida d’agir. Avançant furtivement entre les jambes de Nathaniel, qu’il avait grandes comme des échasses de hérons des marais, et vint mordre les chevilles du pirate.

Nathaniel s’en allait déjà et elle galopa vers lui en ricanant sous cap, le pirate resta seul avec sa douleur et aucune possibilité de protester. Elle ondula dans les jambes de son lié en manquant le faire tomber, noua sa queue sur sa jambe en le picotant de ses pointes. Ils allèrent jusqu’à la salle des coffres… une salle des coffres pleine d’or. Les yeux brillants, elle observait tout autours d’elle les tas brillants, fascinée par la couleur et les chatoiements sur la surface en métal. “Parti avec quoi ?” Elle ne voyait pas ce dont il s’agissait dans son esprit, aussi fut-elle curieuse lorsqu’il trouva ce qu’il voulait et elle détourna son attention de l’or pendant quelques instants. Une jarre ? C’était quoi cette jarre ? Elle se vida de son contenu sur le sol, faisant scintiller une cascade de pièces rondes et lisses et brillantes qui la firent roucouler. C’était tellement beau ! Cette fois, sa force d’esprit ne tint pas et elle plongea dans le tas ainsi agrandie sans plus de résistance. Elle sentit, bien entendu, la perplexité de son lié et, joueuse, elle roucoula de nouveau et sortit juste sa queue et sa crête. Elle commença à avancer ainsi en faisant cliqueter l’or conte ses écailles, et au dernier moment, elle sortit en jaillissant, claquant des crocs contre son genoux.

Elle ricana dans son esprit, puis retourna se cacher dans le tas d’or et commença à s’éloigner dans la salle. “Essaye de me trouver ! Je suis de l’or !!” Quand elle fut assez loin, elle attrapa une pièce dans sa gueule et la recracha très vite pour essayer de toucher son pirate de lié. Après plusieurs ‘attaques’ ainsi réalisées, de divers points de la salle, elle se refit aussi discrète que possible, s’avançant lentement de sous le tas d’or. Quand elle ressurgit de nouveau, ce fut pour activer les tentacules de l’anneau de corne qu’elle portait, directement sur Nathaniel. Elle qui avait eut cette idée dès le départ, elle pouvait enfin le faire ! Bondissant, elle vint rouler avec lui dans les pièces d’or en trompettant de triomphe. Juchée sur le torse de son lié, elle le regarda nez à museau, découvrit ses crocs, et vint lui faire un grand coup de langue râpeuse et baveuse. Elle lui redressa quelques mèches de poils sur le front et quand elle fut satisfaite, elle se drapa en équilibre précaire sur ses épaules. “On y va ?” Elle avait d'autant plus hâte de voir les marais maintenant qu’ils s’étaient échauffés les muscles avec la saucisse. Et puis, il y avait le poilu qu’elle avait vu aux abords des marais, non ? Nathaniel ne pouvait pas le laisser s’échapper, si ?

Non, en effet, ils ne devraient pas avoir d’autres contretemps, du moins elle espérait que ce soit vrai parce qu’elle n’avait pas envie de perdre encore du temps inutilement. Ce n’était pas contre les idées de son lié, c’était juste son point de vue sur son plan avec la saucisse. Elle aurait préféré gober ce truc ou simplement le tuer et en avoir fini avec cela. dans tous les cas ? Ils repartaient maintenant sur la bonne route. Celle qui grinçait et oscillait quand ils passaient et qui menaient vers le mur qui protégeait la ville et au-delà. La route du marais. Là où elle voulait aller depuis le départ. Le monde semblait avoir comprit qu’elle n’était pas ouverte à la discussion et se montra coopératif. Ils furent bientôt au-delà des murs et devant les premières racines de la mangrove. Là, la dracène allongea le cou et huma l’air gorgé de parfums subtiles et profonds. Il y avait la terre humide gorgée d’eau, la vase et l’iode, le bois mouillé et la décomposition, mais également l’odeur diffuse de créatures encore invisibles et étranges. c’était un parfum de défi, dans son esprit, d'étrangetés à découvrir, de secrets qui les attendait. Et elle ne se priva pas de partager ce qu’elle ressentait avec son lié, non seulement les sensations mais également ce que cela invoquait en elle. Elle avait après tout un bien meilleur odorat.

*Un graarh qui vient regarder ce qu’on fait pour se défendre*

Les poilus voulaient attaquer, ce n’était pas irraisonné de vouloir savoir exactement ce que faisaient leurs proies potentielles non ? Elle s’avança légèrement, jusqu’à la berge de la mangrove, à pas lents et méticuleux et observa l’eau saumâtre, opaque pendant de longues minutes. On ne voyait rien sous la surface, mais ce n’était pas la même chose qu’avec l’océan, c’était même très différent sans être totalement étranger. C’était ancien et profond aussi, mais pas aussi vif ni aussi impulsif. Un peu comme ces grandes choses couvertes de cuir sur les bords du marais, qui gardaient leurs longs museaux ouverts et qui semblaient dormir avant de se mettre à bouger très rapidement, plutôt que d’être toujours en mouvement comme les gros poissons à dents dans l’océan. Et elle sentait beaucoup de magie, dans cet endroit, mais pas seulement la magie dont se servaient les bipèdes pour tout et n’importe quoi. Relevant finalement le museau en voyant quelque chose de vague bouger sous la surface, elle recula en se léchant le bout du museau, les écailles hérissées. elle ne savait pas exactement ce que c’était mais elle n’aimait pas ça.

*La dernière fois, tes bipèdes ont demandé à un oiseau pour entrer oui ? On doit faire pareil ? Le poilu a fait pareil aussi ?*

Il n’y avait pas d’oiseaux, alentours. En fait, il n’y avait aucun animal, à première vue, à part une petite grenouille qui ressemblait à une balle. Décidée à ne pas devenir une proie pour quoi que ce soit dans les alentours immédiats, elle releva le museau vers son lié, et décida de ne pas foncer tête baissée cette fois.

*Comment on fait tu penses ? Ta lanterne, le poilu ne risque pas de la voir ? Elle protège vraiment des créatures ? Je peux passer devant, pour vérifier où on peut marcher et tu me suis ? Comme ça tu ne tomberas pas par accident dans l’eau. Il y a des choses là-dedans qui aimeraient bien nous croquer je crois*

Elle était plus légère que lui, mais elle pouvait utiliser sa queue pour piquer dans le sol et vérifier ce qu’il y avait sous leurs pattes. Et avec la magie de la lanterne, ils ne risquaient pas trop d’être attaqués. Mais ça ne voulait pas dire que les prédateurs ne pouvaient pas trouver comment le faire quand même. Si elle, on agitait un casse-croûte devant elle, elle essaierait en tout cas.

*Si on trouve le poilu, on fait quoi ? On le mange ou on le ramène ?*