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[19 décembre 1763 - Caladon]

La journée était relativement bien avancée, à en juger par les rayons de soleil qui glissaient par la fenêtre de sa chambre. Les rayons d’or pâle d’un soleil hivernal le narguaient, alors au lieu de penser à combien il était d’ordinaire matinal et débordant d’énergie à cette heure-ci, il contemplait les grains de poussière qui dansaient dans la lumière ainsi projetée. Comme des centaines de diamants minuscules emportés dans un élan chaotique. L’arrière plan coloré de sa chambre attitrée lorsqu’il résidait chez son père adoptif offrait un décor tout à fait acceptable au ballet auquel l’elfe assistait depuis maintenant une heure. Peut-être plus.
Roulé en boule dans son lit, Sorel tenait un oreiller contre sa poitrine tout en observant la chorégraphie dont il était spectateur. La rencontre qu’il avait faite au lac d’émeraude ne cessait de lui revenir à l’esprit et il était incapable d’aller au-delà de la simple constatation de « Je l’ai rencontrée » sans que sa réflexion ne fasse un pas de plus, que ce soit dans une bonne ou une mauvaise direction. Même une direction neutre serait préférable à ce cul-de-sac émotionnel, il avait l’impression que ses pensées étaient embourbées et moulinaient sans espoir d’atteindre un jour une destination quelconque. Si destination il y avait.

Avec un soupir irrité, Sorel se redressa et s’assit sur le rebord de son lit, les bras toujours enroulés autour de son oreiller qu’il gardait pressé contre lui. Les yeux rivés au sol et les sourcils froncés, l’elfe considéra un instant de retourner s’allonger, de peut-être tourner le dos au spectacle lumineux qui lui offraient le soleil et la poussière dansante. Il était arrivé la veille et après avoir salué son père afin de lui faire savoir qu’il était là, Sorel n’avait pas quitté sa chambre.
Järn finirait bien par lui en vouloir s’il le laissait seul trop longtemps mais après le voyage éreintant qu’ils avaient effectué, l’étalon était peut-être heureux de se reposer en toute tranquillité. Sorel avait déjà prit les dispositions nécessaires pour prévenir qui de droit que personne d’autre que lui ne devait s’occuper de Järn. Excepté pour ce qui était de le nourrir et de l’abreuver, tout contact pouvait s’avérer dangereux pour quiconque n’était pas averti du caractère orageux de l’animal.

L’elfe quitta le confort tout relatif de son lit et laissa échapper un soupir avant de se défaire avec réticence de l’oreiller qu’il tenait toujours contre lui. Il prépara ses affaires et, sans son énergie et sa bonne humeur habituelle, entrepris d’effectuer le rituel matinal de sa toilette.
S’habillant chaudement et enfilant sa fidèle cape dont il enroula les pans autour de lui comme pour repousser le froid alors que le bâtiment n’était pas particulièrement froid et même plutôt bien chauffé, correctement protégé contre les températures de l’hiver.

Ignorant exactement ce qu’il avait l’intention de faire mais déterminé à ne pas rester une seconde de plus à câliner un oreiller, roulé en boule dans son lit, Sorel déambula sans but dans les couloirs de la résidence. Tout au moins jusqu’à ce que son chemin ne croise celui d’un servant. Une certaine forme de soulagement le traversa lorsqu’il constata qu’il n’était pas un esclave mais bien un serviteur aux ordres d’Aldaron et autorisa un pâle sourire à étirer ses lèvres. Le serviteur s’arrêta à sa hauteur, inclina la tête en signe de respect tout en le saluant d’une voix calme. S’enquérant de la santé de l’elfe, il lui proposa également quelque chose à manger puisque Sorel n’avait manifestement pas été vu récemment en train de se sustenter et qu’aucune demande de la sorte n’avait été faite en cuisine.

« Non, ça ira, » dit-il en secouant gentiment la tête. « Je n’ai pas faim pour le moment. »

Un glapissement, non loin de là, attira l’attention de Sorel. Avec une nouvelle inclinaison de la tête, le serviteur s’éloigna tout en précisant que s’il devait changer d’avis, l’elfe était le bienvenu en cuisine pour toute demande.
Attendant que l’homme ait disparu au détour d’un couloir, le Maître des Mines inclina la tête, considérant attentivement une porte voisine dont il était sûr que le son s’était échappé. Les yeux rivés sur le battant de bois, il hésita entre poursuivre son chemin et satisfaire sa curiosité naturelle. Envoyant par la fenêtre toute forme de morosité, Sorel approcha à pas silencieux de la porte et toqua doucement à deux reprises.

« Est-ce que tout va bien là-dedans ? »


Dernière édition par Sorel Gallenröd le Sam 30 Jan 2021 - 13:42, édité 1 fois

descriptionUne note discordante [Valmys] EmptyRe: Une note discordante [Valmys]

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La tension était palpable.
Les deux prédateurs se faisaient face. Leurs muscles étaient bandés, prêts à bondir. Leurs regards ne se quittaient pas, prêts à réagir au moindre geste de l’autre, sans que leur attention ne se dévie de leur objectif. Un silence lourd de tacites menaces les encerclaient, tout juste percé par leurs respirations, lentes, maîtrisées. Elle avait une protection plus redoutable que l’acier et des armes tranchantes qu’elle dévoilait pour décourager son adversaire. Il avait l’avantage de la taille et d’une magie forte qui brûlait en lui.
Un glapissement de douleur échappa à Valmys, qui mit immédiatement les mains sur le sol. Il n’avait pas encore apprivoisé ces réactions de son corps, et n’avait guère envie de finir trop brutalement le nez contre terre. Ses traits se tordirent en une grimace de douleur, alors que ses membres s’agitaient de spasmes irréguliers, parcourus de fourmillements. Face à lui, la concurrente n’eut aucune pitié. En un bond, Nahui, qui avait réduit sa taille pour mieux se faufiler dans la maison de Lié, s’empara de cette friandise au chocolat qui leur avait valu ce terrible affrontement de regards. Elle partit ensuite dans la direction opposée, d’un galop jouasse, la tête haute, accompagnée de cette aura de fierté démesurée qui la caractérisait tant. Encore une fois, le monde avait remis les bipèdes à leur place !

Le bipède en question n’en menait clairement pas large. Il avait pourtant tout fait pour pouvoir continuer à voir sa famille. Il était arrivé à Caladon de nuit pour ne pas subir la multitude de mensonges qui façonnaient la ville, de jour. Il sortait peu, préférant ce sanctuaire que son père lui avait forgé en prévenant chaque être de la maisonnée des précautions à prendre. La situation n’était pas confortable, pour celui qui avait aimé errer dans la ville de son bienfaiteur. Il arrivait tout de même aux divers employés de la maison de mentir par inadvertance, mais jusqu’alors les mensonges avaient été assez ténus, ou éloignés, pour qu’il n’en souffrît pas trop.
La vie était bien complexe pour le jeune maître. La source de sa douleur s’approcha - un chant-nom qu’il ne connaissait pas encore. Un nouveau venu dans la maison ? Lorsque sa voix lui parvint, Valmys la reconnut. Ce n’était pas tant un nouveau venu. C’était un frère, un nouveau camarade de jeu. Bon, il ignorait encore quels jeux partager, mais cela viendrait sans doute. Déjà, ils pouvaient jouer à dire la vérité, ç’aurait été une riche idée.

Prudemment, en s’appuyant à un fauteuil non-loin de lui pour s’offrir la confiance qu’il ne mettait pas dans ses jambes, Valmys se redressa. La douleur sourdait encore dans son corps, mais les spasmes et fourmillements eurent tôt fait de se calmer. Par les huit, comment faisaient les onze autres pour survivre dans ce monde de brutes ?

La porte s’ouvrit devant Sorel, sur jeune homme aux cheveux blancs noués en catogan, à la peau sombre couverte de veinules cuivrées semblables à des branches d’arbre mort. Valmys portait une élégante tunique verte qui lui avait été offert par leur père. Quelques subtils indices dans les traits de son visage laissaient entendre qu’il était bien celui qui, à l’instant, avait souffert. Peut-être était-ce dans ce sourire en coin légèrement forcé. Le haut de son crâne se voyait coiffé de deux charmantes oreilles d’hermine, toutes aussi blanches. Une queue d’hermine décorait également le bas de son dos.

“- Cela pourrait aller mieux,” avoua-t-il.

Pas besoin de plus d’explications. La plupart des gens faisaient aisément le lien entre lui, son rang, et les mensonges proférés. Pas de reproche explicite, donc. Au lieu de cela, Valmys sortit du petit salon dans lequel Nahui et lui avaient trouvé la friandise abandonnée.

“- Suis-moi.”

D’un signe de la main, il encouragea Sorel à lui emboîter le pas, dans les couloirs du manoir. Au bout de quelques instants, sa démarche fut de nouveau assurée, et son pas déterminé. Il savait où il allait, avait hâte de constater le résultat, et cela se sentait. Le duo s’engouffra dans une aile relativement sobre et étroite du rez-de-chaussée, pour finalement s’arrêter devant une porte tout aussi sobre que mystérieuse. Valmys jeta un regard à droite, un regard à gauche, et ouvrit la porte. Un mouvement de bras incita Sorel à passer devant, et le sourire du baptistrel s’était fait malicieux. Que Sorel se décidât ou non, il rentra également.
C’était une toute petite pièce, avec tout juste de la place pour eux. Un placard occupait le mur à leur droite, du sol au plafond, et une petite table se situait dans l’angle de la pièce, avec quelques bols et couverts. Poussant le rideau qui refermait le placard, Valmys dévoila à son frère l’objet de tous les secrets, de toutes les convoitises : ils étaient là dans le placards à sucreries d’Aldaron. Ce placard contenait tous les petits gâteaux, toutes les petites gourmandises que l’on pouvait désirer. Le Cawr en désirait une en particulier. Il écarta une de ses mains du placard, pour allumer sur le bout de son index une flammèche suffisante pour les éclairer. Son autre main s’aventura un peu à l’aveuglette au milieu des récipients divers, jusqu’à trouver le pot de verre qui l’intéressait tant.

“- Ah !”

Il l’extirpa du placard, et l’ouvrit, de ses doigts libres, se servant une de ces petites boules de chocolat fourrées au coulis de fruits rouges, avant de tendre le bocal à son frère, sans se défaire de son expression de gamin beaucoup trop heureux de sa bêtise.

“- Craigniez-vous que l’on vous empoisonne ?” demanda-t-il, curieux de savoir pourquoi avoir menti à l’employé de leur père. “Nous ne sommes guère à Sélénia, vous savez !”[/color] avoua-t-il, pouffant à moitié de rire. Ah, pour lui, c’était bien simple. Il avait l’habitude, il avait les chants-noms, et la magie, pour réagir au quart de tour si le besoin se faisait sentir. Que n’avait pas Sorel ? Que pouvait-il craindre jusqu’au sein de ce qui aurait dû être, pour eux, l’endroit le plus serein au monde après le Domaine ?
Quoi qu’il en soit, il pouvait chasser ses peurs : désormais, son Grand Frère était là ! Oui, Grand Frère. Même avec presque un siècle de différence. Ce n’était pas cela qui allait définir les places au sein de la fratrie, foi d’hermine !

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Le battant de bois pivota silencieusement sur ses gonds pour révéler le visage échevelé… d’un presque inconnu. D’abord perplexe, Sorel inclina la tête sur le côté, détaillant du regard les traits étrangers du jeune homme… avant de remarquer les oreilles pelucheuses qui émergeaient des mèches blanches désordonnées ainsi que la texture particulière de son nez.
Moins d’une poignée de secondes furent nécessaires pour connecter la personne qui se trouvait en face de lui et le petit grand frère qu’il n’avait toujours pas eut l’occasion de rencontrer. Les yeux de l’elfe s’écarquillèrent tandis que ses lèvres s’entrouvrirent sur une exclamation de joie et d’excitation mais aucun son ne s’en échappèrent. Et pour cause, la tension autour des yeux de Valmys, la légère torsion dans le sourire lui rappellèrent le mensonge éhonté qu’il venait de prononcer et Sorel grimaça de honte, rentrant la tête dans les épaules.

« Je suis vraiment désolé, » s’excusa-t-il, l’air contrit.

Se fustigeant mentalement de ne pas avoir considéré la possibilité que le baptistrel puisse être à la maison, Sorel fulmina un instant contre lui, oscillant entre une inquiétude pleine de remords et une colère dont il était la seule cible. Il suivit son frère pour la première fois rencontré avec un petit son pour indiquer son accord, traînant un peu des pieds derrière… une longue queue touffue ?
Cillant, l’elfe oublia un instant la bagarre intérieure qui faisait rage pour observer avec intérêt l’appendice animal qui décorait le bas du dos du baptistrel. Il remonta les yeux sur le haut du crâne aux mèches blanches pour repérer les oreilles animales et se frotta le bout des doigts, curieux. Étaient-elles, queue et oreilles, aussi douces qu’il l’imaginait ? Aussi, quelles sensations renvoyaient-elles ? Qu’en était-il de l’équilibre ? Etait-il affecté par cet élément supplémentaire ? Et ses oreilles, captaient-elles plus de son que celles, atrophiées, du genre humain ?

La bagarre intérieure diminua en un bruit de fond à peine capable d’attirer son attention tant la curiosité le dévorait mais, progressivement, même cette dernière laissa la place à une excitation débordante. Valmys ! Cela faisait des mois, des années presque ! qu’il essayait de rencontrer ce nouveau venu dans la famille. Lorsque Sorel était au domaine, Valmys n’y était pas et inversement, bien que libre d’aller et venir à sa guise, l’elfe ne pouvait décemment pas laisser sa boutique continuellement fermée. Sans compter qu’il avait d’autres devoirs à accomplir pour le Marché Noir qui laissaient parfois peu de place aux loisirs personnels, aux déplacements ou à la disponibilité.
Trépignant presque d’impatience, mais toujours conscient de la faute qu’il avait commise à peine quelques secondes auparavant, Sorel observa la silhouette du jeune baptistrel, gravant chaque détail dans sa mémoire. Absorbé par son plaisir de pouvoir finalement rencontrer Valmys, Sorel manqua de lui rentrer dedans lorsqu’il s’arrêta devant une porte. Marmonnant de nouvelles excuses d’un ton piteux, il recula de quelques pas avant de s’intéresser à ce qui avait interrompu la progression de Valmys.

Ils se trouvaient face à une porte et l’attitude prudente du baptistrel força Sorel à jeter un regard aux alentours, tendant l’oreille pour tenter de percevoir l’approche d’un éventuel passant mais les couloirs restèrent silencieux pour autant qu’il puisse dire.
Sans attendre, Sorel suivit Valmys à l’intérieur de la pièce et referma rapidement la porte derrière lui avant de se tourner pour voir dans quoi son frère adoptif l’avait entraîné.
La pièce était minuscule mais, à l’ouverture du rideau qui dissimulait son contenu se révéla et Sorel émit un son de ravissement qui s’acheva dans un rire qu’il atténua derrière ses mains jointes, ses yeux brillants d’hilarité.

« Ca fait un moment que je le cherchais ! » s’exclama-t-il avec ravissement, observant comme un enfant alors que Valmys fouillait dans les monts de sucreries, s’aidant d’une petite flammèche pour voir ce qu’il trouvait.

Lorsque Valmys tendit la main, révélant l’objet de sa recherche, Sorel éclata de rire à nouveau. Certainement une des raisons pour expliquer la présence des friandises dans le placard à sucreries d’Aldaron. La question de Valmys le fit froncer les sourcils et il se servit dans les sucreries favorites d’Ilhan, attrapant une petite boule de chocolat qu’il mangea ensuite avant de risquer un regard vers son frère.

« Non, ça ne fait pas parti de mes craintes. Pas maintenant, en tout cas, » avoua-t-il avec une petite moue. Son regard tomba sur les oreilles veloutées du baptistrel et il fourra ses mains dans ses poches, comme pour s’empêcher de tendre les doigts et d’en caresser la fourrure. « Est-ce qu’on peut se tutoyer ? » demanda-t-il doucement, frottant le sol du bout de sa botte.

Il considéra un instant les friandises qui lui étaient proposées. Il sentait le creux tendu de son estomac mais tout appétit l’avait déserté et cela depuis quelques jours. Il se forçait à se sustenter, du moins autant que possible afin de conserver un minimum d’énergie dans un corps qui en avait besoin, mais il n’en éprouvait ni désir ni plaisir.
Son regard tomba sur le rideau ouvert et le stock de sucrerie et un sourire revint sur ses lèvres. Il n’oublierait pas le chemin à parcourir pour parvenir à cet endroit, pas plus que la personne avec laquelle il en avait fait la découverte. Son regard revint sur Valmys et son sourire s’accentua :

« Je suis tellement content de pouvoir enfin te rencontrer, » s’exclama-t-il soudainement, ses mains surgissant des poches en battant l’air avec excitation. « Je n’arrivais jamais à être là au bon moment au bon endroit, et là par hasard, précisément quand... »

« Quand ça va pas et que je risque de mentir par réflexe, voilà que tu es là et que je te fais mal. » Il renifla, luttant pour conserver sa bonne humeur mais celle-ci avait décidé d’imiter le creux des vagues et d’être au moins aussi constantes qu’elles. Avec une moue, il attrapa une friandise dont il croqua un bout, comme pour s’occuper ou pour gagner du temps.

« Je suis désolé, » s’excusa-t-il à nouveau d’une voix tremblante, une boule dans la gorge rendant sa voix presque sourde. « J’ignorais que t’étais là et je voulais pas... »

Il s’interrompit, sentant - et entendant - combien sa voix commençait à le trahir. Serrant les lèvres pour retenir un sanglot, Sorel baissa la tête sous prétexte de regarder le bout de chocolat dont le coulis de fruits rouges avait commencé à teinter ses doigts de pourpre et de l’engloutir, peinant à l’avaler à travers sa gorge serrée.

descriptionUne note discordante [Valmys] EmptyRe: Une note discordante [Valmys]

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Bien des choses n’échappaient pas au jeune maître baptistrel, sans que cela fut uniquement dû à ses pouvoirs. À grandir en observateur du monde, il en gardait une certaine habilité.
Depuis son incident magique, il sentait très bien les regards appuyés à ses oreilles mustélidesques. Tantôt intrigués, tantôt amusés, la plupart des regards avaient cette étincelle envieuse qui murmurait une envie bien bipède : l’envie d’y toucher, de caresser cette fourrure dont l’existence les avait privés. Il avait reconnu cette exacte étincelle, fugace, dans le vert des yeux de son frère. Il avait aussi reconnu ces étranges changements dans l’humeur qu’il souhaitait arborer. Les déductions qu’en faisaient Valmys n’étaient pas bien joyeuses. Il respecta néanmoins le désir de Sorel, et n’en montra rien, si ce n’était un sourire qui lui était peu habituel, assez énigmatique. Un hochement de tête évasif répondit à la demande de tutoiement.

Cependant, quand de subtiles intonations dans la voix de Sorel ne permirent plus de considérer sa peine comme discrète, le Chanteterre s’autorisa à agir. Enfonçant également une friandise dans sa bouche pour libérer une de ses mains, il vint ensuite très délicatement prendre celle de Sorel. C’était davantage un contact, pour orienter le geste, qu’une vraie saisie. À tout moment, il pouvait s’en défaire. Mais le voudrait-il, alors que Valmys l’amenait à découvrir le soyeux de ces oreilles qui lui étaient uniques ? Peu d’hermines pouvaient s’enorgueillir de soigner aussi régulièrement leur poil par d’élaborées concoctions. Le résultat était tel qu’il s’imaginait : moelleux, duveteux. Les doigts qui y glissaient ne rencontraient que douce et satinée sensation.

Valmys défit sa main de celle de son frère, sans bouger la tête. Pour lui, ce n’était guère désagréable. Ces appendices avaient beau ne pas servir son ouïe, elles servaient au moins à cela. Vierge de toute souillure par l’Orque, qui ne les avait jamais vues, elles étaient cette part de lui qui, encore, acceptait les caresses sans éveiller ces viscéraux cauchemars. Elles venaient d’un temps et d’un corps qui n’avait connu que les intentions pures de leur petit frère aux traits jadis humains.

Lorsqu’il reprit la parole, ce fut à voix basse, sur le ton du secret :

“- Qu’est-ce qui ne va pas ?” Certes, Sorel ne pouvait s’esquiver en répondant “rien”. Cela ne voulait pas dire cependant qu’il fallait lui arracher les mots de la bouche, ou le pousser à quelque pirouette comme savaient si bien le faire les commerçants. “Ne t’inquiète pas, pour ton mensonge. Nous sommes à Caladon. Tu ne seras ni mon premier ni mon dernier et… Je sais combien il est difficile pour la plupart des gens de les éviter.” Levant les yeux vers lui, toujours sans bouger la tête pour garder ses oreilles à portée de main, il ajouta. “Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ? Quelque chose qui tracasse jusqu’à ton ventre. Tu peux m’en parler. Tu sais, je ne suis pas devenu ton frère juste pour profiter de tes meilleurs moments.”

Techniquement, il était devenu son frère parce qu’Aldaron avait une légère tendance à couver les oeufs d’autres oiseaux. En revanche, il avait accepté de reconnaître Sorel comme un frère. Il voulait ces liens, il voulait ces gens avec qui partager cette proximité et cette force qu’il avait tant enviée aux autres enfants.Tant de choses qui ne pouvaient se créer par le sucre seul.

“- … Alors s’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour toi, même si ce n’est que t’écouter, n’hésite pas. Je suis là.”

Il lui offrit un petit sourire, pour compléter ses paroles en essayant d’y ajouter toutes ces notes que les mots bipèdes n’exprimaient jamais qu’avec maladresse. Il voulait tenter de lui dire que, devant lui, Sorel avait son coeur, servi sur un plateau. Lui dire que son affection s’offrait à lui et, avec elle, toutes les épreuves qu’elle permettait d’endurer. Lui dire qu’il n’y avait ni honte ni mal à ne pas aller bien et encore moins à chercher de l’aide.
Peut-être était-ce juste ce qu’il avait tenté de lui dire avec le mot “frère”, au final.

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Sans tout à fait s’en rendre compte, absorbé qu’il était par bien d’autres choses, Sorel se détendit imperceptiblement à l’accord de Valmys de se tutoyer. Il n’était pas sûr qu’il aurait été en mesure d’encaisser cette marque de distance entre lui et son petit grand frère. Ou son grand petit frère. Le vouvoiement n’était pas si négatif pour beaucoup de monde, Sorel lui-même le percevait de façon différente selon les circonstances et les personnes concernées. Il ne verrait aucun inconvénient à vouvoyer - occasionnellement - Aldaron afin de marquer son respect si celui-ci devait être requis, nécessaire ou voulu, mais pas de façon continue.
Il esquissa un petit sourire à l’accord ainsi formulé, même de façon muette, et se trouva instantanément plus à l’aise, plus confortable.

La gorge nouée, les lèvres serrées et les sourcils froncés, Sorel se concentra pour garder un contrôle étroit sur ses émotions mais son habituelle retenue lui faisait défaut. Respirant de façon régulière, il prit cependant une soudaine inspiration en sentant le contact léger des doigts de Valmys s’enroulant autour des siens. Surpris, il releva les yeux pour tomber dans ceux, bruns, du baptistrel. La main de son frère était douce, de bien des manières. Le contact léger et la peau douce, à l’opposée de ses mains relativement calleuses - à l’occasion couvertes de terre - et aux ongles peu soignés, sans parler des quelques cicatrices qui les couvraient.

Valmys lui offrait un réconfort que peu de gens pouvaient lui apporter.

La confiance et la sûreté que la famille lui apportait mais également l’apaisement et la familiarité du règne animal. Toute tension s’écoula hors du corps de l’elfe qui, d’un regard, s’assura que Valmys n’agissait pas malgré lui afin de gentiment caresser le poil doux qu’il avait la chance et le privilège de pouvoir toucher. Il se focalisa sur cette douce oreille, oubliant momentanément le genre humain qui existait en dehors de son grand petit frère - ou de son petit grand frère - qui appartenait désormais à un monde entre-deux. Les baptistrels avaient cet avantage non négligeable de ne vouloir aucun mal et d’être bénéfiques par définition, ils avaient par conséquent une présence, une appartenance positive et non menaçante… Mais Valmys allait bien au-delà de ça. D’une manière dont Sorel ne se serait pas attendu.

La question du jeune homme lui fit ouvrir la bouche sur un début de mensonge mais Sorel ne lui donna ni vie, ni voix, le laissant mourir avant même d’avoir eut le temps de voir le jour. Il se ravisa, s’apprêtant à contourner la vérité avec l’aide de son aise habituelle mais changea une fois de plus d’avis. A la place, il fixa les oreilles veloutées d’un air buté, caressant l’une d’elle avec douceur, la texture apaisante et le contact familier permettant d’apaiser son agitation. Il ne souhaitait pas se montrer têtu quant à la question de son grand petit frère - ou de son petit grand frère - mais plutôt en opposition totale face à ses propres réactions, un refus catégorique d’user de ses défenses habituelles comme le mensonge ou l’omission. Valmys n’était pas n’importe qui, même si c’était la première fois qu’il le rencontrait. Il était important, de bien des manières. Il méritait la vérité même si tous les instincts de Sorel s’opposaient fermement à l’idée de se livrer de la sorte, à s’épancher sans chercher à se protéger.
Plus habitué à lécher ses plaies en privé, dans la sécurité rassurante et familière de son chez-lui, l’elfe s’ouvrait rarement sur ses propres peines et plaies.

Loin de vouloir être le seul à retirer un bénéfice des caresses offertes, il orienta ses papouilles de sorte à, peut-être, faire du bien à Valmys également. De la même façon qu’il s’assurait que ses caresses et câlins étaient satisfaisantes aussi bien pour lui que pour Snö, Järn ou tout autre être vivant qu’il souhaitait apaiser, réconforter ou avec lequel il voulait simplement partager un moment agréable. Occupé qu’il était à résister contre le flot d’émotion tout en faisant face à sa propre envie de se réfugier dans le déni et le mensonge, Sorel caressa de la pulpe de son pouce l’ourlet délicat d’une oreille arrondie, attendant que le tumulte qui faisait rage à l’intérieur de lui-même s’apaise.

Mais à mesure que Valmys s’exprimait, à chaque mot prononcé, la résistance de Sorel s’effritait, s’effondrait. L’honnêteté et la bienveillance abattant chaque brique avec une terrifiante efficacité. S’il avait réussi à apaiser ses tensions en retrouvant le contact familier et rassurant du genre animal, celle-ci revenait au grand galop. « Tu sais, je ne suis pas devenu ton frère juste pour profiter de tes meilleurs moments. » Le visage du jeune elfe se défit complètement, touché par l’absence totale de rancoeur ou d’agacement face à son mensonge douloureux, l’ouverture et la générosité absolue. Ses lèvres tremblèrent et il se mordit la lèvre, regrettant soudain le confort d’une couverture enroulée autour de lui, de coussins dans lesquels s’enfoncer et disparaître, le ronronnement régulier et sourd de Snö ou la musculature nerveuse et le souffle bruyant de Järn.

Un sanglot étranglé lui échappa avant qu’il n’avale une grande goulée d’air, déglutissant bruyamment pour tenter de récupérer un semblant de contrôle. Malgré la tension presque nerveuse, tremblante, qui s’était soudainement logée dans ses épaules et son dos, sa main était douce et délicate, caressant sans brutalité ni force aucune.
Il inspira par le nez, retint sa respiration puis la relâcha.

« Sur le chemin, j’ai croisé Dame Vallaël, » lâcha-t-il d’une voix sourde.

Ses yeux jusqu’alors comme fixés sur le mouvement régulier de ses doigts croisa brièvement ceux de Valmys avant de se détourner légèrement, comme n’osant pas tout à fait soutenir le regard de son grand petit frère - ou de son petit grand frère. Il renifla avant de poursuivre dans un chuchotement, la voix un peu étranglée.

« C’est elle qui a prononcé la sentence de m’envoyer à Morneflamme. »

Il réagissait peut-être un peu fort, ça appartenait au passé après tout… mais cette prison, cette horreur qui portait un nom presque banal en comparaison de ce qu’elle avait infligé à ses victimes, lui donnait l’effet de constamment peser sur son dos. Une figure gigantesque qui le dominait de toute sa taille démesurée. Il pouvait parfois l’oublier, mais jamais bien longtemps. Il pouvait l’ignorer et agir comme si cette étape de sa vie n’avait jamais existé, mais il y avait toujours une pierre noircie par la chaleur pour le faire trébucher et le renvoyer en arrière, lui rappeler que cette expérience n’appartenait pas à quelqu’un d’autre.
Il lui arrivait d’être incapable de manger car tout ce qui passait la barrière de ses lèvres avait le goût de la viande, parfois carbonisée, parfois trop fraîche. Toujours insupportable et à l’époque absolument vitale et nécessaire s’il voulait survivre.

Un souvenir qui lui donna la nausée.

Cela, plus la mention de son ventre tracassé lui tirèrent un sourire un rien tordu. Un rien plus proche de la grimace hantée que de l’expression enjouée qui, d’ordinaire, éclairait son visage au point d’en faire oublier ses cicatrices.

« Je suppose qu’il me faut le temps de… digérer ? »

descriptionUne note discordante [Valmys] EmptyRe: Une note discordante [Valmys]

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Il n’était guère désagréable de se faire ainsi papouiller les oreilles. Si cela n’avait tenu qu’à lui, Valmys se serait sans doute changé en hermine pour mieux en profiter, faire mine d’être une innocente créature loin du monde des bipèdes. Souvent, cela était aussi plaisant pour son entourage que pour lui. Peut-être prendrait-il un jour sa retraite ainsi, en profitant pleinement du monde tout en s’en détachant. Peut-être… Si le monde n’avait plus besoin de ce que sa voix avait à offrir.
Les yeux fermés, le spirite de l’hermine se laissait faire, sans pour autant d’abandonner à la sensation. Pour cause : il percevait bien toute la tension dans son frère, ces douleurs qu’il n’exprimait pas, tout ce qu’il contenait en lui. La peur de blesser par ses blessures. Ce noeud dans la gorge, pour retenir les larmes et les mots qui ne se disent jamais. Quelque chose se serra dans le torse de Valmys. Lui aussi avait connu ces noeuds-là. Il priait que ce ne soient les mêmes mais savait que, quoi qu’ils fussent, les vibrations ne pouvaient mentir sur la force de ce qui malmenait son frère aux joues déjà rayées de cicatrices.

Il eût aimé lui prendre à nouveau la main, ou l’enserrer dans ses bras, mais ces gestes-là ne lui étaient toujours pas accessibles - pas si facilement. Les sanglots étouffés, il les endura donc, sans parvenir à leur venir en aide ; il s’en sentit déplorable. Quand les premiers mots lui parvinrent, son regard chercha celui de Sorel. Dame Vallaël ? Lui-même l’avait croisée, jadis. Il n’avait aperçu d’elle que son penchant maternel et son désir de repentance, sans avoir dans son crâne un monstre, forgé par ses mains, hurlant de douleur. Il croyait comprendre, et, pourtant, se sentait coupable de n’avoir pas ressenti la même chose, pour ne pas avoir su quoi faire. N’y avait-il pas quelque geste qu’il aurait dû avoir ? Quelque mot envers Kälyna, qui aurait pu les amener l’un et l’autre vers davantage de douceur ?

Il ne savait pas. À vrai dire, il ne savait rien, et le réalisait à l’instant même. Il avait proposé des soins qu’il était incapable de fournir, sans quoi lui-même ne serait pas dans cet état. Les livres et savoirs baptistraux le disaient d’eux-mêmes : ces blessures-là ne guérissaient jamais totalement. Elles restaient, intégraient les identités, et forcer le soin par la magie était mettre l’esprit davantage en péril encore, le privant de ses propres rituels de cicatrisation. Au moins désormais Sorel avait-il quelqu’un qui saurait, quelqu’un à qui en parler, même à demi-mot. Il était étrange qu’il ait choisi Valmys plutôt qu’Aldaron, du point de vue du jeune Sainnûr. Les relations entre leur père et le maître des mines étaient-elles à ce point teintées de professionnalisme pour qu’ils n’en parlassent point ?

Délicatement, Valmys remit le bocal de friandises sur l’étagère, sentant que la nausée maltraitait un peu trop son jeune frère -ils étaient tous ses puinés, il l’avait décidé.

“- Je pense que tu as raison. Que le temps est ton allié, autant que toi-même. Laisse le temps te montrer les ressources en toi que tu ne soupçonnais même pas, laisse-les composer avec ces nouvelles notes. Nous ne pouvons effacer le passé, mais nous pouvons forger l’avenir.”

C’était bien bateau, à son goût. Sans manquer de sens ni de franchise, Valmys s’imaginait qu’un tel discours avait été servi plusieurs fois à Sorel, à toutes les sauces, et qu’il n’apportait rien de nouveau. D’un vague geste de la main, il fit pousser la pierre nue d’un des murs, pour créer une sorte de petit banc, sur lequel tous deux pourraient s’assoir, s’ils en avaient l’envie, ou le besoin. Il ne pouvait toujours le prendre dans ses bras, mais de subtils détails dans son attitude indiquaient que son épaule était à portée de ceux qui la demandaient. Il était prêt à recevoir.

“- Si tu veux prononcer les mots qui te hantent, fais. Ne crains pas de me blesser, car de nous deux, tu es celui qui souffre. Si tu veux pleurer… Nous sommes seuls. Tes larmes ne changeront en rien l’opinion que j’ai de toi, ni l’envie que j’ai de te compter dans ma famille.”

Il s’essaya à un petit sourire, qui se voulait rassurant. Sa compassion y transparaissait néanmoins, au sens premier du terme. Il souffrait avec lui, pour avoir connu les affres de ces tourments. Il souffrait avec lui, de cette douleur que ses sens baptistraux percevaient. Il souffrait avec lui parce qu’il n’avait pas besoin de le connaître davantage pour avoir attaché à cet être tous les liens affectifs qu’on lui avait proposé. Puisqu’il était son frère, de vie et d’adoption, alors sa douleur était sienne.
Et il savait combien forcer les sourires empoisonnait les plaies.

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A la mention de Kälyna Vallaël, Valmys redressa vivement la tête, cherchant le regard de Sorel et l’elfe l’évita soigneusement, pas tout à fait certain de ce qu’il trouverait dans les yeux de son grand petit frère. Ou de son petit grand frère. Que pensait ce dernier, qu’avait-il à l’esprit pour que la mention de la jeune femme le fasse réagir. L’avait-il rencontrée aussi ? Avait-il également fait les frais d’une rencontre malheureuse avec l’elfe aux yeux dorés ?
Une once de colère perça au travers du brouillard épais et lourd, comme une dague effilée, pointue et fine au travers d’une écharpe de soie. Y avait-il quelqu’un d’autre que Sorel qui avait souffert des actions de Kälyna ? De la même façon que lui ?
Le regard de Sorel trouva soudain celui de Valmys, cherchant avec angoisse les stigmates d’un survivant de Morneflamme. C’était une recherche vaine et il en avait conscience. Certaines personnes pouvaient masquer à la perfection les conséquences que cet enfermement avait eu sur eux, les tortures infligées par les souvenirs. L’elfe avait les cicatrices pour en parler mais toutes ne dataient pas de Morneflamme et tout le monde ne pensait pas immédiatement à cette maudite prison lorsqu’ils voyaient Sorel pour la première fois.

Le son soudain du bocal reposé sur l’étagère fit légèrement sursauter l’adolescent. Il adressa un regard interrogateur au récipient, ayant comme momentanément oublié la présence de celui-ci et s’interrogeant également sur la raison pour laquelle il se trouvait désormais puni. Remisé sur le côté, pour plus tard, une autre fois. La voix de Valmys attira de nouveau son attention, remettant sur le devant de la scène l’angoisse que son grand petit frère - ou son petit grand frère - ait pu être la victime de la prison, tout comme lui.
Les mots du baptistrel lui arrachèrent un pauvre petit sourire avant qu’il n’avale bravement la boule qui s’était formée dans sa gorge et qu’il ne hoche la tête. C’était une chose qu’il avait faite pour Morneflamme, lorsqu’il avait mit le pied en dehors de cet univers à part entière dont il avait réchappé contre toute attente.
Il avait réussi à trouver un équilibre, une façon de vivre malgré ce qui lui était arrivé, ce qui était arrivé à Autone, Aldaron, Matis et tous les autres. A ceux qu’il avait vu dépérir puis mourir, à ceux qui avaient survécu en perdant une partie d’eux-mêmes. Sorel avait découvert qu’agir au jour le jour en ignorant la forteresse noire, de feu et de lave qui pesait sur ses épaules, lui permettait d’exister elle.

La mention des notes, cependant, était tellement particulière que Sorel réalisa qu’il n’avait que rarement rencontré un baptistrel durant sa vie et que Valmys allait certainement s’exprimer de façon particulière. Pour lui, le monde se dévoilait en notes et en tonalités particulières qui donnaient un sens et une signification que le reste du monde ne pouvait percevoir. La même curiosité qui animait l’elfe lorsqu’il considérait la façon dont un animal percevait le monde s’éveilla, pointant le bout de son nez. Une truffe reniflante au milieu d’un cauchemar revenu sur le devant de la scène.
Sorel observa avec intérêt le geste de la main de Valmys qui créa, presque instantanément, un banc de pierre à partir du mur près duquel ils se trouvaient. Les possibilités que cela ouvrait étaient presque infinies. Que ressentait son grand-petit frère, avait-il une perception plus pointue de chaque élément et plus particulièrement de celui auquel il était lié ? Avait-il des impressions et des sensations auxquelles personne d’autre n’avait accès ?

Se concentrant sur ces questions plutôt que sur l’énorme poids qui semblait s’éteindre dans sa poitrine et dans son ventre, Sorel s’installa sur le banc ainsi offert, remontant quasi instantanément les genoux contre sa poitrine.
A peine Valmys s’était-il installé à son tour que l’elfe se rapprochait légèrement jusqu’à ce que tout son côté ne soit collé contre celui de son petit-grand frère.

« Il n’y a pas de honte à pleurer, » déclara-t-il simplement, comme une évidence et une simple constatation, un fait établi, qu’il acheva pourtant sur un petit rire mouillé.

Il s’essuya les yeux du dos de la main et renifla avant de soupirer.

« Ca va aller, j’ai déjà réussi à mettre ça derrière moi et j’y arriverais à nouveau. Je savais qu’elle était toujours là, c’est juste que… la revoir... »

Il avait entendu la sentence prononcée à nouveau, s’attendait presque à sentir des mains s’emparer de lui et l’emmener ailleurs pour l’interroger, lui soutirer des réponses qu’il avait refuser de donner. Les coups et la douleur, les menaces qui s’étaient achevées sur une promesse. Il irait à Morneflamme et c’était une sentence pire que la mort. Peu importait sa résistance, sa destination resterait la même. Sorel pouvait encore entendre leurs rires et voir leurs sourires.
Il avait effectué le reste du trajet jusqu’à Caladon comme si une horde de brigands était à ses trousses, grondante et menaçante. Il n’avait pas poussé Järn dans ses retranchements, tentant du mieux que possible de rester cohérent et logique. Ca avait été difficile, pour ne pas dire impossible par moment, mais son arrivée à Caladon avait été un réel soulagement, une porte qu’il avait pu claquer au nez de la horde. Pour autant, le stress et l’angoisse ne le quittait pas tout à fait, peut-être qu’il envisagerait d’aller dormir avec Järn dans l’écurie si possible. La présence de l’étalon orageux avait tendance à l’apaiser, conscient que si quiconque devait essayer de s’approcher, il serait particulièrement mal accueilli en plus de prévenir Sorel.

« Est-ce que je peux te... »

Un son, d’abord peu évident, attira l’attention de l’elfe et il se redressa légèrement, ses bras jusque là enroulés autour de ses jambes se relâchèrent légèrement. Le son se répéta et Sorel se redressa, quittant le banc de pierre et la présence chaleureuse qu’offrait son grand-petit frère pour se diriger vers la porte de leur petit repaire. Il se tourna vers Valmys mais un nouvel appel lui fit ouvrir la porte et passer la tête dans le couloir.

« M’sieur Sorel ! »

Le soulagement dans la voix d’Halisen lui fit prendre un air vaguement blasé.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? »

C’était à croire qu’une porte s’était nettement fermée sur ce qu’il avait été sur le point d’exprimer, non pas qu’il soit totalement dénué de la moindre émotion pour autant. Il offrait simplement une apparence un peu plus en accord avec son attitude habituelle malgré ses yeux rouges et son teint pâle.

« On a un nouveau palefrenier, il a voulu s’occuper de Järn. On a oublié de le prévenir et… »

« Il va bien ? » l’interrompit Sorel, sa poigne sur le chambranle de la porte s’intensifiant soudainement.

Halisen hocha sèchement la tête, l’air nerveux. « Il va bien, un peu secoué mais faut calmer Järn et je n’y arrive pas. »

Sorel approuva et se tourna vers son grand-petit frère. « Euh… faut que j’y aille… tu veux venir ? » le jeune elfe esquissa une tentative de sourire, « Je pourrais te présenter Järn comme ça. »

Inquiet et plutôt pressé de mettre en route, Sorel s’élança dans les couloirs à la suite d’Halisen dès que Valmys formula son accord. Il ignorait si le baptistrel allait réellement le suivre mais l’elfe pourrait toujours revenir plus tard pour achever sa question si nécessaire. Pour l’heure, il devait s’assurer que Järn était en bonne santé et surtout en mesure d’être apaisé par ses moyens sans blesser quiconque, incluant lui-même.
Ils dévalèrent escaliers et couloirs à toute vitesse, l’humain rapidement délaissé par la vitesse plus importante de Sorel. Lequel, en approche de l’écurie pouvait déjà voir les quelques domestiques habitués à s’occuper des écuries se tenir à bonne distance sans pour autant laisser les lieux sans surveillance. Sur le côté, adossé à un panneau de bois, se trouvait une nouvelle tête que Sorel n’avait encore jamais rencontrée. Il avait l’air un peu pâle et secoué mais a priori pas en mauvaise posture ni blessé.

Sorel s’arrêta à proximité du nouveau venu :

« Ca va aller ? »

Le palefrenier leva un regard confus sur Sorel et mit une petite poignée de secondes avant de réagir, hochant la tête. Il en avait probablement vu d’autres, à s’occuper de chevaux, et ce n’était pas comme s’il avait eut à faire face à un grand prédateur. Järn, cependant, avait le don de se montrer terrifiant et orageux, raison pour laquelle Sorel avait tendance à s’occuper lui-même de son étalon ou de ne laisser que des gens habitués à lui s’en occuper.
C’était une règle qui n’avait pas encore été indiquée au petit nouveau mais qu’il n’allait probablement pas oublier de si tôt.
La porte de l’écurie était fermée et l’elfe commençait doucement à se douter pourquoi. Sorel s’engagea rapidement dans l’écurie pour découvrir que Järn se tenait en face de l’entrée, attendant d’accueillir l’imbécile qui risquerait sa peau.

En voyant Sorel entrer, l’étalon redressa la tête, les oreilles couchées vers l’arrière. Le jeune elfe conserva une attitude parfaitement calme et détendue. Semblant se rappeler quelque chose, il rouvrit la porte de l’écurie jusque là entrebâillée pour échanger quelques mots avec Halisen, lequel lui tendit un petit sac. Il en retira une carotte et une pomme, la dernière fini sa route dans une de ses poches tandis qu’il retournait son attention sur Järn.

« Ca, » lança l’elfe d’un ton doux, « c’est juste un prétexte pour me faire venir, n’est-ce pas ? »

L’étalon renâcla, secouant la tête de bas en haut… avant que Sorel ne laisse apparaître la carotte dans le creux de sa paume. Presque instantanément, les oreilles retrouvèrent une orientation moins agressive et définitivement plus intéressée.

« Oui, c’est bien ce qu’il me semblait, » s’amusa l’elfe en avançant d’un pas.

Si Järn trouva le geste inacceptable, il n’en laissa rien paraître, avançant plutôt les naseaux avec intérêt. Sorel risqua un nouveau pas en avant mais l’étalon le devança, s’approchant volontiers. Le jeune elfe enroula ses doigts autour de la carotte pour permettre à son compagnon de croquer dedans avec bonne humeur. Secouant la tête d’un air désabusé, l’elfe attendit d’être sûr que Järn s’était relativement calmé pour initier un contact, caressant l’encolure juste à l’endroit où il savait que l’étalon apprécierait le plus.

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Il avait l’air un peu gauche, Valmys. Assis sur le banc qu’il avait lui-même créé, trop faible et étroit à son goût, les mains sur les genoux , son regard oscillant entre le visage de son frère et les ombres qui persistaient dans le placard à nourriture. Le contact d’un corps chaud contre le sien le figea jusque dans sa respiration. Des grognements bestiaux occupèrent le silence de ses pensées, face auxquels lutta l’instinct fraternel du jeune baptistrel. Il haïssait ces blessures qui suintaient d’incontrôlables ombres. Elles lui avaient jadis tout pris, son amour-propre, son reflet dans le miroir, sa dignité, ses forces et ses amours. Ses doigts se crispèrent sur le tissu qui couvrait ses genoux. Elles ne lui prendraient pas son frère. Lentement, Valmys retrouva son souffle, puis détendit ses épaules, ses bras, son dos, ses doigts. Se focaliser sur l’elfe à ses côtés l’aidait à réaliser l’état du corps dans lequel il vivait. Il ne pouvait le soutenir si lui-même n’était pas prêt. Pour offrir son épaule, il fallait que cette dernière soit stable.

Là, il s’estimait prêt, le coeur ouvert à accueillir toutes les paroles que Sorel voudrait déverser, toutes les larmes qui devraient s’écouler. Il n’avait pas encore répondu aux premiers soupirs de son petit frère, ne trouvant rien de plus à dire, devinant qu’il n’avait fait qu’amener le sujet, et prenait son souffle pour rentrer dans le vif. Déjà, à travers ses mots, il s’esquissait que l’épreuve que le rescapé de Morneflamme affrontait était aussi difficile que nécessaire. Souffrir une première fois, pour endurer un second coup. Revoir Kälyna, une autre fois, ne lui ferait sans doute pas le même effet, ou pas aussi fort. Il saurait mieux appréhender un tel moment et y réagir. C’était une bonne chose, c’était rassurant, de voir son jeune frère panser lui-même ses plaies.

Avant même que la question ne soit entièrement posée, Valmys avait amassé tout son courage pour se préparer et préparer sa réponse. Quand Sorel fut coupé dans son élan par une voix le élan, quelque main invisible pinça le coeur de Valmys, comme le sentiment d’une occasion que l’on venait de dissiper dans le vent. Il laissa aux deux hommes le temps de discuter, sans bouger de son banc et de ses jeux de clair-obscur, se remettant des émotions qu’il n’avait pas eues, sans savoir vraiment comment se positionner désormais. En quête de soutien et de réconfort, il attira à lui d’un sort un chocolat, qu’il glissa entre ses lèvres.

À la proposition qui lui fut faite, Valmys répondit par l’affirmative. Il éteignit la lumière et s’élança d’un bon pas aux côtés de Sorel, essayant de rester à mi-distance entre lui et l’humain qui était venu le prévenir. Réflexe. Il avait toujours peur que quelqu’un se perde. Arrivé à l’écurie, il fallut peu de temps au Cawr pour comprendre ce qui se tramait ici - et ce, même porter attention aux vibrations. De toute évidence, son jeune frère s’était entiché d’un de ces étalons qui avaient le don de connaître leur force et leur présence. Les chevaux n’avaient guère besoin de crocs pour être dangereux pour les bipèdes. Par chance, la plupart d’entre eux l’oubliaient et se montraient relativement craintifs. Ceux qui ne l’étaient pas causaient leur pesant de frayeurs aux malheureux bipèdes. Valmys eut une pensée pour sa calme et douce Shi’Rÿ, son amie non-humaine dont la vie se résumait à manger et quérir les marques d’affection.

Observant l’échange entre Järn et Sorel, le Chanteterre eut un sourire attendri. Un lien très spécial unissait ces deux-là. Son frère n’avait pas usurpé sa réputation d’ami des bêtes. Avec un nouveau pincement au coeur, Valmys songea que peut-être aurait-il dû procéder comme il l’avait fait pour Ilhan, afin de prendre soin du coeur meurtri du rescapé de Morneflamme. Un picotement se fit sentir dans son dos. Il n’était peut-être pas trop tard. Hâtivement, il fouilla sa besace, à la recherche d’un objet très spécifique et sucré. Ayant trouvé, il se rapprocha de Sorel, prenant grand soin de rester derrière lui, avant de lui tendre ce qu’il avait pour lui : une petite dragée, rectangulaire, à l’apparence innocente.

“- Essaye ceci ; ça te plaira peut-être. Pendant une minute tu pourras parler son langage. Nous pouvons en profiter pour lui proposer une balade ?”

Avec un léger sourire en coin, amusé et satisfait par avance, Valmys laissa à Sorel le loisir de partager tout ce qu’il voulait avec son ami. Lui, il s’écartait, lentement. Se concentrant sur l’artefact magique qui pulsait dans son dos, il appela à lui une mémoire ancienne, une magie sacrée. La magie l’enveloppa, prenant soin de métamorphoser son enveloppe corporelle. Bientôt, derrière Sorel, se tint un cheval alezan, fin, plutôt petit, dont le regard brillait de vivacité. Il observa, partout autour de lui, bougea les oreilles, renifla les airs, fasciné par ces nouvelles perceptions. Puis, comme il n’avait pas de temps à perdre, il fit signe à Sorel et Järn de le suivre.

Au petit galop, mêlé de trot, il les fit sortir de Caladon, les entraînant vers un bosquet, non-loin. Là, seulement, il ralentit le rythme, observant de nouveau son environnement, troublé dans sa recherche par les odeurs fabuleuses des arbres et des plantes - certaines avaient l’air fort appétissantes. Quand enfin il trouva ce qui lui plaisait, une sorte de tapis de mousse à l’air confortable, il s’y allongea, les jambes repliées contre son ventre, la tête haute, tournée vers son frère. Là, n’étaient-ils pas merveilleusement installés ? N’avaient-ils pas enfin un endroit qui mêlait confort, intimité, et poésie ? Ils allaient pouvoir disposer d’un instant pour eux ; pour réparer les âmes par les moyens les plus doux qui soient.

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Järn renâcla et l’elfe se tourna pour voir que, peu apeuré par l’équidé, Valmys s’était doucement approché jusqu’à se tenir à proximité d’eux. L’étalon, content de mâchonner bruyamment sa carotte, n’en oubliait cependant pas de fixer le nouveau venu avec méfiance. Sorel observa avec une perplexité curieuse le petit dragé niché au creux de la paume de sa main et sentit ses yeux s’écarquiller à l’explication de son frère. Il releva la tête pour croiser le regard pétillant de Valmys et s’empressa de fourrer le dragé dans sa bouche, l’avalant sans plus attendre avec l’excitation d’un enfant auquel on aurait proposé un nouveau jeu. Sans plus attendre, l’elfe se tourna vers son étalon avec un enthousiasme enfantin et authentique, tout ce qu’il y avait de plus simple. Glissant ses doigts sur l’encolure puissante de l’animal, il entreprit de lui murmurer tout bas tout ce qu’il aurait voulu lui exprimer et pouvoir faire comprendre à son compagnon depuis qu’il l’avait récupéré. Comme il était content d’avoir croisé son chemin et d’avoir partagé chaque instant, de pouvoir compter sur lui à tout moment et sur sa présence. Pris par surprise de cette communication inattendue, Järn releva un peu brutalement la tête, reculant prudemment lui qui d’ordinaire n’aurait aucune hésitation à aller au devant d’un danger pour le contraindre à faire demi-tour. Sorel sourit, poursuivant à voix basse tandis que son compagnon revenait à ses côtés avec prudence, ses grands yeux sombres rivés sur lui, son long toupet les encadrant d’un rideau sombre. Sorel poursuivit sans se laisser perturber, expliquant comment il avait l’intention de s’occuper de lui du mieux de ses capacités. Une fois revenu à proximité, le grand mâle inclina la tête, reposant celle-ci contre la poitrine de l’elfe, les oreilles tournées vers lui avec curiosité et surprise.

Le temps, cependant, s’écoulait trop vite et avant que la minute ne s’achève, Sorel proposa une balade, se tournant vers son petit-grand frère avec un sourire complice étirant déjà ses lèvres. Une expression qui se figea presque aussitôt de stupeur qui se mua rapidement en émerveillement tandis qu’il détaillait du regard le cheval qui se tenait désormais en lieu et place de Valmys. Järn, comme apaisé, ne réagit pas avec sa belligérance habituelle, se contentant de renifler curieusement l’air bien que ses oreilles indiquent une méfiance peut-être un rien agressive, mais rien de préoccupant pour Sorel qui connaissait son compagnon probablement mieux que personne.
Le cheval était plutôt petit, mais rien d’alarmant, et sa robe soyeuse couleur alezan était du plus bel effet. Avant que l’elfe ne puisse approcher, les mains déjà tendues en interrogation, le petit cheval leur indiqua de le suivre et se tourna habilement pour quitter les lieux. Sorel, d’abord suivi d’un Järn plutôt calme, quitta l’écurie à son tour sous le regard médusé des palefreniers et écuyers qui en étaient encore à s’interroger s’ils devaient se lancer à la poursuite du fuyard. Le petit nouveau qui avait eut le malheur de rencontrer Järn dans un mauvais jour s’écarta sans attendre l’étalon, établissant rapidement une distance de sécurité avec l’animal qu’il gardait dans son champ de vision, l’air pas rassuré pour ne pas dire carrément pas à l’aise.

« Ne vous inquiétez pas, » rassura-t-il gentiment, « nous partons pour une petite balade. Avec un peu de chance, Järn sera un peu plus indulgent lors de ses prochains soins comme ça, » ajouta-t-il avec une once de malice.

Grimpant sur le dos de l’étalon, l’elfe s’installa de sorte à pouvoir tenir à cru et Järn, peu patient comme à l’accoutumée, s’élança sans plus attendre. Serrant les jambes et les genoux tout en nouant ses doigts à la longue crinière sombre de l’étalon, l’elfe se ramassa sur l’encolure de Järn tout en tâchant de conserver une assiette convenable.
Déterminé à rattraper son retard sur l’autre cheval, Järn ne ralentit que lorsqu’il parvint à la hauteur du petit alezan, suivant alors l’allure dictée par l’autre équidé. Une attitude plutôt inattendue de la part du cheval noir qui, d’ordinaire, préférait n’en faire qu’à sa tête et tourner à droite lorsqu’on indiquait la gauche. Du moins, pour quiconque d’autre que Sorel. Et quelques privilégiés qui pouvaient s’occuper de lui sans que l’étalon n’en prenne ombrage et ne décide de passer à l’attaque.

Peu habitué à évoluer sans selle, Sorel se contentait de se cramponner tout en gardant le regard rivé sur son grand-petit frère, lequel se tenait à proximité, ses jambes le portant avec l’élégance puissante propre aux équidés.
Ils ne commencèrent à ralentir qu’une fois à l’extérieur et à bonne distance de Caladon, là où le paysage ouvert leur permettait d’évoluer sans peine et d’avoir une vue imprenable sur les environs. Le jeune elfe se redressa, confiant en sa capacité à tenir sur le dos de sa monture, son regard suivant la silhouette du petit alezan avec un sourire d’enfant.
Le son sous les sabots de Järn se modifia imperceptiblement tandis que, un peu plus loin, Valmys ralentissait et ne perdait pas un instant pour s’installer à même le sol, repliant ses longues jambes fines sous son corps massif. L’étalon ralentit à son tour avant de s’immobiliser, comme incertain et Sorel glissa de son dos sans attendre, glissant une main sur l’encolure de son compagnon pour le gratter juste à l’endroit qui lui plaisait le plus. Le dragé ne faisait certainement plus effet, la minute depuis bien longtemps dépassée, mais cela ne l’empêcha pas de s’adresser à lui d’une voix douce pour le remercier.

Renâclant doucement, l’étalon le poussa du nez avant de s’éloigner au pas pour inspecter le sol dans l’espoir d’y découvrir des pousses tendres qu’il pourrait manger. Ou un lopin de terre sur lequel il pourrait se rouler délicieusement et réduire à néant tous les efforts de Sorel de garder sa robe d’un noir soyeux.
Approchant de Valmys, l’elfe s’installa en tailleur en face de l’alezan… et sortit la pomme qu’il avait toujours dans sa poche avec un petit sourire :

« C’est un talent dont je n’avais pas connaissance, » commença-t-il à voix basse tout en manipulant le fruit. Il en retira le pédoncule et le laissa tomber au sol avant de placer ses mains autour du fruit et d’exercer une pression ferme tout en tirant de chaque côté. La pomme se rompit en deux parties presque identiques, tirant un sourire triomphant à l’elfe. Il tendit une moitié à Valmys tandis que, malin, Järn approchait pour récupérer la sienne. « Je peux m’approcher ? » Sa question, timide mais surtout respectueuse, fut posée tandis qu’il indiquait d’une main luisante de jus de pomme vers le flanc exposé de son frère, près de son épaule. Lui qui avait l’habitude de se pelotonner avec Järn, adorait pouvoir passer du temps avec les chevaux, que son frère soit en mesure de se changer en l’un d’eux était un exploit merveilleux qui titillait à la fois la curiosité et l’enthousiasme naturel de Sorel.

Il resta en tailleur, à une distance respectable de l’étalon alezan qui était aussi son frère, peu désireux de le déranger mais ses mains le démangeaient d’aller caresser la robe soyeuse couleur caramel. Pour autant, avec Autone mais pas seulement, il avait appris qu’il était généralement mieux de demander permission avant d’aller toucher quelqu’un. C’était une règle qu’il avait encore du mal à suivre, sa spontanéité le prenant souvent au dépourvu avant qu’il ne puisse s’en empêcher. Cette fois-ci, cependant, il avait la ferme intention de respecter cette nouvelle règle et de faire les choses correctement.

Sa part de pomme obtenue et dûment mâchée, Järn s’éloigna d’abord d’un pas tranquille avant de s’élancer dans un galop dépourvu d’élégance, ruant et bondissant avec toute la détermination d’un cheval capable de se dépenser librement avec un espace suffisant pour le faire sans considération.

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L’étalon alezan mit un moment avant de bouger de nouveau. Son souffle était rapide, ses naseaux s’ouvraient et se fermaient autour de longues goulées d’air. Trotter, galoper, tout cela avait l’air bien simple, de loin. Dans les faits, déplacer ses quelques cinq cents kilos à plus de vingt-cinq kilomètres par heure restait énergivore, même avec les muscles adaptés. Les oreilles de Valmys suivirent la voix de Sorel, bientôt accompagnées par ses pupilles rectangulaires. La pomme était bien appétante, même s’il aurait préféré un peu d’eau. Il ferma les yeux, lentement. Son souffle s’apaisa plus prestement. Il reprit sa forme bipède. Allongé sur le flanc, échevelé, il roula sur le dos, admirant le ciel avec un petit sourire fatigué. Rien ne paraissait avoir changé en lui depuis sa transformation. C’était un bon signe : il devait à l’une de ses expériences ses charmantes oreilles d’hermine, mais estimait que quatre oreilles étaient largement suffisantes. Du reste, ses habits étaient toujours en place. Son corps émanait la chaleur et l’humidité habituelles après un exercice physique intense.

“- A-attends un peu,” parvint-il à dire, sa respiration toujours subtilement saccadée, mais sa voix teintée du plaisir enivrant d’un bon galop. Il laissa tomber ses mains dans l’herbe fraîche. “Pfiou… Pas encore totalement l’habitude de me changer en cheval.”

Quelque part, il s’en sortait déjà mieux que la fois précédente. Apprendre à se lever et à galoper n’avait pas été facile. Il en était re-sorti avec quelques bleus, un peu de fierté, mais des difficultés à regarder les autres chevaux dans les yeux pendant quelques jours.
Le coin de forêt était bien celui qu’il avait jadis repéré. Valmys s’estimait heureux d’avoir pu s’orienter malgré la différence dans ses perceptions. L’herbe y était moelleuse, protégée pour l’heure des tourments d’un début d’hiver. La canopée tamisait la lumière qui tombait sur eux, en faisait des mosaïques ondulantes sur leurs peaux. L’air était humide. Infiniment plus calme que le coeur du jeune Sainnûr quelques instants plus tôt. Les sons qui les entouraient sonnaient délicieusement à ses oreilles baptistrales. Ici, ils étaient loin de l’agitation, des obligations, des ombres qui pouvaient hanter son petit frère. Il pouvait se retrouver pour ce qu’il était : quelqu’un de vivant, avec une affection certaine pour ceux qui n’étaient pas de son espèce.

“- Tu peux t’approcher, ne t’en fais pas. Mais attends un peu, avant de me papouiller.” Il avait une apparence bien plus intéressante à lui proposer pour cela. Très douce, plus habituée aux papouilles, à consoler les bipèdes.. Le cuir épais des chevaux les rendait moins sensibles à ce genre de gestes. Ils ne les percevaient pas, en tout cas, avec la même acuité que les petits corps sensibles des hermines.

Il tourna de nouveau ses yeux ambrés vers Sorel. “Tu peux garder la pomme pour toi, ou pour Järn. J’ai peur qu’elle me donne soif.” Il laissa à son jeune frère le temps de décider quoi faire, avant de continuer : “Ce n’est pas un talent, tu sais. C’est… Juste de la magie.” Juste de la magie. Pour lui, elle était aussi évidente que le ciel au-dessus d’eux, le sang dans leurs veines. Parfois, il se demandait s’il n’était pas né en respirant la magie. Etait-elle lié aux circonstances de sa naissance ? Reportant son regard vers le ciel, il expliqua, avec la neutralité d’une histoire contée maintes fois : “Un Chanteciel a un jour chanté son chant-nom entier dans une pierre. J’en ai hérité. Lorsque j’ai passé mon serment, au coeur du volcan de Tiamat, la pierre a paru fusionner avec moi. Elle s’est glissée dans ma peau, sous une cicatrice que je m’étais faite dans un temple de Keet-Tiamat.”

Avec aisance et détachement, Valmys narrait des expériences qui pourtant n’avaient rien de commun. Son but, pour l’heure, n’était pas de dépenser leur temps à ces histoires : il les lui préciserait plutôt de retour à la maison, peut-être en soirée, devant le carnet qui contenait les croquis de ses aventures. Si cela intéressait Sorel, bien évidemment.
La pierre se présentait comme une surface dure sous la peau, dans son dos. Maintes vibrations en émanaient, qui lui avaient permis autant de la retrouver que de la comprendre. Cela n’avait pas été une mince affaire, mais s’était avéré bénéfique. Lui qui, sans cesse, voyageait, n’avait désormais plus peur du transport de ce précieux objet. L’esprit-lié du Crabe aurait sans doute été fier de lui, sans l’élire néanmoins. Valmys se doutait qu’un lien tel que celui qu’il partageait avec l’hermine ne pouvait se diviser. Il ne tenait qu’à lui de faire attention aux objets - un véritable apprentissage à faire, pour celui qui avait toujours veillé à ne pas s’attacher.

“- Depuis je peux me changer en certains animaux - tous ceux qui sont représentés par un Esprit-Lié. Je soupçonne que ce soit lié aux pouvoirs de la Chouette, ancien esprit-lié du Chanteciel.”

Il aimait aussi à s’imaginer que les Esprits-Liés avaient une certaine affection pour lui. Que le sien, en tout cas, reconnaissait sa dévotion. Un amour chaste et partagé. Un bonheur religieux qui se blottissait dans le creux de son coeur pour le réchauffer quand le froid menaçait.

“- J’aime à prendre ces formes pour consoler les gens. J’ai vu des êtres secrets, nimbés de mystère et de sérieux, reposer leurs âmes contre ma fourrure.” Un temps de silence s’écoula, durant lequel Valmys revit les instants secrets qu’il avait volés à son frère. Nul remord, juste beaucoup de tendresse pour cet humain adulte dont l’innocence pleurait encore parfois. Aldaron choisissait-il tous ses enfants pour les douleurs qu’ils portaient par effet de miroir ou par espoir qu’ensemble ils se défassent de leur maux ? Valmys commença à fouiller ses poches. “Je regrette que nombre d’entre nous ne puissent être envers leurs congénères comme ils sont envers les autres animaux, autant que j’apprécie que chacun puisse y trouver son compte.”

Il tendit à Sorel le petit objet de bois de Santal qu’ils avaient utilisé plus tôt, celui qui faisait apparaître les dragées permettant de parler aux créatures qui n’étaient pas de leur espèce.

“- Maintenant que je suis Cawr, j’en ai beaucoup moins besoin. Toi, en revanche… N’as-tu pas des mots à partager avec tes amis ?”

Un sourire en coin, amusé, étira ses lèvres. Il insista, calant le précieux objet au creux de la main de Sorel, avant de laisser la magie l’envelopper de nouveau. Il devint petit, pelucheux, avec des oreilles rectangulaires, un corps longiligne et deux grands yeux noirs brillants de malice. La petite créature s’élança vers Sorel, l’escaladant prestement pour venir s’installer autour de son cou, cherchant à le chatouiller en titillant sa peau du bout de ses moustaches.

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Il y avait certainement quelque chose de fascinant dans le processus qui permettait à son petit-grand frère de changer d’apparence. Il y avait bien des magies capables de permettre à quelqu’un d’emprunter une autre apparence, il pensait même avoir connaissance de quelques esprits-liés qui permettaient de changer de forme, mais il n’avait jamais eu la chance d’assister à un tel événement. Fasciné, il observa le changement avec un regard attentif, la façon dont la robe alezane laissait progressivement place au duvet que chaque bipède pouvait avoir, la crinière rapidement remplacée par les cheveux blancs de Valmys et les oreilles incroyables qui ornaient son crâne.
Incapable de se retenir, Sorel se mit à rire silencieusement. Il était difficile d’imaginer que quelques instants auparavant, il avait encore eu du mal à gérer et à digérer sa rencontre précédente, l’âme alourdie par de sombres souvenirs et le cœur au bord des lèvres. Il était reconnaissant d’avoir finalement décidé de quitter sa chambre, même s’il n’avait eu que peu d’espoir de parvenir à quitter le gouffre dans lequel il avait l’impression de s’être enfoncé.
Inspirant doucement, l’elfe se laissa à son tour glisser au sol, peu dérangé par l’herbe glacée qui lui chatouillait la nuque.

Le ciel avait cet aspect blanc si particulier à l’hiver, des nuages fins et discrets traversant paresseusement le ciel, presque invisibles. Le ciel, clair comme de l’or blanc mais peu lumineux, offrait une luminosité grise qui tira un fin sourire à Sorel. Il tourna la tête jusqu’à pouvoir poser les yeux sur son frère, observant comme sa poitrine se soulevait avec effort et son souffle court. La magie avait un coût. Se changer en un animal aussi massif qu’un cheval devait demander une quantité d’énergie assez conséquente, réalisa-t-il.

Sorel sourit largement, dévoilant ses dents : « Pas encore totalement habitué à voir quelqu’un se changer en cheval, » répondit-il sans cesser de sourire, les yeux brillants d’amusement et d’enchantement.

Profitant sans attendre de l’invitation de Valmys, Sorel rampa à quatre pattes jusqu’à se laisser à nouveau tomber dans l’herbe avec toute la grâce d’un sac de pommes de terres. Roulant à nouveau sur le dos, il observa avec un sourire en coin la danse chuchotante des branches au-dessus de leur tête, l’élégant déplacement des branches en rythme avec les brises qui se glissaient entre leurs feuilles. Lui qui aimait tant le confort de chez lui, le plaisir d’un fauteuil moelleux et d’une couverture chaude, la sensation délicieuse d’un épais tapis sous ses pieds nus et la chaleur rassurante d’un feu de cheminée, ne se sentait pourtant jamais plus détendu que lorsqu’il se trouvait en pleine nature. Plus particulièrement dans un endroit calme comme celui-ci, là où la vie bruissait de toutes parts.
Portant à ses lèvres la moitié de pomme qu’il avait souhaité proposer à Valmys, Sorel mordit à pleines dents dedans, regrettant de ne pas avoir d’eau à proposer à son frère. Peut-être ne resteraient-ils pas dehors bien longtemps afin de ne pas laisser Valmys dans l’inconfort. L’elfe aurait pensé qu’une pomme, compte tenu de son jus, pourrait le désaltérer un minimum mais peut-être qu’il se trompait. Dans tous les cas, il s’en remettait à son frère pour savoir comment prendre soin de lui-même après un tel tour de magie.

Sorel allait croquer dans son morceau de pomme lorsque le son familier de sabots approcha rapidement. Un nez velouté tout aussi familier approcha en reniflant avec intérêt. L’amusement le gagna à nouveau et l’elfe se laissa envahir avec soulagement, sentant l’ombre être repoussée davantage et plus encore dans un recoin de son esprit, recouverte par le bien-être connu et reconnu d’une présence animale et celle d’un frère qui avait un pied dans les deux mondes.
Gardant les dents plantées dans la pomme, Sorel baissa lentement sa main. Un souffle chaud lui caressa la joue et, du bout des lèvres, Järn s’empara du fruit. Sans résister, l’elfe le laissa emporter son trophée et l’écouta mâcher sans cacher sa propre satisfaction. L’étalon, une fois sa bouchée terminée, baissa à nouveau le nez, effleurant celui de Sorel comme s’il cherchait une dernière friandise avant de s’éloigner d’un pas calme, vers Valmys.

« Järn, » lança-t-il sur un ton d’avertissement lorsque le grand mâle approcha sensiblement du baptistrel.

Prudent et attentif, l’elfe l’observa baisser la tête à nouveau, son profil fin et nerveux désormais à moins d’un pas de son frère. Le nez velouté balança au-dessus du corps de Valmys, effleurant ses vêtements, ses oreilles légèrement orientées vers l’arrière mais pas tout à fait. L’attitude générale était celle prudente, peut-être légèrement méfiante, mais pas encore agressive ni quoique ce soit de violent, ce qui expliquait le simple avertissement lancé par l’elfe. Järn était un étalon nerveux peu enclin au compromis et à l’attitude plus souvent agressive qu’autre chose, surtout à l’égard des gens qu’il ne connaissait pas. Pour autant, après avoir senti Valmys, son nez glissant sur la joue du baptistrel en tentant brièvement d’attraper une mèche de cheveux du bout des lèvres, il s’éloigna paisiblement.
« C’est… juste de la magie, » arracha un souffle amusé au jeune elfe qui tourna un regard curieux vers Valmys. Il l’écouta attentivement, tentant de se représenter les événements et de comprendre les tenants et les aboutissants. Il ne comprenait cependant pas le rapport entre le Chanteciel et la capacité de Valmys à prendre l’apparence des Esprits-Liés. Il ne connaissait pas les capacités de tous les Esprits-Liés, il était donc possible que l’explication se trouve dans les capacités que la Chouette offrait à ses protégés.

Il sourit doucement lorsque Valmys lui confia le plaisir qu’il ressentait à pouvoir se changer en ces animaux et offrir le réconfort qu’ils apportaient. Sorel ne dit rien, gardant le silence et réfléchissant aux mots prononcés par son frère. Il avait parfois rencontré des bipèdes capables de blesser les animaux ou si complètement indifférents à leur sort que c’en était pire. C’était comme ça qu’il avait récupéré quelques-uns de ses compagnons, comme Järn qui avait bien failli payer son mauvais caractère de sa vie.
Il réfléchit, incapable de retenir la minuscule boule d’inquiétude qui se forma au creux de son ventre à l’idée qu’un jour, peut-être, Valmys tenterait de réconforter la mauvaise personne. Bien qu’âgé de plus de cent ans déjà, Sorel n’avait toujours pas appris à ne pas s’attacher aux gens. Plus particulièrement à ceux qu’on lui présentait en lui indiquant qu’il pouvait s’attacher.  
Lui qui était d’ordinaire si volubile, resta silencieux, son regard passant d’une feuille à une autre, pensif. L’inquiétude revenait grignoter les frontières de son esprit et son regard partit à la recherche de Järn. L’étalon était un peu plus loin, le nez dans l’herbe, calme. Peut-être qu’il irait dormir dans l’écurie pour cette nuit-là, il emporterait une couverture même si la chaleur corporelle de l’équidé pourrait bien suffire à le garder au chaud. Et quelques friandises pour se faire pardonner de l’intrusion, même s’il savait pertinemment que l’étalon aimait presque autant que lui ces moments partagés.

Le froissement de l’herbe et le tintement particulier d’objets durs contre du bois lui fit relever les yeux vers Valmys pour voir qu’il lui tendait quelque chose. Perplexe, l’elfe tendit la main par réflexe et sentit un petit objet dur atterrir entre ses doigts. Long d’une dizaine de centimètre, l’objet était gravé d’animaux à l’exception de son sommet orné d’une tête de grenouille. Curieux, Sorel en caressa la texture et si le reste de l’objet était fait de bois dur, l’extrémité était particulièrement mou, bien qu’en bois également.
Les explications de son petit-grand frère lui fit relever la tête, les yeux écarquillés. Avant qu’il n’ai pu dire quoique ce soit, cependant, Valmys s’était à nouveau changé en animal, cette fois empruntant l’apparence d’une hermine. Avec une exclamation de joie, l’adolescent se redressa juste à temps pour réceptionner l’animal et le sentir s’enrouler autour de son cou. Piaillant comme un enfant ravi, Sorel leva une main pour glisser le bout de son doigt sur le crâne de la créature, appréciant la texture douce de sa fourrure et l’éclat brillant de ses yeux.

« C’est incroyable, » murmura-t-il, ému.

Dans le creux de sa main résidait toujours l’objet offert et toutes les promesses qu’il chuchotait à son oreille. La perspective de pouvoir communiquer avec les animaux lui ouvrait tant de possibilités. Sorel aimait à pouvoir s’exprimer plus avec son corps et avec ses intonations, conscient que les mots pouvaient parfois convoyer les mauvaises intentions, pouvaient tromper et se faire tromper. Pour autant, il était des situations où créer un lien avec un animal prenait plus de temps qu’elles ne voulaient bien en offrir. L’urgence ne laissait pas de place à l’émotion ou à la création d’un lien réel et solide. Et puis, c’était l’occasion aussi de pouvoir communiquer plus efficacement avec les petits rats. Peut-être alors serait-il plus facile pour lui de leur apprendre des tours, plus pratiques et plus utiles.
Il inclina légèrement la tête, reposant son visage sur la fine fourrure de son frère, son nez effleurant doucement le long corps souple.

« Merci, j’en ferais bon usage. »

Il se redressa doucement, prenant garde à ne pas bousculer sa précieuse charge et tourna la tête à droite et à gauche.

« Que penses-tu de se mettre en quête d’un peu d’eau ? Je suis sûr qu’il doit au moins y avoir un ruisseau dans le coin. »

Il n’avait pas oublié le commentaire précédent de son frère quant à sa potentielle soif. D’autant que Järn devait également avoir besoin d’un peu de liquide après sa propre course. Tous deux méritaient du repos et quelqu’un pour s’occuper deux. Tendant l’oreille, il tenta de repérer un éventuel cours d’eau mais n’entendit rien malgré sa bonne ouïe.
Jugeant de l’inclinaison du sol et étant donné la topologie de Calastin, Sorel se mit en marche dans la direction où le sol s’inclinait. Il n’était pas parfait, question survie dans la nature, mais suffisamment doué pour trouver de quoi se nourrir et de quoi boire.

Il navigua quelques temps, suivant l’inclinaison du terrain et ce que ses oreilles pouvaient bien lui dire. Le temps froid ne laissait pas tant d’occasion à la pluie de tomber mais il se rappelait qu’il y avait plus, la veille au soir. Il avait écouté le son réconfortant de l’eau frappant les vitres et l’humidité s’accrochait encore aux feuilles. Peut-être que cela suffirait à satisfaire Valmys s’ils ne trouvaient rien de plus conséquent mais il n’en était rien pour Järn.
Appelant l’étalon, l’elfe se mit en marche, rapidement rassuré par la présence massive de l’étalon. Se déplaçant avec l’épaule presque contre celle de son compagnon à crinière, il repoussa du bout de l’index le nez curieux de Järn lorsque celui-ci s’approcha d’un peu trop près de l’hermine en remuant des lèvres.
Alors qu’ils avançaient, Sorel entreprit de combler le silence, parlant avec son entrain habituel, la présence de son frère et de Järn gardant les ombres à distance :

« Ce n’est pas un mauvais bougre, » expliqua-t-il gentiment. « Il a juste mauvais caractère en plus d’avoir conscience de lui-même. »

Il raconta à Valmys, une main posée sur l’épaule chaude de Järn, comment l’étalon avait été entraîné avec beaucoup d'exigence par un noble qui n’y connaissait pas grand-chose mais qui souhaitait malgré tout satisfaction. Sorel n’avait pas assisté aux entraînements mais l’homme qui avait été payé pour emmener l’étalon à l’abattoir, lui, en avait vu certains et n’avait pas hésité à les raconter à l’elfe. Il était clair que c’était un véritable crève-coeur, pour lui, de devoir emporter une telle bête à la mort mais il n’avait pas d’autres choix. Il n’avait pas les moyens pour se permettre de posséder un cheval et, plus encore, l’étalon était vraiment dangereux et le confier à quelqu’un qui ne saurait pas s’en occuper pouvait avoir de fâcheuses conséquences.
Sorel était reparti avec Järn ce jour-là. Emmener l’équidé s’était révélé bien plus compliqué que prévu, son caractère orageux d’alors étant bien plus important et plus violent qu’il ne l’était aujourd’hui. Il lui avait fallu du temps pour gagner la confiance de l’étalon, plus encore pour qu’il se laisse approcher et encore davantage alors qu’il ne puisse poser une main sur lui. C’était une relation de confiance qu’ils avaient construite et pas des moindres. L’aisance avec laquelle il pouvait désormais se laisser approcher, avec ou sans Sorel dans les parages, en disait long. Même si seuls quelques élus pouvaient se targuer de pouvoir prendre soin de lui sans en ressortir traumatisé. Comme l’avait prouvé l’incident d’un peu plus tôt.
Ils naviguaient sur un sentier un peu cahoteux lorsque Järn orienta soudain son oreille dans une direction et Sorel suivit instinctivement, sans se poser de questions. Rapidement, il capta le gazouilli roulant d’un petit ruisseau et un grand sourire éclaira son visage.

« Peu importe ce qu’en diront les gens, il est génial, » lança-t-il joyeusement en débouchant sur un minuscule ruisseau qui s’écoulait paisiblement, là où il s’était creusé un lit confortable, au pied des arbres. « Tada ! » s’exclama-t-il en tendant les bras vers l’eau. « Pour mes chers compagnons assoiffés, un ruisseau rien que pour eux. »

Järn ne se fit pas prier pour s’avancer et baisser le nez vers l’eau courante et fraîche, le flot qui, d’ordinaire, ne devait pas être bien épais, gonflé par la pluie de la veille.

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L’hermine appréciait les grattouilles sur le haut du crâne. Du moins, c’était là ce que l’on pouvait déduire de ses petits yeux clos, de son sourire, réflexe de bipède, et du petit roucoulement qui lui échappa. Il tendit un peu le cou quand la main partit, la plaisante sensation d’avoir les neurones bien mélangés lui manquant. Ne la trouvant pas, il frotta sa tête à la joue de Sorel, en guise de compensation.
Sous cette forme, son frère ne pouvait lui rendre le cadeau. Ils n’avaient pas non plus à initier cet échange embarrassant à base de remerciements et autres échanges qui pouvaient vite tourner en rond, entre la politesse et les sincères appréciations. Cela arrangeait d’autant plus Valmys. Fut-ce la fatigue, ou l’effet secondaire d’une métamorphose en équidé, toujours était-il que communiquer en langue commune ou elfique semblait d’un coup bien plus inutilement laborieux qu’à l’accoutumée. Pourquoi parler quand ils pouvaient juste plonger dans les vibrations l’un de l’autre ? Pourquoi même s’enquérir d’autant quand chacun pouvait profiter de la présence de l’autre ? C’était là toute la sagesse animale dont le Cawr profitait sur l’heure, que nul ne lui avait concédée sous forme bipède.

Le petit être s’était bien enroulé autour du cou de Sorel. Par la délicatesse de son frère, il n’avait nul besoin de s’accrocher outre mesure, ce qui aurait été gênant pour tous les deux. De là où il était, le monde était bien différent. Tout était immense, tout pouvait être dangereux. Tout était plus fort, aussi. L’odeur de Sorel, cette odeur bien spéciale, d’elfe, de chevaux et de sucre, remontait jusqu’au fond de son tout petit cerveau. Sa chaleur l’enveloppait. C’était une tout autre expérience que ces sens exacerbés de petit animal. La forêt sentait la chlorophylle et l’humus. Les naseaux de Järn faisaient la taille de sa tête. Ses quenottes étaient autant de potentielles décapitation, Valmys ne put cacher son soulagement, dans la détente de ses muscles, quand Sorel indiqua à l’étalon de rester à une certaine distance. Les hermines pouvaient être féroces, attaquer des proies plus grosses qu’elles, mais elles n’en étaient pas moins fragiles et sujettes aux limites de la nature. La magie ne permettait pas encore à Valmys d’être un invincible mustélidé en tout cas. Il n’avait pas l’intention de s’intéresser à ce point, comptant plutôt sur la mélodie du monde pour guider ses pas loin de tout heurt.

L’intérieur de sa bouche était un peu pâteux. La promesse de l’eau ne l’aidait pas. Pourtant, il ne s’impatientait pas. L’histoire de Sorel lui offrait une plaisante musique pour apaiser ses sens. Les vibrations qu’il émettait lui étaient bien tangibles, contre lui. Elles venaient de sa gorge et de son torse. Elles le berçaient. Il aurait sans doute été incapable de redonner la majeure partie des détails de l’histoire. Il en avait principalement le ressenti. Le sentiment d’injustice, la victoire de l’affection, le long chemin vers l’équilibre. Par ce biais, l’histoire devenait universelle, sans perdre en beauté. Plus tard, Valmys composerait peut-être un air qui y serait semblable. Mais pas tout de suite. Là, avoir des pouces opposables était moins intéressant qu’être une peluche vivante.

Le bruit de l’eau lui parvint avant sa vue. Il dressa alors la tête, par réflexe, son petit museau remuant de joie. L’hermine commençait à ne plus tenir en place sur l’épaule de Sorel. Sitôt qu’il fut déposé au sol, il fit quelques bonds vers l’eau, où il plongea sa tête en entière. Il la retira, pour voir s’il avait bien obtenu l’effet escompté, avant de boire plus sagement. Lorsqu’il estima avoir bu assez, il revint devant Sorel, lui offrant ce qui chez les hermines était en théorie une danse de la mort. La danse avec lui prenait un tout autre sens. Une sorte de danse de remerciement. Il ne cessa que pour se loger quelque part contre lui. Il n’avait pas prévu de se retransformer avant d’être dans ses propres appartements. Pas question de redevenir bipède devant Sorel. Pas tout de suite. De plus, n’avait-il pas gagné le droit d’être transporté sur le chemin du retour ? N’était-il pas digne de cela, lui qui était si doux au toucher ? Lui qui pouvait entendre sans parler ? Lui qui désormais pouvait entendre tous ses maux et les porter par la force que la Terre mettait dans ses enfants ?
Il était prêt pour la suite et il avait hâte. Il aimait ce frère-là. Plus que tout, il aimait sa voix, son sourire. Il était prêt à lutter à sa façon. Pour eux. Pour lui.

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Bien avant qu’ils n’arrivent en vue du ruisseau, Valmys avait commencé à s’agiter, percevant certainement le gentil roulis de l’eau dans son lit naturel. Le déposant gentiment au sol pour éviter que son grand-petit frère ne prenne la décision de s’élancer comme un grand, Sorel le regarda s’élancer en bondissant vers l’eau. Un éclat de rire sincère lui échappa lorsqu’il vit toute la tête de l’hermine disparaître sous la surface de l’eau, oreilles duveteuses incluses. Amusé, l’elfe s’assit en tailleurs à proximité, observant ses deux compagnons à poils. Järn buvait avec plus de distinction et de calme, les cailloux roulant sous ses sabots entretenus et la terre cédant sous le poids de la bête.
Sorel n’avait pas soif mais lui n’avait pas eu à galoper à travers champ en portant un poids sur son dos, moins encore à subir une transformation physique conséquente. Le regard du jeune elfe passa le long de la fine silhouette de l’hermine, toujours aussi émerveillé. L’image du cheval, étiré au sol, ses longues jambes étirées sur le sol herbeux, sa crinière bercée par le vent.

Une fois sa soif étanchée, Valmys revint avec la démarche particulière des hermines avant d’exploser dans une danse, tour à tour bondissant et se roulant au sol avec une énergie folle, courant d’un bout à l’autre avant de revenir, sautant et tournoyant dans les airs, son corps se tordant avec une incroyable agilité. Amusé, Sorel observa avec un grand sourire, se retenant de taper dans ses mains comme un enfant mais incapable de retenir ses exclamations :

« Wouah, incroyable ! »

Une fois satisfait de sa petite représentation, son grand-petit frère finit par venir se loger dans le giron de Sorel, s’y roulant en boule. Instinctivement et rassuré par la précédente réaction de Valmys à ses gratouilles, Sorel entreprit presque immédiatement de passer ses doigts dans la fourrure épaisse de son petit-grand frère. Attendri, émerveillé, Sorel finit néanmoins par se redresser. Il tint précautionneusement la petite hermine nichée contre lui et s’approcha de Järn tout en essayant vaillamment de ne pas déranger son précieux fardeau. Il était clair que la transformation était éprouvante pour son frère et manifestement Valmys ne souhaitait pas - pour l’instant - reprendre forme bipède. Pour être tout à fait honnête, Sorel ignorait trop s’il préférait son frère sous forme animale ou sous forme humaine, les deux lui convenaient parfaitement. Il était cependant difficile d’oublier l’une, même en présence de l’autre.

« Je m’occupe de tout, » chuchota-t-il. Il regrettait l’absence de sa cape, celle-ci était cousue de multiples poches et il aurait certainement pu installer confortablement Valmys dans l’une d’elles mais il allait devoir s’arranger différemment.

La présence de son frère presque oubliée pour l’étalon, bien qu’il demeurait conscient de celle de l’hermine, il ne fut pas bien compliqué de convaincre Järn de plier les jambes afin de permettre à son cavalier de s’installer sur son dos. Prudent de ne pas déranger Valmys, Sorel s’installa puis, d’une gentille pression des genoux, indiqua à sa monture qu’il était prêt. Avec autant de souplesse que possible, Järn se redressa et, après un mouvement des hanches de Sorel, se mit en route au pas. Hors de question de déranger son frère par un galop ou un trot, ils prendraient leur temps pour rentrer, partageraient cette occasion pour s’apprendre et se découvrir, en silence.
Le retour à la maison se fit tranquillement et, une fois arrivé, l’installation de Järn dans l’écurie se fit sans trop de difficulté. Le nouvel écuyer les accompagna, malgré ses mauvais souvenirs, sous la supervision attentive du maître d’écurie. Une fois assuré que son orageux compagnon était bien installé et ne risquait pas de refaire des siennes, Sorel se dirigea vers leurs quartiers.
Après une brève discussion avec l’hermine toujours nichée contre lui, le jeune elfe rejoignit sa chambre. Cependant, au lieu de s’installer confortablement dans son lit, réticent à l’idée d’y retourner - ses derniers souvenirs datant de quand il s’y trouvait encore, quelques heures auparavant, malheureux et tourmenté, il déposa gentiment Valmys sur un fauteuil et entreprit de faire ce qu’il faisait de mieux.

Retirant bottes et pulls, il récupéra toutes les couvertures et coussins que contenait la pièce et les amoncela devant l’âtre. Une fois fait, il entreprit de les arranger de sorte à créer un petit nid douillet et chaleureux, se servant de la moindre surface verticale pour pouvoir offrir un support en cas de besoin. Il prépara également un feu dans la cheminée. Celui-ci commençait à peine à mordre le bois, le faisant claquer et craquer, que Valmys rejoignit Sorel dans son petit nid. A deux, ils s’installèrent confortablement, pelotonnés dans les couvertures et les coussins, un livre ou deux à portée de main.
Ses doigts glissant doucement sur la fourrure fine de son petit-grand frère, Sorel souriait doucement. Il y avait peu de gens qui prenaient derechef une place dans son cœur, s’y insérant sans effort, mais ils existaient. Valmys, pourtant, semblait déjà s’y trouver, comme s’il avait toujours été là. Une présence solide et immuable qui irradiait la gentillesse, le partage et l’affection.

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