L’agitation gagna l’assemblée et les observer, tous, permit à Aldaron de délimiter l’ampleur du désastre qui frappait les Esprits-Liés. Voilà donc leurs protecteurs, pour certains incapables de se remettre en cause et préférant l’invectiver pour ses propos – il était bon de se souvenir que seule la vérité faisait mal – d’autres riaient de son audace et quelques-uns approuvaient ses dires. Il touchait là à quelque chose de très clivant au sein des Esprits-Liés, une corde sensible qui pouvait les déchirer et qui les déchirait déjà depuis des milliers d’années. Le corbeau n’avait-il pas parlé d’une nouvelle guerre ? Cela s’était alors déjà produit et tout semblait rester en fond de trame de leur histoire. Comme de la matière explosive prête à prendre feu à la moindre étincelle. Nessraya et Jh’eena étaient à ses côtés, ainsi que Rog. Sa télépathie perçut ce que le regard de Nessraya remarqua, ou du moins ce qui l’intrigua. Sur les huit sièges principaux, seuls Sept étaient occupés. Le huitième manquait à l’appel.
Le puissant cri du coq vint mettre un terme aux tergiversations et le calme revint. Le silence se fit une place régalienne jusqu’à ce que le corbeau étende l’une de ses ailes, y perdant une plume qui lui sauverait la vie, et reprenne la parole. La menace coula sur lui comme de l’eau de pluie. Il en avait essuyé tant et tant et personne ne semblait entendre véritablement qu’il ne craignait aucunement qu’on mette sa vie ou son avenir en péril. Ses ennemis les plus redoutables savaient que son point faible étaient ses enfants. Tant que leur avenir était légitimement pérenne, l’esprit solide du Prince Noir ne pliait devant aucune menace. Aussi, loin de se taire, le vampire se fit factuel :
« Que j'ai commis ou non des fautes ne vous dégage pas de la responsabilité des vôtres, à plus forte raison lorsqu’elles n’ont aucun lien de cause à effet. J'ai parfaitement le droit de pointer du doigt vos erreurs tout comme je serai réceptif à celles que vous voudriez me notifier. » Et qu’il ne manquait pas de faire, au demeurant et si Aldaron lui avait appliqué le même principe, le Corbeau n’aurait rien à lui reprocher, puisqu’il n’était lui-même pas blanc. Personne ne l’était. Alors personne ne pourrait remettre en cause les actions néfastes d’autrui ?
Du reste, il restait assez perplexe quant à cette interdiction des déesses que la magie de l’âme était prohibée. Les déesses avaient bien des pouvoirs, et elles savaient s’en servir pour condamner une profanation. En témoignait la malédiction qui toucha l’elfe qui devint le premier vampire, lorsque celui-ci fit manger à l’Oracle des déesses ses propres enfants, prouvant là qu’en terme de sacré, les divins ne plaisantaient guère. Mais quand vint l’affront du Lien, le châtiment ne fut pas adéquat. Comme le Lien venait d’un Dragon, par nature, qu’il le souhaite ou non, sans qu’il n’en soit coupable pour autant, c’était donc les dragons qu’il aurait fallu éradiquer, quitte a créer un autre portail entre le plan astral et celui de la création pour permettre à la magie de s’étendre encore. Ou maudire les Liés pour que leur nombre décroisse jusqu’à s’éteindre, et qu’il ne reste que les dragons libres. En lieu et place de cela, elles n’avaient rien fait d’adapté. Tout comme les Esprits-Liés ne faisaient rien alors qu’à la démonstration de la dague de Rog qui viendrait ensuite, il semblait clair que la magie de la Loi incarnée était plus puissante que la magie de l’âme : le lien entre la Lucane et Rog y ayant résisté.
Alors cela amusait beaucoup le Prince Noir qu’on vienne grincer des dents à la Verith en fustigeant la magie du Lien, tout en ne faisant rigoureusement rien pour empêcher qu’on franchisse ce soi-disant interdit, quand bien même ils en avaient les moyens. Si Aldaron avait - ou aurait - les moyens, de changer ce Lien et cette magie, alors des déesses et des Esprits-Liés en étaient parfaitement capables, d’une manière ou d’une autre. Mais ils ne faisaient rien et ce contentaient de parler de blasphème : ça n’avait aucun sens. Quand on voulait que ses enfants ne jouent pas avec une scie, il était purement débile, sinon irresponsable, de la leur laisser entre les mains, en sachant qu’ils l’ont et en ayant les moyens de la leur reprendre ou de l’en priver. Aux yeux de l’Ast ce n’était que pure de la pure hypocrisie de grincheux. Qu’ils agissent ou qu’ils se taisent, mais qu’ils ne viennent pas lui faire croire que cela soit ‘prohibé’ avec un ton réprobateur. C’était d’une duplicité scandaleuse, des simagrées mensongers qui dissimulaient une complaisance mal assumée.
Alors que le corbeau lui adressait un regard sévère, Rog reprenait la parole. ‘Descendants du Huitième.’ Rog n’avait pas eu besoin de prononcer les mots pour que le télépathe les entende. Qui était alors ce huitième ? Qui était ses descendants ? Cela fit écho à ce que Nessraya avait perçu. Le huitième était-il l’esprit-lié qui manquait ? Où était-il ? Comment pouvait-il avoir eu des descendants ? Parfois il n’y avait rien de mieux que de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière et de regarder ces petites bestioles s’agiter. Leurs comportements et leurs propos étaient évocateurs. A plus forte raison que l’assemblée sembla s’unir de chœur pour lui couper le sifflet. La baleine confirmait alors qu’il y eu un premier conflit, puisqu’elle craignait qu’un second n’éclate. Était-ce alors ce qui avait bouleversé l’archipel, jadis ? Calastin avait été recouverte de lave de telle sorte à former un plateau surnaturel. Nyn-Tiamat avait été, visiblement eu égard de la cité où il se trouvait, engloutie par la neige. Combien de changements drastiques cela avait déclenché ? S’il avait encore besoin d’argument en cela, Aldaron était à peu près certain de se ranger à l’avis du corbeau et de la baleine sur ce point : une seconde guerre des Esprits-Liés serait bien pire que les Couronnes de cendres… Et pour autant, l’ast ne pouvait pas laisser ces derniers massacrer des vies, et en particulier celles de ses enfants, impunément. Du reste, la conversation fut à la fois déprimante et intéressante. Rog expliquait la raison pour laquelle la Lucane était restée liée malgré l’acte d’Aldaron mais les tergiversation en termes de responsabilité étaient bancales.
La réplique du chat eut le don de l’agacer profondément :
« Évidement, il est responsable d’avoir enfreint une loi dont presque personne ne se souvenait et son action a, de toutes évidences, des conséquences absolument tragiques, à savoir rien, pour que vous vous escrimiez à ce point à en faire un criminel. » Cette fois, il était sarcastique et roulait des yeux. Cette discussion n’avait vraiment pas de sens. Ça ne tournait vraiment pas rond dans les têtes de cette assemblée. Il n’avait jamais connu plus piètre tribunal.
« En revanche, avoir pour loi de ne pas intervenir dans le monde des mortels ne vous a pas effleuré l’esprit quand la Lucane vous a dit qu’il ne prenait qu’un seul spirite pour avoir le droit d’intervenir à sa guise pour le défendre, et que vous avez tous levé le pouce en l’air pour approuver sa demande. Comment ça a seulement pu se produire ? Vous semblez en faire toute une affaire d’état quand il y a une infraction, mais dans l’ombre vous jouez votre propre mafia. » Il tombait des nues. Ça n’avait définitivement aucun foutu sens. Comment cela avait pu être seulement imaginé ? La Loi, la magie de la Loi, qui imprégnait les toiles de l’araignée, semblait sacrée et pourtant, cette fois, il y avait deux Lois contradictoires, qui s’opposaient et créaient ces incohérentes aussi ridicules que perfides. Comment avaient-ils pu sérieusement légitimer la demande de la Lucane ? C’était effrayant au possible. Son côté pragmatique espérait qu’il y aurait une très bonne raison car dans le cas contraire, c’était de l’hypocrisie en bonne et due forme. Mais hélas, vu ce qu’il entendait depuis le début, cela ne l’étonnait guère. La toile avait-elle été volée et son contenu écrit illégalement ou cela s’était vraiment produit ainsi ?
Quant à Kishna, il sentait qu’il y avait une histoire particulièrement douloureuse derrière cela et il ne manquerait pas de creuser cette piste, à l’occasion. Il cristallisa ces informations non dites mais que le télépathe comprenait pour confier à Jh’eena l’existence de celui-ci. Au moins, ce ne serait pas perdu, et il espérait que la graärh se montre à la hauteur de ce qu’il lui confiait. Il étreignit mentalement sa Liée, comme pour lui dire qu’il était désolé. Et puis, il ne sentit pas même le froid ni la présence de Jh’enna : il n’avait plus aucune information en provenance de son corps. Il ne craignait pas la mort, pour l’avoir trop souvent regardée en face. Nahui refusait qu’il rompe leur lien pour la sauver et il comprenait son point de vue. A sa place, il aurait refusé également, mais il n’était pas à sa place et à la sienne, il était rempli de culpabilité à son égard. Bien vite, il sentit son esprit et son âme s’élever, pour partir ailleurs.
La plage de sable fin où il se trouvait lui rappelait celle où les deux Inséparables s’étaient échoués, après après avoir accepté de devenir les spirites des oiseaux amoureux. Avec les coquillages blancs, il avait assemblé, pour la première fois la lame blanche des Elusis. Pourtant, à y bien regarder, il ne voyait de ce souvenir que l’invectivité d’Achroma et ses reproches entourés de miel avec lesquels il s’était bercé d’illusions. Il avait accepté sa colère et sa frustration, il avait accueilli ses attaques en son sein sans broncher et une fois qu’il avait accepté le lien spirituel de l’Inséparable, il n’avait plus jamais été lucide. Regarder les scènes de son passé lui faisait, à présent, mal. Il lui avait tout donné, à Achroma. Il avait quitté son poste à Caladon car l’homme qui fut son époux l’avait assommé de son propre ressenti. Achroma n’aimait pas Caladon, mais Aldaron y attachait une importance de cœur. Ce n’était pas seulement une ville de marchands. C’était, à ses yeux l’incarnation de la résistance, tant contre le Tyran Blanc que comme la couronne impériale. Même aujourd’hui, ils étaient les seuls à se dresser pour la liberté. Mais il avait renoncé à Caladon et l’avait rejoint dans la Nuit. Il avait mis le Marché Noir au service de ses dessins à l’encontre du Royaume Humain, l’accablant d’une famine sévère qui lui serrait la corde au cou. Aldaron n’avait jamais voulu que cela arrive à ce point de non retour.
Mais cela était arrivé, et avec sa complicité. Il avait accepté bien des concessions et des dons, également, lorsqu’Achroma lui refusa de gouverner les terres de Nevrast alors que le Marché Noir les avait rachetées pour sortir le royaume vampirique d’Irina de ses horribles dettes dont aucun parangon, y compris Achroma, ne voulait assumer la charge. Mais une fois que le Marché Noir eut remis les comptes à flot, fait rebâtir la ville par son fils Valmys et Belethar et que l’Ast et dragonnier aurait pu se présenter en successeur légitime, Achroma avait réclamé cette place. Aveuglé par l’Inséparable, il avait accepté. Une alliance avec les pirates avait été scellée et la guerre contre Sélénia eut lieu. Il en fut l’instigateur et jusqu’ici, il n’avait pas remis en cause ses actions. Il les voyait aujourd’hui avec bien plus de clarté. Achroma n’avait jamais servi rien d’autre que ses propres intérêts. Il n’avait fait que le couvrir de fleurs et de baisers mais il lui avait tout pris, bribe par bribe. Puis il l’avait abandonné avec la plus grande des lâchetés, retrouvant la mort où il l’avait abandonné une première fois. Il l’avait laissé au lendemain de sa défaite, avec des ennemis et de la haine. Avec sa culpabilité et sa solitude. Un part de lui même reconnaissait que Claudius l’avait libéré d’un fardeau qu’il ignorait encore porter.
Aujourd’hui, cette plage lui rappelait ce chemin maudit sur lequel il avait marché. Elle lui rappelait ce premier jour où il avait accepté de lien de l’Inséparable et où il s’était condamné. Non loin, il put remarquer un navire fait de verre, échoué et marqué par les stigmates d'un voyage agité. L'espace où il se trouvait était suspendu dans le vide. Comme lors d’un crépuscule proche de la nuit, la pénombre régnait en ce lieu tandis que des étoiles brillaient dans les cieux. De la plage, partait un fleuve semblant s'étendre à l'infini, zigzaguant dans un néant absolu. L’Ast n’était pas seul. D’autres individus étaient à ses côtés, l’air absent. Tous marchaient lentement en direction de la rive avant de s’immerger dans le fleuve et d’être emporté par le courant. Sur cette plage, des êtres ressemblant à s'y méprendre à Sorel, Elizabeth, Ivanyr et Celeborn marchaient également, tout comme lui, bien qu’il réalisa ne pas avoir de réel contrôle sur ses jambes. Sa propre avancée lui semblait plus lente, comme s’il tirait sur quelque chose. En se retournant, le vampire put constater que le lien qui l'unissait à Nahui était tendu. Son extrémité, invisible, lui indiquait que sa Liée était encore parmi les vivants. Son cœur se déchirait d’une culpabilité profonde car il savait qu’elle ne le resterait. Tôt où tard, il la verrait apparaître ici, tragiquement. Chaque mouvement créait des ondulations dans le tissu de la réalité. Il pouvait le sentir, il était en train d'effectuer une traction puissante, mais indésirée et il avait hélas l'avantage.
Mais soudainement, son avancée inexorable vers le fleuve s'arrêta bien qu’il lui était en revanche impossible de reculer. Un croassement retentit. Une plume apparut au niveau de son épaule, elle était comme plantée dedans. Quelque chose vint se planter sur sa tête, lui faissant rentrer la tête dans les épaules de surprise.
« Bienvenue dans les limbes, profanateur. » Il reconnut la voix du Corbeau.
« C'est donc ici que vous souhaitez m'abandonner ? » Son regard se posa sur la plume dans son épaule, sans trop savoir comment elle était arrivée là :
« Ou pas... Qu'avez-vous fait ? » Il sentait le Corbeau jouer avec ses cheveux, tantôt avec son bec, tantôt avec ses serres. Il était persuadé que c’était Dawan qui avait du lui en vanter la douceur. Le Corbeau n’allait tout de même pas lui demander lui aussi les secrets de son shampoing !
« C'est ici que je peux t'abandonner, en effet. Tu serais condamné à regarder les défunts quitter le plan que les divins ont crée pour vous pour rejoindre celui des morts. Quand j'y pense, ça me ferait un peu de compagnie, maintenant que les jumelles ne sont plus là. Et je pourrais t'utiliser pour réparer leur navire. » Ainsi donc, c’était le navire des déesses Vie et Mort. Les défunts devaient à présent traverser le fleuve à la nage. Le voyage n’était peut-être plus aussi sûr qu’autrefois. Pour être honnête, faire quelque chose de manuel, pour l’utilité générale, ne le dérangerait pas véritablement.
« Je te sauve la vie, ou plus exactement, je t'empêche de mourir. Mais ceci n'est que temporaire. Il ne m'est pas permis de faire durer cela éternellement. La Lucane rouspétera sans doute, mais elle n'est pas la seule à avoir des droits particuliers. Ta survie aura au moins le mérite d'apaiser un peu les tensions. » La réponse le surpris, mais elle faisait sens. Si l’acte de la Lucane n’avait, au final, aussi peu d’impact sur leur monde que celui du Saumon, les tensions s’apaiseraient, au moins pour un temps. Il n’empêchait que le Corbeau devait probablement enfreindre une Loi, même s’il plaiderait aisément le soit-disant ‘accident’.
« Dois-je en conclure que vous ne m'en voulez pas d'avoir rompu votre lien avec Rog ? Je ne parle pas de la manière, bien sûr, mais de la finalité. Mon fils, Ilhan, m'a dit que certains d'entre vous étaient restés liés par la contrainte. Était-ce votre cas ? » Le corbeau croassa :
« T'en vouloir? Bien sur que je t'en veux ! » Le coup de bec qu’il se prit sur le front en témoigna et lui fit brièvement rentrer la tête dans les épaules, à nouveau.
« Je soutiens Rog, ou du moins l'objectif que lui, Lalaach, Lolupata, et Udyog autrefois, poursuivent. Mais ton sacrilège m'a sorti d'une situation épineuse. Les autres commençaient à s'agacer sérieusement des pouvoirs que mon lien lui conférait. Et dans un sens je les comprends. Tout conflit doit avoir une fin. C'est de ma responsabilité et de celle du Cafard si celui-ci n'a pas pu prendre fin et a pu reprendre. L’étoile de mer en revanche pourrait te remercier. Quant à contraindre ? C'est bien plus complexe que cela. Certains en effet ne partagent pas l'objectif des couronnes. Mais ils furent les élus de notre assemblée et le demeurent encore. C'est l'affect qu'ils éprouvent qui les contraint plus qu'autre chose. Particulièrement concernant Lalaach et l’ornithorynque. »Aldaron en avait entendu parler. Lalaach semblait avoir été adoré par les esprits-liés, bien qu’il ne comprenne guère leur engouement. L’Ast acquiesça de la tête.
« Vous me semblez pragmatique, Corbeau. C'est pourquoi je ne comprends pas que vous souteniez les actions des couronnes de cendres. J'imagine que beaucoup de choses m'échappent. Ce que j'ai vu de ces graärh n'est que dévastation, destruction de masse et génocides à l'encontre de ceux qui ne partagent pas leurs idées, jadis tout comme aujourd'hui. Alors pour que vous acceptiez ce lourd tribu à payer en vies balayées, c'est qui y a une raison légitime, n'est-ce pas ? Quelle est-elle ? Et qui est ce huitième que l'assemblée a voulu taire ? Si je reviens parmi les vivants, mon combat contre Rog se poursuivra tant que je n'aurai pas de raisons de cesser. » Il lui ferait payer.
« Nous ne percevons pas la vie et la mort de la même manière. Ce n'est pour moi qu'un cycle. Même si l'un de mes liés venait à mourir aujourd'hui, je le retrouverais demain sous une autre apparence. Je ne perçois donc pas les conséquences des moyens mis en œuvre de la même façon. Mais je comprends qu'ils mettent en péril l'ordre que vous avez établi et que vous cherchiez à le défendre. Pour autant, seul l'ordre de ce monde que les divins nous ont chargé d'entretenir et de surveiller m'importe, et jusqu'ici les couronnes n'ont rien fait pour le menacer. Enfin, c'est une question de point de vue. Si je les soutiens, c'est bien parce que je ne considère pas leur objectif comme un mal, au contraire, il s'agirait plus d'un retour à la normale. Mais, mes frères et sœurs ne partagent pas tous cette vision. C'est bien pour cette raison que nous nous sommes déchirés par le passé et que je souhaite éviter que cela ne se reproduise. Pour autant, ce conflit doit avoir une fin et je ne désire pas que les couronnes s'arrêtent. Rog avait raison. En arrivant ici, enfants d'Ambarhuna, vous vous êtes retrouvé mêlé à une affaire qui ne vous concerne pas. C'est regrettable, car votre nature vous empêchera de sortir de cet engrenage. Vous venez complexifier le conflit. Mais, votre sacrilège d'aujourd'hui me laisse à penser que cela le mènera peut-être vers sa fin. Le huitième est un tabou. Le huitième est ce qui a tout déclencher. La huitième est la cause de ce conflit. Ou plutôt devrais-je dire son choix. Mais je réserve mes blâmes pour quelqu'un d'autre. Tes questions sont légitimes, mais je ne peux en dire plus. Plus qu'un secret, la magie de la loi ne m'y autorise pas. Une mesure de sécurité prise par notre assemblée afin que nous tenions tous notre langue depuis que ton fils Ilhan a questionné l'ornithorynque, l'araignée puis le flamant rose. »L’Ast dodelina de la tête, songeur.
« Je comprends, nous n'avons pas la même vision en effet. » Tout comme le corbeau comprenait la sienne. Ils ne voyaient pas le monde sous le même prisme, tout simplement.
« Si son choix est responsable de tout, pourquoi en voulez-vous à un autre ? A qui ? » Aurait-il seulement des réponses ? Pas le moins du monde. Le silence fut volontaire, soit le Corbeau ne pouvait pas le dire, soit il ne voulait pas le dire. Ou peut-être un peu des deux.
« Rendre les couronnes de cendres mortelles est une avancée vers la fin du conflit, mais il n'est pas terminé pour autant. La Lucane a renforcé son lien avec Rog, et les esprits-liés tremblaient devant Lalaach. J'ose à peine imaginer ce que cela sera avec Rog, à l'avenir. » La réponse du corbeau sembla dépeindre la responsabilité des Esprits-Liés dans ce conflit.
« Rog fera trembler mes frères et sœurs qui ne partagent pas ma vision car la Lucane est derrière lui. Mais Lalaach... C'est autre chose. Il était aimé de nous tous. Mes frères et sœurs qui tremblent face à lui le font par lâcheté, car il incarne ce qu'ils considèrent comme notre plus grande erreur. »Et c’étaient eux, mortels, qui en payaient le prix. Et ils ne faisaient rien. Il attendaient que les mortels s’escriment à résoudre le problème que les protecteurs avaient créé. Aldaron venait de perdre quatre enfants aujourd’hui et probablement aussi d’autres vampires. C’était ignoble et indigne de ces soit-disant protecteurs. Ses mires se posèrent sur les silhouettes de ses enfants, le regard triste.
« Est-ce que je peux aller leur dire au revoir, encore une fois ? Enfin, adieu. En attaquant Rog, je ne m'étais pas vraiment préparé à les laisser partir seuls. Et si mon heure n'est pas pour aujourd'hui, elle le sera un jour. Regarder les défunts quitter notre monde ne me changera pas vraiment. Le deuil m'est devenu comme un second vêtement et, pour être honnête, si je devais mourir, je crois que je n'éprouverai pas l'envie de refaire un tour dans notre monde, même avec une nouvelle vie. Alors à ce moment là, si votre besoin de compagnie se fait toujours sentir, je suis volontaire. Je n'ai pas peur de payer pour ce que j'ai fait de mal à ce monde, quand bien même j'ai jugé chacun de mes actes, même profanateurs, nécessaires. Vous veillez sur les Vôtres qui composent l'assemblée des Esprits-Liés. J'ai veillé sur les Miens. Je le ferai tant que je vivrai. » Et sa mission s’arrêterait là. Le Corbeau l’autorisa à aller voir ses petits, ou plutôt, ce furent eux qui purent venir à lui, puisqu’il était lui-même figé.
Il les récupéra dans ses bras une dernière fois, caressant leurs joues, leurs dos ou leur cheveux avec une délicatesse paternelle. S’il avait pu retirer la plume de son épaule, il l’aurait volontiers donné à l’un de ses enfants. Mais lequel ? La douleur lui étreignait le cœur péniblement lorsqu’il leur avoua qu’il ne partirait pas avec eux, car le destin voulait de lui ailleurs. Il embrassait leurs fronts, leurs têtes, gravait dans sa mémoire les traits si jeunes de leurs visages. Il avait envie d’hurler et il s’en retenait. Il les serra tout contre lui, comme si en agissant ainsi, peut-être qu’il pourrait les garder avec lui et les ramener dans le monde des vivants. Mais ils finirent par reprendre leur avancée et il lâcha péniblement leurs mains. Ses muscles se crispaient de douleur alors que ses mains venaient cacher sa bouche qui se déformait d’une grimace de souffrance. Son corps se penchait en avant, comme s’il s’apprêtait à se recroqueviller sur lui même. Il ne désirait que se protéger de l’affliction, mais il ne le pouvait pas. Elle était là, à lui lacérer les entrailles. Il n’avait pas menti au Corbeau : s’il restait ici éternellement à regarder les gens se réincarner et n’être que de passage, cela ne serait pas une souffrance. C’était savoir qu’il resterait dans le monde des vivants sans eux qui lui serait horrible.
Ce fut avec des larmes coulant sur ses joues qu’il les regarda aller jusqu’à la rive pour s’immerger dans le fleuve. Dans le silence, il calma ses sanglots. La peine perdurait mais s’apaisait. Ou du moins, il imaginait qu’arrivé à un certain point de douleur, il ne sentait plus rien. Lorsque ses yeux ne purent plus les voir, il les baissa sur son épaule. Il aurait pu juste l’enlever et partir avec eux. Ça aurait été plus simple. Du moins pour lui. Pas pour ceux qui restaient. Pas pour Nahui, pas pour ses autres enfants qui allaient le pleurer. Partir maintenant aurait été égoïste, comme Achroma, et il n’était pas comme lui. Il ne pouvait pas laisser ceux qu’il aimait derrière lui. Il devait laisser ce que le destin avait choisi pour lui se produire. Sa voix était blanche et monotone lorsqu’il reprit la parole :
« Et puis, il y a autre chose, Corbeau. Dans la forêt de Licorok, il y a un arbre qui se dit être l'arbre-songe. Il protège quelque chose d'extrêmement puissant et... A chaque fois que l'un de mes enfants est mort aujourd'hui, j'étais dans la forêt et j'entendais sa voix. Il disait que des personnes légitimes approchaient. La dernière fois qu'un être mortel a eu entre ses mains un cœur puissant, cela n'avait pas été bénéfique pour nos existences. Cela fut bien pire que de simplement mourir. L'histoire ne doit pas se répéter. Je crois que Nahui me conduit à lui. Il lui a dit de venir et qu'il pourrait me sauver. Cela va peut-être vous paraître bizarre mais... Elle a eu la sensation qu'il s'agissait d'un très très ancien dragon. Vous réincarnez des dragons en arbres qui parlent et fabriquent des licornes de défense dans la roue de la réincarnation ? »Le corbeau croassa quelque peu ce qui pourrait s'apparenter à un rire jaune avant de claquer du bec d'agacement :
« L'Arbre-Songe, un sobriquet bien ridicule dont il est de plus bien indigne. Ce narcoleptique est à peine l'ombre de ce qu'il était par le passé. Il s'accroche à ce monde en y enfonçant toujours plus profondément ses racines, se dérobant à cette plage. Et dire que je m'en remets pourtant à lui pour te sauver la mise, pour espérer apaiser les tensions. » Ainsi donc, ils se connaissaient et cela venait rejoindre ce qu’il pensait de l’identité du huitième.
« C’est lui, le Huitième... » souffla-t-il, tout bas. Alors que le corbeau continuait de râler au sujet de l’Arbre-Songe, sa voix se fit de plus en plus étouffée. Une chaleur au niveau de son buste irradiait, plus précisément au niveau de sa blessure. Celle-ci commençait à se refermer progressivement jusqu’à ne laisser qu’une cicatrice en forme de racines qui s’entremêlent. Son environnement s’éclaira et devint de plus en plus lumineux jusqu’à en être aveuglant et qu’il perde connaissance.
Lorsqu’il reprit conscience, la première chose qu’il sentit ne fut que froid et humidité. L’odeur de l’humus parvenant à ses naseaux, il en déduisit être parvenu dans la forêt, auprès de l’arbre-songe. Les embruns du charnier lui confirma très rapidement cet état de fait. Allongé sur le flanc, dans la terre, il se sentait le besoin de respirer. Les râles de ses inspirations avaient un drôle d’écho. Il sentait la présence de Nahui à ses côtés. L’écailleuse était en vie et leur Lien intact. Il vint blottir son esprit contre le sien, pour lui signaler qu’il était éveillé. Son corps lui semblait plus grand et bien plus lourd qu’à l’ordinaire. Il avait du mal à faire le moindre mouvement : cela ne répondait pas comme à l’accoutumée. En ouvrant ses yeux, l’environnement lui apparaissait sous un regard différent. La lumière lui semblait plus forte et lui vrilla la vision quelques secondes avant qu’il ne distingue les racines de l’Arbre-Songe. Le sol était fleuri malgré l’hiver, de perce-neige éclatants. Une longue mèche de cheveux tomba au milieu de son regard et lorsqu’il voulu la retirer d’un geste vague de la main, il peine à faire bouger son corps. Il ne réagissait pas. Pire, il ne sentait pas ses doigts !
Il tenta de bouger une épaule et elle sembla réagir péniblement, mais elle réagissait. Il essaya de plier son coude mais ça ne voulait pas fonctionner… Du moins, pas vers l’avant. Il le plia doucement vers l’arrière sans comprendre ce qu’était cette sorcellerie. On l’avait drogué ? Il était certain que c’était une farce du Corbeau ça ! Il tenta de mouvoir son poignet et cela sembla à peut prêt fonctionner jusqu’à ce qu’il sente n’avoir plus d’un seul doigt par main. La panique le gagna d’un seul coup et il poussa un cri… Qui ne fut rien d’autre qu’un hennissement équin. Quoi ?! D’autres suivirent, de plus en plus effrayés, gigotant dans tous les sens pour faire réagir son corps et voir comment il fonctionnait.
*Nahui ! Nahui ! C’est quoi ça ? A l’aiiiiiiide !* N’obtenant pas la dite aide providentielle, Aldaron se concentra sur sa Liée pour… L’entendre pouffer de rire ?! Elle était en train de se moquer de sa situation ?!
« Liée indigne ! » fit-il, ou du moins tenta-t-il, puisqu’il poussa à la place un puissant hennissement d’indignation. Parvenant enfin à se lever par un miracle dont il ignorait le comment, il vacilla de l’autre côté après avoir brièvement tenté de tenir debout, sur ses deux pattes postérieures. Le second essai, il ne fit sur ses quatre pattes, tenant à peine dessus, titubant, s’emmêlant les sabots honteusement avant de finir par se vautrer, la tête en avant dans une souche d’arbre. Tout ceci tous les rires inarrêtables de sa Liée, évidemment. Pour la troisième tentative, il ne releva que le train arrière, puisque sa tête semblait munie d’une corne et que celle-ci s’était enfoncée dans la lourde dite-souche, comme dans du beurre. Fouettant furieusement l’air de sa queue blanche, il tira en arrière pour se retirer de cet embarras et s’en détacha bien trop facilement, si bien qu’il bascula en arrière avant de finir les quatre fers en l’air. Littéralement.
Roulant sur le côté, il parvint à se relever et se tenir sur quatre pattes tremblantes : il n’osait plus bouger. S’il bougeait il risquait trop de tomber. Il essaya de prendre un air digne, péniblement, et il réalisait alors ce qu’il était devenu, sans l’accepter :
*Je suis une licorne...*Directives :
Le spectre de la mort flotte au-dessus d'Aldaron. A vrai dire, il n'a pas repris conscience après avoir quitté l'assemblée spirituelle. Son esprit, ainsi que son âme quittent son enveloppe physique pour s'élever, partant ailleurs.
Le vampire se retrouve sur une plage. Non loin il peut remarquer un navire fait en verre, ce dernier est échoué et porte les stigmates d'un voyage agité. Le dragonnier se rend compte que l'espace où il se trouve est suspendu dans le vide, une pénombre règne en ce lieu tandis que des étoiles brillent au loin. De la plage part un fleuve semblant s'étendre à l'infini, zigzaguant dans un néant absolu. Aldaron remarque qu'il n'est pas seul, il y a d'autres individus avec lui. Ceux-ci ont l'air absent et ils marchent lentement en direction de la rive avant de s'immerger dans le fleuve et d'être emporté par le courant. Sur cette plage, Aldaron peut apercevoir des êtres ressemblant à s'y méprendre à Sorel, Elizabeth, Ivanyr et Celeborn.
Lui-même marche, sans vraiment de contrôle sur ses jambes, se rapprochant petit à petit de la rive. L'avancée est en revanche plus lente, comme s'il tirait quelque chose. En effet, en se retournant, le vampire peut constater le lien qui l'unit à Nahui. Ce dernier est tendu, son extrémité n'est pas visible puisqu'il disparait quelques mètres derrière lui et chaque mouvement crée des ondulations dans le tissu de la réalité. Il peut le sentir, il est en train d'effectuer une traction puissante et il a l'avantage.
Mais soudainement, son avancée inexorable vers le fleuve s'arrête. Il lui est en revanche impossible de reculer.
Soudain, un croassement retentit. Une plume apparait au niveau de son épaule, elle est comme plantée dedans. Enfin, le vampire a la sensation que quelque chose vient de se poser sur sa tête.
"Bienvenue dans les limbes, profanateur."
Comment réagit ton personnage ? Dans quel état d'esprit est-il ? Que fait-il?