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Le jour n’était pas encore levé dans le camp de la légion Vat’Aan’Ruda. Le peuple de la cité des wigwams somnolait pour la plupart encore à pattes fermées. Le comptoir commercial de la délégation sélénienne quant à lui grouillait d’activités, et rien ne permettait de dire que cela allait cesser. Déjà le jour précédent, le raffut qui s’en dégageait avait été aussi tonitruant qu’une tempête de grandes saisons et il y faisait plus chaud que dans les profondeurs du Canyon Karaptia.
Et le jour d’avant, cela avait été pire.
Aux portes du grand établissement s’étaient ainsi présentés marchands d’épices, de vêtements et de quincailleries, négociants soutenus par leurs gardes-boutiques, commerçants de colifichets, de parchemins ésotériques et de babioles, porteur d’eau, fromager, boutiquiers en joaillerie, rétameurs, menuisiers et grossistes en tout genre.

Et ce n’était pas tout. Au milieu du commerce, des Graärh s’étaient afférés avec des cargaisons de marchandises ; des tapisseries, pots remplis des pigments, harpes, flûtes, vases en céramique et draps en satin ou en soie s’échangeaient entre la légion et les visiteurs venus de Khokhattaan contre des produits du Nord. De temps en temps, c’était des Garal au poil leste et à la silhouette élancée qui chargeaient dans la mêlée des articles pour apporter des missives et réceptionner leur réponse. Il s’agissait souvent de relais d’office entre les humains et les elfes qui cohabitaient avec les Graärh, ces derniers n’étant pas les lecteurs les plus rapides ni les plus volontaires des scribes. Ces messages venaient en grand nombre au soir lorsque les derniers convois étaient prêts à partir, mais d’autres pouvaient montrer le bout de la truffe lorsque le soleil était à son zénith.

Et le comptoir continuait de s’étendre. Derrière les murets de terre et les palissades rapiécées s’élevaient les fondations d’un futur poste d’avant-garde. Plus loin encore, nul ne pouvait manquer une miette de la route commerciale en construction : un important passage délimité en bois de baobab, large de quinze pieds, qui tranchait au beau milieu de la cité des wigwams et rejoignait l’entrée principale du camp. Les bâtisseurs s’activaient dans un mélange de voix et de bruits d’échafaudages semblable aux plaintes d’un vieux navire à l’agonie. Lorsque cette route serait terminée, trois mules côté à côté pourraient se partager la chaussée et se déplacer dans la cité sans obliger les Garal à se bousculer pour laisser de la place.
L’on ne pouvait pas dire que l’aile Est de la cité des wigwams baillaient aux corneilles.

Pourtant ce jour-là, l’activité du comptoir était inhabituelle. Certes il y avait un attroupement, mais il était composé de légionnaires armés et équipés pour la guerre. Il y avait du mouvement mais il se faisait rapide, léger et les pas tonnaient avec un son différent, militaire. Quant aux voix qui résonnaient dans le comptoir, elles étaient abruptes, le ton bas et lugubre. D’aucun pouvait craindre en passant dans le coin que quelque chose de grave s’était produit.

C’était le cas.

Il fallait pour cela franchir le pas qui séparait l’allée des joaillers de celle des menuisiers. Quand il s’exécuta, Asolraahn vit aussitôt les traces de sang nappant le sol. La lueur ambrée de grandes lustreries en bois d’acajou laissait flotter des ombres sur les paravents arrachés. Il fit quelques pas, suivi de ses shikaaree, dépassa un carrefour où d’ordinaire les missives pleuvaient à flots comme la mousson d’été.

Les corps n’avaient pas encore été sortis. En approchant, une odeur d’encens, de genévrier et d’épices parvint à sa truffe. Il supposa que l’une des victimes était guérisseur ou au moins herboriste. Il n’aurait su dire laquelle. L’entrelacement furieux des corps dessinait de longues vagues dans la pénombre : ils étaient au nombre de quatre. Il s’agissait d’humains, sans doute au service de Sélénia. La violence qui les avait rendus moribond avait de quoi frapper avec toute la brutalité qu’offrait une telle scène de dévastation. Du sang coulait encore à gros bouillons de l’une des blessures. Un autre avait une jambe tordue dans un angle improbable. Il y avait des morsures, des lacérations profondes causées par de larges griffes. Et puis, il y avait leur visage gris et exsangue, figé dans une expression de pure terreur. Leur regard vitreux regardait les Graärh, implorant une aide qui ne viendrait jamais.

Le géant opalin avait prévenu l’empereur que ce genre de drames arriverait, que des gens intrépides et forts d’esprits seraient les seuls à se faire une place dans leur cité, qu’il y ait un comptoir pour les accueillir ou non. Ce ne fut pas pour autant agréable de voir les dangers de Néthéril se répercuter sur des étrangers, au beau milieu de leur camp.

Surtout lorsque les coupables de tels méfaits étaient des légionnaires.

-Où sont-ils ?

Les shikaaree le conduisirent en dehors du comptoir sélénien. Sur le sable qui se soulevait en brassée de poussière, deux Graärh attendaient à genoux, entourés de gardes. Ils fixaient le sol en silence. Leurs épées gisaient, placées cérémonieusement en face d’eux. Un sang poisseux ruisselait encore sur les lames, brillaient à la lueur des flambeaux :

-Y a-t-il quelque chose que vous ayez à dire ? fit sévèrement le géant opalin. Une information capitale, un élément qui justifierait de tels agissements ?

Mais les assassins se tinrent aussi muets qu’un tombeau. Le shikaaree sur sa droite, un Graärh au pelage flamboyant, se rapprocha en murmurant :

-Que fait-on d’eux ? Sont-ils Ashuuds ?

Asolraahn couvrit les coupables d’un regard de glace. Il aperçut de loin de nouvelles têtes qui apparaissaient dans son champ de vision ; des Garal qui sortaient aux aurores pour la cueillette ; des marchands qui se rendaient à leurs commerces. Il y eut bientôt plus de visages dirigés sur la place que de poils sur son torse. La majorité cligna des yeux sous le coup de la surprise. D’autres avaient le visage sinistre et grave. Asolraahn trouva parmi eux un petit cortège reconnaissable entre tous : un groupe de Chasseur de Smilodon au regard aiguisé et à la démarche militaire. La cohorte perçait l’affluence comme une pertuisane affûtée. Elle se resserrait toute entière devant une silhouette aussi remarquable qu’impérieuse.

Jh'eena Orën l’observait. Son corps élancé et son pelage aussi mince qu’une pellicule de sable habitait le bivouac de leurs étoffes fines et du tranchant des couteaux rengainés. Mais même sans ses comparses, elle aurait été tout aussi visible. L’art pour se faire remarquer en tant qu’Aaleeshaan était de savoir rythmer sa posture, l’harmoniser à ceux qui l’entouraient tout en jetant son propre éclat. De ce côté, la conseillère s’en sortait avec les honneurs. À sa façon, à son immobilité de pierre, elle élargissait la dimension de sa troupe, en prolongeait les contours tissés. Au sein du cyclone de cette foule rapprochée, elle incarnait l’œil, l’épicentre de toute l’attention. Les traits fauves de son expression sauvage se repéraient avec une facilité déconcertante.

Le géant opalin inclina légèrement la tête à son intention. Jh'eena semblait attendre sa décision ; ou peut-être attendait-elle de juger de la force de ses mots ? Il prit alors une longue inspiration et secoua la tête :

-Non. Ils se sont rendus coupables de crimes bien trop graves pour eux. Leur sort est entre les griffes des Esprits désormais. Qu’ils soient châtiés comme s’ils avaient massacré les nôtres.

Les guerriers autour de lui furent pris d’une vilaine stupéfaction. Très vite, il se dégagea une torpeur qui fit se taire les murmures les plus perçants. Devant les tentes et wigwams tomba un grand silence, à transpercer les tympans par son assourdissante présence. Ce ne fut pas la décision la plus populaire d’Asolraahn. Et si la plupart hochèrent la tête gravement, d’autres se permirent le luxe d’une méditative contestation. Le shikaaree le plus proche déglutit péniblement. Il leva sa lame et son hésitation l’abaissa.

Tout à coup, il se retourna pour scruter l’Aaleeshaan des Chasseurs de Smilodon, en quête d’un second assentiment.

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Le soleil n’éclairait pas encore la savane de ses rayons dorés que déjà la cité grouillait de cette vie post-nocturne. Retours de chasse, préparation d’étals, promenades à la fraîche...Les raisons d’arpenter les rues de la ville étaient légion, au même titre que ses habitants. Il y avait quelque chose de rassurant dans le fait de voir autant de vie au sein de nôtre peuple, meurtri par les calamités ayant touché l’archipel, de chimères en Couronnes, en passant par les velléités génocidaires des glabres. Si aisé soit-il de prétendre déceler chez moi une haine viscérale de cette population non-native de nos îles, ceux qui se penchaient sur la question avaient tôt fait de comprendre qu’il ne s’agissait-là que d’une façade, alimentée par une peine et un ressentiment profond à l’égard de ceux qui se faisaient appeler « pirates », mais qui n’avaient d’autre réelle étiquette que celle de meurtriers. A leur adresse seule se destinait mon ire.

Cependant, ce n’était pas leur intervention qui, ce jour-là, m’avait faite tirer de mon sommeil réparateur, loin s’en fallait, à mon grand désarroi. Neheb était entré en trombe dans ma demeure, lui qui d’ordinaire s’avérait être un Gräarh des plus mesurés et sages. En tendant l’oreille, j’aurais pu de mon lit entendre son coeur battre à tout rompre, mais sa voix acheva de me réveiller, alors que je me tenais déjà assise sur ma paillasse, commençant à enfiler mon armure. Lha’dii entra la première alors que je bandais ma poitrine pour enfiler mon plastron, oreilles légèrement rabattues, se mordant légèrement l’intérieur des joues. L’heure était grave pour que mes shikaare se conduisent de la sorte, et c’est en m’assistant dans mon habillement martial qu’elle m’informa d’une situation des moins plaisantes. Alors même que, à l’initiative du Lion Blanc, notre peuple se rapprochait peu à peu des Séléniens (glabres, certes, mais avec qui nous partagions un ennemi commun et mortel), voilà que deux de nos confrères n’avaient rien trouvé de mieux à faire que de déverser leur courroux par la voie des armes sur quatre humains venus commercer avec les nôtres. Une bien mauvaise augure pour une alliance naissante.

Si d’ordinaire, force était de reconnaître que je pouvais, au réveil, me montrer d’humeur massacrante, commencer la journée sur une note aussi sanglante et un potentiel incident diplomatique n’était certainement pas la meilleure façon de s’attirer ma sympathie, aussi, encadrée de ma troupe usuelle de shikaaree, c’est armure sur le dos et pertuisane en main, pareille à un sceptre, que je m’élançai en direction du comptoir, la rage au ventre. Bien sûr que ce genre d’accidents allait arriver ! Ce n’était pas faute d’avoir averti les deux greluches qui me servaient d’homologues au sein de notre hiérarchie, et pourtant, au motif que « la présence de gardes armés favorables à cette alliance pourrait décourager les potentiels pionniers de cette entente commerciale et rendre encore plus nombreux les Gräarhs s’y opposant », elles avaient décidé de limiter la surveillance à une simple brigade de voisinage. Politiquement parlant, il allait sans dire que pareille prise de position, combinée avec une tragédie comme celle qui accablait la cité avant même que le manteau noir d’encre qui recouvrait les cieux ne laisse place au flamboiement du matin naissant, était tout à mon avantage, mais ce n’était pas une raison suffisante pour laisser ces incapables gérer pareille crise. Bien au contraire. Que ce soit pour nôtre peuple, pour obtenir l’assertion de ses membres, ou pour apaiser les tensions qui allaient voir le jour dès lors que cette nouvelle aurait franchi les eaux, nécessaire était mon intervention.

Au seul claquement de la hampe de mon arme contre le sol, et au cliquetis caractéristique de l’armure qui recouvrait mon corps, sans même parler de la démarche synchronisée et ordonnée qu’adoptait mon cortège, pas un traînard ne se risquait à entraver notre progression dans les rues sombres et effervescentes de l’activité des artisans commençant leur journée. Mais à l’approche du comptoir, l’odeur métallique du sang versé vint chatouiller mes naseaux. L’ambiance était relativement différente. Au lieu de s’écarter en nous voyant arriver, Gräarhs comme glabres rasaient les murs avant même de nous avoir repérés, dans les premiers mètres, conscients de la gravité de ce qui venait de se tramer ; une fois passée l’entrée de la zone commerciale, cependant, les choses étaient différentes. Tous se massaient pour tenter d’observer le macabre spectacle, et il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que la foule devint impénétrable, couvrant de murmures curieux et de cris d’indignation le son de nôtre avancée. Djerzeb et Sheoggah s’avancèrent pour déblayer le passage, tandis que je glissai la pointe de ma lance entre les inconscients nous barrant la route, poussant de part et d’autres pour leur faire comprendre qu’il n’était pas dans leur intérêt de rester sur le chemin. J’apercevais déjà une silhouette bien connue de l’autre côté de l’amoncellement de Gräarhs, dont le long pelage d’albâtre rendait reconnaissable entre mille sur Néthéril. Notre Tribyoon était déjà sur place. Quand aux mous du bulbe qui m’en séparaient, un rugissement agressif suffit à les tirer de leur torpeur tandis que nous reprenions nôtre marche, et tant pis pour celui qui s’interposerait. Cependant, aucun ne s’y risqua.

D’un côté, le carnage récent formait un amas sinueux de membres et de tripes, comme autant de serpents pendants entre les branches d’os et de chair d’un arbre abattu à sève vermeille. Les murs et tentures environnants portaient aussi bien les traces de la lutte – que dis-je ? « lutte » impliquerait que les deux camps aient une chance – qui avait coûté la vie à nos invités.  De l’autre, où les cris révoltés se changeaient en murmures horrifiés, deux légionnaires agenouillés fixaient le pavé et leurs armes posées sur ce dernier, d’où coulaient encore les dernières gouttes du liquide qui, il y a quelques minutes à peine, parcourait encore les veines des quatre victimes. Mon regard se posa sur le Tribyoon. Droit et fier, comme à son habitude, son port altier et sa large stature suffisaient à imposer le respect aux badauds comme aux coupables qui auraient sans aucun doute préféré avoir affaire aux deux autres Aaleeshan plutôt qu’à Asolraahn et moi-même. L’air grave, son salut fut aussi sobre que concerné. Je le lui rendis de la même manière. Puisqu’il était sur les lieux avant moi, peut-être en savait-il un peu plus. Il était de bon ton de le laisser prendre la décision finale.

-Que fait-on d’eux ? Sont-ils Ashuuds ?, s’enquit un Nayak aux côtés du géant d’ivoire.

Si seulement leur retirer leur honneur suffisait. C’était une coutume que les Glabres ne sauraient comprendre aussi sérieusement que les nôtres. Non, un simple bannissement n’était pas suffisant, bien loin s’en fallait. Inutile de vocaliser mon constat, cela dit : Si nous ne partagions pas toujours nos idéaux, il serait idiot d’ignorer la valeur du Tribyoon, son sens de la justice, et encore plus sa connaissance des autres peuples. Ce que je pouvais penser sur la question, il l’avait déjà envisagé avant même que la question ne lui soit posé. Avec un grondement léger, inaudible depuis la position du juge et des coupables, plus par réflexe furieux que par besoin de signifier quelque chose, je ramenai sur mon épaule mon arme de prédilection avant que le verdict n’en soit rendu.

-Non. Ils se sont rendus coupables de crimes bien trop graves pour eux. Leur sort est entre les griffes des Esprits désormais. Qu’ils soient châtiés comme s’ils avaient massacré les nôtres.

La foule se divisa sur cette décision. C’était à prévoir, et je ne doutai pas un instant que, ça aussi, Asolraahn l’avait anticipé. Mais il fallait prendre une décision, ferme et forte. Un long chemin restait à parcourir pour consolider l’embryon d’alliance qui voyait le jour depuis la réunion entre les nôtres et l’empereur. Si certains approuvaient et d’autres se taisaient, une tierce attitude, aussi chauvine qu’hostile, s’installa entre les chuchotements soutenant la décision du géant opalin. Baissant les yeux vers les condamnés, je me contentai de faire taire un contestataire, un bon mètre à ma droite, en amenant sous sa gorge, d’une main, la triple pointe de mon arme, alors que le shikaaree se préparant à exécuter la sentence, pris d’un instant d’hésitation, préféra, comme le Tribyoon, observer ma réaction avant de faire son devoir alors que le silence s’abattait sur les lieux. Pas un oiseau n’osa quitter son perchoir pour le briser. Pas un souffle plus fort qu’un autre ne s’éleva de la cohue. D’un geste sec, je ramenai ma pertuisane contre mon plastron, m’appuyant sur sa hampe pour amorcer un pas. Ma main traînante signifia à mes chasseurs de patienter alors que je rejoignais Asolraahn auprès des meurtriers, laissant le silence faire place au bruit métallique de mon déplacement.

Ces morts ne sont-ils pas nos morts ?, lançai-je à la foule en me tenant à côté du bourreau hésitant. Aucune patte ne se leva. Aucune voix ne se fit entendre, personne ne souhaitant se risquer à briser un silence instauré par deux des Gräarhs les plus importants de cette île. Morts sur nôtre île. Dans nôtre cité. Tués par nos frères. Et pour quoi ? Tueriez-vous un des nôtres parce qu’un fauve des savanes vous a blessé lors d’une chasse ?.. A nouveau, seul le bruit d’une brise légère dans les tentures environnantes vint répondre à mes mots. Je le laissai déblatérer quelques instants en parcourant la foule du regard, me dirigeant vers un petit groupe, non loin de mes shikaaree, qui s’était risqué à murmurer leur désaccord avec la décision du Tribyoon, plantant mon regard dans celui du plus grand du groupe. Les Pirates ont massacré nos frères à Athgalan. J’y étais, comme certains d’entre vous, sans doute. Et leurs rangs étaient composés d’humains comme de vampires, comme de certains des nôtres. Doit-on pour autant s’entre-tuer ? En tenir rigueur à l’entièreté de la race humaine ?...Non. Ces humains sont venus vivre ici en sachant que nombre des leurs ont meurtri notre légion, pour montrer qu’ils étaient différents. Ils sont venus vivre en amis. rétorquai-je, les crocs serrés, au contestataire, faisant claquer la hampe de ma pertuisane contre le sol avant de m’adresser de nouveau à la foule, mon bras gauche balayant l’air pour englober l’ensemble des badauds : Qui parmi vous a si peu d’honneur qu’il ne vengerait pas la mort d’un ami ?...Pas moi.

D’un geste vif, je ramenai ma main gauche, qui se referma sur le corps de mon arme dont la pointe se planta dans la gorge du premier meurtrier comme s’il s’était agi d’un fétu de paille, venant chercher la jonction entre deux cervicales. Le sang gicla sur le pavé et sur mes jambières. Un peu plus d’hémoglobine répandue dans l’obscurité de cette matinée macabre ne changerait plus rien aux augures. D’une rotation de poignet, celle-ci disloqua ses vertèbres alors qu’il s’effondrait dans un gargouillis macabre. La pointe écarlate ressortit  de son cou aussi facilement qu’elle y était entrée pour se poser sur la glotte de son comparse.

- Comme vous tous, comme vous toutes, je brûle d’envie de renvoyer les rats sur leur navire et de les couler au large pour que plus jamais leurs pieds ne foulent le sol de nôtre île. Pour que plus jamais nous ne connaissions pareil affront que leur venue. Pour que plus jamais autant d’entre nous n’aient à pleurer leurs morts. Et cet objectif ne sera réalisable que si nous ne nous sommes pas attirés les foudres des autres factions avec lesquelles nous devons désormais cohabiter. Voyez le sort qui attend ceux qui voudront saboter nos efforts pour faire de nôtre Légion une pièce majeure sur l’échiquier qu’est devenu nôtre archipel.

A nouveau s’abattit l’acier vengeur, cette fois venant perforer violemment le rein droit du survivant, le laissant feuler de douleur. Mon pied vint lui écraser la gorge, l’amenant au sol sur le dos avec violence. Je mettais un point d’honneur à rester fidèle a la réputation que j’avais su me tailler jusqu’à lors. Ce n’était pas la première fois qu’une exécution m’était confiée – quand bien même je m’étais quelque peu auto-attitrée celle-ci, face à l’hésitation du shikaaree accompagnant Asolraahn –. Il convenait de faire un exemple de ceux-ci, autant que l’exemple marque les esprits tandis qu’il se tordait de douleur, peinant à prendre son souffle. S’il avait pu parler, sans doute aurait-il rapidement fini par demander que j’abrège ses souffrances...Et c’est avec une certaine magnanimité, s’il était possible de qualifier le geste de pareil adjectif, que je forçai la voie à la pointe centrale de ma pertuisane entre ses côtes, lentement, jusqu’à atteindre son coeur. Il cessa de s’agiter en quelques instants, son regard vitreux tout aussi suppliant que celui de ses victimes, deux rues plus loin. Mes chasseurs s’avancèrent pour récupérer les cadavres et les lames.

Ne soyez pas aussi bêtes qu'eux, que vous soyez Gräarh ou humain. La même sentence sera appliquée à tout meurtre inter-especes. Bien! Le spectacle est terminé, retournez à vos travaux. Djerzeb, tu veux bien t’occuper des corps humains ? Ramenez les macchabées chez moi, nous avons encore du travail. le puma opina tandis que je me dirigeais vers Asolraahn en lui tendant l’avant-bras en un salut plus cérémonieux qu’une simple inclinaison de nuque. Je ne m’attendais pas à vous voir, Tribyoon. J’espère que vous ne m’en voulez pas pour l’initiative, nos gens ont l’habitude que je sur-réagisse, il vaut mieux que j’en prenne le blâme plutôt que vous. , me justifiai-je du spectacle précédent avec un léger ricanement. Il faut dire que c’était cette attitude qui me valait en partie le soutien d’une partie de nôtre peuple, avide de sang depuis Athgalan. Enfin. Outre cet incident matinal, quelles sont les nouvelles ? Voilà quelques lunes que nous ne nous étions pas vus.                                                                                        

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Si le mouvement contestataire fit grand bruit devant le comptoir sélénien, cela ne rendit pas Asolraahn moins opiniâtre qu’à l’accoutumée. Il y avait parfois de ces décisions qui ne se rangeaient pas dans le même moule que les autres. Le géant opalin aimait la légion, il la servait et cela impliquait de lui sacrifier certains luxes tels que l’approbation de tous. Mais il ne fallait pas s’y tromper. C’était parce que la cité des wigwams était portée par ses pairs et lui que les Garal pouvaient se permettre une moralité sans égard.

Toutefois, Asolraahn appréciait que son autorité ne soit pas discutée lorsqu’une affaire pareille survenait. Ce que fit le shikaaree en se tournant vers l’Aaleeshaan fut pour lui une insulte plus abject que le massacre des humains. Par ce simple geste, il venait de désavouer la mesure de ses paroles et d’émettre un doute sur la sagesse de sa décision. Peut-être avait-il eu peur qu’en satisfaisant sa volonté, il ne s’attire les foudres de Jh’eena. C’était une possibilité. Cela ne rendait son geste pas moins insultant. Le géant opalin lutta pour ne pas défier le jeune impertinent en duel. Les circonstances seules l’empêchèrent d’aller aussi loin.

Voyant qu’elle avait dévié toute l’attention du rassemblement, le pelage de Jh’eena prit enfin vie. Elle pénétra dans le cercle et se faisant, couvrit de son pas les braises du silence imposé. Elle marchait lentement, comme la mort prête à sévir, non pas avec une charge tumultueuse mais par le délicat truchement de son souffle. Asolraahn devait admettre qu’elle avait de la prestance : c’était une cheffe-née. Lorsqu’elle parla, sa voix entailla les murs, picora leurs oreilles comme le bec d’un aigle. Bien peu pouvait prétendre avoir une telle aura. A vrai dire et de l’avis de beaucoup, elle était la seule. Les Garals écoutèrent avec gravité. On hochait la tête avec assentiment par-ci, murmurait par-là. Mais cette fois, il n’y avait pas de désaccord dans leurs yeux. Sa voix était porteuse d’espoir, d’une amitié longue et fraternelle avec les habitants du Nord. Elle parlait de paix et d’alliance, d’un idéal qui ne serait pas le fruit d’une volonté extérieure, mais bien le grand projet pour lequel tous ici luttaient. Mais les mots n’avaient aucune importance. Il était évident que chacun des Graärh ici présent la révérait et donnerait sa vie pour suivre le moindre de ses ordres.
Asolraahn détestait cela. Une loyauté indéfectible ne devait jamais signifier un dévouement aveugle.

Tout à coup, la pertuisane de l’Aaleeshaan se leva. L’un des condamnés reçut son châtiment. Le sang jaillit et trouva un chemin jusqu’au pelage blanc d’Asolraahn. Le corps s’effondra dans un bruit sourd, en soulevant un nuage de poussière autour de lui. Puis ce fut au tour du deuxième. Celui-ci mit plus de temps à rendre l’âme. Jh’eena lui accorda cette faveur de mauvaise grâce. Puis elle ordonna à la foule de retourner à ses occupations. Les Garal s’exécutèrent en silence. Les quelques humains encore présents restaient en revanche aussi immobiles que des glaçons. Pour eux, les nuits prochaines seraient longues. Quant au géant opalin, il lorgna de nouveau le jeune légionnaire désobéissant et ne lui ôta son attention que lorsque celle de Jh’eena se posa sur lui :

-Je ne m’attendais pas à vous voir, Tribyoon. J’espère que vous ne m’en voulez pas pour l’initiative, nos gens ont l’habitude que je sur-réagisse, il vaut mieux que j’en prenne le blâme plutôt que vous.

Asolraahn maugréa dans ses moustaches. Ses yeux d’un bleu turquoise la fixèrent avec amertume :

-Nous le portons tous. Et je n’en ai aucune honte. Il était nécessaire de rappeler à qui aime la chair des sans-poils que nous ne sommes pas ici sur un terrain de chasse. (Il fit une sombre grimace) Quelle folie. Ce lieu me rend las.

Non loin d’eux, les Chasseurs de Smilodons retiraient les corps des assassins, ainsi que ceux de leur victime. La plaie béante de l’un des condamnés suintait encore d’un lacis rouge et poisseux. Voilà en vérité une démonstration de brutalité dont le géant opalin se serait bien passé, de l’acte jusqu’à sa mise en scène. A l’avenir, il faudrait fortifier cette place avec un peu plus de moyens. Le manque de gardes à lui seul était une invitation à ce genre de tueries :

-Vous n’auriez pas dû leur accorder un tel spectacle, lui reprocha-t-il en montrant leur peuple d’un geste de la tête. Ils ont trouvé ici une haine meurtrière, et la vôtre, ils la garderont à l’esprit. Certains s’en serviront un jour en pensant que c’était juste. Mais c’est bien que les humains l’aient vu. Le sang appelle le sang, et cette dette est maintenant réglée.

Il lâcha ces derniers mots en grinçant des crocs. Il lui était difficile d’admettre le bénéfice des exactions de Jh’eena. Il respectait la Graärh pour son autorité, pour son amour de la légion même lorsqu’il s’élevait plus haut que sa raison. Il avait moins d’approbations pour la façon dont elle portait leur peuple. Certes le combat, la chasse et le conflit étaient des dogmes qui avaient accompagné Vat’Aan’Ruda tout au long de son existence. Les pirates n’y avaient rien arrangé. Sous leurs raids, des villages entiers avaient été chassés comme du bétail, affaiblissant la légion, rongeant ses propres défenses. C’était les étrangers de l’archipel qui étaient responsables de ce massacre ; des bipèdes sans poils, des humains pour la plupart, surgissant de navires noirs pour poser le pied sur l’archipel et les anéantir. Même la nouvelle cité des wigwams avait été bâti dans le sang des pirates et le leur. Pas plus loin que derrière ces murs, le dragon rouge et les Graärh avaient livré une terrible bataille pour leur survie. Mais la victoire ne les avait pas sauvés à tout jamais de la ruine. Il était maintenant temps de reconstruire, de trouver dans ce nouveau monde une voie par laquelle l’abîme ne les prendrait pas.
Asolraahn ne pensait pas que la haine et l’étalage de ce genre d’exécution apaiserait les consciences des siens. Tout juste permettrait-elle de prémunir leurs visiteurs d’une fin misérable au sein de la légion.  

La question de Jh’eena l’interrompit dans ses pensées :

-Cela fait bien longtemps, en effet. Le voyage à Khokhattaan fut long et éprouvant. Les sans-poils sont un peuple étrange. Leur monde est fait de secrets et de choses immatérielles. Ce qu’ils disent reflètent rarement leurs pensées réelles. Toutefois ils ont à cœur de régler les querelles et les méfiances qui se jouaient autrefois entre la légion et eux. Leur empereur, Claudius de Havremont, est un homme intelligent. Il sait de quoi est fait le ciment de notre culture. Il sait quand lever le bras armé et quand le baisser. Et il hait les pirates au moins autant que nous.

Il égara la pointe de son bâton sur le manteau de sable :

-Verith krodh ka avait raison sur un point, ajouta-t-il. Ils sont très différents de nous. Mais je crois en cette alliance et en ses bénéfices. Notre archipel change. Elle est frappée par bon nombre de tempêtes et certaines ne proviennent pas toutes d’un vent capricieux. Il nous faudra être prêt à les accueillir.

En observant les derniers cadavres partir, Asolraahn plissa les yeux, intrigué :

-Où emmènent-ils les corps ?

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-Vous n’auriez pas dû leur accorder un tel spectacle. Ils ont trouvé ici une haine meurtrière, et la vôtre, ils la garderont à l’esprit. Certains s’en serviront un jour en pensant que c’était juste. Mais c’est bien que les humains l’aient vu. Le sang appelle le sang, et cette dette est maintenant réglée.

- Je n'ai fait que dissiper les doutes et appliquer la juste sanction que vous avez initié. Il fallait du spectacle. Il fallait du sang, de la douleur, et une promesse d'avenir, c'est ainsi que la Legion progresse depuis Atgahlaan...et même avant.

- Cela fait bien longtemps, en effet. Le voyage à Khokhattaan fut long et éprouvant. Les sans-poils sont un peuple étrange. Leur monde est fait de secrets et de choses immatérielles. Ce qu’ils disent reflètent rarement leurs pensées réelles. Toutefois ils ont à cœur de régler les querelles et les méfiances qui se jouaient autrefois entre la légion et eux. Leur empereur, Claudius de Havremont, est un homme intelligent. Il sait de quoi est fait le ciment de notre culture. Il sait quand lever le bras armé et quand le baisser. Et il hait les pirates au moins autant que nous.

- Je me souviens de lui, oui..., répondis-je au géant blanc en me remémorant les négociations avec l'Empereur. Je n'étais pas encore Aaleeshan, à l'époque, accompagnant simplement les dignitaires pour les protéger de possibles dangers. Il fallait reconnaître a cet humain une certaine ferveur, et, si mon instinct ne me trompait pas, qu'Asolraahn avait raison quand a ses velléités d'entente vis à vis de notre légion... Avant de soupirer, puis de reprendre : je rédigerais une missive a son attention, concernant ce carnage inutile.

L'opalin, une fois de plus, démontrait ce flegme bouillonnant qui lui était propre, cette froideur qui forçait nombre d'entre nous a baisser la tête en s'adressant à lui, et cette amour ardent envers la Légion, parfait mélange entre ses origines et son être actuel, entre Nin-Tiamat et Netheril. C'était une force de la nature, et un Gräarh des plus intelligents et intéressants qu'il m'ait été donné de rencontrer, cela dit, nous n'avions pas la même vision de la légion et de son avenir en toute chose. En un sens, nos aspirations et notre façon de penser pouvaient être perçues comme complémentaires : nous étions tous deux progressistes, chacun a notre manière, et, dans le même temps, il prônait la liberté et le calme là où je brandissais la bannière du contrôle et de la passion.  Notre peuple avait trop souffert pour être libre sans être décadent...et dans le même temps, nous ne savions même pas ce qu'avaient vécu nos arriere-grands parents -pour ceux, tout du moins, qui n'en avaient plus de vivants-. Comment aller de l'avant sans savoir d'où l'on vient? À nouveaux, nos idéaux s'éloignaient : tourner son regard vers l'avenir en laissant derrière nous tout ce qui s'y trouvait ou déterrer le passé pour mieux construire le futur? J'entendais que les deux visions puissent cohabiter, et faire écho en chacun d'entre nous...mais mon avis sur la question était bien arrêté. Pour connaître un nouvel âge d'or, comprendre le pourquoi et le comment de la création de l'ancien n'était pas optionnel. Un arbre sans racines tombe a la première bourrasque. Un baobab dans la savane survit à une charge de smilodon...mais alors que je me perdais un instant dans ces considérations, soutenant toujours le regard du lion blanc, sa voix m'extirpa de mes pensées pour me ramener au coeur de la cité des wigwams, mes pattes arrières engluées du sang poisseux des châtiés.

-Verith krodh ka avait raison sur un point, ajouta-t-il, Ils sont très différents de nous. Mais je crois en cette alliance et en ses bénéfices. Notre archipel change. Elle est frappée par bon nombre de tempêtes et certaines ne proviennent pas toutes d’un vent capricieux. Il nous faudra être prêt à les accueillir.

- Je ne doute pas un instant de sa sagesse et de sa clairvoyance, ni de la vôtre, mais je crains qu'en l'état actuel des choses, nous soyons très loin du compte en termes de préparation.

Une légère grimace plus tard, je relancai d'un geste l'ordre a mes compagnons : débarasser les corps et nettoyer ce qui pouvait l'être. Non, pareil carnage ne saurait être oublié par un simple astiquage de murs et de sols. Il était cependant nécessaire que la vie se poursuive dans ce quartier fourmillant de la cité des wigwams. Si les nôtres étaient en mesure de ne pas se formaliser outre mesure des conséquences d'un jugement aussi expéditif que juste, je n'étais pas certaine que laisser là leur corps était la meilleure solution pour apaiser les tensions a venir. Ce n'était pas la faute des humains, de ce que nous en savions, de fait, l'objectif premier de ce débarassage de plancher était d'éviter que voir les dépouilles encore chaudes ne donne de mauvaises idées a certains sans-poils. Des mesures étaient à prendre dans cette cité. Rapidement, et radicalement. La sécurité devait être renforcée, surtout aux abords du comptoir de commerce. L'éducation de nos cadets devait être considérée comme une priorité. La fortification de la cité des wigwams également, par ailleurs, si nous ne voulions pas subir a nouveau les raids pirates...je grognait a cette idée tandis que l'attention du Trybyoon était captée par le débarassage des carcasses, le poussant à s'interroger -et, par extension, a m'interroger- sur la question.



-Où emmènent-ils les corps ?

- Pour les glabres, au rafistolage en vue d'une cérémonie funéraire digne de ce nom par les leurs. Pour leurs assassins...je me voyais mal laisser deux Macchabées moisir au soleil. J'imagine qu'une paire de têtes faisandées ne sera pas du goût de l'empereur en guise d'excuses...mais d'un smilodon, peut-être ? m'interrogeai-je faussement en soulignant d'un sourire carnassier ma ferme intention de faire disparaitre leurs restes avec le respect du a leur égard (à savoir : aucun). Si vous avez une autre idée, je vous laisse cette corvée avec plaisir! Venez donc poursuivre cette conversation dans ma demeure, si l'envie vous en prend, nous serons mieux au calme autour d'un narguilé.

Tendant la main dans la direction de la maison que je partageais avec certains de mes Shikaaree, ceux-ci s'écartèrent du passage pour former une haie d'honneur, courte mais ordonnée. Si la bâtisse était de taille respectable, c'était puisque nous y vivions a huit, chacun ayant ses espaces privés. L'endroit n'avait rien d'un palace, sans pour autant être un taudis : moi-même, Djerzeb, Lha'Dii et les autres avions un mode de vie spartiate, même pour des graarhs. Les ornements inutiles, décorations sans intérêt et meubles non fonctionnels n'avaient pas leur place dans notre lieu de vie. Au contraire, nous favorisions l'ordre et  la sobriété, dusse cette dernière qualité ne pas faire partie du personnage que je m'efforcai de montrer face à nos concitoyens, désireux d'un idéal resplendissant. Des lits simples mais solides dans des chambres propres et ordonnées, des espaces de vie commune confortables et épurés, deux bureaux, l'un faisant face à un placard mural fermé par deux battants en croisillons de bois, où je m'efforçai de ranger méthodiquement mes notes et carnets, l'autre, équipé du même rangement (bien moins encombre, cela dit), était attitré a la rédaction de nos rares correspondances épistolaires...quand à la petite cour commune, ombragée par une toile de lin blanc que nous repliions lors des rares jours de pluie, celle-ci abritait un kiosque de grès sous lequel plusieurs grands coussins de coton aux motifs geometriques destinés à l'assise encadraient une table du même minerai que l'habitacle, sur laquelle nous posions boissons et narguilés lorsque nous trouvions le temps de nous prélasser. Enfin, au sous-sol, le fumoir, le stockage des objets non-necessaires et de l'alimentation conservable, une cuisine, des bains et sanitaires ainsi qu'une salle dédiée à l'entraînement physique, éclairée par des lampes à huile et des lucarnes donnant respectivement sur la rue et la cour complétaient le nécessaire a vivre de notre Domus.

- Si vous n'êtes pas fumeur, Trybyoon, nous ne manquons pas de raffraichissements et collations a partager. Un moment de calme et de restauration ne fera de mal à personne pour égayer une journée entamée sous de pareilles augures!

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L’invitation de Jh’eena résonna comme un appel salutaire à ses oreilles. Asolraahn ne réalisa qu’après un moment pourquoi. Le seul fait d’y penser lui fit prendre conscience de la lassitude qui était la sienne. Les semaines en mer, les évènements à Cordont la Chue, les complots et les meurtres typiques des sans-poils avaient sapé une partie de son énergie. Au voyage de retour, une réflexion l’avait enjoint à comparer les deux mondes qu’il avait côtoyé ces derniers temps. Il avait cru pouvoir affirmer sans crainte que la légion Vat’Aan’Ruda, pour implacable qu’elle soit, était différente. Ce soir, plusieurs cadavres et du sang sur le sable, au sein même de leurs murs, versé par les pattes de ses Garal lui avait prouvé le contraire. Et il aurait beau se convaincre qu’il existait au moins des Graärh comme Jh’eena qui feraient justice, force était de constater qu’ils n’étaient pas exemptés de ce défaut.

-Bien, répondit le géant opalin. Je ne prétendrai pas avoir de la sollicitude pour des meurtriers. Que leur dépouille disparaisse et nous ne nous en porterons que mieux. Quant à l’empereur, nul besoin de lui faire cadeau d’un autre corps. Nos usages pour les morts sont élégants et devront lui suffire.

Il acquiesça alors seulement à la proposition bienvenue de Jh’eena :

-Je ne suis pas contre de reposer mes guêtres un moment. Allons-y !

Elle le précéda tandis que sa troupe de shikaaree formait une longue haie d’honneur, rangée et apprêtée, les pattes caressant le fourreau des armes. Puis ils les encadrèrent durant leur marche, non sans que chacun s’éloigne à une distance respectable. S’ils vouaient une fidélité aveugle à l’Aaleeshaan, ils avaient également toute confiance en Asolraahn. D’autre part, se méfier de sa présence si proche de leur cheffe aurait été peu avisé, car le géant opalin l’aurait pris comme une insulte. Formèrent une haie d’honneur avant de les encercler.

Asolraahn et Jh’eena s’éloignèrent de la place ensanglantée et plongèrent dans les ombres filandreuses du camp. La lueur des braseros semblait glisser sournoisement derrière eux, comme s’ils allaient au devant d’un interminable labyrinthe tissé de charmes obscurs. Ils dépassèrent les casernes toujours en effervescence, traversèrent les sobres wigwams des Guépards Célestes, puis gagnèrent une petite colline sur laquelle se dressait la demeure de l’Aaleeshaan. Elle ne ressemblait pas à un bâtiment fait de brique et de pierre, comme Asolraahn avait pu en voir dans l’Empire Sélénien. La maison se tenait à l’air libre, sous le duvet du ciel et le regard des Esprits. Le géant opalin laissa son regard vaquer quelques instants. Une torche grésillait et crachait des gouttes de braise dans la petite obscurité qui précédait l’aube. Sur cette colline de sable illuminé d’or, ils avaient un point d’observation parfait sur les grandes places de la cité des wigwams et ses environs : La chambre du conseil tribal principalement se détachait aisément dans l’horizon ; une dizaine de wigwams au toit relevé bâtissait un rempart à la forme circulaire que nul n’avait le droit de franchir. Plus loin encore, le comptoir de la délégation sélénienne était visible entre les huttes des Garal.

« On aurait dû faire le toit plus bas » observa-t-il pour lui-même.

Il suivit enfin Jh’eena dans sa demeure. Une fois passé son seuil, la maison paraissait beaucoup plus étroite que de l’extérieur. C’était du moins l’avis d’Asolraahn. Les loges y poussaient comme du chèvrefeuille sous un chêne, avec un lit quelques menus outils pour simples décorations. La cour commune qui les reliait était nichée ce berceau étriqué. Le géant opalin y trouva là un charme tout naturel. Sans être un palais, il s’agissait d’une bâtisse aérée et aimable dont les résidents, tous guerriers, n’avaient pas eu la gourmandise d’embellir sous des montagnes d’ornementations. Le temps qu’il s’habitue à la pénombre et à cet environnement sévère, un milieu bien ordinaire chez les gens du clan, l’Aaleeshaan l’invita à s’installer :

-J’accepte le calme dès qu’on me l’offre, fit Asolraahn avec amusement. Je ne serais pas contre non plus d’ôter cet incident de mon esprit.

Il s’installa en tailleur sur un lourd tapis de sol à la fresque aussi belle que vivante, décrivant l’ardeur d’une chasse entre une troupe de Graärh et un Kirin, créature de légende. Comprenant qu’on lui donnait toute liberté pour se désaltérer, Asolraahn prit une théière sur une table basse. Il sentit à la chaleur qu’elle dégageait que d’autres étaient venus ici avant eux. Charmante attention, de l’eau encore brûlante dégageait une vapeur douce qui remonta jusqu’à sa truffe. Il se servit dans un gobelet, tout en admirant le grand wigwam :

-Le Tribyoon que je suis te remercie de ton invitation. Comme à l’accoutumée, la qualité de ton hospitalité fait honneur à ton clan. (D’une griffe ébène, il fit un tour de la demeure) Je constate par la même occasion que l’arrivée des Guépards célestes au sein de la légion s’est plutôt bien passé. C’est une bonne chose. Que les Garal se sentent à l’abri en ces murs me réjouit, car la légion a été éprouvé ces derniers temps. Mais la sureté de nos visiteurs doit aussi quérir notre attention. En dépit de certaines mésaventures sur Khokhattaan, l’accueil des séléniens était digne de nos propres cérémonies. Il serait bon pour apaiser les esprits que la sécurité de cette cité devienne une priorité.

Il porta le thé à ses babines et but lentement. Lorsqu’il reposa le gobelet, il toisa l’Aaleeshaan d’un regard perçant. Quelque chose dans le profil du géant lui donnait soudain un tempérament sombre et tendu :

-Je regrette ce qui est arrivé aujourd’hui. Non pas parce que je m’y attendais, mais parce que nous aurions pu l’éviter. Les Garal sont un peuple béni par les Esprits et courageux. Mais ils ne peuvent se laisser guider par de tels instincts, surtout pas en ce moment. C’est pourtant ce que nous avons laissé faire. Tu l’as ressenti, non ? Cette tension qui rôde dans la cité, comme le crépitement d’une foudre couverte par la pluie. Ces derniers temps, je constate que si notre alliance avec Khokhattaan n’en est qu’à ses débuts, certaines de nos vieilles velléités ancrées dans la légion remontent déjà à la surface.

Il balaya le sable d’un lent revers de la patte, une expression sévère jusque dans les moustaches :

-Nous ne pouvons laisser le passé réduire à néant nos efforts. Certains Graärh ont peur de l’avenir, c’est évident. Ils se drapent dans une méfiance qui touchent tout ce qui ne porte pas de pelages. Ils restent ancrés dans des traditions, à la recherche de notre passé. Evidemment, il est des choses qui exacerbent cette opiniâtreté. J’en appelle aux Couronnes des cendres qui par leur pouvoir doivent en inspirer certains : Si eux ont pu trouver une telle puissance, peut-être notre espèce avait-elle pareille heure de gloire à une époque ?

Le géant opalin eut un soupir hélas, dans lequel on retrouvait les prémisses d’un ton teinté de regret :

-Mais tout ceci est dangereux. Jamais aucun Graärh n’a eu de temps pour ce qui fut. Nous ne vivons plus comme nos ancêtres, seuls au milieu d’un archipel. J’ai vu le résultat d’un tel entêtement en Vat’Em’Medonis. Sur Paadshaïl, la légion refuse toute entrée et tout contact avec les autres peuples. Les vampires de Cendre-Terre voient ce renferment comme un signe de faiblesse. Ils sont seuls, désarmés face à ce monde qui grandit et change trop vite. Quand je me trouvais chez les Elusis, on parlait déjà de rouvrir d’anciennes querelles, afin qu’ils s’étendent plus loin dans l’île. Coupée du reste du monde, je crains pour le destin de Vat’Em’Medonis. Nous ne pouvons nous permettre de faire de même. La méfiance, si elle est saine, ne doit pas nous réduire à ce que nous fûmes autrefois. Cela signerait à coup sûr notre déclin à tous…

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Asolraahn ayant accepté ma proposition, nous empruntâmes le chemin de la demeure que je partageais avec mes shikaree les plus proches, qui nous encadraient à distance respectable. Djerzeb se chargea d'ouvrir la porte, nous laissant passer en premiers. Je ne m'attardai pas sur les pièces annexes, préférant amener nôtre Trybyoon jusqu'à la cour intérieure, où nous nous installâmes sur les tapis et coussins présents. Le Lion Blanc se servit une tasse de thé, avant que je ne l'imite, préférant au gobelet métallique qu'il avait choisi une tasse de grès rouge. L'odeur florale du jasmin se répandit alors que nous nous servions, et, en toute bonne hôte, je bus avant l'invité pour prouver que le breuvage ne comporte aucun risque. Le thé était léger, désaltérant, et proposait une texture légèrement huileuse qui permettait aux arômes de perdurer contre le palais, se terminant sur des notes rondes et beurrées rappelant la noisette de la fin d'été.

Sous peu, un narguilé fut déposé sur la table basse en pierre, et préparé par les soins de Djerzeb. Il faisait partie des rares objets luxueux présents en cette demeure : le verre qui composait le réservoir avait été confectionné en verre bleuté, reposant sur un socle de palissandre et d'argent. La cheminée, quant à elle, était sculptée dans un argent fin et entretenu avec soin. Les gravures fines qui le décoraient rappelaient les rayures ornant le dos d'un smilodon, et de certains de nos confrères, se terminant en feuilles d'acanthe qui soutenaient le foyer et la chambre de combustion, qu'un métal plus résistant, bleuté à la flamme, composait. Les deux embouchures nous furent tendues, au bout de tuyaux gainés de cuir de boeuf se déclinant en trois teintes différentes pour poursuivre le motif de la cheminée, récemment nourri d'un enduit à base cire d'abeille; celles-ci se finissaient en gueules de tigre dont dépassaient légèrement deux fins tubes métalliques permettant à nos babines de les maintenir et d'en aspirer la douce fumée. L'odeur douce du kief, dont le charbon extrayait l'épaisse fumée apaisante, vint caresser mes narines. Le partager avec Asolraahn était un plaisir et un honneur dont je ne me cachais pas.

- Le Tribyoon que je suis te remercie de ton invitation. Comme à l’accoutumée, la qualité de ton hospitalité fait honneur à ton clan.

- C'est un juste accueil pour un Tribyoon, Asolraahn. Et un minimum pour accueillir un ami., répondis-je, amusée, avant de glisser entre mes lèvres l'embouchure du narguilé pour en tirer une longue bouffée. La fumée légèrement âcre vint caresser ma gorge. Le bruit apaisant des bulles d'eau éclatant pour raffraichir le blanc panache s'apaisa peu à peu, laissant place aux mots du géant opalin. J'expirai doucement par le nez deux lentes cascade vaporeuses que le vent dispersa bien vite, et, pendant qu'il parlait, je sentais mes muscles se relâcher et mon esprit s'apaiser. Voilà exactement ce dont j'avais besoin en cet instant : de l'apaisement. Et du thé au jasmin. J'en repris d'ailleurs une gorgée.

- Je constate par la même occasion que l’arrivée des Chasseurs de Smilodons au sein de la légion s’est plutôt bien passé. C’est une bonne chose. Que les Garal se sentent à l’abri en ces murs me réjouit, car la légion a été éprouvée ces derniers temps. Mais la sureté de nos visiteurs doit aussi quérir notre attention. En dépit de certaines mésaventures sur Khokhattaan, l’accueil des séléniens était digne de nos propres cérémonies. Il serait bon pour apaiser les esprits que la sécurité de cette cité devienne une priorité.

- Ce n'est pas faute d'avoir déjà évoqué ce point à de nombreuses reprises au Conseil. Je te rejoins entièrement quant à la nécessite de sécuriser la cité des Wigwams. Mais cela demandera des aménagements, qu'ils soient matériaux ou sociaux...

-Je regrette ce qui est arrivé aujourd’hui. Non pas parce que je m’y attendais, mais parce que nous aurions pu l’éviter. Les Garal sont un peuple béni par les Esprits et courageux. Mais ils ne peuvent se laisser guider par de tels instincts, surtout pas en ce moment. C’est pourtant ce que nous avons laissé faire. Tu l’as ressenti, non ? Cette tension qui rôde dans la cité, comme le crépitement d’une foudre couverte par la pluie. Ces derniers temps, je constate que si notre alliance avec Khokhattaan n’en est qu’à ses débuts, certaines de nos vieilles velléités ancrées dans la légion remontent déjà à la surface. Nous ne pouvons laisser le passé réduire à néant nos efforts. Certains Graärh ont peur de l’avenir, c’est évident. Ils se drapent dans une méfiance qui touchent tout ce qui ne porte pas de pelages. Ils restent ancrés dans des traditions, à la recherche de notre passé. Evidemment, il est des choses qui exacerbent cette opiniâtreté. J’en appelle aux Couronnes des cendres qui par leur pouvoir doivent en inspirer certains : Si eux ont pu trouver une telle puissance, peut-être notre espèce avait-elle pareille heure de gloire à une époque ? J'écoutai calmement ce qu'il avait à dire, notant dans un coin de ma tête toutes les réponses que j'avais à apporter à ses questions et à ses affirmations. Je m'apprêtai même à commencer une réponse lorsqu'il compléta son propos, plus grave, plus tendu. A nouveau, je tirai sur le narguilé, fermant les yeux un instant pour profiter de la vague relaxante qui s'étendit dans tout mon corps, les rouvrant en même temps que les babines du géant blanc.Mais tout ceci est dangereux. Jamais aucun Graärh n’a eu de temps pour ce qui fut. Nous ne vivons plus comme nos ancêtres, seuls au milieu d’un archipel. J’ai vu le résultat d’un tel entêtement en Vat’Em’Medonis. Sur Paadshaïl, la légion refuse toute entrée et tout contact avec les autres peuples. Les vampires de Cendre-Terre voient ce renferment comme un signe de faiblesse. Ils sont seuls, désarmés face à ce monde qui grandit et change trop vite. Quand je me trouvais chez les Elusis, on parlait déjà de rouvrir d’anciennes querelles, afin qu’ils s’étendent plus loin dans l’île. Coupée du reste du monde, je crains pour le destin de Vat’Em’Medonis. Nous ne pouvons nous permettre de faire de même. La méfiance, si elle est saine, ne doit pas nous réduire à ce que nous fûmes autrefois. Cela signerait à coup sûr notre déclin à tous…

- Tu es bien pessimiste, Tribyoon. Prends le temps de te détendre, lui indiquai-je en désignant de ma main libre le narguilé, tirant à nouveau une bouffée que je soufflai doucement avant d'entamer une réponse à son propos, sereine, prenant le temps de décortiquer chaque partie de mon argumentaire : Te souviens-tu de nôtre précédente Kamdan Aaleeshaan? De comment se comportait la Légion, de son temps? Toutes ces divisions que tu évoques, cette méfiance, cette haine qu'elle a engendré...Tout part de son décès. De l'absence réelle de commandement. Puis de l'unification de nos clans sous une seule et même bannière, qui a réveillé une volonté pour chacun, quand bien même il fut dissous, de prendre l'avantage. Enfin, le comptoir de commerce aurait du être installé hors de la cité des Wigwams, et seuls des graärhs accrédités auraient du y avoir accès dans un premier temps, afin que cette alliance commence en douceur. Les Garal, contrairement aux Trand, ne sont pas éduqués pour que les choses changent si vite. Ils sont désorientés par tant de bouleversements...Et les vents du changement ne font que commencer à souffler... Je marquais une pause, plongeant mon regard dans celui d'Asolraahn en inspirant à nouveau une longue bouffée sur le narguilé, recrachant cette fois un panache épais qui sembla se dérouler le long de mon armure comme une toge de brume. Le vent ne souffla pas, cette fois, et il se dispersa doucement, nimbant ma silhouette de ses volutes éthérés. Que ce soit l'une ou l'autre de mes consoeurs, tu le constates à chaque réunion du conseil : aucune n'ose proposer ou prendre de décisions fortes. Mais en des temps aussi durs que ceux que nous vivons, nous ne pouvons nous reposer sur la seule bienveillance et sagesse de Verith. S'il a permis à Vat'Aan'Ruda de survivre, s'il a permis à nôtre peuple de ne plus craindre une guerre autant qu'auparavant...Ce n'est pas à lui de régner sur la Légion. Ni à un conseil de trois Aaleeshan. Sans meneur désigné, chacun peut se ranger sous une bannière ou une autre, voire refuser l'autorité de cette nouvelle forme de gouvernance. Ce conseil doit exister pour améliorer l'ancien système. Mais il doit y demeurer une figure dominante. Alors seulement le peuple pourra s'y identifier, s'y rallier, et grandir...Ainsi a-t'il toujours été, et le peuple n'est pas prêt à changer ce modèle...

Djerzeb vint nous rejoindre un instant pour déposer un plat de viande séchée aux épices sur nôtre table. D'un signe de tête, je manifestai ma générosité, conservant, comme d'accoutumée, dos et épaules droites. Le langage de nôtre peuple était bien plus dépendant de l'attitude corporelle que celui des Glabres, aussi m'assurai-je en toute situation que mon corps conserve l'intonation que je souhaitais offrir à mon ou mes interlocuteurs. En l'occurence : l'assurance et le sérieux. Pour autant, je n'hésitai pas à manifester par moment mon amusement, ou à adoucir mon propos par quelque plaisanterie, lorsque je m'adressai à mes shikaaree, voire même aux autres Aaleeshaan...Mais cette discussion était bien trop importante pour nôtre peuple pour que je me permette d'en dériver de pareille manière, d'autant plus au point de mon argumentaire qui suivait. Je pris le temps de manger un morceau, tendant la tête du narguilé à Djerzeb, qui s'inclina poliment devant le tribyoon avant de prendre une bouffée et de me rendre l'embout non sans une certaine déférence. D'ordinaire, je l'aurais raillé pour pareille attitude, mais comme je le disais ci-avant, l'heure n'était pas à la plaisanterie, et je me contentai de récupérer l'extrémité du tube entre deux doigts pour venir poser la gueule de smilodon gravée contre ma babine inférieure, sans rien inspirer, afin de poursuivre :

- J'entends tes mots, concernant nos frères du Nord. Leur entêtement pourrait les conduire à un âge sombre, et il ne tient qu'à eux de l'éviter...Et à nous de nous préparer. Tout dépend de leur future gestion de ce voisinage, et de leurs décisions, mais il serait de bon ton de préparer leur accueil en toute discrétion. Si fiers qu'ils sont, si la situation dégénère, Vat'Em'Médonis n'a peut-être pas la même vision du monde que nous, mais ils n'en restent pas moins des Graärh...Pour ce qui est de nôtre passé, ne pense pas que nous ayons TOUS perdus intérêt à le chercher. Je ne suis pas la seule à tenter d'en percer les mystères. Mais nos traditions, nôtre histoire...tout ça est perdu depuis longtemps. Je foule ces terres depuis plus de trente ans, et je ne vois personne faire mieux que simplement convoyer à nos enfants les réprimandes que nos pères nous ont faites. Nous restons engoncés dans un présent indéfinissable, au carrefour de bien des routes. Mais en essayant d'en explorer trop à la fois, nous ne faisons que perdre en efficacité. Et c'est ainsi que nous en sommes arrivés à nôtre situation actuelle. Oui, Asolraahn. J'ai peur pour nôtre légion, à l'avenir. J'ai peur que ce présent n'augure rien de bon. La question est : parviendrons-nous à renverser la vapeur à temps, ou nous dirigeons-nous vers un avenir aussi peu actif que nos cinq dernières décennies avant Atgahlaan? C'est sur nos épaules et celles des deux autres Aaleeshaan que repose ce dilemme pour l'heure...Pour le meilleur ou pour le pire. Tu parlais de méfiance envers les glabres, tout à l'heure, Asolraahn. Je crains que celle dont nous devrions nous méfier est la méfiance des nôtres envers leurs frères avant tout.

J'achevai ma longue tirade sur ces mots, ayant pris soin de conserver le même ton calme et la même cadence tout au long de mon exposé, accompagnant la fin de celle-ci d'un geste de conclusion de ma main libre, qui balaya gracieusement l'air comme pour souligner une évidence. L'autre porta à mes babines, une fois de plus le crache-fumée auquel j'aspirai une longue et profonde bouffée qui s'envola vers les cieux en franchissant mes lèvres pour la seconde fois. J'en profitai alors pour conclure calmement :

- Si un exemple plus concret devais venir compléter mon propos, en voici un, Asolraahn : Lorsqu'ils se rangent derrière une figure dominante, même les plus féroces d'entre nous savent se contenir. Souviens-toi de nos discussions au conseil : je m'opposais à la création si rapide d'un comptoir de commerce et à l'accueil de sans-pelage directement au sein de la cité, de façon si brutale. Mes Shikaaree étaient du même avis. Tous sauf une ont combattu les pirates. Djerzeb a même été vendu comme esclave, pendant un temps. Je ne les surveille pourtant pas. Je ne leur interdis rien. Ils sont aussi libre que les autres... Pour autant, aucun d'entre eux n'a fait de mal au moindre humain venu commercer ou découvrir nôtre culture. A ton avis, pourquoi?

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