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descriptionA la croisée des chemins [Orfraie] EmptyA la croisée des chemins [Orfraie]

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21 Juillet 1762, d'après-midi – Port de Keet-Tiamat

Un corbeau était venu lui rapporter la mort du Prince Vampirique, plissant ses lèvres dans une expression contrariée et désapprobatrice. Non pas qu'il tienne Soen en affection et la demoiselle Faust en animosité, car c'était loin d'être la cas... Mais cet acte avait été attribué à un graärh et risquait fort de ne pas améliorer la relation entre les vampires et la race indigène. Ironiquement, Aldaron songea qu'à réduire en esclavage ce peuple animal, Keziah ne l'avait pas volé et qu'à tendre le bâton pour se faire battre, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'on dédaigne de se servir de l'arme. L'idée fut sa seule consolation dans cette histoire, à laquelle s'ajouta qu'il serait plus aisé de parlementer avec Irina qu'avec un homme qui privilégiait d'avantage la force brute. Il rangea la lettre et quitta sa cabine lorsqu'on héla que les terres étaient en vue. Leur voyage de trois semaines s'achevait enfin. Le navire marchand de celui qui se faisait appeler de Bateleur arrivait à bon port. Était-ce vraiment étonnant de la part de ce capitaine à l'esprit-lié de la fourmi ? Aldaron ne s'étonnait plus une seconde devant la réussite sans faille de son ami et allié. La Triade avait trouvé le bon filon, sous l'ère du Tyran Blanc, en mettant la main sur cet homme habile.

Les côtes chaudes du nouveau royaume elfique se dessinaient sous ses yeux à mesure qu'il approchait du port. Son sourire nostalgique à la mémoire du désert d'Esfelia lui valut un coup de coude de la part du Capitaine. Ne plus songer à leur continent perdu était encore assez difficile, surtout quand on y avait été marqué au fer rouge. Le Bateleur était de bon conseil et l'elfe tâcha de replacer sa morosité au fond de son esprit et de ne plus y toucher jusqu'à nouvel ordre. Au port, il ne fut guère étonné du comité d'accueil qui se dressa sur leur quai d’accostage et son sentiment de lassitude fut remplacé par un soulagement bienvenu lors qu'il aperçu la chevelure flamboyante d'Orfraie Ataliel. Un sourire s'étira sur ses lèvres. Comme cela faisait longtemps. Il fallait dire qu'Aldaron n'avait guère pu s'offrir de voyage auprès des terres elfiques avant aujourd'hui, bien trop occupé à diriger la cité libre de Caladon et d'apaiser les esprits échauffés. Il lui adressa un signe de salutation courtoise depuis le pont du navire jusqu'à ce que celui-ci amarre petit à petit. Lorsqu'il put descendre et rejoindre la terre ferme, ce fut vers elle qu'il se dirigea. Il s'inclina respectueusement devant son aînée avant de retrouver une natale langue elfique : « Riel*, il me tardait de vous retrouver. Je vous félicite autant que je me réjouis de vous voir endosser vos anciennes fonctions. C'est à la fois inattendu... Et un choix indéniablement bon de la part d'Aegnor Evanealle. » Et bon dans un double sens. C'était une décision altruiste et indulgente à l'égard d'Orfraie mais également un choix stratégique de qualité que d'avoir une dragonnière dans ses rangs. « Dois-je en conclure qu'il est un homme miséricordieux ou... Habile ? » Ou opportuniste. Mais il ne pouvait pas tenir de tels propos sur le dirigeant des elfes devant des elfes.

Ses prunelles d'émeraude se parèrent d'amusement en observant les visages des rôdeurs qui accompagnaient la dragonnière. Sarcastiquement, il railla : « Dites-moi, sont-ils affectés à ce point par la mort de Keziah Soen pour afficher une pareille tête d'enterrement ? » Non, bien sûr que non. C'était ridicule. Aldaron savait pertinemment que son peuple de naissance n'était pas très heureux de le revoir, lui, l'Indigne. Et probablement n'étaient-ils pas plus heureux de suivre les ordres d'une vampiresse. Son ton grinçant et son humour narquois n'était que la partie agréable et amusée de son amertume à l'égard de ces têtes de mule. Il roula des yeux, quitte à les vexer, il n'était plus à cela près.

*Princesse / tête couronnée

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Les Rôdeurs avaient la tâche de veiller sur le territoire des Elfes, véritables sentinelles à l’encontre de toutes formes de menaces. Et leur générale avait d’ailleurs été nommée Tirith, jadis, par nul autre que son neveu d’empereur. Mais son devoir de chef empêchait souvent Orfraie de quitter l’agitation de la capitale, centre politique et militaire du royaume elfique. Elle s’en trouvait parfois attristée, cela va s’en dire, mais tirer tout de même un grand plaisir dans l’exercice de cette fonction qui avait été la sienne des années durant, dans une autre vie. Et, étant dragonnière, elle n’était jamais vraiment seule. En effet, Firindal, toujours à la lisière de son esprit – ou parfois complètement dedans à la façon d’un aveugle dans une boutique de porcelaine – ne manquait pas de la divertir.

En cette délicieuse journée d’été, un messager vint apporter sur le bureau de la générale une missive qui fit naître en elle un sentiment de joie intense, si bien qu’elle en oublia le malheureux qui avait trempé sa chemise pour venir jusqu’à elle. Pendant un instant, elle offrit à ce dernier un sourire où deux crocs bien tranchants étaient en évidence, avant de se reprendre et se composer un visage plus neutre. D’un mot, l’homme fut congédié et s’en retourna à son devoir. Orfraie, pour sa part, repoussa le fauteuil sur lequel elle s’était assise presque une heure plus tôt et s’étira brièvement.

Ses doigts, longs et délicats, s’enroulèrent autour d’un fourreau d’ébène sur lequel courraient des filigranes en argent représentant un feuillage. Laurelin pesait aussi lourd qu’une plume entre ses mains et, en quelques instants, elle fut ceinte à sa ceinture. L’épée lui avait été offerte par Elrond, des années plus tôt, et la lame quittait rarement la guerrière depuis ce jour. Quelques instants plus tard, ce fut son manteau des ombres qu’Orfraie revêtit, drapant sa fine silhouette d’un voile d’ombre qui lui allait à merveille depuis qu’elle avait embrassé les ténèbres. Fermé à la taille par sa ceinture ainsi qu’une fibule, il laissait entrevoir le pommeau de sa lame. À son cou et selon son habitude, la Liée portait une simple chaîne d’argent retenant non pas un mais deux pendentifs. Il s’agissait d’une pierre rouge – l’exaltation de la nuit éternelle – et une écaille de dragon couleur jade dont la provenance ne faisait aucun doute. Il s’en dégageait une puissante magie. Ses oreilles portaient également des bijoux dont l’utilité pratique était claire, une certaine forme de magie s’en dégageant également. Enfin, ses vêtements étaient simples. Fidèle à elle-même, Orfraie avait une allure de guerrière et ne s’embarrassait nullement des atours de son ancien rang.

Parfaitement vêtue, la générale quitta son bureau d’un pas rapide, ne laissant à personne l’occasion de l’arrêter. La venue d’un navire au port de la cité requérait son attention et ce fut sur le dos de Hajja que la générale se rendit sur les lieux du prochain accostage. Mais comment les Elfes avaient-ils pu deviner qui se trouver sur ce navire? Le lié à la chouette présent dans les rangs des Rôdeurs n’était certainement pas étranger à cela…

C’est ce qui permit à Orfraie de se tenir au-devant de ses hommes lorsque le navire marchand exécuta un parfait accostage. Les mains liées dans le dos, elle demeurait attentive au moindre détail bien que son regard améthyste chercha un visage connu sur le pont du bateau. Mais ce fut l’objet de ses pensées qui la trouva la première et interpella son regard d’un signe, faisant naître un nouveau sourire sur ses lèvres, discret cette fois-ci. Quelques minutes plus tard, les marins mirent à terre la passerelle qui permit à Aldaron de quitter le navire. Sans surprise et sans marquer d’hésitation, ce dernier s’approcha de l’ancienne princesse des Elfes, appelant d’ailleurs celle-ci par ce titre qui n’était plus le sien.

Plutôt que de corriger son ami – comme elle avait souvent l’habitude de le faire – Orfraie préféra ne rien dire, plutôt par lassitude que par envie de passer pour ce qu’elle n’était plus. Quoi que, n’était-elle pas la princesse des ombres? Sobriquet dans la bouche de certain, titre teinté de respect dans la bouche d’autres.

Les mots de l’Elfe tirèrent un discret sourire en coin à Orfraie. Cette dernière n’était pas dupe et la petite pique d’Aldaron à l’égard de son neveu ne manqua pas de l’amuser. Toutefois, elle se devait de prendre le parti du blond-aux-yeux-volcanique, car il avait proposé à la dragonnière de jade de reprendre la tête des Rôdeurs contre l’avis de la majorité. Le conseil avait été particulièrement difficile à gérer après cela, du moins pendant quelques jours.

- Je ne saurais assez remercier mon neveu pour cette main tendue.

Souligner le lien de parenté entre Aegnor et Orfraie pouvait être à double tranchant, mais se n’était pas un secret, loin de là. Et Aldaron était un ami. La générale pensait que ce dernier allait comprendre que ce choix de la part de l’empereur avait d’abord été dicté avec son coeur. Après tout, ce dernier avait laissé sa tante chez les hommes pendant des mois avant de lui proposer de venir, assurant ainsi sa sécurité pendant qu’il préparait le terrain auprès du conseil et du peuple. Et malgré les précautions qu’il avait prises, les choses ne s’étaient pas exactement très bien passées. Le fait qu’elle soit une dragonnière était un ‘petit plus’ car alors, à l’époque, Orfraie n’était pas encore liée.

- Habile, sans le moindre doute, sans quoi aurais-je fini avec une dague entre les omoplates.

Mais une chose était certaine : Orfraie ne portait pas le conseil dans son coeur. Et devant ses Rôdeurs, elle n’avait pas peur de parler. Et auquel cas on lui cherchait des problèmes, un grand dragon de jade s’assurait que les opportuns se taisent. Du reste, le conseil elfique avait effectivement voulu son assassina ce que, à l’époque, le blond avait une fois de plus empêché.

Mais derrière la générale, les Rôdeurs continuaient de fixer le visiteur avec dureté. Beaucoup, aussi âgé voir davantage que ce dernier se rappelaient parfaitement ce qu’il avait fait. C’était amusant d’observer comment, en ayant appris à connaître le fond d’une personne, les regards changeaient. Aldaron, Elfe mais ayant commis une lourde faute des siècles plutôt attirait l’animosité des sentinelles tandis qu'Orfraie, vampiresse de son état, agissait avec eux comme si rien n’avait changé… ou presque. Et la différence était assez simple : ils connaissaient très bien la Liée, qui avait mainte fois prouvée qu’elle n’avait pas tant changée de sa version mortelle, tandis qu'Aldaron était un parfait inconnu.

- Non, ils ont simplement des à-priori, comme tout un chacun. Mais venez boire avec nous à la caserne et cela changera sans le moindre doute. Nous sommes méfiants mais ouverts d’esprit, nous autres Rôdeurs. Et, se tournant vers ses hommes, elle leur ordonna d’une voix ferme… quoi qu’avec un léger sourire en coin. Au travail, messieurs.

Ils s’exécutèrent dans une parfaite discipline, laissant seuls les deux amis. D’un regard presque maternelle, Orfraie les observa se mettre au travail et contrôler le navire, puis elle se tourna sur Aldaron et se recomposa immédiatement un air plus neutre.

- Im gelir ceni ad lín*, Aldaron. Quel bon vent vous emmène sur cette île, dites-moi?




* Je suis heureux(se) de vous revoir

descriptionA la croisée des chemins [Orfraie] EmptyRe: A la croisée des chemins [Orfraie]

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    Le bourgmestre observa les rôdeurs se mettre au travail avant de répondre de manière évasive : « Je viens pour les affaires, voyons. » Le sourire en coin qu'il avait était le signe que ce n'était que la version officielle de la chose. Il y trouvait quelques intérêts personnels qu'il ne cherchait pas vraiment à cacher à son amie, sans pour autant les lui dévoiler sur l'instant. Levant les yeux vers le soleil cuisant de la région, il se prit à ne pas regretter les vêtements légers qui étaient les siens, aujourd'hui. De bonne facture, ils étaient extrêmement sobres, loin des froufrous et décorations d'or et d'argent. Il privilégiait grandement la qualité et le confort de ses habits aux fioritures ostentatoires qu'on trouvait dans la noblesse.

    Qu'elle couvre Aegnor et le loue de sa bienveillance ne le surprit guère. Au fond, même si cela avait pu s'avérer intéressé de la part du dirigeant elfique, il n'en demeurait pas moins vrai que les conséquences étaient suffisamment profitables à la vampiresse pour qu'elle ne crache pas dans la soupe qu'on lui servait. Elle était juste dans son propos et probablement devrait-il prendre de la graine des palabres de son aînée. La première barrière entre soi et les autres, c'était souvent soi-même. Pour autant, était-il à blâmer que de vouloir les rejeter le premier plutôt que de souffrir à nouveau de leur admonestation ? Son visage s'était brièvement crispé, un peu plus tôt, à l'évocation du couteau entre les omoplates dont l'idée le révulsait dans sa tolérance. Il poussa un soupir : « Les Conseils ne sont pas toujours d'une grande aide. » Un euphémisme pour servir la cause de son scepticisme, à cheval entre deux opinions. Une assemblée d'hommes pour guider un monarque solitaire était, sans doute aucun, le garde-fou le plus efficace contre bien des hérésies. Pour autant, ils pouvaient s'avérer être des freins et une perte de temps remarquable pour d'autres points. La rançon de la gloire, sûrement ; rien n'était parfait en ce monde : « Si je devais écouter le mien à Caladon, je recruterai une armée de mercenaires pour marcher sur Empire Kohan. » Telle était l'idée qu'on lui soufflait, de temps à autres, en particulier quand s'acheminaient les voix de la colère contre lesquelles il luttait, même en son for intérieur déçu.

    L'exemple était toutefois fort à propos, en gage d'illustration, et suggérait à demi-mot combien la balance de leur avenir était en équilibre précaire dans le Royaume des Hommes. Malgré ses efforts pour offrir une dynamique commerciale à Caladon, tout pouvait flancher du jour au lendemain. Y compris maintenant qu'il était loin de son fief. Si Aldaron avait pris ses dispositions pour qu'il ne se produise aucune catastrophe pendant son périple d'un mois et demi, il ne pouvait pas prévoir et déjouer tous les plans de ses détracteurs. Il savait déjà qu'il aurait quelques surprises à gérer, dès son retour et ne pouvait que prier pour qu'elles ne soient pas irréversibles. « Néanmoins, je reconnais bien là ton neveu... » concéda-t-il avant d'expliquer pourquoi : « Sous l'ère du Tyran Blanc, le Marché Noir avait été confronté à une taupe, dans l'ancienne Caladon. Nous savions que l'ennemi s'était infiltré mais nous ne savions pas où. Nous n'avons évidement pas ébruité l'affaire car nous ne voulions pas effrayer nos troupes. Je n'avais jamais vu de monarque se déplacer en personne pour prêter main forte alors que nous étions en Théocratie... Jusqu'à lui. Son flair nous a été salvateur. Nous avons trouvé la taupe et nous l'avons faite exécuter. »

    Il tiqua dans une moue : « Évidement, cela n'a pas empêché le Tyran Blanc d'envoyer Achroma Seithveilj nous trouver lorsqu'il a compris que nous avions fait tomber le masque de son complice... » Il serra les mâchoires, détournant ses prunelles d'émeraude à ce souvenir qui avait failli lui coûter la vie, autant qu'il concevait qu'évoquer Achroma lui était encore douloureux. Ne tournerait-il donc jamais la page ? Revenant rapidement au sujet initial, il poursuivit : « J'ai eu bonne opinion d'Aegnor Evanealle, suite à cette intervention... Mais le doute subsistait en moi que cette prise de risque ne soit qu'utile à ses propres intérêts. Vous êtes toutefois la preuve vivante qu'il est un homme à savoir prendre sa volonté à bras le corps et à ne pas l'abandonner en chemin. Voilà qui est de bon augure pour le peuple des elfes. » trancha-t-il avant de s'écarter rapidement du chemin de deux de ses hommes en train de décharger une caisse en bois. Il alla se mettre à l'ombre d'un abri en toile brunie par le vent brûlant du désert. Le blanc de ses longs cheveux contrastait alors avec cette teinte. Il se plaça près d'une haute caisse de bois et y déposa une carte de l'archipel ainsi que deux boussoles.

    Il finit par avouer : « Les elfes sont toujours mon peuple en dépit de ce que nous ne partageons pas et je désirai découvrir cette île. Je viens aussi à des fins plus personnelles. » Il sortit une petite règle de bois et un fusain de carbone. « Pouvez-vous m'indiquer où nous avons accosté ? » Il la laissa désigner sur la carte le lieu où ils se trouvait et y croqua une petite croix. Il s'empara méthodiquement la boussole qui indiquait le nord pour orienter les points cardinaux de la carte avec leur emplacement réel, pivotant de près d'un quart de tour le parchemin. Puis il saisit plus précieusement la seconde boussole entre ses doigts et l'aiguille changea immédiatement de direction. « Vous connaissez ce genre d'objet, n'est-ce pas ? » Les boussoles du cœur étaient un outil assez répandu quoique celle-ci soit différente puisqu'elle était l'héritage qu'Océan avait légué aux Kohan bien avant la découverte d'Ambarhùna par les Hommes. Il la positionna près de la croix qu'il venait d'esquisser pour observer dans quelle direction elle pointa. De sa règle et du fusain, il traça une nouvelle trajectoire et la ligne croisa une autre, précédemment inscrite par le même procédé depuis Caladon la Revenante. Les deux droites se rejoignaient en un point, un cratère, celui de la ville d'Endëaerumë. Il eut un petit sourire en coin avant de relever les yeux sur Orfraie. « Cela tombe assez bien, c'est là où je comptais me rendre. » ironisa-t-il bien qu'il appréhendait ce qu'il allait pouvoir y trouver.

    « Un lieu, une personne, un objet... Parfois même juste une idée. Qui sait vraiment ce que son cœur veut ? Quand on croit l'avoir trouvé, cela disparaît et un autre affect revient prendre sa place. » Un sourire fade marqua ses lèvres alors qu'il sortait un autre parchemin de sa besace, dévoilant la carte de leur ancien continent. Des trajectoires se croisaient, certaines à Aigue-Royale, d'autres à Fort-Espérance. « J'ai suivi son emplacement, sans chercher d'avantage. Tout ce dont j'avais besoin se trouvait à Aigue-Royale... Puis à fort Espérance. Ma famille, mes amis, mes liés. Mais aujourd'hui, j'ignore ce que cherche mon cœur. Disons que je viens résoudre un mystère sur lequel je ne me suis jamais vraiment penché jusqu'alors. » En vérité, il était étonné que cette boussole désigne encore quelque chose après tous ceux qu'il avait perdu. Il voulait en avoir le cœur net et se débarrasserait de cet objet ensuite. Il rangea ses affaires et poussa un soupir avant de changer de sujet : « En parlant de cœur... » Il laissa lentement poindre un sourire taquin en coin : « Il y a une promesse que vous n'avez pas encore mise à exécution, si je ne me trompe. » Son regard se planta ostentatoirement sur la bague de fiançailles avant de croiser à nouveau les charmantes améthystes d'Orfraie.

    La nouvelle avait fait grand bruit dans le campement de fortune des réfugiés. Deux dragonnières de races différentes qui souhaitaient s'unir n'était pas commun, ni très accepté dans bien des mœurs. « Je vous admire toutes les deux. » fit-il, sincèrement. Il avait lui-même officialisé sa relation fraternelle avec un vampire et une humaine des années plus tôt. Un comportement de tolérance qu'il aimait à retrouver chez ceux qui l'entouraient. « Je n'ai pas eu le temps de vous féliciter et de vous souhaiter une route heureuse. » Il hésita un instant, se mordant la lèvre, avant de se lancer : « J'ignore ce que vous avez prévu et je m'en voudrais de ne pas vous avoir proposé mon aide, quitte à ce qu'elle soit refusée : Je vous conseille de placer la cérémonie en territoire neutre. » Dans le ton de sa voix et l'expression appuyé de son regard, il y avait une amitié certaine et une volonté de faire en sorte que ce mariage se déroule le mieux possible. Dragonnières ou non, elles n'étaient pas à l'abri d'accros malvenus. Le dernier mariage d'importance avait été celui d'Aegnor et un Kohan en avait perdu la vie. Si un dragon pourrait toujours mettre le feu aux conséquences, Aldaron préférait qu'elles puisent être anticipées. « Comme le domaine baptistral... Caladon peut aussi vous être une option, si vous le souhaitez... » La cité libre se réclamait pluriethnique et nombre de couples venaient s'unir à Caladon, où cela était accepté, jusque dans les lois qui le prévoyaient. « Mais je crains qu'en voulant éviter une désapprobation ethnique, nous croisions hélas la route de conflits politiques. » Ou au contraire un apaisement si deux dragonnières décidaient abolir à ce point les frontières qu'entretenaient à renfort d'armées, les différents royaumes. Il pinça ses lèvres devant sa propre naïveté. Comment pouvait-il croire encore en ces hommes et ses femmes après tant de déception ? Il devait être masochiste au fond.

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Telles des petites fourmis, les Rôdeurs se mirent au travail de façon méthodique, allant et venant sous le regard de leur générale. Il flottait sur les douces lèvres de cette dernière un sourire entendu. La réponse au combien évasive de son ami ne laissait guère de doute quant aux raisons réelles de sa venue, qui n’étaient certainement pas la raison principale de son voyage. Mais soit, Orfraie l’accepta sans un mot de plus tout en espérant rapidement en savoir davantage, sa curiosité piquée au vif.

- La politique… Soupira l’ancienne princesse et conseillère sans s’empêcher de lever les yeux au ciel. Une plaie. Mas une plaie ô combien nécessaire, hélas.

Résignée, sans le moindre doute, était Orfraie. Pour avoir été dans l’engrenage du pouvoir pendant plus de trois-cent ans, elle faisait partie de ses personnes qui avait suffisamment côtoyé l’envers du décor pour en connaître les secrets les plus sordides. Et contrairement aux idées reçues, malgré son nom et son appartenance à la famille impériale, du temps où elle était conseillère Orfraie n’avait pas toujours était une impérialiste… Au grand dam de sa famille. Mais la douleur vive qu’elle avait ressentit lorsque son fils avait été injustement banni lui rappelait qu’il était bon de se faire ses propres opinions et ne pas bêtement suivre le mouvement comme on avait souvent voulu le lui imposer. Et des exemples de choses que l’on avait souhaité lui imposer, la princesse des ombres pouvait en proposer un nombre tristement trop grand.

- Sans quoi l’empereur Kohan et Caladon seraient encore en conflit ouvert, n’est-ce pas?

Orfraie était heureuse que cette guerre ait rapidement trouvé un terme. Aldaron n’y était pas étranger, d’ailleurs. Et ce conflit avait été un cruel dilemme pour la dragonnière, qui comprenait parfaitement le désir de liberté de l’Alliance tout en se sentant obligée de prêter main forte à Nolan. Non seulement parce qu'Aegnor et l’Empereur Humain étaient alliés, mais aussi parce que Luna travaillait pour son presque-frère. Foutue politique. Et foutu bipèdes, incapable de s’écouter et s’entendre sans en venir aux armes. Parfois, Orfraie ne désirait qu’une chose : Voler loin avec Firindal et ne jamais se retourner. Mais elle ne le pouvait pas, évidemment.

- Aegnor a la chance d’avoir un esprit-lié fort pratique.

Mais duquel s’agissait-il? La générale le passa sous silence, prudente. Peut-être Aldaron le savait-il déjà, mais elle ne souhaitait pas en dire trop sur son Empereur, au cas où.

La Liée suivit son ami jusqu’à l’ombre salvatrice. Bien qu’un glyphe lui permettait de réduire au néant l’inconfort que le soleil lui prodiguait, Orfraie préférait nettement s’en cacher. Et là où le blanc des cheveux du bourgmestre contrastaient avec la toile, la générale semblait davantage de fendre dans l’ombre alors que les pans de son manteau étaient partiellement refermés.

- Voilà une chose que nous partageons, fit-elle lorsqu’Aldaron évoqua le fait que les Elfes demeuraient son peuple malgré tout. C’était un sentiment partagé par l’ancienne princesse malgré sa nature vampirique. Du bout de l’index et sans la moindre hésitation, elle indiqua où ils se trouvaient sur la carte. Mithírbann, le port. Il faudra remonter la Voie Royal pour se rendre à d’Endëaerumë, expliqua Orfraie.

Elle en connaissait le chemin par coeur, évidemment, pour l’avoir parcourue maintes fois à cheval ou survolé sur le dos de Firindal. Mai où Aldaron voulait-il en venir? Lorsqu’elle le vit saisir la seconde boussole, dont l’aiguille changea aussitôt de direction, elle cru comprendre. Et on se concentrant un peu, Orfraie se rendit compte que l’objet était magique.

- Bien sûr, répondit-elle simplement, le regard posé sur l’objet. Elle en vint à se demander ce que la boussole indiquerait si elle la prenait entre ses mains. Cela l’effrayait, en vérité. Orfraie pensait avoir tout ce dont elle avait besoin pour être heureuse, mais était-ce vrai pour son coeur, son inconscient ? Avec sa mémoire encore parfois défaillante, il lui arrivait des surprises… Puis elle se mit à penser à Aeglos et son coeur se serra. Son fils était sans doute ce qu’elle souhaitait retrouver, s’il était encore en vie.

- Une promesse ? Oh, je vois, répondit-elle en levant sa main gauche afin de mettre sa bague de fiançailles à la lumière du soleil. D’un clignement d’yeux appuyé, Orfraie chassa le souvenir d’Aeglos. Elle avait le temps d’y songer plus tard…

- Je vous remercie, murmura t-elle. Nous n’avons pas encore songé au lieu de la cérémonie, ni à sa date d’ailleurs. Un territoire neutre est une évidence à mes yeux, le domaine un choix logique… Quant à Caladon, je ne sais pas. Luna considère Nolan comme son frère, feu Korentin comme son père. Elle est conseillère à Sélénia. J’aimerais voir l’Empereur tendre la main à Caladon, à vous, et faire disparaître toutes formes de tensions… Peut-être que ce mariage pourrait y aider, c’est vrai, et la présence d’au moins deux dragons adultes empêcher tout débordements. Mais s’il y a une chose que je vais me permettre avec ce mariage, c’est être égoïste. Les deux derniers auxquels j’ai assistés se sont mal terminé, je ne laisserais personne gâcher le mien.

Un long soupire s’échappa d’entre ses lèvres.

- Je savais les mariages difficiles à préparer, mais c’est encore plus éprouvant que je l’imaginais, avoua t-elle dans un sourire. Elle n’était pas contrariée, comme on aurait pu le penser, et elle dévoilait ses crocs en un magnifique sourire. Occupons-nous d’abord de vos affaires, ensuite nous pourrons parler plus longuement des miennes. Avez-vous un cheval? La route est longue jusqu’à d’Endëaerumë et le soleil ne pardonne pas.

descriptionA la croisée des chemins [Orfraie] EmptyRe: A la croisée des chemins [Orfraie]

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    Le bourgmestre de Caladon rejoignit son point de vue quant à la politique. C'était une plaie nécessaire avec laquelle il n'aurait jamais cru jouer un jour. Son père était conseiller auprès de la cours des elfes. Un métier dans lequel il aurait du suivre les traces paternelles mais qu'il avait fui pour... Et bien se retrouver dans le même embarras auprès des hommes. A croire que cela lui collait à la peau où qu'il aille. Il avait été un marchand à Gloria, rien qu'un acheteur et revendeur. Il avait été excellent dans son domaine de prédilection, mais le jour où Korentin Kohan l'avait appelé à lui, la Triade avait du inscrire son travail dans une ligne politique rebelle. Ils n'y avaient pas été forcé et à l'époque, il avait été le premier à croire qu'il s'agissait du meilleur choix qui avait pu s'offrir à eux. Mais quand il y repensait à présent, il n'était plus aussi convaincu. Sans pour autant rejeter les choix qu'il avait fait, il ne pouvait s'empêcher de se trouver candide et poursuivi par d'incroyables ironies du destin. Il avait fui le royaume elfique lorsque ses responsabilités tant politiques que familiales étaient devenues trop empoisonnantes pour sa liberté et en dépit de cette première volonté, il avait recréé une fratrie à laquelle il s'était attaché plus qu'il ne l'aurait du pour son propre bien-être, et il suivait la voie politique qui avait été celle d'Achroma, portant son flambeau et prêchant la paix comme remède à ce monde corrompu. Avec un peu de hauteur, son parcours pouvait être qualifié de grotesque, fait d'ambitions et leurs contraires, comme s'il n'avait jamais réussi à se fixer sur une idée une bonne fois pour toutes. Il avait navigué entre deux eaux, entre ce à quoi il avait été destiné au sein de son peuple de naissance et ce à quoi il aspirait appartenir. « J'espère bien éviter cela aussi longtemps que possible... » fit-il, las des desseins meurtriers des peuplades amères. Se soustraire l'affrontement presque inévitable avec l'empire Kohan. Il doutait même parvenir à ses fins s'il venait à être seul à ne pas avoir le cœur brûlant de vengeance. La rupture officielle avec Nolan devait suffire à les apaiser si l'héritier de la couronne restait sagement dans ses pénates.... Ce dont Aldaron comptait aller lui imposer dans une visite, probablement à l'aube du mois de septembre. Il ignorait encore l'accueil qui pourrait lui être réservé, mais il tablait sur l'idée que le jeune homme s'armerait de raison plus que des fouges de la royauté.

    « J'ai accompagné Korentin Kohan jusque dans le cratère de Morneflamme. Me trouvez-vous naïf de présumer que Nolan sera indulgent à mon égard ? » Il fronça les sourcils, pensif, cherchant l'avis de la dragonnière. « La dernière fois que je l'ai vu, c'était à Aigue-Royale, il était encore adolescent. » Après quoi, il avait d'avantage suivi la Caste des Dragonniers que l'empereur des Hommes. A bien y pensé, cela avait été son premier détachement inconscient de la lignée des Kohan.« Les gens changent, surtout les humains. » Il eut un petit sourire en coin : il les connaissait assez bien ces êtres éphémères. Les elfes ne réformaient que peu de caractère et d'avis, mais les Hommes étaient autant des girouettes qu'Aldaron. Derrière l'amusement qu'affichait son visage, il y avait la crainte de ne pas saisir la personnalité de Nolan et de courir à la catastrophe. Inspirant, il se résigna mentalement à cette idée. C'était bien le rôle qu'il avait endossé en devenant bourgmestre de Caladon. Il eut un nouveau sourire à l'évocation de l'esprit-lié d'Aegnor. « Oui, le même qu'Achroma Seithvelj. » répondit-il spontanément, avant que la risette ne se fane et qu'il s'occupe promptement l'esprit avec sa carte et ses boussoles. Cela l'éloignait de la tourmente qu'il tâchait de camoufler... Le dragonnier avait lui aussi été lié à l'esprit du hibou. Son autorité et sa capacité à mettre le doigts sur les mensonges de son entourage avaient été des atouts remarquables dont il espérait qu'Aegnor ferait bon usage. Fort heureusement, le sujet de leur conversation dévia sur la carte, la boussole du cœur, puis sur le mariage. De quoi éloigner ses propres pensées douloureusement. « Oui, j'ai un cheval. Isilëel m'en veut encore de la longue traversée à bateau depuis notre ancien continent.... Mais je pense qu'il m'aurait maudit sur une dizaine de générations de le laisser là-bas. » railla-t-il avant de voir le destrier elfique descendre du bateau avec grand soulagement. Non pas qu'il s’inquiéta pour la descendance qu'il avait délaissée... Mais disons que s'il pouvait leur éviter de subir d'avantage que son abandon. Ne tardant pas d'avantage, il se drapa la tête de blanc pour affronter le désert et chevaucha son compagnon équin. Un instant, il surveilla le chargement des caisses dans les charrettes de transport, donnant ponctuellement des ordres et félicitant le travail de ses hommes. Le convoi se mit enfin en route en direction de la ville elfique.

    A même hauteur qu'Orfraie, il lui adressa un regard en coin et s'obligea à cesser de regarder les brûlantes étendues de l'île, avant qu'il ne tarisse sa rétine. Il repensa aux préparatifs du mariage et la façon exténuée dont la vampiresse en parlait. Il n'avait jamais eu à se lancer lui-même là-dedans. Probablement serait-il de mauvais conseil en la matière, mais il y avait bien quelque chose dont il était certain : « Si vous en avez l'opportunité, passez quelques temps à Caladon. Je suis certain que vous y trouverez tout les artisans et tout les commerces dont vous nécessitez pour organiser l'événement, réunis dans un seul et même endroit. Cela simplifiera vos démarches. » Il prêchait pour sa paroisse, certes, mais ce n'était pas qu'un conseil de commerçant. Caladon était à la croisée des diversités entre les trois peuplades... Ce qu'incarnait ce mariage à venir. Courir tantôt vers les elfes, puis les vampires, lui les hommes et refaire la même boucle risquait de rendre chèvre la dragonnière alors que tout se trouvait plus aisément dans la cité libre. « Dites-moi ce dont vous rêvez pour cette cérémonie et je vous donnerai les adresses les plus adéquates. Je serai votre guide autant que votre hôte. » Il lui confiait qu'il lui allouait volontiers un pied à terre chez lui si le voyage la tentait, en plus de ses conseils. « Je ne vous blâmerai pas d'être égoïste, je suis convaincu les unions ne devraient concerner que les principaux intéressés... » Il parlait d'expérience pour cette fois, tant celles qu'il avait pu constater de visu chez les hommes que la façon dont son peuple avait voulu décider pour lui de son union avec la demoiselle qu'il avait eu le malheur d'engrosser... « Nos mœurs veulent que nous célébrions cela en grandes pompes, et si l'organisation est un casse-tête, c'est qu'en dépit de votre volonté de ne penser qu'à vous, vous êtes contrainte à penser également à tout ceux qui vous entoureront lors de cet événement. Les satisfaire pour que... Et bien, pour qu'ils ne gâchent pas votre moment. Je crains que votre désir d'égoïsme ne soit qu'illusion, hélas. » Il n'aimait pas être l'oiseau de mauvais augure, mais si son amitié était sincère, ses propos ne pouvaient qu'être honnête. « Ce que veut le cœur... N'est pas toujours possible. Ne croyez-vous pas ? » Il faisait référence à la boussole du cœur, et de la réaction qu'avait eu son amie lorsqu'il en avait parlé : « Vous aviez l'air pensive. A quoi songiez-vous ? »

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Les paroles du bourgmestre traçaient leur route dans l’esprit de la Liée de Feu qui se promit de prendre le temps d’y songer plus sérieusement et, surtout, d’en parler avec sa fiancée. Quoi de plus normal ? En attendant, Orfraie se voyait soulagé car discuter de son mariage à venir lui rappelait la montagne de choses qu’elle avait encore à faire pour ce grand jour, ce qui avait le don de la stresser. Pour quelqu’un d’un naturel aussi calme cela pouvait paraître surprenant… Mais la raison était pourtant toute simple : La princesse était amoureuse et voulait que ce jour soit parfait.

Mais pour l’heure, il était temps de faire route vers la capitale sous le soleil brûlant d’après-midi. Et à la remarque d’Aldaron vis à vis de son destrier, Orfraie ne put retenir un sourire.

- J’ai aussi fait vivre la traversée à Hajja alors prenons garde à ne pas les laisser comploter contre nous.

Suivant le mouvement initié par son ami, la guerrière grimpa souplement sur le dos de son fidèle compagnon. Ce dernier s’était habitué, non sans mal, à la chaleur de Keet-Tiamat ce qui n’était certainement pas le cas de la bête d’Aldaron qui allait donc avoir un peu plus de difficulté sous le soleil de plomb.

La tête couverte par le capuchon de son manteau des ombres, Orfraie mit sa monture au pas et ouvrit la voie vers la capitale, les sens aux aguets. Les Rôdeurs, quant à eux, prirent stratégiquement place sur les côtés du convoi ainsi qu’à l’arrière, enfermant de ce fait les chariots dans un étau protecteur. Tous avaient cet air sérieux et concentré si caractéristiques des Elfes, mais il ne fallait y voir là que l’assurance du travail bien fait.

Quant à Orfraie, elle observait son ami du coin de l’œil. Ce dernier découvrait tranquillement l’étendue brûlante de l’île et, surtout, les champs fertiles où des Elfes travaillaient d’arrache-pied pour offrir de quoi vivre au peuple tout entier. Ces derniers ne faisaient même pas mine de se redresser au passage du convoi, trop occupés ou trop habitués à ces vas et viens. La dragonnière fut surprise à épier son ami lorsqu’Aldaron tourna, lui aussi, son regard dans sa direction. Prise sur le fait, la dragonnière lui offrit un sourire.

- L’offre est alléchante, mais je ne peux pas, pour l’heure, donner de réponse. Les traditions Elfiques et Humains en matière de mariage sont très différentes et je ne sais même pas encore comment nous allons célébrer la cérémonie, alors je suis encore loin de savoir ce dont je vais avoir besoin. Quant aux autres… Eh bien, je pense que les elfes me connaissaient assez pour savoir que je n’ai que faire de leurs avis. Si mon mariage ne leur plaît pas, qu’ils ne viennent pas. Et il en sera de même pour tout les autres. Le ton d’Orfraie était dur, mais pour ceux qui connaissaient son parcours et les dernières années particulièrement difficiles qu’elle avait vécu, cela n’avait rien d’anormal. Du reste, je ne pense pas que qui que ce soit ait envie de gâcher notre moment avec deux dragons adultes dans les parages…

Ce qui n’était pas totalement vrai à bien y penser. Le mariage d’Aegnor était le parfait exemple : La présence de la Castes, de tous les dragons liés, de leurs dragonniers, de la garde royale, des rôdeurs et des gardes de la ville n’avait pas empêché un attentat de la part d’un prince noir déchu. C’était cet événement qui avait précipité Orfraie dans les griffes de la nuit, d’ailleurs.

Fort heureusement, la présence d’Aldaron empêchait la dragonnière de trop se plonger dans ses souvenirs et cette dernière tourna de nouveau son regard vers son ami. Ainsi, il avait remarqué son air songeur, tout à l’heure.

- Je songeais à mon fils, répondit-elle dans un soupir, les épaules basses. Ce n’était pas un secret qu’Orfraie avait eu un fils adoptif quelques années après la mort prématurée de son propre enfant. Aeglos avait été le remède à son chagrin avant d’en être la source bien malgré lui. Je me demande s’il est en vie, où il peut être, s’il va bien… Les enfants sont des soucis certains et des réconforts incertains. La dernière fois que je l'ai vue, c'était après la première bataille contre les Chimères.

Pendant un instant, la dragonnière sembla bien triste. Mais cela ne dura vraiment qu’une seconde avant qu’elle se force à sourire de façon convaincante. A votre avis, quel mystère allez vous lever aujourd’hui ? Demanda t-elle en désignant la boussole du menton.

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    Aldaron adressa un regard suspicieux à sa monture, jaugeant de sa capacité à fomenter une mutinerie. Il se mit à rire, diverti par l'image mentale de son destrier revêche en train de lui mener la vie dure. Voilà qui n'était pas commun : de tout ceux avec qui il avait fait la paix pour vivre sans accros sur cet archipel, il n'avait guère songé au peuple équin. Grave erreur ! Il allait être condamné à porter double ration de bottes de carottes ! Dans le doute, il flatta l'encolure de sa monture, histoire de le dissuader de toute malversation à son égard.

    Il arqua un sourcil en la voyant botter en touche à propos de l'idée de faire ses emplettes à Caladon pour son union. « Très bien. Tu sais où me trouver. » Ça ne serait pas compliqué eu égard de son rôle dans la cité marchande. Il haussa lentement les épaules alors que ses prunelles d'émeraude scrutait l'horizon, s'orientant sur le chemin qu'ils auraient à parcourir. La chaleur ambiante lui rappelait tant de désert d'Esfelia, sur leur ancien continent, devenu à plusieurs reprises leur dernier rempart avant l'anéantissement, que la température cuisante du volcan de Morneflamme. Il en était mitigé dans son appréhension, autant qu'il avait du mal à se projeter en ces terres elfiques comme dans un havre de paix. L'image de la prison des opposants du Tyran Blanc prenait donc un poids plus conséquent dans son esprit. Il inspira, lentement, cherchant à chasser ses démons, ses cauchemars. Qu'il n'aimerait pas vivre ici ! La chaleur estivale de Caladon lui suffisait amplement. Pour occuper ses pensées, il parcourut du regard les charrettes de marchandises qui composaient le convoi, s'assurant de la sérénité de leur voyage.

    Il porta un regard en coin sur son amie, si certaine que rien ne pourrait arriver à son mariage. Du fond du cœur, il lui souhaitait et il ne se garda pas plus longtemps le rôle d'oiseau de mauvais augure, préférant se ranger à ses espoirs et les conforter. Avec un peu de chance, il n'y aurait pas de fous pour venir sonner le glas dans un instant de bonheur. Depuis le départ de leur terre natale, la peine causée par les pertes ne faisait que miner le moral de la population. Leur redonner l'envie de vivre et d'avancer était un défi de chaque jour, y compris pour lui-même... Alors, il avait l'espoir naïf que le mariage d'Orfraie et de Luna se passe bien. Il eut simplement un sourire, assez amusé par le caractère franc et direct de la dragonnière à l'égard de ceux qui pourraient ne pas se complaire lors de la cérémonie. L'elfe devenait bien trop politicien à mettre de l'eau dans son vin : l'entendre avoir émettre un avis si tranché lui faisait du bien.

    Aeglos, en revanche, était un sujet plus délicat encore. Aldaron ne pouvait qu'éprouver de la rancœur à l'égard de cet homme qui avait mal tourné. S'ils avaient été nombreux ceux qui avaient ployé devant le Tyran Blanc et s'étaient mis à son service, beaucoup l'avaient fait par la contrainte, directe ou indirecte. Les marques d’allégeance, les menaces et le chantage avait été monnaie courante. Mais Aeglos avait été de ceux qui avaient commis des atrocités de manière volontaire. Il pouvait comprendre l'amour d'une mère, mais il savait aussi entendre son propre cœur en colère : n'avait-il pas été un martyr du Dragon blanc ? Il avait poignardé sa propre amante parce qu'elle avait cédé aux menaces de ce démon, la laissant pour morte, alors ceux qui avaient mis leur être au service du monstre étaient, à ses yeux, pires encore que lui. Il garda les lèvres scellées à ce sujet, ne partageant visiblement pas, avec Orfraie, le même espoir de survie à l'égard de ce traître, ce meurtrier. Mais le respect et l'affection qu'il avait pour elle, le conduisaient à prendre des gants et à ne pas exprimer le fond de sa pensée.

    A sa question, il poussa un soupir et baissa les yeux. « Et bien... Pour être honnête, je pense savoir ce que je vais trouver au bout de cette flèche du cœur. Le seul lien véritable qui me reste... Est celui que je n'ai jamais accepté de découvrir. Et qui en toute logique, se trouvait à Aigue-Royale, puis au Protectorat... Mon fils. » Il leva les yeux au ciel, se blâmant mentalement de ce sujet qui revenait, malgré lui. « Je pense qu'il reste toujours un lien d'affection entre lui et moi, quelque chose qui ne s'explique pas. Il n'y a bien que chez les elfes qu'on peut rencontrer cela car... Et bien, il est unique et sacré. » Contrairement aux humains qui pondaient des enfants par dizaines. « Mais je ne peux pas... Je suis parti depuis trop longtemps. » Il ne ferait que revenir avec un large échec sur le dos, et il se sentait bien assez coupable de ses propres choix pour parvenir à tolérer ceux, tout aussi légitimes, de son fils. Ne s'était-il pas absenté 450 ans ? « Je dois te paraître bien égoïste alors que tu n'espères que cela avec ton propre enfant. » Et lui, il avait cela à portée de main. Il aurait à ramer, c'était certain. Trouver les mots, il y parvenait aisé mais face à l'enfant qu'il avait abandonné avant même sa naissance... Il n'en était plus tout à fait certain. « Je viens pour en avoir le cœur net... Et tirer un trait sur cela. »

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Aeglos était un nom que les Elfes prononçaient à voix basse, y ajoutant parfois le patronyme de l’empereur ou celui d’Orfraie. Ataliel ou Evanealle? Officiellement, le guerrier masqué portait encore le nom de sa mère mais beaucoup semblaient l’avoir oublié. Sauf elle. L’enfant l’avait blessé mais la mère qui était en elle refusait de baisser les bras et espérait plus que tout retrouver sa progéniture. Aurait-elle, un jour, l’opportunité de serrer de nouveau Aeglos dans ses bras? Caresser ses longs cheveux noirs et le bercer contre sa poitrine, comme lorsqu’il était enfant?

Aeglos était un sujet délicat, un sujet de discorde, mais Orfraie restait intimement convaincue qu’il y avait du bon en lui et que ce qu’il avait fait sous l’air du tyran blanc était une façon comme une autre de survivre à cette terrible période. Aux yeux de la mère qu’elle était, il avait expié ces fautes, allons jusqu’à oublier qu’il était vraiment et se cacher derrière un masque.

Bonne télépathe, Orfraie n’eut aucune difficulté à sentir la rancœur d’Aldaron vis-à-vis du danseur sur la montagne. C’était une réaction normale et la dragonnière de jade ne pouvait pas en vouloir à son ami, même si dire que cela ne l’attristait pas – même un peu – était un mensonge. Toutefois, habituée par des siècles de politique, la princesse des ombres affichait un air serein, dissimulant habilement ses tourments derrière un masque solidement conçu pour survivre au coeur du conseil elfique.

Le silence se fit naturellement, jusqu’à ce qu'Orfraie démontre sa curiosité en demandant à son ami ce qu’il pensait découvrir au coeur de la cité elfique. La guerrière semblait même la plus enthousiaste des deux à l’idée de percer un mystère. Aldaron avait-il dont si peur de ce qu’il pouvait trouver?

La surprise se peignit ensuite sur les traits de la vampiresse lorsque l’elfe avoua penser retrouver son fils. Une certaine jalousie ainsi qu’une pointe de colère suivirent peu après. Le poing de l’Ataliel qui était fermé sur la crinière d’Hajja se crispa soudainement sous l’afflux d’émotions contradictoire et le destrier renâcla afin de faire comprendre à sa cavalière qu’il n’aimait pas du tout cela. Celle-ci revint à elle, le goût du venin sur la langue, et prit un instant avant de tourner ses améthystes vers Aldaron. Sa voix trembla légèrement lorsqu’elle lui répondit.

« J-je donnerai tout pour être à ta place. Les enfants nous font parfois du tort… ou nous leur en faisons. Mais ce lien ne peut être détruit, la preuve en est ta boussole et la direction de son aiguille. » elle baissa la tête, observant les sabots de sa monture frapper les pierres blanches de la voie royale. Il lui semblait revenir trois ans en arrière, lorsqu’elle contrôlait si mal ses émotions qu’une simple contrariété pouvait la faire sortir de ses gonds. Sa transformation en vampire avait étiolé sa légendaire patience. Le venin continuait donc d’affluer dans sa bouche – un signe très clair de sa contrariété et, voir, de sa colère – et la dragonnière du avaler sa salive avant de reprendre. « Ne sois pas si absolu. S’il s’agit bien de ton fils, vois avant tout ce que cette rencontre a à offrir. »

Les améthystes se détournèrent du blond, voilées de tristesse. Le paysage, quant à lui, changeait doucement. La route se faisait plus belle encore. Le soleil se reflétait sur les pavés blancs et éblouissait les cavaliers tandis que, par intermittence, de grands palmiers offraient une ombre salvatrice. Aux pieds de ces derniers avaient été érigés des obélisques sur lesquels les artistes et artisans avaient gravé histoires, poèmes et chants elfiques.

« Nous arrivons. »

La caravane avait, en effet, bien progressé. Au-devant de celle-ci, les contours de la cité elfique se dessinaient. La première chose visible était sa muraille, haute et épaisse, qui bordait la cité en un cercle parfait. Depuis le ciel, c’était une construction impressionnante que la dragonnière avait mainte fois eu l’occasion d’admirer. Depuis la terre, c’était un mur infranchissable du haut duquel les gardes de la cité observaient la caravane avancer. Après tout, celle-ci ne passait pas inaperçue avec une telle escorte.

Les chariots finirent par passer entre les deux immenses statues d’elfe, dont les regards étaient tournés vers le désert. Orfraie n’y prêtait plus vraiment attention mais pour un nouveau visiteur il s’agissait d’une œuvre grandiose qui attirait le respect envers ses créateurs. Dans les murs de la cité, l’eau était absolument partout. De grandes quantités de marchandises transitaient via les canaux, l’eau cristalline invitant de nombreux elfes – jeunes et moins jeunes – à s’y baigner. Et chose suffisamment rare pour être notable : on entendait des rires de jeunes enfants. Il s’agissait d’une mélodie bien agréable aux oreilles d’une Elfe ayant connu le déclin des siens. Malheureusement, l'ancienne princesse des elfes attirait encore de nombreux regards trois ans seulement après sa transformation en créature de la nuit.

« Soyez tous les bienvenus à Endëaerumë. » Fit une Orfraie ayant retrouvé sa sérénité habituelle. Celle-ci descendit du dos d’Hajja avec la souplesse caractéristique de ceux qui en avait l’habitude. « Je te suggère fortement de faire transiter tes marchandises via les canaux, tu gagneras un temps précieux. » La dragonnière s’assura d’être assez proche d’Aldaron lorsqu’elle reprit. « Qu’indique ta boussole ? »

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    Les différents sentiments qui avaient traversé Orfraie ne furent guère difficiles à discerner, d'une part, parce qu'Hajja manifesta clairement son mécontentement, et d'autre part, parce qu'Aldaron n'était pas le genre de personne à méconnaître les sentiments bons ou mauvais, louables ou inavouables qui pouvaient habiter le cœur des bipèdes. Il lui adressa un regard compatissant, de ceux qui ne sont pas là pour juger ou pire : blâmer. « Si nous partageons beaucoup de choses, Orfraie, l'histoire qui nous lie à nos enfants sont radicalement différentes. » Calmement, il ajouta : « Tu aurais tord de transposer tes espoirs sur ma propre situation, je t'assure qu'il n'y a aucune jalousie à ressentir. J'aime mon fils, mais dans une bien moindre mesure que toi, tu tiens à Aeglos. Ce qui s'est forgé entre vous ne peut-être comparé au vide qui me sépare de mon enfant. Nos retrouvailles n'auront jamais le même sens, ni le même bénéfice. » Il poussa un soupir las avant de descendre de son cheval et de le confier à ses compagnons. Il leur fit signe de passer les marchandises sur les embarcations et de les faire transiter, comme le lui conseillait Orfraie sur les canaux. Petit à petit, on chargeait les caisses grinçantes et les sacs gonflés de leur contenu. Ses hommes avaient l'air heureux d'être ici. Pour beaucoup, comme pour Aldaron, c'était la première fois qu'ils mettaient les pieds à Endëaerumë, alors, les deux immenses statues qui les avaient accueillis, avaient gagné leur admiration. La ville, elle-même, était un gage sérieux de leur savoir-faire. L'orgueil des elfes devait être bien flatté d'avoir érigé pareille merveille au beau milieu d'un désert. Sans mauvaise foi, Aldaron pouvait leur accorder tout le prestige et la magnificence dont se parait la capitale elfique : c'était un prodige. Ses prunelles d'émeraude dévoraient son environnement quelques longues minutes pendant lesquelles son équipage travaillait. Il fut sortit de son observation par les propos d'Orfraie. Ilfouilla sa besace pour prendre en main la boussole, caressant le verre comme pour en éclaircir la transparence et puis observa la direction. Elle pointait indéniablement vers le quartier résidentiel de la cité. Il jeta un coup d’œil sur ses compagnons affairés avant de couler un regard complice sur son amie. « En route ! »

    Cette petite aventure l'amusait, comme un pirate en quête de son trésor... un trésor auquel il savait déjà qu'il renoncerait, par lâcheté autant que par amour pour cet enfant délaissé. Orfraie était une mère douce et affectueuse et lui avait été un père absent. Leur rapport à leur enfant était diamétralement opposé... Et il n'y avait pas grand chose qu'il puisse offrir à son fils 450 ans après l'avoir ignoré. Se détachant des marchands et marins, ils s'enfoncèrent d'avantage dans la ville, traversant ponts et petits cours d'eau. Les fontaines représentaient diverses scènes de leur passé glorieux sur Ambarhùna, à présent révolu mais dont la mémoire pouvait être aisément entretenue. Bien sûr, les elfes étaient souvent mis en valeur dans ces scènes, comme un peuple supérieur aux autres et cela ne l'étonnait guère : tout un chacun faisait la même chose. N'était-ce pas ce qui avait déclenché tant de querelles et de guerres autrefois et qui en ferait naître bien d'autres à l'avenir ? Ce qui était étonnant en revanche, c'étaient tout ces rires d'enfants au royaume elfique. Cela ne le choqua pas immédiatement puisque parmi les humains, ce genre de gazouillement était terriblement commun... Mais il n'était pas dans une ville humaine. « C'est donc vrai ce qu'il se dit ? Que la fertilité chez les elfes s'est fortement accrue ? » demanda-t-il en confirmation... Mais les faits parlaient d'eux mêmes. « Voilà qui devrait réchauffer leurs cœurs... » L'une des raisons de la fierté elfique était certainement cette façon d'être unique dès leur naissance, tellement attendu, tellement choyé. Pourri et gâté. Il eut un sourire en coin, portant par moment son regard sur la boussole pour la suivre assidûment. Il bifurquait parfois à gauche et parfois à droite pour contourner les obstacles faits d'arbres ou de cours d'eau et qui l'empêchaient de tracer en parfaite ligne droite sur son objectif. « Sais-tu ce qui se dit de cette boussole ? » demanda-t-il pour reprendre la conversation : « Qu'elle aurait été créée et offerte par Océan à Lyssa Kohan, lorsque les humains exploraient encore les terres aux alentours d'Angelhan. » Dans sa mémoire résonnait la petite voix de Dawan Sywel qui lui chantait la légende de cette objet unique. « Pour qu'elle retrouve encore et toujours le chemin du retour, qu'elle ramène son frère, roi parmi les Hommes, vers Angelhan. La cupidité des monarques est légendaire et le régnant Kohan ne fut guère épargné, lorsque par appât du gain, il ne sut protéger le navire aux voiles dorées de sa sœur. Le bateau fut englouti par les flots et lui, il fut condamné par Océan à errer jusqu'à s'établir sur Ambarhùna. »

    L'histoire était triste et pourtant, elle était celle d'un commencement. « L'on disait qu'on entendait encore chanter Lyssa, morte errante dans les flots, sa voix portée par le vent, sur les rives de la Vagabonde. Lyssa, la Vagabonde, voilà pourquoi cette ville se nommait ainsi. » Il montra à la dragonnière les gravures fines qui ornaient le pourtour de la boussole, symbole de la déesse Océan. Puis il s'arrêta dans sa marche doucement. Là, dans la demeure, par la fenêtre, il mirait son enfant. Un homme aux cheveux bruns et des yeux verts dont le visage ressemblait très nettement à celui d'Aldaron. Il se figea en silence, observant son fils, qui avait bien grandi, s'affairer à dresser la table. Son regard se ternit lentement jusqu'à perdre leur lumière, le cœur étreint par la tristesse, la culpabilité et l'affection. « Si tu avais grandi en étant la progéniture d'un lâche, que chaque jour suffise à ta peine : celle de n'avoir de figure paternelle à tes côtés, celle de n'avoir pour mère qu'une femme rongée par le chagrin et celle d'être pointé du doigt dans la rue comme étant l'enfant de l'Indigne...Si tu avais été cela, quels sentiments éprouverais-tu à l'égard de ce fantôme qui ne t'a légué que des tourments ? » demanda-t-il à Orfraie, la voix comme éteinte et pourtant audible. Question rhétorique en vérité, la réponse était toute prête. Croire le contraire aurait été bien naïf et il n'était pas ce genre d'homme : il savait que son fils lui en voulait. Il ne pouvait pas l'en blâmer, il comprenait et il respectait pleinement cet opinion. Avec sincérité, il avoua d'une voix morne : « Cela me fait peur, en vérité. » Il se sentait bien autrement coupable pour tant de de ses choix et s'en accablait suffisamment seul pour subir, en plus, les reproches de son fils. « Je préfère mille fois le laisser ici, en paix. Regarde comme il a pu s'épanouir... » souffla-t-il. Une elfe venait encercler de ses bras Leweïnra-fils dans un étreinte qui fit sourire en coin le père qu'il était malgré tout. « Sais-tu combien d'assassins Selenia m'a envoyé depuis que je suis bourgmestre ? » Il coula un regard sur elle, un sourire amusé aux lèvres malgré la gravité de son propos. Bien sûr, ces assassins n'étaient pas envoyé par Nolan. Mais des proches de la cour des Kohan avaient indéniablement envie de le voir disparaître, lui le traître. « Il ne faudrait quand même pas qu'il leur prenne l'envie de venir jusqu'ici, tu ne crois pas ? » Pour l'atteindre lui, indirectement.

    Il reporta une dernière fois son attention sur son enfant et fut surpris de croiser son regard. Il détourna le sien avant de s'en aller, ne cherchant pas aller au delà et les elfes étaient très respectueux des coutumes : son fils ne viendrait pas engager la parole puisqu'il n'était pas l'aîné. Son pas était calme et régulier, ne cherchant ni à fuir subitement, si à rester. Il n'avait envie ni de l'un ni de l'autre, il était entre les deux. Comme toujours en vérité, n'avait-il pas éternellement été à cheval entre deux monde, deux positions. Puis, il s'arrêta, portant un regard en arrière sur la maisonnée où son fils se trouvait. Qu'avait-il espéré ? Qu'on l'ait suivi pour venir lui refaire le portrait ? Il se laissa consolé par les prunelles améthystes de la Liée dont il prit doucement les mains pour caler entre elles la boussole d’Océan. Lui-même savait à présent qu'il ne s'était pas trompé. « Puisses-tu le retrouver et le conduire loin des ténèbres où il s'est enfoncé. » Il relâcha ses mains dans un geste tendre et triste à la fois. Il parlait d'Aeglos évidement.



    Boussole du Coeur :

descriptionA la croisée des chemins [Orfraie] EmptyRe: A la croisée des chemins [Orfraie]

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Orfraie emboîta le pas à son ami sans un mot, laissant ce dernier mener leur avancée au sein de la nouvelle cité elfique. Pour sa part, elle en connaissait chacun des recoins mais ce n’était certainement pas le cas d’Aldaron dont les yeux curieux se posaient de ci de là sans jamais s’attarder très longtemps. S’il y avait une chose que la princesse des ombres devait accorder aux Elfes, c’était bien leur capacité à concevoir des édifices, des cités entière, absolument fabuleuses. Qui eut cru que dans la rigueur du désert, le peuple qui fut jadis de la forêt soit en mesure d’y construire une si grande ville ?

Le sable et le vent balayaient régulièrement la cité, mais le beau peuple avait conservé tout son savoir-faire pour rendre cet endroit aussi fabuleux que l’avait été la cité dans la montagne. L’omniprésence de l’eau rajoutait une touche de pureté et de légèreté qui ne pouvait que plaire à Orfraie, puisqu’elle fut jadis liée à cet élément en tant que Baptistrelle. Un passé lointain perdu dans la brume de son esprit vampirique, mais qu’elle connaissait malgré tout.

Bien vite, Aldaron se rendit compte de la présence de très jeunes enfants. Si cela pouvait paraître commun dans une si grande ville, ça ne l’était pas chez les Elfes et un sourire étira les lèvres de l’Ataliel, qui s’arrêta un instant aux côtés de son ami. Les mains jointes dans son dos, elle se mit à observer – tout comme Aldaron – les jeux des enfants. « C’est la vérité. Cette île recèle de mystères et l’un d’eux a permis ce miracle. »

Puis ils reprirent leur route, suivant toujours le chemin indiqué par la boussole dorée. Lorsque l’Elfe lui demanda si elle en connaissait la légende, Orfraie indiqua que non d’un signe de la tête. Elle ouvrit ensuite grand ses oreilles. La légende qui lui fut contée lui était inconnue, mais pas la raison du nom de Lyssa. Pour la guerrière qui avait rencontré les Déesses sur l’ancien continent, il ne faisait aucun doute de la véracité des propos tenus par Aldaron. Elle se souvenait parfaitement du regard perçant d’Océan, de la colère de Végétal ou de la douceur de Feu, qui avait étreint un jeune baptistrel avant de disparaître pour toujours.

La princesse manqua de percuter Aldaron car celui-ci s’arrêta sans prévenir. Fort heureusement, elle se reprit suffisamment vite et s’arrêta juste à côté de lui, puis suivit son regard. Ils se trouvaient dans un quartier résidentiel et Orfraie ne fut guère étonné de mirer par la fenêtre la longue crinière brune d’un elfe. Le fils d’Aldaron lui ressemblait énormément, il était donc impossible de se tromper quant à ses origines.
La dragonnière se sentait toutefois de trop dans cet échange à sens unique. Pudiquement, elle détourna donc le regard et se mit quelque peu en retrait de son ami. Les mains jointes dans son dos, elle attendit, mais ses sens de Liée lui permirent de sentir toute la tristesse du marchand, ainsi que sa culpabilité et son affection pour cet enfant qu’il ne connaissait pas.

Orfraie ne répondit pas à la question d’Aldaron. Celle-ci n’attendait pas de réponse mais les mots de l’elfe ramenaient à la guerrière le souvenir bien vivace d’une douce elfette aux yeux verts-dorés. Elle n’était plus, mais de son vivant elle n’avait cessé de chercher à comprendre et pardonner. La guerrière croisa le regard de son ami.

« Qu’ils essaient de s’en prendre à l’un des nôtres. » Avertit-elle d’une voix grave. Envoyer des assassins à Caladon était une chose. En envoyer au cœur de l’Empire Elfe en était une autre et tout politicien, même véreux, réfléchirait à deux fois avant de prendre le risque de s’attirer la colère des Elfes s’il était découvert.

La guerrière suivit tranquillement Aldaron, sans un mot. Elle ne chercha pas à masquer sa surprise lorsqu’il logea la boussole d’Ocréan au creux de ses mains. Orfraie referma ses doigts sur le métal dorée, sans réellement savoir quoi dire, mais il lui semblait que son regard suffisait à traduire sa gratitude. Toutefois, elle tenait à raconter une histoire à son ami, aussi lui prit-elle la main pour l’inciter à la suivre jusqu’à une petite place. Là s’y trouvait un banc à l’ombre d’un arbre. Ils s’y assirent et la dragonnière se tourna vers son ami.

« Lors de mon centième anniversaire, mon père décida de vendre ma main à une autre famille. Il venait de prendre ma liberté, elle a qui je tenais plus que tout. Cette décision qu’il prit sans mon consentement eut pour conséquence mon départ de notre forêt pour près de trois siècles. Pas un jour ne passa sans que je rumine cette trahison, sans que je lui en veuille. Puis le temps fit son œuvre. De jeune adulte je devins femme. La fougue fut remplacée par la sagesse et je compris finalement ce qu’il avait tenté de faire, bien que maladroitement. » Sa voix était douce, tout comme son regard. Elle n’avait pas lâché la main de son ami à qui elle s’ouvrait sans crainte. « Lui était en colère. J’avais bafoué son autorité, nos mœurs, nos traditions, notre nom. J'avais brisé sa confiance. Je l’avais humilié auprès de notre peuple tout entier. Mais lorsque je revins, trois siècles plus tard, lui aussi avait grandit et comprit ma réaction. Nous parvînmes alors à nous entendre. Je crois, au fond, que ce fut la première fois que nous en fûmes capables. » Elle lui sourit doucement. « J’avais aussi une amie, une douce elfe nommait Merÿl Nalwë. Sa mère n’est autre que Kalÿna Vallaël, que tu connais sans aucun doute. Malgré tout ce que sa mère fit, Merÿl chercha à comprendre et défendit sa mère face à ses détracteurs car derrière chacun de nos actes, fussent-ils affreux, se trouve une ou plusieurs raisons. » L’Ataliel coula un regard empli de douceur sur le père qui lui faisait face. « Toi aussi tu avais tes raisons. Qu’elles fussent bonnes ou mauvaises, cela dépend avant tout de notre propre point de vue. Je sens un dilemme en toi. Tu as le droit de souhaiter découvrir ce fils si ce dernier désir découvrir son père. Cela pourra peut-être prendre du temps, mais je sens que si tu n’essaies pas, tu t’en voudras pour le restant de tes jours. Écoute ton cœur. » Conclu t-elle en lui replaçant doucement la boussole entre les mains.

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Orfraie n'avait pas tord : on entrait moins facilement au Royaume Elfique qu'à Caladon, il n'y avait qu'à voir l'escorte de Rôdeurs qui avaient rejoint le convoi marchand, pourtant démuni de mauvaises intentions. A Caladon, la circulation était plus libre et même si la garde faisait un bon travail, il ne leur était pas possible de contrôler tout ce qui pouvait aller et venir à moins de ralentir et tuer le commerce qui faisait battre le cœur de la cité libre. Toutefois, Aldaron n'était pas aussi ferme que la dragonnière sur la question. En témoigne le mariage d'Aegnor qui avait été un massacre en dépit des protections du beau peuple. Et quand bien même on mettait la main sur l'assassin, le mal pouvait être fait et qu'importerait la colère des elfes ? Il aurait été trop tard pour son fils. « Nous ne sommes pas invincibles. » avait-il répondu, calme, mais sans entrer dans les détails. Le ton doux montrait combien il ne tenait pas la garde elfique en défaut... Mais si une personne veux du mal à une autre, il n'est pas étonnant de la voir sortir de son chapeau des moyens inattendus pour passer outre les barrières sur son chemin. Il n'avait pas envie de mettre ses détracteurs au défi de montrer leur talent. Et puis au fond, ce n'était pas l'argument le plus fort qui l'éloignait de son fils. C'était sa propre peur, autant que sa lâcheté qui jouaient, humainement, un rôle prépondérant.

La gratitude, qu'il lisait dans les yeux d’améthyste face à lui, lui fit rendre un sourire affectueux. Il aimait beaucoup cette femme, elle aurait pu être sa sœur que cela ne l'aurait guère déplu. En dépit de son propre ressentiment à l'égard d'Aeglos, il ne pouvait taire l'amitié qui le liait à Orfraie et qui lui criait de la laisser avoir cette chance de retrouver son enfant égaré. Il avait suffisamment foi en la bonté logée dans ce cœur de vampire pour espérer et prier qu'elle soit capable de ramener l'héritier sur des chemins moins tortueux, moins violents, moins meurtriers. Resserrant sa main dans la sienne, il la suivit jusqu'au banc, à l'ombre du soleil cuisant de cette île, où il prit place. Orfraie et Aldaron se ressemblaient beaucoup. Ils avaient, l'un comme l'autre, quitté les leurs pour fuir des mœurs qu'ils n'approuvaient pas. Elle était revenue et les siens avait compris, mais l'histoire de tout un chacun était unique. Le bourgmestre était revenu une fois auprès des siens, lorsque, pour la première fois, il avait éprouvé la douleur de la perte : les humains étaient bien plus éphémères que les elfes. Il avait fait route vers les forêts de l'ouest pour se confronter aux esprits butés des siens. Ils n'avaient pas changé. Ils n'avaient pas revisité leurs avis tranchés à son sujet. Peut-être qu'un jour, le sentiment de son père irait dans une polarité plus positive, peut-être l'y était-il déjà sans que le bourgmestre ne le sache, peut-être aussi ne parviendrait-il jamais à pardonner ce fils qui l'avait déshonoré.

S'il était heureux du destin favorable d'Orfraie, le sien n'avait pas connu de fin heureuse. Il avait perdu Achroma. Il avait perdu son frère et sa sœur Triade. Il avait perdu Silarae, Dawan... Et la liste pouvait être encore bien longue. Il avait perdu jusqu'à son essence dans le volcan de Morneflamme. Et il avait vécu, il avait survécu à tout cela, tout en ayant à brûler les corps de ceux qui trépassaient, encore et toujours avant lui. Il l'enviait au fond de lui, comme il enviait, dans une moindre mesure Kalÿna. Lui, il attendait toujours que le ciel lui tende enfin une main salvatrice pour sortir son âme des limbes atroces dans lesquelles elle baignait depuis quelques années. Derrière son masque de vie, bienveillant, il n'était qu'une coquille vide, qui essayait de faire ce qu'il pensait être juste pour Caladon, tout en priant pour que le temps referme ses plaies et lui donne envie de vivre et de s'investir pleinement. Peut-être... peut-être qu'à ce moment-là, il aurait le courage d'aller vers son fils, sans craindre que l'éventuelle claque n'achève ses dernières forces. Il referma ses mains sur la boussole, touché par les paroles de la dragonnière : « Merci, Orfraie. » souffla-t-il, avant de venir poser un baiser sur le front froid de son amie. Il lui faudrait du temps pour digérer tout cela, pour appréhender les possibilités qu'il avait face à lui. Il ne voulait rien précipiter, au risque de franchir les étapes trop brusquement. Pour une fois, il voulait bien avancer avec la lenteur d'un elfe : il ne se sentait pas pressé... Car cette chose lui demandait énormément de recul. Son départ avait forgé l'intégralité de sa vie, son évolution et jusqu'à la place même qu'il avait au sein des Hommes. Revenir sur ses pas, c'était prendre le risque de s'égarer.

Les paroles d'Orfraie décantaient doucement en lui. Il ressentait le besoin de s'isoler, au calme, et de méditer. Il tournait délicatement la boussole entre ses mains, les yeux baissés sur la flèche qui ne changeait de direction. Sa solitude le rongeait autant qu'elle lui était bénéfique. Il éprouvait à son égard comme de l'électricité, à la fois attiré, aimanté et révulsé, hanté. Une tension comme de l'orage. « Je vais retrouver les miens et m'installer. Je vais rester quelques jours ici, au moins pour visiter. Je passerai voir les Rôdeurs, faire leur connaissance. » Ce serait un bon début. « Peut-être nous reverrons nous alors. » Il eut un sourire, plein d'espoir : « Je suis heureux de t'avoir retrouvée aujourd'hui. Puis-je te demander de transmettre à Luna mon affection ? » Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas vu la dragonnière dorée.


[HJ : C'est une conclusion pour moi, je pense ♥️ Merci beaucoup pour ce RP, la fin est toute cute ♥️]

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