Caladon, 4 octobre 1762
Des talents. Si rares, si uniques, l'elfe en avait la lubie. Était-ce pour autant une extravagance que de chercher à posséder pareils joyaux pour leur offrir la lumière qu'il manquait à leur éclat ? Fou était plutôt celui qui n'en voulait pas. Son Grand Mécène était d'une efficacité remarquable et parfois, il arrivait à Aldaron de s'émerveiller devant ses trouvailles. Des diamants bruts à forger, à graver secrètement du sceau du Marché Noir. L'avenir leur appartiendrait, ils n'auraient qu'à sublimer le paysage que le bourgmestre avait peint pour eux. La dette serait payée. « Bonjour Eloi. » fit l'elfe en entrant dans le petit salon où son protégé pouvait étudier en toute sérénité. Un toit. C'était encore la moindre des choses qu'il puisse offrir à ce jeune homme. Ça n'était pas la panacée : malgré l'immense richesse du Marché Noir, Aldaron n'avait jamais eu la prétention des dorures orgueilleuses. Ce n'était pas par sa richesse opulente qu'il comptait l’épater. Les véritables trésors se trouvaient dans les arts et la science. Il ne gaspillait aucunement, il y avait tant à construire qu'il songeait, pour Caladon, plus à l'utile qu'à l'agréable. Ainsi avait-il pu permettre à ce jeune homme de profiter de cette garçonnière et de vivres régulières. Officiellement, cet endroit appartenait à un caladonnien, mais le Marché Noir avait divers noms pour camoufler ses possessions dans tout l'archipel. Indirectement, Aldaron possédait alors plus de la moitié des bâtiments de la ville. Les pauvres hères l'ignoraient, cela lui convenait tant qu'il pouvait tirer les ficelles. S'il ne voulait aucun mal à Caladon, et bien au contraire, il traitait la cité comme son enfant, il aimait à sentir le contrôle qu'il pouvait exercer, la poigne qu'il avait sur ce monde était bien plus puissante et dangereuse qu'on pouvait le songer.
« Je suis ravi de te voir étudier. De quel sujet t'éprends-tu aujourd'hui ? » lui demanda-t-il, avec une curiosité courtoise mais intéressée. Eloi avait le nez perdu dans les pages d'un ouvrage, visiblement fort occupé. Pour autant, l'elfe saurait s'imposer. Son ascendant le rendait difficile à ignorer. La respiration calme du bourgmestre était régulière et son visage avait un sourire effacé, mais accueillant. Tout en lui exsudait de droiture et son port altier, d'une maîtrise parfaite, accentuait son aura régalienne. Les longs cheveux blancs, lisses, tombaient dignement sur une courte tunique claire. Si ses vêtements étaient de bonne facture, ce n'était que dans la qualité du tissu et du travail : ni dorures, ni fantaisies ostentatoires. Il n'était pas le genre d'homme à briller de ses atours. Sa seule prestance, sublimée de son esprit lié du saumon, suffisait souvent à marquer son entourage en respect. S'avançant dans la pièce d'un pas lent et mesuré, il congédia sa garde afin d'être seul avec son spécimen rare. De son regard, il le décortiquait encore, l'analysait, le découvrait comme si c'était la première fois. « Comment trouves-tu Caladon ? » fit-il après un bref coup d’œil en direction de la fenêtre avant d'ajouter rapidement : « Ça n'est pas une question piège. » Des personnes qui lui léchaient les pieds et vantaient les mérites de la cité libre pour avoir ses bonnes grâces, il en avait des milliers. Pour le cas d'Eloi, Aldaron n'attendait qu'authenticité et franchise. Il voulait surtout s'assurer que le jeune homme ne manque de rien dans son nouvel environnement. Caladon était en construction : c'était donc qu'elle était encore imparfaite.
« J'ai quelques bonnes nouvelles à t'annoncer. Deux pour être exact. » Il pencha la tête légèrement sur le côté, comme s'il jaugeait de quel sujet il allait traiter en premier mais se dit que finalement, il serait de meilleur goût de demander au principal intéressé : « Magie ou glyphes... Par quoi je commence ? » Son sourire s'étirait, paternellement, sur ses lèvres. Il n'y avait vraiment pas à dire, malgré lui, il cherchait toujours à gâter ses protégés.