« Sans doute » fit-il avec détachement « Mais des employés qui font mal leur travail, ça existe » L'affirmation se portait sans guère de jugement, un simple constat d'une réalité qui lui semblait couler de source. Il retint le reste, n'ayant pas très envie de commencer à controverser dès le matin avec lui, préférant garder cela pour d'autres occasions. Mais les faits étaient là. La population, surtout humaine, avait tendance à avoir la mémoire courte, et à oublier d'où venaient les bienfaits du moment où la sécurité semblait acquise. Du peu qu'il en comprenait, ce n'était pas encore le cas, mais ça viendrait forcément à un moment ou un autre, et à partir de cet instant ? Il ne faisait aucun doutes que leur reconnaissance irait en s'étiolant et cela lui déplaisait déjà. Il n'avait pas envie de voir Aldaron subir ça. Il n'avait pas envie de voir la lueur de fierté dans ses superbes prunelles se faner et disparaître comme l'automne dans les feuilles des arbres. L'idée éveillait une colère dangereuse en lui, tant elle était violente et irraisonnée, grondant déjà rien qu'à la perspective avant la moindre réalisation. Fort heureusement, ils avaient bien d'autres sujets à partager, qui l'empêchait de rester coincer sur cela. Et elle lui changeait les idées. Oui, il avait faim, et goûter son sang l'intéressait, d'autant qu'il n'avait aucune idée d'une autre façon de se sustenter ici. Jusqu'à présent, il continuait d'utiliser Purnendu pour se fournir, puisque son ami n'y voyait pas d'inconvénients. L'elfe pourrait être une bonne alternative pour éviter d'avoir à chasser, s'il acceptait évidemment. Mais cela le gênait moins de le lui demander à lui. Ils étaient déjà intimes, après tout, c'était une étape de plus. La facilité avec laquelle l'autre acceptait était confondante. Ivanyr ne s'était nullement attendu à ce que l'autre se montre d'aussi bonne volonté à un tel égard… mais ça lui allait parfaitement ! Pour autant, les explications, et le compliment, lui firent hausser les épaules. « Je pense que c'est plus une question d'éducation et de volonté que d'âge, même si je remercie mon ami du bon mot. Je ne meure pas de faim, et je ne sens pas mon 'repas' menacé, donc je ne vois pas de raison de jouer les animaux, pour d'autres ? Et bien… chacun sa façon de voir les choses, je suppose » Il avait vu les autres vampires, beaucoup succombaient à la faim… peut-être ne voulait-il pas non plus ployer face à la dépendance. Ça nuirait à son teint.
La question suivante le laissa perplexe, réellement. Jusqu'à présent, Purnendu avait été sa principal source de nourriture, par choix autant que par possibilité et à cause de sa fourrure, il lui servait le sang dans une outre, pour éviter au vampire d'avoir des poils coincés entre les crocs et collés à la langue. C'était une logique pragmatique, rien d'autre. Mais là, on lui demandait de quoi il avait envie et en vérité ? Il n'en savait pas grand-chose. Muet, il penchait légèrement la tête de côté, observant ce choix avec un sérieux qui n'était peut-être pas de circonstance, mais qui lui paraissait, à lui, adéquat, en la plus parfaite des subjectivités. Finalement, il estima que le contact de l'elfe serait plus agréable que de boire simplement dans un verre, geste qui lui paraissait gauche et grossier. « Ta gorge » souffla-t-il avec douceur, espérant qu'il n'y verrait pas d'inconvénient. Qu'il puisse honorer le don à sa juste valeur, qu'il puisse sentir la réaction de son partenaire et faire attention à lui, qu'il puisse lui rendre l'acte aussi plaisant que possible, et qu'il puisse l'emplir d'une autre symbolique qu'un banal don de nourriture… S'il comprenait la répugnance des humains pour le régime alimentaire des vampires, il imaginait, peut-être stupidement, que lors d'un partage consentant, il pouvait y avoir en cela beaucoup plus que cela, qu'il pouvait en faire un art agréable, un plaisir comme un autre. Il suffisait, en soi, d'avoir le bon coup de… main ? Langue ? Bonne question. Néanmoins, avant qu'il n'aille plus loin, on répondit aux interrogations qu'il entretenait au sujet de ce fameux royaume Sélénien. Se faisant aussi muet qu'attentif, il écouta avec beaucoup d'intérêt ce qu'Aldaron lui révélait. Il y avait là beaucoup d'informations, mais surtout beaucoup de raisons de s'interroger davantage… Et lorsque l'autre eut terminé, Ivanyr resta un long moment silencieux, défait de toute expressivité mais l'observant attentivement. Puis il soupira profondément et se redressa sur son assise, à la seule force des muscles. Posant le menton sur ses mains jointes, il s'offrit quelques instants de plus à réfléchir et digérer ce que l'on venait de lui expliquer avant de formuler la moindre réponse. Il ne voulait tout simplement pas donner une réponse trop empressée, par pur respect pour la gravité de ce qu'il ressentait en lui.
Néanmoins, avant qu'il ne puisse émettre un son, Aldaron revint à une précédente demande, et il s'approcha tandis qu'il entaillait sa chair, soufflant un remerciement dans le creux de son oreille avant de sceller ses lèvres à la plaie, laissant le fluide chaud et riche, âcre, lui couler sur la langue et dans la gorge. Lentement, il caressa les bords de la plaie nette, suça avec précaution, pour un essai prudent. Puis avec un soupire, il se rapprocha davantage et enlaça l'elfe, le nichant contre son corps puissant, le ployant pour épouser sa forme de la sienne. Ses mains aux longs doigts virent lui masser les hanches et lui caresser le dos tandis qu'il ponctionnait une part de sa force vitale, sans jamais planter les crocs, tâchant, comme il l'avait souhaité, de rendre l'expérience la plus agréable possible pour celui qui lui offrait si aisément son sang. Cela dura un moment, qui perdurait simplement parce qu'il prenait son temps, qu'il ne cherchait ni à se presser ni à le vider, certainement encore moins à le violenter. Puis lorsqu'il détacha enfin ses lèvres de sa peau, il vint effacer le léger reliquat carmin et soupira doucement en venant se reposer contre lui, joue contre son épaule, retombant dans le silence alors qu'il jouait avec une de ses mèches. « Je t'aiderais » fit-il avec tranquillité, venant chercher son regard du sien et l'y apposant avec fermeté. « Je suis encore en convalescence, Cybele me répète sans cesse qu'elle me sait capable de bien plus que je ne fais pour le moment et je le ressens également, profondément, en moi, mais… je t'aiderais. Dès à présent et toujours, à la mesure de mes moyens quels qu'ils soient, tu pourras compter sur moi. Uses de moi comme de ton arme, et ne ressent pas de regrets car c'est moi qui te l'offre. Si ce que tu demandes m'est impossible je te le dirais, sinon je te donnerai ce que tu voudras. C'est vrai, l'argent, l'or, est puissant, mais il y a des choses qu'il ne peut pas faire… celles-là, c'est moi qui les ferait» Il tendit la main, vint lui effleurer la joue, résolut. Sans doute était-ce un peu pompeux de le présenter comme cela, mais il sentait que cela lui était nécessaire, alors il allait simplement avec le flot. Tant pis si cela paraissait excessif à certains ! Il n'allait pas réellement se lister en politique et aller haranguer des foules, mais ce qu'il proposait, ça oui, il savait en être capable.
Se redressant, il vint se mettre près de lui, puisqu'il ne pouvait pas réellement être face à lui. Cyrène aussi s'est battue pour une cause qu'elle pensait juste, j'en suis certain. Je ne me souviens pas vraiment d'elle mais si elle était ma mère, si elle ressemblait au reste de ma famille, si Cymorill est vraiment son portrait, alors je ne doute pas qu'elle est morte satisfaite de sa vie... » Non, la mort n'était vraiment pas une ennemie, lorsqu'on vivait pleinement et en accord avec soit-même. Mais évidemment, tout le monde n'en était pas capable. Cela dépendait entièrement. « Quand à Sélénia... » Il soupira «[color=#4084E1] Les Kohans n'ont pas toujours existé, il y a bien eut un temps où ils n'étaient pas rois. Comme pour tous les autres. Les dynasties sont comme les hommes, elles viennent par cycle. Si ces individus ne méritent plus leur couronne et ne tiennent vraiment que par de vieilles lois du sang, alors peut-être leur temps est-il effectivement venu… mais lorsque tu auras véritablement siphonné leurs trésoreries, que feras-tu ? » Ses traits régaliens se froissèrent par une pensivité sensiblement critique, mais non agressive. Il voulait comprendre les tenants et les aboutissants. « Est-ce que tu te mêlera de leur remplacement ? Est-ce que tu les laisseras faire ? Tu veux éviter de verser du sang, mais de ce que je sais des humains… et de façon générale, de tous les peuples, nous sommes promptes à régler les choses par le sang. Empêcheras-tu une guerre civile si elle se déclare ? Laisseras-tu un tyran pire encore monté au-devant de la scène ? Imposeras-tu un gouvernement ? » Vouloir éviter un massacre était très louable, mais en même temps, à un moment où un autre, il y aurait une fausse note dans la partition, simplement parce que de nombreux individus étaient trop bêtes pour apprendre de leurs erreurs. « Et… si tu arrives à siphonner leurs caisses, que leur royauté tombe, empêcheras-tu Délimar de laver leur honneur perdu dans le sang ? Qui te dis qu'ils n'attaqueront pas tout de même, simplement pour 'purifier' Sélénia ? Si ce sont des Glacernois, ça ne me semble pas étrange, comme comportement... »
Il eut un étrange sourire et pencha de nouveau la tête sur le côté avec un petit air joueur cette fois « Connais-tu l'histoire de la fondation de Glacern d'ailleurs ? Ou peux-être ne l'as-tu jamais entendu ? Elle est éclairante sur les relations entre le Nord et les Kohans… et fatidique, de ce que j'en perçois à présent » Oh oui, c'était éclairant, comme conte….