Le 4 Novembre de l’an 1762
En cette pâle matinée de novembre, la pluie faisait résonner son doux clapotis sur le toit du palais, nimbé du voile évanescent de la brume d'automne. Durant cette saison, le temps s’avérait particulièrement humide et venteux sur la partie nord-est de l’ile de Calastin et la pluie qui tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours était propice à une humeur mélancolique. Comme à l’accoutumée, le jeune empereur présidait aux séances du Conseil qui se tenait chaque matin afin de discuter avec ses conseillers des affaires du Royaume. Ce dernier occupait le siège d’honneur, figé dans une posture hiératique, le visage recouvert d’un masque impassible, et seules ses prunelles d’or pur trahissaient son ennui. Au milieu de cette assemblée de haut-dignitaire, pour la plupart d’un âge vénérable et affublés d’une barbe blanche, la présence de ce jouvenceau serait apparue incongrue s’il ne s’agissait pas de l’héritier du trône. Nombre d’entre eux servaient son père Korentin, voir son grand-père avant lui, et Nolan avait songé à maintes reprises qu’amener un peu de sang-neuf permettrait de rajeunir, de dynamiser voire de secouer ce cénacle de gérontocrates.
Les heures s’égrenaient, telles les perles d’un chapelet, avec une lenteur déconcertante à tel point que le temps avait paru suspendre son vol. Le couronné écoutait d’une oreille distraite la litanie de Maximus, l’un des membres les plus conservateurs, qui lui rabâchait pour la énième fois son discours soporifique et des suggestions de réformes. A cet instant, le jeune homme aurait donné n’importe quoi pour que cesse ce qui ressemblait à ces yeux à un indescriptible calvaire. Sentant la migraine le gagner, et contraint d’être présent physiquement, car incapable de se soustraire à son devoir de monarque, le gamin pouvait néanmoins s’évader par le biais de l’esprit. Tout naturellement, ses pensées se dirigèrent vers Luna, la princesse des lumières, qui en ce moment même assistait à un important congrès scientifique ayant pour objet d'étude le Golem, créature endémique à l’ile de Calastin. Ce nouvel archipel recelait tant de mystères et de possibilités de faire d’énormes découvertes, aussi bien sur le plan intellectuel que culturel que le souverain sélénien en avait le tournis !
La jeune fille s’était rendue à Cordont, une modeste bourgade située à la frontière entre l’Empire et l’Alliance des Cités libres, et qui devait sa seule renommée à son statut de ville emblématique du traité d'armistice ratifié par les deux Etats. Retenu à Sélénia par diverses obligations, l’empereur n’avait pas pu prendre part à cet événement scientifique et Luna, à présent élevée au rang de princesse, s’y était rendue en compagnie d’Alkytis son lié et d’une délégation afin de représenter la nation Sélénienne. Ce dernier espérait que sa sœur aînée passerait un moment plaisant, s’amusant tout en acquérant de nouvelles connaissances et que sitôt revenue à Sélénia elle lui conterait de truculentes anecdotes sur le Golem. Les lippes du gamin esquissèrent un sourire amusé en imaginant la liée dorée et son dragon partant à la découverte de cette singulière espèce.
Tout d’un coup, il fût arraché à ses rêveries par des cris en provenance du couloir adjacent et Nolan reconnut sans peine la voix de plusieurs des lames écarlates qui criaient :
« Arrêtez-là ! Ne la laissez pas entrer dans la salle du conseil ». Dès après, la porte à double battant en bois massif s’ouvrit à la volée, laissant apparaitre l’Ataliel talonnée par la garde écarlate, qui tentait de freiner son avancée. Suite à cette entrée remarquée les membres du Conseil dardèrent sur l’intruse des regards désapprobateurs, tandis que leurs visages arboraient une expression sévère et une froideur marmoréenne.
Maximus coupé net à l’instant où il désirait entamer la deuxième partie de son discours fustigea la nouvelle arrivante :
- Quelle impertinence ! Où vous croyez-vous donc à débouler ainsi en pleine séance du Conseil du Royaume ?
Toutefois, si la princesse Immaculée avait pris la peine de se rendre à la hâte auprès du jeune monarque, bravant sa garde personnelle afin de forcer l’entrée de la salle, c’est qu’elle était dépositaire d’une sombre nouvelle :
« La guerre arrive, si on ne fait rien pour l’arrêter ».
Aussitôt ces mots prononcés, un silence glacial tomba sur l’assemblée, d’abord stupéfaite avant de se laisser gagner par l’effervescence et des voix belliqueuses s'élevèrent.
« La guerre ! C’est certainement un coup des cités libres, ces traitres attendaient la première occasion pour nous attaquer ! ». « On ne pouvait se fier aux prétendues promesses de paix de ces fieffés rebelles ! Majesté il faut sur le champ envoyer notre armée pour les châtier ».
Nolan lui-même demeura pantois, comme tétanisé sous l’effet d’une telle annonce, avant de prendre la parole d’un ton impérieux :
- Silence ! Taisez-vous ! J’exige que vous sortiez sur le champ et que vous me laissiez m’entretenir seul à seul avec la princesse Orfraie Ataliel.
A contrecœur les vieillards se levèrent de leurs sièges et quittèrent les lieux, laissant le monarque Sélénien et la flamboyante Dragonière discuter à huis-clos.
Après leur départ, cette dernière lui rapporta les informations transmises par la princesse des lumières, au moyen d’une pierre de communication et d’une bague, faisant état d’une catastrophe à Cordont, mettant en scène des Golems, et responsable d’innombrables morts et blessés ainsi que de l’anéantissement de la ville. Hélas, l’adolescent n’était guère au bout de ses surprises et quel ne fût pas son étonnement quand il apprit de la bouche même de l’immaculée qu’Aldaron Leweinra, le Bourgmestre de Caladon, venait de proclamer l’annexion de cette cité située sur un territoire neutre.
Le jeune Kohan ne descella pas les lèvres, attendant que son interlocutrice achève son récit, tout en tentant de contenir les émotions contradictoires qui l’assaillaient, mêlant allègrement incompréhension, colère, inquiétude et déception.
Plus qu’une ville, Cordont incarnait un symbole, celui d’une paix fragile instaurée après une guerre-éclair et l'espérance de l'acheminement vers une paix durable. L'important congrès scientifique organisé sur son territoire représentait une première ébauche de rapprochement entre les deux peuples, jadis ennemis. Nolan songea avec amertume qu’il n’avait fallu que l’espace d’un instant pour réduire à néant des mois passés à batailler pour triompher des nombreuses résistances présentes au sein de chaque camp. En dépit de la signature de l’armistice, nombre de Séléniens nourrissaient une rancœur tenace à l’égard de l’alliance des Cités libres, les considérant comme Rebelles à l’empire et l’acte d’annexion de Cordont par Caladon, portant gravement atteinte au traité signé précédemment, ressemblait à une ultime provocation destinée à attiser les velléités bellicistes.
Les pensées se bousculaient dans l’esprit du jeune homme, hésitant quant à la posture à adopter face à cette décision d’annexion émanant de Caladon, et qui avait pour déplorable conséquence de faire planer à nouveau au-dessus d’eux le spectre honni de la guerre. Etant absent au moment du déroulement des faits, ce dernier ne disposait que d'informations parcellaires et craignait de laisser ses émotions obscurcir son jugement. Sans compter qu’il sentait une vive inquiétude s’emparer de lui en songeant à sa sœur bien-aimée, toujours présente sur les lieux de la catastrophe et le sort des nombreux blessés. Il devait la rejoindre au plus vite !
- Orfraie nous devons partir le plus rapidement possible là bas ! Je vais donner des ordres pour que les choses se mettent en place puis nous partirons pour Cordont. A dos de dragon, nous y serons en l'espace de quelques heures et j'espère que nous y parviendront à temps pour éviter l'irréparable !
Aussitôt leur discussion achevée, le souverain Sélénien s’empressa d’ordonner à ses troupes de se mettre en route afin de porter assistance aux victimes de Cordon et que soit organisé l’aide humanitaire d’urgence.
Avant le départ, Nolan envoya un message télépathique au dragon d’Améthyste afin de l’informer de la situation et lui demander, par la même occasion s’il ne pouvait pas également transporter sur son dos un ou deux soigneurs jusqu’aux ruines de Cordont.
Puis, le jeune empereur prit son envol, aux côtés de l’Ataliel chevauchant son propre lié et tous deux se dirigèrent à toute vitesse vers cette cité ravagée, désormais synonyme de peine et de désolation. Durant toute la durée du voyage, l’adolescent se sentait dévoré par l’angoisse et espérait arriver à temps à Cordont afin d’empêcher la survenue d’un nouveau drame, que cela soit la perte d’un être cher ou l’éclatement de la guerre…
En cette pâle matinée de novembre, la pluie faisait résonner son doux clapotis sur le toit du palais, nimbé du voile évanescent de la brume d'automne. Durant cette saison, le temps s’avérait particulièrement humide et venteux sur la partie nord-est de l’ile de Calastin et la pluie qui tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours était propice à une humeur mélancolique. Comme à l’accoutumée, le jeune empereur présidait aux séances du Conseil qui se tenait chaque matin afin de discuter avec ses conseillers des affaires du Royaume. Ce dernier occupait le siège d’honneur, figé dans une posture hiératique, le visage recouvert d’un masque impassible, et seules ses prunelles d’or pur trahissaient son ennui. Au milieu de cette assemblée de haut-dignitaire, pour la plupart d’un âge vénérable et affublés d’une barbe blanche, la présence de ce jouvenceau serait apparue incongrue s’il ne s’agissait pas de l’héritier du trône. Nombre d’entre eux servaient son père Korentin, voir son grand-père avant lui, et Nolan avait songé à maintes reprises qu’amener un peu de sang-neuf permettrait de rajeunir, de dynamiser voire de secouer ce cénacle de gérontocrates.
Les heures s’égrenaient, telles les perles d’un chapelet, avec une lenteur déconcertante à tel point que le temps avait paru suspendre son vol. Le couronné écoutait d’une oreille distraite la litanie de Maximus, l’un des membres les plus conservateurs, qui lui rabâchait pour la énième fois son discours soporifique et des suggestions de réformes. A cet instant, le jeune homme aurait donné n’importe quoi pour que cesse ce qui ressemblait à ces yeux à un indescriptible calvaire. Sentant la migraine le gagner, et contraint d’être présent physiquement, car incapable de se soustraire à son devoir de monarque, le gamin pouvait néanmoins s’évader par le biais de l’esprit. Tout naturellement, ses pensées se dirigèrent vers Luna, la princesse des lumières, qui en ce moment même assistait à un important congrès scientifique ayant pour objet d'étude le Golem, créature endémique à l’ile de Calastin. Ce nouvel archipel recelait tant de mystères et de possibilités de faire d’énormes découvertes, aussi bien sur le plan intellectuel que culturel que le souverain sélénien en avait le tournis !
La jeune fille s’était rendue à Cordont, une modeste bourgade située à la frontière entre l’Empire et l’Alliance des Cités libres, et qui devait sa seule renommée à son statut de ville emblématique du traité d'armistice ratifié par les deux Etats. Retenu à Sélénia par diverses obligations, l’empereur n’avait pas pu prendre part à cet événement scientifique et Luna, à présent élevée au rang de princesse, s’y était rendue en compagnie d’Alkytis son lié et d’une délégation afin de représenter la nation Sélénienne. Ce dernier espérait que sa sœur aînée passerait un moment plaisant, s’amusant tout en acquérant de nouvelles connaissances et que sitôt revenue à Sélénia elle lui conterait de truculentes anecdotes sur le Golem. Les lippes du gamin esquissèrent un sourire amusé en imaginant la liée dorée et son dragon partant à la découverte de cette singulière espèce.
Tout d’un coup, il fût arraché à ses rêveries par des cris en provenance du couloir adjacent et Nolan reconnut sans peine la voix de plusieurs des lames écarlates qui criaient :
« Arrêtez-là ! Ne la laissez pas entrer dans la salle du conseil ». Dès après, la porte à double battant en bois massif s’ouvrit à la volée, laissant apparaitre l’Ataliel talonnée par la garde écarlate, qui tentait de freiner son avancée. Suite à cette entrée remarquée les membres du Conseil dardèrent sur l’intruse des regards désapprobateurs, tandis que leurs visages arboraient une expression sévère et une froideur marmoréenne.
Maximus coupé net à l’instant où il désirait entamer la deuxième partie de son discours fustigea la nouvelle arrivante :
- Quelle impertinence ! Où vous croyez-vous donc à débouler ainsi en pleine séance du Conseil du Royaume ?
Toutefois, si la princesse Immaculée avait pris la peine de se rendre à la hâte auprès du jeune monarque, bravant sa garde personnelle afin de forcer l’entrée de la salle, c’est qu’elle était dépositaire d’une sombre nouvelle :
« La guerre arrive, si on ne fait rien pour l’arrêter ».
Aussitôt ces mots prononcés, un silence glacial tomba sur l’assemblée, d’abord stupéfaite avant de se laisser gagner par l’effervescence et des voix belliqueuses s'élevèrent.
« La guerre ! C’est certainement un coup des cités libres, ces traitres attendaient la première occasion pour nous attaquer ! ». « On ne pouvait se fier aux prétendues promesses de paix de ces fieffés rebelles ! Majesté il faut sur le champ envoyer notre armée pour les châtier ».
Nolan lui-même demeura pantois, comme tétanisé sous l’effet d’une telle annonce, avant de prendre la parole d’un ton impérieux :
- Silence ! Taisez-vous ! J’exige que vous sortiez sur le champ et que vous me laissiez m’entretenir seul à seul avec la princesse Orfraie Ataliel.
A contrecœur les vieillards se levèrent de leurs sièges et quittèrent les lieux, laissant le monarque Sélénien et la flamboyante Dragonière discuter à huis-clos.
Après leur départ, cette dernière lui rapporta les informations transmises par la princesse des lumières, au moyen d’une pierre de communication et d’une bague, faisant état d’une catastrophe à Cordont, mettant en scène des Golems, et responsable d’innombrables morts et blessés ainsi que de l’anéantissement de la ville. Hélas, l’adolescent n’était guère au bout de ses surprises et quel ne fût pas son étonnement quand il apprit de la bouche même de l’immaculée qu’Aldaron Leweinra, le Bourgmestre de Caladon, venait de proclamer l’annexion de cette cité située sur un territoire neutre.
Le jeune Kohan ne descella pas les lèvres, attendant que son interlocutrice achève son récit, tout en tentant de contenir les émotions contradictoires qui l’assaillaient, mêlant allègrement incompréhension, colère, inquiétude et déception.
Plus qu’une ville, Cordont incarnait un symbole, celui d’une paix fragile instaurée après une guerre-éclair et l'espérance de l'acheminement vers une paix durable. L'important congrès scientifique organisé sur son territoire représentait une première ébauche de rapprochement entre les deux peuples, jadis ennemis. Nolan songea avec amertume qu’il n’avait fallu que l’espace d’un instant pour réduire à néant des mois passés à batailler pour triompher des nombreuses résistances présentes au sein de chaque camp. En dépit de la signature de l’armistice, nombre de Séléniens nourrissaient une rancœur tenace à l’égard de l’alliance des Cités libres, les considérant comme Rebelles à l’empire et l’acte d’annexion de Cordont par Caladon, portant gravement atteinte au traité signé précédemment, ressemblait à une ultime provocation destinée à attiser les velléités bellicistes.
Les pensées se bousculaient dans l’esprit du jeune homme, hésitant quant à la posture à adopter face à cette décision d’annexion émanant de Caladon, et qui avait pour déplorable conséquence de faire planer à nouveau au-dessus d’eux le spectre honni de la guerre. Etant absent au moment du déroulement des faits, ce dernier ne disposait que d'informations parcellaires et craignait de laisser ses émotions obscurcir son jugement. Sans compter qu’il sentait une vive inquiétude s’emparer de lui en songeant à sa sœur bien-aimée, toujours présente sur les lieux de la catastrophe et le sort des nombreux blessés. Il devait la rejoindre au plus vite !
- Orfraie nous devons partir le plus rapidement possible là bas ! Je vais donner des ordres pour que les choses se mettent en place puis nous partirons pour Cordont. A dos de dragon, nous y serons en l'espace de quelques heures et j'espère que nous y parviendront à temps pour éviter l'irréparable !
Aussitôt leur discussion achevée, le souverain Sélénien s’empressa d’ordonner à ses troupes de se mettre en route afin de porter assistance aux victimes de Cordon et que soit organisé l’aide humanitaire d’urgence.
Avant le départ, Nolan envoya un message télépathique au dragon d’Améthyste afin de l’informer de la situation et lui demander, par la même occasion s’il ne pouvait pas également transporter sur son dos un ou deux soigneurs jusqu’aux ruines de Cordont.
Puis, le jeune empereur prit son envol, aux côtés de l’Ataliel chevauchant son propre lié et tous deux se dirigèrent à toute vitesse vers cette cité ravagée, désormais synonyme de peine et de désolation. Durant toute la durée du voyage, l’adolescent se sentait dévoré par l’angoisse et espérait arriver à temps à Cordont afin d’empêcher la survenue d’un nouveau drame, que cela soit la perte d’un être cher ou l’éclatement de la guerre…