Soir du 10 novembre 1762
Elle constata les dommages de Cordont la veille, lorsque le bateau mit l’ancre et qu’elle descendit du navire. Les campements avaient été montés et puis Autone était venue en aide aux blessés qui avaient subis l’attaque de Cordont. Certaines personnes plongeaient encore dans les profondeurs pour récupérer des corps mais revenaient la plupart du temps avec des cadavres. Ceux qui n’avaient pas succombé à leurs blessures étaient forcément morts de faim puisque les secours avaient pris plusieurs jours à arriver.
Les cas qu’il restait ne relevaient plus de l’urgence. Les soins, néanmoins, étaient toujours nécessaires. Autone se dirigeait vers sa tente en début de soirée alors qu’elle s’arrêta. Dans la pénombre, elle ne l’avait pas reconnue tout de suite, puis les traits et la tignasse blonde révélèrent une ancienne amie. Elle figea, pâlit et s’amuït. Ses lèvres s’ouvrirent, voulant s’exprimer et plusieurs secondes passèrent avant que la voix vienne à ses lèvres hésitantes. « Luna … » souffla-t-elle, sa voix se brisa de culpabilité. Jamais avant aujourd’hui n’avait-elle remis en doute la légitimité de son départ. Et maintenant devant elle, elle se demandait : Avait-elle trahi les siens? Avait-elle trahi Matis?
Cette jeune femme qui semblait aimé de tous. Celle qui semblait mieux connaître tous ceux qu’Autone aimait. Saemon la traitait comme une fille et Matis l’avait vu comme une sœur, de son vivant. Devant Luna, Autone se sentait vulgaire. Là où elle était l’innocente, la sœur, Autone était l’amante. Celle qui séduisait pour parvenir à ses fins. Cette petite fille qui lui avait toujours semblé si pure la faisait sentir sale.
Et maintenant séparées de leurs allégeances, elle avait peur du regard de la jeune femme. De son jugement. Le nexus du cœur noir autour de son cou ne lui avait jamais semblé aussi lourd. Elle ne savait pas quoi lui dire et cela l’enrageait.
Autone sourit, son regard était triste et le silence fût pesant. Après plusieurs secondes, elle le brisa. « Je suis heureuse de te voir. C’est si étrange de voir comme tu as grandi à chacune de nos rencontres. »
Beaucoup moins depuis qu’elle avait atteint l’âge adulte, mais leurs rencontres étant distancées, la différence était bien marquante chaque fois. « Comment vas-tu? » Demanda-t-elle, sentant la boule dans son ventre l’écraser de culpabilité de lui poser cette question alors que son existence s’opposait aux titres que Luna avait porté. Autone n’était néanmoins pas nonchalante. La douleur s’entendait dans sa voix.