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descriptionMon avenir [Achroma] EmptyMon avenir [Achroma]

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    9 octobre 1762

    Son regard, aimanté, se levait vers la haute silhouette glacernoise qui venait d'entrer silencieusement dans son bureau. C'était à peine s'il l'avait perçu, au début, tant il était discret et tant sa conversation prenait toute son attention, mais maintenant qu'il savait qu'il était là, c'était plus fort que lui. Aldaron l'avait miré, plantant ses yeux droit dans les siens, tels les abîmes de son âme qu'il lui offrait, derrière le masque de son visage calme et de sa posture régalienne. Les sentiments qu'il remuait en lui le surprenaient toujours, et dans un même temps, lui octroyaient ce bonheur indicible qu'il n'avait jamais pu caresser jusqu'alors, comme si toutes les bribes de félicité qui avaient parsemé sa vie n'avaient été que des lueurs factices venant lui donner l'impression d'avoir été heureux. Ivanyr rendait tout cela plus fade, à son profit, tandis qu'il luisait comme un soleil sur ses jours, depuis le début du mois. Un rideau de sérieux retombait sur ses prunelles alors qu'il orientait son regard sur son autre interlocuteur, assis face à lui. D'ordinaire, ce genre d'entretien se poursuivait jusqu'à pas d'heure et la nuit était déjà tombée lorsque le bourgmestre regagnait son domicile. Mais ce soir, il écourta avec doigté la discussion, et dix minutes plus tard, il refermait le lourd panneau de bois derrière l'un de ses Conseillers. Le soleil était encore là, orange et bas sur l'horizon, mais la clarté qu'il diffusait durerait bien encore un peu.

    Il porta son regard sur Ivanyr alors que son faciès perdait un peu de cette royauté sévère et que son sourire s'étira lentement jusqu'à se fendre de l'éclat d'ivoire. C'était pour lui qu'il avait fini un peu plus tôt sa journée et c'était pour lui que ses yeux reflétaient toute cette tendresse. Il s'approcha, leva les mains, vers lui pour cueillir son visage en coupe, dans leur creux, et venir le joindre au sien dans un baiser qu'il attendait depuis quelques minutes déjà, lorsqu'il l'avait vu entrée. Son impatience marqua les débuts, avant qu'il ne s'apaise vers une douceur et une sensibilité à fleur de peau. Ses mains descendaient dans son cou, puis sur son torse où il agrippait ses vêtements pour l’attirer et s’attirer contre lui, épousant sa proximité avec soin. Lorsqu'il fut repu de sa moitié, il recula la tête juste assez pour croiser son regard sans trop s'éloigner : « Je me disais... Qu'en me libérant plus tôt on pourrait aller faire un tour sur la falaise, passer du temps ensemble et... Rencontrer ta dame à l'épée ? » Ses traits se firent enjôleurs lorsqu'il vint frotter le bout de son nez au sien avant de lui voler un rapide baiser : « Tu me laisses prendre une cape ? » Reculer d'avantage et se défaire de ses bras étaient un crève-cœur mais il s'y obligea de bonne grâce, ils ne pourraient de toutes façons pas marcher jusqu'à la falaise ainsi enlacés sauf à paraître ridicules aux yeux de ceux qui les verraient. Il sépara sa longue chevelure blanche en trois masses égales avant de la tresser soigneusement jusqu'aux pointes. Il noua l'extrémité par une petite lanière de cuir puis attrapa une cape aux couleurs bleues et dorées de Caladon qu'il passa à ses épaules, se couvrant jusqu'aux pieds. Par habitude, il prit son sac préparé en amont et passa la porte de son bureau, Ivanyr sur les talons.

    Ce n'était pas la porte dérobée de la dernière fois : vu l'heure qu'il était, il ne voulait pas qu'on se mette sonner le branle-bas de combat parce que le bourgmestre aurait disparu prématurément de son bureau. Ça aurait été cocasse. Il marcha vers les falaises, après avoir traversé une partie des quartiers intérieurs et extérieurs, jusqu'à quitter l'enceinte de Caladon. Ici et là, sur le chemin pavé, il y avait des maisons d'artisans et quelques fermes. Prendre l'air lui faisait un bien fou et de toutes évidences, il n'était pas de ces nobles à craindre que la marche ne corne trop ses pieds ou à gémir aux premières douleurs de fatigue. Lui, qui avait pourtant l'habitude parler en permanence, ne prononça pas un mot sur le trajet, n'ayant guère envie d'une discussion sur des banalités. Après le brouhaha de sa journée, il avait envie d'un peu de silence et à mesure qu'ils s'éloignaient de la ville, le calme régnait en maître, bercé par le roulis des vagues qui s'écrasaient sur la falaise, à marée haute, et les embruns salés qui parvenaient à ses narines. Puis, lorsque les maisonnées se firent plus rares, il glissa ses doigts dans ceux d'Ivanyr, comme si ce qui l'avait retenu de le faire jusqu'alors était de la pudeur. Il ne voulait pas s'afficher, pour l'heure, avec lui, de manière ostentatoire. Depuis Morneflamme, ses relations avaient été discrètes, loin des éclats séducteurs qui avaient été les siens, à Gloria. La prison l'avait rendu plus sage, plus réservé. Il avait aussi une image à incarner. La personne, qu'il présenterait pleinement à ses côtés, à son peuple, devrait incarner une certaine solidité et son couple, même si fusionnel et puissant, n'en était qu'à ses balbutiements. Il était encore trop tôt pour cela... Mais cela finirait par venir. Il voulait d’abord qu'Ivanyr ait le temps d'être qui il était, pour lui-même, à Caladon, qu'il se forge une identité, avant d'être connu comme étant 'le compagnon du bourgmestre'.

    Un peu plus loin, il ralentissait le pas. Sur l'océan, la nuit d'un bleu encore clair tombait et vers les terres, le soleil orangé léchait l'horizon, prêt à s'y faire dévorer jusqu'à l'aube. Par moment, il jetait quelques coups d’œil sur le vampire, sans vouloir interrompre ses pensées. Il ne savait pas vraiment comment lui venaient ses visions, comment lui venait cette dame à l'épée. Pinçant ses lèvres en jugulant l'envie de l'embrasser, il finit par faire une halte près de buissons bas et d'un amas de roches où il put s'asseoir, levant son regard interrogateur sur Ivanyr, sans lâcher sa main : « Elle... se présente à toi comment ? » demanda-t-il, tout bas, comme s'il craignait de perturber le silence.

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Tout le temps qu'il ne passât pas à le veiller, il le consacrait à retrouver ses facultés et ses capacités, celles qu'il avait apparemment perdu en même temps que tous les souvenirs antérieurs à son éveil dans les montagnes. La magie était une chose magnifique, et surtout ? Elle lui semblait si naturelle, si fluide lorsqu'elle lui venait, et à présent que son esprit ne lui jouait plus autant de tours, il se sentait capable d'aller plus loin, de s'entraîner plus durement, d'aller chercher cette limite qu'il sentait, lointaine, en lui. Oui, Cybele avait raison, il pouvait faire bien plus que ce qu'il réussissait pour le moment, et en même temps, même s'il y consacrait toute son énergie, il ne comprenait pas où était le problème, la marche manquante, la direction à suivre sur le sommet de cette immense montagne impalpable. Il ne brassait pas l'air inutilement, non, ce n'était pas cela, mais ce n'était pas plus réjouissant pour autant. Il n'avait aucunement l'impression de faire croître sa puissance, uniquement d'engranger plus de dextérité et d'endurance. Et ce n'était pas la finalité recherchée. A aucun moment il n'en avait parlé avec Aldaron, étrangement timide sur le sujet, d'autant que l'autre avait tant à penser qu'il n'imaginait pas que ce fut une bonne idée. Et puis, il était également un peu trop fier pour cela pour le moment, ayant honte de ce blocage qu'il ne comprenait pas. Alors il cherchait seul dans l'espoir de parvenir à comprendre ce qui lui arrivait. C'était également pour cela que la femme sur la falaise l'intéressait particulièrement… son arrivée coïncidait avec ses problèmes, alors peut-être y était-elle liée ?

Pour une fois, il n'était pas 'de service' pendant la journée, aussi avait-il profité de sa liberté pour passer un peu de temps avec Purnendu. Mais en fin d'après-midi, il était revenu en ville, pour récupérer son elfe, et probablement s'assurer qu'il ne passe pas toute la nuit dans son bureau. Il en était capable, le bougre. Ça l'irritait profondément, qu'Aldaron ne sache pas quand s'arrêter mais… c'était un apprentissage aussi difficile que le sien, alors il lui fallait être compréhensif et patient avec lui. C'était un partage, comme il le lui avait proposé. Ils se venaient mutuellement en aide. Ils se soutenaient mutuellement, ensemble. Se glissant dans la pièce avec une furtivité relative, mais suffisante pour tromper un humain, Ivanyr se tint dans un coin de pénombre, seulement à demi visible, drapé comme il l'était dans sa cape de brume. D'un regard tranquille, il couva la silhouette de son compagnon, sourire gauche aux lèvres, se contentant d'attendre et lorsqu'enfin le regard vert se planta dans le sien, il vint l'englober, toujours coi, mais parfaitement capable de faire passer le message. Ce soir, Aldaron devait finir plus tôt. Certes, le vampire l'avait arbitrairement décidé, mais ça ne lui ferait que du bien, un fois de temps en temps, que de lâcher un peu la bride, et c'était son rôle de lui faire comprendre, que ce soit de façon paisible… ou en jouant les gamins insupportables s'il le fallait vraiment. Il s'en ferait un véritable plaisir ! Fort heureusement pour la tenue du bureau de l'elfe, il avait saisi le message, apparemment, et dix minutes plus tard, ils étaient seuls en tête à tête. Le laissant le rejoindre, il accueillit son approche avec plaisir et vint lui ceindre les hanches de ses mains aux longs doigts, massant légèrement la chair gainée et désirable, mais refrénant les ardeurs de son compagnon d'une langueur capricieuse jusqu'à le sentir s'apaiser et couler contre lui. Avec un froncement de sourcils et un bref soupire audible de plaisir, Ivanyr l'enlaça finalement fermement, le serrant contre lui et sentant quelque chose d'indicible, en lui, s'étioler, comme un barrage qui lâchait soudainement. Une vague de chaleur et de bien-être le noya sous ses flots, lui tournant un instant la tête.

« Hmmm vorace  » lui fit-il avec amusement, et une faim égale et tout juste contenue. Glissant de ses lèvres à sa gorge, il la mordilla sans jamais entamer sa peau, inspirant pour se gorger de son parfum boisé, se repaissant de lui et de sa présence. Même à présent qu'ils savaient avec une quasi-certitude ce qui provoquait leur trouble mutuel initial, il n'en demeurait pas moins surpris de l'incroyable tension latente qu'il accumulait lorsque l'elfe n'était pas là. C'était comme de marcher dans un étroit boyau, en s'éloignant avec constance de la lumière et en entrant dans une obscurité allant croissante, emplie d'un inconnu marqué du sceau de la malveillance. Parce qu'il y avait toujours un doute persistant, au-dehors, toujours une seconde de prudence. L'absolue confiance n'existait pas réellement… en dehors des bras qui l'étreignait. « Je t'aime, ma petite fougère  » N'avait-il pas écopé de piou-piou comme surnom, lors de leur première soirée ? Il pouvait bien lui rendre la pareille, œil pour œil, dent pour dent. Lorsqu'il le retrouvait, en fin de journée, il avait toujours l'impression de prendre une grande lampée d'un alcool fort qui lui faisait tourner la tête et allumait un feu agréable en lui. Il leur fallut un certain temps avant d'accepter de se relâcher l'un l'autre, et il se redressa avec un sourire torve. Puis il se vit arracher un rire et le relâcha pour qu'il attrape de quoi se couvrir. Le vent devenait froid, en soirée, avec l'automne tout juste annoncé et il ne voulait pas le voir malade… la magie des soins n'était pas son fort. « Tu sais que tu n'as pas besoin de me faire du charme pour que j'accepte de passer du temps avec toi, n'est-ce pas ? Si je ne savais pas que tu te rendrais malade à penser à ton devoir, je t'arracherais de force à tes conseillers bien plus tôt chaque soir au lieu d'attendre et de ronger mon frein  » Il n'était pas bien certain qu'Aldaron comprenne tous les efforts qu'il faisait pour convenir aux lois de Caladon, et ce juste pour lui et ses beaux yeux. Pour être encore avec lui. Cette ville ne lui inspirait aucune loyauté, seulement un vague dégoût, mais le Bourgemestre, lui, c'était une autre histoire. Et puisque le sus-mentionné aimait cette ville…

Sur le trajet, le vampire tâcha de rester aveugle aux réactions de certains des habitants qui reculaient ou se dissimulaient lorsqu'il passait à proximité. C'était devenue une routine, depuis le temps. Mais au début ? Ah au début… il n'avait pas compris, et lorsqu'il avait compris, qu'on lui avait expliqué, il en avait été terriblement blessé. Comme à chaque fois, d'ailleurs, que les actions d'Achroma venaient se répercuter sur lui. Ces humains avaient peur, tout simplement, et pourtant il ne leur avait rien fait. Mais voir la ville de son enfance exploser et en partie ruinée à cause d'un mage devenu fou pouvait traumatiser, il le comprenait parfaitement, et espérait simplement qu'ils finiraient par s'y faire, par comprendre qu'il ne leur arriverait rien de mal en sa présence. Pas tant que Aldaron désirerait leur protection. Peu à peu, les habitations se firent plus rares, la nature reprit ses droits, et il se sentit beaucoup mieux, n'étant plus agressé par la vie de la ville marchande. Là, dans la nature, il se sentait bien mieux, et commençait même à se demander si un petit voyage chez les elfes ne serait pas de mise, car après tout, qui pouvait vivre plus en adéquation avec l'environnement ? Même les Graarh ne le faisait pas aussi bien. Appréciateur, il laissa l'elfe glisser sa main dans la sienne, trop occupé à s'imprégner du bruit des vagues et de l'iode ambiante. La mer était décidément une merveille et il ne regrettait pas un instant de l'avoir découverte. Il avait même l'impression d'avoir trouvé là un autre amour, en dehors de celui qu'il portait inconditionnellement au bipède près de lui. La vision féerique arriva enfin, sublime, lui étreignant le cœur, et il marqua un temps d'arrêt afin de l'admirer, s'en gorgeant littéralement.

« Hm ?  » La prise de parole, si soudaine, le surpris un tantinet, et le tira de sa rêverie, lui donnant un temps de retard sur l'elfe à ses côtés. « Tu peux répéter ?  » Il écouta cette fois avec plus d'attention et en comprenant de quoi il parlait, fronça les sourcils. Bonne question. Elle venait d'elle-même comme les autres, sans qu'il n'ait à y faire quoi que ce soit… avait-il la moindre emprise sur ses visions ? Pensif, il vint s'asseoir sur une roche près de son compagnon et se replongea dans la contemplation de l'étendue marine. Il n'avait pas vraiment de réponses à apporter à cette question et n'avait aucune idée de la façon de forcer les choses, ni s'il avait vraiment envie de le faire. Au bout d'un très long moment, il se releva, et lui fit signe de le suivre… Il y avait un petit chemin qui descendait le long de la falaise, pour atteindre une série de plages de galets et de grottes à demi immergées, qu'il commençait à connaître par cœur, et qui constitueraient une balade agréable pour meubler l'instant. Ici, loin de l’oppression de la cité, il avait l'impression d'avoir des ailes plutôt que des pieds, descendre ne lui causait aucun inconfort, au contraire, il éprouvait un réel plaisir à ce lieu, surtout en pareille compagnie. Lorsqu'ils furent arrivés en bas, le vampire s'arrêta sur une large plaque de roche, regardant l'eau en lécher le bord et le couvrir d'une écume éphémère. « Tu sais… Cymoril a fini par me conter ce qu'avait fait Achroma à Caladon. La façon dont il t'avait poursuivi et sa crise de rage, et comment il a finalement atteint ensuite le Protectorat. Je comprends un peu mieux pourquoi les habitants ont peur de moi. Je ne peux pas leur expliquer à tous qui je suis, et pourquoi ils ne doivent pas me craindre. Je ne peux pas ébruiter tout cela et je ne pense pas que cela me serve de toute façon. J'en suis venu à me dire que, quoi que je fasse, je serais obligé d'accepter au moins en partie le fardeau qui me menace  »

Laissant les embruns jouer dans sa chevelure, il ferma les yeux, laissa l'impression de liberté, l'aspiration de l'air l'emplir. « Peut-être que je n'ai pas ma place à Caladon...  » L'idée de partir, de le laisser, était difficilement tolérable, et il la repoussait continuellement quand bien même il savait que l'envie était présente. « Je viens ici presque tous les soirs, même lorsque je te quitte. Je viens pour le paysage, pour la solitude, pour la pureté de la nature… je viens aussi parce que j'aime la mer, et que je peux m'entraîner librement ici… C'est un peu mon havre personnel depuis mon arrivée…  » Et pourtant, il était certain de ne pas avoir tout exploré ni tout découvert, ce qui laissait cette agréable part de mystère et d'aventures qu'il avait affirmé apprécier voilà déjà plusieurs jours. Mais il se redécouvrait lui-même petit à petit, pas à pas, vivait la profondeur de ses propres affects comme si c'était la première fois. Autant d'expériences qu'il aimait partager avec lui, voulant le mettre à l'aise, voulant échanger pour nouer davantage ce lien déjà solide entre eux. Ils avaient eu un énorme coup de pouce pour débuter, mais la suite, ils la nourrissait eux-même. « Tout ça pour t'expliquer… que je ne sais vraiment pas comment elle vient à moi, quel état d'esprit est le mien à ce moment-là… contrairement à mes expériences avec les autres. Je ne m'attendais pas à son apparition. La seule chose que je peux essayer de faire, c'est d'entrer en transe et d'aller chercher en moi ce qui peut la relier à cet endroit...  » Il s'arrêta là-dessus, dans un silence, puis glissa avec beaucoup de douceur : « Je dois aussi avouer que l'idée me terrifie. La seule fois où j'ai tenté ça j'ai… j'ai eu très mal, pour ne pas user d'hyperboles. Tout ce que j'ai à proposer, en dehors de cela, c'est de profiter de l'instant et d'attendre, hypothétiquement, qu'elle se présente…  »

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    Pas de réponse, même s'il avait répété. Pour autant, la mine pensive dont Ivanyr avait couvert ses traits suffit à lui faire comprendre que la question était plus complexe qu'elle n'y paraissait. Aussi ne le poussa-t-il pas d'avantage et le laissa réfléchir dans son coin. Ils avaient promis de s'aider mutuellement, il savait alors que le vampire reviendrait vers lui, une fois que ce serait plus clair pour lui-même. Il laissa sa tête retomber doucement sur son épaule, les prunelles perdues sur l'horizon obscur qui se dessinait sur la surface des flots, mise en relief par les éclats orangés du soleil qui se couchait sur les terres, derrière eux. Sa présence le calmait et relâchait la tension qui s'était accumulée pendant son absence. Ça n'était pourtant pas comme s'ils avaient été séparés pendant plusieurs jours. Qu'adviendrait-il par la suite, si l'un ou l'autre devait partir pour des raisons professionnelles ou personnelles ? Dans quel état allaient-ils se retrouver ? Il ne se sentait pas fou sans lui, il n'enverrait pas son bureau valser. Mais il y avait ce désespoir croissant qui reprenait sa place, comme une rivière dans son lit formée au cours de ses siècles de vie, et creusée plus en profondeur par Morneflamme et sa solitude. Il caressait distraitement la main froide qu'il avait dans la sienne, coulant ses doigts émaciés, sombres, le long de sa peau. Il n'avait pas oublié les étreintes d'Achroma. Il n'avait pas oublié comme il avait serré sa main, cette nuit-là, lorsqu'ils s'étaient retrouvés, brisés, dans les murs du Protectorat. Il n'avait pas oublié ses lèvres humides de pleurs, les sanglots retenus dans l'obscurité, la façon qu'ils avaient eu de s'accrocher à l'autre, désespérément. Il n'avait pas oublié sa poigne sur ses os saillants, sa chair sur sa langue qui avait encore le goût du sang, ses crocs qui le cherchaient et l'évitaient pourtant. Il n'avait pas oublié, non plus, ses gestes lents, de ceux qui avaient perdu de leur vie sur un chemin répugnant, et ses yeux. Ses yeux céladon si pâles qu'ils portaient déjà le trépas en son âme. Il le savait, il l'avait su. Ses yeux n'avaient pas hanté ses nuits, par la suite, jusqu'à le faire pleurer, sans aucune raison. Ils lui avaient arrachés des sanglots parce qu'ils étaient déjà morts.

    Sa caresse sur la main d'Ivanyr avait lentement ralenti jusqu'à cesser. L'émeraude devenait floue, lointaine. Il n'avait pas oublié le silence profond, qu'aucun de leurs mots n'était venu trancher. Il n'avait pas oublié son affection, même s'il la niait aujourd'hui. Il n'avait pas oublié que ses attentions avaient veillé à le satisfaire, lui, comme pour lui dire de vivre encore, de s'accrocher, et que l'empreinte qu'il avait laissée en lui, avait fait d'Aldaron son héritier. Le chemin qu'il avait suivi, même dans l'ombre du Marché Noir, de la Caste, la bataille aux côtés des Glacernois... Il l'avait suivi en son nom, en sa mémoire. Il lui avait permis d'avancer, de continuer. Même sans lui. Il ne regrettait aucun de ses choix. Il regrettait de l'avoir fait seul. La bribe de son passé lui revenait, lentement. Il se souvenait aussi distinctement de l'immobilisme d'Achroma lorsqu'il avait reposé, repu, contre lui. Jamais... Ô grand jamais, il ne lui avait tant donné l'impression de dormir aux côtés d'un cadavre. Il avait presque eu l'envie de fuir, sur le coup. Mais il était resté. Jusqu'au bout. Jusqu'à ce que le cor de guerre appelle ses soldats, à l'aube, pour partir au front. Le souvenir, ce souvenir, qu'il avait enterré, lui glaçait le sang et le sortit du flot de ses pensées. Il revenait peu à peu à lui et avait orienté son regard sur le profil d'Ivanyr, se perdant dans sa contemplation silencieuse. Ses poils se dressaient, sur sa peau, dans un frisson. Il se leva et le suivit jusqu'en bas de la falaise, descendant avec une agilité innée à sa race. Il avait beau vivre ici, il n'avait pas encore eu le temps d'explorer les environs. Il connaissait chaque recoin de son bureau, mais les merveilles de l'extérieur ne lui étaient guère offertes, jusqu'à ce soir. Il dévorait du regard ce qui s'offrait à lui, et si Ivanyr faisait partie du paysage, c'était tant mieux.

    En bas, les galets grognaient sous le poids de ses pas, jusqu'à cette plate-forme rocheuse qui semblait se jeter dans la mer. L'écume blanche morcelait son flanc et sa surface, par moment. Dans le dos du Loup, il glissa ses mains pour le ceindre au niveau de la taille et reposa sa joue contre son omoplate. Les cheveux d'un blond platine venaient lui caresser le visage, en fonction des caprices du vent. L'elfe fermait les yeux, l'écoutant. Son oreille contre son dos lui faisait percevoir le son de sa voix depuis là où il prenait naissance. Étrange, comme leurs pensées se suivaient à nouveau. Ne venait-il pas de songer à Achroma ? Le massacre à Caladon, il n'avait pas oublié non plus. Mais qu'importe ce qu'avait pu lui dire Cymoril, elle n'avait pas été présente lorsque cela s'était produit. Elle n'avait pas vu ce qu'il y avait eu dans les yeux du dragonnier à cet instant fatidique. Elle n'avait pas vu lorsqu'il avait trahi les ordres du tyran blanc, au prix d'une intense douleur, pour l'épargner. Elle lui avait alors raconté le massacre, l'horreur, la folie. Elle lui avait raconté ce que les Caladoniens avaient vu. C'était ce qu'il avait fallu à Ivanyr pour comprendre pourquoi les gens de cette ville le fuyaient. Mais certainement pas pour comprendre ce qui s'était vraiment passé, pour comprendre que cette bombe n'était que la partie visible de l'iceberg pour camoufler la vie qu'il avait épargné : la sienne. Son malaise dans la Cité Libre le déstabilisait. Caladon était une part de lui-même, un part de ce qu'il avait construit. Et même lorsqu'Achroma avait ravagé une partie de l'Ancienne, cela n'avait été qu'à l'image de la dévastation qu'il avait laissé dans son cœur, à sa mort. Un vide. Un énorme vide. Aujourd'hui, la Revenante était en pleine reconstruction, tout comme lui-même se reformait, jour après jour. Alors cela lui faisait mal de l'entendre dire qu'il n'avait pas sa place ici. Tout comme la peur latente de le voir partir le saisissait sournoisement. Il desserra lentement son étreinte, sans le lâcher. Juste ce qu'il fallait pour le contourner et revenir face à lui.

    Il levait ses yeux troublés dans les siens. Troublés parce qu'il ne comprenait pas le lien qui semblait évident pour le vampire entre son malaise à Caladon, son havre de paix ici et la manière dont la dame à l'épée venait à lui. La falaise faisait tomber son ombre sur eux, loin des derniers rayons du soleil. Ça lui donnait l'impression qu'il faisait nuit. Il lui fallut quelques instants pour remettre tout cela en place. Evidemment, cela avait un lien avec la vie d'Achroma et Aldaron tâchait de placer les deux histoires en parallèle pour en saisir le sens : « Je pense comprendre... » Oui, cela lui semblait assez cohérent maintenant qu'il y pensait. Il ne le lâchait pas du regard, un sourire s'étirait tendrement sur son visage : « Pas question de forcer quoique ce soit. Si elle ne vient pas ce soir, elle viendra une prochaine fois. » Il n'y avait rien de pressé, elle ne lui faisait pas du mal, du moins, pas à sa connaissance. « Les Anciens n'ont pas tort dans l'idée qu'il ne faut pas... Brusquer tout ça. Laisser les choses venir à leur rythme. » Même s'il n'avait pas apprécié d'avoir été mis à l'écart depuis la réincarnation d'Achroma, il devait leur concéder que le fond de l'idée n'était pas dénué de sens. C'était la forme qui ne lui avaient pas plu. « Si vraiment cela devient un blocage, si tu n'arrives pas à passer à l'étape suivante sans intervention... On tentera une transe mais... Ensemble. Ne fais plus ça tout seul, d’accord ? Je ne te demanderai pas de justifier la raison pour laquelle tu veux forcer le destin, je ne jugerai pas ton avis, ta volonté, si c'est ce que tu veux. Je te suivrai alors... ne m'oublie pas. » Son pouce frottait son flanc, tendu. Il n'avait pas vraiment une idée fixe de ce que pouvait être ce 'très mal', ni ce que cela impliquait. Mais il n'aimait pas, tout simplement. « Quant à ta dame, je pense du coup comprendre de qui il s'agit et pourquoi elle est là, depuis que tu es à Caladon. »

    Il inspira avant de lâcher un soupir. Il n'aimait pas se replonger dans la vie d'Achroma, mais il avait promis de l'aider et ces visions faisaient partie de cette existence antérieure, qui revenait en fonction des événements et des émotions traversées. Son regard bifurqua sur le côté, comme pour l'éviter. « Achroma s’appelait Sylath Elusis avant de devenir un vampire. » Il lui laissa le temps de percuter ce que signifiait le nom d'Elusis, avant de lui en donner confirmation : « Il était l'héritier d'une des maisons princières de Glacern. Un héritier avec des capacités qui n'étaient certainement pas celles qu'espéraient les mœurs de sa lignée. C'était un mage avec un potentiel si remarquable que fermer les yeux et nier relevaient de l'impossible. C'était une honte, une souillure. Il n'aurait jamais trouvé sa place, là-bas. Ils avaient peur de sa magie, elle les dégoûtait... Tout comme Caladon craint ton potentiel. » Son regard vint enfin vers lui, alors qu'il ouvrait les lèvres : « Il est parti... » La peur traversa un fragment de seconde ses yeux avant qu'il ne poursuive : « Pour Gloria où il a servi les Kohans. Dans la Majestueuse, la magie n'était pas une tare, il a pu apprendre. C'était son havre de paix. » Il reprenait les mots d'Ivanyr donnés un peu plus tôt pour définir cet endroit. Ce pied de falaise où la dame à l'épée se montrait. « Les femmes ne prenaient pas vraiment les armes à cette époque mais je suppose qu'il y en avait peut-être quelques unes pour être l'exception qui confirme la règle. Une épée légendaire et une force de caractère permettent de passer outre des préjugés. Ta dame est peut-être la générale qui commandait Achroma. Je ne pensais pas qu'elle était aussi... Ancienne. Avoir des souvenirs de sa vie précédente est assez rare chez les vampires, mais avoir des souvenirs de la vie précédente de ta vie précédente... » Il eut un sourire en coin, amusé même si ça commençait à lui faire un nœud au cerveau de l'imaginer. « En tout cas, elle vient te veiller et s'assurer que tu ne t'enfermes pas dans le personnage que Caladon craint que tu sois, et que tu deviennes toi-même. Elle n'a pas tord, les regards de Caladon n'ont pas à te dicter d'accepter ou non ce... Fardeau. Et... Caladon n'est pas Glacern. Une place, ça ne te tombe pas dessus, c'est à toi de la faire. C'est à toi d'aller vers les gens. Il n'y a ici pas que des caladoniens pure souche. La famille Falkire, par exemple, nous a rejoint ensuite. Ils ont une forge et aucun souvenir de ce qu'Achroma avait fait. Tu peux peut-être commencer par ce genre de personnes pour tisser des liens et... »

    Il marqua une pause, pensif avant de froncer doucement les sourcils : « Tu as des soucis avec ta magie ? » supposa-t-il alors. Peut-être que la peur des Caladoniens l'inhibait comme Glacern avait inhibé Achroma. Et puis... Ne lui avait-il pas dit qu'il venait s’entraîner ici ? S’entraîner à quoi ? Certainement pas les armes. Il ne l'avait vu en porter aucune. Et les ouvrages qu'il lisait, même en langue elfique, n'étaient-il pas des traités de magie ? Cela semblait enfin faire tilt à tous les étages. « Oh. » conclut-il. Il resta à l'observer, plus absorbé par ses pensées que réellement inquiet. « Eh bien, entraîne-toi et nous verrons. » C'était comme ça qu'elle venait. Du moins le pensait-il, ça ne faisait plus le moindre doute à ses yeux. Il s'écarta doucement pour lui laisser de l'ampleur de mouvement.

descriptionMon avenir [Achroma] EmptyRe: Mon avenir [Achroma]

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Cette rengaine, il l’avait déjà entendue plus d’une fois de la part de sa famille : laisser le temps faire, ne pas se presser, que la mémoire aille à son rythme. Certes, c’était bien beau de le dire, mais en pratique, étaient-ils dans sa tête pour savoir quel était le rythme de sa mémoire ou ses besoins ? Comment pouvaient-ils logiquement affirmer qu’il ne devait pas se presser sans savoir quelles étaient ses singularités ? Ça n’avait aucun sens, et cela le frustrait de plus en plus. S’il décidait de tenter de se souvenir plus vite, c’était son choix à lui, avec ce qu’il ressentait, comment pouvait-on lui renier ce droit aussi sereinement ? Qu’Aldaron adhère à cette vision le blessait, surtout après ce que les Anciens lui avait fait… et ce, même s’il pensait certainement à son bien-être. Lorsqu’ils avaient discuté pour la première fois, lui-même avait fait part de cette vision des choses, mais ça ne signifiait pas qu’il n’en concevait aucun ressentiment ou aucune forme de rejet. Et plus les choses allaient, plus il n’aimait pas cette stratégie. Et surtout, il n’aimait pas qu’on la lui impose.

« Et… connais-tu le rythme auquel ça doit aller ? »

Il ne pouvait pas s’empêcher de totalement effacer le ton affecté de sa voix, le léger soubresaut rancunier qui l’animait. On pouvait paver la route de la torture avec de bonnes intentions. Plongeant son regard dans le sien, avec franchise, il le mira d’une intensité déterminée.

« Aldaron… si je t’en parle, c’est que je ne t’oublie pas, mais je n’ai pas à justifier ma volonté lorsqu’elle concerne quelque chose d’aussi vital pour moi. Tu l’as dit, si je le fais, c’est que je veux le faire, c’est tout. C’est ma mémoire, mon esprit… est-ce que je ne suis pas le plus capable de jauger à quel rythme aller ? C’est moi qui vit en permanence avec les fantômes d’un autre temps »

Soupirant doucement, il l’incita néanmoins à continuer, quoi que jouant un peu de mauvaise volonté. L’elfe était un vaisseau en grande partie involontaire de son manque de foi envers sa famille, le réceptacle malheureux de relations houleuses. Il ne souhaitait que l’aider et il le savait, mais ça ne l’empêchait pas de nourrir envers tout cela une certaine aigreur. Avec un fond de répugnance pour tout cela, il referma ses bras sur lui, se perdant temporairement dans la sensation agréable de l’avoir si près de lui, se gorgeant de sa chaleur comme d’un soleil pour chasser ses réticences. Parfois, cela lui arrivait de s’arrêter, mentalement, et de contempler combien ils étaient allés vite en besogne, tous les deux, et combien il n’en avait rien à faire tant sa présence l’emplissait d’un bien-être que toute la vindicte du monde ne pourrait venir gâcher. Pas réellement.

Nez dans ses cheveux, son parfum léger, boisé, vint à apaiser naturellement son ressentiment, et il accorda franchement son attention au récit. Pourtant, il y avait des choses qui lui semblaient si étranges, dans ce que l’elfe lui contait. Lorsqu’Aldaron en eut fini, il resta un long moment silencieux, sourcils froncés, avant de finalement daigner répondre. Il ne savait pas exactement comment expliquer ce qu’il avait en tête, se trouvant à chercher une simplification là où il lui aurait fallu la télépathie pour réellement offrir le fil de ses pensées.

« Je ne pense pas que ce soit lié. Enfin, je n’en sais rien, mais ça ne m’inspire aucune illumination en tout cas. Pas parce que l’hypothèse n’est pas plausible, mais simplement parce que j’avais déjà du mal avec ma magie bien avant d’arriver à Caladon... C’était simplement plus spasmodique, car je ne m’entraînais que pour le plaisir de sentir la trame me répondre. Si je m’entraîne ici, maintenant, c’est pour pouvoir te protéger et t’aider »

En un sens, cela l’agaçait qu’il en soit arrivé à cela à un moment où lui-même n’avait pas envie de lui parler de ça. Il n’en avait eu ni intention, ni envie, ni motivation, et il s’y résignait sans bonne volonté, bien qu’il ne rechignât pas non plus. En même temps, c’était dit, c’était dit, qu’y pouvait-on désormais ? Ronchonner là-dessus serait sans objet.

« En revanche, tu as tort à un égard : il ne s’agirait pas de place au sens où toi tu l’entends, si vraiment il fallait l’interpréter. Il n’est pas ici question de but ou de création mais d’acceptation. Je pourrais faire tous les efforts du monde, s’ils continuent de me voir comme Achroma, je n’y pourrais rien. Toi-même tu as eu du mal à m’en détacher, et toi tu avais, du moins j’espère, des raisons de le faire… Les gens sont promptes à se cantonner à une vision bien arrêtée, surtout quand on ne peut pas multiplier les explications à cœur ouvert. Et surtout, cela ne changera pas ce que moi je ressens à l’égard de cette ville »

Il secoua la tête, soupira et se força à poursuivre :

« Je ne suis pas à l’aise avec elle, le bruit, l’agitation, les odeurs… je dois déjà naturellement lutter contre tout ça, contre la cacophonie de tous ces cœurs qui battent, et en plus vous passez votre vie à l’intérieur ! Alors à la fin de l’équation, tu es l’une des seules choses qui me retient ici. Voilà pourquoi je dis que je n’y ai peut-être pas ma place »

Son but n’était pas de le priver de son ‘enfant’ mais il fallait qu’il soit lucide sur les raisons qui le poussait à rester, et ce n’était pas pour la ville en elle-même. Il ne voulait pas de mal à Caladon, pas pour l’instant en tout cas, pas tant que Aldaron l’aimerait mais… mais ce n’était pas son idéal à lui. Glacern s’en rapprocherait déjà davantage. Avec un vague sourire, il poursuivit sur sa lancée, maintenant qu’elle était plus claire pour lui.

« Et si Caladon n’a pas à me dicter d’accepter ou non un quelconque fardeau, il faut aussi cesser d’être utopiste et voir la vérité en face. Si aucun parti en présence ne fait le moindre effort, alors autant briser la controverse tout de suite. Si pour qu’ils acceptent de comprendre que je ne suis pas dangereux je dois accepter d’être Achroma… pourquoi pas… si ça me tient à cœur je le ferais. C’est une concession. Et je pense être tout à fait face à un choix de cet acabit-là »

Le tout était de savoir s’il voulait faire cet effort justement. Le voulait-il ? Fermant les yeux, il le serra davantage contre lui. Ce n’était pas exactement l’orientation qu’il aurait aimé donner à leur discussion. Son cœur se serra légèrement, alors qu’une subite angoisse le saisissait. Il ne voulait pas qu’Aldaron pense qu’il l’abandonnerait pour cela ! Au contraire, c’était précisément parce qu’il ne voulait pas l’abandonner qu’il en parlait. Aldaron pouvait l’entendre et le comprendre, du moins il l’espérait énormément.

« Nyn-Tiamat me manque… »

Alors quoi ? Acceptation, liberté ou nostalgie ? Y en avait-il même un des deux qui avait raison ? Rouvrant les yeux, le vampire vint doucement presser l’épaule de l’elfe, pour lui indiquer le bord opposé de la plage, en direction de la ville marchande. Là, une forme féminine en armure brillante se tenait, léchée par les vagues, sa chevelure claire ondoyante et l’épée à son côté rayonnante d’une énergie presque palpable. Coi, il ne se détacha pas de son compagnon pour autant, observant la forme lointaine jusqu’à n’en plus pouvoir, le cœur en déroute, noyé par une vague étouffante et lancinante, comme les accents d’une mélodie venu d’un passé chéri. Elle ne disait rien, cette figure royale, plus impériale, plus fière, plus vibrante qu’eux deux réunis, à tel point qu’il se sentait comme un enfant sous son regard et son sourire.

« Je suis désolé… »

Il avait murmuré dans son oreille, tout bas.

« Je sais que je fais beaucoup de mauvais esprit… c’est juste que… je n’ai jamais l’impression d’aller dans le bon sens. Le seul moment où je me suis sentit vraiment… ‘à ma place’ c’était quand on a décidé de se donner une chance et que j’ai promis de t’aider. Là… Là j’ai senti que je faisais ce qu’il fallait… »

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    Leur soirée prenait une tournure morose, terne, malgré la ferveur des bras qui l'entouraient. Aldaron sentait combien Ivanyr cherchait à le rassurer, en dépit de la lourdeur ses mots, à le protéger de cette amertume bileuse, cernée de mélancolie. Il la sentait, toutefois, il la sentait intensément. Tout simplement parce que ce qui l'impactait le touchait également. C'était l'un des fardeaux de l'empathie, aussi sublime et bienveillante soit-elle. Il se sentait envahi d'une peine sournoise, celle de l'impuissance. D'espoir et d'envie, il n’y n’en avait aucune. Ce qu'il avait beau lui dire au sujet de Caladon ne le faisait pas changer d'avis. C'était presque ironique que ce soit Ivanyr qui pointe du doigt la Cité comme étant celle qui se cantonnait à des idées bien arrêtées. S'il n'était pas dépité par autant de perspectives pessimistes, il aurait pu s'en amuser, mais là, ça ne faisait que l'enfoncer. Et puis dans tout ça, il se sentait coupable de l'obliger involontairement à supporter toute cette cangue sur ses épaules. Même si le reproche n'était pas dans le propos du vampire, Aldaron était suffisamment lucide pour reconnaître sa culpabilité dans ce double échec : il ne lui offrait ni l'endroit où il se sentirait bien de vivre, ni la liberté de s'en extirper, l'obligeant à rester là où il se sentait indisposé. Le blanc qui s'en suivi ne fit qu'appuyer combien il ne savait pas quoi répondre à tout cela. Le désespoir reprenait sa place, comme une rivière dans son lit originel. L'éclat terne de l'émeraude, fané, se faisait reflet de son âme lorsqu'il détourna le regard sur l'apparition. Il ne pouvait pas lui en vouloir, s'il exprimait lui-même le fond de son esprit marqué, il passerait leur temps ensemble à pleurer.

    Il resta quelques secondes à contempler la femme, ses traits qui resurgissaient, héréditaires et indéniables. « C'est une Kohan. » fit-il, bas et pourtant affirmatif. Il n'en doutait pas, comme il ne doutait pas du nom de l'épée qu'elle portait à don flanc. « On oublie rarement son premier amour. » ajouta-t-il, encore plus bas, sans devenir inaudible aux sens développés du vampire. Il ne parlait pas forcément d'amour comme il en vivait un avec Ivanyr, mais l'affection poussaient les êtres à retrouver leurs souvenirs les plus lointains, lorsque ceux-ci étaient attachés à quelque chose de fort, émotionnellement. Qu'Achroma ait gardé ce souvenir de son ancienne vie ne l'étonnait guère. Qu'elle revînt à Ivanyr était en revanche plus compliqué à comprendre... De même que son message ne serait pas le plus limpide qui soit à discerner. « Elle est magnifique. » Il le pensait sincèrement. Malgré son actuelle aversion à l'égard de la lignée royale : cette ancienne figure aurait probablement honte de ce qu'était devenue sa descendance. Elle lui rappelait les premiers Kohans qu'il avait pu côtoyer, en plus splendide encore. Il avait servi pendant quatre siècles sa lignée. Ils lui avaient semblé superbes, au début. Tant ébloui, il s'en trouva aveuglé alors qu'ils étaient en train de faner. Pourtant... Avec du recul, ils n'avaient jamais cessé de choir vers le ridicule égoïste et la puérilité belliciste. Derrière cette constatation, il ne faisait aussi que pondérer l'allégeance qu'Ivanyr lui avait offerte. Comme lui, il avait mis sa force au service d'un roi... Avant d'être désillusionné. Et au bout du compte, il ne restait plus que le malaise, les plaies béantes des sacrifices auxquels on avait consenti au nom de cette allégeance. Au début, c'était juste... De petites choses. Vivre à Gloria. Se caler sur le rythme de vie d'êtres éphémères. Accepter que les humains trépassent et trépassent avant soi. Dévouer son intelligence et sa création pour une cause dont on ne maîtrise plus rien. Perdre son humanité. Sacrifier ceux qu'on aime sur l'autel de guerres qui n'auraient jamais dû avoir lieu. En quoi était-ce différent de vivre à Caladon ? Accepter d'être Achroma ? Qu'est ce qui viendrait ensuite ? Que ferait-il d'autre, rien que pour lui ? Et le jour où la coupe serait pleine, serait-il le Loup blessé, trahi, qui viendrait crier sa haine et réclamer sa mort comme les Glaçernois blâmaient les Kohans ?

    Il ferma les yeux et laissa sa tête reposer contre son torse. Pourquoi fallait-il qu'il soit si amer ? Pourquoi fallait-il qu'il ne sache plus faire confiance ? Pourquoi avait-il si peur, à nouveau ? L'impuissance et le désespoir, les deux maîtres mots de son effondrement. Il réalisait qu'Ivanyr lui parlait facilement de ce qui le hantait, de ce qui remuait en lui, alors qu'Aldaron avait bien plus de mal et c'était là tout le cœur de son problème à lui. Cette difficulté à s'ouvrir et partager son traumatisme. Il entrouvrit les paupières, ses prunelles posées sur cette femme qui n'avait pas bougé, paisible. « Ta famille a payé le solde de ta dette. » souffla-t-il, d'une voie lointaine : « J'officialiserai ton statut d’homme libre dès demain si tu veux bien... Passer du temps à l'intérieur pour signer des papiers. » Un homme libre... Au fond, la loi des dettes était une forme d'esclavagisme acceptée. Comme si sa pensée liait ces deux sujets, il ajouta : « Un de mes capitaines de navire marchand est venu m'informer qu'il avait retrouvé cinq passagers clandestins dans les cales. Des graähs. Je lui ai demandé de les déposer, en chemin, sur Néthéril d'où ils sont originaires. » Il secoua doucement la tête sans décoller sa joue du torse du vampire, comme s'il réalisait qu'il avait perdu le fil de son propos initial. « Je vais partir à peu près deux semaines pour le Congrès. Purnendu et toi pourriez en profiter pour vous retrouver et parcourir les plaines du sud de l'île et vous éloigner de la ville. Cela vous ressourcerait. » conseilla-t-il avant d'ajouter : « Et je vais partir, fin novembre pour Délimar, quelques jours. Ils n'aiment ni la magie ni les vampires, je ne pense pas que tu pourras venir avec moi... Pour le moment. En revanche, tu pourrais retourner sur Nyn-Tiamat pendant ce temps. » Entre le trajet et quelques jours passés sur place, cela faisait aisément un voyage d'un mois et demi. Ce serait long sans lui. Mais cela ne ferait que leur apprendre à supporter la distance. Car aux yeux d'Aldaron, elle reviendrait souvent : Ivanyr ne devait pas être le seul à endurer leur couple. S'il le fallait, il l'éloignerait de Caladon de temps à autres pour qu'il se ressource.

    Une concession qu'il comptait bien lui faire accepter : « Achroma... Aurait pu être Prince du peuple de la nuit, mais il a toujours refusé ce rôle. Certains vampires l'appelaient même 'sa majesté' pour le taquiner. Il était l'Aîné, une figure de confiance en laquelle les vampires avaient foi. A Caladon, ils craignent Achroma. A Aethia, capitale vampirique, ils ont une image tout à fait différente de lui. Peut-être que... Peut-être que tu as besoin de voir et de sentir cela par toi-même pour... Te faire une idée moins sacrificielle 'd'accepter d'être Achroma' parce que... » Son regard revenait sur lui : « Tu n'est pas limité par ces deux choix : accepter ou refuser. Tout ou rien. Il y a tellement de nuances entre deux et, si tu souhaites faire le pas d'accepter le rôle, un acquiescement dédaigneux, par défaut, par obligation ou par concession, ne sera pas un assentiment sur lequel tu pourras trouver un équilibre, tu comprends ? Il y aura toujours cette amertume. » Il orienta son regard sur l'apparition féminine : « Si c'est la voie que tu envisages de prendre, prends-le comme un héritage. Certains ont un legs si sublime qu’ils ne peuvent plus que le tarir et en faire de la poussière. » A en juger par cette femme, il était difficile d'imaginer à faire mieux et quand on est au sommet, on ne peut que redescendre. « D'autres ont un héritage plus mitigé, fait d'erreurs et de victoires mêlées. » Ses prunelles émeraude glissaient sur la ville, en arrière fond. L'apparition était-elle toujours devant Caladon ? « L'accepter pour les autres, c'est noble. Mais c'est ta dualité qu'il te faudra appréhender, comme les deux faces indissociables d'une pièce, si tu veux... Avancer sur ce chemin-là. » S'il appréhendait ? Oui, en son for intérieur, à chaque fois qu'Ivanyr s'interrogeait sur sa dualité avec Achroma, cela remettait en question les affects d'Aldaron. Résoudre ce souci ne ferait pas du bien qu'à Ivanyr. Indéniablement, ça les stabiliserait. Cela éviterait à l'elfe de ne jamais savoir sur quel pied danser. Une fois qu'il aurait l'air de la musique, il pourrait se caler.

    « Tu seras un émissaire parfait pour présenter à la Princesse Irina Faust mes vœux de collaboration. » L'image d'Achroma serait le gage de son intérêt. Leurs vêtements se frottèrent, l'un à l'autre, lorsqu'il se grandit sur ses pointes de pied. Ses lèvres épousaient la mâchoire de son aimé pour l'embrasser, alors qu'il le taquinait d'une voix chaude pour chasser la morosité ambiante : « Je me réserverai une journée ou deux, pour ton retour. J'aurai mieux à faire que de polémiquer avec mes Conseillers. »

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Une Kohan ? Cette femme ? Comme ceux de la lignée qui dirigeait Sélénia ? Allons bon, mais qu’est-ce qu’elle faisait dans ses visions alors ? A quoi cela rimait-il ? Fronçant légèrement les sourcils, traits troublés, il observa tour à tour l’elfe et l’humaine spectrale sans savoir sur quel pied danser. En fin de compte, Aldaron semblait davantage saisir qui elle pouvait bien être que lui, et la curiosité adoucit un bref moment l’aigreur de son ressentiment. Cela néanmoins ne dura pas éternellement. Sa famille avait payé ? Sans lui en parler, évidemment de crainte qu’il ne dise non, ou du moins il fallait le supposer. Sans demander son avis, alors qu’il était le premier concerné. Pourquoi ? Pourquoi devaient-ils toujours agir soi-disant pour lui, en lui retirant sa capacité à choisir. Pour le libérer de sa dette ? Mais ils n’avaient pas compris qu’ils le privaient ainsi de la fierté d’avoir assumé jusqu’au bout, la dignité qu’il en retirait, le sentiment d’accomplissement, toutes ces choses qui à ses yeux étaient tellement plus importantes que de simplement payer à sa place. Et puis, ce n’était pas comme si sa charge était désagréable, puisqu’elle lui permettait d’être avec Aldaron. A quel moment exactement Cybele et Elric avaient-ils pu penser que c’était une bonne idée ? Incrédule, il avala la blessure supplémentaire sans rien dire. Il hocha vaguement la tête, nageant dans un profond sentiment d’engourdissement et de froid. Un froid de l’âme. Homme libre ? Mais il n’avait jamais été autre chose, et il se fichait bien du regard des autres. S’il l’avait voulu, il serait parti sans payer et sans un scrupule. La nouvelle au sujet des Graarh peina à vraiment l’atteindre mais il hocha de nouveau la tête, pour marquer son accord. Néthéril. Un jour il irait, pour s’excuser auprès d’eux….

Ivanyr n’avait pas eut conscience qu’il mirait la silhouette de la femme sur la plage, alors qu’elle semblait jouer avec les vagues autours d’elle. Les informations lui tombaient dessus comme des pierres, les unes après les autres, et à la toute fin, il soupira jusqu’à vider totalement ses poumons. Malgré la tentative de l’elfe pour dissiper l’ambiance pesante, il ne se laissait pas prendre… C’était trop peu, même si c’était apprécié. Avec détachement, il se détourna de la femme pour poser un regard lisse sur Aldaron, venant lui caresser lentement le visage et les cheveux d’une main, se perdant dans les sensations comme dans une drogue. Pour autant, ça ne chassait pas son sentiment d’impuissance, son impression d’être totalement démuni face à une situation qui ne lui plaisait pas du tout. Il passait d’un sujet à l’autre, mais lui ne suivait pas. Il aurait voulu arguer sur chacun, et en même temps, se sentait capable de tout envoyer promener tant il n’aimait pas sa propre vulnérabilité.

« Je…  »

Il ne savait pas quoi dire, ni comment réagir réellement. Se détachant finalement de lui, le vampire fit quelques pas sur la plage, pour se donner une ancre physique, s’attacher à quelque chose de simple et de neutre. Il ne savait pas s’il devait être en colère, triste, amusé, interrogateur… Il ne savait pas s’il lui en voulait ou non, ni s’il avait envie de dépenser de l’énergie à tout ça. Un instant, il envisagea l’idée de le prendre au mot, de partir mais de ne plus jamais revenir, et pourtant cette perspective était intolérablement douloureuse à son cœur. Perturbé, il vint se passer une main dans les cheveux, puis sur la nuque, la massant distraitement, puis venant se passer une main sur le visage… Autant de gestes automatiques, pour emplir son espace, chasser l’impression désagréable que l’immobilité lui causait, atténuant par là même action le poids sur son plexus. Après un instant, il se tourna de nouveau vers Aldaron, bras légèrement écartés, mimant son impuissance, le regard égal mais plein d’une détresse raisonnée.

« Je ne sais pas si je m’exprime mal, tout simplement… ou si tout cela est trop complexe pour être vraiment exprimé avec de simples mots…Je ne sais pas quoi te dire Aldaron, ni même comment réagir à ce que tu me dis  »

Il déglutit, tâchant de se tenir correctement, et se massa quelques secondes l’arrête du nez, tête légèrement penchée en avant. Non vraiment, il ne savait pas du tout ce qui clochait avec cette discussion. Tout ce dont il était certain, c’était justement que quelque chose clochait sévèrement quelque part.

« Par où commencer ? Il me faudrait presque ouvrir une didactique pour chaque mot que tu as prononcé !  »

C’était à peine dérisoire, encore mois railleur et certainement pas une réprobation. Mais c’était ainsi qu’il le percevait. Pourtant, avoir réussi à simplement arriver jusqu’à ce point-ci de son raisonnement le soulageait, tellement qu’il sentait le monde s’ouvrir sous lui. Un instant déstabilisé, Ivanyr s’assit finalement sur une grosse pierre, mains dissimulant une partie de son visage. Ses yeux se fermaient, pour se soulager du fardeau d’un sens, quand il capta un vague mouvement près de lui, et sursautant, le sortilège partit avant qu’il n’y pense. La couronne d’été illumina les alentours, roussissant presque son visage, et plus sûrement la végétation du bord de la falaise, et quand il comprit ce qui s’était passé, il s’affaissa un peu plus sur lui-même en émettant un léger son de lassitude et de désillusion, sous les insultes outragées des mouettes qu’il avait dérangé. Le spectre de la femme à l’épée l’avait rejoint sans qu’il ne la voie, et sa soudaine proximité avait immédiatement été interprétée comme une agression. Mais en soit, s’être soudainement dépensé lui avait fait du bien, l’explosion de violence l’avait soulagé, et à voir le regard qu’elle lui lançait ? Elle l’avait fait exprès.

« Quoi ? Vous aussi vous voulez prendre soin de moi sans mon accord ? Eh bien prenez une place dans la file d’attente, il y a déjà du monde devant vous… et ils ne sont pas très partageurs  »

Pourtant, il ne pouvait nier que ça lui avait fait du bien. La magie n’avait pas besoin de mots, elle le comprenait toujours. Avec elle, il n’y avait ni vrai ni faux, ni choix à supporter, juste une intense communion. Se relevant sur cette constatation, il se tourna vers une roche au large, et relâcha de nouveau la bride à sa puissance. Une fois, deux fois, trois fois…Il en perdit le compte. Pendant l’espace de quelques minutes, il n’y avait plus que le bruit de l’eau, de la magie, et sa sensation exquise, enivrante. Il ne ressentait même plus son corps comme une enveloppe de chair, mais le réceptacle de son énergie, un nexus crépitant et ondoyant. Infusé jusqu’à l’âme dans ce bien-être, il ferma finalement les yeux, se laissant aller, tête en arrière. Il ne savait toujours pas réellement comment réagir ni quoi dire, mais il se sentait au moins un peu moins prit au piège. Ce n’était sans doute la faute de personne, mais c’était extrêmement désagréable à vivre.

« Je sais que tout n’est pas blanc ou noir, dans l’absolu rien de l’est, mais cela ne signifie nullement que, de la façon où moi je le vis et le perçois, ce soit le cas. Tu demandes à mon cœur une logique qu’il ne peut avoir. Le cœur ne se laisse pas convaincre aussi aisément que l’esprit. Pas souvent en tout cas. Et c’est la même chose pour la façon dont je perçois d’être, ou non, Achroma pour les autres. Si c’est un sacrifice pour moi, ce n’est pas que l’image qu’il avait été bonne ou mauvaise, c’est surtout, encore et toujours, que je ne me sens pas être lui  »

Il aurait pu être l’une des déesses en personne que ça aurait toujours été accepter d’être quelqu’un qu’il n’était fondamentalement pas. Et en un sens, qu’il ait été une mauvaise personne serait, en soit, peut-être mieux car personne n’attendrait rien de lui, au moins. Observant un instant de silence, il rouvrit finalement les yeux, et reposa un regard plus calme sur l’elfe.

« Mais si j’accepte, hypothétiquement, de le faire, ça ne serait que pour les autres. Ceux à qui je ne peux pas tout expliquer. Et tu as raison, ça serait une dualité, mais si je me sens capable de l’accepter et de le vivre, alors je le ferais. Et malheureusement, dans la vie, on n’a pas toujours tout ce que l’on veut, on est pas toujours satisfait… Un bon compromis laisse toutes les parties frustrées, tu n’as jamais entendu cet adage ?  »

Sur un sourire, le vampire lui fut un petit signe de tête amusé. Il aurait cru, pourtant. Ce n’était pas grave, cependant, c’était juste une plaisanterie personnelle. Et il avait tant d’expérience à côté de cela qu’il avait peut-être tout simplement oublié ce petit dicton un peu aigrelet. Maintenant qu’il avait trouvé son cheminement, il espérait stupidement que ce soit le bon, cette fois, et se laissait aller, parlant davantage, s’épanchant de nouveau, presque pour compenser le silence de son compagnon.

« Je te remercie de vouloir le meilleur pour moi, car je pense vraiment que c’est le cas. Je n’ai aucun doute là-dessus… et je suis désolé si j’ai pu te blesser par mes paroles. Je le sais. Mais je suis tout sauf un utopiste, j’en suis peut-être même l’antithèse, je… je sais, que l’on n’a pas toujours ce que l’on veut, j’en ai viscéralement conscience. Alors faire ce ‘sacrifice’ ne me rendra jamais plus amer que de constater tant d’autres choses… et en un sens, j’en tire aussi ma fierté, car j’accepte cela en pleine possession de ma liberté, comme j’aurais aimé arriver au bout de ma dette sans l’aide de personne. Parce que ça a plus d’importance pour moi, cette liberté, que beaucoup d’autres choses…  »

Laissant tomber les bras le long du corps, il eut un geste vague, englobant du regard le paysage sans afficher la moindre expression. Malgré tout, la mer restait magnifique, elle ne changeait pas, peu importe ce qu’il avait dans le cœur. C’était sa vision des peuples qui noircissait… pas celle de la nature. Oui, il était purement pessimiste, pour énormément de choses… mais ce n’était purement que pragmatisme, ça ne l’empêchait pas d’apprécier le positif également, exactement comme dans l’instant. Lui-même ne se l'expliquait pas réellement, quoi qu'il se fichait parfaitement de la contradiction tant qu'il était en accord avec ce qu'il faisait ou pensait.

« Je comprend aussi ce que tu espères… qu’en voyant des individus réagir positivement à ma présence, cela me fera penser autrement. Pour cela aussi, je te suis reconnaissant. Peut-être que je le verrais moins comme un ennemi, à défaut de me sentir bien dans sa peau. C'est juste ironique quand on sait tes réactions chaque fois que je fais quelque chose qui se rapproche de lui...  »

Son sourire se fit plus doux, empreint d'une affection profonde, mais aussi d'un peu de triste dérision.

« Je te sens tu sais ? Tu te tends parfois, ou ton cœur s'emballe un peu… plein de toutes petites choses, mais tu n'imagines pas combien j'ai déjà appris intimement à le connaître par tes réactions. Et cela ne fait pourtant pas longtemps. Cela ne me dérange pas… en un sens, tu fais déjà ce que tu espères me voir avoir  »

Son regard bifurqua furtivement vers la femme, qui lui fit un sourire encourageant, comme pour l'accompagner davantage dans ce qu'il faisait, dans cette tentative de rectifier leur chemin ce soir-là. Sa gorge se serra, exactement comme l'ultime fois où il avait vu la version fantasmatique d'Aldaron. Instinctivement, il aurait voulu rester proche de lui, physiquement, avoir un contact tactile avec lui, même minime mais il s'en empêchait résolument. Non qu'il souhaite se couper de lui, l'idée l'horrifiait, mais il voulait pouvoir pleinement donner corps à tout ce qui s'agitait douloureusement en lui. Parce que s'il avait si peu foi en la populace, c'était précisément que le même genre de tare guettait en lui aussi. Sur un silence, il inspira profondément, s'apprêtant à reprendre, ne quittant pas la guerrière du regard.

« Et à mon avis tu ne te rend pas compte, Aldaron, de la profondeur de ma résolution à ton égard  »

Cette fois, il s'approcha, pour lui caresser la joue, laissant ses longs doigts courir lentement sur sa peau sombre, en si violent contraste avec la sienne, douce et fragile, comme il pouvait la rompre d'un coup de crocs, comme il pouvait la bleuir de sa poigne, ou la faire rougir de ses mots… Ses doigts dévièrent vers sa gorge, tremblant légèrement, avant qu'il ne vienne les nouer dans les mèches plus courtes contre sa nuque.

« Oui c'est vrai, je ne pense pas avoir ma place à Caladon… et je n'aime pas cette ville… et plus ça va, plus j'exècre les marchands, sans offense envers toi. Mais pour toi, je reste, et c'est de bon cœur, parce que ta présence, quand tu es à mes cotés, éclipse tout malaise. Lorsque je me sentirais vraiment mal, je m'éloignerais un peu. Je suis un égoïste dans l'âme, je sais me ménager. Si je viens ici, c'est pour souffler, et c'est un bon rythme pour moi… et si Nyn-Tiamat me manque, c'est parce qu'elle respire la magie, et qu'elle possède une beauté intemporelle, pure… comme Calastin ne semble pas en avoir. C'est seulement ma vision des choses, pas la vérité peut-être… juste… la mienne ?  »

D'une impulsion, il vint le plaquer contre lui, l'entraînant dans un baiser sauvage, passionné et révolté, le dévorant jusqu'à le sentir tressauter contre lui à cause du manque d'air, le relâchant à peine, grondant contre ses lèvres, la voix basse, vibrante et rauque, fauve.

« Et je pourrais faire n'importe quoi pour toi, n'importe quoi… alors souffrir un peu, au regard des autres n'est rien, tu entends ? Rien du tout…Je tuerais, je détruirais, ou je protégerais, même si je dois en périr, et je serais qui je dois être, tant que pour toi je suis toujours Ivanyr...  »

Il le saisit plus fermement, venant l'entourer de sa seconde main, plongeant un regard devenu immense dans le sien, avalant ses prunelles vertes dans un océan azuré, pâle et aqueux, duquel on pouvait se noyer, dans lequel se reflétait la froideur du blizzard Glacernois et des nuées nocturnes, dans lequel pulsait autant sa volonté et son adoration qu'un désespoir latent.

« Je serais le fléau que tu veux que je sois, ou ton esprit gardien Aldaron, tant que tu me reviens. J'ai toujours été libre… j'aurais pu massacrer ta ville, j'aurais pu mourir en essayant ou réussir, si je l'avais voulu… j'ai décidé de rester, et de plier à vos lois… je l'ai fait pour toi…  »

Pas un instant il ne s'était rendu compte qu'il l'avait poussé jusqu'au bord de la pierre, l'obligeant à dépasser même quelque peu, tout juste en équilibre, désormais, entre ses bras, ayant battu la retraite de chaque mot jusqu'à cet instant, et dans un souffle tremblant, comme s'il avait lui-même peur de sa propre déraison, de la façon dont, subitement, la conversation avait déviée, il souffla, le ton fragile comme un cristal, les yeux plein d'une incertitude enfantine, d'un être voulant absolument se faire aimer et voir l'être qu'il chérissait heureux, l'âme à nue, dans toute sa dangereuse vulnérabilité. Une seule question, qui en contenait tant d'autres, qui grattait de ses ongles ébréchés à la porte de cette forteresse dont l'autre s'entourait.

« Et toi…. ?  »

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    Il l'avait perdu, indéniablement, il l'avait égaré en chemin. Peut-être avait-il été trop vite, dirigeant qu'il était. Se pinçant l'intérieur de la joue entre ses dents, il savourait ses caresses et plantait son regard dans le sien, espérant le harponner en chemin. En vain. Le voir se détacher le frustra, quand bien même il campa sur ses positions le temps que la tempête passe. La droiture de son port altier en faisait un roi solide, une montagne face au vent qui souffle et il soufflait rudement. Le large se prenait des bourrasques de magie qui déferlaient à contre vague. L'écume s'émoussaient, à la surface perturbée et les embruns se diffusaient en gouttelettes, reliquat d'une violence exprimée, qui avait besoin de sortir. Puis il l'écouta s’épancher, trouver ses mots seul, de lui-même. Il soutenait son regard, l'expression patiente gravée sur ses traits comme une marque de fabrique, purement elfique. C'était un tempérament qu'il n'avait pas eu tout de suite. La patience n'avait jamais été son fort, jadis. Mais maintenant... Maintenant, il en faisait l'une de ses plus précieuses armes. Aldaron baissa les yeux, gêné comme un enfant pris la main dans le sac, lorsqu'Ivanyr souligna qu'il le sentait, en lui, chaque fois qu'il ressemblait à Achroma. Il aurait aimé le cacher, le garder pour lui comme pour tant d'autres choses. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas lui en parler, mais il voulait l'épargner de ses propres faiblesses. Il aurait cru le blesser, d'une part. Cela ne s'avérait ne pas être. D'autre part, il trouvait ses propres pensées déplacées. Si cela ne gênait pas Ivanyr qu'il pense à Achroma lorsqu'il était avec lui, l'elfe était effroyablement embarrassé par cette dualité. Il avait l'impression de comparer ses deux amants en permanence, leur façon d'être là, près de lui, leur manière de l'embrasser... Et ça le biaisait, forcément, en bout de compte. Probablement inférait-il à tort bien des fois, ou déformait, tarissait l'affection que lui portait Ivanyr.

    Son contact, à nouveau, le soulageait comme si le vampire parvenait aller chercher son âme dans les tréfonds de son désespoir pour la mettre à la lumière. Son âme n'aimait pas la lumière. Elle était trop blessée, trop meurtrie. Et elle avait tellement honte qu'elle préférât l'ombre et l'appelait de ses vœux. Pour autant, devant lui, la lumière lui semblait moins pénible. Il lui apparaissait même qu'elle lui offrait une échappatoire inattendue, salvatrice. Son visage suivait ses caresses, s'appuyait doucement pour sentir un peu plus la froideur contre sa peau, son toucher réconfortant pour chasser l'étau brûlant de Morneflamme. Il secoua négativement la tête pour lui confirmer son propos : il n'avait pas l'impact de sa dévotion gravée dans sa chair. Ça n'était pas qu'Ivanyr ne lui montrait pas assez, c'était surtout qu'Aldaron refusait de le voir et détournait le regard chaque fois que ça lui apparaissait. Un sursaut accueillit son baiser d'une intensité remarquable. Même s'il lui rendait, l'elfe se crispait, s'effarouchait, reculait d'un pas, cherchant l'air qui vint bien vite lui manquer. Il tremblait viscéralement à la voix grondante, profonde, si vivante de son aimé. L'irradiation contractait les muscles de son dos, le raidissant plus encore. Sa respiration s'accélérait, autant que les battements de son cœur qui partaient dans une course folle. Comme s'il était en train de galoper. Comme s'il était en train de fuir. Il l'effrayait et l'enivrait. Il le terrorisait et l'exaltait. Le paradoxe explosait dans son esprit face à ce qu'Ivanyr lui remettait entre les mains. Toute cette puissance, toutes ces possibilités, toute cette affection démesurée. « Iva-Ivanyr... » bégaya-t-il, comme s'il tentait de s'échapper à la question qu'il voyait venir. Dans un nouveau sursaut, il s'accrocha à lui, réalisant qu'il était à deux doigts de tomber à la renverse, en arrière. Sa poigne s'agrippait à ses vêtements, il avait la désagréable sensation de choir, avec son centre de gravité au-dessus de l'eau. L’équilibre était précaire, mais le vampire ne l'avait pas lâché.

    Il tâcha de calmer sa vive respiration, de s'accrocher à nouveau à ses yeux, lui qui les avait tant évités tout en les aimant passionnément. Il avait honte, il avait tellement honte. Le malaise empoignait ses entrailles avec une vigueur qui l'approchait drastiquement du haut-le-cœur. L'expression de ses yeux ressemblait à s'y méprendre à une proie terrorisée, qui détonnait tellement avec la royauté forte dont il se parait si facilement. Devant lui, il était la créature brisée, enfermée dans les murs de Morneflamme. Il était l'âme animale, bestiale, que les mots poignants du vampire avaient été chercher. Personne n'était jamais entré dans son abîme... Excepté peut-être les rares personnes encore en vie qui l'avait partagé, avec lui, jadis. « Je... » Sa voix était un souffle raide, éthéré, froid et cruel, prisonnier et blessé. « Ne suis pas... » Chaque mot était détaché distinctement, la colère et la violence grondaient avant qu'il ne les étouffe. Sa phrase se relâchait, lassée de désespoir : « A la hauteur... De tout ça... De ce que tu veux me donner... » Il se crispait davantage, bien qu'on eût pu imaginer que ce ne soit pas possible. Chaque muscle de son corps semblait se débattre contre l'étau qui l'étreignait fermement. « Ça ne fait pas écho en moi... Je n'arrive pas à me projeter dedans. Rien ne reste autour de moi. Rien ne vit, rien ne survit. Les humains meurent... Toujours avant moi. Et même ceux qui auraient pu m'offrir leur éternité ont été emporté. Je n'ai connu que la perte, la destruction. Je n'ai connu que des visages qui s'effacent, des existences éphémères. Chaque fois que j'ai voulu m'accrocher à eux, chaque fois que j'ai voulu y croire, chaque fois que j'ai voulu entrevoir l'éternité... Cela me frappait. Le seul qui reste, c'est moi. Le seul qui reste, à chaque fois, c'est moi et je suis fatigué. J'ai vécu si longuement à un rythme déraisonné... »

    Il remontait ses bras autour de son cou, décrispait ses muscles. Ça lui faisait du bien de sortir tout ça comme une plaie éjectait son pus pour cicatriser en paix : « J'ai à la fois envie que tu sois capable de comprendre tout ça, comme Achroma... Pas seulement d’entrevoir ce que cela signifie. Et je m'y refuse catégoriquement. C'est si noir... C'est si douloureux... Même tes visions sont si peu de choses en comparaison de ce qui... » Il ne trouva pas de mots, quand bien même il tentait qu'articuler quelque chose. C'était indéfinissable. « Et pourtant cela te fait déjà bien du mal... Je t'envie d'avoir oublié ce que c'était que d'être lourd d'une histoire consommée, lourd des cendres que tu traînes sur ton manteau. J'aimerais pouvoir regarder toute mon histoire comme si elle n'était pas vraiment la mienne. » Il déglutit, sans le quitter du regard un seul instant : « Lâchement, il me plaît de rêver de tes crocs dans ma chair... Et de ton venin qui détruit lentement ces souvenirs comme de l'acide sur du vélin... » Lui ou un autre. Qu'importait ? C'était l'option de facilité, la faiblesse qui était sienne de se résoudre à tout perdre pour pouvoir recommencer, payant de sa vie pour s'offrir cette liberté. Il fermait les yeux et laissait sa tête retomber en arrière. Elle était lourde et brûlante. Il tirait un peu plus sur le vide où il risquait de tomber, là, sur le bord de son rocher. Sa chute ne serait pas trop douloureuse. Ce n'était pas au danger qu'il aspirait. Il voulait seulement sentir la poigne qui le retenait, comme un filet de sécurité en lequel il pouvait avoir confiance. Revenant sur le côté, il logea son nez dans le creux de son cou avant de remonter le long de sa joue.

    Ses lèvres s'ouvraient pour un baiser sur sa peau, éperdu. Souffle chaud sur l'épiderme glacée, il reprenait : « Je t'aime et j'ai toujours peur que tu partes. Je sais que ce n'est pas ce que tu veux, je sais que tu feras ce qu'il faut pour que ça n'arrive pas, je le sais, je le sens, j'ai confiance en toi... Ça me rassure, par phases, pendant un temps... Ça n'est pas ça, le problème. C'est que rien ne reste vraiment. Malgré les promesses et les volontés, y croire m'épuise. Si j'arrive à passer outre, vraiment, et pas seulement pour un soir, pour un moment passé avec toi où j'ai cette envie, pleine et entière, de vivre... C'est que je refuserai de rester encore, te survivre une seconde fois. Si je saute dans le vide avec toi, je saute. Le jour où on rencontrera le sol, on le rencontrera ensemble. » Il le voyait comme une fatalité et si c'était réaliste, c'était effroyablement déprimant. Mais tout avait une fin, et c'était justement ce qu'il voulait : la fin, jamais plus l'après. Il n'y aurait rien. Rien pour lui. Restait à franchir le pas et ça ne se ferait qu'à la longue... La traversée du désert ne s'effectuerait pas en un jour. « Le jour où je sauterai, c'est que j'aurai confiance en mes propres ailes. » Il voyait aussi dans leur esprit-lié, un espoir, un second coup de pouce final pour les attacher l'un à l'autre pleinement, lorsqu'ils seraient prêts, et pour lui donner les ailes qui le fasse voler et non s'écraser dans sa chute avec lui. Ce serait le dernier déclic, le courage qu'il lui manque à cet instant fatidique pour se laisser tomber sans filet de sécurité. Il vint croiser son regard, avec cette étincelle de vie qui luisait en son sein, promesse de ce qu'il aurait lorsqu'ils seraient arrivés au bout. « Mon âme t'appartient, si tu es capable de venir la chercher là où elle se retranche. Mon engagement est si pâle à côté du tien... » La honte marquait ses prunelles alors qu'il baissait les yeux : « Mais il est exclusif. Je ne laisserai à personne d'autre cette opportunité-là. Je veux te la donner, à toi. Rien qu'à toi. » Les iris vertes tremblaient d'une crainte certaine lorsqu'il les relevait vers lui, comme s'il avait peur qu'il le lâche là, insatisfait. N'était-ce pas la seconde fois qu'il lui faisait le coup du 'j'ai besoin de temps' alors qu'Ivanyr lui offrait un raz de marée d'affection ? La dernière fois, ça n'avait pas très bien fini. Mais la dernière fois, il ne s'était pas autant ouvert que là.

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Il inspira précipitamment, en un souffle tremblant et légèrement sifflant, aveu informulé de la colère qui venait de rugir en lui une fois de plus, et qu'il tentait de contenir par tous les moyens pour ne pas gifler Aldaron ou l'abandonner sur place, quitte à ce qu'il tombe dans l'eau. C'était instinctif, comme on retire sa main lorsque l'on est brûlé par un feu ou de l'eau bouillante, sans voir plus loin que cette soudaine agression et la douleur qui en découle. De la même manière, le vampire ne vit tout d'abord que cette distance, une fois de plus, et il s'en sentait d'autant plus trahit qu'il percevait les poussées de l'elfe à son égard comme des mensonges sous la lumière de ce soudain retrait. Pour tout l'enrobage que l'on y mettait, le message sous les mots d'Aldaron était clair, malgré tout, il n'avait pas confiance, malgré tout, il ne voulait toujours pas simplement se laisser porter, écoutant peurs et doutes, et surtout réfutant le cœur à nu qu'il lui présentait en toute innocence. Et s'il était fatigué de voir les autres mourir autours de lui, Ivanyr lui était las de voir sa confiance et sa sincérité bafouées. Déglutissant pour ravaler son dépit, et pour porter un regard plus distant sur tout ce qui venait de se dire, il ne fut cependant pas capable de nuancer l'insupportable sentiment qui le tenaillait à se voir dénier une seconde fois après s'être ouvert avec autant de franchise et de ferveur. Il pensait chaque mot, et il laissait son cœur parler, et l'autre lui répondait avec la tête, encore, repoussant le flot qu'il tentait de lui transmettre pour qu'il puisse s'y abreuver. Le vampire ferma les yeux, le visage se fermant lentement, l'ardeur retombant dans une résignation lassée, alors qu'il contemplait les multiples choix qui s'offraient à lui. Une fois de plus, il ne savait pas comment réagir, mais là où précédemment il s'agissait purement du désespoir de se faire clairement comprendre, ici, il s'agissait de faire la part des choses entre la blessure ravivée et ce qu'il désirait vraiment.

«  Tu n'es pas...  »

Il se rendit compte qu'il parlait presque au travers de ses dents serrées, et de sa gorge nouée, et il déglutit de nouveau, tâchant d'inspirer plusieurs fois et de rendre à sa voix une tonalité audible et plus tranquille, plus neutre. Les mots avaient du mal à venir, tant la cangue qui l'étreignait était lourde. Il voulait que ça se résolve ! Devoir subir cela encore et encore, il n'en avait pas la force, il n'en avait pas la patience ou l'envie, ça lui pesait sur le cœur et la conscience, comme une chaîne de plomb, et il voulait le lui dire. Et en même temps… il avait peur de lui dire. Ça lui faisait mal d'y penser, de le vivre, s'imaginant déjà ne pas être comprit une fois de plus, ou tout simplement le perdre. Il ne voulait pas le perdre, tout simplement. Il voulait tout envoyer voler, mais il ne voulait pas le perdre, aussi contradictoire que cela paraisse. S'il envoyait tout voler, ce serait pour lui mettre les idées en place, pas autre chose. Mais ça ne marcherait probablement pas… et ils en reviendraient à cette situation, inévitablement, sans avoir rien résolut. Mains liées, il n'avait que la possibilité de faire avec, s'il souhaitait conserver leur lien. Mais sa nature intrinsèque se rebellait contre l'idée de simplement baisser la tête et subir, il n'était pas ainsi. Et il ne le serait jamais.

«  Tu n'es pas un trophée, un prix ou un morceau de viande à agiter devant mon nez pour me motiver à quelque chose. Je ne veux pas de ton âme au prix d'un défi quelconque, je la veux parce que tu voudras me la donner de toi-même, parce que tu voudras passer le reste de ta vie avec moi. Ce… ce n'est pas quelque chose à me vendre pour me motiver à t'aider !  »

Et l'idée même était profondément révoltante, odieuse dans toute sa conception, à tel point qu'il avait même honte de l'imaginer. Elle lui faisait monter la bile à la bouche et les larmes aux yeux, tant c'était insupportable de le voir ainsi. La pression battait à ses tempes alors que ses épaules tremblaient doucement à ses paroles. Il le tenait toujours, mais il l'aurait lâché s'il n'avait pas craint de lui faire mal en le laissant tomber dans l'eau. Aldaron n'imaginait sans doute pas à quel point la perspective de le blesser lui paraissait horrifiante, combien il aurait préféré se couper un membre plutôt que cela. Ses yeux frémirent, puis cillèrent, alors que ses traits se peignaient de la détresse qu'il ressentait devant tout cela. Ouvrant la bouche, il se trouva soudain étouffé par le flot de paroles qui lui venait et claqua des dents en refermant la mâchoire, effaçant une goutte d'eau salée de sa joue. Pour autant, son esprit chauffait, refusant de paraître faible par une mésentente entre eux deux. Il essayait de le protéger lui après tout ! Ce n'était pas… ça n'avait rien à voir avec de la sensiblerie, c'était juste, tout simplement, juste et bien plus sain. Il ne voulait rien obtenir qui ne soit pas sain pour Aldaron.

«  Peu importe combien je t'aime, je ne t'aiderais pas parce que je te veux. Je le ferais parce que tu le mérite. Parce que tu en as besoin. Parce que c'est pour ton bien. Pour que tu sois enfin heureux… Je le ferais même si je ne devais jamais te voir me retourner mes sentiments. Tu… tu te rend compte à quel point c'est malsain de parler de… je sais que tu ne l'entendais pas ainsi… mais Aldaron ? Exclusivité ? Me laisser cette chance ? C'est… notre lien… je pensais qu'il n'avait rien à voir avec quelque chose comme ça. Je pensais…  »

Ses traits se crispèrent furtivement alors qu'il se retenait et terminait d'une voix enrouée, yeux entre-ouverts et aqueux d'un mélange d'affection et d'incompréhension. Peut-être était-ce une faute de sa part. Il l’affirmait lui-même, il pensait mais ça ne signifiait pas qu’il avait forcément juste. Il pouvait très bien s’être fourvoyé. Expirant doucement, il lui massa les épaules, puis libéra une main, le faisant revenir vers lui, dans la sécurité de la roche. C’était peut-être idiot de le prendre ainsi, mais il se trouvait déstabilisé de ressentir comme une mise en concurrence, dans ses paroles. Lui-même n’entendait pas du tout ainsi ce qu’il avait énoncé, et il voulait tenter de croire que c’était là l’accroc causant leur dissonance. Il essayait de se contenir, de ne pas céder à sa fébrilité et son sentiment d’impuissance, comme précédemment, il voulait faire en sorte de se consolider pour pouvoir aborder tout cela de la meilleure façon qui soit, sans perdre ce qu’il voulait lui. Sous ses airs régaliens, Aldaron était le plus instable d’eux deux en fin de compte. Ils étaient différents, dans la façon dont ils vivaient et abordaient leurs situations, et l’elfe se dissimulait derrière son masque pour éviter d’avoir à confronter ce qui lui arrivait, tandis que lui défiait sa propre faiblesse avec rage. Du moins était-ce ça façon de l’interpréter.

Consolidé par cette perspective, il parvint à retrouver un pied d’équilibre et lui serra légèrement les épaules.

«  Ecoute moi, d’accord ? Il n’est pas question d’être à la hauteur de quoi que ce soit. Je te donne tout cela, parce que je veux te le donner, et que moi, initiateur de ce don, j’estime que tu es à-même de le recevoir. Parce que je veux, et peux le faire. Pour cela, s’il te plaît, cesse de devoir te comparer à quoi que ce soit…  »

Maintenant qu’il avait les deux pieds sur la roche, et qu’il ne risquait plus de tomber, lui pouvait le relâcher pour un moment, et c’est ce qu’il fit. Mais le geste apportait d’autres questionnements, plus silencieux. Est-ce qu’il aurait la volonté de le retenir encore, et encore, et encore pour le voir ensuite s’écarter de lui, immanquablement ? Pourrait-il supporter cette douleur-là, de voir sa ferveur n’être jamais répondue ? De devoir grapiller des miettes, en permanence, heureux sur le coup, frustré sur le long terme, étiolant sa capacité à aimer et à faire confiance comme une pelote de laine que l’on déroulerait centimètre par centimètre ? La pathétique réponse à cette question, c’était que oui ! Oui il le supporterait, parce qu’il ne voulait pas l’abandonner, et que ça lui ferait certainement mal, et qu’il acceptait ainsi l’idée de ne jamais se réaliser, mais il pouvait le supporter. Mais ce que son cœur acceptait ainsi, son esprit lui ne pouvait s’y résigner si simplement, pas sans essayer de changer les choses.

«  Et… même si j’envisagerais de te voir transformé, quand l’âge commencera à te marquer de sa poigne, je ne pense pas qu’il faille réellement le faire pour fuir. Ce n’est pas seulement lâche, c’est… c’est réfuter qui tu es. De la façon dont je le vois, ton histoire, même pleine de souffrance, a donné la personne que tu es aujourd’hui. Et c’est cette personne que j’aime. Ce dont tu as peur, ce qui te fait souffrir, ce n’est pas réellement leur perte Aldaron  »

Il s’humecta les lèvres, ayant, tout au fond, peur de ce qu’il allait dire. Et lorsqu’il parla, ce fut avec beaucoup de douceur, comme si l’elfe était fait de cristal. Il n’aimait pas donner corps à ces choses-là, pas quand cela le touchait de si près. C’était comme faire apparaître une épée au-dessus de leurs têtes, une nouvelle menace. C’était purement psychologique, et pourtant il en ressentait une pression physique. L’esprit régnait sur le corps, finalement, ça n’avait rien d’extraordinaire. Mais c’était d’autant plus sinistre à contempler.

«  C’est d’être seul. Et encore aujourd’hui tu as peur de moi parce que tu ne veux pas que je te laisse seul. Je me trompe ? C’est bien ce que tu me dis ? Je sais ce que ça fait d’être seul. Même si je ne sais pas ce que cela fait de perdre continuellement mes proches, je sais ce que la solitude peut faire. Alors oui je pourrais t’ôter tes souvenirs, tu pourrais oublier ton histoire et perdre une part de toi-même, et ne fait pas erreur, le vampirisme te change réellement… je pourrais… mais tu perdrais forcément d’autres personnes, tu serais de nouveau seul ou presque, cette possibilité ne change pas. Pire encore, si tu survie longtemps, tu te retrouveras sans doute avec une double peine, une double histoire faite de perte.  »

Lui-même en vivait un éclat, au travers de cette incompréhensible relation entre son être, Achroma et ce que l’Aîné avait été dans son vivant. Et surtout, son statut n’avait rien changé à la chose. Les autres mourraient autours de lui de la même façon, disparaissaient et renaissaient de la même façon, les catastrophes advenaient de la même façon… Qu’il ait changé ou non, le reste du monde s’en fichait, il tournait et tournait encore, indéfiniment. Et un jour, même lui disparaîtrait enfin, pour faire la place à autre chose, sans doute. Même s’il n’avait aucun pouvoir de lui interdire la transformation, Ivanyr n’était pas prêt, à tant que personne, à accepter de sauter un tel pas par lâcheté. La vampirisation était tout, sauf anodine, la réaliser ainsi, pour quelque chose de totalement inutile, ne donnerait rien de bon. Un instant, il resta silencieux, l’observant sans cacher ses pensées conflictuelles, avant de poursuivre plus loin encore :

«  Tu dis que tu ne sauteras que si tu as confiance en tes ailes mais… tu ne peux jamais avoir totalement confiance. Tu ne peux jamais savoir ce qui va vraiment se passer. Si… si vraiment tu le prends ainsi, tu n’y viendras jamais. Je comprends ta peur d’être seul, mais c’est la base même de l’existence en ce monde. Tu ne peux pas savoir si tu seras seul ou non, tu ne peux pas partir avec l’espoir que les choses iront forcément bien de la plus utopiste des manières qui soit. Peut-être voleras-tu mais peut-être aussi tomberas-tu  »

Il y eut un blanc, puis il secoua la tête.

«  Ou plutôt… si, si tu peux agir ainsi. Simplement, c’est un chemin que je ne pourrais pas prendre pour ma part. Je peux essayer de t’attendre, je peux t’encourager, je peux te tirer, mais pas avoir la foi à ta place  »

Mal à l’aise, il soupira et se détourna légèrement, avant de se rendre compte que le geste pourrait être mal interprété, et revenir à sa position initiale. Réellement penaud, il murmura, gêné.

«  Je sais que c’est injuste, mais j’ai l’impression que tu m’as mentis la dernière fois… Tu n’es pas obligé de me donner ce que je veux si tu ne le pense pas. Je préfère la vérité, même si elle est douloureuse. Je ne te veux pas fort si tu te sens faible, assuré si tu ne l’es pas. Mais je te veux, tout simplement, tel que tu es. Tout ce que j’essaye de faire, c’est pour te montrer que c’est possible, pour te montrer que si moi je peux le faire, tu peux aussi le faire…  »

Il tenta de lui sourire, essayant encore, stupidement, de le mettre à l’aise, de faire exactement ce qu’il ne pouvait pas faire à sa place : avoir foi.

«  Je ne te juge pas Aldaron. Je ne suis pas ton pair, pas ton conseiller, ni un habitant de ta cité. Je ne suis pas ton esclave, non plus. A mes yeux tu as tes défauts et tes qualités, je te reconnais et t’aime tel que tu es, et je t’accepte, quant bien même j’ai bien envisagé de te laisser, parce que ce qui nous lie est pour moi plus fort que ce qui me pousserait à partir. Si tu me demandes mon avis je te le donnerais de mon mieux, avec franchise. Quand quelque chose me déplaît je te le dis, l’inverse est vrai aussi. Je ne peux pas être plus sincère que cela, à une exception près  »

Le silence reprit un instant ses droits, avant qu’il n’inspire profondément et ne vienne lui prendre le visage en coupe entre ses mains.

«  Pour l’instant, tu ne veux pas sortir de ta prison. Et tu y es encore. Et tu sais quoi ? Ta réponse n’est pas à Caladon pour cela. Le verrou sur ton cœur ? Il vient d’un lieu désolé où la civilisation ne veut plus rien dire. Ce n’est pas dans la civilisation que tu trouveras de quoi te guérir. Tu t’y accroches parce que ça te sert simplement à garder la tête hors de l’eau…  »

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    Les yeux qui fixaient Ivanyr étaient d'une profondeur exceptionnelle et vide. Comme s'il n'y avait pas d'âme derrière ce corps racé, comme s'il n'y avait plus personne, comme s'il avait été se terrer dans les entrailles de Calastin, mort de honte et de douleur. Sa respiration était calme, son souffle presque inexistant. Il effleurait les contours de l'éther, y trouvant un réconfort, soudain. Qu'avait gravé Dawan en lui ? Avait-il vraiment fait ce rêve ? Ivanyr l'aimait. Ça exsudait de tous les pores de sa peau, dans chacun de ses mots, chacun de ses gestes, dans sa tendresse. Ça avait l'air tellement simple, avec ses mots à lui qu'il se demandait encore pourquoi, lui, il n'y arrivait pas, pourquoi il ne parvenait pas à s'accrocher avec force à cette conviction et ne plus la relâcher. Il se sentait creux, froid et insignifiant. Et il l'avait blessé. Dès les premiers mots à gorge serrée, l'elfe avait cru qu'on lui enfonçait des épées au travers du corps, sa douleur décuplant la sienne. Morneflamme s'occupait de lui ronger le reste. Son regard tombait, en même temps que sa tête, sur le côté, le visage pris en coupe entre les mains de son gardien. Son contact était comme une ancre à laquelle il cherchait en permanence à s'attacher, comme un lien invisible qui renforçait sa présence à ses côtés. Ses paupières se fermaient, écrasant la fine couche aqueuse apparue si rapidement, un peu comme cette fois où il l'avait revu pour la première fois et où ce qu'il gardait en lui ressurgissait, sans le moindre signe avant-coureur.

    Un appel d'air ouvrait ses lèvres. S'était-il retenu de respirer ? L'émeraude, tel un lac trouble, réapparaissait, baigné de tristesse morose et de fantômes telles des ombres qui cernaient son cœur : « Morneflamme est loin d'avoir gravé, en moi, l'amour, Ivanyr. Elle a gravé le vice et la perfidie. Elle a gravé la monstruosité dans les traits des innocents, la violence dans ceux des bienfaiteurs et la trahison dans ceux des alliés. Je ne sais plus... Mais l'ai-je seulement su ? Ce qu'est s'aimer... Sincèrement. S'attacher autrement qu'en couvant les crocs venimeux d'un serpent, dans la chair de ceux qui se laissent aveuglément berner par les offrandes de doux mots et de... » Il secouait la tête de gauche à droite, pour chasser la bile amère, mais elle restait là : « Je ne vois plus les choses telles qu'elles sont. Elles sont biaisées, mon jugement est toujours faussé mais je ne sais jamais si je vois le mal partout ou si je le vois à juste réalité. C'est comme s'il avait un autre angle que les autres ne voient pas... Mais que je vois. Comme si j'étais décalé de quelques centimètres par rapport à la réalité. » Des mains tremblaient l'une contre l'autre, alors qu'il les serrait, tendu. Sa gorge se serrait douloureusement.

    « Morneflamme, c'est comme un tabou. Les gens savent que c'était ignoble mais ils ne savent pas ce qu'il peut y avoir eu derrière ces horreurs. Et nous, rescapés, on ne parle pas. Non plus. Parce qu'on ne veut pas que ça reprenne corps. Ça reste, en nous. Tu sais... Autone était à Morneflamme, elle aussi. On dirait pas, hein ? On s'éclipse, on est fort, on avance. » C'était son corps, cette fois, qui se détournait, alors qu'une main venait tout juste de cacher le bas de son visage. Son poing étouffa à peine le sanglot. Lui faisant dos, il s'abritait hors de son regard. Pourquoi fallait-il qu'il se cache de lui ? Malgré la douleur qui lui serrait la gorge, il parlait, quitte à donner vie à ses cauchemars, il aurait tellement voulu passer enfin à autre chose : « On était... Entassé sans qu'il ne soit possible... D'avoir la moindre intimité, la moindre dignité. Il faisait chaud, le sol et les murs brûlaient. Notre peau était sèche et craquelait sous la couche de crasse et de suie. Les regards qu'on croisait étaient ceux de bêtes apeurées. Le soufre blessait l'odorat, le sang tarissait le goût. Tous les jours, on devait se réunir et prier, supplier, vénérer le Tyran Blanc pour qu'il nous donne de la nourriture, pendant des heures. Les mots étaient une litanie apprise par cœur et les suppliques ne voulaient plus rien dire mais il fallait se prosterner... S'il y en avait un seul qui le refusait, c'était l’entièreté de la prison qui devait jeûner. Les rebelles étaient battus à mort par le reste des affamés et servaient de repas. Parfois, il y avait des combats où ceux qui risquaient de se rebeller étaient massacrés avant que le temps des prières ne commencent. Mutilés, à tord ou à raison... Pour éviter que tout le monde ait à en pâtir. Les jours où nous avions tous suffisamment prié, du sang et de la viande nous étaient octroyés. On mangeait parce qu'on avait rien d'autre... mais ce qu'on mangeait.. c'était les corps désossés de ceux qui avaient péri. Ceux qui étaient tombés, mort par la faim, par la brutalité, les maladies... »

    Il déglutit mais refusait de s'arrêter. Ivanyr se retrouvait auditeur involontaire de ses doléances. « On ne dormait jamais vraiment. On somnolait à peine, on caressait les portes de la folie en ce demandant si on allait les franchir aujourd'hui ou si... On ne le avait pas déjà franchies, sans s'en rendre compte. On se regardait, mutuellement, on s'inquiétait du geste de chacun, on se méfiait en permanence de ces êtres aux allures de proies qui devenaient soudain des chasseurs. Et en craignant d'être une proie, on devenait le chasseur que l'autre craignait qu'on soit. Etais-je sa proie ? Ne l'étais-je pas ? Je le tuais quand même, sans être sûr de moi. J'ai gardé en horreur d'être la proie, la stupide proie. Cela allait si vite de mourir. Je ne pouvais pas laisser ma raison s'endormir au profit de l'innocence. Je ne peux plus m'endormir, je ne peux plus me laisser aller... Chaque fois que je le fais... Je le fais sincèrement, je ne t'ai pas menti... Jamais... Il y a seulement cette peur qui revient dès que je suis à découvert et qui dit : 'et si tu étais le chasseur... et si j'étais ta proie...' Je ne sais pas comment la faire taire. » Il eut un sursaut, violent, à son contact. Ivanyr avait-il voulu l'étreindre, le soutenir, l'atteindre, le sortir de son délire ? Il avait failli le gifler et quand l'elfe s'était retourné vers lui, ses yeux exorbités étaient ceux d'un monstre, puis d'un être terrorisé lorsqu'il réalisait qui lui faisait face. Il se jetait sans ses bras, au creux de son étreinte, comme lorsqu'on s'éveille d'un cauchemar. Son corps tremblait, terrorisé.

    Il étouffait ses pleurs contre son torse, comme un enfant épanchait un lourd chagrin. « Chaque jour... Chaque jour, je me trahissais moi-même... Et ce pour quoi je me battais... N'étais-je pas en train de faire l'exact contraire ? Je méprisais le Tyran Blanc... Lorsqu'il m'a réclamé allégeance, je lui ai dit d'aller se faire foutre... Et pendant trois ans... Trois ans... J'ai adulé son nom pour vivre... J'ai... Refusé de le servir... Mais dans la prison de Morneflamme, j'ai tué ses ennemis... J'ai tué ceux qui avaient refusé de le suivre... J'ai hurlé ma haine... La haine que j'avais à l'encontre du Tyran Blanc... J'ai hurlé ses crimes... Mais les miens... Les miens... Ce qui s'est passé dans cette prison, je n'en ai jamais parlé... Jamais pleinement. » Jamais comme ce soir. Pas même à Corine et Cercëe. « Ce que je faisais... Ce à quoi je m'accrochais... N'avait plus aucun sens... Et aujourd'hui, je ne sais pas ce qui a un sens. » Les sanglots et les larmes, il ne les retenait plus. Il ne l'avait jamais fait depuis sa sortie de prison, mais il avait enfin l'impression de vider son sac, de relâcher tout le poids qu'il avait sur ses épaules, tout ce qu'il avait contenu, en lui, ces années durant. Il ne moquait bien d'avoir l'air faible, de ressembler à un détritus en lambeau. Et il avait confiance. Il avait confiance en l'idée qu'Ivanyr ne le jugerait pas, ne s’écœurerait pas. Il sombra dans le silence et les secondes semblèrent durer des heures, hors du temps. Il s'accrochait à lui, ses mains passées sous sa cape pour étreindre le bas du dos du vampire.

    On n'entendait presque plus le bruit de l'océan. Il n'y avait plus la moindre lumière lorsqu'il relevait le nez. La marrée basse ? Il avait passé tout ce temps ? Il ne s'en souvenait plus. Il avait perdu toute notion du temps. Il était seulement mi-allongé, mi-assis contre lui, emmitouflé dans sa cape et dans celle d'Ivanyr, rabattue sur lui. Dans son état léthargique, il n'avait pas du aller bien loin, à moins que le vampire ne l'ait porté ? Il se sentait déphasé. Il sentait sous lui la roche et le vent marin caressait encore son visage. Dans les ténèbres, il n'avait que l'homme qu'il aimait et ça lui suffisait. « Iv... » Voix enrouée, gorge sèche, il ne parvenait pas à articuler quoique ce soit. Il déglutit et se pinça la langue. Son corps était recroquevillé et épousait son étreinte. Son visage cherchait son semblable, à l'aveugle, dans le noir. Sa joue frottait son torse alors qu'il relevait la tête : « Mon piou-piou. » murmura-t-il, comme s'il craignait de briser le silence de la nuit. Un sourire, timide, venait tirer son visage marbré par des larmes séchées. Il sortait une main de la cape, la glissant contre le buste de son aimé, dans son cou, le long de sa mâchoire. « J'ai déblatéré encore longtemps ? » finit-il par demander. Il ne se souvenait pas de quand il s'était arrêté de raconter Morneflamme, il ne savait pas jusqu'où il s'était épanché. Est-ce qu'il avait fait cela pendant des heures, jusqu'à ce qu'il n'ait plus de larmes ? Plus de voix ? Plus de souvenirs atroces ? Son sourire se ternissait : « Tu m'embrasses encore ? » Après toutes ces confessions ?

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Et il l'étreignit, le laissant se blottir contre lui et l'entourant de sa présence autant que de ses bras, le dissimulant à demi dans les plis larges de sa cape de brume. Il le laissa s'épancher, pleurer et confesser ce qui lui taraudait la conscience depuis tout ce temps, sans jamais rien dire, simplement là, auprès de lui, le soutenant, lui caressant le dos et les cheveux d'une main ferme et tranquille. Sans jamais le juger sur ce qu'on lui confiait, bien qu'au fond de son être, il sentit un serrement à l'idée de ce que l'elfe avait vécu pendant son enfermement, effleurant à peine les sentiments qui devaient être si virulents pour lui, après avoir vécu tout cela. Il racontait son horreur, mais ne pouvait la transmettre, pas réellement… il y aurait toujours un décalage, un manque, un retard, et pourtant, il l'effleurait bien, entre ouvrant à peine la porte menant à cette salle secrète emplie d'horreurs qui menaçaient de déborder, de l'emporter. Mais il regardait ces monstruosités en paix, observait ce qu'on lui disait sans jamais condamner le conteur brisé qu'il soutenait physiquement dans ses bras.

Ses pleurs, ses mots, étaient le sang d'une blessure qui s'évacuait enfin, comme on commencerait à peine à la nettoyer. Avec une plus grande objectivité, il s'avoua intérieurement avoir sous-estimé ce dont souffrait son compagnon et se résolut à faire d'autant plus amende honorable auprès de lui. La marque de ce viol profond, psychique, était plus ancré qu'il ne l'avait imaginé. Sans doute aurait-il besoin d'énormément de patience pour le faire sortir de tout cela… mais ce n'était pas impossible. Il en garderait des séquelles à vie, de façon fort compréhensible. Yeux fermés, il chercha à imaginer tout ce qu'on lui disait, défiant l'horreur pour l'amour qu'il lui portait, laissant la bile monter jusque dans sa bouche sans se laisser défaire par la nausée, inspirant et expirant lentement, ne cessant jamais de le cajoler, attendant jusqu'à le sentir commencer à se calmer, et d'un mot, ou d'un petit geste, relançait le chariot en route pour une destination qu'il imaginait déjà : le bien-être qui suivait les pleurs. L'état avait beau être passager, éphémère, cela lui ferait sans doute énormément de bien, et le ferait, au moins un moment, se sentir léger.

Et lorsque finalement Aldaron cessa complètement de parler, et de pleurer, pour simplement continuer à s'accrocher à lui, il le souleva avec précaution, et vint s'installer dans un renfoncement avec lui, sans jamais l'obliger à se décrocher de lui. Le temps avait passé, les étoiles brillaient, froides, au-dessus d'eux, spectatrices muettes de ses confessions, de sa détresse… Ivanyr cilla lentement, en le sentant bouger et se redresser, mais ne défit pas l'étreinte qui pressait son corps frêle et léger contre le sien, baissant la tête, brisant le contact qu'il maintenait avec le large pour observer le visage cendré du Bourgmestre. Son souffle souleva un instant son torse alors qu'il sentait son ventre se nouer légèrement et qu'il ne se baisse pour l'aider à trouver son visage. Le pauvre elfe ne comprendrait pas s'il lui disait qu'il ne l'avait jamais trouvé plus beaux qu'en cet instant précis… à la place de quoi, il sourit doucement au surnom et fit un 'piou' très sérieux pour le taquiner un peu. La question, néanmoins, donna lieu à un fragment d'intense concentration avant qu'il ne réponde enfin :

«  Nous sommes deux heures après le zénith lunaire »

La réponse était donc oui, il avait parlé longtemps. Mais cela n’avait rien de négatif, au contraire, il avait évacué pour la première fois tout ce qu’il pouvait, jusqu’à manquer de force ou d’en avoir fini, l’un comme l’autre indiquait combien cela pouvait déjà être sain. L’elfe devait être épuisé à présent, mais la question qu’il lui posait n’indiquait aucune recherche du repos. Peut-être n’était-ce pas totalement irraisonné en vérité, si cela pouvait aider la blessure de son esprit… Avec un sourire que l’autre ne devait guère que sentir, et encore, Ivanyr se pencha légèrement pour venir déposer ses lèvres contre les siennes, initiant, pour toute réponse à ses peurs sous-jacentes, un baiser tendre et lent, goûtant sa peur autant que le faible espoir qu’il entretenait. Quelques instants plus tard, il reculait et lui caressait le visage d’une main, avant de dégager une outre d’eau de sa ceinture, pour la porter aux lèvres de l’elfe, lui enjoignant d’une voix posée mais ferme de boire. Une voix qui n’admettait pas que l’on refuse ou discute ses propos. Aldaron venait de passer des heures à pleurer, il était forcément déshydraté et se sentirait faible s’il bougeait.

«  Bois… » répéta-t-il «  Doucement »

Il lui caressa l’arrière du crâne, l’observant attentivement, avant d’émettre un petit son de satisfaction en le voyant se plier à sa demande sans discuter. Après quelques instants, il reboucha l’outre, la lia de nouveau à sa ceinture, puis se redressa lentement, avant de l’aider à faire de même. Il avait une idée bien précise en tête, aussi, pour éviter qu’on ne l’en dévie, il vint poser deux doigts sur les lèvres sèches de l’elfe, l’enjoignant au silence, avant de le mener le long de la falaise, vers son sommet, marchant lentement, s’assurant à chaque instant qu’il ne vacille pas. Aldaron était fort, plus qu’il ne le pensait, il survivrait à cet effort, surtout pour la récompense qu’il comptait lui offrir. Pas un instant il ne l’avait lâché, lui tenant la main tout du long, jusqu’à ce que la pente s’adoucisse et que la roche ne soit couverte par un tapis herbeux tendre et moelleux. Il ne fallait qu’une poignée de minutes de marche pour arriver à un coude de rivière encore relativement profond, à l’eau claire et pure, bordé de roches rondes et lissées par les intempéries et le vent. Le lieu était à demi dissimulé dans la végétation dense, et disposait d’un tapis de mousse souple et épaisse. Dans ce havre naturel, le silence n’était brisé que par le bruit de l’eau chantant dans son lit ancestral.

«  Vient par ici… »

Avec des gestes assurés, il l’attira près de lui dans le cercle végétal et le déshabilla lentement avant de le conduire près de l’eau.

«  Descend lentement… »

Bientôt, ils furent dans le creux que le coude de la rivière dissimulait et avec des gestes tendres, le vampire entreprit de laver son compagnon des affres de sa tristesse, laissant l’eau vive effacer les sillons de ses larmes sur ses joues, et chasser l’impression d’engourdissement pataud et tiède qui venait avec les pleurs. Lentement, il versa de l’eau dans sa chevelure, l’alourdissant et la parant de milliers de diamants éphémères et scintillants, avant de passer derrière lui, venant lui masser les épaules et la nuque, en silence. Coi, il se laissait porter par la caresse du courant léger autour d’eux, un long moment, avant de finalement l’attirer contre lui pour un nouveau baiser. Happant son souffle, savourant sa langue, il vint ceindre ses flancs de ses mains, frôlant la peau tiède et douce. Lorsqu’il le relâcha, il lui fit un sourire et lui reprit la main, le guidant vers la rive puis sur l’herbe pour l’y allonger après avoir étendu sa cape sous eux. Le confort était chiche, mais ce serait déjà bien mieux que les roches nues de la plage ou de la falaise.

Le temps n’avait pas de prise sur qui convolait dans le délice d’une union désirée. Son être n’existait que pour chasser ses peurs, que pour remplacer le dégoût par le désir, sanctifiant chaque cicatrice, chaque défaut de la chair, vénérant et adorant son être, voulant noyer les sombres souvenirs sous une chape de miel. Lorsqu’il le sentit faiblir entre ses bras, l’épuisement le gagner, Ivanyr le nicha contre lui, enroulé dans leurs capes pour qu’il n’ait pas froid, et le berça jusqu’à le sentir enfin s’endormir. Il le veilla sans un mot, jusqu’à ce que les émeraudes s’illuminent de nouveau, lui tirant un sourire affectueux et connivent. De nouveau, il posa deux doigts sur ses lèvres, embrassant son front, puis se redressant. Il n’était pas resté entièrement inactif, pendant qu’il dormait, et avec une sourde fierté, il vint lui faire miroiter un panier d’osier remplit de vivres venus tout droit de Caladon. S’il n’aimait pas la ville, au moins pourvoyait-elle aux besoins de son elfe, et après la soirée, la nuit et l’aube, Aldaron devait avoir besoin de se restaurer. Lui servant d’appui, il le laissa se servir un long moment, s’occupant les mains en lui tressant les cheveux, piquetant sa gorge de baisers légers.

«  Ton service d’étage est décidément très efficace, même jusqu’ici… »

Lui embrassant la tempe, il l’enlaça et attendit, l’entraînant de nouveau dans la mousse et l’herbe lorsque son compagnon eut achevé de se restaurer. De toute façon, cette journée était complètement fichue pour les devoirs du Bourgmestre, autant qu’il en profite non ? Il n’aurait qu’à dire qu’un vampire têtu l’avait kidnappé, si on lui posait la question. Lui ? Il savourait d’avoir l’elfe pour lui tout seul, patientant de le voir un peu plus fort et solide pour la suite des évènements. Lorsqu’il se releva avec lui, il lui jeta un coup d’œil amusé avant de glisser qu’il serait sans doute inutile qu’il se rhabille, et que de toute façon il n’y avait personne à part eux dans les parages. Les seules personnes à impressionner étaient les animaux de Calastin, et la seule menace celle de se faire grignoter à la place d’un gland. Ivanyr le conduisit en haut de la falaise, là où le vent fouettait fougueusement la roche, l’affleurement offrant une vue imprenable sur l’océan…Là, il s’avança vers le bord de la falaise, et indiqua l’étendue marine, loin en dessous.

«  Saute avec moi Aldaron »

C’était une demande, limpide, claire, et sans hésitation.

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    Les lèvres qui enjoignaient les siennes semblèrent étouffer le flux de ses peurs, les envoyant dans le Néant lointain. Son souffle se fit profond lorsqu'il alla chercher son être plus encore, réclamant son attention, témoignant du désir qui le brûlait comme une drogue dissiperait ses maux. La précipitation n'aurait rien apporté, si ce n'était un feu consumé trop vite et qui perdrait de ses effets bienfaiteurs prématurément. Si la frustration le saisissait de le voir reculer, en son for intérieur, il le remerciait de ne pas dévorer son âme comme on mange un morceau de viande. Il avait cette délicatesse incroyable avec lui, si féerique qu'elle lui semblait irréaliste, par moment, mais qui le séduisait indiscutablement. Il reconnaissait l'autorité naturelle et protectrice d'Achroma l'ordre de boire, aussi avait-il manqué quelques secondes, obligeant le vampire à répéter sa demande avant que l'elfe ne l'exécute docilement. L'eau s'écoulait dans sa gorge, en curatrice accomplie. Il se sentait si sec, si fébrile en l'instant. Il avait l'impression d'absorber, lentement, des bribes de vitalité, pour pallier à sa défaillance et à sa fatigue. Il discernait ses propres viscères au passage du liquide frais, autrement qu'en un amas noueux et douloureux.

    Une question ouvrit ses lèvres, lorsqu'ils se levèrent, aussitôt tue par ces doigts sur ses lèvres. Ne pas parler, il avait oublié que le silence complice ne devait pas leur faire peur. Qu'importe où ils allaient, ils seraient ensemble. Ils ne feraient pas routes séparées après ce qui venait de se passer jusque si tard dans la nuit. Même s'ils devaient rentrer, Ivanyr veillerait sur son sommeil jusqu'au petit matin... Arriverait-il seulement à dormir ? Cette chose lui tenaillait tellement les entrailles, et il sentait comme son aimé en souffrait d'autant. C'était avec confiance qu'il marchait dans ses pas, se laissant guider dans l'obscurité maîtresse jusque ce recoin paisible d'un bras de la rivière. Le vent sur sa peau mise à nue lui avait arraché un frisson, crispant son corps racé un instant. L'eau était délicieuse. Elle éveillait sa peau, sa chair et ses muscles en dedans. Elle faisait revivre son être et le sortait de son engourdissement léthargique. Il était plus sensible. Tellement plus sensible aux doigts froids de la rivière et de son amant. Son regard, émeraude, cherchait le sien, à chaque instant, à la maigre clarté lunaire, s'enfonçant un peu plus dans son hypnotisme. La nuit sublimait ses enfants et Aldaron y avait toujours été fasciné par ce peuple à la fois terrifiant et envoûtant. Un sourire revenait sur ses lèvres, béat, comme une éclaircie après l'orage. Sa tête penchée sur le côté trahissait une timidité nouvelle, celle de sentiments, exposés à fleur de peau, qui rougissaient ses joues d'envie, comme un adolescent.

    Au centre de ses attentions, l'elfe en délaissait le monde entier pour ne le résumer qu'à ce donneur tendre. Son cœur avait parfois du mal à ne pas pleurer de bonheur sous le joug de tant d'offrandes. Il sentait la poigne de ses sentiments l'étreindre alors qu'il se livrait à ses bras, ivre de l'inconditionnel amour qu'il lui vouait cette nuit encore. L'aube accueillait son éveil, lent, comme à son habitude. Ses prunelles s'illuminaient d'un éclat malachite par la percée des rayons du soleil sur ses iris. Il cilla plusieurs fois en se demandant pourquoi il dormait dans l'herbe. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas dormi à la belle étoile. Cela remontait à cette période où il voyageait avec l'Aîné ou bien sa cavale après Morneflamme. Ce souvenir appelait celui de la veille alors qu'il contemplait la blancheur pâle du corps d'Ivanyr. Sa main remontait le long de ses muscles, effleurant leur galbe savoureux au plaisir des yeux. Il relevait la tête, vers lui, et répondait à son sourire, de façon naturellement contagieuse. A nouveau, ses lèvres s'ouvraient pour parler ; à nouveau ses doigts, sur ses lèvres le coupaient. Il se mordait la lippe, muré dans un silence qu'il avait du mal à tenir et en même temps... Il n'y avait rien que ses mots ne puissent dire mieux que ses yeux. Un soupir soulevait son torse, paisible, savourant le confort de sa proximité. Il se redressa et s'extirpa à peine de la chaleur des capes dans lesquelles il était si bien enroulé. La fierté d'Ivanyr le fit rire : mais quel terrible chasseur il faisait ! Il avait prédaté un panier d'osier !

    Dégageant ses bras, le drapé tombait légèrement de ses épaules, dévoilant juste assez de sa gorge pour être couvert de baisers. Il grignotait les préparations délicieuses, savourait le miel, le blé et l’acidité des fruits et son ventre affamé lui rappelait qu'il n'avait pas mangé la veille au soir. Ses pleurs lui avaient fait sauter un repas, en plus d'avoir mangé une partie de son sommeil. Il ne les regrettait pas au fond... Avoir vidé son sac, pour la première fois depuis les horreurs vécues, lui avait fait un bien fou en plus d'avoir éveillé son aimé de la consistance de ses cauchemars. Guérir son traumatisme, c'était déjà avoir autour de lui des personnes qui pouvaient le soutenir. Cela passait par leur expliquer à quoi il ressemblait. D'une voix grinçante d'humour, il répliqua : « M'est d'avis qu'il n'y a pas que le service d'étage qui est efficace. » Son regard, conviant, trahissait toute la dimension voluptueuse de son propos alors qu'il s'appuyait contre lui pour se rassasier tant de nourriture que de sa proximité. Il acheva son repas avec un soupir de satisfaction et vint achever son éveil au sein de son étreinte. Son Conseil allait être malade de son absence impromptue... Et Valmys devrait arriver en fin d'après-midi à Caladon... Ça lui laissait le temps pour lambiner paresseusement. Avec ce qu'il avait traversé hier soir, il pouvait bien se le permettre.

    Le vent, en haut de la falaise, fouettait la nudité de son corps qu'il affichait. La gêne le saisissait, bien qu'il n'y eût personne. Il gardait une pudeur réservée même aux yeux de la nature. Ses anciennes brûlures n'étaient pas jolies et lui faisait perdre toute l'assurance que sa royauté lui conférait habituellement. Main dans la sienne, il se mordait l'intérieur de la joue, ses yeux observant le bas de la falaise avec une certaine hantise. C'était vertigineux, plus encore lorsqu'Ivanyr lui réclama de sauter avec lui. Ses prunelles s'étaient relevées dans les siennes, mais quand il eut l'intime conviction qu'il ne plaisantait pas le moins du monde, l'angoisse du risque que cela représentait fit gronder son cœur d'une peur sensible. Pourtant, il ne relâchait pas son regard et cherchait à s'en saouler jusqu'à la folie, celle qui le ferait sauter avec lui. « D'accord. » souffla-t-il, mots emportés par le vent d'une confiance aveugle. Il reculait du bord, sa main dans la sienne. Il ne voulait pas voir la chute, le fond, le gouffre. Il ne voulait voir que l'horizon face à lui. Sa main se serrait sur la sienne, crispée par l'angoisse et déjà exalté par l'adrénaline. Son cœur battait déjà si fort rien qu'à l'idée. Quittant l'azur des iris adorées pour celui du ciel lointain, mangé par l'horizon de la mer, il entama sa course vers le bord, emmenant avec lui Ivanyr... A moins qu'il ne se laisse porter par lui ? Par sa proximité ? N'était-il pas en train de sauter dans le vide pour lui ? Bon sang ! Mais il était en train de sauter dans le vide pour lui ! Juste parce qu'il lui avait demandé, sans aucune assurance qu'il le sauverait de l'impact !

    La pesanteur saisissait son corps et son cœur. Les secondes étaient éternelles, sur ces milliers de mètres qu'ils descendaient à une vitesse effroyable. Quelque part... Ça lui rappelait les vols à dos de dragon. Cette sensation incroyable de liberté salvatrice. Ouvrant ses bras comme des ailes, il se laissait choir, profitait de l'instant unique et éphémère. La panique n'avait pas lieu d'être, il ne se sauverait pas ou trop peu. Peut-être que si. Avait-il envie de se sauver par lui-même ? Il en avait assez de survivre. Il voulait vivre et sa vie, c'était lui, c'était Ivanyr. Il s'accrocha à son amour, avant que l'eau n'enveloppe l’entièreté de son corps. La magie du vampire fit bouclier à l'impact si bien que la mer fut une mère accueillante. Leur vitesse de chute les enfonça dans les profondeurs sous-marines. Ses yeux s'ouvraient à nouveau, nonobstant l'agression du sel sur sa rétine et l'air qui finirait, inévitablement, à lui manquer. Le silence absolu de l'hermétisme acoustique fut un hymne à son bonheur, la bulle temporelle qui le préservait du monde entier. Son regard croisait le sien, blotti qu'il était dans ses bras. Il avait sauté. Quelque chose en lui, une barrière, avait cédé. Passant ses bras autour de son cou, ses yeux se fermaient alors qu'il épousait son âme dans un baiser hors du commun. Hors du temps. Hors de l'entendement. Loin de la raison qui étouffait si souvent son cœur. Il l'embrassait parce qu'il l'aimait, parce qu'il était fou. Il l'embrassait, même s'il manquait d'air, même si c'était la dernière chose qu'il faisait. Il avait sa foi en lui, qui ressurgissait quand les peurs et les doutes étaient chassées. Il y avait cette vie, dans le fond de ses prunelles, lorsqu'Ivanyr les remontait à la surface.

    L'air entrait brutalement dans ses poumons et il l'embrassait encore, même s'il le faisait couler dans son geste. L'allégresse le noyait, il buvait la tasse et reprenait de l'air chaque fois que le vampire le remontait à la surface. La seule chose qui préoccupait l'elfe, c'était cette faim intarissable de ses lèvres. Ça n'était pas la première fois qu'il avait ce genre de comportement irraisonné et suicidaire, juste pour pouvoir être avec lui. Prenant grandement sur lui pour calmer sa frénésie, il réalisait combien il était fébrile, combien son corps tremblait de légers spasmes incontrôlables. Il se sentait vivre, il sentait toute l'adrénaline qui courrait dans ses veines. Ça fourmillait sous sa peau et c'était à la fois désagréable et délicieux, autant qu'un excellent vin. Sa respiration houleuse, irrégulière et rapide, faisait état du chaos en lui, sans qu'il ne s'agisse d'une mauvaise chose. Le chaos n'était pas bon ou mauvais, il était simplement un état anarchique, sans loi, sans repère. Sa colonne vertébrale s'engourdissait et ça picotait dans ses doigts comme des insectes rampant auraient léché sa peau. Il se laissait le temps de reprendre ses esprits, le regard intense, proche de lui. Son souffle disparate heurtait le faciès de son aimé, alors qu'il tâchait de rester sur place, à la surface. Plus sagement, il revenait furtivement l'embrasser, comme un baiser qu'il n'avait pas pu s'empêcher de voler : « Je suis fou de toi. » lui avoua-t-il avec cette lueur, dans ses prunelles émeraude, qui montrait combien la démence logeait en lui, latente.

    Nageant lentement pour ne pas risquer l'épuisement, il se laissa porter, pendant quelques minutes, jusqu'aux abords d'un bras de sable au milieu de la mer, formé par le courant singulier du pied de la falaise. Une minuscule île comme il y en avait beaucoup en s'éloignant un peu des falaises abruptes de Calastin. Le soleil d’automne faisait miroiter son éclat à la surface de l'eau. Il veillait à garder avec lui Ivanyr. Le vampire avait fait des progrès en natation, il était très bon élève. Lorsqu'il eut pied, il put d'avantage reprendre son souffle et son regard se portait sur le haut de la falaise d'où il avait sauté. Il avait vraiment fait cela ? Le sang tambourinait à ses tempes et ça bourdonnait dans ses oreilles. Ses doigts trempés glissaient sur la peau d'albâtre, remontant jusqu'à sa nuque, alors que son corps épousait le sien, maintenant qu'il pouvait le faire sans boire la tasse. Un frisson achevait de l’irradier, luisant en bel éclat sur ses iris verdoyantes qui harponnaient les siennes d'une tendresse sincère et d'une aura magnétique. Il avait l'impression de revivre. Ivanyr, rallumait chaque jour un peu plus le feu de son âme, soufflant sur les braises, cachées sous la cendre. Il faudrait du temps pour qu'il soit le brasier héraldique d'antan... Mais il avait bon espoir maintenant. Et c'était avec cet espoir qu'il se laissait bercer par le roulis des vagues à la blanche écume.

    Échoués sur le sable, encore à demi-immergés, son oreille contre son torse aurait aimé entendre son cœur battre. C'était le revers de la médaille. L’éternité faisait sacrifice de la vie. Caressant distraitement son ventre pour se remettre, ses prunelles se posaient sur un coquillage blanc qui saisit et fit tourner entre des doigts émaciés. Il restait songeur devant sa trouvaille, alors que l'idée germait, pas à pas, dans son esprit. Il ne cherchait pas à la brusquer et lui offrait le loisir de prendre tout son sens. Il se redressa paresseusement, presque assis, et sa longue natte blanche caressait le buste de son aimé alors qu'il restait penché sur lui : « J'ai une idée. » confia-t-il alors sans en dévoiler d'avantage. Il posa le coquillage sur le torse de son amant avant d'en prendre un autre, puis un autre encore. A chaque fois, il choisissait des spécimens aux teintes claires, même quelques galets parfaitement lisses qui traînaient alentours et les disposait sur le torse nu d'Ivanyr. Il les plaçait avec soin, semblant réfléchir sincèrement à leur disposition. Un premier alignement, horizontal, reliait les pectoraux et le second, bien plus long et vertical, logeait dans le sillon central de ses muscles. « Je me disais que... C'était aussi une bonne chose que ta famille ait payé ta dette... » Même si ça ne plaisait pas à Ivanyr, et Aldaron l'avait bien entendu de cette oreille. Il aimait à voir les choses sous des regards différents. Rien n'était jamais purement mauvais. « Cela te permet de... D'envisager ton avenir autrement que comme une dette. Être à mes côtés, directement parce que tu veux l'être et pas... Pas, entre autres, parce que tu veux payer ce que tu dois. Même si c'était important pour toi et même si je sais que... » Il haussa les épaules. Penchant sa tête à gauche et à droite, il jaugeait de l'harmonie de sa propre composition, et inversait souvent deux pièces d'emplacement jusqu'à sembler satisfait. « Enfin, je sais pas, je ne me sentais plus à l'aise dans ma position de créancier, avec... Ce que nous visions, tu vois ? Et puis... Il y avait cette histoire, que tu m'as contée. Celle de la fondation de Glacern. »

    Son nez se fronça et il inversa un galet avec un coquillage nacré. Un sourire satisfait marquait ses lèvres. Voilà, là c'était très bien. La langue elfique comportait des mots qu'on ne pouvait pas traduire simplement en langue commune. Elle avait cet accent exotique, chantant, qui armait la prose d'un lyrisme racé. Les coquillages et galets, ainsi disposés, fusionnaient entre eux. La matière se déformait pour s'enclaver et s’enchâsser dans l'autre, elle craquait, grondait mais se pliait à sa volonté, à sa magie. Il fallut encore quelques minutes pour que l'ouvrage soit comme il l'imaginait. Une épée qui coupait trop peu, sûrement fragile... Mais une lame blanche, nacrée de reflets irisés, ornées de spirales parfaites. La roche des galets servait de squelette et les coquillages, lissés, offraient à sa surface un décor singulier. L'épée avait cette sobriété humble que l'elfe avait toujours affiché, elle était le pur produit de la nature, telle qu'Ivanyr l'aimait. « Tu pourrais continuer de travailler pour moi, maintenant. Être le protecteur que tu souhaites être, à mes côtés. » Il referma la main sur la lame qui n'avait rien de tranchante, contemplant le résultat de son travail, satisfait. Il ne créait pas tant de ce genre de chose. Il était assez épaté du rendu moiré et des striures opalines. « Ma Lame Blanche. » Bouclier-lige d'une royauté qui se jouait dans l'ombre, par de-là les pays que les peuples avaient formés. L'or... n'avait pas de frontières.

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Qu’il était adorable, avec cette rougeur aux joues. Exquis, et tout à fait à son goût, mais il avait autre chose en tête, sur l’instant, que de céder une nouvelle fois à l’érotisme innée de son partenaire. Ce qu’il voulait, c’était lui faire sentir ce quelque chose que la prison du tyran avait transi en lui et qui lui manquait, dans sa forme primale : la vie. Leur échange la soirée précédente, puis les aveux de l’elfe, lui avaient montré qu’il avait mal jaugé ce qui torturait son compagnon et la façon dont il devait l’aborder. Il ne devait absolument pas le prendre à la légère, et dans le même temps, il ne devait pas non plus le lui montrer trop fortement. En somme, ça n’avait rien de simple, bien qu’il n’ait jamais imaginé que cela le soit réellement. Mais jusqu’à présent, il avait imaginé qu’une approche linéaire fonctionnerait. Ce n’était pas du tout le cas. Mais cette fois, il était certain que ce qu’il désirait aurait l’effet escompté. Et il avait terriblement envie de le faire avec lui. L’adrénaline frémissait déjà en lui, à la simple idée de son acceptation. Muet, il attendait, le regard brillant d’excitation et d’assurance, le corps tendu par l’attente alors même qu’il restait immobile, alerte. Sa peur, il la sentait, mais il ne voulait pas intervenir, il voulait le voir l’affronter et la vaincre seul, sans aide, parce qu’il en était parfaitement capable, et qu’à l’instant où il le ferait, où il réfuterait le pouvoir de la peur sur lui, alors il aurait fait son premier pas vers la porte qui le mènerait hors de Morneflamme.

Il soutint son regard, l’attendant fermement, et se fleurit d’un sourire fin et satisfait en le voyant finalement accepter. Sans un mot, il commença à reculer avec lui, lentement, avec cette assurance impavide, et cette fièvre innocente, puis détourna les yeux pour observer l'immensité du ciel et de l'océan, comme un appel irrésistible à la liberté, comme une promesse infinie dans laquelle il aurait aimé se perdre. Puis d'un seul coup, il se mit à courir vers le bord de la falaise, en parfaite coordination avec son compagnon, avant de sauter, de toutes ses forces, dans le vide. L'air le happa avec Aldaron, l'entraînant vers la surface striée et blanchie d'écume de l'océan, sifflant autours de lui, lui fouettant le corps, le vivifiant. Il avait une conscience nette de sa propre personne, son esprit exalté s'étirait pour pouvoir appréhender tout ce qui l'entourait, le monde tournant, la tension de son organisme… Les secondes défilaient au ralenti alors qu'il avait l'impression de flotter dans l'air. Pendant un instant, alors que son regard embué de larmes se tournait vers l'horizon, il eut la sensation que son coeur battait à nouveau, douloureusement, pleinement, magistralement. Il voulait voler ! Il voulait continuer de flotter éternellement, voler dans les courants ascendants, se sentir porté et ne faire qu'un avec l'immensité absolue de cet espace sans barrières. Se laissant aller dans la chute, il savoura chaque instant, chaque infime moment de ces pulsations vibrantes qui le traversait…

Lorsque la surface de l'eau commença à se rapprocher, il attira Aldaron contre lui, l'enlaçant et laissa l'eau se refermer sur eux. Le monde se fit aqueux, bleu et lumière, douceur soyeuse sur son corps éveillé à l'extrême. Elle était glaciale et le devenait bien plus lorsqu'ils s'enfonçaient davantage, laissant une traînée de bulles derrière eux, une plaie rapidement rebouchée, effacée tandis que leurs corps étaient acceptés au sein de cette entité immémoriale et immense, source de vie. Leurs regards se rejoignirent de nouveau, le sien pâle s'illuminait de bonheur et de fierté, et il se rapprocha de lui, scellant ses lèvres aux siennes avec un plaisir viscéral. La rage, la ferveur de son compagnon nichait en lui une flamme féroce, une passion vibrante et immortelle, et il l'étreignait avec une ardeur impitoyable, son esprit cessant toutes pensées cohérentes pour ne faire que l'adorer, le portant à l'Elysée. Il répondait, animal, cherchant à le dévorer, à l'absorber, à ne faire qu'un avec lui, de tout son être. D'une impulsion mais sans jamais le relâcher, il commença à remonter avec lui vers la surface, le sentant trembler du manque d'air, les battements affolés de son cœur une musique magistrale à ses oreilles. Le soulevant fermement, il dû faire un effort de volonté pour se détacher un instant de lui, juste le temps pour Aldaron de prendre une profonde goulée d'air avant que leurs lèvres ne se rejoignent une fois de plus.

Il s'offrait à sa voracité, le maintenant au-dessus de la surface de l'eau de toute ses forces, haletant alors qu'il tentait de se repaître de lui de tous ses sens. S'arrêtant finalement en le sentant reprendre son souffle, profondément, il vint faire remonter ses mains le long de son dos, lui massa la nuque en plongeant son regard dans le sien, l'un emplit de folie, l'autre de tendresse. L'aveu ne fit qu'élargir son sourire, et il l'embrassa de nouveau, recueillant l'iode de ses lèvres et goûtant la vie qui vibrait en lui avec un soupire de plaisir. Il n'y avait pas de réponse à donner à ses aveux, il les conservait jalousement mais ne souhaitait pas les appauvrir avec une phrase toute faite. N'avait-il pas montré jusqu'ici ce qu'il en était ? Se coulant dans l'eau avec lui, il le suivit jusqu'à un îlot de sable où tous deux purent s'étendre, flottant légèrement lorsque l'eau venait lécher leurs formes nues et pâles. Le vampire passa les bras autours du corps de son compagnon, le retenant lorsqu'il glissait vers les profondeurs , lui fit un sourire avant de venir soupirer contre sa gorge, s'installant avec l'aisance d'un pacha. La silhouette gracile contre la sienne apportait une chaleur douce, qui se disputait avec la fraîcheur plus sage de l'eau de la surface, qui commençait à peine à chauffer avec la matinée. Le ciel étiolait les derniers de ses apparats pastels, remplacés par les formes fantasques de nuages moutonneux, au blanc pur et innocent.

« Hm ? »

Il tourna paresseusement son regard sur l'elfe, encore groggy par l'excitation que le saut avait évoqué. Une idée ? De quoi s'agissait-il exactement ? Le laissant faire, Ivanyr se contenta de surélever légèrement sa tête en passant ses bras sous sa nuque. Ses fins sourcils pâles se froncèrent sous la tentative maladroite d'explication, mais il continua de l'écouter jusqu'au bout, toujours perplexe de la façon dont Aldaron pouvait voir le monde. Pourquoi pensait-il qu'il imaginait son avenir comme une dette ? Pourquoi réduire les choses à la raison pour laquelle il avait prit cette place au départ ? Ça n'avait pas de sens à ses yeux. N'avait-il pas comprit son affirmation la soirée précédente, lorsqu'il avait dit qu'il aurait tout aussi bien pu cracher sur la justice Caladonnienne s'il l'avait voulu ? Il aurait pu partir et encore maintenant, il pouvait partir à n'importe quel moment s'il le voulait vraiment. Sa motivation à rester et à payer cette dette était un choix, comme celui de rester pour être auprès de lui. Tout ne tournait pas autours de sa dette, et il avait beaucoup à l'esprit, beaucoup plus que cela. Il avait vraiment vécu beaucoup trop longtemps auprès des humains, c'était la seule explication qu'il pouvait trouver à son attitude… Pourquoi fallait-il qu'il se bride ainsi à un seul aspect, un seul fragment, plutôt que de voir l'ensemble, le tout imbriqué ? Il espérait bien ne jamais subir le même sort, c'était bien trop triste de simplifier ainsi l'esprit.

Lorsqu'Aldaron en vint à achever l'ébauche de son idée, il ferma les yeux en soupirant doucement, se laissant aller dans la caresse de l'eau, observant de nouveau le ciel immense et limpide. Le silence naturel berçait leurs êtres, tandis qu'il laissait ses pensées voleter ailleurs… Trop de sérieux en une fois décidément, pouvait-on le blâmer de se ménager une porte de sortie ? Il cilla finalement, humectant ses rétines sensibles, puis se redressa, le laissant récupérer sa création. Chassant les mèches humides d'eau marine de ses épaules, Ivanyr fit rouler ses épaules un instant, laissant les muscles jouer, prenant son temps pour répondre. Lorsqu'il le fit, ce fut sans invective, mais avec une tranquille fermeté.

« Je n'ai jamais perçu mon futur comme une dette. Jamais. Ni toi comme mon créancier »

Étendant une main, il vint prendre l'arme pour l'examiner à son tour, appréciant son esthétique. Curieux tout de même… Il ne s'était jamais perçu comme appréciateur de l'esthétique des créations humaines, elfiques ou vampiriques, alors qu'il parvenait très bien à reconnaître ce que cette lame avait d'agréable à l’œil. Parce qu'elle avait été faite avec des matériaux bruts ? Mais le reste également pourtant… Avec un sourire, il fit jouer la lame dans l'air, puis la plongea sous l'eau, lui donnant un lustre supplémentaire.

« Tu veux m'adouber avec ? »

C'était une taquinerie, mais après tout pourquoi pas ? Cela singerait sans doute beaucoup les coutumes de l'Empire, mais personne n'était là pour le leur reprocher. Redevant plus pensif, il traça du regard les traits de son amant, de son amour. Ils se heurtaient déjà, comme il l'avait prévu, pourtant cela ne le dérangeait pas en soit. Il en fallait bien, des heurts, pour apprendre à se connaître, comme il fallait également des moments plus doux, plus tendres. Et découvrir l'autre était autant une joie qu'une source d'émerveillement, dans le bon comme dans le mauvais.

« Je te préviens, je ne récite pas de serment stupide et pompeux… ou alors seulement si j'ai droit à une petite gâterie ensuite... »

Il y eut un blanc pendant lequel il ferma les yeux, très conscient que ce qu'il venait de dire pouvait être mal interprété. Ce n'était pas du tout ce qu'il avait voulu dire enfin !! Il n'avait franchement pas besoin de ce genre de sous-entendus s'il voulait lui faire passer un message. Ça devait être purement innocent ! Il n'était pas du tout de ce genre-là ! Se raclant légèrement la gorge, il tâcha de ne pas laisser paraître son désenchantement.

« Ça ne sonnait pas comme je l'attendais… je l'imaginais moins… plus… autrement, comme un imbécile… je parlais de douceurs, enfin de sucrerie… enfin tu me comprend… pas vrai ? Mais arrête de sourire comme ça ! »

Il le voyait se gausser déjà comme une baleine face à lui ! Comment pouvait-on avoir aussi peu de sympathie pour un pauvre abus de langage involontaire et avorté. La prochaine fois, il se contenterait de faire le pot de fleur et de le laisser se débrouiller. Et en même temps, il savait parfaitement qu'il n'y parviendrait pas le moins du monde. Il était bien trop assertif pour cela. Il lui fallait aller vers lui, le chercher, le railler tout autant et jouter amicalement avec lui, parce que c'était son caractère, parce que c'était ainsi qu'il apprenait à le connaître, tout en conservant toujours cette affection infinie et impérieuse pour l'elfe. C'était sans doute déjà la raison pour laquelle il avait mal prit qu'Aldaron réagisse envers lui comme envers un rival ou un adversaire réel la première fois qu'ils avaient communiqués. Réprimant un sourire qui parvint néanmoins à courber les recoins de sa bouche, il décocha vers lui un regard pétillant pour répondre finalement :

« Et qu'entends-tu exactement par protecteur, hein ? La garde de Caladon risque de mal le prendre non ? Ou bien n'en es-tu pas arrivé là de ton idée ? »

En soi, il adorerait continuer de le protéger, de le veiller. Ou de partir pour accomplir une tâche pour lui d'ailleurs, l'un n'empêchait pas l'autre. N'avait-il pas affirmé vouloir être son bras armé ? Passant une main dans ses cheveux, il entreprit de les tresser comme ceux de son amant, pour empêcher les mèches platines de le gêner et de se coller n'importe où, y comprit aux endroits les plus gênants ou irritants. De plus, cela lui occupait les mains utilement.

« Je dois t'avouer ne pas être très bon élève, jusqu'à récemment, la situation économique et politique de Caladon m'indifférait. Je ne me fais qu'une idée très vague de ce que tu attends de moi en me proposant cela... »

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    Ses lèvres se pincèrent, sans qu'il ne veuille répondre. C'était fou comme ils avaient du mal à se comprendre, parfois et pour le coup, il n'avait pas envie de lutter et d'expliquer. Pas envie de se heurter, encore. Pas après l'instant qu'ils venaient de passer ensemble. Une part candide de lui avait envie de garder un beau souvenir, à la pureté cristalline. Mais dans son cœur serré, il savait que c'était déjà un échec. Il y avait ce sentiment d'être décalé par rapport à ce monde et ça lui faisait d'autant plus mal qu'il s'agissait d'un décalage sur une réalité qu'il partageait avec l'homme qu'il aimait. Il laissa cette histoire de dette de côté, peut-être amèrement. Il se contentait de détourner le regard et de s'étendre, sur le flanc, sur le sable rafraîchi par l'eau de la mer qui en léchait, par vague, l'étendue claire. C'est que ça le brassait tout de même, malgré la position détendue qu'il reprenait, il sentait comme ça tirait ses entrailles. Il tâchait de se dire que ceci était du passé, maintenant que la famille d'Ivanyr avait payé sa dette pour lui. L'elfe, lui, n'aurait pu cette sensation malaisante sur la peau, celle qui le faisait douter et crainte le départ du vampire, une fois le paiement fait. Il l'avait bien entendu et il en entendait souvent des belles paroles dans lesquelles on louait l'affection qu'on lui portait, l'attachement ou la loyauté... Mais quand l'or venait à ne plus être versé, ces proches disparaissaient de sa vue. En faisant venir à lui ce spectre craint, il s'évitait l'attachement déçu. Et indépendamment de cela, il n'aimait pas l'idée d'être ce moyen, cet intermédiaire entre Ivanyr et son acte de libération des Graärhs, son idéal. Sa déception vis-à-vis des Anciens n'avait fait que prouver combien il avait tenu à cette dette, volontairement. Qu'il s'était projeté dans l'idée de la payer, non pas par contrainte, mais par volonté de le faire. Cela n'enlevait rien à son désir d'aller lui-même au bout de son paiement et Aldaron ne voulait pas être cet instrument.

    Il eut un sourire en coin lorsqu'Ivanyr évoqua l'idée d'un adoubement. Il n'y avait pas vraiment pensé, initialement. La Lame Blanche, physique, n'était là que pour matérialiser le fond de sa pensée, encore en construction, il y avait quelques minutes. Était-ce narcissique de réclamer pareil allégeance ? De s'élever au rang de pseudo-roi ? Était-ce un jeu auquel ils se prêtaient ou devait-il se montrer plus sérieux ? Jaugeant de l'impact de cette cérémonie, il se demandait si cela ne ferait qu'infantiliser, dans un plagiat puéril, la place qu'il voulait pour Ivanyr ou s'ils parviendraient à rendre cela plus vibrant, plus profond ? La réplique du vampire le sortit brusquement de sa réflexion. Une gâterie ? Il arqua un sourcil, ne sachant pas vraiment comme il devait le prendre. Enfin, si, il savait comment ça se prenait, évidement. Mais là n'était pas la question. Les paroles détonnaient tellement avec la relation qu'ils vivaient. Achroma n'avait eu que des gestes pleins d'amour et de tendresse. Leur satisfaction charnelle était portée par leurs sentiments pas par le plaisir vicié et stérile qu'il avait connu des siècles durant, alors qu'il était à Gloria. Jadis, il n'avait pas pu avoir d'amour sincère, eu égard de la différence entre sa longévité et celle des humains. S'il n'avait jamais était une brute bestiale, il n'en demeurait pas moins vrai que ses expériences en la matière étaient à des années lumière de la complicité qu'il entretenait avec Ivanyr. Cela faisait soudain tâche sur le beau tableau, comme si on avait fait entrer un éléphant dans un magasin de sublimes porcelaines. Ça n'avait pas sa place. Définitivement. Mais les explications hasardeuses de son amant étaient résolument hilarantes ! Il voulait bien le croire, que ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire, mais le rendu lui avait échappé dans une surprenante conclusion qui lui faisait relâcher toute l'amertume. Comme il l'adorait ! Lui, ses erreurs, son humanité. Il était moqueur, mais qui ne l'aurait pas été après un tel plantage ?

    Une main vint devant ses lèvres pour cacher le sourire qu'il n'arrivait pas à ternir. C'est qu'il lui avait sorti sa phrase avec tellement d'innocence que la désillusion était à la hauteur de la chute. Il se mordit la lippe pour que la brève et légère douleur en vienne à le dissuader de poursuivre. C'était bon enfant, il ne voulait pas rire jusqu'à l'en vexer. Et puis, l'arc retenu de ses lèvres ainsi que son regard pétillant d'Ivanyr ne firent que lui confirmer qu'il ne le prenait pas trop mal. Sa main quitta sa bouche pour venir caresser sa peau, sur l'un de ses flancs, comme pour se faire pardonner. Il commençait à comprendre qu'il n'avait pas besoin de pareil charme pour être blanchi de son méfait, aux yeux de l'aîné, mais il voulait faire ce pas vers lui, malgré tout. Contemplant un instant la carrure de son dos blanc, lorsque son aimé s'était redressé, il laissa un silence s'installer bien malgré lui. S'asseyant à nouveau, il se rinça le bras, là où le sable avait collé, sur les marques de ses brûlures trépassées. « Mh... Et bien, ça n'a pas dérangé ma garde que tu prennes le relais jusqu'alors. Tu n'as jamais été payé par Caladon, mais par moi. » Ou du moins sa dette n'avait pas été payée par Caladon, c'était ses fonds propres qui avaient servi à sa libération... Les fonds du Marché Noir. « Ton statut ne changerait pas. Que j'ai à mes côtés un ou deux hommes n'est pas étonnant. Je suis le Bourgmestre de Caladon, je tiens ce rôle d'une élection par le peuple et le conserve pendant cinq ans. La garde de Caladon veille à ma protection mais pas avec la loyauté infaillible d'un Roi. Dussé-je être désapprouvé par le Conseil et le pouvoir qui est mien de la commander s'envole en fumée. Ils ont peur d'une prise de pouvoir par la force d'un leader charismatique. » Il eut un sourire en coin, amusé par cette idée, autant qu'il pouvait tout à fait incarner cet homme qu'on craignait tant. Il n'y avait pas un politicien dans cette Cité Libre qui n'égale sa prestance et sa poigne.

    « Avoir quelqu'un pour veiller sur ma vie est même.... Plutôt sage. Et tant que ça n'est pas une armée, ils ne le prendront pas comme une défiance ou un risque. Pas une armée visible, j'entends. » ajouta-t-il en se disant que ces aveugles étaient bien sots de croire qu'il n'en était rien. Cela l’arrangeait, pour l'heure, il n'allait donc pas changer ceci avant la fin de son mandat. « L'important, c'est ce que je leur montre, ce que je leur laisse voir. Quant à ton rôle... Ça sera plus à toi de me dire ce que tu attends de moi. Quel rôle, quelle importance tu souhaites me voir te confier ? Quelle visibilité et quel titre tu te verrais avoir ? Je te donnerai la place que tu désires, dans les conditions que tu souhaites. Si tu veux des fonctions officielles au sein de la Garde de Caladon, je te les donne. Si tu veux une place dans le Marché Noir, je te la donne aussi. » Son regard, intrigué, resta planté dans le sien une ou deux secondes avant de son visage ne vienne doucement contre l'une de ses épaules, comme un chat y frotterait sa tête. Un son de contentement s'échappait de ses lèvres closes au contact de sa peau, puis il laissa sa joue reposer contre lui. Visiblement, il vivait ma la moindre distance pour le moment. « Caladon n'a pas d'armée. Elle a une Garde qui veille à la sécurité de la ville et de l'or en quantité suffisante pour lever une armée de mercenaire en cas de guerre. L'avantage d'un poste au sein de la Garde c'est que tu pourras y évoluer de façon officielle. Te faire une place, un nom, te faire remarquer par tes actes de bravoure. Tu ne seras pas dans mon ombre, même si tu auras mon soutien, tu pourras te faire connaître pour toi même. » Gardant le contact de sa joue sur son épaule, il relevait le regard vers lui, comme pour jauger de son intérêt pour ce qu'il évoquait. Ou au contraire son ennui. Il lui exposait les possibilités mais il lui laissait toute latitude de définir sa place, avec la promesse de le suivre quoiqu'il désire.

    « C'est aussi une place où tu serviras Caladon avant de me servir, moi. Cela ne veut pas dire que cela nous détache... Cela veut seulement dire que si je viens à m'opposer au Conseil, pour une raison ou une autre, il te faudra trahir si tu veux me suivre. Quant au Marché Noir... Il y a différentes ramifications. Dix fils d'araignées reliés entre eux, à la fois indépendants dans le façon d'agir mais tellement analogues aux résultats des autres. Les Lames Blanches n'existent pas encore. Du moins pas avec ce nom... Ils sont mes protecteurs et eux seuls entendent jusqu'où les pousse leur loyauté. Ce qu'ils sont prêts à faire, au quotidien pour moi. Pour le Marché Noir. Pour cette royauté qui se joue dans l'ombre. » Penchant la tête sur le côté, il était vraiment curieux de ce qu'Ivanyr pouvait en penser. Ce que son imagination le laisserait supposer. « Je possède plus de la moitié des bâtiments de Caladon et probablement un tiers du marché de Selénia. Pas à mon nom propre, mais des intermédiaires et des intermédiaires afin d'empêcher les fouineurs de remonter à moi. Des espions, des investisseurs, des assassins, des recruteurs, des contrebandiers, des soldats, des juges... Une vraie petite ville qui vit au crochet de l'archipel entier. L'or n'a pas de frontière. Quelques têtes avaient pensé unir les peuples pour n'en former qu'un, ou du moins pousser l'idée de travailler ensemble, sans guerre, sans haine. J'étais de ces utopistes, mais je sais à présent combien le seul lien qui peut les unir, le seul maître qui peut les gouverner, c'est l'or. » Il eut un sourire amusé : « Enfin, ça c'était ce que je pensais avant qu'il n'y ait les graärhs. Le premier que j'ai rencontré m'a fait des yeux ronds quand j'ai commencé à lui parler de monnaie. » Il eut un rire en secouant la tête.

descriptionMon avenir [Achroma] EmptyRe: Mon avenir [Achroma]

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C'était merveilleusement surprenant, que de voir à quel point une même action pouvait être teintée différemment selon la fin qu'elle servait et les affects de celui qui la motivait. Entendre Aldaron parler était toujours amusant en soi, le laisser faire une entreprise aussi curieuse que périlleuse. Parfois, l'elfe l'ennuyait à palabrer, et il lui arrivait d'être vexé ou blessé, pourtant dans le même temps, il adorait le son de sa voix, et l'écouter était un plaisir pour lui. Il suivait ses inflexions, les vibrations de son ton, le souffle vital qui portait à lui cette musique tant aimée à la diction parfaite. Même le très léger accent qu'il pouvait parfois avoir donnait du cachet à son discours plutôt que de le desservir. Ce qui ne l'empêchait pas de rouler des yeux lorsque l'elfe prenait de grands airs auprès de son conseil et de ses citoyens. Le revers de la médaille, tant que cela restait bon enfant. Ivanyr écoutait, se repaissant certes de connaissances, mais surtout de lui, d'une façon bien plus virginale que la nuit précédente, englobant ainsi tous les aspects d'un amour qui ne se résumerait jamais à la simple satisfaction physique. Puis finalement, il eut un soupire, sans amertume, glissant un bras autours de lui pour l'attirer de nouveau dans son étreinte. Aldaron lui offrait énormément à penser en quelques dizaines de minutes, et il avait besoin d'un peu de temps pour tout trier, pour tout peser, pour essayer de s'offrir une vision réelle de ce qu'il voulait, espérait ou pensait. Finalement, il prit la parole avec tranquillité, pour exposer le fruit de ce qu'il venait de mûrir.

« Je n'ai pas autant de foi que toi en l'or. Je ne suis pas un politicien, alors peut-être ne puis-je tout saisir, ce serait raisonnable d'y penser. Mais de ce que je peux voir et comprendre de notre monde, l'impression que j'en retire est la suivante : le pouvoir et la souveraineté ne dépendent que de la foi que l'on place en eux. C'est le consentement général qui permet à un royaume ou un état de perdurer. C'est par ce même consentement général que tu souhaite voir tomber la lignée des Kohans. Et je dois avouer que tu es un prédicateur efficace de la cause de l'or. Pour autant, peut-être en raison de mon passé, je ne parviens pas à me sentir dominé par lui… J'en vois néanmoins également l'utilité et je crois en toi. L'or a cela de positif qu'il permet effectivement de bâtir une société évoluée, au moins pour les humains. Et c'est de l'humanité que nous parlons ici…. »

Il fronça légèrement les sourcils, se demandant si c'était finalement bien là qu'il désirait se diriger. Et puis finalement, il comprenait l'aisance avec laquelle le cheminement de son propre discours avait pu dévier. Lui-même voyait où il voulait en venir, mais il n'était pas certain qu'Aldaron parvienne à le suivre.

« Néanmoins, je perçois que les autres races sont moins liées à cet or, lorsqu'elles sont prises seules. L’appât du gain monétaire prend sa source dans l'évolution de la société humaine avant tout. Elle peut servir à gagner une guerre lorsque les deux partis en sont dépendants, mais les elfes ont longtemps été autarciques, pleins de dédains pour les commerces mortels, et les vampires ont vécu longtemps dans le dénuement des galeries, sans tout cela. Je me dis simplement qu'il y aura peut-être un moment où la foi en l'or ne sera plus suffisante pour avancer, et qu'à ce moment là, oui, il faudra craindre la prestance de certains capable de guider le regard d'une foule et d'affirmer une icône de loyauté qui viendra nourrir ce que l'or ne peut nourrir. Peut-être même nouer les piliers d'une nouvelle forme de société. Caladon s'est fondée grâce à l'impulsion de l'or, mais d'autres idéaux y sont reliés, l'or les retient… certains pourraient lier les idéaux de ceux qui ne croient pas en l'or »

D'une main, il vint dessiner le tracé racé de sa joue. Aldaron serait très certainement l'une de ces personnes, il avait foi en lui plus qu'en l'or. Et c'était exactement pour ça qu'il serait là, d'un point de vue pragmatique. Il ne le protégeait pas uniquement parce qu'il l'aimait et ne voulait pas le perdre, mais parce qu'il reconnaissait le matériel dont il était fait et la promesse qu'il avait pour le futur. L'elfe était de ceux qui ne devaient pas disparaître trop tôt… ni disparaître du tout, à son avis mais il était biaisé, n'était-il pas ? Une nation ne se forgeait pas que sur la richesse mais sur des affects, aussi faux pouvaient-ils être. Les humains en particulier avaient besoin de quelque chose à aimer…

« Un jour, les races ne seront peut-être plus séparées, à ce moment là, l'or auquel tu crois deviendra peut-être vraiment un outil universel… mais c'est ce qui aura uni des races différentes qui sera le véritable maître. Je ne pense pas que tous les peuples seront unis sous une seule bannière, mais je pense que chaque bannière accueillera, comme ici, des individus de toutes races. Il y aura toujours des guerres, elles conditionnent l'unification d'un groupe contre un autre et lui donne de l'impulsion. La paix, c'est un état transitoire que l'on veut obtenir quand les ressources faiblissent et que la population a besoin d'oublier pour mieux répéter ses erreurs une génération plus tard »

Avec un haussement d'épaule, il sourit. Peut-être était-il dans l'erreur, on ne pouvait jamais réellement le savoir avant de le vivre. Prévoir le futur était aussi dangereux et oisif que d'essayer d'inculquer les bonnes manières à un alligator. Et encore, avec l'alligator, vous n'aviez pas de risques d’interprétation de votre discours. Avec les peuplades dites pensantes, en revanche, il y avait toujours moyen qu'ils vous surprennent de la pire ou de la meilleure façon qui soit. Il essayait réellement de continuer à faire peser cette contradiction sur ses propres prévisions, pour ne pas totalement céder face à son pessimisme inhérent. Il combattait à chaque instant pour ne pas voir que le plus noir dans le comportement des autres. Mais c'était un exercice sain.

« Voilà la façon dont je pense. Et mon but, c'est te faire survivre à tout ça. Je n'attends pas la moindre chose de toi, je ne veux rien te demander comme un dû… Je te l'ai dis, précédemment, tu peux user de moi comme d'un outil. Tu connais mes capacités et tu sais que je te serais à jamais loyal, tu sais que l'amour que je te porte n'est pas de ceux qui faiblissent. Qu'il est l'éternité incarnée. Tu sais aussi que je suis décidé à tout faire pour que tu parviennes à atteindre tes objectifs. Tu sais faire un investissement, alors investi, et place moi… tant que tu ne me demande pas de camper à l'autre bout de l'archipel ad vitam aeternam, ça me convient »

Cela aurait probablement raison de lui. Il n'avait pas besoin d'être reconnu, pas besoin d'être acclamé ou admiré, il avait juste besoin de lui, de le savoir heureux, tranquille et présent. S'effacer publiquement pour pouvoir l'aider plus efficacement ne lui serait pas un problème, au contraire, cela lui permettrait peut-être de cesser d'avoir l'impression que le reste du monde attendait quelque chose de lui qu'il ne pouvait pas donner peu importe combien il l'aurait voulu. Et outre cela, Aldaron savait mieux que lui quelles étaient les forces en présence, lui sortait encore à peine de son isolement, réapprenant le monde. L'elfe saurait le diriger, il en avait l'intime conviction, au moins jusqu'à ce qu'il fut complètement capable de prendre pied dans ce monde. Et il lui faisait confiance pour ne pas le trahir ou le blesser plus que de raison. Malgré tout, Aldaron l'aimait également.

« Néanmoins, je perçois vaguement que je te serais plus utile dans l'ombre et ça me convient, je ne cherche pas la gloire, pas pour moi-même… »

Voilà qui était dit. Qu'il le comprenne bien. Mais à présent, il y avait encore un doute à ses yeux, une zone d'ombre dans son esprit, de ce que son amant et compagnon lui avait affirmé. Quelque chose qui le perturbait, mais qui serait sans aucun doute clarifié très prochainement. Ils discutaient avec sérieux, après tout, et aucun d'eux n'avait d'intérêt à ne pas être totalement ouvert avec l'autre. Il voulait absolument être certain de ce qu'on pouvait potentiellement lui mettre entre les mains, histoire de ne pas se sentir démuni le moment venu.

« Le seul point que je soulèverais est celui-ci : j'aimerais quand même que tes ''lames blanches'' soient un peu plus constantes et loyales que ce que tu me décris. Je ne renie pas leur efficacité et leur motivation mais… mais hélas, c'est devoir compter à chaque instant sur la possibilité qu'ils t'abandonnent également parce qu'ils seront arrivés à leur limite. Ou alors, il me faudra bien les connaître pour ne jamais les placer dans une situation qui provoquerait cette limite, avec toutes les chaînes que cela représente. C'est devoir, cependant, regarder chaque tâche en se demandant à chaque fois où l'on va se tromper »

Un sourire amusé, porté par l'auto-dérision, se peignit à ses lèvres. Il pencha la tête de côté, avec un soupire, et vint lui embrasser la joue avant de conclure, la voix chaude de son amusement.

« Bon… et maintenant dis moi à quel moment je t'ai perdu dans tout ça ? »

descriptionMon avenir [Achroma] EmptyRe: Mon avenir [Achroma]

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    Une vague de satisfaction parcourut l'elfe, l'irradiant de bonheur, lorsqu'Ivanyr vint le prendre dans ses bras. Son étreinte délicieuse, forte et frissonnante, avait le don de lui faire quitter la terre ferme. Ses poils se dressaient sur sa peau à son contact et il se laissa aller, les yeux clos, en pleine confiance. Alors oui, en échange de ce câlin, il lui offrait du temps pour répondre : c'était assez bien marchandé, il n'avait rien à y redire. Un soupir d'aise ponctuait son acceptation et Aldaron glissait quelques baisers, sur sa peau salée. Il était sur son petit nuage et il n'avait franchement pas envie d'en redescendre et retrouver tout le peuple qu'il avait à gouverner à Caladon. L'oreille contre son torse, il entendait les vibrations de sa voix naître lorsque le vampire reprit la parole, calmement. Il se laissait bercer par son timbre grave, son accent tranché et guttural, le flot régulier de son propos, fluide, comme s'il offrait naturellement le cours de ses pensées. Jadis, Achroma l'avait pareillement inspiré, contant ainsi les faits et ses espoirs. Une part de lui avait l'impression d'être à nouveau dans l'étreinte du dragonnier, et pour une fois, ça ne le dérangeait pas. Ça ne le dérangeait plus. Les singularités d'Ivanyr était une bouffée d'air frais, un renouveau splendide qu'il appréciait de découvrir. Les similarités d'Achroma le faisait renouer progressivement avec le passé, y prenant ce qu'il y avait eu de bon, ce qu'ils avaient partagé en terme d'espoirs pour Ambarhùna. La mélancolie s'effaçait au profit d'une consolation plaisante qui séchait les larmes de son cœur.

    Il fronça doucement les sourcils, relevant le nez vers lui, au début, ne sachant pas vraiment où Ivanyr était en train de le mener. Il ne lui en voulait pas vraiment : lui-même avait ce genre de mécanisme de parole. Il avait besoin de contextualiser avant d'affirmer sa position. C'était un mode de raisonnement sain, et ainsi obtenait-on plus facilement l'approbation d'autrui. Il le suivait jusqu'à voir les choses s'éclairer, petit à petit. Les prunelles qui lui faisaient face étaient une belle ancre, il s'y accrochait. Il eut un sourire, franc, à sa dernière question. Un sourire qui vint bomber le creux de sa joue encore légèrement émacié lorsqu'Ivanyr y laissa un baiser. Instinctivement, il orientait son faciès vers lui, venant récupérer ses lèvres des siennes. « Je t'ai suivi. » souffla-t-il chaleureusement, tout près de son visage. « Tu n'offres ton bras ni au Bourgmestre de Caladon, ni au dirigeant du Marché Noir. Ce n'est pas à ces rôles que tu dévoues ton allégeance. Tu veux agir en mon nom, pas seulement pour l'affection que tu me portes, mais également parce que tu vois en moi cette figure de foi en laquelle les peuples pourraient placer leur confiance. » L'elfe baissa les yeux un bref instant : « C'est troublant, c'est justement ce que j'espérais d'Achroma autrefois. Il me donnait envie de croire en lui. » Il relevait les yeux vers lui, laissant s'étirer sur ses lèvres un bref sourire triste. 'Troublant' n'était pas un vain mot, il était sincèrement frappé par ce retournement de situation. Il avait placé le Marché Noir au service de la Caste des Dragonniers pour la simple et bonne raison qu'il avait voulu que les idéaux de l'Aîné perdurent après sa mort, parce qu'il y adhérait. Il y avait tellement cru qu'il incarnait lui-même ce désir profond, gravé en lui et dans chacun de ses actes. Il était devenu un homme qui offrait ses talents aux autres. Il n'avait jamais fait du Marché Noir une arme pour s'enrichir lui-même. Chaque fois, il avait donné à une cause, à un avenir qu'il trouvait juste pour les peuples.

    Il vint lever une main pour souligner, du bout des doigts, le trait racé de la mâchoire d'Ivanyr, songeur : « Mais il n'aimait pas ce rôle. Il le prenait parce que ceux qui l'entouraient plaçaient leurs espoirs en lui, y compris moi. Cette attente que ceux qui reconnaissent l'Aîné en toi... Perdure toujours. » Il lui avouait, à demi-mots, qu'il avait eu l'espoir de le voir reprendre ce rôle, un jour. Du moins au début. Jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il ne serait jamais plus l'Aîné. Le nom de son avatar, Achroma Seithvelj, aurait été un crédit que ceux qui courraient après le pouvoir aurait rêvé d'avoir. En lieu et place de cela, Ivanyr le lui offrait. Sûrement pas aujourd'hui... Mais un jour, lorsqu'il serait prêt à s'afficher comme tel, son soutien et sa foi en l'elfe serait un poids considérable sur l'archipel. Aldaron fermait les yeux et refermait la faible distance qui les séparait en venant coller son front au sien : « Dans ce cas tu seras ma Lame Blanche. Mon unique. Mon bras droit, mon pilier. Peut-être inspirerai-je suffisamment de foi en ce monde pour que d'autres te rejoignent, faisons-en quelque chose de nouveau. » Reculant doucement la tête de quelques centimètres, il venait capter son regard du sien, esquissant un sourire discret sur ses lèvres fines.

    Railleur, il ajouta : « Pour ton adoubement... On va attendre de pouvoir au moins se rhabiller. » Rien qu'à l'imaginer à genoux devant lui avec son histoire de gâterie ! Il serait déconcentré au possible, bien incapable de poursuivre sans en rire. Pour ça, il leur faudrait rentrer et remonter en haut de cette falaise, nus qu'ils étaient. Quelle idée de sauter dans le vide en simple appareil ? « Et en attendant, on ne va rien changer. Officiellement, tu restes mon garde du corps. Le Marché Noir financera mon investissement. Qu'il s'agisse de tes voyages ou de tout ce dont tu as besoin pour vivre... Y compris les frais d'un médecin pour veiller sur ta santé. » Mentale surtout, bien que le reste ne doivent pas périr non plus. Il parlait évidement à Purnendu. Il pouvait couvrir le Graärh et lui offrir le confort et la protection du Marché Noir autant que la citoyenneté caladonniene s'il la désirait. « Qu'en dis-tu ? Je vais avoir beaucoup de choses à t'apprendre... Sur le Marché Noir. Entres autres. » Pour le reste, il ne doutait pas qu'Ivanyr apprenne de lui-même et que l'aisance d'Achroma lui revienne peu à peu, aussi instinctivement que la langue elfique. « Mais cela ne me gêne pas. Nous avons le temps pour cela. » Cela remplirait de nombreuses conversations sérieuses et... Mine de rien, il aimait entendre son avis. Il l'aidait à se construire et à confronter ses idées. Les modeler, les revoir, les abandonner. Parfois on fait des choses depuis tellement longtemps qu'on oublie de les remettre en questions. Et Aldaron faisait des choses depuis bien trop longtemps.

    Une nouvelle caresse venait souligner le visage de son amant avant qu'il ne vienne à nouveau l'embrasser, éperdu qu'il était : « Je n'aurai jamais sauté sans toi, tu sais. C'est un beau cadeau que tu m'as fait. » souffla-t-il contre ses lèvres. Tout comme visiter l'océan avait été son cadeau pour Ivanyr : « Je redécouvre le monde en ta compagnie. Je me suis senti libre. Et vivant. J'avais l'impression de voler à nouveau. » Ses voyages à dos de Silarae avait irrémédiablement marqué sa psyché qui en redemandait encore. Affamée.

descriptionMon avenir [Achroma] EmptyRe: Mon avenir [Achroma]

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Oh ? Ainsi il ne l’avait pas perdu ? Mais c’était parfait ! Il hocha la tête devant le résumé, content que, pour une fois, ils soient capables de se comprendre. Cela lui tenait à cœur après tout, et c’était important. Ils posaient là les bases d’une collaboration qui viendrait mettre bien des choses en jeu, pas seulement leur affection mutuelle, il était donc important que tout soit clair pour eux deux. Une hésitation en cours de route ne pourrait qu’être dommageable, d’autant que son incapacité actuelle à assumer une fonction directrice leur permettait d’obtenir un sursis supplémentaire Ce ne serait pas en une fois qu’ils circonviendraient l’ensemble du problème, mais s’ils pouvaient se parler sans heurts, ce serait un très bon début. Très encourageant. Un léger haussement d’épaules vint accueillir le commentaire concernant Achroma, sans qu’il ne trouve vraiment que répondre, ou s’il était seulement pertinent de le faire. Peut-être était-ce juste le cours naturel des choses ? Quoi qu’il en soit, la situation n’en changeait pas pour autant, il ne voyait donc pas de raisons d’arguer là-dessus. Si quoi que ce fut, en fin de compte, cela ne faisait que flatter la présente situation de l’elfe. Quant à savoir si lui, Ivanyr, pourrait jamais se faire figure politique… il en doutait fortement. Tout au plus pourrait-il jouer un peu le jeu pour accorder l’auréole du crédit à son compagnon. Aldaron en ferait bon usage, très certainement. Il avait foi en lui, ne l’avait-il pas clamé ?

« Je n’en doute pas » fit-il, si proche de lui.

Il devrait redoubler de détermination, afin de retrouver toutes ses capacités, mais cela ne serait certainement pas une corvée à ses yeux. Dès l’instant où cela lui permettait d’aider Aldaron de son mieux, il ne reculerait devant aucun effort à fournir. Plongeant son regard dans le sien, le vampire se fendit d’un sourire léger, complice. Si personne d’autre ne jouait le jeu, l’elfe aurait au moins un interlocuteur qui serait parfaitement honnête avec lui, qui lui dirait toujours ce qu’il pensait et ressentait, et ne le trahirait jamais. Comme il l’avait voulu, il n’obligerait jamais son compagnon à garder une quelconque image, un moindre déguisement. Il n’était ni un allié de circonstance, ni un ennemi, et lui offrait un regard sans jugement et sans attentes politiques. La boutade le fit ourler les lippes un bref instant, découvrant ses crocs, alors qu’il ricanait d’amusement, mais ne fit pas de commentaires.

« Cela me convient, nous avons un peu de temps devant nous »

Voilà qui promettait des journées bien remplies et riches en conversations ! Un changement radical en comparaison de ce qu’il vivait pour l’heure. Mais ce n’était pas dérangeant, l’elfe avait un esprit qui, s’il divergeait du sien, était tout de même motivant et intéressant… quand il ne s’agissait pas de leurs soucis de couple ! Avec un sens de l’à-propos parfait, l’autre le ramena justement à ce sujet. Son sourire se fit plus doux, plus tendre, alors qu’il venait lui caresser une joue, et le serrer contre lui dans un soupire de bien-être. Il se retrouvait, dans les mots de l’elfe. Aldaron exprimait parfaitement ce qu’il avait ressentit en sautant de cette falaise : l’impression d’exister. Et avec une acuité impossible à imiter. Cela restait gravé en lui, cacheté à son âme et son esprit. Il en voulait encore, et il voulait d’autres de ces sensations, embrasser la nature et sa violence jusqu’à la déraison.

« Moi aussi, j’avais l’impression de voler… j’avais l’impression que mon cœur allait subitement se remettre à battre »

C’était une sensation exquise que de relâcher toutes les tensions, de jeter toutes préoccupations extérieures pour ne plus garder que l’instant magique de ce monde auquel on s’offrait. Mais en l’instant, il trouvait plus exquis encore de le sentir si détendu et paisible. Déposant un baiser sur sa gorge, il vint glisser la promesse d’autres instants aussi forts dans le creux de son oreille. Oui, ils prendraient d’autres occasions, c’était certain… et très sain. Se redressant, il l’entraîna avec lui dans l’étreinte de l’onde. Voilà un long moment qu’ils paraissaient, autant se dégourdir un peu à présent, avant de devoir remonter la falaise. Un autre instant où ils pouvaient se permettre de ne penser à rien. La baignade lui donna également l’occasion de se faire pincer par un crabe, alors qu’il avait attiré l’elfe près de gros rochers pour pouvoir l’embrasser, le laissant à la place de l’étreinte, aux prises avec un crustacé mal embouché.

Revenus finalement sur la plage, ils remontèrent lentement la falaise, pour récupérer leurs effets, puis s’installèrent devant le bord précédemment sauté, pour se reposer en admirant la vue. Là, dans la tranquillité du bruit de la mer, il revint finalement à la réalité. Mais pas de la plus détestable des façons. Dans le silence confortable, il s’allongea et tourna la tête pour pouvoir observer le Bourgmestre.

« Aldaron ? »

Une fois l’attention de l’elfe fixée de nouveau sur lui, il poursuivit tranquillement.

« Il est vrai que je ne me suis pas vraiment intéressé à la ville et à la politique, mais il y a des choses auxquelles j’ai prêté attention. Au nombre desquelles l’histoire de notre ancien continent… »

Le sujet changeait un peu, apportant un semblant de diversité, pour ne pas étioler leur patience sur une même pierre d’achoppement. De plus, cela lui donnait justement l’occasion d’apporter un peu de nouveauté aux pensées de son compagnon. Ce ne serait sans doute pas de la grande œuvre, ni un travail d’orfèvre, mais il n’était pas peu fier d’être l’auteur de ces axiomes. Il s’agissait de ses premiers pas, en un sens, dans une direction parfaitement inconnue, et quelque peu perturbante. Il y trouvait une forme de réalisation, que de pouvoir effectuer une telle démarche.

« Il n’y a aucun lieu commémoratif en l’honneur des morts provoquées par les chimères, n’est-ce pas ? Un lieu de recueillement et d’apprentissage ? De même, il n’existe aucun lieu en la mémoire des dragonniers décédés, est-ce correcte ? Ne pense surtout pas que j’apprécierais une statue à mon effigie, mais pour les autres ? Ce serait juste, je trouve et… cela donnerait davantage de capital sympathie à Caladon que de faire les démarches, non ? »

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    Son approbation lui convenait, y voyant là comme un étrier sur lequel ils pourraient mettre leur pied et s'élever. C'était un pas en avant, c'était, en vérité, leur avenir qu'ils construiraient, leur lendemain. Ils définissaient leur direction, et la première promesse qu'ils se faisaient était de marcher ensemble, l'un à côté de l'autre et main dans la main. L'avenir lui semblait moins flou, bien moins incertain. Il avait enfin une consistance, il avait même un sens. Si Aldaron avait toujours voulu offrir à ce monde ce qu'il jugeait de meilleur, il l'avait fait par devoir, par conviction. Il l'avait fait par honneur, et aussi, pour laver les horreurs qu'il avait commises à Morneflamme, même contre son gré. Maintenant, il voulait d'un monde où Ivanyr pourrait s'épanouir, où il pourrait retrouver sa mémoire et ne plus craindre ses fantômes, un monde où ils pourraient se reconstruire tout les deux et chevaucher l'éternité. Lové dans ses bras, c'était ce pour quoi il se sentait appelé. Il se sentait si bien, détaché de ses préoccupations que l'idée de revenir à Caladon lui serra un bref instant le cœur. Allait-il à nouveau replonger dans sa morosité ? Il avait envie de se battre pour ne pas redescendre trop bas... Ou peut-être devrait-il kidnapper Ivanyr et sauter du haut de la falaise avec lui tous les jours, comme une drogue ?

    Il profita encore quelques instants de la peau froide contre la sienne, qui le faisait frissonner. « Peut-être qu'un jour ton cœur se mettra véritablement à battre de nouveau. Il se dit que les vampires reviennent à la vie par imaculation. Certain craignent ce phénomène, d'autres l'attendent avec impatience. » Il lui plairait d'entendre le palpitant de son aimé battre, apprendre sa mélodie par cœur, le son régulier de son battement. S'endormir à la symphonie de sa berceuse. Mais ils ignoraient encore beaucoup de ce changement qui impactait elfes et vampires et il ne voulait pas voir son inséparable se voir affublé d'une vilaine maladie. Si maladie cela était... Force était pour l'heure de constater que ni elfes, ni vampires érudits, pas même les maîtres baptistrels n'en avait décelé la moindre perversité. Il embrassait son torse à l'endroit où se trouvait son cœur gelé et le suivit dans l'eau volontiers. Nager lui ôtait l'impact de son propre poids alors qu'il flottait. Et les baisers le défaisaient du poids de sa psyché... Sauf quand un crabe décida de jouer les jaloux.

    Ils revinrent au sommet de la falaise, sa création nacrée en main. Elle était belle cette épée, il pourrait peut-être bien en faire quelque chose. La douceur de ses vêtements lui fit du bien, autant pour la gêne de la nudité que pour le vent qui frappait son corps férocement. Il prit une pomme dans le panier et vint s'asseoir dans l'herbe sur les abords du précipice, aux côtés de son compagnon. L'éclat automnal du soleil illuminait la surface mouvante de l'océan, agressant de sa splendeur ses prunelles verdoyantes. Il ferma les yeux, un instant, pour les apaiser et pour savourer ce qui lui parvenait de ses autres sens : le grondement des vagues, les embruns maritimes, le vent puissant. Tout cela était tellement bon, en fin de compte, tout en étant bien peu de choses. Il redécouvrait ce qui l'entourait, aussi simple cela puisse être, comme s'il l'avait occulté tout ce temps, poussant sa solitude au point de refuser même la beauté du monde. Lorsqu'il ouvrit les yeux, l'éclat était toujours aussi merveilleux et même les lourds nuages gris ne suffisaient pas à le ternir vraiment. Nuages gris ? Il leva ses prunelles vers les cieux avant de se pincer la lippe. Ils allaient se prendre la pluie s'il restaient trop longtemps dehors... Dire qu'il faisait si beau, quelques minutes plus tôt.

    Il frissonnait de son nom, prononcé de sa voix grave aux accents nordiques et orientait son regard sur son amour de pacha étendu sur le sol. La demande le surprit, en un sens. Beaucoup ici se souvenaient de leur ancien continent et des pertes innombrables que les peuples avaient pleurées. Mais Ivanyr avait cette position relativement désintéressée par rapport aux autres. L'idée n'était pas dénuée de sens et dans les entrailles du bourgmestre remuait la douleur des pertes qu'il avait subies, personnellement. Si Achroma lui était revenu d'une autre manière, manquaient à ses côtés Corine et Cercëe, ainsi que tant d'autres figures, outre les dragonniers. « Je ne sais pas si ce sont les dragonniers que le peuple pleure le plus. » Son regard devenait fuyant alors qu'il mirait les eaux océaniques comme pour y trouver une réponse ou une ancre. « Ils étaient importants et les dragons tout autant mais... » Il haussa les épaules : « Pas plus que d'autres. Il y a beaucoup de héros dont il est important d’honorer la mémoire et je m'en voudrais d'en oublier ne serait-ce qu'un seul. Korentin Kohan était un dragonnier et il a mis l'Empire des Hommes à feu et à sang. Kylian et Esmelda étaient des dragonniers et l'existence de leur hyménée a brisé le cœur des nordiques au point que le feu et le sang ont souillé Calastin. Alors... Pourquoi plus les dragonniers que d'autres ? »

    Il poussa un soupir : « La Caste s'est éteinte. Son impact, son souvenir d'autant. Je l'ai longuement soutenue, financièrement, pour qu'elle œuvre à la reconstruction d'Ambarhùna mais les dragonniers d'aujourd'hui n'ont jamais participé à ce projet. Luna, Orfraie, Nolan... L'âge des dragonniers est révolu. Et le seul que j'aurai voulu glorifier d'avoir eu réellement un impact sur l'avenir des peuples... N'est plus tant dans mort que cela. Ça ferait... Bizarre... » Il coula son regard d’émeraude sur l'ancien dragonnier. Il avait beau considérer qu'il s'agissait d'Ivanyr, en tant que personne psychique, ce qu'il savait que l'acte de Skade rendait la mort d'Achroma caduque à ses yeux. « Avec un mémorial aux victimes, en revanche, j'aurais bien des noms à graver dans le marbre. » Tellement de noms, même oubliés et effacés. Il lui faudrait des jours pour établir une pareille liste. Il chassa vite ses pensées moroses avant de replonger. Le passé était douloureux, mais l'avenir s'ouvrait à eux. « Je devrais pouvoir faire voter un tel projet par le Conseil de Caladon. Beaucoup d'entre nous sommes prêts à mettre de notre or pour rendre un dernier hommage à ceux qui ne sont plus avec nous. Un jeune elfe devrait arriver aujourd'hui à Caladon. C'est un passionné d'art et d'architecture. Avoir un projet bien avancé et concret à présenter au Conseil rendra cela moins nébuleux et plus percutant. Je pense que je pourrais lui en toucher deux mots... Ou même toi, si tu le souhaites. Il va séjourner quelques jours chez moi, ce sera mon invité. J'espère que vous vous entendrez. »

    Il avait hésité un instant, à lui parler du projet qu'il avait en tête pour Valmys et l'affection paternelle qu'il éprouvait, avant de se dire qu'il ne voulait pas mettre la charrue avant les bœufs. Une chose à la fois. Mais le 'j'espère que vous vous entendrez' laissait sous-entendre qu'il tenait à cet architecte suffisamment pour vouloir que les choses collent. Il avait défait sa tresse, tout en parlant, lissant ses longues mèches blanches. Il eut l'air songeur un bon moment, silencieux avant de reporter le regard sur l'épée blanche dont il saisissait la garde : « Je t’adoube avant que la pluie nous tombe dessus ? » Proposa-t-il alors qu'il se levait, après avoir désigné du doigt les nuages sombres au dessus d'eux.

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Il resta un moment silencieux, l’écoutant plutôt que de lui couper la parole et dissipant patiemment le sentiment d’injustice que lui renvoyait l’elfe. La mention d’un invité lui fit simplement hausser des épaules, pas très intéressé par le sujet, ni par la personne, encore moins dans la configuration présente. D’une voix neutre, il lui fit une réponse très simple et pleinement assumée mais qui était tout sauf infondée. Elle fut accompagnée d’un léger haussement de sourcil et d’un regard en coin. Si le vampire avait compris le sous-entendu des mots de l’elfe, il l’avait volontairement ignoré au profit d’un point de vu tout personnel et avec lequel il faudrait que son amant compose qu’il le veuille ou non.

« On verra, je n’ai pas forcément envie de socialiser avec tous tes invités, en général ils ne présentent pas d’intérêts qui me soient personnels. Quant à lui demander de travailler sur le projet, s’il est jeune, mieux vaudrait peut-être approcher quelqu’un d’un peu plus expérimenté et compétent, non ? Ce n’est pas le mur de ton jardin dont il s’agit »

Si vraiment l’autre tenait à mettre son invité dans l’affaire, il pourrait toujours servir d’assistant au maître d’œuvre, mais il fallait remettre les choses à leurs justes places et un elfe, surtout jeune, n’aurait certainement pas les compétences nécessaires pour le travail qui était demandé. Les elfes apprenaient lentement, plus que les humains, il y avait fort à parier qu’il soit loin de la maîtrise nécessaire à la réalisation de plans pour un monument historique qui tenait d’un rayonnement culturel stratégique. Ce n’était pas un hochet pour gamin, et ça n’avait rien de personnel. Reposant sa tête, il le laissa à ses pensées pendant un moment, lui-même étudiant les siennes.

Au son renouvelé de sa voix, il le mira une nouvelle fois et après quelques secondes, se redressa sur son séant.

« On peut attendre, rien ne nous presse pour le moment. Rentrons maintenant, il faut que nous discutions encore sur la route »

Leur échange ne lui convenait pas, il y avait des obscurités dans le raisonnement de son amant qu’il voulait éliminer avant d’accepter quoi que ce soit de plus. Et pour cela, rien de mieux que de discuter, même s’ils avaient tendance à s’accrocher régulièrement. Aldaron était un politicien avec le doigt dans l’engrenage, lui une forte tête dépourvue d’illusions et de sens de la convenance, il arrivait forcément des accrocs. Rien d’inconcevable en cela, mais pour le coup, cela le titillait plus que cela ne le blessait. C’était moins personnel, plus commun… et pourtant ? Il y avait quelque chose qui grattait sur sa concentration, et qu’il mettait sur le compte des souvenirs venus d’Achroma qu’il possédait par ils ne savaient quel miracle.

Se redressant, il termina de s’habiller, puis reprit le panier et lui fit signe, prenant lentement le chemin du retour.

« J’aimerais que tu développes davantage ton avis. Je sens ton amertume à l’égard des dragonniers mais je n’arrive pas à la comprendre totalement. Tu ne me cite que des exemples négatifs des dragonniers passés, mais je sais que c’est faux, qu’il n’y a pas que ça… je le sens, je peux presque me le représenter sans arriver à tout à fait mettre un nom sur eux… certains de ces dragonniers étaient héroïques, des hommes bien, des personnes exceptionnelles… Je trouverais dommage qu’on ne retienne de cette caste que du négatif. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cela dans ton esprit ? »

Ivanyr l’observa un bref instant, avant de poursuivre tranquillement, au rythme de leurs pas, bénéficiant de son manque de vie, puisque son souffle ne servait qu’à convoyer sa voix.

« Si l’on prend le parti de la honte et de l’amertume, j’ai peur que dans l’esprit des peuples, cela ne fasse qu’encourager un oubli et un faux oubli par-dessus le marché. Les dragonniers n’ont pas fait qu’apporter des maux, et ça ne serait pas équitable de le penser. Si je devais être bête et borné, je dirais que parmi les victimes des chimères il y avait aussi des salauds, des meurtriers, des criminels de toutes sortes et on parle bien d’inscrire leurs noms sur un monument également, et en fin de compte, on le fera simplement parce que leur mort a été aussi sale et horrible que celle des innocents. C’est la même chose pour les dragonniers »

De nouveau, il laissa un léger blanc avant d’aller plus avant.

« Ils portaient un lourd poids sur les épaules et personne ne les avait préparés à cela… Ils ont été projetés comme des figures d’espoirs et de guerre, portant les attentes de peuples qui, je suis désolé de le dire, sont pour cela excessivement ingrats. Pour beaucoup, ils ont, je pense, accepté ce poids, ils ont essayé de s’en sortir et sont morts en essayant, pour qui ? Pour le peuple. Un peuple qui n’hésitera pas à leur cracher dessus après coup en oubliant ou en ayant jamais compris combien leur place était difficile… tout comme celles de biens des dirigeants. Ils étaient importants, oui, mais plus que les autres parce qu’ils polarisaient les regards et les espoirs, les attentes, et nous savons tous les deux que ce n’est pas un don, mais un boulet au pied et une cangue sur les épaules »

Quelque chose, en lui-même, le fit s’arrêter et serrer un moment les dents. Lorsqu’il se redressa, le vampire lui décocha un pâle sourire las et pourtant serein et calme. Il inspira, expira tranquillement, puis reprit de nouveau la route. C’était perturbant de sentir ce quelque chose lui peser, essayer de mettre des mots sur ce qu’il ressentait, essayait d’en trouver la logique sans totalement y parvenir.

« Les dragonniers seront les derniers que le peuple pleurera, c’est pour ça qu’il est important de leur offrir au moins une preuve de respect, de quelque manière que ce soit. En tout cas, c’est comme ça que moi je vois les choses. Je n’aime pas l’idée qu’on puisse les jeter comme des jouets usagés, comme des prostitués d’un autre genre, et je trouve ça triste… triste et hypocrite de se murer dans le déni, sans offense envers toi personnellement »

D'un signe de tête il l'invita à prendre la perche.

« Je te connais assez bien maintenant, tu n'es pas comme ça, alors c'est qu'il y a forcément plus à ta réflexion… j'aimerais beaucoup que tu puisses m'en faire part, si cela ne te gêne pas »

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    L'elfe entrouvrit les lèvres avant de les fermer, sourcils froncés. Il jugeait les compétences de Valmys sans même en connaître la teneur. Sur quoi se basait-il ? Le mot 'jeune'. Juste ce mot, qui pouvait dire tout et son contraire. Il resta coi un instant, se demandant à quel moment exactement, il l'avait braqué. Valmys avait une vingtaine d'années... Pour un elfe, il serait immature, pour un humain... C'était différent. L'Enwr avait ce quelque chose d'exceptionnel puisqu'il avait grandi et appris à la vitesse des hommes et Aldaron était convaincu de son talent. Les gens ne faisaient jamais de grandes choses si personne ne leur en donnait l'opportunité et le dirigeant du Marché Noir était un investisseur. Bien sûr, il n'aurait pas laissé Valmys faire cela seul : un tel projet nécessitait bien plus que cela. La froideur calme du contenu de ses mots fut une douche glaciale après l'instant qu'ils avaient passé ensemble, même si le ton se voulait neutre. Le prenait-il vraiment pour un idiot ? Il avait bien conscience que ce genre de monument ne pouvait être bâclé et il s'interrogeait sérieusement sur ce qui avait conduit son amant à émettre une hypothèse contraire. L'insulte était cuisante d'autant plus qu'elle lui semblait sortir de nulle part. Le râteau de l'adoubement fut un second mur aucun il se heurta, qui le fit définitivement clore ses lèvres. De toutes évidences, Ivanyr avait achevé promptement ces deux sujets en me mettant dans l'impasse, car une autre thématique s'agitait dans le fond de sa psyché.

    Il y avait quelque chose qui n'allait pas, qui clochait. C'était certain, il le sentait. Aussi s'arma-t-il de patience et de silence alors qu'il se mit en marche. Sa cape recouvrait intégralement sa silhouette, haute et délicate, droite et racée. Le drapé d'un bleu irisé reflétait les maigres rayons de soleil qui parvenaient à passer les nuages gris. Il avait rabattu sa capuche sur ses cheveux blancs pour se protéger du vent, baissant la tête en mirant l'herbe dans laquelle ils progressaient, vers la ville. Les mots firent écho à des sentiments qu'il avait longuement côtoyé, que ce soit dans son propre cœur ou dans celui d'Achroma. Ce qui perturbait Ivanyr prenait forme, plus distinctement aux yeux du bourgmestre. L'histoire du dragonnier vibrait encore dans le cœur du vampire, qu'il le veuille ou non, qu'il se sente rattaché à lui ou non. C'était là et ça pulsait, ça lui faisait sentir des émotions que l'amnésique ne pouvait clairement identifier mais pour Aldaron, cet imbroglio avait plus de sens qu'il n'y paraissait. Mettant à son tour de côté les sujets qu'Ivanyr avait délaissés, il se recentrait sur la thématique que son aimé abordait, les incohérences qu'il pointait du doigt, n'étant guère télépathe pour saisir tout ce qui se tramait dans la tête de l'elfe. Il laissa un silence suivre la question qu'il lui posait, jusqu'à ce qu'ils atteignent le sentier où il pourrait parler à nouveau, sans avoir à se concentrer sur l'endroit où il mettait les pieds.

    Il leva vers lui des yeux que la joie précédente avait quitté au profit d'une incompréhension et d'une inquiétude. Il avait trop d'affection pour Valmys pour ne pas se sentir touché par les mots d'Ivanyr. Aussi son sourire s'était éteint, mais qu'importe ? Le sujet était sérieux, à présent. « Ce que tu dis est vrai, ou du moins, je t'y rejoins. Je suis aussi intimement persuadé que du dragonnier au paysan contraint de quitter ses terres pour prendre des armes dont il ne s'était jamais servi... Personne n'avait été préparé à cela. Le rôle de dragonnier aurait soulevé moins d'attentes si nous n'avions pas essuyé tant de batailles au cours des dernières années. Vois, aujourd'hui, comme l'on n'attend rien d'Orfraie ou de Luna, aussi dragonières soient-elles. Quand les horreurs frappent notre monde, tout un chacun se voit affublé de cette cangue, même sans le vouloir. Probablement ressens-tu celle qui avait lourdement pesé sur les épaules d'Achroma... De la même manière que tu refuses intuitivement les chaînes asservissantes. Mais Achroma était déjà un homme dont on attendait beaucoup, bien avant d'être dragonnier. Il était l'Aîné. Un Ancien. Un messager, une parole, une sagesse. En vérité... Il n'était pas gravé dans le marbre que les dragonniers aient cette place, ce poids sur les épaules. Ce qui pousse chacun d'eux à agir pour le bien commun, c'est leur cœur. Le même cœur qui mène un soldat à prendre les armes pour aller défendre sa patrie. Tu comprends ce que je veux dire ? »

    Il pencha un peu la tête pour chercher à capter son regard : « Ils avaient le choix de refuser ce qu'on leur imposait. Ils avaient le choix d'ignorer et certains ont fait ce choix. Je ne dis pas que les attentes qu'on avait d'eux n'étaient pas éreintantes... Ni que leur Lien ne leur soit pas tombé dessus sans qu'ils ne le voient venir, mais avec ces éléments là en main... Ils ont composé leur vie et accepté aller dans cette voie. Doit-on les applaudir d'avantage que d'autres ? Je n'en suis pas persuadé. Ce n'est ni de l'ingratitude, ni du déni c'est seulement... Un principe d'égalité. Je ne crache pas sur leur mémoire, je ne peux toutefois pas honorer uniquement les dragonniers. Ils n'ont pas été victime de leur Lien, ils ont été victimes des ravages qu'a subi notre ancien continent, sans lesquels personne n'aurait attendu quoique ce soit d'eux. Et ils ne sont pas les seuls. Je veux glorifier leur mémoire, bien sûr. Mais pas que leur mémoire à eux. Je ne les rejette pas. Je veux les inclure au peuple pour lequel ils se sont battus. Peut-être n'avons nous pas le même avis sur la question mais... » Il lui avait demandé de s'exprimer sur le sujet. Il haussa les épaules : « Il y a une seconde raison également... Plus terre à terre : je ne peux faire construire un monument que mes propres citoyens verraient comme une trahison. Placer les dragonniers au centre de la mémoire, c'est orienter une bénédiction à l'égard de ceux qui ont trépassé... Et donner le crédit de leurs prédécesseurs, à ceux qui sont encore en vie... Parmi les dragonniers de notre monde, il y a deux Kohans et une princesse elfique qui va se marier à une Kohan. » Voilà qui risquait de coincer.

    « Alors, un mémorial plus général pour tout ceux qui manquent à nos côtés c'est une manière de les englober dans ce projet sans... D'autres conséquences. Chacun est ensuite libre de prier en son for intérieur. » Il glissa doucement sa main dans la sienne, ressentant le besoin d'un contact avec lui. C'était tellement complexe d'être distant, son cœur le poussait toujours vers lui. « Quant à mon amertume... Je suis une personne qui a été beaucoup déçu et désillusionné. J'avais tant de rêves avant Morneflamme, très innocents et biaisés.. Mais j'y croyais de tout mon cœur. Et lorsqu'on a ouvert les yeux sur... La nature cruelle de perverse de l'humanité, on ne peut plus seulement les fermer et se dire qu'on n'a rien vu. La lignée Kohan est l'une de ces déceptions... Et la Caste en a été une autre. Cela n'entre pas pleinement enligne de compte dans ma façon de voir ce mémorial, mais cela influence au moins un peu mon regard. Cela m'aide à ne pas noter les dragonniers comme des figures auréolées qu'il me plaisait de voir autrefois. Leur peine avait des bénéfices. Toi-même, tu subis le poids de Caladon, les attentes que la population a d'Achroma et pour autant, tu restes... C'est ton choix et.. Tu m'as dit toi-même que tu acceptais cette souffrance pour le bénéfice de m'avoir à tes côtés. Aucun dragonnier n'a craché sur le Lien unique qu'ils avaient avec leur dragon. Les responsabilités... C'était le prix à payer pour le gain de cette union qui dépasse l'entendement. On a tous un prix à payer et il est aussi fort que les bénéfices qu'on convoite. C'est comme... Vouloir cueillir des orties pour les manger, parce qu'on aime cela... mais refuser que ça nous pique les mains. C'est la nature des orties d'être ainsi. Bon à manger, mais piquants. C'est la nature de toute chose. » Il serrait doucement sa main alors que son regard déviait le paysage.

    « La Caste avait incarné le moyen de ne plus être seul face à ces responsabilités. C'est tout de suite plus facile de venir vers leur peuple et répondre à leurs attentes quand le Marché Noir aide à leur donner ce dont ils ont besoin. Je simplifie grossièrement... Mais en comparaison de leur solitude des débuts, ils n'avaient plus qu'à être les mains tendues qui offraient des présents, c'était ce qu'avait fondé Achroma. Cela ne me dérangeait pas, j'ai toujours préféré l'ombre à la lumière. Mais, dans ce monde nouveau où tout était à construire... La Caste est morte faute de mains tendues. Luna et Orfraie, au delà de l'affection que je leur porte, m'ont déçu. Elles étaient les dernières Liées et elle ne se sont pas consacrées à la Caste. Elles n'en ont jamais fait partie. Je les aime, mais je ne leur donnerai pas le crédit de leurs prédécesseurs. Si elles le veulent un jour, elles devront aller le chercher seules. » Il eut un sourire triste : « Je me rend compte que j'ai beaucoup donné à des icônes que je voulais voir incarner mes idéaux. C'était stupide. Je crois que j'avais seulement peur de m'afficher personnellement... Mais ça m'a rendu amère, oui... Ehm... T'ai-je éclairé ? »

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Il l'observa fixement, avec une impression de malaise grandissante, l'envie de tout envoyer paître, de hurler un bon coup, le crâne prit dans un étau. Il avait envie de répondre vertement, ou même de le planter sur place et de partir, trouvant là plus qu'une réponse, la bile d'une amertume biaisée et l'injustice d'un esprit bien trop incompréhensible à son goût. Il y avait trop de contradictions, dans tout cela, il comprenait moins encore en vérité et il n'appréciait pas du tout ce qu'il retirait des mots d'Aldaron. C'était de sa propre faute sans doute, il lui avait demandé de s'exprimer et l'elfe ne faisait que répondre à sa demande mais… mais non, décidément, il y avait tant de choses qui l'agaçait et le blessait même, de but en blanc. Ce n'était pas seulement une question de ne pas avoir le même point de vue, et les mots dont il usait intérieurement pour décrire l'attitude et les pensées de l'autre n'avaient rien de flatteur. Ravalant le dégoût qu'il lui tapissait le fond de la gorge, il se rendit vite compte qu'il réagissait exactement comme sur la plage la journée précédente et que ça ne servirait à rien si ce n'était à provoquer un nouvel affrontement, un affrontement qui ne le peinerait pas autant cette fois-ci mais qui ne le soulagerait en rien de ce qu'il ressentait. Jusqu'ici, jusqu'à lui demander le fond de sa pensée, il avait été calme, perturbé mais objectif, là ? Ce n'était plus du tout le cas. Tâchant de se montrer juste, il inspira profondément et répondit enfin.

« Non, pas vraiment… Je dois avouer que tu me perds davantage  »

Un sourire lui vint, naturel, et il lui frôla la joue d'une main.

« Je ne suis pas du tout d'accord avec toi sur bien des choses, au regard de tout cela. Mais je peux comprendre que la populace ne veuille pas glorifier un ennemi, aussi manichéen est-ce de penser ainsi. Tu m'as donné beaucoup à réfléchir, j'y reviendrais très certainement mais… plus tard. Ce serait pour l'heure contre-productif  »

Il n'y avait guère possibilité de faire plus honnête et plus diplomate sur le moment. Ce qu'il cherchait n'était pas un affrontement bien qu'il ressentit beaucoup de critique et de tension à ce qu'on énonçait. Ce qu'il voulait, c'était comprendre et, peut-être, le faire revenir sur son point de vue, deux choses qui ne pouvaient pas réellement se faire dans l'inimité et la dépréciation. Et surtout, il ne voulait pas jouer avec les mêmes cordes, les mêmes outils que ceux utilisés par l'elfe à l'instant. Le mieux était bien d'attendre, de réfléchir posément pour voir par quel bout prendre cet incroyable imbroglio auquel on le mettait en but.

« Tout comme pour mon adoubement, ce sont des choses pour lesquelles nous avons du temps. Seuls les humains courent après le sablier, je ne suis nullement pressé… Pour l'heure, nous avons dit et fait beaucoup, restons en là, laissons tout cela s'imprégner en nous avant d'aller plus avant. Cela ne fera que nous permettre de bonifier nos échanges et de donner plus d'ampleur à quoi que ce soit qui suivra...  »

Lui reprenant la main, il haussa légèrement un sourcil interrogateur, attendant d'avoir son assentiment. Marcher serait déjà bénéfique pour lui permettre de dissiper l'insupportable aigreur qui lui collait à la peau et revenir à de meilleurs sentiments, bien plus positifs à essayer de faire lumière de tout ceci… Et puis, Aldaron avait tant de choses à faire encore, qu'il voulait lui offrir une fin de journée positive.

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