Le petit chaperon rouge et le grand méchant orque [PV Nolan Kohan]

¤ Un tour en ville ¤

En ce jour d’après fête, le capitaine de la confrérie avait fait une rencontre bien étrange. Aussi désagréable qu’agréable. Aussi irritante que piquante, dans le bon comme le mauvais sens du terme malheureusement pour lui. Une réunion fascinante et plaisante qui avait commencé de façon forte désastreuse avant de ... non pas terminé puisque celle-ci en était encore loin … plutôt de dériver vers un penchant sympathique … taquin … et complexe. La personne qu’il avait rencontrée s’appelait … l’elfe sombre n’en avait pas la moindre idée, aussi appelons-le « le magicien » comme Nathaniel l’avait nommé jusqu’à ce que celui-ci se décide enfin à lui demander comment il se prénomme. Il s’agissait d’un homme empreint d’un certain mystère. À l’avis du pirate, il s’agissait fort probablement d’un jeune nobliau. Le coup du magicien défiguré il n’y croyait pas du tout, ce dernier était bien trop jeune, ce genre d’accident arrivait aux individus plus âgés qui tentaient des expériences de plus en plus poussées et de plus en plus folles. Et concernant le criminel en cavale … ce dernier n’aurait pas pris la peine de sauver la ville d’un vaseux, lui-même ne l’aurait pas fait s’il cela n’avait pas représenté un risque pour la confrérie. Oui, il s’agissait très certainement d’un nobliau souhaitant voir comment se comporte la plèbe que ses paires méprisent. Si ce dernier avait soif de découverte, alors le pirate saurait l’étancher. D’autant plus que ce dernier était au final d’une agréable compagnie. À chaque seconde qui passait, leur conversation dérivait de plus en plus en de dangereux sous-entendus. L’humain les alimentait aussi bien que l’elfe. Or jouer ainsi avec l’orque c’est comme joué avec le feu.

« […] Mais dis-moi pourquoi as-tu d’aussi grandes dents ? Comptes tu me répondre « c’est pour mieux te dévorer mon enfant ? […], mais aussi tes oreilles qui ont l’air d’être plus grandes que celles de la moyenne des Elfes. Vas-tu me répondre « c’est pour mieux t’entendre mon enfant ? » Est-ce qu’il y a autre chose de long et de pointu chez toi susceptible de me laisser un souvenir inoubliable ? »

Les questions de l’inconnu arrachaient un sourire au gredin qui s’en amusait. Il avait bien des réponses à lui fournir, mais il risquait de tomber dans le graveleux de bas étages, son petit doigt lui disait qu’il valait mieux éviter cela. Trouver des répliques piquantes et recherchées serait bien meilleur.

« Mais c’est qu’on est un petit comique. Tu ne m’as plus l’air d’être un enfant bien que tu restes un jeune humain. Aussi je me contenterais de te dire que je suis un elfe unique en mon genre … »

Nathaniel marqua une très courte pause avant de reprendre de manière appuyée avec un ton oscillant entre le charmeur et le prédateur.

« … et à tous les points de vue. »

L’elfe éclata de rire laissant l’inconnu continuer, jusqu’à ce que les soins prennent fin. Et enfin ces derniers se terminèrent au plus grand soulagement du capitaine de la confrérie qui sur le final avait senti la douleur de l’aiguille recousant sa chair. Il s’étira légèrement, s’arrêtant quand il sentait que cela commençait à tirer sur sa blessure, évaluant ainsi sa liberté de mouvement. Inutile se fait sauter les sutures ce qui lui vaudrait une deuxième séance de torture.

« Alors heureux ? Dans quelques heures, tu ne devrais même plus la sentir. La chaleur de cette forge m’a donné très soif et après tout ce qui s’est passé j’ai grand besoin d’un petit remontant. J’aimerais gouter la fameuse liqueur d’Athgalan dont tu m’as parlé, je n’ai jamais essayé, mais j’ai l’esprit ouvert à de nouvelles expériences. Je ne sais pas si on peut en trouver à Sélénia, mais à mon avis oui dans certains endroits connus des habitués… »

Nathaniel grommela un peu de mécontentement, il aurait préféré être soigné par magie plutôt que de cette façon, malheureusement, il n’avait pu faire autrement aussi s’en contenterait-il.

« Merci. »

Le caractère grognon de l’elfe sombre passa très rapidement quand ce dernier accepta sa proposition d’aller boire un coup. L’elfe ne put que s’en réjouir et arbora un large sourire. Seul petit problème, ce dernier voulait boire de la liqueur d’Athgalan. Voilà qui risquait d’être complexe. Il s’agissait d’un alcool produit par la confrérie d’Athgalan et étroitement surveillé par eux. La distribution était donc restreinte, l’elfe doutait pouvoir en trouver ici sur Calastin, il n’était malheureusement pas capitaine des contrebandiers et n’avait donc pas le nez constamment sur les livres de comptes, l’import et l’export de la cité. Si jamais cette dernière était vendue en Calastin, il ne savait pas où exactement. Oh certes, il pouvait peut-être avoir une ou deux idées. Il y avait deux ou trois tavernes particulièrement malfamées qui étaient en lien avec la cité pirate, aussi peut-être en avaient-elles. Mais se rendre là-bas, c’était courir le risque de faire tomber sa couverture. Jouer le jeu du navigateur, un peu crapule, l’amusait grandement. Il ne souhaitait pas mettre fin au jeu tout de suite, surtout quand il pouvait aller encore plus loin.

Alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, ce dernier lui demanda de garder le regard détourner. Encore avec cette histoire, décidément. Soit, il se montra particulièrement docile et n’opposa pour une fois aucune résistance. Ce dernier avait accepté d’aller boire un verre, alors il pouvait bien au moins lui céder ça, pour cette fois. Lorsqu’il en reçut l’autorisation, le jeune humain avait mis une cape et un capuchon, masquant son visage. Il le regarda longuement un instant, l’air songeur.

« Mouai, je maintiens ce que j’ai dit, et je suis même prêt à parier que tu es un jeune nobliau qui se déguise pour venir se mêler à la plèbe que ses pairs méprisent afin de voir comment ils vivent. »

Levant une main, il vint la poser sur son épaule, le tapotant un peu.

« Rassure-toi, si jamais on envoie des gardes pour essayer de te ramener auprès de ton papounet je te donnerais un coup de main. »

L’elfe retira sa main et fit signe à l’humain de le suivre, sortant tranquillement de la forge.

« Au fait, je ne m’appelle pas Eiareuh. Appelle-moi Waldo, c’est comme ça que me surnomment mes amis. Je vais essayer de te dénicher une bonne taverne. Mais avant on va devoir faire un tour par l’auberge où je suis hébergé. »

Nathaniel se retourna vers l’inconnu et leva les deux mains, prenant un air innocent, ou du moins essayant.

« Rassure-toi, je ne vais rien te faire, mais … »

Le pirate montra son buste et sa chemise. Son torse était dénudé et sa chemise en morceaux et couverte de sang.

« Je ne peux décemment pas me promener dans la rue avec ça. Et puis un grand elfe couvert de balafre ainsi qu’un encapuchonné qui le suit, ce n’est pas ce qu’il y a de plus discret. Or si comme je le crois tu ne veux pas te faire repérer, autant éviter ça. »

Le gredin lui fit un nouveau signe de main et commença à marcher.

« Allez suis-moi, elle se trouve à la frontière  entre la haute et la basse ville. Et puis c’est sur le chemin si on veut espérer trouver une taverne qui vend le meilleur alcool de l’archipel. Alors, autant faire une pierre deux coups. »

D’un pas assuré l’elfe sombre se dirigea vers la basse ville, s’assurant que le jeune humain reste non loin de lui. Il ne leur fallut pas plus d’une quinzaine de minutes pour arriver devant l’auberge. Nathaniel demanda alors à l’humain de rester là, il n’en avait pas pour longtemps. Sans perdre de temps, le pirate monta à l’étage, et alla trouver sa chambre. Comme le pensait, le membre de son équipage qu’il avait posté en faction ici avait dû payer une journée supplémentaire à la gérante du fait du retard. Soit, cela l’arrangeait au final. Entrant dans la chambre, il vint se saisir d’une nouvelle chemise qu’il enfila ainsi qu’un manteau long assez simple. À l’intérieur il y vint y ranger deux dagues ainsi que deux ou trois babioles. Mieux vaut sortir couvert, surtout dans une taverne. Puis il chercha dans la commode une flasque, il finit par la trouver et l’agita avant de pousser un soupire de soulagement. Super, il lui en restait. Sans tarder davantage il sortit de l’auberge et répara du regard le magicien encapuchonner.

« C’est bon, on peut y aller. J’espère que tu n’as pas peur de la ville basse. Rassures-toi, je ne t’amènerais pas dans les quartiers les plus malfamés. »

Nathaniel prit un ton moqueur et continua.

« Comme tu l’as dit, tu serais une perte inestimable pour Sélénia et tout le Royaume aurait porté ton  deuil, et je m’en voudrais qu’il arrive quelque chose, par ma faute, au possesseur des plus belles fesses du royaume. »

Ricanant l’elfe se mit en route en indiquant au magicien de le suivre, commençant à s’enfoncer dans les ruelles sombres de la basse ville.

Ce jour-là, la grande foire annuelle de Sélénia battait son plein et Nolan ignorait qu’il était sur le point de faire une bien singulière rencontre. L’adolescent avait fugué de son palais et s’était mêlé à la populace, sous le couvert d’un déguisement afin de profiter des festivités incognito. Pouvoir flâner dans les ruelles, tout en admirant les échoppes des marchands ou en admirant les spectacles des saltimbanques représentait un plaisir inégalable pour le jeune empereur, censé demeuré cloitré à l’intérieur de son palais ou à ne le quitter que lors de cérémonies officielles. La liberté n’avait pas de prix même si l’empereur ne pouvait guère en profiter plus que quelques jours car son devoir et son rôle de dirigeant l’obligeait à regagner le carcan de son palais.

Alors que le jeune homme déambulait dans l’un des quartiers, il entendit les cris d’un vendeur à la sauvette qui proposait de déguster de la liqueur d’Athgalan à son stand. De la liqueur d’Athgalan ? Voilà qui était curieux et le monarque de Sélénia décida de s’approcher afin d’en apprendre plus sur cette boisson de provenance de la cité pirate. C’est alors qu’un ivrogne s’empara du verre qui lui était destiné et se mit à vomir une bille verdâtre. Après cela, une créature gluante et difforme fit son apparition, faisant fuir tout le monde, à l’exception de Nolan et d’un mystérieux inconnu. La suite ? Une aventure rocambolesque faite de joutes verbales, d’une course poursuite, d’une collaboration forcée, d’un combat acharné et qui allait s’achever sur la défaite du vaseux…ou presque.

Après avoir recousu la plaie de l’elfe aux cheveux neigeux, le jeune empereur déguisé s’était laissé convaincre d’accepter son invitation à boire un verre. Pourquoi ? Lui-même l’ignorait, mais peut-être pour poursuivre cet étrange jeu qui s’était institué entre eux ou chacun tentait de prendre le dessus sur l’autre et où progressivement l’agressivité avait laissé place à des insinuations charmeuses et séductrices.

Le ressenti de Nolan à propos de ce mystérieux inconnu était pour le moins ambiguë ; ce dernier le repoussait au moins autant qu’il l’attirait et au ton plein de morgue du début de leur rencontre s’étaient substitués peu à peu des sous-entendus érotiques. L’adolescent savait qu’en acceptant de le suivre, il jouait un jeu dangereux car cet elfe qui prétendait n’être qu’un simple navigateur semblait pour le moins douteux. A en juger par son allure patibulaire, et son sourire carnassier ainsi que les informations dont celui-ci disposait sur Athgalan, il s’agissait probablement d’un criminel ou d’un habitant de cette cité voire des deux. Cependant, quelque chose d’irrésistible le poussait à demeurer en sa compagnie et à accepter son invitation, peut-être la curiosité ou le désir d’aventure car cet elfe à l’aura sulfureuse incarnait la liberté et l’interdit.

Aux questions pleines de sous-entendus de l’empereur déguisé, son interlocuteur répondit assez habilement, préférant attiser la curiosité, en laissant planer le mystère, plutôt que de verser dans des propos ouvertement salaces.

- Et bien si tu es un elfe unique en son genre et à tous les points de vue j’espère que tu tiendras tes promesses, se contenta de répondre l’adolescent d’un ton entendu.

Une fois l’opération de chirurgie improvisée achevée, le compagnon d’aventure du souverain incognito manifesta son mécontentement en grommelant avant de le remercier.

- Que veux-tu, même les puissants magiciens ont parfois des pannes, dit-il en arborant un sourire à la fois charmeur et empli de fausse innocence.

La mauvaise humeur de l’elfe à la chevelure opalescente s’estompa comme par magie quand le jeune homme consentit à accepter son invitation. A croire que depuis le début, ce dernier n’attendait que cela et son sourire dentu le faisait ressembler à un gros chat salivant devant une souris. Toutefois Nolan savait qu’il devrait se montrer très prudent afin de ne pas attirer de soupçons sur sa véritable identité, d’autant plus qu’il avait perdu sa fausse-barbe.

« Mouai, je maintiens ce que j’ai dit, et je suis même prêt à parier que tu es un jeune nobliau qui se déguise pour venir se mêler à la plèbe que ses pairs méprisent afin de voir comment ils vivent. »

Décidément, ce bougre était plus perspicace qu’il n’en avait l’air, bien que cela ne soit pas difficile à deviner. En effet, le jeune monarque savait que de nombreux nobliaux de son âge n’hésitaient pas à user du même procédé que lui afin de jouir d’un peu de liberté ou se mêler à la plèbe en toute discrétion. D’autres cherchaient tout simplement à s’encanailler et à prendre du bon temps dans les quartiers malfamés de la cité ou entre les cuisses de filles de joie sans attirer l’attention de leur entourage sur leur «loisir ». Mais peu lui importait, du moment que son vis-à-vis ne découvrait pas qu’il avait à ses côtés l’empereur de Sélénia. D’ailleurs comment réagirait-il s’il venait à le découvrir ? Rien que pour le plaisir de voir sa tête, Nolan avait presque envie de balancer sa perruque et de lui montrer son visage mais cela ne serait pas une très bonne idée.  

- Ma véritable identité importe peu, et si tu penses que je suis un nobliau déguisé alors je peux également supposer que tu es un criminel cherchant à se faire discret car tu sembles bien balafré et pas très net pour un simple navigateur.

La remarque de son interlocuteur concernant les gardes l’amusa car en sa qualité de dirigeant de l’empire, l’adolescent pouvait commander n’importe qui et n’avait dès lors rien à craindre de la milice de sa propre cité.

- Si mon hypothèse est juste et que tu es un malfrat ou un gredin déguisé, je suis certain que tu n’as pas très envie de les voir rappliquer ou fureter autour de nous, et que tu feras le nécessaire donc j’imagine que je n’ai pas grand-chose à craindre de ce côté-là et que ta main pourra te servir à autre chose. Quant à mon père, crois-moi là où il se trouve il est incapable d’envoyer qui que ce soit partir à ma recherche.

En effet, le défunt Korentin aurait bien des difficultés à envoyer des gardes aux trousses de son fils, à moins d’être un revenant. Ensuite tous deux sortirent de la forge et le navigateur qui semblait également désireux de demeurer incognito révéla son surnom au jeune homme.

- D’accord, va pour Waldo. Pour ma part je n’ai pas de surnom, donc à moins que tu ne veuilles m’en donner un, je risque de rester un parfait inconnu. Mais je te préviens d’avance hors de question de m’affubler d’un surnom ridicule !

Le gamin ne put s’empêcher de glousser lorsque Waldo lui dis qu’un grand elfe balafré suivi d’un jeune homme encapuchonné dans une grande cape rouge ce n’était pas ce qu’il y avait de plus discret tant la scène qu’il imaginait semblait cocasse. Cependant, ce dernier n’avait pas tort et le gamin accepta de le suivre à travers les quartiers malfamés de la ville jusqu’à l’intérieur d’une taverne miteuse où le navigateur monta dans sa chambre pour y prendre quelques effets personnels. Dès après, ils reprirent leur route à travers le dédale des ruelles obscures de Sélénia et tout en le suivant l’empereur déguisé répondit d’un ton désinvolte :

- Je n’ai pas peur grand méchant elfe, mais je préfère rester en vie encore un peu donc évitons le coupe-gorge que représente la ville-basse. Et si Sélénia serait endeuillé de la perte de mon magnifique postérieur, l’océan risquerait de pleurer aussi la disparition de son plus beau sourire et des dents de la mer.

¤ Sélénia nid de malfrat ¤

Le capitaine de la confrérie se retint de rebondir sur les propos de l’inconnu au risque de faire une blague de mauvais goût lorsque celui-ci lui annonça que même les plus grands magiciens pouvaient avoir des pannes. Bien que l’envie de lancer une pique supplémentaire à son adversaire dans ce duel verbal un tantinet puéril le démangeait grandement. Pour autant cette joute n’allait pas cesser, elle allait continuer, surement jusqu’à ce que les deux hommes se séparent. La soirée risquait d’être fort plaisante. L’humain, lui, ne se retint en revanche pas de renchérir sur les propos de l’elfe.

« Ma véritable identité importe peu, et si tu penses que je suis un nobliau déguisé alors je peux également supposer que tu es un criminel cherchant à se faire discret, car tu sembles bien balafré et pas très net pour un simple navigateur. »

Le pirate ne put s’empêcher  de sourire à cette évocation, un brin amuser.

« Un nobliau et un dangereux criminel tous deux déguisés, tous deux ignorant l’identité de l’un et de l’autre, combattant ensemble un monstre avant d’aller boire un verre. Ça ressemble au début d’un mauvais roman d’aventure ou d’amour si tu veux mon avis. »

L’elfe sombre éclata de rire et se mit en route précédé par l’humain.

« Quand on rencontre la garde, c’est généralement qu’il y a un problème, alors autant les éviter, comme ça on évite les problèmes. Mh, pas de surnom hein. Je vais devoir t’en trouver un alors. Que penses-tu de Itahalya ? Celui qui se cache de la lumière. Ton déguisement, ce désir de visiter les bas quartiers, le côté sombre de la ville, toi qui, si je mes suppositions sont bonnes, vient du côté baigner par la lumière de la noblesse, de la haute ville. Un brun poétique tu ne trouves pas ? Allez, va pour ça, j’en ai décidé ainsi ! »

Nathaniel donna une petite tape dans le dos du mage et poursuivit sa route jusqu’à arriver à son auberge. Là-bas il prit ce dont il avait besoin avant de rejoindre l’encapuchonner qui l’attendait en bas. Une fois les deux individus retrouvés, ils se mirent lentement en route, dirigés par l’elfe à la chevelure d’écume, s’enfonçant dans quelques ruelles sombres.

« Je n’ai pas peur grand méchant elfe, mais je préfère rester en vie encore un peu donc évitons le coupe-gorge que représente la ville basse. Et si Sélénia serait endeuillé de la perte de mon magnifique postérieur, l’océan risquerait de pleurer aussi la disparition de son plus beau sourire et des dents de la mer. »

« Ahahah ! Celui qui arrachera à l’océan son plus beau sourire n’est pas encore né je peux te l’assurer. Si même ce vaseux n’y est pas parvenu, je doute qu’un malandrin n’y parvienne. »

Après quelques longues minutes de marche dans une série de ruelles sombres et parfois étroites. Après avoir croisé quelques individus louches qui les observèrent d’un air mauvais, le capitaine des gredins accompagné de l’empereur arriva dans un cul-de-sac. Quelques âmes en perditions au regard vides se trouvaient là, errant sans but. Une ou deux prostitués se trouvaient là, deux en train de parler avec un client et une libre qui s’adressa à Nolan.

« Bah alors, mon chéri, pourquoi tu te dissimules ainsi ? Rassures-toi, avec-moi pas besoin d’être timide. »

L’impasse formait une sorte de petit rond point où des bâtiments étaient collés les uns aux autres n’offrant aucune autre issue possible que celle de faire demi-tour. Une forte odeur se dégageait du lieu, on devinait que l’odeur exacerbée du parfum se battait pour couvrir celle de la boisson, du vomi, et autres détritus, se mélangeant en une fragrance lourde, étouffante et désagréable. Nathaniel ignora la femme désœuvrée et pointa du doigt l’enseigne d’un des édifices du cul-de-sac. On trouvait parmi eux une sorte d’hôtel miteux où l’on devait surement dormir les uns sur les autres, un commerce dont il émanait du prioritaire derrière la caisse toute sa vilénie, et enfin une taverne le plus grandes des édifices de l’impasse. C’est l’enseigne de cette dernière que l’elfe  pointa.

« Nous sommes arrivés. L’impasse des oubliés. »

Le bâtiment paraissait à moitié en ruine, du moins vue de l’extérieur, et l’enseigne pendait péniblement, se balançant dans un grincement désagréable, retenu uniquement par une seule chaine. Le tout faisait peine à voir, pourtant le pirate était confiant.

« Allez viens, je sais qu’elle ne pait pas de mine, mais, l’intérieur est plus propre que l’extérieur. »

Nathaniel entra. L’intérieur était en réalité aussi miteux que l’extérieur. Il n’y avait que quelques clients, tous plus soûls les uns que les autres. L’un d’eux s’effondra même, venant recracher son repas. Tandis qu’une ou deux mouches voletaient dans l’air. Une musique lointaine et étouffée semblait néanmoins baigner le lieu. D’un pas sur de lui, l’elfe sombre s’approcha du comptoir avant de s’y asseoir. Le tenancier, un vieil homme à moitié branlant avec du poil dans les oreilles le regarda avant de s’approcher de lui.

« Qu’est ce que je vous sers, monsieur ? »

L’homme mit sa main devant la bouche et toussa si fort qu’on crut qu’il allait mourir sur place.

« Boisson ? Nourriture ? Vous avez le menu affiche sur l’écriteau au-dessus de vous ? »

Eärendil fit mine de chercher avant de dire avec un sourire complice légèrement dissimulé et d’un ton bas.

« Comment est votre blanquette ? »

« La blanquette est bonne. »

« Et vos harengs pomme à l’huile, un ami m’en a dit le plus grand bien. »

« Allez voir le cuisinier il vous en donnera un ramequin, vous vous ferez une idée. »

L’elfe vint poser deux pièces d’or sur le comptoir que le tenancier attrapa avant de mordre dedans pour voir s’il ne s’agissait pas de toc et fit un signe de l’œil pour désigner la porte à côté du comptoir avec marquée cuisine dessus. Le pirate se retourna en direction de Nolan.

« Vient Itahalya, je nous ai pris une pièce à l’écart pour que nous soyons tranquilles. »

Le gredin se dirigea alors aussitôt vers la porte qu’il ouvrit. Il se retrouva alors devant un escalier venant vers un long couloir, qu’il emprunta. À mesure qu’il s’approchait, la musique étouffée et lointaine que l’on entendait se faisait plus forte. L’odeur se faisait moins fétide. Très bientôt, il se retrouva face à une nouvelle porte qu’il ouvrit sans attendre. De l’autre côté se trouvait une grande salle, pleine d’animation. Lumineuse et colorée, entretenue et propre. Il y avait une trentaine de clients éparpillés sur une multitude de tables qui jouaient, riaient, festoyaient et même se bagarraient. Des musiques rythmées s’élevaient et quelques danseuses aux tenus aguichantes étaient éparpillées dans la pièce.

« Allons-nous trouver une table. »

L’elfe s’avança dans la pièce. Son visage n’était pas connu ici. Il s’agissait d’une petite taverne secrète où l’on trouvait de petits malfrats, où les consommations et échanges oscillaient entre le légal et l’illégal de petit niveau. La tranquillité et le secret du lieu prévalant plus qu’autre chose ici.

Nathaniel finit par trouver une table en bordure d’un mur, où l’on trouvait une banquette sur laquelle il s’avachit.

La suite de leur joute verbale fit naître un sourire amusé sur les lippes du jeune empereur ; décidément son interlocuteur n’en démordait pas et ne manquait pas de mordant, semblant prendre un malin plaisir à afficher son sourire carnassier. Sans doute dans le but d'accroître son charme prédateur, pensa le gamin.

- Je ne sais pas, répondit Nolan d’un ton moqueur. En vérité ce n’est pas le genre de livres que j’affectionne. Serais-tu par hasard un adepte des romans à l’eau rose ? Ma foi, peut-être que de telles lectures t’aident à combler ta solitude lors des longs mois passés en mer.

Ensuite, les deux aventuriers poursuivirent leur route à travers le dédale de la cité et quand le jeune empereur évoqua son absence de surnom, Waldo décida de lui en trouver un. Après un bref instant de réflexion, ce dernier lui proposa le surnom poétique et aux consonances Elfiques d’Itahalya qui signifiait « celui qui se cache de la lumière » et expliqua son choix par une série de suppositions concernant l’identité du mystérieux magicien. En les entendant, l’adolescent ne put s’empêcher de faire la moue et répondit :

- Vas pour Itahalya. Je trouve que ça sonne plutôt bien. Quant à tes suppositions me concernant, je préfère garder un joker.

En effet, mieux valait éviter d’en révéler trop sur soi, même si l’elfe aux cheveux cendreux touchait juste sur bien des points. Le jeune Kohan était bel et bien un jeune noble, sans cesse exposé à la lumière et qui recherchait à fuir le carcan de son existence protocolaire en rejoignant le coté obscure de la ville sous couvert d’un déguisement. D’ailleurs, sa chevelure couleur dorée dissimulée sous une perruque d’un noir de jais, aussi sombre qu’une nuit sans lune, ne constituait-elle pas à sa façon une métaphore du passage de la lumière à l’obscurité ?

Tout en marchant, ils parvinrent devant une auberge à l’allure miteuse et l’empereur encapuchonné dans sa cape écarlate patienta devant l’entrée, pendant que l’elfe pénétrait à l’intérieur pour récupérer certains de ses effets avant de reprendre leur route.  

En entendant la remarque de l’elfe à la chevelure d’écume concernant le fait que celui qui arracherait à l’océan son plus beau sourire n’était pas encore né et que même le vaseux avait échoué dans cette tentative, il s’esclaffa :

- Que de modestie ! Mais tu sembles oublier que tu faisais moins le fier quand ce vaseux s’était emparé de toi à l’aide d’un de ses gros tentacules et que j’ai dû te sauver comme si tu étais une princesse en détresse.

Ensuite, tous deux s’enfoncèrent dans les tréfonds de la ville afin de gagner ses bas-fonds. Sélénia était une cité tentaculaire, probablement la plus grande et la plus peuplée de Calastin, mais aussi la plus dangereuse. Et à l’instar de son empereur, celle-ci possédait un visage de lumière qui servait de masque éblouissant à sa face cachée qui abritait une myriade de secrets. Divisée en ville haute et en ville basse, elle faisait coexistait en son sein, faste, opulence, mais aussi pauvreté et criminalité. En traversant les venelles obscures des bas quartiers, Nolan sentit des frissons lui parcourir l’échine en voyant les mines particulaires de certaines énergumènes, les mendiants ébaubis et les catins en quête de clients. En dépit de son statut de Roi de Sélénia que même les pires malfrats lui reconnaissaient, le jeune monarque prenait conscience en suivant l’elfe balafré qu’il découvrait soudain ce monde souterrain situé si loin des arcanes de la Cour. Celui-ci ne connaissait véritablement que Sélénia la blanche, la lumineuse, semblant faite d’une pluie d’étoiles et de diamants et ignorait tout de Sélénia la noire, la menaçante, et de son ventre grouillant de criminalité.

Leurs pas les conduisirent jusqu’à un cul-de-sac où se tenaient des individus à l’aspect sinistre et des filles de joies, tentant de racoler les rares badauds assez téméraires pour oser s’aventurer au sein de cette artère boueuse. L’une des catins, outrageusement fardée et empestant le parfum bon marché, s’approcha du jeune empereur, en arborant un sourire aguicheur et lui lança à la cantonade :

« Bah alors, mon chéri, pourquoi tu te dissimules ainsi ? Rassures-toi, avec-moi pas besoin d’être timide. »

Nolan se contenta de l’ignora et rabattit un peu plus sa capuche sur son visage afin de masquer ses traits car en dépit de l’obscurité celui-ci craignait d’être reconnu. Par ailleurs, cette fille maigre, à l’allure vulgaire et à l’attitude lascive n’éveillait en lui aucun intérêt, aussi se détourna-t-il d’elle rapidement et son regard mordoré se posa sur l’enseigne d’un hôtel miteux indiqué par son comparse.

Une odeur nauséabonde flottait dans l’air, mélange de vinasse, de parfum capiteux et de fumier et le jeune empereur réprimant un haut-le cœur posa la main sur le bas de son visage afin de s’empêcher de trop la respirer. Dès après l’elfe aux cheveux vaporeux présenta le lieu comme « l’impasse des oubliés » et ce nom lugubre n’augurait rien de bon. Pour un peu, le gamin aurait regretté de s’être aventuré dans un tel cloaque en compagnie de cet elfe patibulaire, toutefois, le parfum de souffre et d’aventure qui émanait de cet endroit attisait sa curiosité. Aussi, décida-t-il de suivre son compagnon à l’intérieur du bâtiment à l’allure délabrée et semblant prêt à s’écrouler si l’on se fiait aux fissures de ses murs. Waldo, sans se départir de sa confiance, invita le jeune sélénien à entrer à l’intérieur en lui assurant qu’il y régnait une plus grande propreté qu’à l’extérieur.

Cependant, quelle ne fût sa déception en constatant que l’intérieur, loin d’être propret, ressemblait à une bauge infecte et que quelques ivrognes cuvaient leur vin affalés sur des tables tandis que résonnait le son d’une musique lointaine. Le jeune empereur leva les yeux au ciel en songeant qu’il avait parcouru tout ce chemin pour se retrouver dans un hôtel croupi, mais préféra s’abstenir de tout commentaire, pour le moment. Pendant, ce temps Waldo s’entretint avec l’aubergiste avant d’emmener Nolan-Itahalya dans une pièce à l’écart où ils seraient tranquilles.

-  En effet, certaines choses requièrent de la tranquillité et la présence de ces ivrognes serait malvenue, répondit l’adolescent en esquissant un sourire entendu.

En ouvrant une porte et en empruntant un escalier qui menait à un long couloir, ils parvinrent jusqu’à une salle animée, décorée avec un certain raffinement et où résonnait une musique entraînante. L’endroit était plein a craqué de gens occupés à festoyer, à boire, à danser ainsi qu’à se livrer à des jeux d’argents.

Ils s’installèrent à une table située près d’un mur, un peu à l’écart des regards où tous deux pourraient discuter en paix et l’elfe s’avachit sur une banquette. A son tour, Nolan s’installa sur une banquette face à son interlocuteur.

- Et bien je ne m’attendais pas à trouver une salle comme celle-ci au sein d’un hôtel aussi minable. Certes, même si ça n’est pas le grand luxe je dois reconnaître qu’elle est joliment décorée et bien entretenue.

  Puis d’un ton taquin, il poursuivit :

- Je vois que tu sembles connaitre Sélénia comme ta poche, c’est un peu surprenant pour un étranger. Moi-même qui suis Sélénien j’étais loin d’imaginer à quoi pouvait ressembler ses bas-fonds et qu’on trouvait des endroits comme celui-ci. Décidément, tu es un elfe plein de ressources et de mystères. Hmm, et si nous commandions à boire à présent ? J’avoue que j’ai la gorge un peu sèche et qu’il me tarde de goûter à l’une des boissons de cet établissement.

¤ Dégustation pirate ¤

Après de longues minutes de marche à s’enfoncer dans le bas fond de la capitale de l’empire, les deux inconnus finir par toucher le fond … ou du moins à s’en approcher. Nathaniel nomma ce lieu l’impasse des oubliées, un endroit assez délabré et puant où il ne régnait que la misère et le désespoir. Un lieu parfait en somme pour ceux qui voulait avoir des activités illicites ou bien se cacher des yeux aussi bien des grands de ce monde, que de ceux du commun des mortels. L’elfe et l’humain entrèrent dans un bâtiment aussi pitoyable à l’intérieur qu’à l’extérieur. Pour autant le pirate ne s’arrêta pas là. Après discussion avec le tenancier, lui donnant un mot de passe connu des habitués, les deux individus furent autorisés à s’aventurer plus loin dans le bâtiment. Ainsi le gredin conduisit le roi ce que l’on pourrait qualifier des sous-sols des bas-fonds de Sélénia. À cet endroit ils auraient tous deux touché le fond de la cité. Là où après l’obscurité la plus totale renait la lumière.

C’est un cadre fort différent qui se présenta aux deux comparses après une marche dans un long couloir. La joie avait remplacé la tristesse, le luxe à la pauvreté, le jeu à l’ennui, l’espoir au désespoir et bien d’autres choses encore. Le capitaine d’Athgalan qui n’avait jamais mis les pieds ici sous le titre de capitaine et donc n’était pas connu ici en tant que tel s’avança comme si de rien n’était, d’une démarche assurée, un peu comme s’il se trouvait en plein dans son élément. Il se tourna un peu observé le jeune mage.

« Tu peux enlever ton capuchon ici, si tu ne veux pas attirer l’attention, c’est le meilleur moyen. »

Les deux hommes se dirigèrent vers une table un peu à l’écart où l’elfe s’installa avec nonchalance sur une des banquettes, poussa un léger soupir. Ils étaient tous deux bien mieux ici que dehors. Un petit rire amusé échappa au gredin face à la naïveté de son interlocuteur.

« Tu es bien innocent, ignorant ou peut-être est-ce naïf. C’est comme cela partout, toutes choses ont, comme les pièces, deux faces : une d’ombre et de lumière. La première se cachant derrière l’autre et inversement, ainsi plus la face apparente est forte, plus la face cachée le sera aussi. C’est aussi vrai ici que partout ailleurs, même les hautes sphères ne sont pas épargnées par ce phénomène. Cet endroit n’est pas le seul de ce genre à Sélénia, il en existe quelques autres, certains plus importants, certains moins importants. Celui-ci est le dernier niveau que j’ai réussi à atteindre. »

Nathaniel  mentait bien sûr, il avait accès aux niveaux les plus bas, mais pour ce faire il devait revêtir le chapeau de capitaine d’Athgalan et non celui de Waldo.

« Non, dire que je connais cette ville comme ma poche serait abusif. Disons que je connais certains endroits que peu de personnes connaissent. Par exemple, je connais bien mieux ce monde de l’ombre situé à l’exact opposé de celui de la lumière qui peut être définie comme les hautes sphères de Sélénia. »

Là encore c’était un mensonge, Nathaniel connaissait bien plus Sélénia qu’il ne voulait l’avouer, il avait apprivoisé cette ville au moment où il avait volé le navire destiné à être offert à l’empereur Nolan, il connaissait bien plus le monde l’ombre qu’il ne le prétendait et il avait aussi un pied dans le monde lumière. Car après tout, n’était-il pas le capitaine des gredins en charge de la corruption des autorités ?

« Oui bien sûr ! Nous avons une rencontre et une victoire à célébrer après tout. »

Le pirate à la chevelure d’écume se redressa un peu, tournant la tête avant de remarquer une des serveuses très aguichantes, probablement des prostitués également, qui s’avançaient entre les tables. Il fit un bruyant claquement de doigts et parvint à capter son attention. La demoiselle, particulièrement jolie, bien vêtue même si légèrement, mais surtout parfumer s’approcha de leur table. Arrivant à leur niveau l’elfe se pencha pour venir l’attraper par la hanche et l’amener vers lui, venant la faire s’asseoir sur la banquette où il se trouvait.

« Ma belle ! Mon ami était justement en train de te chercher. »

Le gredin fit légèrement glisser sa main sur le flanc dénudé de la serveuse.

« Il se disait à quel point tu étais belle à voir, mais surtout à quel point on aurait une vision magnifique si tu nous apportais de quoi sustenter nos besoins. »

Nathaniel fit redescendre sa main jusqu’au niveau des fesses de celle-ci et la fit se lever.

« Rapporte-nous donc deux verres, deux vérines de cortex, et deux boissons de fleurs de Paagal. »

La jeune femme opina du chef et fit un clin d’œil en direction d’Ithalya. En attendant son retour, l’elfe sombre vint passer sa main à l’intérieur de son manteau, il y chercha avant de sortir une flasque faite d’argent et de mithril couleur obsidienne. Il l’ouvrit avec délicatesse et la posa entre lui et l’humain. Un léger arôme avec une pointe d’amertume s’en dégagea. Elle rappelait un peu l’odeur de la boisson qui avait causé l’apparition du vaseux, mais semblait un poil plus douce. L’elfe parla un peu plus bas.

« Voilà de la vraie liqueur d’Athgalan. La perception de la différence entre la vraie et la frelatée est difficile. Elle a absolument la même couleur, son odeur varie légèrement, elle semble moins agressive, mais c’est très difficile à percevoir, même mon nez d’elfe n’en est pas capable. Il existe toutefois un moyen de savoir si celle-ci est fausse ou non. Pour ce faire, trempe un bout de ton doigt dedans et vient passer le liquide contre ta gencive. Si tu as ressenti un léger picotement comme si ta gencive était en effervescence, un peu comme s’il y avait une fête, alors elle est vraie. En revanche, si tu une sorte de légère brulure, alors elle est frelatée. Il faut alors vomir dans les secondes qui suivent l’ingestion sinon tu as vu ce qui se passait. »

L’elfe eut juste eu le temps de finir sa présentation que la femme revint, venant poser la commande pour ensuite repartir. Le gredin saisit les verres vides et vint verser un fonds du contenu de sa flasque dans ces derniers. Il en poussa un vers Nolan puis fit de même avec un deuxième, un peu plus grand, qui contenait un liquide azuréen, une sorte de fleur de cactus flottant au-dessus.

« La liqueur d’Athgalan est une boisson unique, il faut avoir assez de caractère pour la boire, sans quoi sa particulière amertume vous la fera vomir. Si ça arrive, bois l’autre boisson. Elle est faite à base d’un cactus poussant sur Keet-Tiamat, un cactus particulièrement dangereux puisqu’il attaque les malheureux qui s’en approchent sans prendre garde. La boisson est beaucoup plus douce, elle masquera le goût. »

Soudainement, un petit tentacule de magie bleuté apparut dans les récipients en verre contenant les vérines. Nathaniel saisit une cuillère ainsi que son verre de liqueur d’Athgalan.

« Et ça, c’est la chair composant une bête vivant dans la mer intérieure de l’archipel. Elle se marie bien avec n’importe quelle boisson. On l’appelle la pieuvre énergie, elle utilise la magie pour créer des tentacules et se déplacer. Le plus étonnant c’est que même morte, son corps conserve certains réflexes. »

L’elfe but cul sec le fond de son verre de liqueur avant de planter son ustensile dans la verrine pour en porter une cuillerée à sa bouche, guettant la réaction du mage.

« L’impasse des oubliés », un nom prédestiné pour un lieu de perdition, songea le jeune empereur en suivant l’elfe à l’intérieur de cet antre nauséabond tandis que des frissons lui parcouraient le corps. Une fois passée sa répulsion initiale et après que ce dernier eut franchi son antichambre miséreuse, l’endroit révélait sa face cachée, plus luxueuse et séduisante que ne le laissait deviner les flagrances putrides qui s’en échappaient.

A croire que celui-ci ne révélait son véritable visage qu’à ceux qui seraient assez téméraires ou initiés aux secrets de la cité pour ne point s’arrêter à son aspect extérieur. Une fois encore les apparences pouvaient se révéler terriblement trompeuses et ce lieu en était la preuve.
C’est alors que Nolan comprit la raison d’un tel subterfuge ; en réalité, cette façade peu reluisante n’était qu’un leurre destiné à éloigner les importuns ou à tromper les autorités Séléniennes, notamment la milice chargée de faire régner l’ordre et la sécurité et dont certains membres patrouillaient dans les quartiers malfamés. Une vie souterraine s’organisait en parallèle au sein des bas-fonds de Sélénia et l’image de cafards grouillants ou de rats traversa l’esprit du souverain en imaginant cette populace misérable et corrompue, semblable à une lèpre défigurant la face lumineuse de la capitale de l’Empire.

Une fois que tous deux se retrouvèrent à l’intérieur de ce cadre plus avenant,  l’adolescent jeta quelques regards ébaubis autour de lui, mirant avec curiosité ce lieu insolite et  Waldo lui conseilla de retirer la capuche de sa cape afin d’éviter d’attirer l’attention des autres occupants de la salle.

Nolan se mordit les lèvres, craignant de dévoiler ses traits et que ne soit percer le secret de son identité ; cependant, ce dernier devinait aisément que c’est au contraire en gardant son visage obombré d’une capuche qu’il risquait d’être démasqué. Dès lors, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la meilleure façon de préserver son anonymat était au contraire de feindre l’assurance, à l’instar de l’elfe à la chevelure d’écume qui semblait comme un poisson dans l’eau à l’intérieur de cette taverne secrète.

Lentement, le monarque de Sélénia fit glisser sa capuche et la lumière qui éclairait la pièce tomba sur son visage. Pourtant malgré la crainte qui l’habitait, plutôt que baisser la tête ou tenter de se dissimuler derrière les longues mèches de sa chevelure fuligineuse, celui-ci garda une posture droite, tout en recouvrant son visage d'un masque inaltérable de calme et d’assurance.

Mais dans sa poitrine, son cœur battait plus fort à l’idée que cet elfe puisse le reconnaître ou du moins faire le rapprochement avec l’empereur de cette cité, en dépit du fait que les chances que celui-ci parvienne à une telle déduction soient faibles.

En effet, comment cet étranger pourrait-il être au courant des escapades de l’adolescent trop turbulent pour accepter de demeurer cloîtré nuit et jour dans l’enceinte de son palais, comme l’exigeait le protocole ?  Par ailleurs, même si les traits du couronné semblaient familiers à Waldo et éveillait chez lui une quelconque suspicion, peut-être se dirait-il que son vis-à-vis possédait une certaine ressemblance avec Nolan Kohan, tout simplement. Sans compter que la noirceur de sa perruque, aussi sombre que le plumage d’un corbeau, et qui contrastait avec sa blondeur habituelle éloignerait également les soupçons.

Après que le navigateur se soit installé ou plutôt affalé sur une banquette, adoptant la posture détendue de quelqu’un qui se trouve dans un lieu familier et prend ses aises, ce dernier laissa échapper un petit rire amusé en entendant les paroles de son jeune interlocuteur, n’hésitant pas à le taxer d’ignorance ou d’angélisme. Cependant, loin de se laisser déstabiliser par les propos mordants de l’elfe aux cheveux argentés, Nolan se contenta de hausser les épaules et d’afficher un léger sourire :

- Je ne suis pas naïf ou ignorant au point d’ignorer l’existence de tels endroits à Sélénia. Je sais que l’ombre et la lumière coexistent, non pas seulement au sein des cités mais également dans les tréfonds de l’âme humaine. Les êtres sont complexes et possèdent aussi leur part d’ombres et leurs secrets…

Comme le disait si bien ce mystérieux elfe, même les hautes-sphères n’étaient pas épargnées par ce phénomène et tant de complots, de haines et de vieilles rivalités se dissimulaient derrière le faste et l’opulence. La dernière partie de la phrase de son comparse laissa le souverain sélénien dubitatif. Le dernier niveau qu’il soit capable d’atteindre ? Il n’en croyait rien.

- Je ne crois pas que ce soit le dernier niveau que tu sois capable d’atteindre. Tu sembles trop informé, trop à l’aise en ce lieu pour que ce soit le cas. Au contraire, je crois qu’entrer dans « l’impasse des oubliés » est pour toi un véritable jeu d’enfant et c’est la raison pour laquelle tu m’as amené ici.  

De toute évidence, son énigmatique « passeur » voulait bien lui dévoiler certains des secrets de Sélénia, mais avec parcimonie, tout en sauvegardant son anonymat. Mais l’inverse était également vrai, Nolan ne pourrait pas emmener Waldo dans le saint des saint des hautes-sphères sans trahir son identité. Ainsi, ils étaient à égalité, deux êtres jouant à cache-cache et comportant chacun leur part de clarté et de ténèbres ainsi que soucieux de préserver leur jardin secret.

- D’ordinaire les mondes de l’ombre et de la lumière ne se rencontrent pas et c’est par le plus grand des hasards que nos routes se sont croisées. Mais puisque nous sommes dans un lieu qui représente une sorte-entre deux et que nous avons la nuit devant nous profitons-en. Lorsque l’aube se lèvera nous retournerons chacun à nos occupations respectives et peut-être oublierons nous tout l’un de l’autre. Mais avant que cette nuit s’achève, je t’aurais probablement moi aussi trouver un nouveau surnom.

Tout en prononçant ces mots, les prunelles mordorées de l’adolescent s’étrécirent et dardèrent sur le visage de l’elfe un regard énigmatique. Bien qu’il peinait encore à l’admettre, se retrouver en présence de ce mystérieux étranger au sein de ce lieu sulfureux l’emplissait d’une sensation exaltante, comme si Waldo lui faisait goûter la saveur de l’interdit.

Bientôt une jeune femme, aussi belle que légèrement vêtue vint pour prendre leur commande et Nolan nota que les mains de l’elfe s’égaraient le long de sa croupe plus loin que ne le permettait habituellement la bienséance. Toutefois, ce dernier délaissa rapidement la plantureuse serveuse et reporta son attention sur l’adolescent, le fixant comme un prédateur contemple sa proie. L’intensité de son regard était accentuée par d’étranges marques noirâtres qui cerclaient ses yeux couleur brou de noix dans lesquels apparaissaient des reflets verts impériaux. Le jeune empereur ne se rappelait pas en avoir déjà vu de semblables auparavant et leur trouva quelque chose de fascinant et d’effrayant à la fois. Puis ce dernier s’arracha à cette contemplation et reporta son attention sur les explications de Waldo concernant la liqueur d’Athgalan.

Quelques minutes plus tard, la vénusté revint avec, sur son plateau, deux verres de cette fameuse liqueur d’Athgalan et en les déposant sur la table, elle gratifia le jeune homme d’un clin d’œil.

En observant son manège, Nolan songea avec un sourire amusé que moyennant un peu d’or sonnant et trébuchant, il était possible de passer la nuit dans les bras de cette charmante demoiselle. Toutefois, en dépit de son éclatante beauté, celle-ci n’éveillait en lui aucun réel intérêt, sans doute en raison de la facilité avec laquelle il pouvait la posséder s’il le désirait, du moins son corps. Quant à gagner son cœur, cela se révélerait sans doute une autre paire de manches et peut-être que cette partie d’elle, à la fois la plus profonde et la plus intime, lui resterait à jamais inaccessible. A bien y réfléchir, cette catin ressemblait par certains aspects aux courtisanes de la Cour, si promptes à offrir leurs charmes pour gagner en pouvoir et en influence, mais gardant fermement hors de portée la clé de leur âme.

Abandonnant ces considérations sur les femmes, que du reste il ne connaissait pas encore très bien en raison de son jeune âge, il écouta la suite des propos de son vis-à-vis au sujet de la fabrication de cet étonnant breuvage.

- Je t’envie d’avoir fait tous ces voyages à travers les océans et de connaitre tellement de choses insolites sur les créatures qui habitent cet archipel. Ta vie semble à la fois si dangereuse…et si excitante, dit-il en admirant les tentacules de magie bleutée qui apparaissaient à l’intérieur des récipients en verre contenant les verrines.

- J’aimerais pouvoir un jour voir de mes propres yeux toutes ces choses et vivre des choses aussi exaltantes.

Le parfum qu’exhalait Waldo, c’était celui du crime, de l’interdit mais aussi celui de la liberté et du désir. Après cela, l’elfe aux cheveux vaporeux s’empara de son verre de liqueur avant de l’avaler cul-sec et de guetter la réaction de son comparse, comme s’il le mettait au défi de l’imiter.

- Très bien. Alors c’est à mon tour de boire cette fameuse liqueur. J’ai presque l’impression qu’il s’agit d’une sorte de rituel initiatique ou d’un défi pour tester la témérité de quelqu’un.

Il fallait probablement être très téméraire ou un peu fou pour oser se risquer à avaler pareille boisson, surtout après avoir assisté à la scène du vaseux.

A son tour, Nolan prit son verre et après avoir fait le test de plonger la pulpe de son doigt dans le liquide et de le poser ensuite contre sa gencive, il décida d’absorber le breuvage, mais plutôt que de le boire cul-sec, il préféra en avaler une longue gorgée. Aussitôt, ce dernier ressentit une sensation de picotement dans sa gorge et une violente chaleur envahir son corps, éveillant ses sens.

¤ Dégustation pirate II¤

Les deux inconnus étaient finalement arrivés dans un endroit un peu plus accueillant et c’étaient assis sur une banquette où ils allaient tous les deux pouvoirs discuter plus calmement. L’elfe conseilla d’ailleurs au jeune homme de retirer son capuchon. On se cachait pour venir ici, mais une fois à l’intérieur on ne se cachait plus. Cela attirait bien plus l’attention, éveillant la curiosité, mais aussi la méfiance. Le jeune magicien craignait peut-être de se faire reconnaitre, ou du montrer son visage. En effet, il serait dommage que ce nobliau échapper des jupes de sa mère ne se fasse reconnaitre et qu’un individu mal intentionné n’utiliser ce savoir pour le capturer ou alors dévoiler les informations à son père ou faire chanter ce dernier en disant à tous que son fiston fréquente des endroits peu recommandable. Cela lui pourrait valoir l’humiliation auprès de la cours et certaines de ces hyènes n’hésiteraient pas à sauter sur cette occasion. Les hautes sphères sont très semblables aux basses sphères. Les gens n’hésitent pas à se marcher dessus pour avancer. Aussi l’elfe pouvait comprendre qu’il serait préjudiciable au magicien de se faire voir. Cependant, il est plus facile de dissimuler quelque chose en plein jour plutôt que dans l’ombre. L’inconnu sembla décider de suivre son conseil et vint retirer sa capuche. Nathaniel eut un léger sourire et en profita pour mirer la frimousse de celui qu’il avait surnommé Itahalya. Il ne fit cependant aucune remarque, ne reconnaissant pas le jeune homme.

« Allons, tu m’accuserais de te mentir ? Je n’oserais jamais. »

Le gredin sourit, révélant ses dents ciselées. Bien sûr qu’il lui mentait, il semblait même l’avouer et s’en moquer. Cependant relever ce fait n’était peut-être pas une bonne idée. Il l’avait mené ici pour s’amuser, inutile donc de commencer à lancer des accusations.

« Oh, dans ce cas nous ferions mieux de profiter au maximum de la présence de l’autre avant que l’aube ne se lève. »

La serveuse vint prendre les commandes puis revint ensuite avec ces dernières. L’elfe observa l’humain qui regardait son manège avec la jeune femme. Cela ne sembla pas entrainer de réaction particulière chez le jeune homme. Mh, intéressant. Cela laissait-il donc présager qu’il avait d’autres goûts ? D’autres penchants ? D’autres fruits interdits auxquels il aimait goûter ?

« Je t’envie d’avoir fait tous ces voyages à travers les océans et de connaitre tellement de choses insolites sur les créatures qui habitent cet archipel. Ta vie semble à la fois si dangereuse…et si excitante. J’aimerais pouvoir un jour voir de mes propres yeux toutes ces choses et vivre des choses aussi exaltantes. »

L’elfe posa son verre après avoir fini de boire cul-sec ce dernier. Puis saisissant une cuillère il vint planter celle-ci dans la verrine.

« C’est l’avantage de la liberté. Tu devrais en profiter jusqu’à ce que l’aube se lève pour y goûter pleinement. Ce soir le mage nobliau a disparu, il s’est évanoui, il est anonyme. Car aux premières lueurs du soleil il reviendra. »

Nathaniel porta la cuillerée de pieuvre énergie à sa bouche, l’avalant, tout en observant Itahalya porter à son tour le breuvage d’Athgalan à ses lèvres. Le pirate n’en manqua pas un seul instant et observa le teint du visage de ce dernier légèrement virer au rouge sous la chaleur qui l’envahit.

« Félicitations, tu t’en sors mieux que certains, tu n’as pas rendu tripes et boyaux après que la liqueur est touchée tes lèvres. Cela confirme que tu as du caractère. Maintenant, prends une bouchée de la vérine et laisse les saveurs se mélanger dans ta bouche. »

Le pirate attendu que le jeune homme enfourne une cuillerée dans sa bouche avant d’ajouter, comme un fait exprès.

« On dit même que la pieuvre énergie a un effet aphrodisiaque. Cela t’aidera peut-être avec la jeune serveuse qui t’a laissé de marbre. Maintenant que tu as cessé de dissimuler ta jolie frimousse, tu devrais avoir toutes tes chances. »

L’elfe saisit à nouveau sa flasque et remit un fond de liqueur d’Athgalan dans son verre, mais aussi celui d’Itahalya.

« À moins que tu préfères un autre type de fruit défendu. »

Le pirate lui fit un clin d’œil et prit son verre pour avaler une nouvelle gorgée.

La douce chaleur qui régnait dans la salle et l’aspect agréable de l’endroit faisait presque oublier que cette taverne secrète se trouvait dissimulée au sein d’un des quartiers les plus malfamés de Sélénia. Cependant, il émanait de ce lieu une atmosphère sulfureuse qui se révélait étrangement excitante pour l’adolescent, habitué à évoluer dans les alcôves feutrés du palais. En suivant Waldo jusqu’à cet antre de perdition, le jeune empereur avait l’impression de découvrir la face cachée de l’astre lunaire et ses secrets inavoués.

Ses lippes s’ourlèrent d’un sourire lorsqu’il repensa au surnom « Itahalya » que lui avait donné le navigateur et qui signifiait « celui qui se cache de la lumière ». Un nom qui sonnait à la perfection pour ce dirigeant qui depuis l’enfance vivait auréolé de mille feux et sur lequel le monde de l’ombre exerçait une étrange fascination.

A bien y songer, il était ironique qu’un parfait étranger soit parvenu si facilement à percer certains mystères de son être et à deviner son petit manège alors que maintes individus, qui le côtoyaient depuis des années, ignoraient tout de ses pensées et de ses escapades.
L’adolescent retira lentement le capuchon écarlate qui masquait ses traits, tentant de se donner l’apparence la plus décontractée et assurée possible, en dépit du fait qu’il n’en menait pas large. Que se passerait-il si quelqu’un le reconnaissait ?

Le cœur battant, Nolan scruta le visage et le regard de son vis-à-vis à l’affût de la moindre émotion qui affleurait sur ses traits ou dans ses prunelles sombres cerclées de noir. Mais Waldo demeurait impassible, ne manifestant aucune surprise ou émoi particulier. Même les autres occupants de la salle ne semblaient pas lui prêter attention, se contentant de lui lancer un regard distrait avant de se replonger dans leur conversation ou leur boisson. Pour un peu le souverain sélénien en aurait été vexé ! Lui qui d’ordinaire était habitué à être le centre de toutes les attentions.

Mais visiblement, affublé d’une perruque de cheveux fuligineux et vêtu d’habits grossiers, le jeune monarque devenait méconnaissable et pouvait être confondu avec n’importe quel homme du peuple. Pour la majorité des gens, l’habit faisait le moine et Nolan avait surestimé les capacités d’observation de ses concitoyens ou peut-être était-il présomptueux de croire qu’on l’identifierait d’un seul coup d’œil. Peut-être devrait-il s’enhardir lors de sa prochaine escapade hors du palais à retirer sa perruque noirâtre et les badauds lui trouveraient, tout au plus, une vague ressemblance avec le monarque de Sélénia. Toutefois, dans la situation présente, cette indifférence ordinaire arrangeait ses affaires.

La vue du minois d’Itahalya et ses paroles arrachèrent au navigateur un sourire carnassier, dévoilant une rangée de dents acérées dignes d’un prédateur des mers, qui donnait à son visage une expression étrange, à la fois charmeuse et effrayante.

« Allons, tu m’accuserais de te mentir ? Je n’oserais jamais. »

Cette répartie manqua de faire pouffer de rire le jeune empereur. Waldo le croyait-il né de la dernière pluie ? A son tour, il afficha un large sourire qui dévoilait ses dents blanches et lui répondit d’un ton faussement ingénu.

- Tu as raison, je dois faire erreur. Un gentilhomme tel que toi n’oserait jamais mentir et ne peut connaitre des lieux aussi infâmes que ceux du dernier niveau. Tu es bien trop sage pour ça.

Si Waldo voulait jouer à ce jeu des faux-semblants alors ils allaient être deux et cela ne rendrait leur conversation que plus délectable. Et puis ne faisaient-ils pas que jouer l’un avec l’autre depuis le début de leur rencontre ? Quant au fait de profiter un maximum de leur présence mutuelle avant que ne pointent les premières lueurs de l’aube, Nolan avait sa petite idée sur la question.

- Nous avons toute la nuit devant nous donc tâchons d’en faire bonne usage, mais reste à savoir si le moment partagé ensemble laissera un souvenir impérissable ou sera de ceux qu’on préfère oublier, susurra-t-il d’un ton énigmatique.

Une fois que cette courte nuit serait terminée, ces deux étrangers, réunis par un curieux caprice du destin, retourneraient à leurs existences respectives et il était peu probable que le souverain sélénien entende reparler de ce « Waldo » ou peu importe son nom, car celui-ci ne doutait pas un seul instant que son interlocuteur, à son instar, avait tout intérêt à cacher sa véritable identité.

- Pourquoi tes amis te surnomment Waldo ?  Est-ce que ce surnom revêt une signification particulière ? demanda-t-il soudain mu par la curiosité avant d’ajouter d’un ton goguenard. Et quel surnom te donne tes ennemis ? Il parait que ce ne sont pas nos amis qui nous connaissent le mieux mais nos ennemis.

Après avoir avalé la liqueur cul-sec, l’elfe ténébreux reposa son verre sur la table et planta une cuillère dans la verrine afin de goûter la pieuvre énergie.

Les paroles de ce dernier au sujet de la liberté et du moment fatidique, où chacun devrait rendosser son rôle, firent naitre une pointe de tristesse dans le cœur de Nolan et ses pensées se tournèrent vers le palais où sa « doublure » attendait son retour. Pour profiter pleinement des festivités de la grande foire de Sélénia et que son escapade passe inaperçue, l’adolescent avait fait appel à l’une de ses lames écarlates dont l’esprit-lié était un serpent de niveau 3. Ce dernier avait la possibilité de prendre temporairement son apparence, mais un tel subterfuge ne pouvait pas duper son entourage trop longtemps.

A son tour, le couronné absorba le savoureux nectar d’Athgalan et sentit un picotement lui chatouiller la gorge avant qu’un feu intérieur ne s’écoule dans ses veines. Ses joues virèrent au rouge et une sensation grisante s’empara de lui.

Après cela, l’elfe à la chevelure d’écume l’invita à prendre une bouchée de pieuvre énergie et attendit qu’Itahalya eut terminé de l’enfourner pour l’informer de ses vertus aphrodisiaques. Le gamin continua à mâcher, faisant semblant de rien, mais béni intérieurement la rougeur qui colorait son visage et dissimulait son léger trouble.

Puis avec désinvolture et d’un air crâneur, celui-répondit :

- A mon âge, je n’ai pas besoin de tels artifices. Je préfère laisser ce genre d’aliments propres à favoriser l’éveil des sens à ceux qui sont plusieurs fois centenaires, arborent des cheveux blancs et peuvent rencontrer des difficultés à satisfaire une femme…ou un homme.

Les paroles de l’adolescent, pleines de sous-entendus, comportait une pique lancée à son interlocuteur qui affichait un âge vénérable pour un elfe et possédait des cheveux d’un blanc laiteux.

Pendant que le navigateur remplissait à nouveau son verre de liqueur et celui de son vis-à-vis par la même occasion, Nolan le mirait avec intensité et dit d’un ton mi- amusé, mi- enjôleur :

- Cette fille est d’une grande beauté, c’est indéniable mais elle ne m’intéresse pas. Des femmes comme elle je pourrais en avoir des dizaines, mais je voudrais découvrir…quelque chose de différent et vivre des expériences exaltantes avant de rencontrer celle avec qui je partagerai ma vie et qui me fera de beaux enfants. Quant à goûter un autre fruit, on peut aimer la saveur fruitée de l'abricot mais vouloir déguster des bananes à l'occasion et rien n'est plus succulent que le goût de l'interdit.

¤ Salade de fruit ¤

En ce jour … en cette nuit … en cette heure … en cet instant, la vérité unique n’avait pas d’importance. Le jeu de faux-semblant avait pris le pas pour les deux jeunes hommes et tout ce qui comptait était la véracité dans laquelle ils décidaient de croire en cet instant. Nathaniel décidait de croire que l’inconnu face à lui était un jeune homme issu de la noblesse ayant décidé de se mêler au peuple et se faisant pour un simple magicien. Cela lui suffisait pour profiter de cet instant. Il n’était pas ici en tant que capitaine des gredins de la confrérie, mais simplement en tant que Waldo, le simple Waldo. L’être face à lui n’était pas dupe et avait bien compris le petit jeu de l’elfe et décida de s’y plonger également. Après tout, l’humain n’était-il pas sorti de sa noblesse, se mélangeant à la crasse du bas peuple pour s’évader et devenir quelqu’un d’autre ?

« Mh, avec moi le souvenir est toujours impérissable. »

Le pirate dit cela avec un petit sourire provocateur alors qu’il faisait tourner sa cuillère entre ses doigts. La question du prince à la perruque tomba. Pourquoi Waldo ? En voilà une bonne question.

« Quand j’étais petit, je jouais très souvent à cache-cache avec la garde. Et comme on ne me trouvait jamais, on a fini par me surnommer Waldo. Depuis ce nom est resté et je l’ai repris. Mes amis m’appellent ainsi que c’est par celui-ci que je leur demande de m’appeler. Hormis cela, il ne signifie rien. »

Un petit ricanement s’échappa ensuite de la bouche de l’elfe à la chevelure d’écume.

« Des ennemis ? Voyons, un humble navigateur comme moi n’a pas d’ennemi. Cependant, il est possible, peut-être, que quelques confrères jaloux de mes prouesses me surnomment le forban forbe. Tout ça parce que je suis plus habile qu’eux à la barre. »

Une histoire inventée de toutes pièces bien entendu, cependant le surnom était réel. Trop peu de monde le surnommait ainsi, il ne prenait donc aucun risque. Toutefois, l’elfe ne put s’empêcher d’appuyer ses mots lorsqu’il mentionna le fait d’être habile dans le maniement de la barre. Encore une phrase dont l’interprétation serait laissée à la liberté de son interlocuteur. Le gredin pointa le bout de sa cuillère en direction du brun.

« Mais ne parlons pas d’ennemi. Il n’y en a pas aujourd’hui, près de nous, alors profitons-en. Et puis, tant que je suis là, tu ne crains rien. Je n’ai pas l’intention qu’on nous interrompe avant la fin de cette nuit. »

Nathaniel observa Nolan porter à nouveau à ses lèvres le breuvage contenant la liqueur de la perfide ville et vit son teint rougir.  À nouveau il servit un fond dans le verre de l’inconnu après avoir rempli le sien avant de prendre une expression faussement choquée et sur jouer.

« Hey, je ne suis pas si vieux que ça. Et mes cheveux ont toujours été blancs d’aussi loin que je me souvienne. Cependant, il est inutile de t’inquiéter. Je n’ai pas la moindre difficulté à satisfaire mes partenaires, je donne toujours plus qu’on ne peut recevoir. Et puis, les elfes ont bien moins de soucis à ce niveau-là que les humains. »

Jouant une nouvelle fois avec sa cuillère après avoir pris une bouchée de la pieuvre le gredin poursuivit.

« Tu aurais tort de penser que ce mal ne touche que les vieilles personnes. On le trouve fréquemment chez les jeunes gens. L’excitation est bien vite rattrapée par le manque d’expérience qui les fige alors … la gêne … le stress. »

Nathaniel pointa sa cuillère vers le bas pour imager ses paroles.

« Mais les jeunes gens dans ton genre sont frappés par un autre problème qu’il ne faut pas non plus que tu négliges. »

L’elfe sombre se pencha un peu en avant en murmurant.

« La trop grande excitation et le goût de l’inconnu vous font finir trop vite. »

Le pirate revint dans le fond de son siège. Portant à nouveau le verre à ses lèvres.

« La modestie ne t’étouffe pas, tu fais le brave, mais je suis sûr que le moment venu, tu n’aurais pas su où poser tes mains. »

Le gredin lui tira la langue, taquin et provocateur.

« C’est bien une mentalité de nobliaux. À force d’avoir tout ce qu’ils veulent, ils ne savent plus comment profiter des petits plaisirs de la vie. Toutefois je ne te jetterais pas la pierre. Bien au contraire. Face à un tas de richesse, on va d’abord séparer les gemmes de valeurs des pièces d’or. »

Buvant une petite gorgée l’elfe reprit.

« La femme de son cœur qui te fera de beaux enfants. C’est avec ces histoires que l’on a bercé ton enfance, je suppose. C’est un mode de vie, mais un mode de vie bien déprimant. Pour ceux qui aspirent à la liberté, c’est comme se mettre un boulet au pied. »

Le regard perçant du pirate se posa sur les yeux du prince.

« Une famille, c’est une lumière dont il est difficile de s’échapper, Itahalya. Mais libre à toi de mener ta vie comme tu l’entends. Sois simplement sûr de la mener, sans regret. »

Le ton sérieux du forban s’évapora en même temps que revint son air charmeur.

« Mais tu es jeune, tu as bien raison d’en profiter pour gouter tous les fruits. Et donc, si l’abricot que l’on vient de voir passer ne réveil pas ton appétit, il y a-t-il une banane qui l’éveil dans cette salle ? Tu as beaucoup de choix. »

Le gredin tourna les yeux faisant mine de regarder parmi l’assistance.

Visiblement, le sous-entendu que recélait la phrase de Nolan n’avait guère échappé au prétendu navigateur, car il était évident que le jeune empereur ne garderait cette nuit en mémoire que si son interlocuteur savait se montrer digne de ses espérances.

- Et bien, j’aimerais pouvoir en faire l’expérience par moi-même avant d’en juger.

Waldo faisait-il preuve de vantardise ou s’agissait-il d’une réalité avérée ? Pour l’heure, Nolan ne pouvait guère se prononcer à ce sujet car il n’avait pas encore vu ce beau parleur à l’œuvre. A ce stade, rien ne prouvait qu’il soit aussi habile de ses gestes qu’avec sa langue.
L’elfe aux cheveux cendreux afficha un petit sourire narquois, faisant tourner la petite cuillère entre ses doigts, avant de répondre à la question du monarque concernant son surnom Waldo.

Ce dernier narra un court récit de cache-cache avec la garde dont il était difficile de savoir s’il s’agissait de la vérité ou d’une pure invention. Pourtant, en l’écoutant le couronné ne pût s’empêcher d’éclater de rire, en raison des similitudes de cette histoire avec sa propre enfance. Le petit prince héritier avait pour habitude de fausser compagnie aux gardes ou de faire tourner en bourrique les domestiques du palais d’Aldaria. Cette époque lui à la fois si proche et si lointaine.

- Tu étais si jeune et déjà un fripon ? Tu devais certainement déjà avoir les mains aussi baladeuses et chapardeuses que la langue bien pendue, dit-il en fixant son interlocuteur.

Après avoir émis un petit ricanement, Waldo lui donna la raison d’un autre de ses surnoms, le Forban Fourbe, donné par ses ennemis et vanta certains de ses talents, notamment son habileté dans le maniement de la barre. Là encore, celui-ci ponctua son propos d’un sous-entendu qui n’échappa pas à l’adolescent. Ce dernier afficha un léger sourire et répondit du même ton plein d’allusions :

- Je suppose qu’un navigateur aguerri tel que toi, habitué à séjourner longtemps en mer, est capable de tenir la barre des heures durant sans faiblir.
Puis, le mystérieux navigateur décida de changer de sujet, laissant de côté tout ce qui se rapportait à d’éventuels ennemis pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir cette longue nuit qui les attendait. Et l’elfe, à qui le début d’ébriété de son vis-à-vis n’avait guère échappé, s’empressa de remplir le verre de ce dernier de la pétillante liqueur d’Athgalan.

Après cela, son visage arbora une expression faussement courroucée qui fit éclater de rire Nolan.

- Que de coquetterie l’ami ! D’ordinaire ce sont les femmes qui font tant de manière quant à leur âge et ne semblent heureuses que quand elles ont l’air d’avoir la moitié de l’âge de leur fille. Et en ce qui concerne la satisfaction d’éventuels partenaires, j’ai entendu dire que c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes.

Le souverain de Sélénia réfléchit à la suite des paroles de Waldo avant de répondre d’un ton moqueur :

- Ce que tu dis concernant certains excès de la jeunesse n’est pas totalement faux, mais mieux vaut y voir un hommage à l’attrait physique du partenaire, ce qui est mieux que de laisser de marbre.

Puis, il se pencha à son tour et murmura :

- Et si c’est fini trop vite, rien n’empêche de recommencer peu après ? Les jeunes sont insatiables et ont faim et soif de plaisir et de découvertes.
L’adolescent afficha une moue boudeuse lorsque Waldo railla son orgueil et se montra dubitatif quant à ses prouesses avec une femme. Toutefois, l’elfe n’avait pas tort quant au fait que la profusion de richesses ou de femmes émoussait le désir et amenait à séparer le bon grain de l’ivraie.

Après avoir avalé une gorgée de cette précieuse liqueur, le navigateur darda son regard sur son interlocuteur et le fixa avec acuité avant de lui livrer le fond de sa pensée.

- Certes, depuis mon plus jeune âge mon entourage ne cesse de me répéter que je ne m’appartiens pas et que mon rôle consiste à me marier et à avoir des héritiers. Mais comme tu l’as souligné, je suis encore jeune et j’ai la possibilité de m’amuser un peu. Puis personne n’en saura rien, ça sera notre petit secret, termina-t-il en parlant à voix basse de manière à n’être audible que par le forban.

Ensuite continuant la discussion et pour mieux appuyer ses propos, Waldo parcourut du regard l’assistance, de manière à montrer au couronné la profusion de « fruits » appétissants que contenait la salle.

Nolan observa son petit manège et à son tour il jeta un regard circulaire aux occupants du lieu, détaillant chacun d’entre eux. Puis ses prunelles mordorées se rivèrent sur l’elfe et ses lèvres affichèrent un sourire charmeur et énigmatique :

- Hum, j’ai fait mon choix. Mais c’est un peu gênant de te dévoiler ici l’heureux élu sur qui j’ai jeté mon dévolu. Je préfère que nous allions dans une pièce où nous pourrons continuer cette conversation…en toute intimité.

¤ En tout intimité ¤

« Je suppose que c’est ce qui se passe quand un elfe grandit au milieu des humains. Il s’imprègne des pires défauts de cette race comme une éponge s’imprègne du vomissement des piliers de bar. »

L’elfe à la chevelure d’écume parla d’un air amusé tout en finissant par tirer une langue taquine à son interlocuteur, qu’il s’empressa de cacher en revenant porter un bout de vérine à ses lèvres.

« Oh oui, malheureusement cela signifie avoir les mains quelque peu calleuses. Mais rassures-toi, elles sont bien plus expertes que celles toutes douces des poupées de porcelaine que l’on trouve dans la noblesse. »

C’est toujours avec la même répartie que le jeune mage rétorqua au navigateur, faisant sourire ce dernier. Oh qu’il était bien présomptueux ce jeune homme-là. Le forban ne pouvait qu’espérer que l’insatiabilité de l’inconnu soit aussi vraie que l’est la soif d’or d’un pirate. Sans quoi il ne tiendrait jamais le rythme du gredin. La moue boudeuse de l’humain indiqua qu’il avait probablement visé juste en raillant l’absence de prouesse de son ami en ce qui concerne le maniement d’une femme au lit. Qui sait, peut-être aurait-il l’occasion de lui donner un cours particulier.

« Et bien dans ce cas, mari-toi, fait pondre un héritier à une femme, puis fou le camp par la fenêtre. Tu auras rempli ton rôle. Tu auras rempli ta mission aux yeux de ceux qui entravent ta liberté avec des chaines d’or, ils n’auront donc pas de raison de continuer à t’ennuyer. Ils seront bien trop focalisés sur le cadeau que tu leur auras donné. »

Un large sourire taquin éclaira le visage de Nathaniel. Les petits secrets, il adorait les petits secrets. Particulièrement le paiement qu’il pourrait obtenir afin de taire sa langue et il espérait en obtenir un très bon ce soir avec ce jeune homme pour garder ses lèvres muettes. Le capitaine de la confrérie poursuivit et se tourna vers la salle pour laisser le libre choix au jeune nobliau de choisir avec qui il pourrait bien s’amuser ce soir. Alors que l’humain à la perruque regardait l’assemblée, le regard de celui-ci finit par venir se poser sur l’elfe à la peau sombre. Le sourire sur les lèvres de ce premier indiqua au dernier qu’il avait fait son choix.

« Hum, j’ai fait mon choix. Mais c’est un peu gênant de te dévoiler ici l’heureux élu sur qui j’ai jeté mon dévolu. Je préfère que nous allions dans une pièce où nous pourrons continuer cette conversation…en toute intimité. »

Le regard malicieux du pirate glissa du jeune mage vers l’une des servantes du lieu.

« Je vois, c’est une affaire qui nécessite une profonde discrétion … Hey ma belle ! »

L’elfe se redressa alors que la jeune femme s’approchait. Posant une main sur les hanches de celle-ci, il vint glisser son autre main à l’intérieur de sa bourse pour y saisir d’une pièce d’or qu’il vint glisser entre les seins de l’hôtesse.

« C’est pour les consommations. On aussi pour une pièce à l’écart que l’on va te prendre. »

La serveuse opina légèrement du chef et indiqua une direction en sortant une petite clé qu’elle donna à Nathaniel. Libérant la demoiselle et la laissant filer, le navigateur se tourna vers le mage en faisant tourner la clé.

« Suis-moi, on devrait avoir une salle pour être en toute intimité. »

Le gredin tendit une main au nobliau avant de commencer à s’éloigner dans la direction indiquée par la femme jeune. Il passa une porte, s’assurant que son partenaire le suivait bien. Arrivant tous deux dans un petit couloir, l’elfe glissa la clé dans la serrure d’une porte sur laquelle se trouvait le numéro quatre, avant de refermer et verrouiller la porte derrière lui une fois que tous deux l’eurent passé.

L’endroit était une sorte de coin privé, un petit salon aussi bien réservé à la discussion privé pour affaire que pour … des danses privées dirons-nous. Dans un coin il y avait une sorte de petit meuble contenant des verres et diverses boissons. Dans l’autre coin il y avait une table basse solide et autour, à même le sol, de somptueux tapis et multiples coussins. Une douce lumière baignait l’endroit, ainsi qu’une odeur de parfum.

Waldo se retourna en direction d’Itahalya et s’approcha doucement, jusqu’à être tout proche face à lui. L’elfe plus grand que l’humain de trente bons centimètres se pencha légèrement en avant.

« Est-ce assez intime pour toi ? Le risque qu’on entende la suite de notre conversation est-il suffisamment bas pour toi ? … Du moins tant qu’on ne parle pas trop fort. »

En entendant les paroles de l’elfe concernant le rôle néfaste qu’avait joué un environnement humain sur la formation de sa personnalité, un sourire cynique s’afficha sur les lèvres du gamin :

- Crois-tu sincèrement que les elfes soient exempts de défauts malgré leur apparence enchanteresse et leur prétendue sagesse ? Peut-être que le fait de grandir parmi les Hommes n’a fait que révéler la noirceur qui sommeillait en toi ? Car il existe certainement des Elfes sombres et aux mœurs douteuses. Mais en tout cas, j’admire ton sens de la poésie, c’est si joliment dit.

Bien entendu, la dernière phrase était empreinte d’ironie car son interlocuteur ne mâchait pas ses mots et certains termes employés pouvaient sembler crûs pour un jeune noble tel que Nolan, même s’il en fallait plus pour l’émouvoir.

- Mais dis-moi, grandir parmi les humains quand on est un elfe représente quelque chose d’inhabituel. Tu dois posséder un étrange passé…termina-t-il en fixant le prétendu navigateur droit dans les yeux.

Toutefois, le jeune empereur n’escomptait guère que l’elfe à la chevelure lactescente lui révèle quoique ce soit d’intime à son sujet et si tel était le cas, il s’agirait sans nul doute d’une fable tout droit sortie de son imagination ou d’une partie de la vérité, mais si travestie qu’elle s’apparenterait à un mensonge.

Lors de leur début de discussion, Nolan avait acquis une certitude. Ce n’était pas ce soir qu’il découvrirait l’identité de celui qui se cachait derrière le surnom de « Waldo ». Pas plus que ce dernier n’apprendrait la vérité à propos d’Ithalya. Et surtout à quoi bon ?

L’individu qui lui faisait face était une créature de l’ombre, habituée à évoluer dans la fange et la noirceur. Leurs deux univers opposés ne faisaient que se croiser brièvement, sans avoir la possibilité de se rapprocher ou de fusionner. Un fossé les séparait à jamais et peut-être était-ce mieux ainsi. Pourquoi chercher à rompre l’ordre des choses ?

Il allait se marier et donner un héritier à son Royaume afin de perpétuer sa lignée, comme le voulait la tradition et la conformité aux souhaits de ses ancêtres. Quant à ce navigateur, une fois cette nuit achevée, celui-ci retournerait entre les cuisses de ribaudes et continuerait d’engendrer une myriade de bâtards, comme il le faisait depuis sa puberté. Cet ordre était le garant d’un certain équilibre. Mais cet inconnu qui critiquait son mode de vie se croyait-il réellement plus libre que lui ou était-il également prisonnier d’un déterminisme qui agissait à son insu ?

L’elfe tira ensuite une langue taquine et cette attitude manqua de faire pouffer de rire l’adolescent tant son vis-à-vis incarnait un étrange mélange de prédation, quand il dévoilait son sourire carnassier, et d’espièglerie qui le rend presque…attachant.

- Je vois. Tu n’es pas le genre d’individu qui rechigne à te salir les mains mais tes services n’ont rien à envier aux plus habiles catins ou aux plus voluptueuses courtisanes de Sélénia.

Le souverain posa son menton sur ses deux mains jointes et l’observa avec attention :

- Mais tu n’ignores pas que ces filles ont un prix. Quel est le tien et quelle monnaie devrais-je débourser pour profiter de tes talents ?
Au fond, à quoi bon jouer les dupes et s’encombrer de formules édulcorées qui dissimulaient la sordide réalité. Même joliment décoré, un tas de fumier restait un tas de fumier. Pourquoi chercher à le nier ? Celui qui lui faisait face ne ressemblait pas à l’amant de l’océan, mais à la prostituée des marées.

- Oui, ils sont impatients que je leur montre un héritier légitime avant que ne naisse le bâtard d’une gueuse. Mais avec toi, je n’ai pas à craindre ce genre de désagrément. Tu représentes un puits de plaisir et de stupre dans lequel on peut plonger sans devoir en subir les conséquences, du moins pas celles se retrouver encombré d’un marmot non désiré.

Cet elfe représentait le choix parfait pour qui désirait s’amuser et le monarque pouvait fourbir ses armes sur lui. Ce soir, l’adolescent se sentait d’humeur joueuse et l’alcool de la perfide faisait s’écouler dans ses veines une douce chaleur et croître à l’intérieur de ses entrailles un feu semblable à l’ardeur du désir.

A la demande de son vis-vis, le couronné scruta les membres présents au sein de cette vaste salle et ses mires couleur d’ambre se posèrent sur chacun des visages, avant de s’arrêter devant celui de l’elfe ténébreux.

En voyant que le jeune homme avait fait son choix et désirait discuter en toute intimité, une lueur d’espièglerie s’alluma dans le regard de Waldo et celui-ci héla une jeune servante afin de payer les consommations et de se faire indiquer un lieu approprié à la poursuite de leur entrevue.

La jeune fille opina du chef et donna une petite clé à l’elfe. De toute évidence, cette taverne secrète faisait aussi office de lieu de luxure pour ceux qui, après la dégustation, désiraient s’adonner au plaisir charnel.

Nolan suivit l’elfe à la chevelure d’écume, à la fois amusé et excité par la tournure que prenait les événements. Et celui-ci avait déjà une idée derrière la tête, restait à savoir si elle plairait à Waldo. Tous deux suivirent la direction indiquée par la servante et pénétrèrent dans un couloir qui les mena jusqu’à une porte sur laquelle se trouvait affiché le numéro 4.

Le jeune empereur avait voulu voir à quoi ressemblait un antre de folieuses et de truands, et bien il allait être servi. Sans compter que ce prétendu navigateur représentait une chance de se faire une expérience intéressante.

Une fois qu’ils entrèrent dans la pièce, l’elfe s’empressa de verrouiller la porte à clé. Et l’adolescent s’en amusa. Son comparse craignait-il à ce point de voir sa proie lui échapper ?

Toutefois, le pire prédateur n’était pas toujours celui qu’on croyait. Nolan parcourut des yeux l’endroit où ils se trouvaient et qui ressemblait à un petit salon, qui servait certainement à d’autres choses qu’à discuter ou à jouer au scrabble toute la nuit. Quoique ?

Malgré son aspect cossu, cette pièce était loin d’égaler la magnificence luxueuse des salons du palais de Sélénia. Cependant, ce lieu s’avérait suffisamment confortable pour ce qu’ils avaient à faire.

Le regard du couronné s’arrêta sur le somptueux tapis, orné de motifs orientaux, et sur lequel était déposé des coussins moelleux. Le gamin aperçut également un petit meuble rempli de verres et de boissons. Après tout, le plaisir était plus intense lorsque la griserie de l’alcool avait fait tomber toutes les inhibitions.

La lumière tamisée qui éclairait l’endroit lui conférait une atmosphère propice aux rapprochements charnels. Un mystérieux parfum imprégnait l’air, semblable à la flagrance sulfureuse du désir.

Le jeune monarque songea qu’il serait amusant d’utiliser son esprit-lié du Coq pour ordonner à Waldo de se dévêtir et de s’allonger sur le tapis afin d’éprouver le plaisir d’ordonner et d’être obéi. Mais l’adolescent avait une autre idée encore plus délectable.

Soudain, l’elfe aux cheveux d’écume se retourna et se pencha lentement vers le jeune empereur. Ce dernier pouvait sentir son souffle aviné sur son visage quand il lui demanda si ce lieu comportait suffisamment d’intimité pour leur « discussion ».

Les prunelles de l’adolescent s’étrécirent et ses lèvres esquissèrent un sourire quand celui-ci chuchota d’un ton enjôleur :

- Penche-toi encore et je te le dirai.

Et lorsque l’elfe fut à la bonne hauteur, le souverain Sélénien l’attrapa par la nuque et l’embrassa fougueusement, goûtant la saveur de ses lèvres encore imprégnées de liqueur d’Athgalan.

Puis, il recula lentement et l’observa afin de jauger sa réaction, avant d’ajouter d’un air mi- taquin, mi- aguicheur.

- Je n’ai pas très envie de parler, je préfère que nous dansions.

Le couronné se rapprocha doucement de Waldo et posa ses mains sur son torse avant de les glisser sous sa chemise. L’elfe aux cheveux laiteux possédait une musculature imposante, qui différait complètement de la silhouette racée de la plupart des membres du beau peuple. Le jeune noble pouvait sentir sous ses caresses la peau imberbe et recouverte de cicatrices du navigateur.

Rapidement, le jeune empereur s’enhardit et laissa ses mains descendre le long de son ventre afin d’éveiller son désir.
Après cela, le gamin recula et ses lippes affichèrent un sourire énigmatique. Waldo ne savait pas encore le vilain tour qui l’attendait mais Nolan s’en réjouissait d’avance.

Tout d’un coup, et sans crier garde, le jeune Kohan exécuta le geste clé d’un sortilège destiné à paralyser celui qui avait eu l’outrecuidance de croire qu’il pouvait devenir son amant.


Et tout ce qui venait de se passer n’était rien de plus qu’un simulacre destiné à éveiller les sens de son vis-à-vis et de lui faire miroiter quelque chose qu’il n’obtiendrait sans doute jamais. Tout comme un prisonnier, habité par une faim dévorante, qui vivrait entouré des fruits les plus délicieux et les verraient toujours rester hors de sa portée.

Peut-être, y avait-il chez cet adolescent un curieux mélange d’innocence et de fourberie destinée à duper l’autre.
Le blond se rapprocha de l’elfe paralysé par le sortilège et lui susurra à l’oreille d’un ton faussement ingénu :

- Désolé ma jolie, nous n’avions qu’une nuit devant nous et j’ai omis de te dire qu’un beau jeune homme, aussi respectable que moi, ne couche jamais le premier soir. Mais tu pourras te consoler en gardant le souvenir de mes mains douces contre ton corps et quand tu te caresseras en pensant à moi.

Puis le souverain de Sélénia s’empressa de récupérer la clé sur Waldo, toujours immobilisé, et de quitter la pièce en la verrouillant pour y enfermer son soupirant. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à regagner son palais avant le lever du soleil et d’y demeuré enfermé jusqu’à sa prochaine escapade.

¤ Me tromper une fois, honte à vous ¤

Nathaniel, bien qu’il ne portait pas d’amour particulier envers sa race, sublima naturellement cette dernière, comme quoi l’influence des hommes l’avait rendu, lui un elfe, plus que douteux. Mais c’était un mensonge, un de plus. Le mal sévit dans le cœur et l’esprit de chacun, elfes y compris. Simplement, certaines personnes sont plus enclines à y céder que d’autres. Et enfin, certains environnements prêtent à y céder plus que d’autres. C’est ce qui s’était passé pour Eärendil. S’il n’avait pas été enlevé, s’il n’avait pas été élevé au milieu des hommes, peut-être serait-il devenu un être parfaitement respectable.

« Je parle rarement de mon passé, mais avec un peu d’effort et en mettant du cœur à l’ouvrage, peut-être arriveras-tu à me délier la langue. »

Nathaniel n’évoquait que très rarement son passé et la plupart du temps il mentait, en enjolivaient ses histoires. Les gens n’avaient pas besoin de trop en savoir à son sujet. La seule chose qu’ils devaient savoir est qu’il est un être dangereux à qui il vaut mieux obéir plutôt que de se le mettre à dos.

Un éclat dangereux vint lui dans les prunelles du gredin qui n’appréciait que peu d’être comparé à une prostituée. C’est qu’il avait tout de même son orgueil, de plus, il n’avait jamais dû à s’abaisser à ce niveau pour gagner sa vie. À l’inverse, s’il avait été capitaine des catins au lieu de capitaine des gredins, peut-être aurait-il pris la remarque comme un compliment plutôt qu’une insulte. Le ton un peu plus dur et froid il lui rétorqua.

« Tu ferais mieux de t’estimer heureux que je ne te fasse pas payer de prix. Je doute franchement que tu sois capable de le supporter. »

Le loup savait montrer les crocs lorsqu’on le titillait un peu trop, mieux valait-il donc faire attention à ce que l’on disait.

Après quelques instants, les deux hommes se retrouvèrent seuls dans une pièce éloignée du tumulte. Enfin un peu d’intimité. L’elfe s’enquit si l’endroit était au goût de l’humain et surtout s’il correspondait au critère que ce dernier désirait. Cela sembla être le cas lorsque le jeune mage l’invita à se pencher. Le gredin ne s’en priva pas à répondit au baiser de l’inconnu, pas plus surpris que cela, venant même en profiter pour laisser glisser ses mains sur les hanches de ce dernier. Lorsque leurs lèvres se quittèrent, l’autre lui annonça qu’il préférait danser. Levant un sourcil le gredin ne tarda pas à sourire quand ce dernier glissa ses mains sous son vêtement. Oh, ce genre de danse, oui il l’appréciait beaucoup. Si Ithalya ne se privait pas, Waldo en fit de même. Glissant ses mains pour venir toucher la peau des hanches de ce dernier et glisser jusqu’au bas du dos de ce dernier, l’obligeant à rester proche de lui, menaçant à tout instant de descendre plus bas encore. Ce qu’il s’apprêta à faire alors qu’il profitait des caresses de son comparse, quand ce dernier avec la sournoiserie digne d’un pirate usa de sa magie pour immobiliser le gredin. La surprise laissa rapidement place à la rage.

Sans retenue, Nathaniel laissa éclata son esprit-lié, une aura terrifiante venant envahir la pièce avant de s’engouffrer dans le couloir, comme pour poursuivre l’inconnu qui avait décidé de prendre la fuite. Le misérable ! Intérieurement le gredin se débattait pour se libérer du sort. Il allait le chopper, lui briser les jambes et le violer avant de l’abandonner dans le caniveau. Il aurait mieux fait de le laisser périr face au vaseux ou dans la forge recouvert de métal fondu. Finissant par sa libéré après presqu’une minute, le pirate vit éclater le verrou de la porte en réunissant l’eau contenue dans les quelques boissons se trouvant à l’intérieur. L’elfe se précipita jusqu’à l’extérieur pour voir s’il pouvait rattraper se sale humain qui lui avait fait fond bon, mais rien. L’enflure était déjà loin. Grognant entre ses dents, l’elfe se jura de lui remettre la main dessus.