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13 Octobre 1762



Il y avait certains jours où il n’était pas bien certain de comprendre ce qui passait par la petite tête d’Aldaron. Quand il entra ce matin-là pour trouver un elfe inconnu dans la salle à manger, en bon protecteur et compagnon, il s’était bien sûr mit en tête de le mettre à la porte sur le champ, ne voyant pas bien ce qu’il pouvait faire-là. Le Bourgmestre avait beau être un homme accessible, il n’était pas non plus question que le premier manant du coin rentre chez lui comme dans un moulin. Il y avait un monde entre les deux. En plus, il n’était au courant de rien qui aurait pu expliquer la chose… Non définitivement, il ne pouvait pas simplement ignorer ce qui lui pendait au nez. Fort heureusement pour tout le monde, une des employées de son tendre ami eut la bonne idée d’être plus clairvoyante que les autres, et lui expliqua à temps, c’est-à-dire avant qu’il n’attrape la petite chose par la peau du cou pour lui apprendre à voler, qu’il s’agissait du fils adoptif du maître des lieux. Et là, Ivanyr en était resté foudroyé sur place. Il l’était toujours un peu d’ailleurs, alors qu’il regardait l’autre par-dessus la table du petit déjeuné en se demandant ce qu’il devait faire de tout ça. Ça étant en face de lui présentement. Pourquoi exactement est-ce que Aldaron l’avait adopté ? Il avait envie de jouer les pères ? En plus de toutes ses obligations chronophages ? Il faisait une petite crise existentielle de plus et avait besoin de pouponner pour se dire qu’il pouvait également offrir de l’amour innocent à une famille ? Il lui expédiait un message subliminal ?

Cette dernière option le glaçait légèrement. De toutes, c’était celle qu’il redoutait le plus : que Aldaron ait envie d’avoir un enfant pour leur couple. Non seulement c’était techniquement impossible, et pas seulement parce qu’ils étaient tous deux de sexe masculin, et qu’aucun n’était un hippocampe. Il était mort après tout, et même si par miracle, ils arrivaient à faire… ça… et il n’arrivait même pas à le nommer proprement, il ne savait pas à quoi… ça… pourrait bien ressembler. Et puis, est-ce que LUI voulait pouponner justement ? Pas vraiment, il avait déjà bien assez de mal à rester en place, et avoir assez de patience pour éduquer un rejeton. Un jour, peut-être… un jour lointain... très lointain. Non, décidément, si Aldaron tentait de lui faire aimer l’idée, il s’y était mal prit. Dans l’absolu, rien n’aurait vraiment marché, évidemment, mais là c’était pire que tout et ça ne ressemblait pas à l’elfe. Perturbé, fronçant les sourcils, il prit sa tasse d’eau chaude, et l’avala sans y penser, se brûlant la gorge avec une légère grimace. Bien… il l’avait sur les bras, donc, et en plus il n’était pas de garde. Que faire ? Que dire ? Est-ce que Aldaron y tenait à cette chose ? Bon, vu comme il était habillé, et soigné, sans doute que oui, donc hors de question de l’abîmer vraiment. Ou de l’envoyer dans un endroit potentiellement dangereux quoi que très drôle. La pêche ? Aller à tous les coups, lui aussi ne mangeait que de la salade évidemment, tu parles d’un régime varié. Et oui, les vampires ne buvaient que du sang, ce n’était pas la même chose.

… d’ailleurs heureusement qu’ils ne déféquaient pas, ça aurait donné des boudins noirs…

… Il fallait vraiment qu’il se repose…

«  Hm… les tartines sont bonnes ? »

C’était quoi cette chose dessus ? Avec prudence, comme s’il approchait d’un serpent venimeux, le vampire attrapa le pot de confiture pour en observer le contenu et le renifler. Sucré, beaucoup trop sucré. Un peu comme le sang d’un noble glorien gavé toute sa vie comme une grosse oie de concours. C’était censé être quoi exactement ? De la fraise ? Il reposa le pot et le reboucha, avant d’essuyer ses doigts légèrement collants. Finalement, il ne mangeait pas que de la salade non, mais ce n’était guère mieux à son humble avis. Par contre, ça lui ouvrait certaines possibilités.

«  Et… tu es arrivé quand exactement ? Tu as un nom ? »

Etait-il stupide ? Bien sûr qu’il avait un nom ! Tout le monde en donnait un à sa progéniture, les elfes plus encore que les autres tant ils étaient fiers de leurs patronymes. Avait-il donc laissé le contenu de son crâne sur la table de nuit ce matin-là ? Ou alors Aldaron en avait besoin et le lui avait emprunté sans son consentement. Il allait falloir qu’ils aient une discussion à ce sujet alors ! Il avait l’air de quoi après, hein ? D’un imbécile. Enfin, au pire, il l’étoufferait avec une tartine et clamerait que c’était un accident. Ah non, il ne pouvait pas. Ça allait être dur de s’en souvenir.

«  Tu… vas habiter ici définitivement ? »

Ne pas avoir l’air désespéré de la réponse lui coûtait tout son contrôle de soi, il n’avait pas la moindre idée de comment cette donnée allait influée sur sa relation avec Aldaron s’ils devaient vivres à trois sous le même toit. Et pas seulement pour des raisons psychologiques, mais aussi pratique… Où était sa chambre, pour qu’ils ne se soient pas croisés précédemment d’ailleurs ? D’ailleurs, n’était-il pas un sylvain venu do royaume elfique ? Allait-il se plaire à Caladon ? La ville n’avait sans doute rien à voir avec ce qu’il avait pu connaître, et s’il le vivait mal ? Finalement, égoïstement, ce serait peut-être une bonne chose, comme ça il pourrait lui montrer quelques petits lieux pour se sentir mieux.

«  Tu as déjà visité la ville ? Ou bien tu viens pour la première fois ? »

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Ces derniers jours avaient paru un peu étranges aux yeux de Valmys. Il avait l'impression d'avoir désormais des bras de dix kilomètres, mais de toujours se contenter d'attraper les objets à ses pieds. Pour exemple: ce matin-là, où il était assis, seul -Aldaron ayant eu à faire bien trop tôt pour sa santé-, à la table où trônait le petit déjeuner. Même si la table contenait bien dix fois plus que ce dont il avait l'habitude, il savait que son estomac, ainsi que vingt années d'habitudes frugales, ne lui permettraient pas de finir le pot de confiture, comme ses papilles en avaient envie. Aldaron lui avait offert des habits suffisants pour se fondre dans le décor, et convenir à son rôle, mais Valmys était certain qu'il aurait pu demander une tenue bien spécifique et onéreuse; elle lui aurait été accordée. Par chance, il avait davantage l'âme d'un architecte que d'un styliste. Par chance bis, il ne pensait pas encore à lui proposer des plans pour Caladon tout de suite.

La sensation était et demeurait, bien qu'en arrière-plan, d'autant plus qu'il ne parvenait pas à se concentrer assez dessus pour lui mettre un nom, ou songer à un moyen de s'en débarrasser. Venu dans la ville de celui qui était désormais son père, il n'avait guère envie de se regarder le nombril: regarder celui de son ami était bien plus intéressant. Lorsque les obligations les tenaient éloignés l'un de l'autre, Valmys profitait de son temps libre pour découvrir un peu cet environnement qui était celui de son aîné, comme s'il avait encore, à ses côtés, le maître qui lui avait appris à explorer et découvrir. Volontairement ou non, mieux connaître la ville, son nouveau foyer, lui permettait d'un peu mieux comprendre l'elfe qui l'avait adopté, les mille tracas que ce dernier pouvait avoir en tête. Ainsi il savait désormais que, pour son prochain anniversaire, mieux valait lui offrir de quoi le soulager d'une tâche x ou y. Bon, il ne savait pas encore comment, mais il avait un délai d'un an pour trouver, désormais.

Tout songeur, Valmys n'entendit pas le vampire s'approcher, et ne le vit que lorsque son ombre vint dans son champ de vision. Levant son regard ambré vers lui, il resta un instant médusé. Jusqu'alors il n'avait fait que l'apercevoir, de loin, sans l'aborder. De "près", il était encore plus impressionnant. Un charisme certain, et une force dont nul ne pouvait douter. Valmys se demanda sincèrement qui, après avoir vu le protecteur de son père, pouvait encore songer à lui porter atteinte. Même lui, là, tout de suite, commençait à faire la liste de ce qu'il avait potentiellement pu faire qui puisse être mal interprété. Normalement, rien... Enfin, il avait traîné un peu avec Aldaron, il lui avait offert des cadeaux... Ce n'était pas interdit, non ? Ni dangereux ? Ohlala. Le vampire le regardait. Quoique, le regardait-il, ou regardait-il son âme à travers sa peau, là ? Que devait-il faire ? Que devait-il dire ? Son père l'avait incité à la prudence, Ivanyr n'ayant visiblement pas tous ses souvenirs. Valmys n'avait pas envie de le brusquer, imaginant que le vampire devait être en train de se faire des repères. Et puis... Quand Aldaron lui avait parlé de son amant -l'inséparable qu'ils avaient vu en rêve ?-, le petit Enwr avait caressé l'espoir d'un second parent plus qu'il n'avait jugé celui qu'il avait déjà. Puis il avait eu les détails, et avait compris que s'il voulait un second père, il devait se faire adopter par ce dernier également.

Eh bien il n'était pas rendu.

Surtout que son adoption par Aldaron était un heureux jeu de circonstances et de piston. Là, il n'avait pas de Dawan pour le vendre, et pas de poney à prétendument voler. Valmys avait l'air très concentré sur sa tartine, à chercher comment s'y prendre, lorsqu'Achroma fit le premier pas. Ouch. Il avait également une sacrée voix. L'apprenti baptistrel crut sentir les fins cheveux de sa nuque se hérisser. Reposant poliment sa tartine, se tenant un peu plus droit, et osant enfin croiser son regard, il répondit avec un petit sourire:

"- O-oui... Confiture de fraise," avait-il précisé, voyant le vampire s'y intéresser, comme s'il en voyait pour la première fois. "Je suis arrivé le dix octobre au soir. Vous pouvez m'appeler Valmys."

Il avait hésité à lui demander son prénom en retour. Mais non... Il le savait déjà, et craignait qu'imposer une pseudo-curiosité au vampire le mette mal à l'aise. De même, il ne lui avait pas fait l'offense de lui rappeler son nom de famille. Sa façon d'être envers lui donnait l'impression qu'il savait déjà très bien avoir à faire au petit dernier des Leweïnra. Qu'avait pu lui dire Aldaron à son sujet ? Avait-il révélé qu'au moins il avait survécu par la musique ? Qu'ils s'étaient rencontrés autour d'un poney, sur les terres des elfes ? Valmys partit du principe qu'il saurait tout cela bien assez tôt.

"- Je ne pense pas..." Il devait retourner au Domaine de temps en temps. Il avait sa seconde "famille" là-bas, ainsi que la continuité de son apprentissage, et quelques obligations. Éventuellement, il avait beaucoup d'affection pour ses confrères et consoeurs baptistrels, et tenait à pouvoir les voir aussi régulièrement que sa famille. Néanmoins, le souvenir d'Aldaron lui intimant de "ne peut-être pas parler des baptistrels tout de suite" refit surface à temps. "J'aimerais aller régulièrement... Ailleurs." Non seulement il ne savait pas mentir, mais il ne savait même pas bien cacher les informations. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait. Un jour cela allait vraiment lui porter préjudice. "Et j'ai été habitué à voyager. J'aimerais bien voir un peu plus de cet archipel," admit-il également. De même, inutile de lui retourner la question. Il ne comptait pas le chasser d'ici -l'aurait-il seulement pu ? Il était évident pour le petit immaculé que cet être-là ne pouvaitque rester auprès d'Aldaron.

Attrapant sa propre tasse d'eau chaude, Valmys continua: "C'est mon premier voyage à Caladon. J'ai brièvement visité la ville, un tout petit peu de ses alentours. Pas assez pour que je puisse estimer bien la connaître." Il secoua doucement sa tasse, observant les mouvements de l'eau comme s'ils pouvaient lui indiquer ce qu'il devait faire maintenant. Mais à part "bloub-bloub", l'eau ne disait pas grand chose. Avec un nouveau petit sourire, un peu gêné, Valmys leva la tête vers son interlocuteur. Ils pouvaient continuer l'interrogatoire; cela ne l'ennuyait pas, et il pensait pouvoir trouver les réponses aux questions, mais ils pouvaient aussi aller droit au but, et partager un objectif potentiellement commun, si cela était le cas. "Est-ce qu'il y a quelque chose que je puis faire pour vous ?" Ou avec lui, mais il n'osait trop s'avancer, ne sachant encore si le protecteur d'Aldaron avait des passe-temps autres que l'exercice physique et la sécurité de son inséparable. Étrangement, il s'imaginait assez mal "aider" Achroma à s'entrainer. Au mieux, il pouvait servir de défouloir, mais d'un point de vue résistance, il n'apportait pas grand-chose.
Dans tous les cas, il comptait bien lui montrer qu'il n'était pas une petite créature un peu bizarre, mais un excellent bapti de compagnie, sans danger aucun, qu'Aldaron avait très bien fait de choisir !

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L’elfe n’était pas anti-vampire au moins, si ? A le voir refuser de croiser son regard, il se le demandait bien. Soit ça, soit il lui cachait quelque chose, il ne voyait que ces deux explications pour motiver un comportement comme celui-là et il ne savait pas exactement ce qu’il détestait le plus, de ces deux idées. C’était comme choisir entre la peste et le choléra, ça avait un goût de faux choix. Ne pouvait-il avoir droit à une autre option ? Ne pouvait-il pas répondre rouge si on lui demandait 1 ou 2 ? Enfin, il pouvait lui laisser le bénéfice du doute au moins, et il verrait bien assez tôt ce qu’il en était. Dans tous les cas, apprendre qu’il ne restait pas là indéfiniment été autant un soulagement qu’une déception. Eh bien oui, même s’il ne savait pas trop quoi faire de « ça » c’était une source de curiosité et il était effectivement curieux, très curieux.
Et d’ailleurs, justement, il piquait sa curiosité. Où voulait-il aller exactement ? Pourquoi avait-il l’air aussi gêné d’en parler ? est-ce qu’il allait répondre s’il posait la question ou non ? Est-ce qu’il le pouvait seulement sans avoir l’air d’être un inquisiteur ?

«   Oh très bonne idée… »

Il lui fit l’ébauche d’un sourire sincère quoi que gauche.

«   Voyager est une excellente idée ! Une bonne idée et une bonne école, on reçoit de bien meilleures leçons ainsi »

Il n’était pas toujours complètement intéressé, quand il affirmait quelque chose. Pour cette fois, c’était honnête, il soutenait chaudement son point de vue. Bon il était un peu jeune et frêle pour voyager tout seul, mais Aldaron pouvait y pourvoir aisément. Il doutait de voir son amant refuser. Quels lieux avait-il déjà contempler, sur cet archipel ? Avait-il vu Nyn-Tiamat ? Sinon, il faudrait absolument qu’il y aille un jour, au plus vite ! La suite néanmoins le surpris et le laissa perplexe. Quelque chose pour lui ? Pas vraiment non… Il n’avait besoin de rien, et même si c’était le cas, il était du genre à détester se faire servir. Il aimait faire les choses lui-même, lorsque c’était au rang de ses capacités. Mais qu’est-ce que Valmys aurait pu apporter qu’il ne faisait pas déjà lui-même alors là, mystère ! Ce n’était néanmoins pas un souci. Si véritablement la petite chose n’avait pas vraiment visité la ville, il pouvait essayer de lui servir de guide et apprendre un peu plus qui il était. D’un geste de la main, il balaya la question.

«   Non, pour moi, non, mais moi en revanche j’allais proposer de te faire visiter un peu plus la ville, et peut-être te montrer quelques lieux agréables si la pression de la vie citadine devient trop pénible… qu’en dis-tu ? »

Mais oui, c’était une excellente idée. Et c’était exactement pour ça qu’un peu plus tard, ils se trouvaient tous deux dans les rues de la ville, à marcher tranquillement, et Ivanyr d’essayer d’être objectif pour ne pas faire passer Caladon pour le dernier des bourbiers. Surtout que ce n’était pas vrai ! La ville avait quand même un certain intérêt.

«   Vous n’avez pas encore goûté aux spécialités locales je crois ? Je vous ferai découvrir ça ce midi alors… pour le moment je vais vous emmener voir l’extérieur de la ville. C’est comme ça que je la préfère personnellement, de loin ! »

Tournant la tête dans sa direction, il le mira d’un regard non dépourvu d’aménité.

«   Vous n’avez qu’un très léger accent elfique… vous n’avez pas passé beaucoup de temps au sein de votre royaume, je me trompe ? »

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Valmys mettait moult impulsion dans ses petites papattes pour pouvoir suivre le vampire sans trottiner. Par les Huit, il se demandait vraiment ce qu'avaient les gens à ne pas vouloir stopper leur croissance plus tôt ! Que pouvait-il y avoir de si amusant à admirer sur le haut de la tête des gens ? Maintenant qu'ils n'étaient plus assis, l'Enwr devait d'autant plus se tordre la nuque quand il voulait regarder le vampire dans les yeux.
Maintenant qu'ils étaient à l'extérieur, le nouveau fils d'Aldaron se sentait un peu plus à son aise, sans pouvoir en expliquer ce lien. En revanche, il aurait pu avouer que le temps passé aux côtés du vampire sans avoir été mangé, sans l'avoir fait fuir ou l'avoir blessé, vexé, participait seconde après seconde à ce qu'il respire un peu mieux. L'amant du bourgmestre avait beau être impressionnant, il donnait au moins l'apparence de vouloir connaître et côtoyer les personnes qui étaient chères au coeur de son homme. L'apprenti baptistrel avait le sentiment que les erreurs qu'il pouvait faire trouveraient peut-être miséricorde.

Le soleil avait eu le temps d'avancer sa course dans le ciel, et ils s'étaient éloignés des quartiers les plus au centre de Caladon. Ivanyr semblait bien mieux connaître la ville que lui. Le petit immaculé le suivait avec innocence et confiance. L'idée de goûter aux spécialités locales lui plaisait bien -eh, les voyages se devaient d'être faits par les cinq sens, et même les autres !-, et il était plutôt bon public de ses divers traits d'esprits. Un fin sourire accueillit l'aveu selon lequel le vampire préférait être loin de la ville. Le même sourire se vit agrandir lorsqu'il fut question de son accent. Les deux peuples lui faisaient la remarque; celle concernant son accent elfique en langue commune était plus rare, réservée aux auditeurs attentifs, avec suffisamment de passif au sein du beau peuple.

"- Je crois en avoir effectivement passé moins qu'auprès des humains." Ajustant la bandoulière qui tenait sa besace le long de son flanc, il expliqua, son regard parcourant le décor comme pour en apprendre chaque histoire: "C'est un humain qui m'a élevé, jadis. Il m'a emmené auprès des elfes, mais nous avons surtout visité les terres des Hommes." Ils avaient un peu tout vu: des bois tropicaux aux montagnes glacées, en passant par le désert et les terres des vampires. Ils en avaient rempli, des carnets de notes, amassés des savoirs et légendes. Le bon temps, assurément. "En cet archipel, j'ai surtout vu Nyn-Tiamat et Néthéril... Ainsi que Keet-Tiamat. L'architecture de la capitale elfique m'a beaucoup plue. Je suis heureux de l'avoir vue au moins une fois dans mon existence !"  Les belles constructions faisaient toujours plaisir à ses yeux, de même que les aménagements ingénieux ou de bons goûts. Apprécier la façon par laquelle les êtres liaient l'art et l'utile, les contraintes, besoins et envies, était à son sens assez fascinant. "J'apprécie également les décors que les mains des bipèdes n'ont pas forgés. Là-dessus... Ce sont plutôt les montagnes de Nyn-Tiamat qui me manquent. Leur neige, leurs couleurs et silhouettes sur les cieux nocturnes..." Son attention se perdit quelque part au loin dans sa mémoire, où des nuances et bleu et de blanc dansaient dans un univers inquiet et admiratif.

Re-portant son regard sur Achroma, il osa, sur un ton assez léger: "Dois-je déduire de l'amour que vous semblez porter à la ville que vous n'êtes pas d'ici ?" Cela était évident. Mais il voulait pousser le vampire à lui en dire plus ! Pluuuss ! "Aldaron ne m'a pas conté vos rencontre... Venez-vous d'une autre île également ?" Il avait veillé à appeler son père par son prénom, pas par les nouveaux surnoms qu'il lui affublait, les "pères" et autres variantes elfiques. Si l'histoire de leur rencontre était aussi croustillante que la leur, cela pouvait être divertissant. En tout cas, Valmys était prêt à conter son histoire de pseudo-vol de poney ! Évoquer un passé relativement proche semblait être une façon de faire connaissance relativement sûre où, normalement, il ne risquait pas de raviver par erreur des souvenirs du dragonnier qu'il avait été. Ou alors, ce n'était pas sa faute ! Il fallait bien qu'il trouve un sujet à discuter, et parler de la meilleure façon de garder le corps d'Aldaron n'était absolument pas dans les cordes du petit immaculé !

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Un elfe vivant auprès des humains, hein ? C'était ça qui plaisait à Aldaron, se reconnaître dans cet être beaucoup plus jeune ? Avec une certaine force d'acidité, le vampire se demanda aussi si son amant escomptait voir son fils adoptif courir la gueuse jusqu'à attraper une maladie honteuse. Fallait-il que l'image reflétée aille plus loin encore que l'original pour créer un parfait parallélisme ou bien se contenterait-il de mirer leurs ressemblances et de s'en satisfaire telles qu'elles existaient à l'heure présente ? Peut-être qu'il lui en voulait quelque peu au final… de quoi ? De ne pas l'avoir prévenu par avance, au lieu de le mettre dos au mur le jour même de l'arrivée du gosse ? De ne pas lui avoir demandé son avis dans cette adoption ? De lui faire passer un tel message de cette manière-là plutôt qu'une autre ? De tout autre chose ? Est-ce que l'exactitude de la raison importait s'il ne faisait qu'en discuter avec lui-même ? La seule bonne nouvelle immédiate dans cette histoire avait été de ne pas tomber sur un rejeton plus jeune encore, car au moins, avec ce qui devait être à peu près un jeune adulte, il y avait sans doute matière à aplanir les choses et à trouver un terrain qui satisferait tout le monde. Il pouvait au moins essayer en tout cas. Et qu'est-ce qui poussait un elfe à vivre loin des siens de toute façon ? Celui-là était définitivement trop jeune pour avoir eu un enfant illégitime récemment, ça ne collait pas, tout simplement.

«   Ah ? Tu t'y plaisais ? Tes parents ne le voyaient pas d'un mauvais œil ? »

Aux dernières nouvelles, du moins à sa connaissance, les elfes n'étaient pas les champions de l'ouverture culturelle et sociale, ni de quelque ouverture que ce soit. Ils ne le faisaient souvent que contraints et forcés. De la même façon, il partait du principe que s'il était orphelin, c'était récent. Les parents d'origine du gamin avaient dû être tués par les attaques des chimères, tout simplement. C'était logique, de son point de vue, aussi n'imaginait-il pas du tout qu'il put en être autrement. Ce n'était qu'un orphelin parmi des milliers d'autres, avec pour seules caractéristiques de ressembler un peu à son compagnon et de lui avoir ainsi tapé dans l’œil. On achetait des légumes avec une logique presque similaire. Les plantes de salon aussi. Et même si cela l'ennuyait excessivement, de voir le gamin hanter la maison, il espérait qu'Aldaron avait une réelle et bonne explication à donner sur sa décision et sur l'identité de son fils adoptif. Le contraire serait réellement triste. Et inacceptable en fin de compte. Ce n'était justement pas le cas, cela ne devait pas être le cas, et si en soi il s'en fichait comme de son premier melon, il y avait quelque chose, dans la rhétorique purement objective, qui le gênait profondément et dont il lui faudrait s'assurer.

«   Je vois… »

Finalement, ses visites de l'archipel éveillaient davantage de curiosité que le reste. Ainsi, il avait bien visité Nyn-Tiamat, voilà qui était une bonne chose. Tout le monde devrait voir Nyn-Tiamat au moins une fois dans sa vie, et il était fort convenable qu'ils aient accostés sur Tiamaranta de toutes les terres possibles. Le paysage le valait bien, la faune aussi. Il préférait cependant l'île gelée à tout autre lieu et ne s'était pas un instant intéressé aux elfes tant il était éloigné de leur façon d'être. S'entendre vanter les mérites d'un lieu construit pour être sans être le laissait complètement apathique, alors que Nyn-Tiamat… ah ! Ça c'était autre chose ! Les sublimes paysages sauvagement naturels, criant leur liberté, leur indomptabilité, promettant une vie rude mais réelle… oui, voilà qui lui plaisait. Il avait encore dans les cœurs les plaines de l'Inlandsis et les formes déchirées des hautes montagnes, et en tête les musiques de ces lieux inaccessibles. Se prenant à soupirer par nostalgie, l'âme emplie de l'envie de revivre le froid mordant et douillet, et la vision d'un pays de velours pâle, le vampire se laissa amadouer.

«  Oui » fit-il avec une chaleur inattendue «   Oui c'est très beau »

Son esprit vagabonda vers le souvenir intemporel des aurores de lumière que Purnendu lui avait fait voir là-bas, après la découverte macabre du village spectral. Ces nuits passées en la seule compagnie des haubans de lumière étaient un moment magique qu'il conservait comme un talisman contre la tristesse qui le rongeait à chaque instant comme un venin sinistre. Le rappel lui faisait souvent monter les larmes aux yeux tant la portée psychique du cadeau de son ami avait été profonde. Un jour il retournerait là-bas c’était certain, il voulait retrouver ces paysages magnifiques et l’impression d’isolement et de protection des terres gelées. Et il y avait tellement plus… il y avait l’impression, en cet endroit, que le monde était inimaginablement vaste, sans limites…

«   Non, je ne suis pas d'ici… je viens de Nyn-Tiamat. J’y habitais jusqu’à ce que je décide de venir trouver les derniers membres de ma famille. »

La réponse avait été un souffle, mais il ne se préoccupa pas vraiment de savoir si le jeune elfe l'avait réellement entendu. On ne pouvait pas trouver Caladon belle après avoir vu les hauteurs immortelles de l'île gelée, c'était simplement impossible. La pureté viscérale de ce lieu ne pouvait pas être égalée par une cité construite de la main des mortels, qu’ils soient humains, elfes, ou vampires. Quant aux Graarh, ils comprenaient le besoin de ne pas défigurer la nature et ne construisaient pas ou très peu de structures durables, de ce qu’il en avait saisi. Encore une raison pour laquelle il se sentait proche d’eux plus que de son propre peuple. Jamais il n’avait eu besoin de tant de murs, de pavés, de roues, d’entrepôts… Mais évidemment, il était le seul à penser ainsi.

Se redressant, il eut un léger sourire en coin, torve.

«   Pour autant, je ne suis pas d’Aerthia Et ça ne me gêne pas, si tu as vu l’île tu sais qu’il y a bien des merveilles que ces murailles grises n’égaleront jamais »

Mais le petit elfe le poussait dans plus d’un sens et il revint à une partie de ses demandes qu’il avait ignoré jusqu’ici. Pour autant, il ne s’étala pas, ne voyant pas l’intérêt de le faire. Cela ne concernait, à son avis, que lui et Aldaron, et surtout ça n’avait pas d’importance. Leur rencontre était ce qu’elle était, et elle appartenait à une jonction de mémoire que, sans détester, il n’appréciait pas pour autant. C’était un entre-deux. Il y avait bien mieux

«   Nous nous sommes rencontrés ici, et si je ne m’étais pas senti attaché à lui, je serais parti pour ne plus jamais revenir tant ce lieu est empli de déments »

Il lui décocha un regard oblique.

«   Et toi ? Tu es trop vieux pour qu’il t’ait ramassé dans un orphelina ou quoi que ce soit d’équivalent pour les elfes »

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Leur commun attrait pour Nyn-Tiamat n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Valmys comptait bien en user et en abuser. Il n'était pas adepte de la doctrine selon laquelle la fin justifiait les moyens. Mais là... La fin était quand même très importante, et les moyens pas si horribles que cela ! Après tout, s'ils avaient moyen de se rapprocher tous les deux, dans la joie, la bonne humeur, la neige et les forêts de résineux, qui s'en plaindrait ? Certainement pas Valmys. Eh, peut-être pouvait-il négocier un voyage en famille sur Nyn-Tiamat pour les rapprocher tous ! Bon, il ignorait si Aldaron était frileux. Au pire, Achroma le réchaufferait de sa présence -faute de chaleur corporelle. Ce pouvait être une riche idée, qui les ferait profiter un peu du froid continent, des Shibis, des renards des glaces et autres lapins de diamants. Ouaaais. Peut-être pouvait-il négocier cela. Ainsi si même la sortie à Nyn-Tiamat ne suffisait à convaincre Achroma de son adorable bouille d'hermine, de tout l'intérêt que pouvait avoir une boîte à musique vivante, au moins auraient-ils profité du voyage.

Le jeune immaculé nota plus hâtivement la distance avec laquelle Achroma évoqua sa rencontre avec Aldaron. C'était sans doute trop personnel. Un sourire un peu forcé, qui se voulait encourageant, accueilli le mot "déments". C'était une bien violente façon de parler des humains, mais si Valmys n'approuvait guère, il pouvait comprendre que le vampire peine à approuver les moeurs Caladoniennes. La question qui vint après permis à Valmys d'aborder un sujet plus plaisant, avec un point qui leur était beaucoup plus commun, et communement apprécié: le bourgmestre.

"- Dans mon souvenir, nous ne nous étions pas rencontré avant ce jour à Endëaerumë..."

Achroma eut le droit à la description détaillée de Valmys sympathisant avec une ponette, et d'Aldaron arrivant pour empêcher un vol qui n'aurait pas eu lieu. De même, il put apprendre que leur ami commun avait réussi à l'apprivoiser -l'immaculé, pas la jument-, et l'étrange échange qui avait noué leurs premiers liens: la compagnie d'un apprenti guide touristique, en échange de la ponette. De même, Valmys raconta que c'était suite à leur rencontre que les veinules étaient apparues sur son corps, sans rentrer dans trop de détails, précisant juste que ç'avait été douloureux. Le souvenir était raconté avec jovialité, sans pour autant que Valmys montât le volume de sa voix, ou l'accélérât. C'était cette joie tranquille qui l'avait souvent caractérisé. Ce fragment de mémoire était beau, il l'amusait, il en avait encore quelques paillettes dans le regard.

"- Par la suite, je lui ai parlé de mes parents..."

Tranquillement, Valmys conta, en essayant de ne pas rentrer dans les détails, sa petite particularité: enfant d'elfes, il était né avec l'apparence d'un humain. Sa mère, ne s'étant pas remise des multiples maltraitance que ce peuple lui avait infligées, avait préféré le remettre au seul humain qu'elle tolérait encore. Ce qui était advenu d'elle, Valmys l'ignorait totalement.

"- Je ne sais pas ce qu'elle aurait pensé de mes voyages. Je ne suis pas sûr qu'elle aurait aimé savoir."

Il s'était fait songeur, et avait parlé sans tristesse. S'il était né avec cette histoire, elle lui rappelait qu'il avait désormais un père adoptif. Pas le temps pour les jérémiades de toutes façons: ce n'était pas avec de la tristesse qu'il allait séduire Achroma ! Il expliqua donc que cet humain à qui il avait été confié s'était chargé de son éducation, et de ses enseignements. Evoquer sa perte fut plus difficile qu'évoquer l'absence de ses géniteurs, et il se montra légèrement plus distant déclarant qu'après son naufrage sur Nyn-Tiamat, il n'avait pu avoir de nouvelles de son maître que pour lui annoncer sa mort, en Keet-Tiamat.

Ils avaient commencé à distancer la partie la plus peuplée de la ville, et traversaient les habitats qui en formaient la banlieue. Plus il parlait, plus il évoquait son existence, plus Valmys sentait que quelque chose n'allait pas. Il "oubliait" quelque chose. Sa langue ne prenait pas même de chemins détournés pour le sous-entendre: ce n'était tout simplement pas dit. Oh, il se souvenait très bien de la mine d'Aldaron quand il lui avait fait part du jugement d'Achroma sur les siens. Il savait très bien qu'en parler, c'était se tirer un carreau dans le pied. Néanmoins, c'était plus fort que lui, chaque fois qu'il épargnait à Achroma un détail sur les siens, il se sentait aussi mal que s'il avait dénigré ces êtres qui lui étaient aussi chers. Il n'était pas fait pour ce genre d'honteuses manipulations. Quelque part, il imaginait très bien Achroma lui reprocher son serment, quoi qu'il advienne. Il ne voulait néanmoins qu'en sus il lui reprochât de lui avoir caché des choses, quand c'était là une action qui ne lui ressemblait pas. D'un point de vue "séduction en vue d'adoption", n'aurait-ce pas été pire ?

Alors il acheva, sagement, un peu peiné, de raconter que ç'avait été plus ou moins pour ce maître défunt qu'il avait été en Keet-Tiamat, lors de ce voyage où il avait rencontré Aldaron. Après un bref silence où il parut reprendre son souffle -il avait pourtant été aussi concis que possible-, il commença donc::

"- Je crois qu'Aldaron avait besoin d'un fils. Peut-être pour découvrir ce qu'il n'a pu vivre avec celui dont il est à l'origine. Et moi, j'avais sans doute besoin d'une famille aussi, pour découvrir ce que je n'avais connu, même auprès des miens. Aldaron aurait fait le lien, nous aurait offert ce qui nous manquait. Au moins devrais-je avoir plus de peine à oublier le jour de son anniversaire, désormais."

Un sourire en coin passa sur ses lèvres. Oh, il n'avait pas dit à Aldaron qu'à l'origine il avait oublié son anniversaire. Le bourgmestre l'avait sans doute déduit, au vu de l'heure tardive à laquelle il l'avait surpris à préparer ses cadeaux. Achroma, lui, pouvait bien savoir. Avec tout autant d'émotions, mais plus de sérieux dans la voix, il avoua enfin:

"- Je ne puis entretenir de pareil lien avec ma seconde famille, en Néthéril, malgré toute l'affection que j'ai pour les membres de l'Ordre."

Son regard chercha celui du vampire, comme pour voir ses pensées. Son propre visage avait beau se vouloir neutre, de fins tiraillements dans ses traits indiquaient son inquiétude et son appréhension. N'y tenant plus, il détourna à nouveau son visage, découvrit qu'ils étaient désormais sur une terre où l'herbe était juste assez humide pour avoir permis à d'adorables fongus de montrer le bout de leur chapeau. Il était bizarre, d'ailleurs, ce chapeau. Valmys ne connaissait pas cette espèce, sans doute propre à l'archipel. Au moins était-ce un repère qu'ils retrouvaient: les champignons en automne. continuant d'avancer, il voulut tenter de changer de sujet, mal à l'aise, les mains portées sur la lanière de sa besace:

"- Ainsi... Vous avez de la famille près de Caladon ? Êtes-vous parvenu à les revoir ?"

Etrangement, Valmys commençait à douter que le vampire se montrât très prolixe, désormais. La balade risquait d'être plus longue que prévue, au moins en ressenti. Dommage. Lui aurait bien aimé savoir quelle était cette famille qu'il avait évoqué, comment il avait pu la connaître, lui qui n'avait de mémoire. Il aurait aimé l'entendre parler de lui, et découvrir un peu plus par quels fils d'émotions tisser leurs liens.
Au moins, désormais, était-il libéré de cette horrible sensation d'omission.

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Le moins que l’on puisse dire, c’était qu’il parlait beaucoup. Ce qui le sauvait d’un plongeon dans le canal ? Sans doute sa candeur. L’elfe ne paraissait pas du genre à parler pour le simple plaisir d’entendre le son de sa propre voix. La seule chose que le vampire espérait, c’était qu’il ne fasse pas que parler, où ils auraient un gros souci, parce que lui aimait beaucoup cette sublime musique si mal appréciée de la masse qui s’appelait silence. Plus que cela, cependant, ce qui le gênait était de ne pas réussir à apprécier le bonheur que l’autre semblait avoir à revivre par le conte ses souvenirs. Cela l’ennuyait en vérité, au plus profond de lui, et il n’avait pas réellement envie d’entendre chaque détail de cette histoire, en connaître les grandes lignes lui suffisait. Tout cela n’éveillait pas d’écho en lui. Mais de toute façon, comme il n’avait rien de mieux à proposer, il pouvait bien souffrir d’écouter jusqu’à la fin, tant qu’elle ne venait pas avec le crépuscule. Fort heureusement, la suite s’avéra un peu plus intéressante. Lui décochant un regard en coin, le vampire haussa brièvement les sourcils, ne faisant pas part de ses considérations. Quelle charmante créature que sa mère… et que lui avaient fait les humains exactement ? Ils étaient trop laids pour elle la pauvre enfant ? Quelle horrible maltraitance visuelle… Bon, sans doute était-il très cynique là-dessus, ce n’était pas charitable de tancer les défunts, ils recevaient déjà leur juste rétribution au sein du royaume de Mort.

« Qu’avait-elle à leur encontre ? Tu le sais ? »

Si elle l’avait abandonné parce qu’il ressemblait à un humain, alors sans doute n’aurait-elle pas apprécié savoir que sa progéniture voyageait de par le monde. Le clivage générationnel et historique, sans doute. Quand il voyait les différences de réaction entre Cybele, Elric et les rares vampires Caladonniens, il y avait un monde, parfois, entre deux tranches d’une même race. Les anciens étaient très différents des autres, créatures faites de patience, et d’une compréhension de la vie que personne d’autre n’égalait, pas même chez les elfes. Sa famille était déjà âgée quand l’aïeul elfique actuel était un enfant après tout. C’était là une vérité générale qu’il convenait de prendre en compte lorsque l’on avait affaire à un individu d’une autre race, ou pire encore, lorsque l’on jaugeait d’un engrenage social ou politique. Un immortel dirigeant des mortels était une aberration tout comme il était difficile pour un humain de gouverner des elfes. A ce titre les solutions de Caladon et Délimar étaient compréhensibles et proactives bien que différentes l’une de l’autre. Le temps n’était vraiment pas au conservatisme elfique en tout cas… De nouveau, il observa l’elfe d’un regard oblique.Les familles adoptives, il connaissait plutôt bien lui aussi n’était relié par les fluides qu’à Cymoril. Bien que très chers à son cœur, ni Cybele ni Elric n’étaient sa famille nucléaire. Mais ils étaient néanmoins ses proches, malgré les divergences de pensées.

« As-tu réellement besoin d’un jour spécifique pour célébrer sa présence en ce monde ? »

Ce n’était pas si grave, d’oublier un anniversaire, tant que l’affection était sincère. Elle n’attendait pas un jour précis dans l’année pour s’exprimer. Mais l’information suivante en revanche ne fut pas pour lui plaire. L’Ordre ? Comme… la Rhapsodie ? Non sérieusement ? Seigneur Vie… Le voyant chercher son regard, il le lui offrit avec franchise, un sourcil haussé. Pour autant, il ne dit ni ne fit rien, le laissant avancer sur l’herbe moelleuse et verte. Lui-même appréciait de se trouver hors des murs étouffants et fit un signe pour attirer l’enfant vers un chemin de terre serpentant vers l’intérieur de l’île en direction du lac d’émeraude. Contrairement à Aldaron, il ne voyait pas la mer pour le gamin. Peut-être parce qu’il faisait plus elfique ? Oh et puis quand bien même, personne ne lui demanderait de compte sur ce choix-là en particulier. Ils n’iraient de toute façon pas jusqu’au lac d’émeraude, bien trop loin, seulement vers un lac plus réduit et plus proche mais qui constituait un lieu de réclusion naturel merveilleusement agréable. Calastin comportait de nombreuses merveilles naturelles, d’après sa sœur, qui méritaient d’être visitées et il le ferait un jour, mais il n’avait pas l’intention de se limiter à ces hauts lieux, chaque parcelle de verdure pouvait être exceptionnelle pour qui jugeait avec simplicité.

« Oui, je les vois régulièrement. Ils se sont établis là pour soutenir Aldaron. Cybele est ma mère adoptive, et Elric mon père adoptif. Ils étaient présents lorsque je me suis éveillé. Il y a également Cymoril, ma sœur. C’est la personne dont je suis le plus proche, des trois. Avant d’arriver sur Nyn-Tiamat, ils étaient les seules personnes que je connaissais »

Son temps dans les montagnes ressemblait par certains aspects à son temps à Nyn-Tiamat d’ailleurs. Un temps de calme et de repos qu’il retrouverait avec plaisir, si ce n’était que cette fois, Aldaron et Purnendu seraient tous deux de la partie. Il n’alla pas plus loin dans ses explications, ne voyant guère quoi dire de plus sans rentrer dans des détails très intime de sa relation avec eux. Contrairement à l’elfe, exposer les détails dès la première rencontre n’était pas trop dans ses habitudes. De toute façon il avait autre chose en tête aussi ne prit-il aucune gêne à poser les questions qui s’agitaient dans son esprit au sujet de l’affiliation de Valmys. Elle le dérangeait certes, mais il voulait en savoir plus surtout, avant de réagir d’une façon ou d’une autre.

« Tu es donc un Enwr… pourquoi avoir choisi cette voie ? Qu’est-ce qu’elle t’apporte ? »

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"- Je sais ce que l'on a pu me raconter, de ce qu'elle-même avait raconté. On m'a dit que des humains l'avaient malmené, avaient cherché à étudier "la magie qui la composait", entre autres." Valmys eut une moue entre le manque de conviction et le dégoût. Les notions de consentement manquaient vraiment à ce monde. De même que les notions de "si personne ne veut consentir à ton expérience, c'est peut-être parce que ton protocole d'expérimentation est pas net". A ces gens et à leur soi-disant curiosité, il devait son abandon, et sans doute bien d'autres actes de peine. Plusieurs fois il s'était demandé comment s'étaient concrètement passées les choses, comment ils l'avaient capturé, ce qu'ils avaient pu lui infliger. Parfois, il se demandait également qui étaient ces humains, s'il ne les avait pas déjà croisés, s'il n'avait pas même partagé quelque boisson chaude avec eux. Pour l'heure, les rouages du destin ne lui avaient pas apporté de réponse. En revanche ils lui avaient apporté plein d'autres tracas qui valaient tout autant la recherche de réponses. Car si les ennuis liés à des personnes parlaient beaucoup aux sentiments, par le lien étroit qu'ils entretenaient avec eux, les questions liées au monde émoustillaient davantage l'esprit. C'était vers ces dernières qu'il s'était orienté, tant pour se sauver de pertes de temps de piètre qualité que parce qu'il fallait bien vouer sa vie à quelque chose.

"- Pas spécialement. Mais le jour où on l'a offert à notre monde n'est-il pas une opportunité plutôt intéressante pour le célébrer ?"

Sa voix devenait joviale sitôt qu'il évoquait celui qui, quelques jours plus tôt, avait noué entre eux ce lien si particulier. Il était relativement certain de pouvoir s'entendre avec Achroma au sujet d'Aldaron. C'était un ami commun, tous deux devaient au moins avoir en commun de désirer son bien. Désirer le célébrer était encore autre chose et, là-dessus, Valmys imaginait Achroma bien plus prompt que lui à vouloir profiter de la présence d'Aldaron, et remercier les Huit de l'avoir porté à eux. Pis encore, il concédait volontiers que le vampire devait porter à leur ami bourgmestre une affection bien plus puissante que la sienne, malgré tout ce que pouvait crier son coeur. N'était-ce pas le propre des amoureux et, si tel était bien le cas, des inséparables ?
Une étrange sensation effleura ses sens, comme ils continuaient d'avancer sur le moelleux tapis d'herbe qui faisait leur chemin. De... L'humidité ? Il ne savait pas encore trop par où, comment, ni pourquoi. Ses sens tous neufs d'immaculé lui faisaient encore des mystères, et leur finesse le surprenait parfois. Bêtement, il s'était habitué à ce que son "humanité" ne perçoive que ce qui était proche, et fort, s'accomondant parfois même des odeurs suaves des assaillants des auberges. En tout cas, avec autant d'humidité, la présence de végétaux plus divers et plus avancés dans leur pousse n'avait rien de surprenant. Valmys redoublait d'impulsion pour suivre les immenses enjambées du vampire.

Les noms de la famille adoptive de ce dernier ne lui disaient rien. Enfin, si, Elric, peut-être, il en connaissait bien un... Mais son intuition lui disait que ce n'était le même. Les liens qui reliaient ces noms à Achroma étaient encore flous dans son petit crâne, malgré la mention d'éveil. Si Valmys savait que les premiers visages à un réveil pouvaient importer à celui qui en profitait, il devinait également que ce n'était pas le seul élément qui les avait liés. Il ne se sentait pas d'insister. Achroma était déjà bien aimable de lui avoir dit autant. C'était bien assez pour rendre l'Enwr un peu plus patient par rapport à son envie de mieux connaître l'oiseau-lié de son père.

La question sur son affiliation lui paru comme celle qui ferait le jugement d'Achroma. Se mordant la lèvre, sous la crainte de ne pas pouvoir le satisfaire, il avoua tout de même, sobrement:

"- Je ne sais pas." Il n'était même pas sûr d'avoir vraiment "choisi" sa voie, dans la mesure où jamais il n'avait hésité, remis en question sa façon de vivre et son affiliation. Jamais eu de raison de le faire. Même là, face à Achroma, il n'avait pas songé une demi-seconde à lui faire le sacrifice de sa voie pour plaire au beau vampire. Dans la construction d'un être, son lien avec l'Ordre était une des pièces qui soutenaient une majeure partie de l'édifice, de ces pièces qui tissent le lien entre les âmes et la vie. Lors d'une présentation, le mot "Enwr" était celui qui suivait le plus logiquement son nom et prénom, avant même son âge. "Cela m'a toujours paru évident." Peut-être parce qu'il avait été recueilli par un apprenti baptistrel. Mais est-ce que cela était censé invalider la légitimité de son sentiment ? "...Comme si c'était une place faite pour moi, taillée selon mes dimensions, et comme si toutes les autres places étaient trop petites ou trop grandes. Comme s'il était dissonant que je prenne un autre chemin."

Achroma s'était-il attendu à un argumentaire raisonnable et raisonné ? Valmys se l'imaginait. Mais il ne pouvait vraiment lui apporter ce discours. Oh, peut-être aurait-il pu sobrement affirmer le lien certain entre la philosophie de l'Ordre et la sienne. Cela lui parut juste assez évident pour qu'il ne le fit pas. Et à part cela, eh bien... Nul ne lui avait forcé la main ou ne lui avait versé quelque pot-de-vin, et il ne faisait certainement pas cela par attrait pour les pouvoirs des maîtres. Ç’aurait été stupide. Ils n'étaient que douze, et lui avait toujours son espérance de vie en épée ectoplasmique au-dessus de sa tête.
Mal à l'aise et inquiet, Valmys murmura, sur le ton du rêve qui s'osait tout juste: "J'espère que nous parviendrons malgré tout à composer ensemble..." Pour eux deux, et ce que pouvait apporter une amitié, avec leurs points communs et différences, et pour celui qui les avait réunis ici.

Se retournant, et constatant la distance qui les séparait désormais de Caladon, Valmys vit passer une pensée fugitive. Changeant de sujet aussi naturellement que si ç'avait été n'importe quel autre, il demanda: "M'emmenez-vous dans un endroit en particulier ?" Ou allaient-ils se balader le nez au vent dans les environs, sans but fixe ? Dans le second cas, Valmys aimait autant commencer à prendre quelques repères. Dans le premier cas... Il pouvait innocemment se laisser guider, n'est-ce pas ?

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Ça partait bien tout ça… ce qu’on avait raconté de ce qu’on avait raconté… le bouche à oreilles pointues, ce n’était pas le plus probant pour avoir des informations. Il voulait bien croire à la bonne foi du gamin, mais définitivement, pour connaître le fond des choses, ce n’était pas le plus clair ni le plus loyal à l’information d’origine. Fort heureusement pour le gosse, s’il avait entendu tout ça par des elfes, il s’était au moins vu épargné le goût des humains pour les ragots et les scandales. Une chance, vraiment. Cela dit c’était une sacrée histoire ! En règle générale, les humains admiraient et respectaient les elfes, alors sur quelle espèce de malade la dame était-elle tombée ? Un alchimiste peut-être, ces types ne tournaient vraiment pas rond. Mais même s’ils avaient tourné en carré ça n’aurait rien changé à la gravité de la chose. Si le bougre vivait toujours et s’ils le retrouvaient, il ne se gênerait pas pour lui faire comprendre par le menu de quoi il était question quand on parlait des méfaits du manque d’éthique de la recherche magique. Ce n’était effectivement pas juste qu’il fut abandonné pour cela, pour les torts d’autrui et surtout, il avait du mal à se représenter l’abysse que cela signifiait pour une femme elfique. Les elfes avaient si peu d’enfants, aux dernières nouvelles, que chacun était une bénédiction mille fois saluée, un don de Vie sans prix, inestimable de quelque façon que ce soit. Malgré le traumatisme cela restait choquant… et cela mettait également son instinct maternel en cause. L’avait-elle perdue dans l’expérience ? Peut-être, cela ne semblait pas impossible. Quoi qu’il ne soit, cela faisait de très douloureuses questions pour de si jeunes épaules.

«  Je suppose que cela dépend du point de vue que l’on a. Personnellement j’aime lui rappeler chaque jour que je suis content de l’avoir. Dans les deux cas le sentiment est positif même si les deux ne sont pas d’accord, et au moins n’y a-t-il pas de trou dans l’année »

Bon, au moins cela faisait du bien au gosse d’avoir un père qui l’aime, même si, définitivement, il le prendrait très mal si cette adoption n’avait aucun sens. Du peu qu’il apprenait de la vie de Valmys, l’elfe n’avait pas besoin qu’on lui rajoute de l’absence de sens et d’équité. Par égard, il ne revint pas sur le sujet délicat de son passé, jaugeant que ce serait de la cruauté gratuite de vouloir l’interroger plus avant. Et il n’aimait pas la cruauté gratuite. Plus que connaître le passé d’un être, il imaginait qu’il était plus appréciable d’apprendre son caractère et les limites de celui-ci et que le passé viendrait au rythme où l’autre se sentirait à l’aise de le divulguer. La connaissance était certes le pouvoir, mais le pouvoir avait bien des nuances, dont celui de nouer les faveurs des autres, si on le désirait. Il ne le désirait pas vraiment, mais il n’aimait pas le contraire pour autant. Et puisque l’elfe avait la discrétion de ne pas le pousser lui accorder la pareille ne lui coûtait pas grand-chose. Si quoi que ce soit d’autre, cette petite chose était dotée de bonnes manières et pas seulement le vernis apparent et atrocement hypocrite de la noblesse… non, il était vraiment bien éduqué, de ce qu’il en voyait, avec les bons réflexes aux bons moments. Sans était-ce en partie pour cela qu’il ne le plantait pas sur place en entendant affirmer qu’il était Enwr. En soi, il n’aimait pas l’Ordre et n’avait aucune intention de revoir son jugement, assumant son côté obtus pleinement pour ce qu’il était : une saine méfiance. Les plus apparents agnelets étaient parfois les pires des ordures, alors pourquoi offrir les déesses sans concession simplement sur l’hypothèse d’un serment soi-disant absolu ?

Posant un regard tranquille sur lui, il pencha légèrement la tête sur le côté en l’entendant s’expliquer. Lorsque le petit elfe eut fini, le vampire se fendit d’un sourire torve et répondit avec un calme olympien, détaché :

«  Finalement si, tu sais. Cela ne te paraît simplement pas évident présenté comme cela »

Est-ce que c’était un mal ? Sans doute pas. Ce n’était pas ce qu’il s’était imaginé l’entendre répondre en revanche, certainement. Lui s’attendait, de façon très biaisée, à une envolée lyrique sur des notions abstraites et irréalistes, ou niaises, ou pire : les deux. Et inévitablement, il l’aurait attendu à destination pour gratter un peu ce joli vernis bienpensant. Là ? C’était plus complexe. Cela ne tenait pas à des considérations morales construites mais à une sensation qu’il connaissait également, instinctive et que l’on ne pouvait pas forcément expliquer clairement. Il ne se cherchait pas d’excuse, ne suivait pas de chimères… Il lui faisait penser à quelqu’un, mais qui ? Le nom lui échappait totalement. Certes, il aurait pu arguer que le gosse avait subit un lavage de cerveau mais il n’en avait aucun signe. Au final, son explication était peut-être la seule légitimant une place dans l’Ordre comme lui percevait les choses. Il avait toute conscience d’aller à l’encontre de la majorité dans sa façon de traiter ces mages mais il n’en avait rien à faire, profondément, n’ayant pas besoin de l’approbation d’un autre pour se faire ses idées. Le seul avec qui il aurait aimé partager des moments de philosophie était son amant. Manque de chance, en ce moment ça n’allait pas très bien pour ça, sans doute à cause de la préparation du congrès. Pour cela, il avait hâte qu’il se finisse. Ensuite, il l’emmènerait prendre du repos. D’ailleurs une idée se formait vaguement dans son esprit, et il se congratulait déjà de l’avoir trouvé.

«  Oui, ce n’est plus si loin, ne t’en fait pas »

Ils s’enfonçaient à présent sous l’épaisse futaie tandis qu’Ivanyr empruntait un chemin de terre serpentant paresseusement entre les longues étendues herbeuses et les opulents bosquets ombrés d’arbres anciens, dont certaines espèces étaient inconnues sur leur ancien continent. La coupole végétale ondoyait souplement au rythme paisible d’une brise d’automne, laissant le toucher tiède du soleil réchauffer les sous-bois saisit d’une humidité plus fraîche, tapissant le sol encore moelleux, et désormais croquant, d’éclaboussures dorées, mouchetant les grandes feuilles de fougères majestueuses et les troncs noueux. L’air était riche, gorgé du parfum de la terre meuble purifiée par la pluie, de la sève et du piquant des plantes vivaces, emprunt de promesses. En contradiction, le silence était profond, uniquement brisé par une nature commençant tout juste à sommeiller à l’approche encore lointaine de l’hiver. Lorsqu’ils marchaient, le silence semblait avaler les sons, frottement et froissement, sans s’en perturber. L’impression intemporelle persista jusqu’à ce qu’ils abordent un cours d’eau vif, alerte, chantant sur son passage, bordé de pierres blanches polies par le temps et l’eau, aux profondeurs d’un bleu azure piqueté de blanc quand au contact l’écume se formait. La rivière rejoignait finalement un lac, enlacé par la nature environnante et enfoncé dans un berceau de roches qui l’alimentait d’une cascade scintillant au soleil de la journée. Là, au centre du lac, se trouvait un petit îlot agrémenté d’un arbre pluri centenaire à l’impressionnante ramure.

«  Voilà le lieu que je voulais te montrer. Il est moins éloigné de Caladon que tu pourrais le penser. Et pourtant, il semble isolé, un havre encore intouché. J’espère qu’il le restera… J’aime venir ici pour réfléchir. A force, j’ai fini par trouver les meilleurs lieux proches de la cité, chacun avec un but précis. Près des falaises, je m’entraîne, ici, c’est la paix que je recherche, le silence… Ici je n’entends que les cœurs des animaux qui approchent, ils sont constants, apaisants, simples et sincères… contrairement aux humains »

Inspirant profondément l’air très pur, il vint s’asseoir sur une grosse pierre, lui faisant signe de l’approcher, de ne pas rester tout seul en arrière.

«  Si tu demandais à un de tes maîtres, je suis presque certain qu’il te dirait que les vibrations de ce lieu sont extrêmement équilibrées, purifiantes, comme une eau sur une peau agressée. Malgré les différences de philosophies et d’opinions, il y a certaines choses qui mettent d’accord… J’aimerais y amener Aldaron également, quand j’en aurais l’occasion. Néanmoins, pour le moment, je partage son secret avec toi »

Avec un léger sourire, son regard obliqua de nouveau vers l’elfe.

«  Que dirais-tu de m’aider à construire une retraite ici pour ton père ? Un peu en retrait dans la forêt, pour ne pas entacher le lac… »

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Il y eut un instant de flottement dans le coeur de Valmys. Un instant où il ne fut plus très sûr de ce qu'il pouvait ressentir, de ce qu'il devait ressentir. Il ne savait plus vraiment à quoi il s'était attendu - à ce qu'Achroma le mange, peut-être ? Ou pire, qu'il aille l'enterrer dans un trou avec des pirates ? Son sourire et son calme déstabilisèrent le petit Enwr. Quand venait le moment où le vampire, d'un ton fielleux, cracherait sur son Ordre ?
L'instant ne vint pas. Est-ce que cela signifiait que Valmys avait passé cette épreuve ? Il n'osait y croire ou crier victoire. En tout cas, sa raison refusait d'y croire. Son corps, lui, commençait à comprendre qu'il était toujours en vie, et se réjouissait sans son accord, le poussant à un soulagement qu'il ne voulait pas et à un sentiment de légèreté qu'il trouvait très malvenu.

Valmys n'avait pas tout compris à la sibylline réponse d'Achroma. S'il avait pu lui indiquer les raisons qui le maintenaient Enwr, il n'aurait su dire ce qui avait fait l'origine de son choix, et ce malgré une recherche de ce qui pouvait aller au-delà de son actuelle logique. Il avait juste compris que les dires du vampires n'étaient pas une condamnation, et qu'il n'avait pas l'air de penser que les raisons qu'il avait pu évoquer était mauvaises. Cela lui suffisait amplement pour avoir la sensation d'être passé à côté des craintes d'Aldaron. Ragaillardi par ce sentiment, son impulsion se fit plus forte, et suivre le rythme du vampire devint bien plus naturel. Il avait beau se crier que c'était peut-être un de ces pièges à papillons, où la lumière les attirait pour mieux les dévorer, son petit corps ne l'entendait toujours pas ainsi. Après tout, n'était-il pas adorable cet Achroma ? Le lié de coeur d'Aldaron ne pouvait qu'être un grand coeur sous une armure de glace, c'était évident !

Dans un silence un peu apaisé, ils s'engagèrent sous le couvert des arbres, pour le bonheur secret de Valmys. Une trace de sa nature elfique, sans doute, ou de quelques vieux souvenirs de voyageurs.. Ou d'une bonne gorgée de chlorophylle, d'air plus humide, et d'humus moelleux. Quelques mois plus tôt, Achroma aurait pu entendre Valmys renifler et prendre de grandes inspirations pour profiter au mieux de l'odeur typique des sous-bois. Désormais, des nuances plus fines encore arrivaient à ses narines. Il ne parvenait encore à toutes les analyser, il en profitait juste.
L'Enwr se montra sage durant le reste de leur avancée, occupé à veiller le poser de ses pieds, à n'écraser personne, esquiver les branches et ronces et, autant que possible, ne pas faire craquer les feuilles mortes sous ses pas. Cela le préoccupa assez et assez longtemps pour l'apaiser un peu. Être et rester aux côtés d'Achroma devenait peu à peu moins effrayant. Au moins avaient-ils en commun d'apprécier cet environnement.

L'humidité devint de l'eau. Valmys n'aurait cru en voir d'une telle couleur ainsi dans les terres, entre ville et arbres. Le havre de paix et de nature auprès duquel Achroma le mena ne lui parut pas moins providentiel. Très prudemment, le petit immaculé s'approcha du bord de l'eau, en admirant le fond, avant de laisser son regard se perdre dans les remous de la cascade. Ses pensées rejoignaient celles du vampire, dans le souhait que nul autre qu'eux ne découvrit cet endroit. Il songeait déjà à y revenir seul. L'isolement mêlé à l'écoulement de l'eau étaient des instruments parfait pour composer avec son esprit.
Une très brève grimace passa sur les traits de l'Enwr quand Achroma évoqua les coeurs des animaux. Il ne pouvait pas le contredire, et savait que sa présence ne correspondait pas aux critères recherchés par le vampire. Pas encore. Il en prenait néanmoins note.

Un regard sur lui, et un mot magique: "construire". Une lueur d'un intérêt tout particulier passa dans les yeux ambrés de Valmys. Achroma s'était adressé à la bonne personne ! Enfin, peut-être pas au meilleur constructeur de Calastin... Mais au moins au plus intéressé et enjoué par le projet ! Et pour un prix dérisoire ! Le petit Enwr avait déjà montré à Aldaron son intérêt pour les constructions et créations bipèdes, utiles ou non. Ses divers croquis traçaient aussi bien les courbes et ombres des vivants que les détails de bâtiments tant réels qu'imaginaires. Les merveilles d'Endëaerumë n'avaient fait qu'aider à raviver cet intérêt.

"- Avec plaisir !"

Il avait répondu un peu vite, et avec un entrain tout à fait sincère. Se reprenant un peu, il s'assit non-loin d'Achroma, son attention partant vers la forêt comme s'il pouvait y voir leur future oeuvre. Un vrai petit nid pour inséparables ! Déjà des structures fantasques venaient habiter son imagination, perchées dans les arbres, à terre... Et des intérieurs confortables, aux recoins et cachettes multiples. Ouais ! Ca allait le changer de Caladon. Devait-il prévoir une cuisine ? De quoi accueillir des domestiques ? Oh non, sans doute pas... Au pire, le bourgmestre aurait son vampire pour l'aider.

"- A votre avis, quelles dimensions devons-nous prévoir ? Savez-vous si Aldaron a le vertige ? Nous avons toujours la possibilité de lui construire quelque chose en hauteur..." La hauteur pouvait prévenir tant de faire trop tache dans le paysage qu'attirer le regard. Ce dernier point, néanmoins, trouverait bien plus d'apports auprès de la magie. Ils pouvaient également lui faire un petit jardin. Valmys écarta néanmoins cette possibilité, songeant qu'Aldaron n'aurait guère le loisir de l'entretenir. L'endroit risquait d'avoir le strict nécessaire, et d'être assez cosy... Mais le "cosy" de Valmys ne correspondait pas fatalement à celui d'un bourgmestre, avec un manoir tel qu'il en possédait actuellement. "Je suis sûr qu'il y a un endroit où nous pourrons faire sa retraite de sorte qu'il puisse profiter du bruit de l'eau sans être trop proche du lac non plus. Et avec un peu de magie, quelques glyphes... Il est peut-être possible de l'isoler un peu de ses devoirs quelques instants. Cela lui fera sans doute du bien." Un imaginait bien que l'endroit ne soit accessible qu'à Aldaron et ses invités, comme un sanctuaire. Oui, ce devait se faire. Restait à trouver les instruments magiques. Valmys regretta de n'avoir point amené avec lui son carnet. Ils auraient déjà pu dessiner ensemble les premiers plans.
Investir dans un sac sans fond et sans poids devenait de plus en plus intéressant.

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Il aurait pu établir son sanctuaire en ce lieu, s’il l’avait voulu, placer là sa magie, s’octroyer un lieu de repos dont la paix pénétrait timidement son âme, dont il pourrait jouir ainsi s’il y revenait, encore davantage après une épreuve coûteuse. En ce lieu, il n’avait vu aucun des spectres qui l’assaillaient habituellement, flattant encore son aura accueillante et bienveillante. Mais cela aurait été oublier combien les montagnes de Nyn-Tiamat avaient gorgé son âme même de leur majesté, ce serait une bien triste façon de les remercier de tout le bien qu’elles lui avaient fait et continuaient de lui prodiguer. En un sens, ce serait les trahir et il ne le souhaitait nullement. S’il devait établir un sanctuaire, ce serait là-bas, dans le blizzard hurlant et les feux stellaires, et nulle part ailleurs. Mais cela ne signifiait pas qu’il se refusait le droit de profiter de la fraicheur des lieux pour autant, il en était simplement un observateur extérieur qui ne prenait nullement parti. Son regard pair suivait les ondoiements de l’eau, se perdant dans les scintillements magnifiques qui berçait son être sensible et en souffrance, lui offrant de l’apaisement. Lui-même s’étonnait toujours de sa capacité empathique à l’égard de la nature et son manque flagrant lorsqu’il s’agissait d’humains, d’elfes ou de vampires. Que manquait-il aux peuples bipèdes pour parvenir à trouver grâce à ses yeux ?

Mais pour le moment, les lieux s’animaient de l’engouement d’un jeune elfe qui s’attira par ses pépiements de bonheur un regard doux mais circonspect. Les questions fusaient, lui donnant à réfléchir, et il pencha la tête avec un ‘hm’ de réflexion profonde, le temps de se faire sa propre idée, guidée par les quelques pistes offertes à demi-mots par Valmys. En matière de confort et de structures, il pensait pouvoir s’affirmer en bonne source d’informations sur les goûts de son amant, néanmoins il y avait aussi des choses dont il n’était pas du tout certain. Finalement, il se redressa, faisant signe au petit elfe d’un geste nonchalant de la main de le suivre tandis qu’il contournait l’eau pour s’approcher de la rive ouest et des bois à l’ombre fraîche à quelques distances de la cascade. Sous la futaie, le soleil mouchetait leurs deux silhouettes tandis qu’Ivanyr observait les hauts troncs millénaires, en contournant certains pour prendre la pleine mesure de leur majesté. La majorité pourrait sans doute accepter des structures en hauteur et cela rendrait le lieu plus confiné et isolé encore, permettant d’autant plus d’oublier le monde alentours. Oui, l’idée était effectivement plaisante et il l’imaginait sans trop de problèmes. Aldaron apprécierait certainement aussi, il ne lui semblait pas lui avoir vu de vertige après la falaise…

« Il ne faudrait pas que cela soit très spacieux. Ou alors, il faudrait de nombreuses petites plateformes, pas une seule large. Aldaron n’a pas le vertige et je pense qu’occulter le sol pourrait être agréable. Différentes pièces uniques, chacune sur un tronc, et miser sur leur qualité et leur caractère plutôt que sur la place, pour donner un sentiment de protection, comme un cocon ?  »

Il pointa plusieurs des troncs susceptibles d’intéresser leur projet, pour avoir l’avis du jeune elfe qui, pour le coup, en serait plus proche que lui.

« Que dites-vous de ceci ? Ils sont assez proches pour entendre la cascade mais assez éloignés pour que le bruit de ne devienne pas omniprésent… même si cela pourrait en soi être une bonne chose  »

Le coup d’œil qu’il lui lança fut prudent. La proximité de la cascade permettrait surtout de brouiller les perceptions baptistrales. Ce n’était pas charitable, mais là où toutes les protections magiques pourraient éventuellement tenir éloigné les êtres les plus répandues, il n’en restait pas moins les maîtres pour être d’agaçants troubles fêtes. S’il laissait le bénéfice du doute au jeune Enwr, cela ne voulait pas dire qu’il apprécierait de voir un de ces insupportables Cawr dans les parages, mettant son nez dans des affaires qui ne le regardait pas le moins du monde. Il était à peu près certain de réagir très mal dans un cas pareil, et n’avait donc aucune envie d’en arriver là. Ou alors, il demandait à un maître glyphe de lui trouver quelque chose repoussant ces importuns sans en arriver à tremper son compagnon dans les bouillonnements de la cascade. Repoussant tout cela dans un coin de son esprit, le vampire se concentra et revint plutôt à l’heure problème immédiat. L’idée d’enchanter l’abris pour le rendre indétectable était bonne, mais cela demandait tout de même quelques aménagements annexes.

« Il faudrait donc trouver un maître glyphe auquel on puisse faire confiance pour l’emplacement de cette retraite  »

Pendant encore une heure, il explora le secteur avec l’elfe, prenant des notes sur ce qu’ils devraient adresser. Lorsque le soleil brilla à son zénith, Ivanyr cessa néanmoins pour se préoccuper de l’appétit de la petite chose qui le suivi et proposa de retourner en ville, d’une part pour y manger, et d’autres parts pour qu’il puisse montrer d’autres choses à Valmys… si celui-ci se remettait, ou plutôt quand il se serait remis. Le retour fut un peu plus tiède et forcé car Ivanyr n’avait pas forcément envie de subir Caladon de nouveau après cette bouffée d’air frais. Ils y vinrent pourtant, et le vampire conduisit l’elfe dans une taverne proche du port, où l’on trouvait plusieurs des spécialités de la ville. Oh pas celles des beaux messieurs et de la fine fleur, plutôt celles du gros de la populace, mais c’était là que cela devenait intéressant. Ils s’installèrent dans une alcôve de bois, et Ivanyr repoussa sa lourde cape avant de s’installer. Lui buvait simplement un verre de sang issu des largesses du commerce écarlate, alors que l’on vint servir à Valmys une large assiette de champignons fumants et épicés.

« Bon appétit !  »

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Toutes ces histoires de construction faisaient briller son regard la lumière vivace de l'imagination qui brûlait et éclairait des lieux encore non-explorés de son esprit. Différentes plateformes, hein ? Des dizaines de façons de relier les pièces commençaient à prendre forme dans sa tête, suivies de moult façon de donner à un endroit clos la sensation d'espace. L'absence de son carnet lui manqua encore un peu plus. C'allait être moins facile pour expliquer ses pensées à Achroma, et pour préparer, une fois éloignés, quelque chose d'adapté à la configuration des lieux. Quel dommage, ils allaient être obligés de revenir.

Des mouvements de tête affirmatifs avaient accueilli chacune des propositions d'Achroma. Il donnait un butoir à ses idées, évitait que le petit immaculé passe trop de temps à partir dans tous les sens sans pouvoir se décider. De la proximité avec la cascade, Valmys ne déduisit rien. Qu'y avait-il de plus normal que vouloir profiter d'une telle vue, du ronron de l'eau, et des émotions qui se dégageaient de ce lieu ? Achroma ne l'ayant pas rejeté, la piste du désamour envers les baptistrels ne lui revint pas non plus. Non non, c'était juste une excellente idée, pleine d'amour, et avec un sens de l'esthétisme certain !

Lorsqu'il fut question du maître-glyphe, l'Enwr proposa avec innocence l'ami commun qu'il avait avec Aldaron: Seö Wënmimeril. Valmys aurait pu l'écarter, au nom de la méfiance que lui inspirait cet elfe. Mais dans ce genre de cas, il apparaissait comme l'être le plus approprié, par son lien avec les glyphes, et celui avec le bourgmestre. Car ils étaient toujours amis... N'est-ce pas ?

Trottinant encore auprès d'Achroma pour suivre son rythme, le petit Enwr explora les environs avec lui, essayant de lui faire part le mieux possible de ses idées et ses questionnements: quel serait le meilleur matériel à utiliser ? Avait-on déjà quelques informations sur la météo des alentours de Caladon à travers les saisons ? Ah, il voyait déjà les pièces douillettes, avec d'épais coussins, et de grandes fenêtres pour faire entrer la lumière. Il voyait les rangements discrets inclus à des endroits surprenants, la douceur des lumières... Ouais, Aldaron allait y être bien.

Leur chemin dévia à nouveau vers Caladon. Enjoué, Valmys parla un bon moment encore de ce qu'il avait pu voir d'intéressant à travers le monde en matière de constructions ou d'ingéniosité humaine. Lorsqu'il réalisa qu'il parlait surtout pour se faire plaisir en se rappelant tout haut son admiration passée, il se montra un peu plus silencieux. Le vampire lui avait paru davantage apprécier le silence.
Traversant à nouveau la ville, ils parvinrent non-loin du port -même à distance, Valmys observait ce dernier avec suspicion. Ce fut en entrant dans la taverne que, soudainement, le petit immaculé s'attacha énormément à Achroma, admettant qu'il était son père et qu'il le protègerait. Il avait cru voir quelques marins. C'étaient des marins, non ? Mais ils n'iraient pas attaquer un vampire de deux mètres dix de haut, non ? Sauf si ce dernier venait pour leur vendre le parasite que pouvait être l'apprenti baptistrel. Cette voix insupportable qui s'inquiétait toujours en lui, Valmys fit de son mieux pour l'étouffer. Personne ne s'en prendrait à eux. Il y avait beaucoup de non-marins, et il y avait un père, un protecteur. Tout allait bien se passer. L'immaculé s'installa, avec un naturel d'habitué. Ses muscles apprécièrent de se poser à nouveau, après la marche qu'ils venaient d'effectuer.

La plâtrée de champignons arriva. Tiens, un plat végétalien ? Chez les humains, ce n'était pas si courant, ils aimaient à tout accompagner avec des morceaux de morts. Mais... Oh, ce plat-là sentait bon en plus ! Ce n'était pas un simple accompagnement, c'était savamment préparé, avec les bonnes herbes, et cela sentait à la fois la forêt et le plaisir d'être au chaud les soirs d'automne. Un sourire appréciateur vint trahir l'appétit qu'éveillait le repas chez Valmys. Il remercia Achroma avec une sincérité qui se sentait même pour ceux qui n'étaient maîtres.
Les champignons furent dégustés, puis engloutis, laissant à peine le temps de faire la conversation. Tout juste Valmys s'enquit-il de la qualité du sang que l'on avait servi au généreux et bienveillant vampire qui l'amenait à cette table.
En tout cas, ce fut la dernière conversation qu'il tint avant un moment. L'assiette de champignons était quasiment finie lorsqu'il commença à pouffer de rire, pour ne plus s'arrêter. Sans discrétion, il laissa éclater un rire plutôt fluet, se tenant les côtes, peinant de temps à autre à se maintenir sur sa chaise. Il en pleurait, ses joues lui faisaient mal, et il fallut que le souffle lui manquât pour le voir se calmer, respirer peu à peu, et essuyer ses larmes. Lorsque ce fut fait, il prit au moins la peine de remercier les champignons qui restaient dans son assiette, à sa façon:

"- Pfiou... Je ne connaissais pas cette blague."

Il fit un grand sourire à Achroma, mais omit de raconter ladite blague, sans doute pour le bien de la santé mentale de ce pauvre vampire. Ah ! Qu'il avait eut raison de le ramener en ville ! Et que Caladon était belle, avec toutes ces couleurs ! La vision lui rappelait un peu celle de la Trame. C'était joli... Eh, là-bas ! Une couleur qui s'enfuyait ! Avec le coeur d'Achroma entre ses mains !

"- Non, attendez ! Revenez !"

L'urgence était de taille ! Qu'allait devenir Achroma sans son coeur ? ...Bon, étant un vampire, il allait survivre. Mais il n'allait plus pouvoir l'offrir à Aldaron ! Et ça, c'était dramatique ! Valmys revoyait les petites étoiles dans les yeux de son père quand il lui avait parlé de son lié, et cela ne l'aidait que mieux à imaginer le désespoir d'un petit pioupiou esseulé. Bondissant de sa chaise, il galopa vers la sortie. Ou du moins, il essaya. Les usagers des lieux purent le voir zigzaguer amplement, et son petit corps pencher dangereusement dans un sens puis dans l'autre. Des bruits étranges parvinrent depuis l'extérieur. Des chocs, des "aïe !"; de la magie, quelques jurons elfiques de qualité. A l'arrivée d'Achroma, Valmys était allongé sur le dos, au milieu d'une rue dont les pavés avaient été comme écartés, du sang sur le genou, et un banal caillou fièrement tenu à bouts de bras, brandit au-dessus de sa tête. Il l'observait avec amour, avec adoration, ce beau caillou, ce coeur plein d'amour.

"- Je l'ai eu... Ooooh..."

Lorsqu'Achroma revint dans son champ de vision, il tendit le caillou vers lui, avec un "tenez !" tout sourire et tout content, ravi de pouvoir lui rendre ce coeur fuyard qu'il avait vaillamment attrapé !

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Il ne s'était pas attendu à ce que le petit elfe lui cause réellement du souci, et cela se confirmait, ce qui lui allait très bien. On pouvait aimer les défis sans faire de sa vie un parcourt d'obstacles et il était très attaché à la notion. La notion de choisir ses combats avait plus d'un sens. Pour le moment donc, tout se passait très bien : l'elfe mangeait voracement, les champignons étaient frais… D'ailleurs, il était bien glouton pour un oreilles pointues celui-là, c'était sa vie avec les humains qui l'avait transformé en petit sauvage ? Durant l'agonie des corolles goûteuses, le tavernier vint à s'approcher de leur table en jaugeant Valmys d'un œil inquiet à le voir aussi enthousiaste sur l'écuelle. Un léger sourire aux lèvres, Ivanyr le remercia de sa prévenance et lui assura que sa victime irait très bien, voire que sa capacité à engloutir toute l'assiette était peut-être due à une légère résistance elfique au psychotrope. Avec un fort sens de l'à-propos, ce fut le moment que l'autre choisi pour éclater de rire et ainsi prouver que la résistance en question avait bien une limite définie et qu'ils l'avaient atteinte. Haussant un sourcil à l'hilarité soudaine de l'elfe, le vampire reposa sa chope presque vide et tapota l'épaule du tavernier avant de lui indiquer qu'il était libre de partir s'il le voulait. Voyant Valmys lui sourire, il lui rendit l'effet, se retenant de pouffer de rire au tour qu'il venait de lui jouer. En revanche, il fut très surpris de voir l'autre se mettre en tête de quitter les lieux… en courant sans doute mais pratiquement parlant, ça n'avait rien de reluisant. Mais enfin non ! Enfin pas sans lui ! Le but c'était de le mettre minable, pas de le tuer sous les roues d'une charrette ! Mais qu'est-ce qu'il allait dire à Aldaron ?!

Se redressant en manquant renverser la table, il s'excusa auprès du maître des lieux et lui tandis le prix de leur repas avant de rattraper l'elfe qui n'avait pas encore atteint la porte. Grimaçant, il l'ouvrit d'un sort de télékinésie pour éviter que le drogué n'ait à le faire et sortit un instant après lui, juste à temps pour admirer la catastrophe. Heureusement que le gosse était en vie… il pouvait recommencer à se moquer de lui maintenant. Approchant en tirant un des pans de son ample cape Ivanyr observa ce que Valmys tenait dans sa main avec un soupçon de mépris paternaliste. Allons bon, qu'avait-il donc imaginé ? Avoir la drogue aventureuse ce n'était pas une bonne chose quand on était aussi ridiculement maigrichon. Certes, son amant aussi était maigrichon, mais ça n'était pas la même chose ! S'approchant avec prudence, il s'arrêta à quelques pas et cligna des yeux, perplexe, alors qu'on lui tendait le caillou.

«   Euh… merci ? »

Il valait sans doute mieux ne pas le contrarier maintenant. Enfin pas directement tout du moins, mais il pouvait toujours jouer un peu avec. Se baissant, il l'attrapa pour le remettre sur ses pieds et contempla les pavés d'un air ennuyé. Il allait devoir notifier à quelqu'un de se charger de les remettre à leur juste place. Lui-même ne pouvait pas le faire et il devait s'occuper du truc désinhibé à coup de champignons. Qu'est-ce qu'il allait en faire ? La meilleure chose à faire était certainement de le ramener chez Aldaron, histoire d'être un témoin privilégié de ce moment embarrassant. Le prenant par le bras, il le cajola suavement pour lui faire prendre la bonne direction, sans pouvoir s'empêcher de tester un peu l'étendue de son état actuel d'hallucination. Le constat s'avéra très drôle, et ce fut un Ivanyr pantelant qui advint chez le Bourgmestre, lançant des questions ressemblant fortement à : quelle est la couleur du ciel, pourquoi les poissons dansent, pourquoi un corbeau ressemble à un bureau…

Il installa Valmys dans le salon principal et l'observa quelques instants alors qu'une idée saugrenue lui traversait la tête et qu'un sourire machiavélique fleurissait sur ses lèvres. Un peu plus d'une heure plus tard, l'intérieur de la demeure avait un peu changé, subitement brillante de milles couleurs et transformée en ce qui pouvait le plus se rapprocher d'une jungle avec les moyens des deux personnes sous hallucinatoires. Au centre, sur ce qui avait dû être une table basse, se trouvait l'équivalent d'un autel sans qu'il soit possible de savoir à qui cela était destiné exactement… si on suivait l'apparence de l'autel, à une grenouille mutante et mixée avec une chauve-souris. Le bruit des pas ne le choqua pas plus que ça, et entre deux ricanements, il pencha la tête pour savoir si c'était la cuisinière qui revenait et… non !

«   Ohhhh coucou Aldaron ! Tu es vraiment très pioupiou en rose tu sais ? »

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    Clonc.

    Feuilles blanches noircies de sujets sérieux, jonchant négligemment le sol à l'impact de leur pochette de cuir. Clonc. C'était le son de son entrée, le fracas de sa surprise qui, fugace et incrédule, balayait la rationalité au profit d'un monde chimérique. Clonc, c'était le réveil au milieu d'une jungle colorée, parsemée d'arc-en-ciel disgracieux, mêlant tant de teintes sans ordre aucun que l'harmonie gisait à même le sol au pied de... L'autel ? Soit, l'autel. A qui ? A quoi ? Qu'était donc cette créature qu'on idolâtrait ici même, en sa propre demeure, son propre repère ? Clonc, c'était le mystère de son sanctuaire souillé par des croyances impies, venues tout droit du monde de l'extraordinaire, pour brosser à rebrousse-poil les esprits rationnels. Ça n'avait aucun sens et ça n'était pas faute de chercher. Les yeux de l'elfe clignaient plusieurs fois, comme s'il était possible qu'en un battement de cil, tout revienne à la normale. Au moins que cela ait une signification. Hurler, pleurer. Il n'en savait rien. Son travail étrillait bien trop ses nerfs pour qu'en arrivant ici, chez lui, il ne veuille se reposer et trouver la paix. Ce soir, il en serait privé. Alors aussitôt, clonc, c'était la brisure, le changement de voie, la recherche désespérée d'un aspect positif, si ce n'était plusieurs. Et ses yeux se posaient alternativement sur Ivanyr et sur son fils adoptif. Oui, eux deux, il les adorait. Ils sauraient lui dire qui avait massacré de la sorte sa maisonnée.

    Un pas, au milieu du champ de bataille, puis un second, évitant, comme il le pouvait ce qui traînait au sol. L'agilité des elfes rendait l'acte gracieux et minutieux alors qu'il rejoignait son amant avachi dans un large fauteuil, ramassant sur l'accoudoir où il voulait s'asseoir un pinceau teinté. Prenant place, il contempla ses deux abrutis. Les voilà ses vandales. Sur le lieu du crime. Il secoua la tête de gauche à droite, en signe de désespoir mais, à présent, amusé. Ce qui lui faisait accepter pareil saccage, c'était de les savoir unis dans leur bêtise. Les entendre rire ensemble, ça valait bien plus que le prix de son pauvre mobilier. Il leva le pinceau pour dessiner un petit oiseau sur la joue de son amant. Un oiseau rose – puisque c'était la teinte qu'il restait dessus – tracé délicatement à l’extrémité poilue de l'outil. Un sourire, tendre, s'étirait sur ses lèvres alors qu'il répondait. « Toi aussi. » soufflait-il avec une affection non dissimulée. Ses prunelles verdoyantes perdaient de leur sévérité consternée pour une langueur amoureuse, certainement niaise, alors qu'il mirait les océans clairs qui lui faisaient face. « Je vois que vous vous êtes bien amusés, tous les deux. » Il fit une légère moue, faussement boudeuse : « Et sans moi. » Il se laissa couler contre Ivanyr, descendant sur ses genoux et calant sa tête dans le creux de son cou, les yeux posés sur cette effigie, au milieu de la table basse.

    « Il va falloir m'expliquer... Tant le choix des couleurs que... Enfin, qu'est ce que tout cela représente ? D'un œil extérieur, c'est assez... Délirant. Et... Qu'est-ce que cette... Chose ? » désigna-t-il, septique, d'un coup de menton en direction de l’idole. Immédiatement son regard bifurquait sur son fils adoptif : « Tu es blessé, Valmys. » Il lui fit un signe de la main complété d'un « Approche. » Son pauvre genou était bien écorché. Il tendait une main pour le soigner, à la chaleur de sa magie : « Qu'est ce qui t'es arrivé ? »

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Ils avaient vraiment été bons, ces champignons ! Tellement bons qu'il s'en sentait... Léger. Le monde était tout léger, les soucis étaient lointains, et la présence d'Achroma était franchement douillette. Il l'aurait suivi jusqu'au bout du monde, prêt à réaménager complètement ce dernier, et faire la décoration intérieure de chaque maison ! D'ailleurs, il le fit, trottinant dangereusement à ses côtés vers la maison du bourgmestre, s'étonnant des questions qui lui étaient posées. Non pas qu'elles fussent spéciales; c'était plutôt que la réponse en était évidente ! Tellement évidente qu'au lieu de répondre, Valmys passa un moment à fixer Achroma avec un air de merlan frit, avant de pouffer de rire, donner un coup de coude au vampire, et lui assurer qu'il était certain qu'au fond de son coeur, il savait la réponse. Il continua en lui contant une histoire de son cru, mettant en scène un hérisson et un oursin.

La suite allait rester un peu floue dans sa mémoire. Vaguement, il se souvenait qu'Achroma avait fait quelque chose de plaisant... Et il se souvenait des couleurs que l'on remettait entre ses mains. Dans un élan de synesthésie, il avait offert à la demeure d'Aldaron la couleur de ses sentiments, et de la musique qu'il chantait en les appliquant. Cela lui avait paru beau, harmonieux, et sincère. De la vérité qui s'étendait et se montrait au grand jour ! N'était-ce pas émouvant ?
De même, il se souvenait vaguement avoir aidé Achroma à ré-arranger l'intérieur du manoir. Il se souvenait avoir entassé des objets selon une logique qui, sur le coup, lui avait paru évidente. Et il y avait cette histoire d'autel, et cette tentative de sculpture... Par les huit. Jamais Valmys n'avait vu si piètre sculpteur. Par amitié envers Achroma autant que par pitié envers celui qui était représenté, il avait essayé de donner quelques conseils au vampire. Sincèrement, le résultat était mieux que ce qu'il aurait pu être ! Et il avait été fait avec le coeur ! C'était sans doute le plus important... Ledit coeur trônait d'ailleurs à côté de la grenouillaron, comme une sorte d'offrande.

Quand quelqu'un vint les rejoindre, Valmys était allongé au pied d'un mur, les jambes appuyées contre ce dernier, et la tête dans un vase vide, à chanter dedans. Pour sa défense, ça résonnait super bien, c'était acoustiquement intéressant ! Cela lui donnait plein d'idées, d'un point de vue architectural. Entendre le prénom de son père le fit taire, et écarter un peu le vase de son crâne. Oh, Dadaron ! Voulant opiner du chef pour souscrire aux propos d'Achroma quant au côté pioupiou d'Aldaron, le petit immaculé manqua de se faire mal en se cognant au sol. Sans réfléchir, il laissa échapper un "oooohw" d'attendrissement en voyant son père adoptif venir chercher de l'affection auprès du grand vampire. Ils étaient vraiment pioupiou tous les deux. Valmys aussi aurait aimé pouvoir partager de l'affection avec quelqu'un. Instinctivement, il serra le vase contre lui comme un gros doudou.

L'Enwr s'apprêtait à se vexer que l'on remette en question et que l'on insulte son choix de couleurs. Mais il comprit bien vite, un peu paniqué, qu'il y avait plus urgent: Aldaron ne s'était pas reconnu dans la grenouillaron ! Oh non ! Le petit coeur d'Achroma allait être tout brisé ! Avant qu'il puisse le défendre, son père reprenait la parole... pour des mots qui lui échappèrent un peu. Lui, blessé ? Beuh... Non. Il allait très bien. En tout cas, il ne sentait rien, et n'avait conscience ni de son bobo au genou, ni des marques de crocs sur son cou. Aldaron parlait-il d'une autre blessure ? Les pirates ? Il lui avait déjà "raconté" tout ce qu'il pouvait raconter. Le reste ne s'énonçait pas. Valmys se leva et s'approcha, trainant le vase derrière lui, le regard un peu fuyant. Il dévia le sujet, gêné: "Invanyr a voulu sculpter une effigie à ton image, je crois. Et... Je les trouve très bien mes couleurs ! Celle là-bas, c'est pour moi la couleur de l'amitié. Avec le vert pomme, ça me fait penser à la liberté, et à l'avenir, aux plaines vertes infinies et paisibles. Le jaune poussin, c'est pour représenter la joie, l'amusement, et le sourire." Valmys attrapa une de ses mèches qui avait le malheur de tomber un peu sur son épaule, et la porta à ses lèvres. "Dähddy..." Un petit surnom elfique affectueux. "J'aime beaucoup Ivanyr. J'ai le sentiment qu'il a été très bienveillant envers moi. J'ai juste eu peur que son coeur s'enfuit. Oh, c'est toi qui lui a dit que j'aimais bien faire des maisons, et les décorer ?" Un éclair de génie parut le traverser. Il se tourna vers Achroma... Ou vers un point de l'autre côté d'Achroma. " 'Vanyr ! Tu avais pas dit avoir pris un... Un..." c'était quoi, déjà, le mot ? Valmys eut l'air de réfléchir très fort, avant de proposer: "...D'oghybäg ? Mh. Tu sais, pour papaldaron... Tu... On... Il est où ?"

Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Mar 11 Sep 2018 - 20:55, édité 2 fois

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La caresse du pinceau lui tira un gloussement, puis un rire alors qu’il se tortillait légèrement, se plaignant d’une petite voix joyeuse que l’elfe le chatouillait. Puis, au compliment, Ivanyr lui fit un grand sourire et le serra dans ses bras en tentant, sans grand succès, de ronronner. L’accusation boudeuse lui fit ouvrir de grands yeux et il s’empressa de le câliner en le rassurant de son mieux. Non, ils ne s’amusaient pas sans lui, ils voulaient lui faire une surprise, mais chut ! Il ne fallait pas le dire ! Si non ce ne serait plus une surprise. Mais ils l’attendaient aussi ! Il y avait encore plein de pigments pour colorer la maison ! Et il y avait encore plein de pièces à redécorer et améliorer ! Les questions eurent du mal à arriver jusqu’à son cerveau champignonné, et il ne comprit pas bien de quoi il s’agissait. Néanmoins, quand il fut question de l’autel, le vampire eut un sourire tout crocs dehors, les yeux brillants follement alors qu’il câlinait son elfe en émettant toujours une tentative de ronron pas très réussit.

« C’est toi, tu es beau hein ? »

Il nicha le nez dans ses cheveux en le regardant faire de la magie. Oh ! De la magie ! Il adorait ça lui. Est-ce qu’il pouvait en faire aussi ? Mais il n’avait pas vraiment d’idées sur quoi faire. Et puis Valmys piaillait, et ça le déconcentrait. Mais, une seconde. Hein ? Hein ?! Aldaron n’était plus là ? Il se redressa d’un coup en faisant tomber l’elfe qu’il venait d’oublier dans son moment de panique. Il tourna trois fois sur lui-même, image de la détresse même, avant que son regard ne tombe sur ce qu’il avait perdu et qu’il le récupère avec un intense soulagement. Ivanyr l’observa de bas en haut, avec une expression de souveraine perplexité, puis eut un sourire à la fois satisfait et un peu sévère, et le gronda pour avoir disparu d’un seul coup comme ça. On n’avait pas idée de lui faire pareilles peurs ! Une fois qu’il fut certain que l’elfe avait bien comprit que ce qu’il avait fait n’était pas bien, il se réintéressa subitement à quelque chose évoqué dans un passé plus ou moins proche, indéterminé par son esprit à ce moment précis.

« Ah oui, la surprise ! »

Il avait manqué oublier avec tout cela. Relâchant sa proie, il oscilla tant bien que mal vers l’autel, et y prit un bol qu’il apporta à Aldaron. Le bol en question contenait des champignons cuits, qui dégageaient encore une agréable odeur, légèrement piquante d’épices. Ils étaient accompagnés d’un crumble léger et parfumé ainsi que de petits oignons et ails confis. Le tout piqueté d’un peu de sel fin. Avec un grand sourire, Ivanyr tandis son offrande, paraissant triomphant. En même temps, ils avaient chassé ces champignons juste pour lui ! Ils avaient dû se battre avec eux avant de les mettre dans un sac pour qu’ils ne s’échappent pas et ils n’avaient pas cédé à leurs supplications ! Il ne fallait jamais céder au chant des champignons. Attendez non… ce n’était pas ça le dicton, si ? Oh il ne savait plus, ça n’avait pas beaucoup d’importance de toute façon ? L’elfe allait surement apprécier la collation et une fois qu’il aurait le ventre plein, il pourrait venir peindre avec eux !

« Bon appétit mon petit champi ! »

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    De plus près, les paumes de l'elfe effleuraient l’égratignure sur le genou de son fils alors qu'une lumière douce et chaude venait le soigner. La plaie se refermait, ne laissant qu'à peine la marque d'un souvenir qui s'effacerait naturellement. Il attrapa quelques mèches de cheveux châtain pour dégager le cou de ce qu'il avait cru apercevoir : la marque de crocs. Ainsi se reconstituait-il la scène et parvenait à définir la raison pour laquelle Ivanyr se trouvait dans un tel état. Il resta un instant à cligner des yeux lorsqu'on lui apprit que l'affreuse effigie était sensée le représenter. Valmys semblait s'accrocher dur comme fer à l'idée que ces couleurs étaient merveilleusement accommodées. Aldaron était certes un piètre artiste mais... Tout de même, ça n'avait aucune harmonie. Peut-être que l’apprenti se rendrait compte de l’hérésie lors qu’il ne serait plus sous l’effet de ces champignons.

    « Je suis heureux de voir que vous vous entendez bien. C'est important. » Pour leur famille en devenir, ça l'était forcément. Il n'aurait pas aimé le contraire, même s'il l'avait craint. Sa voix était teinté d'une sincérité vivante alors qu'il portait un regard attendri et paternel sur ce pauvre Valmys. Il devenait beaucoup trop cœur fondant, ça n'allait pas s'améliorer avec ces deux-là. La famille, c’était ce qui lui avait tant manqué. Il avait à peine connu sa mère, dans l’ombre de son père, avant qu’elle ne s’éteigne. Il ne se souvenait, de son défunt paternel, que d’une prison dorée dans laquelle il aurait voulu que son fils ne s’échappe jamais. Et il y avait cette femme et ce fils qu’il avait lâchement abandonnés, comble d’un égoïsme effrayé par les responsabilités qui le frappaient. Aujourd’hui, il se sentait plus en phase d’en reconstruire une par lui-même. La Triade avait ébauché ce désir avec un frère et une sœur de cœur mais… Là c’était différent. C’était son foyer, son noyau, son intimité. Ce qu’il construisait avec Ivanyr était une alliance solide qui voulait traverser les âges sans jamais tarir là où une fratrie n’était qu’éphémère. Elle tenait pour l’enfance et puis… Elle s’éloignait forcément, ne serait-ce que parce que le foyer quotidien n’était plus partagé.

    Vivre avec Corinne et Cercëe avait été le moyen, pour lui, de revivre une enfance. La phase de deuil, inévitable, l’envoyait dans le monde adulte. Valmys était l’enfant qu’il ne pourrait jamais avoir de l’Aîné, mais qu’il adorait et protégeait tant, comme si cela était vrai. Peut-être mordraient-ils des humains, ensemble, lorsqu’Aldaron serait un vampire. Peut-être construiraient-ils ainsi leur propre famille. L’idée lui paraissait encore abstraite et lointaine, lui qui n’avait connu de filiation que le sang héréditaire. Choisir son infans, c’était ce qu’il découvrait avec Valmys. Pouvoir décider de l’être qui serait mordu, pour partager leur foyer. Il était certain que son propre père aurait voulu choisir un autre fils s’il l’avait pu. La chute sur le sol, lorsqu’Ivanyr se redressa brusquement, le sortit de ses pensées. Fronçant les sourcils sans comprendre la réprimande qu’on lui offrait, il revint s’asseoir sur les genoux de son aimé, avec une hésitation. Il n’allait tout de même pas l’expulser à nouveau par terre, hein ?

    L’apparition des champignons dans une assiette de terre cuite termina d’achever la réflexion du pourquoi cette scène ! Oui forcément ces champignons ! Il se mit à rire, amusé de l’absurdité de la situation : « Mais… » Il se riait de plus bel, peinant à expliquer pourquoi cela le faisait tant rire : « Valmys ! Tu as oublié d’utiliser le sort d’Abolir, enfin… C’est connu qu’avant de manger cette spécialité Caladonienne, il faut se prémunir de son poison ! » Il plaça un doigt sur l’un de ses poignets, à l’endroit où passaient les veines et il serra le poing sur son cœur, s’immunisant ainsi des effets indésirables auxquels Valmys avait succombé. C’était un sort humain à la portée d’une majorité de la population ! « Ces champignons ont un goût exquis, très raffiné, plein de saveurs nuancées. » Il entama donc son assiette avec bon appétit, raffolant de ce goût subtil. Et ses ‘mmmh’ appréciateurs témoignaient pour lui de la reconnaissance qu’il avait à leur égard, de lui en avoir rapporté. « Mais ils rendent un peu... »

    Il regarda alternativement ses deux oiseaux fous : « Un peu… Délirants. Heureusement, ça s’estompe assez vite mais... » V’la le massacre en attendant ! Il se mit à rire, amusé, avant de finir bien volontiers son assiette, jusqu’au dernier champignon, avant que son sort cesse de faire effet. Il prit pour dessert un baiser de son aimé. Il s’amusa longuement, avec eux, de l’effet des champignons, leur posant des questions étranges, auxquelles on lui offrait des réponses d’autant plus étranges. Ils avaient inévitablement refait le monde à dose d’arcs-en-ciel monochromes, de chatons ailés à lunettes, de selles à cheval qui parlent, de pelle à tarte en algues marines et de trèfles à quatre feuilles. Valmys avait fini par s’endormir la tête dans son vase et l’elfe avait profité des bras d’Ivanyr pour laisser la tension de la journée se relâcher. Ils avait porté son fils jusqu’à sa chambre, lui laissant le vase pour doudou et avait mis au moins une demie-heure à faire en sorte qu’Achroma monte l’escalier jusqu’à leur suite parentale. C’était que chaque marche avait raconté une blague au vampire… Ça n’aidait pas à avancer.

    Est-ce qu’avoir une nuit chaleureuse avec un vampire drogué au sang champignoné était de l’abus ? Car si tel était le cas, Aldaron n’en avait aucun remord. L’aube apportait son lot de réalisations et lorsqu’il redescendit dans le salon avec Ivanyr, il ramassa la dite-effigie pour la remettre entre les mains du vampire. « Erm… Donc… C’est moi, mh ? » railla-t-il moqueur avant que la domestique ne leur serve un copieux petit déjeuner devant lequel il s’installa. Une tasse d’un thé ambré entre les mains, il en sirotait le contenu avec amusement en redécouvrant le désastre artistique dont avait été victime le lieu. Assis dans le canapé, son regard se posa sur Valmys qui revenait à son tour, tenant dans ses mains… Un vase, étrangement. L’elfe pinça ses lèvres pour se retenir de rire, laissant au silence le droit souverain de l’hilarité.

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Ses rêves avaient été compliqués au point où, quand sa logique était revenue, essayer de trouver un sens à ces formes, ces couleurs, et ces idées en kaléidoscope, avait usé son énergie. Que faisai un lama vert luisant dans le nid d'Achroma ? Et pourquoi personne ne s'inquiétait de cette Enwr avec des tentacules qui dépassaient de sous sa jupe ? Pourquoi diantre Valmys se changeait-il en psaltérion avec des pattes ? Il ne connaissait même pas la langue des signes des instruments, pour faire comprendre ses malheurs à ses pères ! Bon sang, jamais il n'allait sortir de cet imbroglio onirique !

Lorsque ce moment béni arriva enfin, l'intérieur de son crâne lui paraissait aussi épuisé que s'il n'avait pas dormi. Une sensation dure et tiède appuyait contre sa joue, et ses bras s'étaient enroulés autour d'un élément assez grand, visiblement rond, solide et lisse. Rien de vivant, pas de raison de paniquer. Avec une sorte de grognement de perplexité et d'inconfort, le petit Enwr rouvrit ses petits yeux encore collants de sommeil. Uh ? Un vase ? Il était joli, mais, comment dire.. Ce n'était pas exactement le genre d'éléments qu'il s'attendait à avoir ramené dans son lit ? Sans offense, hein, le vase était sans doute fort sympathique ! L'apprenti n'était néanmoins pas de ce bord-là... Normalement. Par les Huit, comment en étaient-ils arrivés là ? Et... Pourquoi le prénom "Igor" lui venait en tête en observant ce vase ?
Se redressant laborieusement, en frottant ses yeux comme pour être sûr que leur éveil n'avait pas halluciné la réalité, Valmys jeta un coup d'oeil autour de lui, à la recherche d'indices. Ce monde-là était trop paisible pour être innocent. Tout ce calme, ce silence, cette logique, après le chaos qu'il venait de rêver, ce n'était pas normal. Et il n'aimait pas trop beaucoup ça. Les nuages matinaux s'étalaient paresseusement à l'extérieur, les oiseaux pépiaient sagement, et Deïa l'observait avec ce qui ressemblait à un sourire bienveillant, allongée au pied de son lit. Tout à son trouble, Valmys ne remarqua même pas les pinceaux et pots manquants près du chevalet qui avait été installé dans sa chambre quelques jours plus tôt.

Bon. Il n'allait pas passer la matinée à cogiter sur ce qui devait n'être qu'un rêve. Peut-être n'était-ce que le fruit de la malice de son ancien maître, après tout. Ce dernier avait toujours eu une logique particulière. Non, il allait plutôt se lever, aller voir Aldaron, et lui demander le pourquoi du comment de ce vase (Igor ?). Après tout, ce ne pouvait être que de son fait, Valmys n'ayant pas souvenir de s'être endormi avec.
Le petit Enwr songeait à cela en se levant, déjà tout habillé, de son lit. Ses sourcils se froncèrent. Il réalisait peu à peu qu'il n'avait pas même le souvenir de s'être couché, et cela l'inquiétait. Fouillant sa mémoire, il découvrit que son dernier souvenir était un sourire bienveillant d'Achroma, dans les rues de Caladon.

Tout ceci sentait clairement le roussi. De plus en plus inquiet, Valmys se jeta de l'eau à la figure plus qu'il ne fit de réelle toilette, avant de se jeter hors de sa chambre, son vase (Igor ?) en main, et Deïa trottinant moqueusement à ses talons.

C'était un drame.
Tout dans cette maison était un drame ! Cette peinture, ces décorations... Ce choix de couleurs ! Non ! C'était un assassinat ! On avait tué le bon goût, et les rétines de Valmys avec ! N'importe quel va-nus-pieds sans éducation artistique aurait reconnu que -par les Huit- c'était moche ! Et ces formes... Pourquoi ? Pourquoi avait-on infligé ceci au manoir sobre et élégant d'Aldaron ? Quel saccage ? Comment avait-on pu le laisser se produire ? Que faisait Achroma ? Où était Aldaron ?
Les craintes s'accumulaient à chaque pas de Valmys dans les couloirs. Des scénarios de plus en plus terribles, et également de plus en plus capillotractés, lui venaient devant chaque désastre artistique. Une sculture avec les couverts, un tapis qui avait été accroché d'un mur à l'autre en passant par le plafond, et en s'entortillant sur lui-même, et ces cercles et étoiles peintes à même le parquet, selon des motifs ésotériques inconnus. Une tentative de glyphe ?
Un profond soulagement accueillit la vision d'Aldaron et Achroma, réunis, dans le salon. Ils étaient sains et saufs, et le bourgmestre paraissait même de relativement bonne humeur pour quelqu'un qui venait de subir un tel outrage, un tel affront. Son fils papillonna des yeux, cherchant encore une fois à dissiper l'aura de rêve qui devait les embrumer, pour ramener à lui la logique et la réalité. Mais rien à faire. Les objets s'entassaient toujours sans sens, les couleurs restaient aussi hideuses, et il y avait toujours ce poulpe avec des ailes qui ornait le plafond.
Alors pourquoi cela semblait si normal à tout le monde ?

Le pauvre petit être avait bien piètre allure, sur le pas de la porte du salon. Deïa le fixait, comme si elle attendait sa réaction. Lui, il observait avec un ébahissement terrifié et dégoûté le saccage, avant de porter sur Aldaron une expression emplie de questions, et la supplique d'une explication. Ce ne pouvait pas être réel. Il devait halluciner. En tout cas, ces couleurs, non, ce n'était pas permis, et d'aucune façon qui soit ! Aldaron devait trouver quelque mot pour lui affirmer qu'elles n'étaient que le fruit de son imagination endormie !
Valmys déposa le vase (Igor ?) dans un coin de la pièce, avant de se laisser tomber dans un fauteuil... Qui émit un couinement. L'immaculé sursauta, effrayé, et se hâta de se lever, pour trouver sous le coussin du fauteuil le jouet-à-glyphe-qui-couine qu'il avait trouvé pour Deïa. Pourquoi ? Pourquoi ici ? Envoyant le jouet à l'autre bout de la pièce, pour le plus grand plaisir de son amie canine, il reprit sa position d'origine, affalée sur le fauteuil, déjà épuisé par le début de sa journée. Se tournant vers ses pères, il demanda dans un soupir teinté de désespoir:

"- Je crois avoir des souvenirs qui me manquent... Ai-je loupé quelque chose ? Je me souviens d'Ivanyr m'accompagnant à Caladon après notre promenade, mais après..." Il prit l'arrête de son nez entre deux doigts, comme si cela pouvait faire varier les couleurs qui les entouraient. "Que s'est-il passé ici ? Pourquoi tant de... Pourquoi... Pourquoi ces couleurs, et cette... Décoration ?" Sa voix contenait toute l'incompréhension d'un bébé bapti blessé dans ses penchants les plus artistiques. Avait-il fait quelque chose de mal pour mériter cela ?
Si tel était le cas, il ne s'en souvenait plus.

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Il avait la migraine. Que les Déesses le protège, comment donc pouvait-il avoir la migraine ? Il était un vampire ! De méchante humeur, Ivanyr était descendu dans le salon épileptique en compagnie de son amant, vêtu en tout et pour tout d'une simple chemise de lin blanc, et d'un pantalon brun. Ses longs cheveux au blond très clair étaient emmêlés et retombaient sur ses épaules et son dos sans aucune forme de travail ou de recherche, simplement laissés à l'abandon pour le moment. Les pans de sa chemise étaient largement ouverts, lacets défaits. Il l'avait simplement passé sans prendre grand peine de se rendre présentable. Il était bien trop perturbé par sa migraine pour le moment. Installé dans le grand fauteuil, adossé confortablement, il prit l'idole en foudroyant l'elfe d'un regard ronchon, s'étant vraiment levé du mauvais pied ce matin-là et n'appréciant pas de le voir se moquer de lui. Elle était très bien sa sculpture ! Il y avait réellement mit tout ce qu'il avait en plus, ce n'était pas charitable de se gausser !

« Oui »

Fit-il avec détermination, le défiant de dire le contraire. Avec une délicatesse outrancière, il déposa la statue sur la table basse, au milieu du petit déjeuner, près du pot de crème. Puis, toujours très lentement, il prit une tasse et se servit du thé avant de se redresser et de s'installer pour le siroter tranquillement, impérial. Pfeuh ! Elle était très bien sa statue. Aldaron n'aurait pas fait mieux, il en était certain. Très content de cette certitude, le vampire décida qu'il n'était pas forcé de ronchonner plus longtemps et que dans sa grande mansuétude il pouvait se montrer un peu plus aimable. Ce fut là-dessus que Valmys apparut enfin, s'attirant un regard et un haussement du sourcils. C'est qu'il n'avait pas l'air particulièrement vaillant. Qu'est-ce qui s'était passé ? Il avait beau se creuser la tête, il ne parvenait pas à se souvenir de ce qui avait bien pu se passer précédemment pour qu'il semble aussi… aussi… bonne question, de quoi avait-il l'air exactement ? Disons qu'il semblait avoir vu Saeros en chair et en os. Oui, c'était une description tout à fait valable.

Le vampire observa le petit être approcher, et manqua sursauter au couinement. Qu'est-ce que c'était que cette chose ? Quelle idée de laisser traîner ça à un tel endroit… D'un regard bleu, il observa le pauvre petit elfe qui semblait osciller à la limite du désespoir. Pourquoi donc d'ailleurs ? L'état de la pièce apparemment. Le doux pépiement de sa voix apaisa quelque peu sa migraine et il décida de venir à sa rescousse en retour, comme remerciement. Même si en fin de compte, il n'était pas certain que ce soit vraiment une façon de l'aider. Mais c'était la meilleure qu'il avait sous la main qui ne lui demanda pas d'expliquer les champignons en détail. Avec un sourire permissif et rassurant, le vampire prit la parole, avec précaution pour ne pas se faire plus de mal encore. Il aurait été dommage qu'il se retrouve à avoir de nouveau la migraine après tout cela.

« Un malheureux accident de goût, rien de plus. Ça reviendra vite à la normale, alors ne t'en inquiète pas trop. Prend plutôt une tartine ou deux. A mon avis, tu dois avoir faim »

Il hésita, puis se redressa finalement avec une certaine lourdeur, récupéra sa statue et fit la moue avant de taxer arbitrairement un baiser à son compagnon. Puis il lui décocha un sourire mauvais et malicieux et fit danser son effigie sous son nez avec espièglerie.

« Je vais aller installer mon nouveau compagnon dehors, dans le jardin. Je suis certain qu'il sera du plus bel effet près du bassin »

Très content de lui, le vampire quitta la scène, bien décidé à sauver la statue de son ultime disparition aussi longtemps qu'il le pouvait.

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