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18 Octobre 1762

Ils étaient installés à l'arrière de la demeure du Bourgmestre, sous une superbe verrière très bien exécutée, profitant du calme et de l'air purifié par les nombreuses plantes, tout en étant protégés du vent sec et coupant provenant de la mer et qui soufflait sur Caladon depuis le début d'après-midi, annonçant avec une clarté triomphante l'arrivée de l'automne plein et entier sur les terres de Calastin. Le ciel était d'un gris doux, les nuages moutonneux tirant quelque peu vers des teintes sombres qui auraient pu annoncer un orage s'il n'y avait eut ces puissantes bourrasques qui gonflaient les voiles des navires et battaient les pavés de la ville marchande. De l'intérieur de la confortable verrière, ils entendaient vaguement les aquilons souffler avec enthousiasme, et voyait plus loin l'eau du canal qui s'agitait, striée comme une mer d'encre. Leur espace commun était meubler avec raison, mais la qualité des objets rendait la vie sous ce toit réellement agréable. Le feu qui crépitait dans le salon proche transmettait une partie de sa chaleur, complétée par les peaux et les tissages de cotons ou de laines douces présents et à disposition. La luminosité était encore relativement bonne, mais ils avaient à disposition des bougies et des roches magiques pour l'améliorer lorsque le coucher de soleil serait passé, laissant sa place au drapé nocturne.

Ivanyr s'était installé près des plaques de verre, pour observer l'extérieur tout en gardant un œil sur Aldaron. La journée avait été plus permissive, à l'égard de ce dernier, et c'était la raison pour laquelle ils avaient, d'un commun accord, décidé de revenir sur un sujet abordé précédemment. N'avait-il pas émit, ce jour là en revenant de la falaise, la volonté d'aborder de nouveau leur mésentente afin de la tirer au clair ? Il avait eut tout loisir de digérer le premier impact viscéralement négatif qu'avait causé le discours de l'elfe, et il avait réfléchit, comme il le lui avait dit. Foncièrement, le vampire n'avait pas changé sa propre posture aux sujets abordés, mais cela ne voulait nullement dire qu'il n'y avait pas d'échange à avoir, bien au contraire. C'était justement parce qu'ils n'avaient pas les mêmes avis qu'il y avait des choses à dire, les premières étant majoritairement destinées à éclairer les milles et unes choses qui lui semblait discordantes dans l'esprit de son compagnon. Détournant finalement son regard céladon de la grande baie vitrée qui embrassait le paysage extérieur avec appréciation, Ivanyr se tourna finalement vers Aldaron, et tandis une main vers une robe ronde et purpurine qu'il décrocha pour la faire croquer sous sa canine. Les vendanges les plus tardives avaient été riches en surprises.

« Excuse moi, je peine à ne pas vouloir profiter du temps extérieur. Mais ça ne veut pas dire que je ne valorise pas notre échange »

Lui dédia un sourire calme, il prit le temps de rassembler ses pensées, se faisant ainsi la réflexion qu'Aldaron le poussait à agir comme Achroma l'aurait fait. Ce n'était pas volontaire, mais si l'Aîné avait adopté le parti du calme et de la rhétorique ce n'était sans doute pas pour rien. S'énerver sur une controverse n'apportait pas grand-chose. Bien entendu, il ne se faisait nulle promesse, ne sachant pas réellement s'il pourrait tenir à ces bonnes résolutions, mais en tout cas le processus était intéressant et enrichissant, il ne pouvait et ne voulait pas le nier.

« La dernière fois, j'ai eu l'impression que tu mélangeais énormément de sujets différents, de choses différentes. J'ai ressenti tes explications comme un imbroglio de bile, je dois l'admettre. J'avais besoin d'essayer d'y voir plus clair avant d'adresser quoi que ce soit de ce que tu m'as dis »

Le vampire jouait distraitement avec un puzzle de métal installé sur ses genoux, cadeau de Cybele qu'il avait vu récemment et qui pensait que cela l'aiderait à focaliser et diriger tant ses pensées que sa magie. Et l'exercice était bénéfique de nombreuses façons. Il lui permettait effectivement de réfléchir posément tout en s'occupant les mains, il lui permettait de se vider l'esprit lorsqu'il en avait besoin, il lui permettait de projeter les problèmes qu'il rencontrait pour leur donner une forme concrète… et ce n'était pas là un éventail exhaustif. Pour l'heure, cela lui permettait de garder un certain rythme dans son discours.

« Je vais certainement aller pas à pas, en espérant que cela permette un meilleur traitement de tout ceci. N'hésites pas à me le dire si tu as l'impression que ce n'est pas le cas ou si tu as d'autres choses à me dire, d'autres idées… Je me doute que tu le sais déjà, mais je trouve appréciable de le rappeler »

Il n'était pas là comme tribunal inquisiteur après tout. Se redressant légèrement, il arrêta une première fois de manipuler le puzzle, à mi-chemin d'emboîter la première pièce, semblant attendre de voir la question se dénouer afin d'enfoncer le petit morceau de métal dans son emplacement, comme la pierre à l'édifice de leur échange. Discuter lorsque l'on diverge était possible et même vital, intellectuellement, afin de ne pas rester enfermé dans ses visions des choses, pouvoir entendre d'autres arguments et faire évoluer une idée. C'était un stimulant intellectuel partagé.

« Tu dis que tu ne veux pas donner de crédit à ces deux femmes. Luna et Orfraie. Tu dis qu'elles n'ont rien fait pour mériter ce crédit, parce qu'elles ne se sont pas jurées à la Caste et que cela t'a déçu. Ce que je ne comprend pas, c'est que tu dis également que c'est leur droit. Je n'arrive pas à comprendre cette logique, à comprendre comment tu peux affirmer qu'elles ont le droit de refuser leurs devoirs, et leur en vouloir par la suite de prendre ce droit. C'est déjà une première chose… une seconde, qui y est liée… c'est que tu penses qu’honorer correctement les anciens dragonniers serait leur donner du crédit. Non, cela n'a rien à voir, et si quoi que ce soit, rappeler ce que les anciens dragonniers ont pu accomplir serait mettre en lumière ce qu'elles, elles n'ont pas fait. La comparaison, c'est l'apanage de nos races, tu le sais aussi bien que moi »

Après un bref instant, il reprit un grain de raisin, et le fit un instant jouer entre deux doigts, ayant déposé son jouet dans son giron. Il faisait tout pour dédramatiser le sérieux de la discussion, car il avait toujours en mémoire l'impression de méfiance et de tension d'Aldaron. Une fois déjà il lui avait dit de ne pas le voir comme un adversaire et il y tenait profondément. Tout ceci ne changeait pas ce qu'il éprouvait pour lui, c'était construire, tout simplement.

« Peux-tu déjà me dire ce que tu en penses ? »

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    Un drapé brun, doux et fluide, reposait sur les épaules fines et noueuses du bourgmestre, lui apportant la chaleur qu'il lui manquait à cet automne naissant. Près de la cheminée, il n'en avait pas besoin, mais dans la verrière, c'était plus adéquat pour son confort et pour sa sérénité. Paradoxalement à cette couverture, ses pieds étaient nus sur le bois du plancher qu'il aimait à sentir au contact de sa peau. Le murmure de ses mots était de l'elfique alors qu'il aidait cet plante aux grosses fleurs carmines à se remettre, droite et forte. Elle avait visiblement eu un mauvais coup, et ses domestiques, humains, n'avaient guère le pouvoir des elfes que de s'infiltrer dans les veines verdoyantes de la nature par leur magie. Peut-être pourrait-il leur apprendre à l'occasion, cela éviterait à quelques plantes de son jardin intérieur d'agoniser, le temps qu'il soit disponible pour s'y attarder. Il n'avait pas assez de ses heures pour faire tout ce qu'il devait. Ses doubles fonctions dévoraient ses jours et il s'avouait bien heureux de ne pas être seul. Le Magistrat était un soutien dont il ne saurait se passer. Son quotidien était même presque un peu trop régi par cette cale qui comblait les lacunes de son incapacité à tout gérer.

    Les excuses d'Ivanyr le sortirent de ses occupations alors qu'il se tournait vers lui. Ses sourcils délicatement froncés prouvaient qu'il ne voyait pas ce qui le poussait à demander pardon, jusqu'à ce qu'il n'achève sa première réplique. Ses traits se détendirent et s’adoucirent d'un sourire tendre et paisible. « A ton aise, nous avons du temps devant nous et... C'est magnifique. » Ses prunelles d'émeraude caressaient de leur attention le nuage gris, chargé de colère, qui approchait, porteur de pluie et d'un spectacle tout aussi somptueux que le vent qui frappait les murs de la Cité Libre. L'elfe à la peau sombre aimait ce temps, plus que la chaleur estivale, étouffante, qui lui rappelait bien trop, chaque année, Morneflamme. Aussi pouvait-il aisément comprendre l'intérêt que le vampire vouait au paysage. Il écouta ses premiers propos, tout en venant à lui, s'installant à ses côtés sur le banc de bois clair. Le mobilier avait été agencé spécialement sous une arche à laquelle s'accrochait des fruitiers grimpants, tels que des vignes ou des kiwis. Il avait déposé une fourrure duveteuse sur l'accoudoir avant de s'y adosser, assis à la perpendiculaire des convenances, juste pour être orienté vers Ivanyr. Il remonta ses pieds nus sur l'assise, avant de les couvrir du drapé. Il aurait pu encercler ses jambes repliées de ses bras, mais pour l'heure, il restait confortablement en retrait, adossé.

    Le silence fut son refuge, pendant un instant, non pas pour le contenu des propos d'Ivanyr, mais pour la situation en elle-même. Ceci ressemblait tellement aux soirées qu'il avait pu passer avec Achroma, à débattre longuement, discuter simplement de valeurs, d'histoire, de ce qui tourmentait leur ancien continent. La similitude était frappante, presque autant qu'elle l'était, physiquement. Ça l'avait surpris, sur le coup, avant de s'intéresser au fond des questions qu'on lui posait, les prunelles hypnotisées par le profil vampirique de son aimé. La situation n'était pas exactement la même qu'avec Achroma, le fond de leur sentiments avaient changé et cela modifiait l'ambiance qui régnait dans la verrière. Il n'était plus l'apprenti du maître, le joueur qui éprouvait du plaisir à finir sa nuit dans ses draps pour apaiser les tensions de ce qu'ils soulevaient d'horrible ou de poignant dans leurs palabres. Il était son lié de cœur, emprunt d'une affection sincère et réciproque. « J'aime Orfraie et Luna, en dépit des choix qu'elles ont fait. Elles sont des amies, des sœurs, des soutiens. C'est mon affection pour elles qui me conduit à accepter de leur laisser ce choix, à elles, aux autres. Je me réjouis pour elles. Je suis satisfait de savoir qu'elles ont pu avancer dans la voie que leur soufflait le cœur mais cela ne m'empêche pas d'être déçu par ce choix, car il n'entre pas dans mes valeurs. Ça n'est pas le choix que j'aurais aimé qu'elles fassent, même si je le respecte et l'accepte. Cela peut paraître paradoxal, à première vue mais... Tout les sentiments qu'on éprouve pour une personne ne vont pas forcément dans le même sens. On peut aimer quelqu'un tout en étant son ennemi. Haïr un allié. Souffrir la trahison d'un ami et se satisfaire de son bonheur, malgré tout. »

    Il haussa les épaules, d'un geste lent. « La Caste me permettait de m'investir dans ce monde, après Morneflamme. C'était une ancre, le souvenir d'Achroma auquel je m'accrochais et qui me faisait du bien. La voir mourir en sachant que par elles, la Caste aurait pu perdurer, m'a fait perdre des repaires. A ce moment là, mon frère puis ma sœur ont trépassé alors... Je ne l'ai pas spécialement bien vécu. Elles avaient ma main tendue, à l'époque, et elles l'ont refusé. Je ne me sens pas d'attaque à leur offrir le crédit et le poids aujourd'hui par cet hommage aux dragonniers. » C'était un point de vue personnel et le voir en face lui faisait du bien également, outre l'éclairci qu'il apportait à Ivanyr. « Quant au second point... Oui, tu as raison. Mon argument n'est pas valide. Les gens comparent et verront ce qu'ils désirent voir. Si l'humanité se plaît aux différenciations, cependant, elle aime aussi à l’assimilation et aux raccourcis de pensée. Les préjugés sur les vampires, les graärhs et les elfes naissent ainsi. Il suffit d'être un vampire pour être déclaré créature cruelle et buveuse de sang, nonobstant les différences de comportements qu'il existe au sein de la race et qui rendent chacun individu singulier. Un monument à la mémoire des dragonniers pourrait tant leur servir ou leur desservir, c'est vrai. C'est assez imprévisible. » Il lissait méthodiquement son drapé, pour s'occuper les mains et focaliser ses pensées. « Luna et Orfraie ont fait des choses honorables. Elles ne se sont pas désengagées de ce qui frappait le continent. Elle se sont battues contre les chimères comme chacun de nous tous. Et c'est cela qui me pousse à ne pas attirer les félicitations sur les dragonniers uniquement. Ils n'étaient pas seuls dans ces batailles. Ils avaient juste... De plus grosses armes cracheuses de feu, si on peut parler des dragons ainsi. La Caste leur aurait apporté autre chose que le rôle d'engin de bataille, quelque chose de différent. »

    Ses lèvres fines, cendrées, se pincèrent alors qu'il inspirait l'air dans ses poumons. Il laissa échapper un soupir : « Ce n'est que mon point de vue et assurément en ont-elles eu un autre, qui ne vaut pas moins mais... Ce n'est pas elles qui vont dresser un mémorial, c'est moi. J'aime à ce que mes actions soient en phase avec mes pensées et entre rendre hommage aux dragonniers et rendre hommage au peuple, je me sens d'avantage porté et appelé par la seconde option que tu évoquais. Parce que les dragonniers font partie du peuple mais le peuple n'était pas que des dragonniers. Le premier est exclusif, le second est inclusif. »

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Inconscient du miroir que la situation produisait, le vampire se contentait d'observer l'elfe près de lui, son attention loin d'être focalisée par pure courtoisie attendait sincèrement des réponses. Et ce dont il se rendit compte rapidement était la différence de vocable par lequel tous deux soupesaient leurs arguments. C'était un premier fil de pensée, une première réponse ou une première pierre à l'édifice de la compréhension de ce qui les séparait. Aldaron, semblait-il, pesait les choses par l'affect, là où il le faisait par logique. Ce qui lui semblait couler de source par raison étant en réalité, dans l'esprit de l'elfe, venu au monde par les sentiments. Et le marchand avait raison d'affirmer que cela pouvait paraître paradoxal puisqu'ils n'utilisaient pas les mêmes échelles de valeurs. Certes, il n'était pas idiot, il savait déjà bien avant qu'on ne le lui dise que les sentiments pouvaient être contradictoires, sauf que, dans son vocable à lui, logique et pragmatique, c'était fort rare. Les sentiments contraires ne perduraient jamais sur un même pied d'égalité et l'un d'eux tendait toujours à broyer les autres. Et les bipèdes n'étaient pas assez altruistes pour réellement souffrir ces contradictions. Ça, c'était de l'utopie pure et dure, et il valait mieux ne pas l'attendre des autres. Pourtant, cela lui faisait mal de devoir pointer de telles choses du doigt, car c'était de bons sentiments qui aiderait son compagnon à aller mieux. Pouvait-il trouver un juste milieux entre les deux extrêmes ? En fin de compte, il soupira, et prit à son tour la parole.

« Tu n'es pas constant »

C'était un constat, plat, objectif, et après un instant, il s'exprima davantage sur le sujet, pour lui faire comprendre ce qu'il entendait par là.

« Je comprend par tes paroles que tes points de vue sont motivés par les sentiments, et cela explique bien les choses car les sentiments ne sont pas objectifs. Ils biaisent. Tu prend un argument lorsqu'il te sert mais il n'entre pas dans une construction globale. Par exemple, considères-tu le lien que les dragonniers partagent avec leurs dragons comme quelque chose d'unique ou pas ? Tu l'affirmes quand tu dis que les dragonniers jouissent de cela et que c'est un énorme bénéfice, mais en parallèle tu réduis les dragons à des outils. Tu affirmes également que les dragonniers font partie du peuple, ce qui pourrait se défendre, mais ce serait sans doute oublié qu'ils sont sensé posséder un lion unique qui, justement, fait en sorte qu'ils n'en fassent pas partie… Je pense que le cœur du problème, c'est de savoir réellement qu'elle valeur utilisée et considérer. C'est pour cela que nos avis divergent... »

Il enfonça enfin sa première pièce, satisfait du déroulement de leur discussion jusque là, et surtout, satisfait de voir Aldaron parcourir un chemin de pensé nécessaire, tout simplement parce que c'était en discutant que l'on construisait, que l'on améliorait et précisait les choses et qu'en tout et pour tout, c'était bénéfique de façon générale. Ivanyr n'étriquait pas les avantages à la question immédiate, préférant voir au-delà.

« Je ne considère pas toute la population comme étant égale. Je ne considère pas les individus comme valant la même chose et plus que ça… je trouve étrange de l'employer dans une ville comme Caladon, à part comme jeu d'orgueil et d'hypocrisie, que je peux comprendre à défaut d'y adhérer. Personne n'a les mêmes capacités et les mêmes chances, et quand tu donne la même chance à tous, aucun ne la prend de la même façon, la comprend de la même façon. Si les Caladonniens prétendent être tous égaux, c'est uniquement pour dorer leur image et se persuader d'être meilleurs qu'ailleurs »

Sans doute était-ce particulièrement pessimiste de sa part mais… comment prouverait-on qu'il avait tort ? Peut-être avait-il tort… mais s'il l'acceptait, il n'arrivait pas à faire son propre procès. Et le plus drôle ? Il ne se pensait pas meilleur qu'eux. Tout au plus était-il objectif sur ses travers sans réussir à les éviter. Était-ce pire ?

« C'est pour cela que je comprend l'envie de ne pas froisser la population en lui ôtant ses illusions, tout en ne pouvant l'accepter. Tu es le Bourgmestre et tu fais tes choix, ils sont tient. Mais il est vrai que je n'aurais pas envie de céder la mémoire de ces personnes extraordinaires simplement pour leur confort affectif, en particulier quand chacune de ces personnes à souffert du regard de la masse. C'est… une autre forme d'équité sans doute. Parce que le céder à la masse, c'est déjà prouver l'inégalité inhérente à la société que nous occupons… car nous minimisons la véritable valeur de ces êtres. Très peu de paysans ont prit les armes pour défendre leur pays Aldaron, ce sont des foutaises, jolies mais des foutaises… »

Quelque peu peiné, il se passa les doigts sur une tempe. Il ne voulait pas non plus prendre Aldaron pour un naïf, l'elfe ne l'était pas. Et il ne voulait pas sembler le critiquer, car ce n'était pas cela non plus. C'était bien plus délicat. C'était sa vision des choses, et elle n'engageait finalement que lui, et il acceptait volontiers que son interlocuteur le détrompe. Aucun d'eux n'avait la vérité suprême, ils n'avaient chacun que quelques fragments éparpillés.

« J'ai conscience que, si je te trouve très candide, je dois avoir l'air excessivement inique et venimeux. Ce n'est toutefois pas par plaisir que je m'exprime ainsi. Je ne suis pas pour les différences et l'inégalité, je ne fais que la constater chaque jour… et l'idée de l'estomper me plaît, sincèrement, cependant je trouve un certain plaisir à la justesse des actions. Qu'elles soient motivées profondément par quelque chose d'adéquat... »

Lorsqu'il parla à nouveau, ce fut avec cette même tranquillité avec laquelle il exposait la froideur de son jugement sur les autres. Intuitivement, il voyait ce qui tiraillait ces figures emblématiques. Il voyait le peuple les porter aux nues puis cracher sur eux, tout ça par caprice, par incapacité à comprendre, par iniquité justement et il ne pouvait pas les placer de la même façon que le premier bourrelier venu. Il avait cherché, ces deniers jours, les récits de la fin de chacun de ces dragonniers… ils s'étaient pour beaucoup sacrifiés pour leurs peuples, et leurs peuples ne retenaient rien d'eux si ce n'était de la déception. Une déception qu'ils auraient également subie s'ils étaient restés en vie, pour ne pas s'être sacrifiés. Le peuple voyait ce qu'il voulait voir, et ne voulait jamais admettre ses ignobles vérités. La populace avait besoin de rêver, et besoin de sacrifier des individus sur l'autel de ces rêves.

« Tu veux essayer d'incarner les idéaux que tu projetais sur les autres, n'est-ce pas ? Peut-être es-tu coincé entre les deux. Mais ce qui est certain c'est qu'il n'est pas possible de justifier l'un par l'autre. En fin de compte, une personne réellement désillusionnée n'aurait pas tes espoirs ou ton appréciation du peuple...Et c'est bien un compliment que je te fais malgré tout »

Avec simplicité, il lui prit la main, réitérant le contact qu'Aldaron avait cherché à leur retour de la falaise.

« Est-ce que je te semble trop critique et paranoïaque ? Ou est-ce qu'il y a un peu de vrai dans ce que je dis ? J'essaye de comprendre la façon dont tu penses, les origines de tes avis, mais je ne suis pas bien sûr de moi J'ai conscience, sais-tu, de regarder tout ça de loin, qu'il puisse être facile pour moi de juger, sans me mouiller, sans ressentir sans aucun doute ce que vous ressentez tous… peut-être est-ce que je cherche aussi trop à lire entre les lignes de tes paroles et à les analyser plutôt que de les prendre comme les élans de ton coeur »

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    La main de l'elfe reposait sur le dossier du banc de jardin, lorsque celle d'Ivanyr vint la saisir. Elle serra, de son étreinte chaude, sa peau glaciale, pour répondre par sa présence au contact, sans chercher d'avantage. Il aimait suffisamment ce qui lui était offert. La discussion devenait intéressante et il prenait le temps de la pondérer. Si ses sourcils n'étaient pas froncés par la réflexion, il n'en demeurait pas moins vrai que le sérieux de leur propos avait chassé son sourire, progressivement. Non pas qu'il n'apprécia pas l'instant, mais parce qu'il ne le trouva pas de circonstances, eu égard du sujet : ils parlaient bien de personnes trépassées et de mémorial. Les traits de son visage s'adaptaient naturellement au sentiment de tristesse que ses souvenirs lui évoquaient. « Je trouve que tu es froid à l'égard du peuple, surtout. » souffla-t-il, pensif. Ses prunelles d'émeraude miraient leurs doigts joints alors que son pouce évoluait le long du derme, dans une caresse aussi tendre que songeuse. « Tu vois tout ceci avec distance, certainement avec plus de justesse et de vérité que moi... Mais je préfère être moins juste dans ma manière biaisée de voir le monde, que de souffrir d'une amertume trop aiguisée, qui étoufferait l'espoir. Je suis désillusionné, mais je ne suis pas acide. » Il avait simplement conscience de l'envers du décor. Bon ou mauvais et il acceptait les rouages formés dans l'ombre qui brisait la magie. « La désillusion et l'espoir ne sont pas forcément contradictoires. La désillusion, c'est savoir se qui se cache derrière le rideau. C'est tout. L'espoir et la foi se moquent bien de la science. Ce ne sont que des croyances, stupides et vaines, peut-être. Ou peut-être pas. Parfois ce que l'on croit savoir est erroné. Il n'y aura jamais de raison, de justesse ou de vérité dans la nature humaine. Nous sommes un peuple d'erreurs. Alors pourquoi cherches-tu à être juste ? Ou à comprendre. Si je devais bâtir un squelette logique de ma pensée, après ce que j'ai vu à Morneflamme, je me serai pendu depuis bien longtemps, accablé. Tu penses trop. » La dernière phrase était soufflée avec douceur, un sourire venait sur ses lèvres alors qu'il relevait ses iris verdoyantes sur lui. N'était-ce pas ce qu'Ivanyr lui avait rétorqué, plusieurs fois, lorsque l'elfe avait cherché à intellectualiser des sentiments ? L’hôpital qui se moquait de la charité.

    Doucement, son sourire disparaissait, à nouveau, au profit d'un regard songeur : « Et... Tu es marqué par des sentiments qui ne sont pas les tiens. Ce qui sont ceux d'Achroma. Ce n'est pas la première fois que je le constate, en vérité... Je pensais qu'il s'agissait de coïncidences et peut-être l'est-ce vraiment mais... Cela devient trop récurrents. La première fois, c'était ce soir où j'ai gravé sur toi le sceau du Marché Noir. Dans la cire. Tu as réagi au quart de tour, refusant les chaînes et l'asservissement que cela t'évoquait, intuitivement. Achroma en a énormément souffert, que d'agir sous la contrainte à l'encontre de ses propres valeurs. J'ai l'impression, ce soir, que tu es sujet à ce même genre de marque viscérale. Achroma a enduré le regard et les attentes du peuple à son égard. Même tant ta manière, toute logique et sincère, de repousser les attentes que le monde a en te voyant si semblable à Achroma. J'ai... Je peux me tromper bien sûr, mais j'ai le sentiment que tu défends une vérité tout aussi biaisée que la mienne. Une vérité baignée d'amertume, subjective... A prendre une défense aussi... Acide, disons... Pour les autres dragonniers. Je me demande si ce n'est pas la douleur d'Achroma que tu essaies d'apaiser, parce que mes mots t'ont touché. Peut-être blessé. » Il se mordit la lèvre inférieure, baissant les yeux en même temps qu'il secouait doucement sa tête de gauche à droite : « Je fais peut-être une erreur à le penser... Je ne suis pas dans ta tête, c'est seulement ce que cela m'évoque, en fin de compte. » Un soupir soulevait son corps avant que l'un de ses pieds ne glisse du banc, doucement et qu'il ne penche son buste en avant, vers son aimé. Il conduisait la main du vampire jusqu'à sa joue, cherchant plus en avant sa tendresse. Le froid le fit frisonner, comme à chaque fois. C'était devenu une habitude, à présent. Les yeux clos à son contact, il cherchait encore à ordonner ses pensées, se doutant bien qu'Ivanyr cherchait à le faire travailler son jugement, à l'affiner, dans la fond, outre son désir de le comprendre.

    « Mon point de vue sur le Lien est très situationnel. C'est comme aimer manger les carottes crues mais pas cuites, ça reste des carottes, initialement. Ce qui change, c'est la situation qui les entoure, la façon de les cuisiner. J'ai vu l'amour, l'affection sincère entre un dragonnier et son dragon. Un lien unique, magique un peu comme... Le nôtre. » Si tant est qu'il soient effectivement unis par l'esprit-lié de l'inséparable. Il y avait cette magie, extérieure, qui rendait tout cela plus fort. « Tu es... Tel mon dragon. » Il rouvrit les yeux, un sourire en coin, amusé de tenir un tel propos, vint naître et s’effacer au profit d'une mine songeuse. « Une arme redoutable dont tu m'as octroyé le droit d'user, qui répondrait à mes demandes pour l'affection et la confiance que tu me portes. Sur un champ de bataille, tu ferais plus de dégâts qu'une dizaine d'hommes. Mon propos, au sujet des dragons, était factuel. Cela ne signifie pas que je les dénigre pour autant. Je trouve toujours ce Lien aussi magique... Et terrible aussi. L'affection à un tel niveau a forcément des conséquences dramatique si l'un des deux vient à disparaître. » Son buste coula doucement en arrière pour reprendre sa place. Il ne lâchait pas sa main, la laissant doucement retomber sur sa cuisse. « Je ne suis pas... Extrême, je cherche l'équilibre. Mon regard est plus nuancé que le tien, je pense. Ce n'est pas tout ou rien. Quand je me suis enfuis de Morneflamme, j'ai traversé le continent jusque l'ancienne Caladon. Je suis passé par les campagnes, j'ai vu les paysans prendre les armes, presque chacun d'entre eux. Ne serait-ce que pour leur survie. Parce qu'ils avaient peur pour eux, parce qu'il avaient peur pour leurs enfants. Ils usaient des fourches à foin et des pioches à mine comme des armes, quand les soldats du Tyran venaient leur arracher des 'traîtres', ou les loups de Néant dévorer leur famille et leurs amis. Ça n'est pas marqué dans les livres que tu as pu lire cela. On n'y parle que des grandes figures, des dirigeants, des chefs de guerre, des dragonniers. Ça n'est pas des foutaises. C'était encore moins joli. C'était horrible et terrifiant. On ne parle pas non plus de Morneflamme, dans tes livres. Tout juste qu'il s'agissait d'une prison odieuse et que les gens qui en étaient sorti ressemblaient à des fantômes névrosés, hantés par leur cauchemars. Y a-t-il des héros qui aient survécu à Morneflamme dans tes livres ? Des noms qui te viennent à l'esprit ? Pour autant, est-ce que cela n'a pas existé ? Nous étions à peine une dizaine pour avoir pris le risque de faire tomber ces murailles. Y a-t-il un seul de ces héros qui soit cité dans tes livres ? Le suis-je ? As-tu lu mon nom, dans ces livres, autant de fois que ceux des dragonniers ? Ou celui d'Autone, celui de Matis Falkire, des trois lames qui accompagnaient Korentin Kohan ? L'Impératrice des Elfes ? L'Empereur des Hommes ? »

    Il poussa un soupir, à la fois triste et troublé. Il était sincèrement dérouté : « C'est à tous ces gens-là que je pense, Ivanyr. Pas seulement aux dragonniers. Je pense à eux, bien sûr, mais je pense aussi à tous les autres. J'essaie seulement de te montrer que les actes des dragonniers ont été à la mesure de leurs moyens immenses. Leur courage, leur volonté de protéger, je l'ai aussi retrouvée dans le cœur d'un plus petit soldat de l'armée. Je ne veux oublier aucune mémoire au profit de ceux dont le nom est déjà plus que connu. Effacer la masse au profit d'une poignée d'entre eux. »

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Oh que oui, il était froid avec le peuple, mais lui n’était ni Bourgmestre, ni Intendant, ni Magistrat, il n’était pas tenu d’avaler toutes les couleuvres qu’une masse constamment insatisfaite pouvait produire. Pour autant, il aurait été inexact de dire qu’il méjugeait la populace. Bien entendue, qu’elle avait de bons côtés, il ne le niait nullement et appréciait les découvrir. Et il voulait bien reconnaître que s’ils n’y avaient nul bon côté, il n’y aurait personne pour diriger. Ce qui n’empêchait rien, et surtout pas de mettre le doigt sur le négatif quand il existait. Aldaron estimait certainement cela avec justesse quand il affirmait que sa vision était plus lointaine et que c’était de cette distance que venait son objectivité, mais il se méprenait sur ses sentiments, cependant. Sans grande surprise, car il n’était pas évident de faire le tri, et que lui-même n’affirmait rien de cela clairement. On ne peut blâmer quelqu’un de ne pas être télépathe ou devin, et il ne comptait pas le faire, c’était justement ce qu’il reprochait aux autres. Fronçant légèrement les sourcils, il pencha la tête, affichant une expression mi réprobatrice mi amusée, notant dans un coin les éléments de son discours comme autant de grains de raisin dans lesquels croquer. L’image était amusante en elle-même. Comme sa taquinerie. Mais c’était prendre les choses sous le mauvais angle. Lorsqu’il eut finalement fini, il y avait sans doute assez de grains de raisin pour qu’il reconstruise une vigne complète, et les lèvres tremblantes d’un sourire contenu, il prit une véritable bille ronde et gorgée de jus pour la lui presser en offrande, le regard pétillant.

« Tu crois vraiment que je prends au pied de la lettre ce qui se trouve dans les livres, que suis assez naïf pour ça ? Tu vas me vexer Aldaron  » Mais le ton était faussement chagrin, la lueur de son regard toujours bien présente, démentant cette affirmation. Non, il ne le vexerait pas avec ça.

« Je prend le temps de lire car cela me donne un autre point de vue sur un sujet. Au travers d’une lecture, tu peux voir poindre les sentiments de celui qui a effectué le texte. De plus, si je me souviens de certaines choses, cela me permet de les vérifier. En l’occurrence, les livres de Caladon sont très explicites sur la façon dont sont vus les évènements. En l’occurrence également, justement, les dragonniers ne sont pas connus, comme toi, ils ne mentionnent que Korentin, Esmelda et Kylian.  »

Et, oh surprise, cela motivait son présent discourt. Qui l’aurait cru ! Aldaron avait raison en sa dépréciation finale d’une littérature orientée, néanmoins cela pouvait également avoir des usages. Présentement, cela nourrissait leur discours mutuel, et ce n’était pas illogique. Dans quelques générations d’humains et d’elfes, les livres seraient la base des controverses portant sur cette époque. La didactique viendrait de l’interprétation de ces mots, et ce qui n’avait pas été gravé serait oublié. Cela valait pour Morneflamme, cela valait pour les dragonniers. Dans un cas comme dans l’autre ce n’était pas quelque chose de juste oui, mais ça arriverait forcément. Personne n’y pouvait rien à moins d’écrire quelque chose d’autre justement. Mais c’était faisable, et cela vaudrait la peine d’être fait. Peut-être le lui proposerait-il. Coucher sur papier tout cela lui serait peut-être bénéfique.

« Tu m’as dit précédemment, de tes propres mots, que tu ne voulais pas élever un dragonnier cédant à ses devoirs plus qu’un paysan prenant les armes pour la guerre. A cela je te réponds, et je te l’affirme de nouveau, qu’il y a très peu de paysans qui aient prit les armes. Ce n’est pas la même chose de défendre un lopin de terre que l’on possède quand on est menacé sur l’instant et s’enrôler dans une armée avec la perspective de mourir certainement au combat pour d’autres. Dans un cas c’est de l’auto-préservation, dans l’autre c’est l’appel du devoir. La notion de caractère que cela implique est totalement différente. Et si j’applaudis que quelqu’un décide de ne pas s’étendre sur le sol pour se laisser marcher dessus, j’ai l’équité de ne pas le considérer comme un soldat au front. Ni comme un dirigeant. Ni comme un dragonnier. Ce que tu prends pour de l’extrémisme, non sans fondement de par mon discours, est simplement une forme de justesse comme une autre  »

Libérant sa dextre avec douceur, il retourna jouer avec son puzzle. Ils dérivaient du sujet initial évidemment, mais ça ne le dérangeait pas. Il aimait aller en profondeur dans ces sujets avec lui, il voulait l’entendre rétorquer, connaître les éléments qu’il prenait, ceux qu’il percevait plus que d’autre. C’était aussi une autre façon d’apprendre à le connaître profondément. Ils n’avaient pas d’épées pour croiser le fer et il n’avait pas l’intention de le tuer sans le vouloir dans un duel magique, restaient donc les mots. Lui décochant un nouveau regard pétillant, il reprit tranquillement, toujours très tranquille mais à présent également prit au jeu. Les dés étaient pipés des deux côtés, cela donnait un échange des plus complexe, mais tant qu’ils le désiraient tous deux pourquoi se priver de se faire plaisir ? Cependant il se rembrunit quelque peu pendant quelques instants lorsqu’il poursuivit d’une voix pensive, son regard se perdant dans les contemplations qu’il touchait du doigt au travers de leur discussion.

« Je ne suis pas non plus celui qui écrit ces ouvrages, tu vois. Tu devrais directement leur demander tout cela. Je me contente de prendre les expériences que je connais, et celles d’individus autours de moi. Mais je ne pense pas que tu apprécierais davantage ma façon d’écrire un livre. Il serait bien trop dénué de cette forme de laxisme que la majorité des historiens possèdent. Ils ont autant de raisons que nous d’agir comme ils le font et sans doute leurs ouvrages ne seraient pas autant acceptés sans cela  »

Lentement, il se passa les doigts sur le menton en un geste songeur. Ils se rejoignaient dans leurs axes de pensées. Lui aussi trouvait des similitudes entre le lien des dragons et dragonniers et celui des inséparables. Pour autant, instinctivement, il jugeait leur cas moins terrible, plus positif. Davantage porteur d’espoir en vérité, mais cela ne tenait peut-être qu’à la façon de percevoir le contenu de ce lien comme de celui des dragonniers. Mais il y avait également des refuges logiques vers lesquels tous deux se rabattaient. Aldaron en revenait à Morneflamme parce que cette expérience abominable l’avait marqué à vie et qu’elle lui parlait, à raison. Lui campait sur ses positions objectivistes parce qu’il ne se sentait pas impliqué réellement dans certains drames. Mais tous deux le savaient, c’était une valeur étalon, en un sens, une certitude qu’ils savaient pouvoir observer et qu’ils pouvaient de même concrètement voir évoluer si cela arrivait. Et justement, puisqu’Aldaron le mettait sur le tapis…

« Tu considères que Morneflamme vaut de remettre en question les goûts et les visions du peuple… mais pas la douleur d’un être transformé en arme pour le plus grand nombre ? La douleur de voir un lien profond biaisé par tout le miasme extérieur, qui n’a pas le temps d’apprendre à connaître profondément son partenaire et qui risque de le perdre à tout jamais, tout en pouvant y survivre ? La douleur de sentir ton âme arrachée, déchirée, d’avoir à tout jamais un vide en toi, béant, qui jamais ne se consolidera. Dans les deux cas, marqués à vie, à moitié mort, saisit d’abominables cauchemars. Il n’y a pas d’échelle à la douleur, dit-on, une jeune fille n’ayant pas ton expérience pensera sa peine de cœur la pire chose au monde, mais il est permis de se questionner n’est-il pas ?  »

Ils déviaient effectivement de leur sujet de départ, en un sens mais tant pis. Il agissait simplement comme il pensait devoir le faire, affirmer ce qu’il affirmait. C’était comme de coller l’œil sur un cristal taillé et se rendre compte que l’on observait de multiples facettes d’une même pièce au travers de ce corps brillant. Pour le coup, c’était les facettes d’un même problème qu’il voyait se dessiner. Et soudainement, si l’exercice était plaisant, le sujet laissait un goût de cendre dans sa bouche…  

« Connais-tu vraiment ce qui lie un dragon et son dragonnier ? Tu dis que tu as vu l’amour qu’ils peuvent partager, mais d’où vient-il ? Le sais-tu ? Le dragon éclot sous les mains d’une personne, comment est-elle choisie ? Quelle est la nature exacte de la magie qui relie ces deux-êtres ? Ne sont-ils pas forcés de cohabiter, âmes et esprits fusionnés ? Nous vivons une situation similaire, à défaut cependant, en tout cas de mon point de vue, que nous nous aimons forcément. Tu pensais que, peut-être, nous ne pouvions aimer que l’autre mais qu’il fallait travailler pour cela, et je pense que je t’aimais forcément. Pour les dragonniers, il a été prouvé qu’ils ne s’aiment pas forcément… tu imagines l’horreur que ce doit être de sentir ce lien intime se détériorer sans même pouvoir le briser ? De sentir ton esprit se déliter lentement et ton corps avec lui ? D’être blâmé pour ça ? J’ai du mal moi-même à imaginer l’idée d’être forcé de m’entendre et d’aimer quelqu’un sous la menace… je t’aime parce que cela est naturel pour moi, pas forcément parce que nous nous ressemblons, mais parce que tes différences font parties de ce que j’aime. Mais peux-tu jamais seulement savoir si cette possibilité existe ? Comment sont choisies ces personnalités ? Tu as raison l’affection à ce niveau peut être dramatique… mais l’absence de cette affection est encore plus horrible  »

Avec un soupire, il se rendit compte que tout cela amenait chez lui une forme d’immobilité, toute son attention tournée vers ses pensées et ses paroles, au détriment de l’illusion de vie de son enveloppe immortelle. Mais sans doute l’elfe n’y verrait-il aucune raison de se plaindre, car peu importait leurs dissemblances, le fond de cette épineuse question ne changeait pas. Il était réellement sinistre de le contempler, non ? Qui, dans son bon droit, en pleine possession de ses moyens, pourrait réellement chasser ces questionnements légitimes de la controverse ? Oui, il y avait une belle image des dragonniers, mais c’était l’image qui plaisait au peuple d’avoir, l’envers du décor que l’elfe disait affronter, lui… il laissait une étrange impression. Ce qu’offrait le lien était tellement biaisé qu’il n’imaginait pas en faire une raison de forcer les dragonniers à accepter leurs devoirs. Ou une raison de minimiser le poids de cette acceptation. Combien d’individus répondraient ainsi si on leur demandait leur avis ? Il gageait qu’ils seraient bien peu. Mais il avait la liberté d’y réfléchir, là où d’autres ne l’avait pas en leur possession.

« Pour moi tout cela est au moins aussi terrible… et tout cela, peu de personnes en ont conscience, est-ce que je me trompe ? Tout comme peu de personnes ont réellement conscience que n’importe qui pourrait tuer un dragonnier… et alors le dragon n’est plus si terrible, une bête blessée perdant pied. Peux-tu m’affirmer l’inverse ? Leur pouvoir n’est pas si grand…  »

Une flèche pourrait tuer l’un d’eux facilement, ou un sort… Déglutissant, il prit le temps de plusieurs grains de raisin avant de prendre à nouveau la parole. Il n’était pas pressé. Il avait ce confort et il le prenait. Comme il avait le confort de pouvoir regarder sa propre conduite dans un miroir. Oui, il était quelque peu sec de premier abord, cela se comprenait parfaitement. Mais évidemment il pouvait expliquer.

« Et si je te dis tout cela, ce n’est pas avec l’image d’Achroma en moi. Ce n’est pas mon visage que je vois… Je te l’ai dit, si personne ne veut leur réattribuer leurs mérites, moi je le ferais. Crois-moi j’ai aussi peu d’appréciation pour n’importe quelle situation semblable. Cracher sur un homme mourant est bien trop simple. Changer d’avis parce qu’on a été déçu et blâmer un autre des attentes que l’on a placé en lui est bien trop simple. C’est une forme d’iniquité que je n’arrive pas à comprendre. De la même façon qu’il y a une différence entre espoir et naïveté. Avoir l’espoir de voir quelqu’un s’améliorer est une chose, compréhensible. Cela peut arriver ou non. En revanche, croire à quelque chose quand on a des évidences criantes sous les yeux… ça, ce n’est simplement pas de l’espoir. La désillusion est la mort de cette naïveté. Je ne suis pas acide, je suis pragmatique. J’accepte les choses telles qu’elles sont, je ne cherche pas à voir autrement. Lorsque quelque chose est beau je le dis, lorsque quelque chose est laid je le dis. Je ne retire ni l’un ni l’autre. Et les autres ont toujours l’occasion de me surprendre, cela arrive dans les deux cas. Cela ne me fait pas souffrir profondément, je choisis d’en souffrir car je choisis de donner ou non de l’importance à un sujet. Cette souffrance est mon appréciation et mon implication. Si je le voulais, je cesserais simplement d’y penser. Et je pense, contrairement à toi, qu’il peut y avoir de la justice et de la raison chez les hommes. Il y en a autant de preuves que de son iniquité. Et cela me surprend que tu puisses parler du courage des soldats ou de tes paysans mais ne pas leur rendre leur vérité. Je suis aussi équilibré que toi, mais mon équilibre est plus… distant, comme tu le disais  »

Avec un léger sourire, il lui chassa une mèche de la gorge.

« Je ne suis pas SI horrible que ça  »

Il y eut un léger blanc et lorsqu’il constata le regard que lui lançait l’elfe et il soupira. Très bien, il n’était pas réceptif ce soir et sans doute en un sens ne l’était-il pas davantage sans doute. Plutôt que d’attendre une réponse de sa part, il éleva la main et eut un léger sourire renouvelé.

« Ne dit rien. Nous verrons plus tard. Vient, je suis certain que tes serviteurs ont préparés un repas en accord avec le temps... »

Se relevant, il lui emboîta le pas et le couva d’un regard lancinant et pensif tandis qu’ils regagnaient la salle à manger. Ils avaient le temps, très certainement. Un jour ils parviendraient à se comprendre.

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