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descriptionForger sa place [PV Serinne] EmptyForger sa place [PV Serinne]

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Chacun de ses pas engloutissait une bonne portion du chemin qu'il devait parcourir, ce qui n'était pas négligeable quand on savait la longue route qu'il lui restait à faire. Un objectif qui ne cessait de reculer aux vues des nombreuses haltes qu'il effectuait et ce, depuis sa sortie du quartier résidentiel. Plusieurs citoyens l'interpellaient pour avoir des informations supplémentaires concernant les récents événements de Cordont ; en effet, la nouvelle de sa chute s'était propagée comme une traînée de poudre. Dès que la Garde Loup avait été mise en branle-bas de combat, pas plus tard que la nuit précédente, tout le reste de Délimar s'était éveillé et engagé dans les préparatifs. Le fait que l'unité d'élite dédiée à la sécurité de l'Intendante sorte faire quelques manœuvres d'entraînement était un spectacle commun, mais là ? Les soldats préparaient une véritable caravane contenant nombre de ressources alimentaires, médicales et même civiles en présence de caisses de toiles, de clous, de mortier et autres nécessaires de charpenterie. Il y avait même deux forges mobiles en plus des équipements réglementaires à la Garde Loup. Il était question de gagner par voie terrestre le site de la catastrophe et porter secours aux habitants, mais aussi à toutes les délégations rassemblées là pour le premier congrès magique et scientifique Calastien. Au temps pour la symbolique associée à cette ville...

Levant les yeux vers le ciel pâle, Sigvald fronça légèrement les sourcils alors que la courbe du soleil ne faisait que grimper. Le départ de la Garde et des artisans réquisitionnés pour porter leur expertise et aide concernant la reconstruction de Cordont partirait d'ici seulement quelques heures. Hors si lui-même était prêt depuis la veille, il lui restait encore une dernière course à effectuer. Un détail qu'il souhaitait s'enlever de la conscience avant qu'il n'enfile armes et armures et ne rejoigne ses hommes pour le grand départ. Plus d'une semaine de monte forcée les attendait pour atteindre la zone de sinistre et une fois sur place, il ne savait absolument pas combien de semaines lui seraient nécessaires, en faction vigilante, avant de pouvoir revenir en Délimar. Perdant patience, il interrompit abruptement son interlocuteur et le renvoya à ses propres activités d'un regard aussi sévère que sa voix était rauque d'un agacement à peine contenu. Ils n'étaient pas des elfes à se montrer oisif et propager des commérages. S'il avait le temps de retenir son Général pour étancher sa curiosité, il en avait pour aider à la reconstruction de Délimar ou perfectionner le maniement de ses armes. Plantant là le citoyen, Sigvald tourna les talons et descendit l'immense avenue qui menait aux portes du Quartier Commerçant. Saluant les soldats en faction, il prit sur lui pour écouter les rapports qu'ils avaient à fournir sur les dernières vingt-quatre heures. Conscient que cette charge ne lui revenait pas forcément, le Général ne pouvait s'empêcher de saisir ce genre d'opportunités pour rester au plus près de ses hommes.

Une heure entière s'était presque écoulée depuis qu'il avait franchi le seuil de sa résidence et il commençait légèrement à perdre patience. Il lui aurait fallu trois fois moins de temps pour arriver à destination et maintenant qu'il se tenait devant la forge Doréa, il avait presque envie de faire demi-tour. Presque. Prenant une profonde inspiration, le glacernois expira dans un vague grondement tandis qu'il passait une main dans sa chevelure, repoussant quelques mèches au blond cendré par dessus ses épaules. Ses yeux pâles scrutèrent le bâtiment et il entra sans plus de manières pour se diriger directement vers le cœur de ce lieu : la forge. Aussitôt l'odeur âcre de l’étain brûlé lui chatouilla les narines, de même que le bois consumé, le cuir gorgé de sueur et d'eau, ainsi que le métal chauffé. La température était étouffante, le vacarme du marteau sur l'enclume était régulier à la façon d'un cœur puissant. Il s'arrêta sur le seuil, croisa les bras et vint s'épauler contre le carde de la porte avec un léger sourire aux lèvres. Depuis toujours le travail du métal l'avait fasciné, la maîtrise des forgeron rendant le maniement d'un tel art si aisé entre leurs mains et pourtant ? Il s'agissait d'un véritable tour de force à devoir plier des matériaux tirés des entrailles de la terre, compactés par des millénaires de pression.

Plus impressionnant encore était la « fine » silhouette qui œuvrait dans la forge ; une humaine de l'ancien Empire. Il était surprenant de la trouver ici, des mois après l'indépendance des Cités. Nombres de ses pairs étaient naturellement retournés dans les jupons de Sélénia lorsque la guerre avait éclaté, mais pas elle. Serinne Doréa restait à Délimar, farouche et inexpugnable. Le glacernois plissa légèrement des yeux alors que son sourire s'accentuait à l'ombre de sa barbe de quelques jours, puis son expression retrouva son impassibilité habituelle quand il se racla la gorge pour marquer sa présence.

« - Bonjour, Doréa. Je souhaite te passer commande. »

Ne pas tourner autour du pot. Il n'en avait ni l'habitude, ni le temps. Il oublia de se présenter, usé qu'il était à être reconnu par les siens. Habillé d'un simple pantalon de cuir sombre, de bottes à semelles souples montant jusqu'à mi-mollet et d'une chemise à col lacé en laine blanche, rien n'indiquait réellement la position social de Sigvald. Ayant appris à vivre de simplicité et d'efficacité, il n'avait à sa ceinture que son épée nordique et un couteau de chasse. Glissant une main dans son dos, il extirpa hors du creux de ses reins un parchemin soigneusement plié en quatre qu'il tendit à la forgeronne sans quitter l'embrasure de la porte. Sur le vélin se trouvait les croquis d'une épée courte, celui du cimier de la Famille Elusis ainsi que les détails plus techniques concernant la commande tel que le poids ou les métaux désirés, le tout écris à la plume.

« - Je dois partir pour Cordont d'ici quelques heures et je n'ai pas la moindre idée de ma date de retour. Si jamais la commande est terminée avant mon retour, il suffira de la livrer à la demeure Elusis, un cadeau pour mon petit-fils Havard. Tu y recevras aussi ton paiement. »

Il s'agissait après tout d'une commande personnelle. Bras de nouveau croisés, il pencha légèrement la tête sur le côté en signe d'attention et d'écoute, espérant que ce petit bout de femme lui réponde favorablement. Il l'avait choisi pour plusieurs raisons et détesterait s'être trompé. Bien sûr, il attendait de voir si elle serait curieuse, si elle chercherait à débattre du prix de ses services... ou tout simplement à en savoir plus sur la-dite arme. A présent qu'il était là, il n'était plus aussi pressé et ne se fâcherait pas contre un peu de discussion. Paisible, le géant glacernois roula simplement des épaules avant de revenir s'avachir contre le bois solide, à peine courbé pour tenir dans le cadre.

Dernière édition par Sigvald Elusis le Lun 13 Aoû 2018 - 11:51, édité 2 fois

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Le martèlement du marteau sur le fer rouge. Le tintement du métal contre le métal. La chaleur étouffante du four à côté. L'odeur du feu, de l'acier chaud. La sueur sur le front. Et cette saleté de mèche rousse devant les yeux. Une journée comme une autre à Déimar pour Serrine, bien installée dans sa forge, à taper de toutes ses forces sur cette plaque brûlante qui deviendrait bientôt un plastron reluisant. Une journée comme une autre... pas vraiment en fin de compte. Depuis que la nouvelle de l'effondrement de Cordont était arrivée en ville et que la Garde Loup s'était mise en branle, toute la cité était prise d'une soudaine agitation. Tous aidaient d'une manière ou d'une autre. Serrine, elle, travaillait d'arrache pied depuis la première lueur de l'aube à regarnir son stock d'armes et d'armures qui avait disparu en une journée. De mémoire, elle n'avait jamais autant vendu en si peu de temps, si bien qu'à présent elle devait refuser des commandes si elle voulait avoir une chance de vendre à nouveau un jour. Elle avait juste eu le temps de ferrer un cheval.

Plusieurs pièces qui avaient déjà été entamées plusieurs jours plus tôt étaient déjà terminées et une série d'épées et de cuirasses étaient en court de fabrication. La sueur perlait à grosses gouttes sur le front de la forgeronne qui ne prenaient pas le temps de l'essuyer. La journée était loin de s'achever et elle sentait déjà ses bras se fatiguer. Elle lâcha un instant son marteau pour tirer quelques bon coups sur le sifflet. Les flammes rugirent et le martèlement reprit de plus belle. Le métal retourna dans le feu et un début d'épée se retrouva sur l'enclume. Tandis qu'elle frappait, Serrine ne put s'empêcher d'imaginer la montagne de travail qui l'attendait : les pièces terminées à graver et sangler, les fusées à enrouler de cuir, les gardes et pommeaux à confectionner, les lames à aiguiser, le métal à polir, la solution acide à préparer, les commandes de matériaux à passer... Sa plus grande crainte était surtout qu'elle ne savait pas si ses réserves actuelles de matériaux suffiraient à regarnir son présentoir. Et puis, alors qu'elle cognait la poignée d'une nouvelle arme, elle vit du coin de l'oeil une silhouette s'installer à la porte de la forge.

Elle posa les yeux sur le nouvel arrivant et le détailla tout en continuant son ouvrage. Elle l'avait déjà vu de loin en ville et le reconnut. Sa chevelure était inimitable. Le général des armées et champion de l'Intendante. Cependant impossible de se rappeler son prénom. Sig-quelque chose sans doute. Jamais personne d'important n'avait mit les pieds dans sa forge et quelle première ! Le général en personne ! En l'observant mieux, elle se rendit compte de la taille impressionnante de cet homme. Elle qui avait toujours eu du mal à trouver des hommes à sa taille, voilà qu'elle se retrouvait en face d'un véritable géant qui était, d'ailleurs, plutôt gâté par la nature elle dut le reconnaître et retint un sourire. En vérité elle le trouvait très attirant mais se força à n'en rien laisser paraître. Elle interrompit son travail, enleva ses gants et s'essuya les mains et le front dans un chiffon et alla à sa rencontre avant d'entreprendre de le saluer, mais il le fit en premier d'une voix peu commune.

- Bonjour, Doréa. Je souhaite te passer commande. Il lui tendit un parchemin bien plié qu'elle ouvrit immédiatement.
Elle se retrouva face à des croquis d'épée, de cimier et des détails techniques sur la commande à réaliser, le tout soigneusement écrit à la plume. Il avait l'air du genre direct. Un bon point d'autant qu'il avait certainement d'autres priorités que de bavarder avec une simple forgeronne. Le général poursuivit.

- Je dois partir pour Cordont d'ici quelques heures et je n'ai pas la moindre idée de ma date de retour. Si jamais la commande est terminée avant mon retour, il suffira de la livrer à la demeure Elusis, un cadeau pour mon petit-fils Havard. Tu y recevras aussi ton paiement.
Serrine prit en compte les informations, analysa l'arme, la demande avant de répondre.

-Général, c'est un grand honneur que vous me faites en passant commande à ma forge. Votre demande sera traitée en priorité. Cependant permettez-moi quelques questions. Tout d'abord j'aimerais savoir à quel usage sera destinée cette lame. Pour l'entraînement, le combat réel ? Ensuite je me doute que l'argent n'est pas un problème pour vous, mais jusqu'où êtes-vous prêt à payer ? Une commande pareille aura un prix plus élevé qu'une épée classique vous vous en doutez. Et enfin, si je puis me permettre bien entendu, puis-je en apprendre plus sur la situation à Cordont ?
Faire passer une commande en priorité était un énorme risque étant donné la situation de Serrine, mais être bien vu des puissants de la ville ne pourrait lui être que bénéfique. Elle avait d'ailleurs évoqué le sujet de Cordont car une idée avait germé dans son esprit. Elle espérait que le général accepterait qu'elle accompagne les hommes à la ville sinistrée. Cela lui donnerait une excuse en or pour se justifier de ses étagères vides. Et puis, en plus d'être bien vue par tous à Délimar, elle y gagnerait en expérience et verrait peut-être même un peu d'action. Cela faisait un moment que Brise-Côte n'avait pas servi en combat réel.

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Général. Le titre lui tomba dessus comme une chape de plombs et manqua de lui arracher une grimace d'inconfort. Voilà seulement quelques mois qu'il avait reçu ce titre prestigieux et encore aujourd'hui il ne s'estimait pas le mériter. Hors la promotion venait tout droit de l'Intendante et de ses conseillers, qui était-il pour remettre en cause leur décision ? Il ne pouvait qu'accepter humblement et faire honneur à leur confiance tout en s'escrimant à ne jamais les décevoir. Pour autant, il n'avait pas cru donner l'impression d'être là en tant que supérieur de la jeune forgeronne. Rien dans son comportement ou sa tenue ne semblait mener à cette conclusion ; où avait-il créé la confusion ? D'autant plus que cette hiérarchie n'avait pas lieu d'être puisqu'elle n'était ni citoyenne, ni soldat au sein de Délimar. Curieux qu'elle se range aussitôt sous la bannière militaire, était-ce le signe de quelques services au sein de l'armée humaine sur l'ancien continent ? Une idée à creuser. Au final, l’appellation ne lui arracha qu'un simple froncement de sourcils et il claqua légèrement la langue contre son palais en signe de désapprobation.

Silencieux le reste de son discours, Sigvald finit par se frotter une joue mangée de barbe alors qu'il semblait contempler la forge d'un air pensif. Cette femme abordait plusieurs sujets et si tous méritaient une réponse ajustée, il ne devait pas oublier qu'elle était étrangère aux coutumes de son peuple et ce, malgré les nombreux mois à les côtoyer. Un glacernois était d'un naturel xénophobe, il fallait s'entêter à un long apprivoisement pour gagner sa confiance et pouvoir en apprendre davantage sur ses us et coutumes... L'homme finit par soupirer et passa la main sur sa nuque qu'il se massa fermement avant de se redresser pour l'approcher. Tête baissée vers elle, il finit par s'asseoir sur le bord d'un établis, jambes étendues devant lui et chevilles croisées nonchalamment. Dans cette posture détendue, il venait de perdre plusieurs centimètre et éviterait peut-être à Serinne de se manger un torticolis d'ici la fin de leur entrevue.

« - Déjà, commences par m'appeler par mon prénom ; Sigvald ou si cela te gêne, alors va pour Elusis. Je ne suis pas ici en tant que Général, cette commande est d'ordre privé. Gardons là ainsi... Tu peux aussi me tutoyer, nous avons pratiquement le même âge. »

Voilà déjà un détail de réglé. Il en restait encore beaucoup et il posa les mains de part et d'autre de ses hanches, agrippant le bord de la table alors qu'il affichait une expression plus douce et moins sévère. Il se savait capable d'intimider ses pairs quand il ne faisait pas attention et ne désirait pas braquer la jeune femme aussi bêtement. Ses idées et propositions ne lui déplaisaient pas, elles méritaient simplement d'être vérifiées ou retravaillées pour certaines.

« - Ensuite, tu n'as pas besoin de traiter ma commande en priorité. Ce n'est pas ainsi que nous fonctionnons à Délimar. La priorité reviendra toujours à l'armée, puis selon l'ordre naturel de tes commandes. Nous sommes tous égaux ici... nous n'estimons pas quelqu'un par son titre ou la lourdeur de sa bourse. Ça... Ça, c'est bon pour Caladon. »

Le mépris dans sa voix ainsi que le léger froncement de son nez furent transparent qu'en à l'idée qu'il se faisait de la sublime ville commerciale de l'autre côté de Calastin. Le regard couleur de givre sembla s'assombrir et prendre des teintes d'orage alors qu'il serrait la mâchoire à s'en faire saillir le muscle. Toute cette merde à Cordont, leur intervention forcée et la panique avec Sélénia... tout était de la faute de ce maudit elfe, à n'en pas douter. Il avait hâte d'être sur place et d'entendre à chacun leur plaidoirie. Sigvald soupira et ferma un instant les yeux pour retrouver son calme, la tension latente dans son corps puissant refluant jusqu'à n'être qu'un frémissement à fleurs de peau.

« - Concernant le reste... Qu'avais-tu dis ? Ah oui... Sache que chez nous il n'y a pas de différence entre une arme d'entraînement, de combat ou même de parade. Nous combattons toujours comme si nos vies en dépendaient, en conditions réelles, car nous ne savons jamais lorsque l'entraînement deviendra une lutte farouche pour sa survie. Toutes les armes que tu fais ici, si elles sont commandées par des citoyens de Délimar, considères les pour la guerre et uniquement comme tel. Si tu vends une armes émoussée en croyant qu'elle servira pour des entraînements ; au mieux le client te la renverra dans la gueule et au pire... il risquera sa vie en utilisant ce qu'il pensait être une arme fiable. »

Il haussa des épaules, ne croyant pas une seule seconde qu'un guerrier digne de ce nom confondrait une arme d'entraînement avec une véritable épée, mais dans le doute il valait mieux prévenir la jeune femme. Il en allait de la réputation de son commerce après tout. Jetant un énième regard autour de lui, il avisa toutes les armures en préparation, les épées et dagues, haches et coutelas en attente d'être terminés. Elle travaillait ainsi depuis l'aube ? Probablement, après tout l'entièreté de la ville et de ses artisans étaient en effervescence depuis l'annonce du départ de la Garde Loup pour Cordont.

« - Ne te surmènes pas... ton travail risque d'en pâtir. »

Le conseil claqua plus sèchement qu'il ne l'aurait aimé et il poussa un léger soupir, détournant le regard des étagères dépouillées pour revenir sur la silhouette de la forgeronne. Il l'observa d'un air critique avant de reprendre de sa voix grave, rocailleuse :

« - Cette épée est destinée à mon petit-fils. Il l'utiliseras lors de ses entraînements, puis lorsqu'il passera son Rite à l'age adulte quand il atteindra ses onze ans. J'ai besoin d'une épée courte et conçue avec des matériaux solides. Le prix ne souffrira pas pour sa qualité, donc ne t'en préoccupes pas. Quand tu l'auras forgé, il te suffira de te présenter à la demeure familiale pour réclamer ton dû. Nous paierons en conséquence. »

Abrupte dans sa franchise, il la détailla encore avec sévérité avant de venir fixer les braises de la forge. Le dernier point qu'elle avait soulevée était plus épineux. Pesant ce qu'il pouvait lui dire et ce qu'il valait mieux taire, il attrapa une lanière de cuir et se mit distraitement à jouer avec. Il l'enroulait tantôt autour de ses phalanges, tantôt sur lui-même en un serpentin. Ce fut d'une voix lente et profonde qu'il répondit, prenant le temps de peser ses mots :

« - Cordont a subit une catastrophe naturelle grave. Fondée sur une cave, le plafond de cette dernière s'est écroulé lors de la Conférence et aura emporté une grande partie de la ville avec lui. Nous dénombrons une grande quantité de victimes et de disparus, ainsi qu'une quantité importante de blessés. A cause de l'ampleur sans précédent de cet incident, les deux Royaumes envoient de concert des renforts militaires, des vivres, des médecins ainsi que des artisans pour porter secours aux victimes, mais aussi à Cordont... ou ce qu'il en reste. »

Il jugea que cette information était suffisante concernant le statut de Serinne au sein de Délimar. Elle n'avait pas les accréditations suffisantes pour en savoir plus, mais il ne désirait pas la laisser trop dans le flou au cas où elle déciderait d'aller fouiner d'elle-même et donc de s'attirer des ennuis. Il l'observa posément, ayant arrêté de jouer avec la lanière pour la reposer à son exacte emplacement. De nouveau attentif, il eut l'ombre d’un sourire amusé :

« - N'aies pas peur de parler. Tu sembles avoir une idée derrière la tête... je t'écoute. »

Dernière édition par Sigvald Elusis le Lun 13 Aoû 2018 - 11:50, édité 1 fois

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Quand l'homme, ou Sigvald, s'assis sur l'établi, Serrine poussa intérieurement un soupir de soulagement. Elle n'avait pas l'habitude de lever la tête pour communiquer, alors pour parler avec une montagne pareille... Elle écouta patiemment la fin du discours de Sigvald et fut surprise de sa familiarité. Elle qui avait toujours été habituée, dans l'ancien empire humain, à témoigner le respect dû à ses supérieurs hiérarchiques, elle réalisa une nouvelle fois que Délimar avait encore beaucoup de choses à lui apprendre. Quelques souvenirs des quelques moments passés dans l'armée sur l'ancien continent passèrent dans son esprit. Elle les chassa mais ne put s'empêcher de gratter sa cicatrice sous l'oeil droit. Le fait que Sigvald ait pratiquement le même âge qu'elle la surprit également car il faisait plus jeune selon elle, mais après tout elle aussi faisait bien dix ans de moins, ou du moins c'est ce qu'avaient pu lui dire ses quelques... "rencontres" masculines.


Le fait qu'il demande à ce que sa commande soit traitée comme les autres procura un immense soulagement à la forgeronne qu'elle ne put dissimulé et elle lâcha un soupir. Son ton et son expression lorsqu'il évoqua Caladon trahirent ses pensées envers la cité, que Serrine comprit très bien. Si elle était restée à Délimar, c'était non seulement parce qu'elle s'y sentait bien, mais aussi parce qu'elle pensait que la dureté prêtée à la ville par le reste du monde était justement ce qui la sauverait un jour. Elle approuva intérieurement l'avis de Sigvald sur Caladon.

Serrine ne cacha pas une grimace quand Sigvald lui fit des remarques sur les armes qu'elle vendait et sur la qualité de son travail si elle venait à faire trop de zèle. Elle ne souhaitait pas être agressive et tendre l'ambiance ou faire dégénérer la conversation qui jusque-là n'avait pas été désagréable. Elle se contenta de penser très fort : Tss... En pâtir ! Mon travail, mais bien sûr ! Qu'il vienne travailler ici un jour ou deux, je lui en montrerai, moi, du surmenage ! Quel forgeron oserait vendre de la camelote ? Comme si quelqu'un s'était déjà plaint d'une de mes créations ! Jamais Serrine n'avait vendu d'arme d'entraînement, tout simplement parce que personne ne lui en avait jamais demandée. Chacune de ses pièces était aussi fiable que la propre main de son propriétaire.


En voyant que son interlocuteur prenait ses aises, la forgeronne en fit de même et s'appuya sur un râtelier vide, les bras croisés, et attendit qu'il ait fini de faire des remarques sur son travail avant de lui répondre sur un ton plus agressif que désiré mais qui correspondait bien à son caractère :

-Si tutoyer je dois, je tutoierai. Alors écoute bien, Sigvald. Si la réputation de ma forge est ce qu'elle est, c'est parce que chaque pièce qui en sort est d'une fiabilité absolue. Je n'ai pas usurpé mon talent. Jamais personne n'a eu à se plaindre de mon travail et toutes mes lames sont aussi tranchantes que des rasoirs tu peux en être sûr. Elle poursuivit ensuite sur un ton plus doux, neutre et calme. Parle moi donc de cette commande plutôt. Elle écouta ce qu'il avait à dire avec attention. Le petit fils... lame courte... solide... pas de problème de prix. Bien. Elle se tût et réfléchit dans son esprit à la forme de l'arme, la technique, le travail... Elle finit sans s'en rendre compte par penser à voix haute.

-Hmm...moui... solide et belle évidemment... en acier feuilleté ou damassé... du plus belle effet... Arf ! Mais il me faudra de l'acide... Mais si je m'y prends assez tôt je devrais en avoir encore... oui c'est possible... des dorures peut-être ?... Joyau ? Un ? Deux ?... solide ça ce n'est pas un problème il suffira de... moui... Elle finit par conclure en s'adressant directement à Sigvald. Je me pencherai plus en détail sur cette arme mais à première vue j'ai déjà un bon plan en tête. Ton petit-fils aura de quoi combattre et se vanter, je te le garantis. Et pour Cordont ? Quelles nouvelles ?
Elle l'écouta parler tandis qu'il jouait avec une lanière de cuir. Serrine n'aimait pas que les gens prennent autant leurs aises dans sa forge. Après tout, c'était un peu chez-elle, et les gens touchent rarement à tous les bibelots de leurs amis lorsqu'ils leur rendent visite. La femme écouta les récits de catastrophe, d'effondrement au sens littéral de la ville, des morts, disparus et blessés et, plus surprenant, de l'entente des deux royaumes pour secourir les victimes. Chose étonnante étant donné les relations... tumultueuses des puissances en place. Nulle doute que chacun avait sa part à gagner dans cette histoire. A titre de question personnelle, Serine s'inquiéta de ce que ferait les autres puissances de l'archipel lorsque la nouvelle leur parviendrait. Les Graars, les Efles... et les Vampires. L'envoi d'artisans à Cordont, ou dans les restes de Cordont, fit mouche dans son esprit et lorsque Sigvald lui demanda de parler, elle s'exécuta :


-Effectivement j'ai une idée et cela tombe bien que tu parles d'envois d'artisans à Cordont car la voici. Je veux en être. Je veux accompagner la Garde Loup à Cordont et aider comme je le pourrai là-bas.

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A la soudaine hargne dont il était la cible, Sigvald écarquilla légèrement des yeux avant de se fendre d'un fin sourire amusé, voire prédateur sur l'ourlé de ses lèvres. Ils étaient peu nombreux ceux et celles qui osaient le remettre en place et la franchise dont fit preuve l'étrangère l'amusa autant qu'elle lui sembla rafraîchissante. Toutefois, si elle devait recommencer par pêché d'orgueil ; il n'hésiterait pas à la remettre à sa place. Certaines lignes pouvaient être frôlées, peu se devaient d'être franchies. Pour l'instant, c'était tout simplement a-do-rable de voir cette petite rouquine lui japper dessus avec sa frimousse contrariée et ses yeux flamboyants d'indignation. Il lui aurait volontiers ébouriffé la tignasse s'il ne craignait pas de se manger un coup de marteau sur la main. A la place, il se mordit l'intérieur d'une joue afin de conserver un masque cordiale et de ne pas exploser d'un rire aussi abrupte que déplacé. Il ne regrettait pas d'être venu ici pour passer sa commande, cette rencontre présageait d'être des plus intéressantes ! Ô bien sûr, une telle ardeur à défendre aveuglément son travail et son honneur en tant que forgeron n'était pas inhabituel en Délimar, toutefois oser lever le ton contre le Général et Champion de cette même Cité était... et bien, peu courant. Ses yeux de mercure se plissèrent et pétillèrent alors que son sourire s’élargissait sur une dentition blanche et régulière, accentuant le charme brute et austère du glacernois qui, de paire, leva les mains en signe de paix et de reddition. Hé bien, c'est qu'il cherchait nullement la querelle en venant ici ! Lorsqu'elle eut terminé et qu'ils eurent abordé le sujet de l'arme ainsi que de sa demande pour l'accompagner sur Cordont, Sigvald garda un long moment le silence.

De nouveau, plusieurs choses étaient à rectifier sur sa commande et d'autres étaient à vérifier quant à la proposition incongrue de Serinne. Il croisa les bras sur son torse puissant, la tension de ses muscles tendant la fibre légère de sa chemise et mettant en valeur sa carrure massive. Légèrement voûté pour perdre davantage de centimètres, il contempla pensivement l'extérieur depuis les larges ventilations de la forge et pondéra sa réponse, chercha ses mots et arguments afin de ne pas risquer une autre envolée lyrique et salée. Pour commencer, il aborda le plus simple avec une voix où perçait encore une note d'amusement :

« - Apaises ton esprit. Si je suis venu à toi, c'est bien parce que la réputation de ta forge est ce qu'elle est... je m'inquiétais simplement de ta santé. A tort, vu le mordant dont tu m'accables. »

Un bref silence avant qu'il n'enchaîne sur le second sujet :

« - Encore une fois, tu sembles te méprendre sur ma commande. Nous n'aimons pas les embellissements à la Glorienne par ici ; oublies donc le feuilletage à l'or ou encore les pierres précieuses ! Ce sont des ajouts considérés tape à l’œil, voire même ridicules. Si tu souhaites réellement embellir la garde de l'arme, pourquoi ne pas tabler sur la gravure d'un ours, d'un loup ou encore d'un sanglier ? Un hommage aux esprits-liés qui pourrait attirer leur faveur et les incliner à bénir mon petit-fils lorsqu'il sera en age... tu peux garder le damasquinage, je sais qu'il s'agit d'un renforcement dans le feuilletage des métaux, cela rend les lames plus solides et l'effet reste discret, bien qu'élégant. »

Il la jaugea avec prudence, espérant ne pas avoir encore chatouillé un nerf sensible avec ce qu'il venait de lui dire. Mais bon, il fallait bien se mettre à sa place : il n'était pas un noble glorien ou sélénien à vouloir exhiber ses richesses avec des fioritures pareilles ! Cela le surprenait qu'elle y songe sérieusement alors qu'elle vivait parmi eux depuis plus d'un an maintenant. Devait-il reconsidérer son choix d'artisan ? Elle venait de l'insulter en présumant qu'Havard irait se vanter d'un rien, comme n'importe quel petit arrogant à la cour des Kohan... Il ne voulait pas finir avec une arme aussi indigeste que ridicule associée au nom des Elusis. Hésitant, il se frotta la joue, puis la nuque et, rendu tiède à l'égard de la jeune femme, il posa sur elle un regard plus distant. Il se redressa légèrement avec l'évidente envie de la planter sur place sans plus l'encourager à travailler pour lui, pour autant, il y avait un dernier détail à régler avant qu'il ne rende son verdict final et il pencha la tête de côté, de nouveau pensif.

« - Nous avons déjà des forgerons dans les artisans sélectionnés pour nous accompagner... »

Il fronça un peu les sourcils, sembla encore une fois peser le pour et le contre avant de la fixer avec une gravité profonde, ses yeux s'assombrissant sur un gris d'ardoise. Reprenant la parole, il écarta légèrement les bras pour englober la pièce, mais surtout l'ensemble de la cité qu'ils ne pouvaient voir à cause des murs, l'intention y était et ses paroles accompagnaient le geste symbolique :

« - Tous les Délimariens savent se battre. Qu'ils soient glacernois, almaréens ou lyssiens. Avant d'être des commerçants, des artisans et autres ; ils sont de farouches guerriers, d'excellents navigateurs ou encore de redoutables stratèges... Nous n'aurons ainsi aucun civile dans nos rangs lorsque nous atteindrons Cordont. La Garde Loup est certes l'élite de nos forces armées, cependant chaque membre de la caravane est un soldat réserviste qui peut prendre les armes à tout instant. »

Il soupira et leva une main pour retenir toute possible véhémence de la part de son interlocutrice.

« - Tout d'abord, j'aimerai mettre au clair certaines choses : nous ne savons pas dans quel état de tension nous allons trouver les forces séléniennes et les mercenaires de Caladon. Nous ne savons pas non plus quelles créatures peuvent remonter du cratère suite à l'effondrement de la ville et pour toutes ces raisons, nous ne pouvons nous permettre un élément faible dans nos rangs si jamais la situation dégénère. » Le ton se fit plus sévère, bien que dénué de tout paternalisme ou de condescendance. Il énonçait des faits, pas des critiques. « Comprends moi bien, nous allons déjà devoir veiller sur les citoyens de Cordont ainsi que toutes les unités civiles apportées par les deux autres camps si jamais il y a un quelconque problème. Notre infériorité numérique demandera à ce que tous mes hommes soient concentrés et assurés d'avoir à leurs côtés quelqu'un de fiable pour protéger leurs flancs. »

Il se rappela de ses origines étrangères, puis plus récemment ce qui ressemblait à un besoin de gonfler inutilement la facture sur la commande de l'épée avec les dorures et les pierres précieuses. Sigvald ajouta donc avec plus de sécheresse :

« - Il faut aussi que tu considères que venir avec nous te condamne à rester sur la zone du sinistre pour plusieurs semaines, voire des mois selon les nécessitées à mettre en place. Si tu n'as personnes pour te remplacer ici, tu ne percevras pas d'argent. Tu seras certes nourrie, logée et blanchie comme le reste de mes hommes, mais tu ne percevras aucun solde puisque tu ne fais pas partie de l'armée. »

Il n'avait franchement pas envie d'avoir une faille dans ses propres rangs et ne souhaitait pas prendre la responsabilité de pertes inutiles à cause d'une étrangère. L'usure d'une période de siège rompait parfois bien des volontés et il ne désirait pas voir Serinne flancher et réclamer un retour à Délimar au bout de quelques semaines. Toutefois, il ne pouvait pas non plus la refuser en se basant uniquement sur son statut de citoyenneté, voire de ses origines : elle méritait sa chance comme tous les autres. Ses yeux pâles survolèrent les étales vidées, puis les armes en finissions avant de revenir sur la silhouette noueuse de la forgeronne.

« - Pour toutes ces raisons je ne suis pas convaincu qu'accepter ta demande soit une bonne idée. Cependant, je ne suis pas non plus fermé à ta proposition... alors tu vas simplement devoir faire tes preuves. »

D'une tension, il s'écarta de l'établi et posa une main sur la garde de son épée alors qu'il haussait un sourcil et esquissait l'ombre de ce sourire indéfinissable. Elle allait devoir mériter sa place, comme tout résident de Délimar. Une vieille tradition de leur peuple qu'il se plaisait à perpétuer à la moindre occasion.

« - As-tu une cours privée pour que l'on échange quelques passes ? Si je juge ton niveau acceptable, tu pourras nous accompagner. Dans le cas contraire, tu resteras ici. Qu'en dis-tu ? »

Dernière édition par Sigvald Elusis le Lun 13 Aoû 2018 - 11:50, édité 1 fois

descriptionForger sa place [PV Serinne] EmptyRe: Forger sa place [PV Serinne]

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Serrine écouta Sigvald tenter de l'apaiser. D'ordinaire cela aurait été peine perdue, mais cette fois il aurait pu réussir si une pointe d'amusement n'avait pas fuité dans sa voix. Qu'il se moque d'elle ou rie pour une tout autre raison, cela ne fit que maintenir le début de colère dans le coeur de la forgeronne. Il parla ensuite à nouveau de la commande, des erreurs que Serrine avait pu faire dans sa réflexion. Cela aurait pu la mettre en rogne pour de bon, mais au lieu de ça elle poussa un profond soupir, à la fois de lassitude, de fatigue, et d'apaisement. Elle avait déjà beaucoup travaillé pendant la matinée, et sa colère souvent prompte à apparaître n'avait pas joué en faveur de la conversation. Elle se savait parfois difficile à côtoyer et n'avait pas souhaité envenimé la conversation, mais elle était faite ainsi, de ce type d'acier et n'avait nullement l'intention de changer. Elle n'avait aucun regret, mais ferait tout de même l'effort de s'excuser, une chose bien rare de sa part, mais Sigvald avait un charme particulier qui aidait sans aucun doute à calmer l'esprit de Serrine. Elle soupira  et dit, plus à elle-même qu'à Sigvald :

-Les Délimariens peuvent parfois être des gens si étranges. Je crois que je ne me ferait jamais à certaines choses... Je me pencherait sur cette commande plus tard, j'ai assez à penser dans l'immédiat. Elle s'épongea à nouveau le front où perlait de nouvelles gouttes de sueur. Dans son esprit formaté depuis longtemps aux modes et coutumes de l'ancien empire, il paraissait évident qu'un guerrier pouvait parader, se venter ou être beau sur un champ de bataille accompagné d'une arme reconnaissable, surtout s'il s'agit de quelqu'un d'important, mais à Délimar, le superficiel, aussi infime soit-il, n'avait pas sa place. Peu importait. Elle suivrait le plan qu'on lui avait donné en ajoutant sa touche qui faisait sa qualité et sa réputation et se contenterait de ça. C'était quelque part un peu décevant. Une arme comme une autre, rien d'excitant dans sa fabrication. Sans doute se verrait-elle obligée de se lancer des défis de forge à elle-même, de se fabriquer elle-même des armes spéciales dont elle n'aurait pas l'usage et qu'elle mettrait alors en vente. Mais quelqu'un achèterait-il seulement si la beauté n'était pas le but recherché ? Serrine soupira à nouveau, intérieurement cette fois-ci. Elle sentait la fatigue influencer ses pensées et se ressaisit.

La forgeronne écouta le guerrier parler de Cordont et des conditions à remplir pour être du voyage. Le terme d' "élément faible" la fit tiquer mais cette fois elle se retint de lever un marteau menaçant vers Sigvald. Le discours ne se voulait pas critiqueur ou rabaissant. Serrine n'avait aucun mal à se représenter des soldats obligés de protéger une bande de civil incapable de se défendre, un vrai poids dans ce genre de situation. Elle-même avait dû protéger des gens sans défense dans des situations, pourtant, pires que de simples tensions entre plusieurs camps. Mais ces pensées, elles, ne se turent pas. Sa tête bouillait de colère, mais elle savait que ça ne durerait pas. Ses colères n'étaient que rarement longues. Élément faible ? Élément faible? Donne-moi mon marteau ! Tu vas voir si je suis faible, moi, gringalet ! Fort heureusement, ces mots ne passèrent pas la barrière de ses lèvres. Et puis il parla argent. Il dit que Serrine n'aurait pas de rémunération en accompagnant l'armée à Cordont. Certes, cela risquait de laisser Serrine dans une situation inconfortable à son retour, mais elle avait de quoi subvenir à ses besoins le temps de remettre de l'ordre. Et puis de toutes façons, elle n'avait plus rien à vendre et une seule commande à honorer dont elle pourrait s'occuper pendant le voyage lorsque l'occasion se présenterait. Finalement, ce n'était pas si grave que ça. Ses réserves pourraient la faire vivre un bon mois si elle s'y prenait bien. C'était une condition acceptable.

Et puis la condition la plus évidente et la plus importante apparemment aux yeux de Sigvald, savoir se battre. Sans doute n'avait-il pas connaissance des capacités de Serrine ou s'en doutait-il simplement, aussi la forgeronne décida de l'informer de ses combats passés et de ses moyens de se défendre avant de les lui montrer. Elle lui désigna sa cicatrice sous l'oeil droit allant jusqu'à l'oreille.

-Je sais me défendre Sigvald. Tu la vois ? Elle n'est pas venue ici toute seule. C'est un vampire qui me l'a donnée lors de mon premier combat. Je défendais mon village contre ces monstres. Celui qui m'a fait ça est mort, mon épée dans le crâne. J'étais aussi à la bataille de l'Aube rouge. Je n'étais pas dans l'armée, mais je me suis battue malgré tout comme je l'ai pu. J'ai tué des humains et d'autres vampires. Et de même j'étais dans la première ligne de défense de Fort-Espérance lors de l'attaque des Chimères. J'en ai tué plusieurs et le même jour j'ai du combattre ces choses seule en essayant de défendre les miens. J'ai peut-être appris seule, mais je sais me battre. Il y a une cours derrière le bâtiment puisque tu veux le voir par toi-même. Elle avait parlé de manière neutre, sans agressivité, au contraire avec même un peu de douceur dans la voix. Sans doute le souvenirs de ces batailles lui rappelaient de bien tristes souvenirs.
Serrine ne se faisait pas d'illusions. Elle ne pourrait pas vaincre Sigvald en combat ou rivaliser avec lui. Il était un guerrier né, entraîné depuis longtemps, sans doute plus rapide qu'elle, plus léger aussi malgré sa taille. Et sa taille d'ailleurs, était un véritable obstacle à quiconque s'en prendrait à lui. Malgré tout, Serrine était déterminée à lui prouver qu'elle avait ce qu'il fallait pour l'accompagner à Cordont. Elle lui montrerait ce dont elle était capable.

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Il haussa un sourcil, bras croisés en une posture nonchalante alors qu'il venait s'appuyer de nouveau au montant de porte, déhanché et les chevilles croisées. Il n'aimait pas rester planté au milieu d'une pièce, surtout lorsque ses interlocuteurs faisaient plusieurs têtes de moins que lui ; il craignait toujours d'adopter involontairement une posture menaçante et risquer de les mettre sur la défensive. Quand bien même ils avaient abordé plusieurs sujets délicats en peu de temps, le guerrier avait bon espoir que Serinne ne se froisserait pas et continuerait à défendre son point de vue ainsi qu'à protéger ses opinions bec et ongles. Du peu qu'il en avait vu ? Elle semblait forgée du métal le plus dur et ne ploierait pas aisément face à la pression. Un point positif et même vital pour quiconque désirant vivre à Délimar, plus encore pour ceux qui espéraient le côtoyer au long terme. Venir avec lui à Cordont entrait dans cette catégorie puisque personne ne savait pour combien de temps ils en auraient une fois rendus sur les lieux du sinistre. De plus, comme il n'était pas le genre de Général à rester dans ses appartements, loin de la plèbe et de ses piétons, ils auraient plein d'occasions pour apprendre à se connaître... s'ils ne se bouffaient pas le nez d'ici là. Il en doutait, puisqu'il survivait déjà très bien au caractère de Tryghild.

La voir pointer son visage manqua de le faire exploser d'un rire bref et rauque alors qu'il en tombait presque sur le cul. Était-elle sérieusement en train de faire un concours de cicatrices avec lui !? Sigvald parvint à se mordre l'intérieur d'une joue avant de commettre l'irréparable et conserva de justesse une expression neutre, voire sévère alors qu'il se penchait légèrement afin de mieux contempler le sillon qui serpentait sur le minois de la forgeronne. Toute lueur d'amusement s'estompa de ses yeux pâles quand il apprit que le responsable n'était rien de moins qu'un vampire et une étincelle de respect s'alluma au fond de ses iris. Elle avait survécu à un combat contre des sangsues ? Plus encore s'il en croyait ce qu'elle disait, car il semblerait que sa vie se soit pavée de nombreux autres guerres et pas des moindres. Voilà de quoi le laisser pensif, mais surtout de quoi l'enjoindre à définitivement tester ses compétences !

« - Bien... tes paroles sont entendues, mais elles ne suffiront pas, comme tu peux t'en douter. Prends ton arme et allons-y. Nous n'avons pas toute la journée. »

Lui partirait d'ici une poignée d'heure quant à elle ? Tout dépendra de ses prouesses. Il n'était pas homme à se fier aux paroles d'une inconnue, plus encore lorsqu'elle était issue de l'ancien Empire humain. D'expérience, il avait appris à ne croire que ce qu'il voyait et à ne faire confiance qu'en ce qu'il avait déjà éprouvé et approuvé... mais puisqu'il se refusait à devenir un être borné et obtus, il lui donnait une chance de prouver ce qu'elle valait. Il espérait sincèrement que ses paroles ne soient pas juste de la poudre jetée aux yeux, après tout il ne crachait jamais sur un nouveau soldat.

La cours intérieure n'était pas bien vaste, mais elle se révélerait largement suffisante pour ce qu'ils comptaient en faire. S'assurant qu'aucun débris au sol ne viendrait encombrer leur petite danse martiale, Sigvald s'attacha ensuite les cheveux à l'aide d'une simple lanière de cuir. Roulant des épaules, il échauffa les articulations de ses bras avec quelques étirements, puis vint s'accroupir et s'assurer que le laçage de ses bottes soit bien serré. Quand il se redressa, il constata que Serinne l'avait rejoint et qu'elle s'armait d'un marteau. Rien que ça ! Le glacernois haussa un sourcil circonspect, mais ne fit aucun commentaire alors qu'il dégainait une épée longue d'excellente facture. Sa lame portait les traces des batailles partagées avec son maître tandis que la garde, sobre au demeurant si ce n'était pour le cuir au tressage complexe sur la poignée, s'ornait sinistrement d'une paire de crocs de vampire.

« - Alors, victoire au premier sang ? »

Il l'observa avec sérieux, ayant retrouvé un masque lissé de toute expression. Alors qu'ils se mettaient en condition, le bleu glacé de ses iris revêtit un lustre presque inhumain alors qu'il engageait brutalement les hostilités. Il commença par l'acculer de plusieurs coups puissants, testant sa défense et ses réflexes avant qu'il ne s'estime satisfait et n'opte pour un rythme plus lent et prudent afin de l'inviter à prendre le pas sur leur combat. Il souhaiter à présent estimer de ses compétences offensives. Malgré sa haute silhouette, Sigvald se révéla être aussi vif qu'un félin, esquivant et disparaissant toujours au dernier moment pour ne reparaître qu'aux angles morts de Serinne, cherchant des brèches dans sa défense. Sa taille lui donnait un autre avantage ; celui de l'allonge, d'autant que son arme pouvait être considérée comme une épée longue pour toute personne de taille raisonnable. Sa puissance brute était parfaitement dosée et la souplesse de son poignet offrait à ses coups une réactivité immédiate de même qu'un excellent amortisseur quand il paraît un coup brutal de marteau.

Les minutes s'égrenèrent et la tension dans le corps du soldat se fit plus intense, non pas à cause de la fatigue mais simplement du plaisir à se battre et de l'adrénaline qui gagnait chacune de ses veines, chacun de ses membres. Une lueur acérée gagnait son regard alors que l'ombre d'un sourire sauvage ourlait ses lèvres. Il observait Serinne avec faim, de cette violence contenue sous le vélin de sa peau pâle et qui faisait trembler sa puissante musculature. Finalement, il rompit le carcan de frustration d'une ultime passe d'arme, portée avec une violence inouïe et qui arracha des mains le sublime marteau de la rouquine et l'envoya glisser en spirale à l'autre bout de la cour. Fondant sur la brèche qu'il venait de créer, Sigvald lui entailla la clavicule d'une estafilade en croissant de lune, blessure superficielle portée de la pointe de sa lame et qui perla de gouttes carmines.

La tension l'habitait toujours alors qu'il se tenait à quelques pas à peine de son adversaire, tête et regard baissé sur elle tandis qu'il la plongeait dans son ombre. Quelques mèches au blond pâle s'étaient échappées de sa queue de cheval et glissaient sur ses pommettes ainsi que ses tempes. Son regard magnétique scrutait Serinne, son souffle soulevant un torse puissant à la chemise légèrement opaque de sueur. Un long silence s'abattit dans la cour avant qu'il ne se fende d'un sourire franc et ne souffle d'une voix chaude :

« - Nous partons dans trois heures. Prépare tes affaires et rejoins-nous aux portes Nord. »

Il se détourna pour rengainer son arme et vint à essuyer sa nuque avant de la masser d'une poigne ferme.

« - Tu recevras à ce moment le reste des tes affaires ainsi que la charge d'une des forges mobiles. »

Sigvald lui jeta un coup d’œil par dessus son épaule.

« - Bienvenue, Serinne. »

Dernière édition par Sigvald Elusis le Lun 13 Aoû 2018 - 11:49, édité 1 fois

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Sigvald fit bien comprendre à Serrine qu'il était pressé et il se dirigea vers la cours. La forgeronne remit rapidement de l'ordre dans son atelier, fit refroidir les pièces encore chaude et alla chercher dans une pièce secondaire son bec de corbin, Brise-côtes. Elle avait été tellement fière de sa création au moment où elle avait imposé sa griffe sur la tête métallique de l'arme. Elle trouvait ce marteau d'une grande beauté. D'un côté de la tête un marteau à quatre pointes, de l'autre le bec de corbin, une pique sur le dessus et le blason familiale des Doréa au centre de la tête de chaque côté, le tout forgé dans le meilleur métal et poli à la perfection. Le manche entouré de cuir par endroit procura des sensations familières dans le creux de la main de Serrine. Cela faisait bien longtemps que son marteau n'avait pas servi. Pendant les derniers affrontements entre humains, Serrine était restée chez elle, estimant que ce n'était son combat. Elle se sentait rouillée. Même si ses bras étaient toujours en activité, il n'avait plus l'habitude du combat et de ces types de mouvements. De même si le temps ne lui manquait pas, elle aurait enfilé quelque chose de plus adapté. Le combat en robe n'était pas le plus évident même si à force elle avait dû si habituer, elle avait pris le pli.

Elle rejoignit Sigvald dans la cours. En arrivant, elle remarqua que la même mèche rousse tombait devant ses yeux depuis trop longtemps. Sans autre forme de procès, elle s'empara d'une petite lame et la coupa à la base. Elle se dégourdi les jambes et les bras. L'homme avait sorti son épée. Une épée longue de qualité, hélas gâchée par le même défaut que toutes les lames. Même la plus belle des épées perdait sa beauté dès son premier affrontement. Les entailles sur le tranchant faisaient disparaître toute l'appréciabilité de la symétrie parfaite de ses armes. De plus, cela nécessitait un entretient particulier et était un véritable casse-tête à réparer. Serrine ne comptait plus le nombre de guerriers venus la voir pour ce genre de problèmes. Pourtant si elle en avait eu l'occasion, elle se serait plutôt armée d'une épée. De fait, si par miracle elle touchait Sigvald avec Brise-Côte la blessure serait importante, pas seulement une entaille mais aussi des os brisés. D'autant que le général avait suggéré une victoire au premier sang, que Serrine accepta, presque à contre-coeur. Après tout le premier sang serait le sien.

Tous deux se mirent en place. Les yeux de Sigvald étaient froids et d'un sérieux impérial, ceux de Serrine regorgeaient d'une détermination à toute épreuve. Le général lança l'attaque le premier. Ses coups étaient puissants et forçaient la forgeronne à reculer, déviant ou esquivant ceux qui pouvaient l'être. Serrine finit par apercevoir une faille et s'y engouffra pour lancer à son tour l'offensive. Elle savait quelle attitude adopter. Les combattants comme Sigvald avait l'avantage de l'allonge et de la taille, mais cet avantage pouvait devenir un handicap. L'idée était de pénétrer dans la distance et d'arriver si près de l'adversaire que son allonge devenait gênante pour lui. La femme tenta donc cette tactique et entreprit de se rapprocher mais Sigvald n'était pas stupide et la stratégie de Serrine échoua. Il était rapide, très rapide, comme un félin et se débrouillait toujours pour atterrir dans son angle mort. Après plusieurs minutes Serrine remarqua alors un détail qui aurait pu la faire tressaillir.

Le regard de Sigvald était effrayant. Un sourire mauvais sur ses lèvres et des yeux comme possédés. Il donnait l'impression d'avoir faim, faim de violence et de sang. On aurait pu le dire fou. C'est au moment où Serrine vit ce regard et ressentit pour la première fois depuis longtemps cette émotion étrange, la peur, que son adversaire choisi de mettre un terme au combat d'une ultime attaque d'une violence incroyable qui arracha Brise-côtes des mains de la forgeronne et l'envoya tournoyer au sol. Serrine demeura droite face à cet homme qui envoya son épée dessiner une lune sur son épaule, comme s'il s'était s'agit d'une rapière, déchirant le tissu et faisant perler des gouttes pourpre qui dégringolèrent sous le tissu sur la poitrine de la femme.

Les deux combattants restèrent un moment à se fixer. La tension dans l'air était toujours palpable. Serrine, plongée dans l'ombre du géant, gardait la même détermination malgré sa défaite et lui faisait face, toujours aussi droite, soutenant son regard déjà plus calme. Tous deux reprenait leur souffle. Serrine esquissa un très léger froncement de sourcils dû à la brûlure que lui causait sa blessure. Elle fit de son mieux pour ne pas laisser paraître une once de douleur. Soudain Sigvald se fendit d'un sourire et l'invita chaudement à le rejoindre aux portes Nord avec un départ prévu trois heures plus tard. Serrine ne changea rien à son attitude mais intérieurement elle était abasourdie. Un si brusque changement de comportement était plus que surprenant, surtout venant d'un homme tel que lui. Il rengaina son arme et lui lança par dessus l'épaule un "bienvenue Serrine" auquel la forgeronne ne put répondre que :
-Merci. Puis elle le regarda partir sans rien dire. Elle resta un moment seule dans la petite cours, en silence. Elle fixait Brise-côte toujours au sol, encore sous le coup de la surprise. Sur le manche de l'arme, une entaille avait été laissée par l'épée de Sigvald. A présent, sa propre arme avait perdu sa beauté si pure. Mais curieusement, Serrine n'avait aucune envie de corriger cette marque. Elle su à ce moment, bien qu'il ne s'agisse peut-être que d'une impression, que quelque chose s'était créé entre elle et Sigvald, quelque chose qui les liait. Une amitié, plus ou moins que ça ? Peut-être s'était-elle fait un ennemi quand bien même cela aurait été improbable. Peut-être ce lien n'allait-il que dans un sens, d'elle à lui, ou alors elle se baignait dans une illusion idiote. Elle avait été battue en combat même si cela ne l'avait pas surprise. La dernière fois que cela était arrivé, elle s'était entraîné dur et avait à son tour battu à plat de couture ses précédents adversaires mais cette fois s'entraîner pour battre Sigvald serait sans doute futile. C'était horriblement frustrant.

La piqûre a son épaule arracha la forgeronne à ses rêveries. Elle devait se hâter. Elle rentra chez elle, enleva son tablier de travail, délassa sa robe, révélant ainsi deux autres cicatrices dans la partie haute de son corps qu'elle n'avait, logiquement, pas montrées, et s'occupa de sa plaie. Une nouvelle marque sur son corps, un début de collection. Un léger bandage et une bonne rasade d'hypocras firent l'affaire. Après quoi Serrine retourna à sa forge afin de l'éteindre en prenant bien soin de ne pas noyer le foyer. Elle rangea soigneusement et méticuleusement chaque pièce commencée et chaque outil, dissimula certaines pièces et outils précieux et ferma sous clé ses matériaux. Elle ne conserva que peu de matériel qu'elle fourra dans un petit sac. Puis elle retourna chez elle et prépara ses affaires de voyages. Vêtements, couverture, cape et autres dans un grand sac à dos. Après quoi elle verrouilla la porte de chez elle et de sa forge et, avec un regard en arrière, un sac sur le dos et le petit dans la main gauche, Brise-côte en travers du dos, se mit en route vers les portes nord.

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Il avait quitté la forge sans plus un regard en arrière, remontant l'immense avenue pavée jusqu'au Quartier des résidences. Ses grandes enjambées s'apaisèrent enfin alors qu'il retrouvait là des visages familiers ; après tout, seuls les citoyens ou les habitants aux valeurs reconnues pouvaient vivre ici, à l'ombre des bâtisses austères et identiques. Il salua plusieurs hommes et femmes qui lui demandèrent comment les préparatifs avançaient et pour combien de temps ils seraient partis. Ayant terminé ses affaires privées, le Général pu prendre cette fois le temps de leur répondre. Non seulement la Garde Loup escortait des artisans par la voie terrestre, mais l'Amiral Svenn prenait la mer avec La Glacern afin d'apporter le plus gros des ressources et des vivres nécessaires à la reconstruction de Cordont. Un tel déploiement ralentirait la construction de la forteresse, mais les Délimariens étaient fier d'aider une cause aussi noble et si tous avaient donné du leur, à la mesure de leurs propres revenus, aucun n'espérait quelque chose de particulier en retour. Ils savaient ce que perdre un foyer signifiait, combien l'abandon et l'isolement pouvait être des facteurs aussi ravageurs que la famine et la maladie. Cette solidarité immédiate et instinctive réchauffait le cœur de Sigvald à chaque fois qu'il en était témoin, raffermissant son désir de protéger et d'élever son peuple vers un nouvel Age d'Or.

Son escale à la demeure Elusis fut de courte durée et se consacra uniquement aux adieux avec sa famille ainsi qu'aux derniers préparatifs tel que la mise de son armure complète. Bientôt ses pas le menèrent au Quartier du Palais où il s'engouffra dans la Caserne et retrouva là ses soldats. La Garde Loup était prête, de même que tous les autres artisans convoqués dans cette mission en plus d'un millier de soldats montés. S'ils répondaient à l'appel de Caladon, ils agissaient avant tout en leur âme et conscience pour le support des victimes du désastre et rien ne se mettrait en travers de leur chemin. Pour autant, ils savaient que cette sortie pouvait finir à tout instant en une guerre rangée si jamais les négociations avec Sélénia ne se déroulaient pas comme prévues. Ainsi, les civiles de l'escorte n’en portaient que le titre puisqu'ils étaient en réalité tous des soldats réservistes. Ils sauraient se protéger et s'occuper de l'évacuation des véritables civiles pendant que l'élite délimarienne et le reste de la troupe botteraient quelques culs. Bien sûr, Sigvald espérait qu'un tel gaspillage d'hommes et de ressources ne serait pas nécessaire. Peut-être se montrait-il trop objectif puisque le seul dirigeant de l'Empire avait encore du lait derrière les oreilles... mais il voulait y croire. Une dernière fois. Un soupir silencieux lui secoua les épaules alors qu'il chargeait ses affaires à l'arrière d'une des charrettes collectives. Il ne servait à rien de se tourmenter ainsi, mieux valait  attendre d'être sur place afin d'avoir une meilleure idée de la situation.

A l'ombre fraîche des écuries, Mjollnir l'accueillit d'un doux hennissement. Malgré son désir de l'emporter avec lui, le fier destrier nordique ne lui appartenait plus. Il en avait fais don à sa fiancée, un cadeau de mariage et la promesse qu'il lui reviendrait sain et sauf. Se séparer d'un ami de longue date lui alourdissait le cœur et alors qu'il caressait les naseaux veloutés, il vint presser son front au sien avec un soupir chargé de nostalgie. L'animal l'avait accompagné dans bien des guerres, ensemble ils avaient survécu à d'innombrables fronts et combats. Il savait que sa force serait un atout primordiale pour Tryghild et qu'avec elle, le cheval serait en d'excellente mains. Cependant, il lui pesait terriblement de s'en séparer et préféra ne pas allonger les adieux au risque d'avoir le regard inutilement embué de larmes. Ce fut avec une dernière caresse sur l'encolure qu'il se détourna pour approcher de la créature irréelle qui l'accompagnait silencieusement depuis la veille. Aux yeux extérieurs, il s'agissait d'une brume de ténèbres magique et parsemée de scintillements argentés semblables à des myriades d'étoiles. L'on distinguait vaguement la forme d'un quadrupède et sa taille au garrot n'avait rien à envier aux chevaux glacernois. Deux orbes argentés brillaient avec force au centre de ce qui devait être sa tête tandis que la posture générale était aussi prédatrice que régalienne. Quand elle se tenait dans les ombres, elle semblait quasiment disparaître, ne laissant alors qu'un vague nuage stellaire et impalpable.

Le général glissa la main dans le pelage épais de l'encolure et referma les doigts sur une pleine poignée d'énergie avant de se hisser sur son dos d'un bond puissant. Tous les liés au Loup pouvaient percevoir et toucher une créature puissante, immortelle. Un loup géant à la fourrure sombre, vibrante de magie dont la silhouette racée s'estompait en ce sillage nébuleux. L'avatar de l'Esprit-Lié en personne, monture et compagnon de la lignée des Svenn, intangible à tous les profanes de la meute. Sigvald ne lui mettait ni selle, ni bride, la guidant simplement par la pression de ses cuisses et ce lien particulier qui les unissait. Prenant la tête de la troupe, il contourna le Quartier du Palais afin de rejoindre la porte Nord. Ils avançaient en une parade austère, la Garde Loup montée sur des chevaux nordiques musculeux et lourdement harnachés, parfois sur les sublimes montures almaréennes aux encolures aussi courbées et musculeuses que des hippocampes. Les sabots claquaient et les naseaux soufflaient alors que cette cavalerie d'élite encadrait les artisans et les charrettes lourdement chargées. Un peu plus loin, l'interminable procession de soldats aux chevaux alezan ou bais fermait la marche. Ils furent donc un peu plus d'un millier à s'arrêter aux immenses portes Nord, attendant que les lourds et colossaux mécanismes ne s’enclenchent. Les soldats d'élite étaient presque deux cents, ils portaient des armures complètes, tantôt de plates, tantôt de cuir et de mailles. Les armes étaient variées afin que tous soient complémentaires une fois rendus sur le champs de bataille. Silencieux et ordonnés, ils patientaient.

Sigvald attendait pour sa part qu'une certaine tête rousse ne montre le bout de son nez, mais alors qu'il observait l'immense avenue qui s'enfonçait jusqu'au cœur de la forteresse en scindant les différents quartiers circulaires, le Chef de la porte Nord attira son attention pour discuter de quelques détails tactiques. S'absorbant dans la conversation, il ne vit donc pas approcher Serrine. Une approche qui ne passa cependant pas inaperçue parmi les Gardes Loups qui tournèrent d'un même cœur la tête en sa direction et l'observèrent d'abord dans le plus parfait des silences, avant que quelques rires à peine contenus ne fusent. Il y avait presque autant d'hommes que de femmes et ces dernières portaient aussi bien les armures de plaques complètes que celles plus mobiles de cuir renforcé. Cependant, aucune n'était en robe et les rares qui arboraient ce qui ressemblait à des jupes étaient en réalité des lamellaires de cuir ou de métal sur de simples braies d'équitation. Derrière les flancs massés des montures, les artisans et ouvriers observaient eux aussi la nouvelle venue avec un haussement de sourcils prudent. Si certains seraient en charge de conduire les charrettes avec les bœufs, le reste de la troupe était aussi monté sur des chevaux que ce soit de traits ou tout simplement de selle. Un cheval bai classique attendait d'ailleurs sa cavalière, les rennes noués à la selle d'un autre. Deux Gardes Loups échangèrent un regard avant que l'un n'aille chercher Sigvald en tête de file et que l'autre n'approche de Serrine. Il lui parla en langue commune, mais son accent était à couper au couteau.

« - Tu es bien Serrine Doréa ? »

Il attendit confirmation et se passa une main gantée sur la nuque, légèrement amusé et dubitatif.

« - Le Général nous a prévenu de ta venue, mais je ne pensais pas qu'il prendrait une recrue aussi... »

Il n'eut pas le temps de termine qu'une silhouette massive se tenait à côté de lui. Sigvald s'était approché avec son Loup Éthéré, le regard polaire baissé sur la forgeronne alors qu'il pinçait des lèvres au constat de sa tenue. Il portait une armure complète de cuir d'excellente qualité avec des renforts de métal et de maille aux endroits stratégiques. Une lourde cape couvrait ses épaules, alourdissant ces dernières d'une épaisse fourrure d'ours brun. Le blason Elusis était frappé sur son torse alors que celui de l'Océanique était cousu d'or et de cuirs rouges sur le revers de la cape. Il portait aux hanches deux immenses épées et sur la selle un arc long sublime, finement gravé de runes sous le laquage. Ses sourcils ne tardèrent pas à se froncer et il tourna la tête en direction des autres Gardes pour en survoler les troupes avant qu'il ne s'arrête sur la femme la plus petite du lot bien qu'elle gardait aisément une demie-tête de plus que Serrine. D'une voix ferme, il l'interpella en glacernois :

« - Audr ! Donnes lui une de tes paires de braies.
- Vous êtes sûr Général ? Elles lui seront trop grandes. La pauvre, je devrais plutôt lui donner celles de ma fille !
- Je n'ai ni le temps de la laisser rentrer pour se changer, ni celui de supporter ton humour. »

La guerrière roula des yeux avec un vague sourire alors qu'elle descendait souplement de sa massive monture harnachée pour fouiller les sacoches de selle. Le temps qu'elle trouve les habits, Sigvald revint vers la rouquine et lui lança un regard sévère.

« - Nous en rediscuterons à la halte ce soir. Va te changer dans la ruelle, prends ton cheval et tâches de ne pas nous mettre davantage en retard. Ta place est avec les artisans, au centre de la Garde Loup. »

Les ordres claquèrent sèchement sans qu'il ait besoin d'élever la voix pour les rendre péremptoires. Se détournant d'elle, il observa les immenses portes s'ouvrirent enfin pour révéler les pieds de la montagne ainsi que les nombreux champs et pâturages qui couvraient ses flancs escarpés. Une large route se déroulait à perte de vue, serpentant entre les vergers et les granges ou greniers, le sol tassé par des milliers de pas et creusé d'ornières. La guerrière approcha de Serinne et lui tendit une chemise simple, une paire de braie d'équitation ainsi qu'un gilet en cuir et des brassards. Elle l'observa avec un peu de pitié dans le regard et lui désigna un coin de rue. Il s'agissait d'une femme ayant la quarantaine, des cheveux sombres légèrement striés de gris sur les tempes. Son visage était marqué de cicatrices, mais ne perdait rien de sa beauté austère des gens du nord avec de hautes pommettes et une mâchoire carrée, joues creuses et yeux au bleu délavé.

« - Vas te changer là-bas. On te trouvera d'autres vêtements ce soir en faisant le tour parmi les femmes du convois. Au pire on recoudra tes robes et on s'arrangera... d'accord ? Allez, dépêches-toi. »

Le ton se voulait doux alors qu'elle regagnait sa monture et se hissait dessus d'un bond gracieux.

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Les portes nord apparurent et Serrine découvrit devant elles une grande troupe comptant au moins un millier d'hommes. Elle chercha de loin Sigvald du regard mais il demeura introuvable. A mesure qu'elle approchait, la forgeronne observa l'équipement des hommes et femmes présents. Du cuir à la plaque, en passant par la maille, de l'épée à la lance, en passant par l'arc, les armes et armures étaient variés mais peu harmonieux. Elle se faisait déjà une joie de détailler chaque pièce d'équipement afin d'en dénicher tous les points forts et les défauts. Tss du cuir. Ils sont... Sa réflection fut coupée net par le regard des soldats se posant tous d'un coup sur elle. D'abord intriguée, le questionnement laissa bien vite place à la colère et même à la rage lorsque des rires sortirent des rangs de cavaliers. La raison n'avait aucune importance, c'était intolérable. Chaque rire était un prétexte pour redonner ses lettres de noblesse au nom de Brise-côtes. Elle aurait volontiers prit chaque rieur pour lui faire chanter un air différent. Décidément, la journée semblait être placée sous le signe de la frustration. Tant de remarques plus ou moins vraies, de situations agaçantes, et aucun moyen de répliquer avec la force qui était sienne. Et le voyage entier aurait sans doute des bases similaires.
Arrivée à destination, Serrine put voir les sourires et son regard ne tenta pas une seconde de cacher sa colère. Si ses yeux étaient des arbalètes, beaucoup auraient perdu  un oeil à cet instant. Deux hommes s'échangèrent un regard, l'un s'en alla et l'autre s'approcha de la femme. Il lui demanda de valider son identité. Il avait un accent qui rendait difficile la compréhension de ses mots, mais Serrine parvint à comprendre et à lui répondre.

-C'est moi. Il lui répondit, un léger sourire sur les lèvres :

- Le Général nous a prévenu de ta venue, mais je ne pensais pas qu'il prendrait une recrue aussi...
Elle était sur le point de laisser échapper sa rage à son dernier mot lorsqu'il fut interrompu par une ombre se tenant à ses côtés. Sigvald était arrivé, dans une armure de cuir, de maille et de fourrure dont la cape était frappée d'un blason doré, grimpé sur ce que Serrine ne put définitivement pas qualifier de monture. Une sorte de brume fantomatique vaguement quadrupède. La femme aurait pu être soulagée de le voir enfin, mais le général pinça ses lèvres en observant la forgeronne. Il fronça ses sourcils et observa ses gardes avant d'en appeler un dans sa langue si étrange, une femme qui devait être un peu plus âgée que Serrine. S'ensuivit un échange auquel Serrine ne comprit rien mais qui ne sembla pas ravir la guerrière qui démonta. Il se retourna alors vers la forgeronne et posa sur elle un visage sévère.

- Nous en rediscuterons à la halte ce soir. Va te changer dans la ruelle, prends ton cheval et tâches de ne pas nous mettre davantage en retard. Ta place est avec les artisans, au centre de la Garde Loup.
Dit-il. Des ordres furent donné et il se détourna d'elle, ne voyant probablement pas le regard assassin de Serrine. La guerrière appelée par Sigvald donna à la nouvelle venue un ensemble de vêtements.

- Vas te changer là-bas. On te trouvera d'autres vêtements ce soir en faisant le tour parmi les femmes du convois. Au pire on recoudra tes robes et on s'arrangera... d'accord ? Allez, dépêches-toi.
Son ton n'avait pas été agressif, même doux. Elle regagna sa monture. Serrine obéit et se rendit dans la dite ruelle afin d'enfiler ses nouveaux habits, légèrement trop grands. "Obéir" ne faisait pas vraiment partie de son vocabulaire, pas plus que "suivre les ordres", mais elle allait devoir reprendre ses vieilles habitudes des quelques fois où elle avait côtoyer des soldats. Supporter des supérieurs hiérarchiques lui demanderait beaucoup d'effort et de contrôle de soi, mais après tout "renoncer" ne figurait pas non plus dans son vocabulaire. Elle était forte, plus que beaucoup d'autres et elle le prouverait. Mais pour le moment, elle espérait simplement que ni soldats, ni passants ne pouvaient la voir dans son plus simple apparat. Dans le cas contraire, sa fureur ne pourrait être contenue éternellement.
C'était donc sa tenue qui posait problème depuis le début ? Elle aurait volontiers apprit à chacun et chacune de ces idiots comment vivre en robe, mais après tout elle était dans une armée, les réactions n'avaient donc rien d'étonnant, mais restaient tout de même inacceptables. Quelque part elle se dit qu'elle aurait dû y penser et se changer avant de partir de chez elle, d'autant qu'elle avait un ou deux pantalons dans ses bagages.
Une fois prête, elle se rendit parmi les artisans et trouva le cheval qui devait être le sien et fut satisfaite de voir qu'il était attaché à un autre, elle qui ne savait pas monter. Elle chargea ses affaires et monta en selle. Une petite pensée pour Sigvald lui traversa l'esprit. En retard ? Je te signale que tu m'avais donné trois heures, gringalet, et je suis à l'heure. Et puis bravo pour ton armure. Pas de dorures hein ? D'ailleurs parlons-en. Du cuir ! Tu crois que ça protège quoi cette bricole ? Amateur. La colonne se mit en mouvement. Les paysages en dehors des murailles de Délimar ravirent la vue de Serrine. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas quitté cette ville parfois si triste.

Le voyage eut largement le temps de calmer la colère de Serrine. La marche était d'un ennui incroyable. Lorsque ni les soldats, ni les artisans ne semblent pressés de dialoguer et que le sentiment est partagé par le forgeronne., lorsqu'elle n'a même pas à diriger elle-même sa monture, qu'elle ne saurait d'ailleurs pas diriger elle-même, alors l'ennui devient le pire de ses ennemis et le combattre devient une mission primordiale. Serrine s'était trouvé un bout de bois qu'elle avait passé la journée à sculpter à l'aide d'un petit couteau pour lui donner une forme de cheval, trouvant ainsi un moyen de s'occuper.

Le camp était monté et, l'hiver venant, la nuit était vite tombée. Le pire moment de l'année pour des événements de ce genre. Il n'y avait pas de tentes, juste des couches individuelles à même le sol. Des feux de camp éparses éclairaient l'ensemble tout en laissant de nombreuses zones d'ombres. Après le repas du soir, Serrine avait allumé un petit feu personnel à côté de sa couche sur laquelle elle était assise, la tête sur les genoux, un peu à l'écart des autres artisans. Elle fixait les flammes, pensive, emmitouflée dans sa cape, pliant en tous sens une barre de fer entre ses mains, son petit cheval de bois à ses côtés. La nuit avait toujours été pour elle le moment où ses défenses s'abaissaient, où elle s'autorisait à réfléchir calmement, loin de ses émotions du jour. Elle reposait son esprit avant le sommeil, là où d'autres dormaient déjà. Elle attendait Sigvald, s'il voulait toujours lui parler.

Une idée avait germé dans son esprit dès la première mention de Cordont le matin du même jour. Une idée... ce n'en était pas vraiment une. Plutôt un espoir, insensé peut-être, mais qui devait être tenté. Il faudrait qu'elle en parle à Sigvald, et ce malgré le fait qu'elle se refusait toujours à ouvrir sa carapace avec autrui. Elle lui en parlerait, oui, mais pas ce soir-là. Ce soir-là, elle était fatiguée. Ses défenses abaissées, ses souvenirs remontaient à la surface, amenant avec eux nostalgie et mélancolie. Des sons revenaient dans sa mémoire. Des visages... Un père, une mère. Des combats, les lames qui s'entrechoquent, les ennemis à terre. Un village, des enfants, des cabanes en feu. Une ville, la paix, d'horribles créatures. Non, décidément, elle lui en parlerait une autre fois. Et puis elle avait sans doute quelque chose de plus important à discuter avec lui pour le moment. Elle espérait simplement que les premiers échanges avec les compagnons du voyages n'avaient pas annoncé la couleur de toute cette aventure.

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Le départ fut sonné par un cor de guerre et tous les soldats se mirent en marche d'un seul mouvement. Les milliers de sabots frappèrent le sol pavé de la grande avenue, rythmique assourdissante qui s'estompa progressivement alors qu'ils s'éloignaient des hautes murailles et gagnaient les routes en terre battue. Bientôt, il ne resta qu'un nuage de poussière sur la ligne d’horizon. Le Général ouvrait la marche, flanqué par les officiers et suivit par la Garde Loup qui elle-même entourait la caravane d'artisans. Suivant en une longue procession, il y avait ensuite les soldats qui tenaient une formation défensive avec les lanciers sur l'extérieur et les archers précieusement gardés à l'intérieur. Un silence complet gardait les troupes concentrées et seuls les éclaireurs faisaient entendre leur voix lorsqu'ils revenaient de quelques reconnaissances aux alentours du convois, les chevaux piaffants d'impatience et de fougue.

Les heures s'écoulèrent et l'après-midi passa lentement alors qu'ils engloutissaient aisément l'équivalent d'une journée entière. Le crépuscule se présenta, mais ils continuèrent à avancer. La nuit tomba et ils avançaient encore, pour finalement s'arrêter sur une vaste prairie logée entre deux hautes collines. Plutôt que de suivre la côte ouest et la grande route commerciale en construction, ils passaient au travers des terres vallonnées via quelques sentiers et chemins forestiers. Les soldats mirent pieds à terre et commencèrent à se rejoindre en groupes d'une vingtaine de têtes pour entamer les brefs préparatifs du campement. Les herbes hautes, humides de gelées et de rosées nocturnes, furent couchées, voire arrachées par endroit afin de former des paillasses grossières qui furent ensuite couvertes de capes ou encore de couvertures en laine épaisse. Les feux de camps furent dressés tous les cinquante mètres afin de laisser des zones d'ombres suffisantes pour que les veilleurs en patrouille ne ruinent pas leur vision nocturne à la lueur de flammes trop rapprochées.

La Garde Loup formait le centre du campement, au cœur de la clairière, puis en spirale venait les groupes éparses de soldats, s'établissant en quinconce les uns des autres pour ne laisser aucune ligne droite depuis l'extérieur jusqu'à l'intérieur. Les artisans étaient d'ailleurs protégés au même titre que les gradés de la troupe. Au couvert de la noirceur, les gens parlaient à voix basse et l'on pouvait entendre par instant quelques rires fuser avant qu'ils ne soient avalés dans le brouillard qui masquait les herbes et les arbres alentours. Le souper fut entièrement constitué de rations ; viande séchée, tranche de pain ainsi qu'une poignée de fruits secs. Chacun avait sa portion d'eau en la présence d'une outre en peau de chèvre attachée à la selle de sa monture, mais il y avait des tonneaux de réserve à l'arrière de chaque charrette.

Lorsque Serrine s'isola pour allumer son propre petit feu, personne ne tenta de l'en empêcher bien qu'on lui lança quelques regards interloqués et parfois désapprobateurs. L'on s'assura simplement qu'elle ne s'éloigne pas trop des autres artisans, par question de sécurité avant de lui fiche la paix. La jeune femme ne semblait pas d'humeur à sociabiliser et eux-même avaient d'autres affaires plus urgentes. Les feux étaient communautaires, ouverts à tous puisqu'ils représentaient autant la seule source de lumière que de chaleur. Lentement, les voix se firent moins nombreuses alors que les soldats sombraient dans un sommeil alerte, profitant des quelques heures de repos que leur marche forcée leur autorisait. Dans les ombres du camps ou de la forêt alentours, des hululements régulier se faisaient entendre en appels codés pour signaler d'une vigie à l'autre les rapports de surveillance.

« - Regrettes-tu déjà d'être venue ? »

Sigvald avait surgit des ombres derrière la jeune femme et s'il l'observa sans aucune hostilité, la question tomba aussi lourdement qu'une pierre dans la marre. Le timbre de sa voix grave était abrupte, presque bourru alors qu'il scrutait rapidement son petit camps et ne tardait pas à afficher froncement de sourcils désapprobateur. La voir s'isoler du reste de la troupe l'emmerdait profondément, car il s'agissait bien souvent des signes annonciateurs de l'exclusion, puis de l'abandon ; qu'il soit de son poste ou de la volonté de participer à la vie courante dans la troupe. Les soldats de Délimar étaient une seule âme, une seule voix et tous tendaient à une même volonté : celle de vaincre leurs ennemis et porter leur peuple, leur cité, dans les légendes et la prospérité. Ils se considéraient tous comme des frères et des sœurs, liés par les armes et le sang. Leur force venait de leur discipline, mais aussi de leur férocité à défendre chaque membre de la troupe comme s'il s'agissait de sa propre famille. Sigvald ne pouvait pas laisser la situation s'éterniser et créer la moindre brèche.

« - Il n'est pas trop tard... nous ne sommes même pas à une journée de Délimar. Je peux te faire escorter par quelques soldats, ils n'auront aucun mal à nous rattraper par la suite. »

Il vint s'installer en tailleur en face d'elle, laissant le feu de camps offrir une distance entre eux. Il ne souhaitait pas acculer la jeune femme, devinant déjà qu'elle était du genre à attaquer plutôt qu'à reculer dans ce genre de cas. C'était cette volonté farouche et ce caractère de merde qui lui avait plu, mais maintenant il risquait de causer des emmerdes s'il n'agissait pas pour le canaliser.

« - Autrement je t'encourage à ne pas t'isoler de la sorte. Ce n'est pas une fois rendu à Cordont que tu pourras sympathiser avec les soldats : vous serez tous beaucoup trop occupés pour cela. »

Son regard d'ardoise l'observa avec sévérité avant de couler sur le petit cheval de bois avec un intérêt non dissimulé. La polyvalence à Délimar était hautement estimée, voire même encouragée dès le plus jeune âge afin que tous ait un rôle à jouer au sein de la cité. L'homme reprit avec moins d'autorité, voire un soupçon de malaise :

« - Je devine que tes expériences passées dans l'armée n'ont pas du être réjouissantes... je sais combien Gloria encourageait la ségrégation des sexes, mais ce n'est pas le cas ici. Notre Intendante n'a pas gagné ce titre par son héritage, mais ses mérites. Tu le remarqueras rapidement, mais tu n'as pas besoin de porter une robe pour affirmer ta condition de femme et faire tes preuves... ou que sais-je. »

Il plongea son regard dans le sien, bras posés sur ses genoux et dos voûté. Ses cheveux étaient remontés en une queue de cheval basse, laissant quelques mèches plus courtes lécher son front et ses tempes. Son armure de cuir gainait sa puissante silhouette alors que son épaisse cape avait été rehaussée d'un cache nez en fourrure rase et chaude, entourant ses épaules et sa gorge de plusieurs tours.

« - Nous visons l'efficacité et la cohésion, Serrine. Jusqu'à présent, tu sembles manquer de l'un et dédaigner l'autre. J'aimerai comprendre le pourquoi afin de rectifier le tir. Il n'y pas de raisons à avoir honte, tu peux parler à cœur ouvert. Je ne suis pas là pour te juger, simplement te cerner et t'accompagner. »

Ils avaient encore de nombreuses nuits devant eux avant d'atteindre Cordont et autant de temps pour qu'il parvienne à l'apprivoiser un minimum. Il ne s'attendait pas à un miracle à la voir céder pour ces quelques encouragements, mais il savait se montrer patient.

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- Regrettes-tu déjà d'être venue ?
La voix de Sigvald dans son dos, grave et abrupte, la fit sursauter. Elle bondit de quelques centimètres au-dessus de sa couche et sa main se crispa autour de la barre de fer qu'elle tenait. Le grand guerrier avait toujours l'air contrarié mais pas énervé. La pression soudaine redescendue, Serrine desserra sa prise autour de l'objet métallique et constata avec dépit que ses doigts avait laissé chacun une empreinte dans le métal, comme dans de l'argile humide que l'on serre légèrement. La forgeronne jura dans sa barbe:

-Chié... La barre devait devenir la garde d'une nouvelle épée dont la commande avait été passée très récemment. Le travail sur cette partie de l'arme lui prendrait maintenant bien plus de temps que prévu. Et le temps, d'ailleurs, lui manquerait une fois à Cordont. Elle se voyait déjà sur-occupée, sans le moindre moment de libre en-dehors des repas. Le travail ne la dérangeait pas, mais elle avait espéré pouvoir au moins débuter en bonne partie cette lame demandée par Sigvald. Si l'occasion se présenterait, Serrine commencerait par redonner une forme correcte à cet pièce de fer dont la forme à présent absurde l'emplissait de lassitude.

-Non. Je ne crois pas que quoi que ce soit puisse me faire regretter ma décision. Elle était calme, sans aucune agressivité dans la voix. En effet, quoi qu'il se passe, elle ne regretterait pas cette aventure. Même si le résultat de ce voyage était négatif, elle aurait tenté, et  cela ne pouvait pas être une mauvaise chose. Elle en retiendrait, même dans le malheur, des leçons, peut-être importantes, et aurait gagné en expérience.

-Il n'est pas trop tard... nous ne sommes même pas à une journée de Délimar. Je peux te faire escorter par quelques soldats, ils n'auront aucun mal à nous rattraper par la suite. Rentrer ? Après à peine une journée ? Hors de question. Même si elle devait passer des mois dans l'isolement le plus complet, elle encaisserait. Son caractère à l'entêtement légendaire la porterait jusqu'au bout. Tout ceux qui l'approchaient l'apprendraient tôt ou tard. La faire changer d'avis n'était pas chose aisée. Peu importe que personne ne lui parle, elle avait l'habitude. Peu importe que personne ne l'apprécie, elle s'en fichait royalement. Peu importe que personne ne protège ses arrières lors d'un combat, elle protégerait celles des autres même sans les connaître et se débrouillerait toute seule pour assurer les siennes. Elle était une grande fille, elle saurait s'occuper d'elle-même.

-Il n'en est pas question. J'ai pris une décision et je m'y tiendrai, quoi que cela implique. Sigvald s'installa en face de Serrine, de l'autre côté du feu. Comment les Nordiques pouvaient-ils aussi bien supporter le froid et l'humidité ? Les cheveux argentés du guerrier prirent une teinte dorée à la lumière des flammes et ceux de Serrine flamboyèrent d'avantage. Les langues de feu se reflétèrent dans les pupilles pâles de Sigvald et dans celles émeraude de la forgeronne.

- Autrement je t'encourage à ne pas t'isoler de la sorte. Ce n'est pas une fois rendu à Cordont que tu pourras sympathiser avec les soldats : vous serez tous beaucoup trop occupés pour cela. Serrine, fixant toujours le feu, leva son regard vers celui de Sigvald pour le voir dévier ses yeux vers sa petite monture de bois. Un nouveau sourire se dessina dans l'angle de ses lèvres. Un travail remarqué et apprécié... que demander de plus ? Elle aurait pu apprécier cette espèce de compliment un peu plus si elle n'avait cru entendre vaguement son nom de famille dans une conversation d'un groupe autour d'un autre feu un peu plus loin. Elle ne parvint pas à saisir si ils parlaient d'elle ou de sa famille en mal ou bien. Elle se pencha et fouilla dans une de ses sacoches de selle pour trouver une flasque qu'elle déboucha et y tira une bonne rasade, comme lorsque l'on vide son verre cul-sec. De l'eau... Elle aurait préféré de l'hydromel, de l'hypocras ou même de la bière, mais ce n'était que de l'eau. Elle reposa ses yeux sur ceux de Sigvald d'un vif mouvement de tête qui fit voler ses cheveux détachés.

-C'est mal parti je crois. Une légère gêne s'était installée dans sa voix au moment de dire ses mots. Elle savait qu'elle devait faire un effort de son côté, mais la première réaction des autres voyageurs au départ de Délimar n'avaient pas été très encourageante. Elle passa une main dans ses mèches rousses et se gratta l'arrière du crâne qui le démangeait.

- Je devine que tes expériences passées dans l'armée n'ont pas du être réjouissantes... je sais combien Gloria encourageait la ségrégation des sexes, mais ce n'est pas le cas ici. Notre Intendante n'a pas gagné ce titre par son héritage, mais ses mérites. Tu le remarqueras rapidement, mais tu n'as pas besoin de porter une robe pour affirmer ta condition de femme et faire tes preuves... ou que sais-je. Les yeux gris du guerrier la fixèrent intensément. Serrine ne répondit rien à la réplique, attendant que Sigvald, techniquement son supérieur hiérarchique le plus haut, ait fini son discours.

- Nous visons l'efficacité et la cohésion, Serrine. Jusqu'à présent, tu sembles manquer de l'un et dédaigner l'autre. J'aimerai comprendre le pourquoi afin de rectifier le tir. Il n'y pas de raisons à avoir honte, tu peux parler à cœur ouvert. Je ne suis pas là pour te juger, simplement te cerner et t'accompagner. Serrine poussa un soupir. Elle secoua sa flasque comme pour vérifier que l'eau en était toujours et ne s'était, par miracle, changée en quelque chose de plus fort. Elle se décida enfin à parler et à s'expliquer :

-Concernant ce soir en particulier, je me suis isolée pour des raisons plus personnelles qu'une mésentente avec mes camarades de voyage. Cependant il faut bien reconnaître que l'accueil qui m'a été fait dans la troupe à Délimar n'encourageait pas vraiment la fraternité. Mais je ne comprends pas vraiment pourquoi je manquerais d'efficacité il va falloir que tu m'expliques. Je sais que je peux manquer de sociabilité. Je ne suis pas une créature très sociable. Il en a toujours été ainsi et je doute fort que cela change à l'avenir. La solitude me convient et me plaît tout autant que la compagnie. Il n'y a rien dont j'ai honte de parler, simplement des sujets... plus personnels.

Tu as raison cependant, Gloria n'est pas du genre à faire dans l'acceptation des femmes. Les meilleures heures de ma vie ne se sont clairement pas déroulées dans leur armée, mais à l'époque je m'en fichais. Je frappais ce qu'on me disait de frapper et aussi ce qui, selon moi, devait être frappé. Il en est presque de même aujourd'hui. Je ferai en tous cas plus d'efforts pour exécuter les ordres. Déjà pendant cette vieille période, je combattais en robe dans ces troupes. Ma...
Elle marqua une hésitation. Ma mère m'en a toujours fait porter et j'ai gardé cette habitude. J'ai appris à faire toutes sortes d'activités en portant ce genre de vêtements et, tu l'as vu toi-même, je sais me battre avec. S'il est question d'un code vestimentaire militaire, alors je pallierai au problème, mais si ce n'est pas le cas, alors je ne vois pas en quoi cela dérange. Elle était restée calme, sans agressivité. Une tinte de rancune avait malgré tout demeuré au moment d'évoquer le départ de Délimar.

-Si tu veux me comprendre, ce ne sera pas dur. Je ne suis d'ordinaire pas compliquée il me semble. Et je ne suis pas contre un peu d'aide pour une fois puisque tu dis vouloir m'accompagner.

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Il l'observa longuement en silence, depuis l'intensité de ses yeux lorsqu'elle parlait aux mèches folles que sa coiffure ne parvenait pas à totalement dompter. Il scrutait ses mains calleuses du travail de la forge tandis qu'elles manipulaient tantôt la barre de fer, tantôt la gourde d'eau mise à disposition dans tous les équipements fournis aux soldats de l'Océanique. Le guerrier notait ses petites manies tel que son incapacité à rester immobile lorsqu'elle parlait et il compara cette attitude à celle qu'elle avait montré lorsqu'ils étaient dans sa forge, à Délimar. Était-ce la situation ou le sujet qui la mettait à ce point mal à l'aise ? Il désirait la cerner et la comprendre afin de mieux la modeler et l'adapter à son nouvel environnement. Même si ce n'était que pour quelques jours, voire quelques semaines ; elle était des leurs maintenant.

Stoïque, il ne chercha pas à l'interrompre alors que ses yeux pâles continuaient de scruter la position, les crispations et les frémissements de Serrine. Qu'ils soient conscients ou involontaires, il s'agissait autant d'éléments permettant de décrypter ce qu'il se passait dans sa jolie petite tête rousse et il ne comptait pas passer à côté. En opposition, Sigvald gardait une posture détendue. Assis en tailleur avec les coudes appuyés sur ses cuisses et les mains jointes au dessus de ses chevilles croisées, son dos courbé venait masser davantage encore sa puissante silhouette et pendant qu'il écoutait, il venait parfois hocher la tête en preuve d'attention.

Quand elle eut terminée, il se redressa pour étirer son dos. Son armure de cuir souple grinça aux muscles qui roulaient alors que la maille agrémentant ses articulations capta les lueurs du feu sans le moindre éclat ; leur métal savamment ternis dans ce but précis. Posant les mains de part et d'autre des hanches, légèrement penché en arrière, il leva la tête vers le ciel étoilé et esquissa l'ombre d'un sourire quand il prit la parole :

« - Ulrik est un vétéran. Il avait déjà de nombreuses batailles à son actif avant que je sois même capable de tenir une épée. Aujourd'hui, il manie la double hache comme personne, mais il commence à avoir du mal à bouger lorsque le temps est humide. Il ne l'avouera jamais, mais les symptômes sont là.
Ingvar est un excellent archer, à ses côtés il m'arrive encore d'apprendre quelques astuces lorsqu'il est temps de chasser. Pourtant, il ne voit pas les couleurs comme nous ; quand quelque chose de vert et de jaune sont trop proches, il ne perçoit plus les détails. Cela ne l'empêche pas de tirer en plein cœur, mais les heures en demi-teinte sont gênantes pour lui.
Lotta est une terrible cuisinière qui va faire des tartes aux myrtilles qui pourraient colmater une fissure dans les murs de Délimar. Pourtant, elle s'acharne à préparer les rations, car elle veut devenir une bonne épouse et songe même à se retirer quelques années pour avoir des enfants et les éduquer elle-même.
 »

Il marqua une pause et recentra son attention sur la jeune femme. Son sourire se fit plus franc, baignant ses yeux d'une chaleur sincère et plongeant les iris dans des teintes mercures.

« - Tous ces détails, tu ne pourras jamais les savoir si tu t'isoles pour x ou y raisons. Ces informations sont délicates à aborder avec des inconnus et elles ne se révèlent pas au premier coup d’œil. Il faut apprivoiser la personne, gagner sa confiance et ça ne s’acquière qu'à force de se côtoyer. Nous sommes frères et sœurs d'armes, Serrine. Lorsque le temps est froid ou quand la luminosité est complexe, nous adaptons notre formation pour soulager Ingvar et Ulrik. Quand il faut manger les rations de Lotta, nous lui apportons une critique constructive, car nous savons qu'elle cherche à s'améliorer... et nous veillons aussi à manger léger au repas précédent. »

Taquin sur la dernière réplique, Sigvald retrouva son sérieux alors qu'il se penchait légèrement vers le feu afin d'accrocher le regard de la rouquine. Il la contempla longuement sans un mot, puis ajouta :

« - Ce que je t'explique, Serrine, c'est que nous sommes une grande famille. Nous sommes une meute. Il est alors normal de se taquiner et de se chercher. Alors oui, parfois des limites sont franchies et l'on en vient aux mains ou parfois des mots malheureux sont échappés et un froid tombe. Dans ces moments là, il est important de prendre ses distances pour retrouver son calme, mais il l'est tout autant de revenir l'un vers l'autre. Quelque soit le fautif, il est nécessaire d'en discuter pour que cela ne se reproduise plus. Pour que nous apprenions à nous connaître.
Et ça justement, ça n'arrivera jamais si tu préfères t'isoler. Si tu persistes à croire que la solitude t'est aussi égale que la compagnie d'une famille, tu finiras par devenir un élément faible dans le groupe. Tu ne sauras jamais pourquoi la cuisine de Lotta est aussi exécrable et tu finiras par bouder ses repas ou par demander à ce qu'elle soit plus de corvée. Sans savoir les faiblesses des uns et sans reconnaître leur point fort, tu ne seras pas capable combattre efficacement avec la meute.
 »

Sa voix grave ne portait aucun jugement, il y avait même dans l'intonation une certaine tendresse paternelle. Il était l'Alpha dans ce groupe d'homme et de femme. Toutes ces années il avait mis un point d'honneur à les connaître individuellement. Qu'ils soient de la Garde Loup ou bien de l'armée régulière, il voulait connaître ceux qui donnaient leur vie pour Délimar. Il serait celui qui annoncerait les défunts aux familles, celui qui graverait les noms dans la roche du mur des Disparus. Son regard transperça la jeune femme et il ajouta de cette même affection :

« - Mes hommes sont, pour la plupart, certainement pas les plus éclairés de l'Archipel, mais je peux t'assurer qu'ils possèdent tous le cœur sur la main. Ils ne te connaissent pas, ne prends pas à mal leurs paroles s'il te plaît. Ce sont des hommes bourrus, mais sincères. Si tu fais l'effort d'aller vers eux et de t'expliquer, ils respecteront ce que tu es et je ne doute pas qu'ils accueilleront sans peine une femme doté d'un caractère comme le tien. »

Il se leva et vint distraitement épousseter ses cuisses et ses reins des branchages et herbes qui s'étaient accrochées à lui. Pendant un instant, il regarda les différents îlots de lumières et les silhouettes silencieuses, sûrement endormies, attroupées autour.

« - Cependant, si tu ne te sens toujours pas à l'aise lorsque nous arriverons à Cordont, alors tu seras libre de partir. Nous respectons le libre arbitre de chacun. Rencontrer de nouvelles personnes, se confronter à de nouvelles expériences et opportunités ; je suis sûr que tu auras toute un éventail de possibilité là-bas. Aussi, quelque soit ta décision, n'ait pas de crainte à me la soumettre. D'accord ? »

Il l'observa de nouveau, l'expression grave et les sourcils légèrement froncés. Il n'avait pas l'habitude de parler autant et voilà deux jours qu'il bavassait comme une oie. L'articulation de sa mâchoire lui faisait mal, comme engourdie alors que sa gorge sèche réclamait de l'eau qu'il n'avait pas songé à apporter avec lui. Bras croisés sur le torse, il attendait de voir si la jeune forgeronne souhaitait lui répondre, sans quoi il comptait regagner sa paillasse et grappiller quelques heures de sommeil.

descriptionForger sa place [PV Serinne] EmptyRe: Forger sa place [PV Serinne]

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Sigvald demeurait calme, presque immobile. Sa voix, pourtant si particulière, additionnée à l'état d'esprit de Serrine et à l'heure tardive aurait pu faire une très bonne berceuse. Quand il parla du vétéran Ulrik et d'Ingvar l'archer, la forgeronne fut prise d'admiration, et de jalousie aussi. Avoir son nom qui ressort dans toutes les discussions après un combat, voilà quelque chose qu'elle n'aurait pas refusé. Quand il parla de la cuisine de Lotta, Serrine posa une main sur son ventre, légèrement amusée. Voilà qui expliquait certaines choses.
Cependant il lui conseilla encore une fois de ne pas s'isoler. Cela commençait à devenir redondant. Serrine n'était plus une enfant. Lui marteler la même information dans l'oreille ne servait à rien, elle l'avait déjà enregistrée la première fois, mais peut-être que son explication n'avait pas été assez claire. Elle la reformulerait dans ce cas. Et puis Sigvald suggéra une nouvelle fois le retour de la femme à Délimar. Il avait l'air d'y tenir. Ne serait-ce pas lui, au final, à regretter la venue de Serrine ?
Le sujet de la famille, de la meute que formait les troupes de Délimar ne fit pas vraiment mouche dans l'esprit de la forgeronne. Elle était une individualiste. Il y avait elle, les siens, et le reste du monde. Ses seuls frères et soeurs d'armes étaient ses amis, ses véritables amis, pas les gens que l'on était sensé considérer comme sa famille. Ils étaient peu. En fait même, depuis quelques temps déjà il n'y avait plus qu'elle à faire partie des siens. Depuis plusieurs années, elle vivait sans amis ou famille. Depuis combien de temps avait-elle tant pris goût à la solitude ? Dans le passé, e lle avait su s'entourer, mais après la traversée, l'arrivée à Délimar... Après réflexion... se lié à ses hommes et ses femmes ne seraient sans doute pas une mauvaise idée. Elle avait dit que la solitude ne la dérangeait pas et c'était vrai. Mais au bout de plusieurs années... N'importe qui souhaiterait quelques contacts sociaux. En son fort intérieur, Serrine avait pris sa décision. Elle essaierai de lié, à défaut d'une amitié inébranlable, au moins une franche camaraderie avec les autres. Elle ferait de son mieux et il n'était pas impossible qu'elle échoue. Auquel cas... A voir sur le moment.

-Cela fait déjà deux fois que tu émets l'hypothèse que je rentre chez moi. Est-ce toi qui ne veut plus de moi ? La question se voulait plus ou moins sérieuse. Elle doutait que sa supposition soit juste, mais on ne perdait rien à en avoir le coeur net.

-Hmm... Au moins j'ai un bon prétexte maintenant pour aller parler avec les autres. Je dois me mettre en quête des horaires de corvées de Lotta afin d'adapter mes repas en conséquences. Sigvald pouvait trouver cela drôle, ou pas, dans tous les cas, Serrine lui fit un petit sourire en le regardant dans ses yeux de givre. Il était assez discret, mais c'était un beau sourire, sincère, pas un sourire de malaise. Était-ce la situation qui faisait ça ? Elle avait l'impression d'être ivre. Elle n'était pas sûre de ses actions. Elle reporta une nouvelle fois la flasque à ses lèvres et bu une nouvelle gorgée. Elle retira le contenant avec un grimace de dégoût. Assez d'eau... Elle tendit le bras en direction de Sigvald.

-Une petite goutte ? Promis, que de l'eau. Elle guigna rapidement vers le ciel, un ciel sombre, sans étoiles, cachées par les nuages. Seule perçait faiblement la lumière de la lune laissant deviner un croissant de début de cycle. Elle reposa ses yeux verts sur ceux de Sigvald.

-Je ne connais pas Ulrik ou Ingvar, mais je saurais peut-être reconnaître Lotta à sa cuisine. Tout ces détails, je vais essayer de les apprendre. Ce que je t'explique, Sigvald, c'est que je compte essayer de m'intégrer. Je ferai de mon mieux mais ne t'attends pas à un miracle. Je te l'ai dit, je ne suis pas faite pour la vie de troupeau, et je doute être capable de considérer des personnes n'étant pas réellement mes frères et soeurs comme tels, mais je peux les voir comme des amis ou de bons camarades. Ce qui signifie qu'au coeur du combat ou de n'importe quelle autre situation l'exigeant, je serai derrière eux. Je n'hésiterai pas plus longtemps à les défendre parce que je ne suis pas aussi fortement liée à eux que toi ou un autre.
Si eux me considère comme une soeur ou une amie, tant mieux. S'ils me considèrent comme une simple connaissance tant pis, et s'ils ne peuvent pas me supporter et bien grand bien leur face. Ça, ça ne m'intéresse pas vraiment et ça ne change rien à ce que je viens de dire. Même le gars au coin là-bas, si je ne lui ai jamais parlé, je le protégerai autant qu'un autre. C'est ce qu'on attend de moi, et c'est ce que j'attends de moi-même. Tu peux compter sur moi.
Un nouveau regard vers la faible lumière de la lune rappela à Serrine l'heure tardive, ainsi que la fatigue commençant à la gagner. Si elle voulait être en forme pour le reste du voyage, elle avait intérêt à dormir un minimum d'heures chaque nuit. L'envie de se coucher envahit son esprit.

-Excuse-moi Sigvald, mais je souhaite dormir à présent. A moins que tu aies autre chose à me dire ? Auquel cas je t'écoute. Autrement je te souhaite une bonne nuit. Couper ainsi brusquement dans la conversation

descriptionForger sa place [PV Serinne] EmptyRe: Forger sa place [PV Serinne]

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Il l'observait fixement, tête baissée en sa direction alors que sa haute et massive silhouette se découpait en contre-jour des autres feux de camps, non loin. Quelques mèches venaient lécher son front et ses pommettes sans qu'il ne se souci du léger chatouillement qu'elle provoquaient sur sa peau pâle. Toute son attention était tournée sur les gestes et la posture qu'adoptaient la jeune femme après sa plaidoirie et il était réellement curieux d'entendre ce qu'elle avait à y redire. Son mordant lui plaisait, c'était une évidence, mais il voulait savoir si elle savait regarder plus loin que le bout de son nez... et il fut légèrement contrarié du contraire lorsqu'elle souffla sa première question. Sigvald fit de gros efforts pour ne pas claquer sèchement de la langue, plus encore pour ne pas simplement la secouer comme un prunier afin de lui faire comprendre le sens véritable de ses mots. Ne maîtrisait-il pas assez bien la langue commune ? Devait-il lui parler en Elfe pour qu'elle pigne enfin son invitation ? Sourcils froncés au point de créer une barre sur son front plissé, le guerrier prit toutefois sur lui et attendit qu'elle poursuivre. S'il craquait après tous ces efforts, elle risquait de se refermer comme une huître et toutes approches ultérieures seraient vaines.

La tension de son corps s'estompa au trait d'humour qu'elle plaça judicieusement et il lui souffla qu'il veillerait à la prévenir lorsque Lotta serait de corvée du souper. Il ne doutait pas que les autres Loups s'amuseraient énormément de l'attention et que la désignée serait la première à prendre la plaisanterie avec bon goût... à défaut de ses préparations. Sigvald retrouva cependant bien vite son sérieux et il pencha légèrement la tête de côté alors que la forgeronne lui avouait désirer faire des efforts malgré son passif quelque peu compliqué avec le corps armé. La majorité de ses propos le chiffonnèrent, notamment sur le fait de ne pas pouvoir les considérer comme des frères et des sœurs d'armes, mais l'essence même de ses paroles était plus que satisfaisante. Elle avait l'intention d'essayer et c'était bien tout ce qu'il demandait. Hochant la tête en signe de refus à la proposition de boire dans sa gourde, il prit à son tour la parole de sa voix profonde et légèrement rauque :

« - Si je regrettais réellement ta présence, tu serais déjà en route pour Délimar. »

Il posa sur elle un regard froid et lisse dans un masque d'impassibilité. En cet instant et en ce lieu, personne ne se mettrait au travers de sa décision, surtout à l'égard d'une étrangère. Un lourd silence pesa une poignée de secondes avant qu'un soupir ne vienne détendre la haute silhouette qui s'était tendue par une tension soudaine et prédatrice. Il n'avait que faire des bagages encombrants et si elle devenait réellement un poids ou une menace pour ses hommes, il n'hésiterait pas à mettre sa menace à exécution. Sa patience s'amenuisait comme peau de chagrin et comme le faisait remarquer la jeune femme ; il se faisait tard et une longue journée les attendait le lendemain. Décroisant les bras, Sigvald passa une main sur son visage et força l'ombre d'un sourire. Ses yeux retrouvèrent une certaine chaleur, probablement aidés par les lueurs du petit feu de camps.

« - Ne déformes pas mes propos. Je tiens juste à te faire savoir qu'aucune porte ne t'ait fermée et ce, quelque soit ta décision. »

Une autre pause, moins pesante cette fois alors qu'il levait une main pour repousser enfin les quelques mèches qui n'avaient cessé de barrer sa vue et d'effleurer ses tempes.

« - Je suis cependant heureux de te savoir être volontaire pour fournir des efforts d'intégration. Je suis sûr que tu ne le regretteras pas et qu'à terme, tu considéreras cette troupe comme ta seconde famille. Qui sait ? Peut-être t'engageras-tu dans l'armée et deviendras-tu citoyenne ? »

Une pointe d'acidité transperça dans sa voix, mais fut si diluée et fugace que cela pouvait passer pour une tension causée par la fatigue.

« - Reposes-toi bien. »

Il la salua d'un geste de la main et s'éloigna en silence pour disparaître à nouveau dans les flaques d'ombres. Il gagna le centre du camps où dormaient quelques Gardes Loups ainsi que les autres officiers. S'allongeant sur sa cape rembourrée de quelques branches souples coupées à des buissons, il croisa les bras derrière sa tête et fixa la voûte céleste d'un air pensif. Il doutait sincèrement de la capacité qu'avait chacun à prétendre vouloir risquer sa vie pour des inconnus, car il était dans l'instinct de tous de se préserver en priorité. Ce n'était qu'en abandonnant la notion d'individualité pour se plonger dans celle du groupe, de la famille ou de la meute, qu'importait le nom au final, que l'on pouvait réellement prétendre à une telle action sans mentir... sans se mentir. Toutefois, il était possible d'avoir des surprises et il espérait que cette femme lui en apporterait encore à l'avenir. Fermant les yeux, il se mit à somnoler sans jamais réellement sombrer dans le sommeil complet. Détendant son corps pour reposer ses muscles, il vida son esprit de toute pensée parasite et plongea dans les paysages perdus de sa contrée natale.

* * *

Trois jours étaient passés depuis leur dernière conversation et ce soir là, Sigvald était de bien forte méchante humeur. Il venait d'avoir une conversation plutôt houleuse avec l'un des artisans, l’admonestant avec âpreté à l'écart du groupe afin que le sujet de leur discorde ne soit pas porté aux oreilles curieuse. Comme tous les soirs depuis leur départ, la troupe s'arrêtait sur une vaste plaine ou le sommet déboisé d'une colline dès que la nuit devenait trop profonde. Tous s'éparpillaient alors en groupe de six à dix soldats et s'organisaient pour monter leur propre petit camps. Ce soir là donc, l'homme qui subissait la houle du glacernois était un homme brun, à la peau halée de taille « normale » pour un humain. Raide comme un piquet, digne mais visiblement froissé aux paroles abruptes qu'il recevait, sa petite taille comparée au géant du nord ne l'empêchait pas d'aborder un statut aussi royal que fier. Plusieurs fois Sigvald avait pointé du doigt les chariots de marchandises avant de croiser les bras et d'attendre une réponse de son vis à vis... qui sembla accepter quoi que soient les remontrances à son égard et serrer les poings sur son humiliation. Les deux hommes se séparèrent alors et le Général s'enfonça dans la forêt en gardant les mains crispées sur ses deux épées tandis que l'homme partait rejoindre une faction de la Garde Loup.

Quelques soldats, qui s'étaient liés d'amitié avec Serrine ces trois derniers jours, lui conseillèrent de ne pas chercher à approcher cet artisan là autant pour le statut particulier qu'il revêtait, qu'aucun des Loups ne la laisseraient de toute façon l'aborder librement. Eux-même se contentèrent de réponses vagues et cherchèrent aussitôt à changer de sujet si elle insistait d'une quelconque manière. Les nouveaux compagnons de la rousse s'avéraient être des clients occasionnels de sa forge et ils l'avaient accueilli de bon cœur autour de leur feu au soir de la seconde nuit après lui avoir parlé durant la journée, entre les poses et la rotation des troupes. Comme tout Délimarien, ils étaient d'un caractère fier, mais placide, de cette force tranquille et immuable taillée par la rudesse des anciennes terres gelées de Glacern. Deux d'entre eux étaient des almaréens qui effectuaient leur service de six ans pour obtenir la citoyenneté et montraient un zèle exemplaire pour ne pas déplaire aux officiers qui passaient régulièrement dans les rangs pour s'assurer que tout soit en ordre. En voyant la forgeronne partir dans les bois, aucun ne chercha à la retenir bien que tous échangèrent un long regard inquiet en devinant sa destination. Et bien, il n'y avait plus qu'à espérer que le Général ait calmé sa colère d'ici à ce qu'elle le retrouve.

Sigvald avait marché de longues minutes, ses longues enjambées l'emportant loin dans les bois. Il repoussait les branches basses qui risquaient de fouetter son visage et sautait souplement par dessus les troncs et les roches qui barraient son chemin. Cette marche rapide calmait tout juste son humeur exécrable et s'il en voulait à Ilhan de l'avoir poussé à bout pour des raisons aussi grotesques, il s'en voulait surtout à lui pour avoir perdu son calme aussi facilement. Le guerrier se consolait toutefois en se disant que la faute revenait surtout à l'autre tanche hypocrite et ses manières de nobliaux totalement inadaptées à la situation d’urgence dans laquelle ils se retrouvaient. Grondant d'une voix sourde, il s'arrêta finalement dans une petite clairière et dégaina son épée longue pour en observer le plat à la lumière chiche de cette lune couverte. Il aurait dû refourguer le colis à Nyko, car alors le confort d'une cabine d'officier aurait davantage convenu aux attentes de ce politicard précieux et pomponné. Une chose était sûr : il ne manquerait pas de lui rappeler l'incident dès lors que l'autre oserait pinailler sur ses manières à lui. Satisfait de la simplicité de son arme, gorgé par les souvenirs qu'elle portait pour chacune de ses éraflures, Sigvald commença à effectuer plusieurs maniements de l'arme.

L'air sifflait chaque fois que le fil parfaitement aiguisé de l'épée fendait le vide, puis vient s'ajouter une autre lame tout aussi parfaite. Les yeux fixés sur un ennemi invisible, il se mit à combattre férocement pour écouler une partie de sa frustration. Si seulement Ilhan était un combattant ! Ils auraient pu régler ça dans un duel et passer à autre chose. Malheureusement, il se retrouvait seul pour écouler sa colère, car même les troncs d'arbres et les branches qui lui servaient par instant d'exutoire ne tenaient pas assez longtemps pour le satisfaire. Coups de taille, feintes et balayages circulaires, il enchaînait tout cela en combinaisons alliant autant la puissance à la rapidité. Par instant, il laissait même son Esprit-Lié exercer librement son « Don » et le faire disparaître dans l'obscurité. L'on entendait alors que le sifflement des lames jumelles qui fendaient la petite clairière en un tourbillon mortel et indétectable. Dans un bond qui s'acheva en un salto, le guerrier réapparu juste à temps pour porter un double coup de fente médium, épées croisées pour trancher en deux le prétendu adversaire. Un genoux au sol et l'autre massé contre son torse, Sigvald poussa une longue expiration alors qu'il posait les armes dans l'herbe foulée.

« - As-tu quelque chose à me demander ? »

Il avait profité de son invisibilité pour observer ses environs immédiats et n'avait pas manqué la silhouette à la tignasse rousse inimitable. Et il se pourrait que l'aide d'Amarok, dissimulé dans les ombres épaisses du sapin le plus proche, avait éventuellement pu l'aider à regarder au bon endroit au bon moment afin de pister l'intruse. Loin de s'agacer de cette présence non conviée, il s'était retrouvé curieux à avoir été suivit de la sorte, au beau milieu de la nuit. Tournant la tête dans la direction approximative de Serinne, il lui fit signe d'approcher avant de retirer son plastron de cuir et d'utiliser le bas de sa chemise en laine blanche pour s'essuyer le visage. S'installant en tailleur, à moitié torse nu, il bascula dans l'herbe pour s'accouder confortablement et contempla la jeune femme avec un haussement de sourcils. Ce fut avec une pointe de sarcasme qu'il ajouta :

« - C'est dangereux de sortir sans un binôme pour veiller sur ses arrières. »

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Les jours suivants, le contact avec les autres membres de la troupe fut... assez froid en premier lieu. Ce n'était pas dû au caractère glacé des Nordiques mais à Serrine qui avait encore, au début, l'accueil de Délimar en travers de la gorge. Mais quand elle reconnut plusieurs clients de sa forge parmi les soldats qui la reconnurent également, elle fut très vite intégrée dans un petit groupe d'une dizaine de soldats. Dans ce groupe, tous n'étaient pas des clients de Serrine. Il n'y en avait que quatre. L'un des quatre était Almaréen, de même qu'un autre membre du groupe. Le reste était de Glacern. Serrine n'était cependant pas la seule femme, il y avait aussi Ilda, une grande femme âgée de dix années de plus que Serrine. Du reste des hommes, certains étaient plus sympathiques que d'autres bien que tous étaient d'agréable compagnie. Il y avait notamment ce soldat, ce Falkreim, qui était dans sa neuvième année de service au sein de l'armée. C'était un grand gaillard (comme tous les autres en fait) de cinq ans de moins que la forgeronne. Plus chaleureux que la normal, pour un Nordique, il était plutôt beau avec ses yeux bleus, ce qui ne gâchait rien. Serrine se rapprocha bien vite de lui et d'Ilda, formant un trio avec un bel avenir devant lui.

Les deux premiers soirs en compagnie de son nouveau groupe, après qu'elle eut aidé à dresser le camp et à allumer le feu, Serrine avait passé un certain temps à examiner et à rafistoler de menu défauts sur quelques pièces d'équipement des soldats. Elle avait reconnu quelques petites pièces sorties de sa forge et deux épées portant sa griffe. Coïncidence, les deux étaient identiques, forgées dans la même série de modèle. Elle avait fait des reproches aux hommes. "Mais... entretenez un peu votre matériel enfin ! Faites attention ! Ce n'est tout de même pas à moi de vous rappeler qu'il vous sauvera sûrement la vie un jour. Et graisse-moi cette lame, Tovar ! C'est comme ça que tu traites une épée doréa ?" Elle ne s'était pas montrée plus sévère que cela et même cette critique ne se voulait pas si cinglante. Intérieurement, elle prenait grand plaisir à s'occuper de ces réparations et à donner des conseils. Après tout, c'est ce qu'elle faisait de mieux.

Depuis sa dernière conversation avec Sigvald, trois jours, plus tôt, un détail lui trottait en tête. Il avait évoqué à un moment la possibilité que Serrine rejoigne l'armée et devienne citoyenne de Délimar. La réflexion à ce sujet animait ses pensées, et la présence constante de soldats n'arrangeait pas les choses. Elle aurait peut-être effectué le service militaire si ce dernier n'était pas si long. Mais six ans... A l'âge qui était le sien, Serrine avait d'autres projets pour son avenir. Plus le temps passait, plus il jouait contre elle. Elle souhaitait, entre autres, fonder une famille ou peut-être agrandir son commerce. Et puis elle pensait être plus utile à l'armée en continuant à travailler son art de la forge, bien plus développé que son art du combat. L'armée ne serait sans doute pas pour elle. Et puis... être citoyenne... Elle se débrouillait plutôt bien sans ce titre apparemment alors à quoi bon ?

En parlant du loup... le soir du troisième jour alors que la nuit était tombée, beaucoup d'hommes et de femmes, dont Serrine, avaient vu, au loin à l'écart du camp, le grand Sigvald se disputer avec un petit homme, artisan apparemment. Bien que tous n'aient pas assisté à la scène et que personne n'avait entendu les mots prononcés, la rumeur de la dispute s'était répandue dans tout le camp comme un feu de prairie. Serrine avait demandé autour d'elle qui était ce petit personnage, mais les autres ne semblaient pas disposés à lui parler de lui. Ils la dissuadèrent même d'essayer de l'approcher. Tout ceci était bien étrange. Alors qu'elle discutait avec Tovar et Ilda autour du feu, elle aperçut du coin de l'oeil le géant aux cheveux pâles s'éloigner du camp à grandes enjambées. Son regard et sa vitesse de marche semblaient indiqués qu'il n'était pas d'humeur calme.
Après plusieurs minutes d'hésitation, Serrine se leva et quitta la chaleur du feu pour le suivre en direction des bois, seule. Etait-ce par curiosité ? Envie de l'aider à se calmer si elle en était capable ? Probablement les deux à la fois.
Les empreintes étaient bien visibles mais la piste du guerrier était difficile à suivre. Le pas étaient très éloignés. Plusieurs fois, Serrine dû revenir en arrière pour retrouver le chemin suivi par Sigvald. Elle arriva à ce qui lui sembla être le bon lieu, là où le géant s'était arrêté. Les arbres alentours portaient des marques de lames et on entendait siffler dans l'air le tranchant de plusieurs lames. Pourtant, Serrine eut beau cherché, pas moyen de voir où se trouvait Sigvald. Il apparut soudainement devant elle, un genou en terre, ses deux armes croisées sur sa poitrine. Comment... ? La forgeronne ne se posa pas la question plus longtemps.

- As-tu quelque chose à me demander ? Lâcha-t-il. Serrine posa les poings sur les hanches et posa son regard sur les arbres abîmés.

-Non pas vraiment... Quoique... pourrais-tu arrêter de cogner ces pauvres arbres ? Frapper du bois est mauvais pour le métal. Si tu pouvais m'éviter ce travail. La réplique s'était voulu sarcastique, bien que, pour le bien de ses épées, il ferait mieux de ne plus cogner de bois. Non je suis plutôt venue au sujet de cette dispute avec cet homme. J'ai cru comprendre que c'était un personnage plutôt tabou alors je ne te poserai pas de question sur lui ou sur le sujet de la dispute mais... Elle ne sut pas quoi ajouter et avait conscience de sa maladresse dans la conversation. Mais elle l'avait prévenu, les relations sociales n'étaient pas son fort.

- C'est dangereux de sortir sans un binôme pour veiller sur ses arrières. La forgeronne croisa les bras sur sa poitrine et s'appuya l'épaule contre un haut sapin. Elle porta son regard sans un mot sur la coupure dans l'écorce, à sa droite, à sa gauche, indiquant ainsi qu'elle ne voyait pas non plus le binôme de Sigvald. Elle lui renvoya sa réplique d'un mouvement de tête. Elle était toujours calme, pas énervée pour un sous pour une fois.

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La reproche, aussi familière et soudaine, lui fit hausser des sourcils avant qu'il ne retienne de justesse un rire acerbe. Le bois tendre des arbres n'abîmerait pas tant que ça le fil de ses épées, surtout qu'il savait parfaitement orienter ses coups pour que la fibre végétale ploie et tranche sous les entailles, faisant voler des échardes et des giclées de sèves plutôt que d’endommager le tranchant. Du moins, il croyait que ce genre d'exercice serait moins contraignant pour les épées que de croiser le fer de quelques consœurs dans un entraînement plus formel, voire de buter contre des armures ou des boucliers magiques. Baissant les yeux sur les jumelles, il se redressa en position assise d'une simple contraction de ses abdominaux et tendit une main pour en caresser le plat et suivre de l'index la gouttière jusqu'à la chappe. Il prenait grand soin de cet héritage et s'il ne pouvait réellement ôter les entailles les plus profondes, témoignages des grandes guerres traversées, il voyait la lune refléter ses rayons sur le métal acéré en une froide iridescente. Silencieux, il préféra prendre sur lui les commentaires déplacés de la jeune femme, souhaitant mettre cela, une fois de plus, sur la différence culturelle qu'ils entretenaient. Et pourtant, avec lassitude, Sigvald en venait à se demander s'il ne s'agissait pas plutôt d'un gouffre. Les affronts et les insultes de Serinne s'accumulaient et il savait qu'une autre personne que lui aurait déjà pris ombrage.

A l'instant, ne venait-elle pas de l'accuser d'ingérence sur ses armes ? N'avait-elle pas dit qu'elle avait la charge de récupérer le tranchant abîmé ? Ne venait-elle pas de lui dénigrer vingt ans de vie sur les champs de batailles, vingt années de service actif dans l'armée la plus redoutée des trois races ? Lui, Général et vétéran de guerre, ne pas savoir entretenir ses armes et venir stupidement les abîmer sur un coup de tête ? Ses yeux pâles gardèrent un lustre patiné de sang-froid alors qu'il saisissait la fusée de son arme pour la soulever et tendre le bras afin d'en jauger le plat, sa droiture et apprécier son équilibre parfait. Une épée sublime, portée par son mentor et qui s'assemblait à sa jumelle pour former une arme encore plus mortelle. Il avait contemplé d'innombrable fois la tornade que devenait Havard lors des combats, le sillage de cadavres qu'il abandonnait à chaque fois. Aaah... Le sang et la violence du front lui manquaient et cette paix forcée ne lui plaisait pas. Bien qu'il la sache nécessaire pour l'épanouissement de son peuple, il voulait combattre. Il voulait sentir l'adrénaline courir dans son sang, bouillir au creux de ses tripes et lui arracher les rugissements de haine farouche. Il voulait briser et déchirer, il voulait marcher sur les corps rompus de ses ennemis, adresser le fanion de la Délimar dans le torse brisé de son ennemi. Il voulait venger la mort d'Havard, faire payer la perte de Glacern au centuple ! Il voulait éradiquer les vampires, raser ces elfes arrogants qui avaient volé ses terres natales. Il voulait renverser le trône du Royaume Sélénien et faire tomber une fois pour toute la lignée Kohan. Il voulait voir Tryghild à nouveau sereine, drapée de victoire et de gloire.

Visage impassible et regard perdu dans les reflets mat de son épée, il finit par ciller à la voix abrupte de Serinne et posa sur elle une attention encore mitigée. Le sang bourdonnait à ses oreilles et les souvenirs du front lui revenaient en vagues violentes. Il y avait dans son immobilité une tension prédatrice, expectative. Une intention meurtrière échappait à chaque frémissement de ses muscles tendus et la poigne sur sa garde s'ajusta alors que l'épée rejoignait son flanc et qu'il se massait sur lui-même. Son souffle se fit plus profond, régulier alors qu'il fronçait les sourcils sans avoir l'air de reconnaître la femme autrement que pour un détail : face à lui se trouvait une ancienne sélénienne. Face à lui se trouvait une femme qui ne voulait pas s'intégrer à son peuple, qui rechignait à jouer selon leurs règles. Face à lui, il y avait une potentielle ennemie à Délimar... voire une espionne peut-être ? Il l'analysa longuement, en silence, puis un nuage vint à chasser la lune gibbeuse et Sigvald disparu. Nulle trace de lui dans la clairière : il était devenu parfaitement invisible. La bénédiction du Loup le baignait dans l'obscurité de la nuit et il bougea en silence pour se glisser dans le dos de la jeune femme. Amarok quant à lui apparu soudainement à l'endroit exact où se trouvait le délimarien quelques instants plus tôt et offrit à la rouquine la vue de sa silhouette nébuleuse. Jouant les distractions, il avait reconnu la technique de chasse souvent utilisée en meute et servait volontiers d'appât pour que son maître obtienne sa proie.

Le silence et la tension s'accentua le temps de quelques souffles avant qu'une large main ne se referme subitement sur la gorge de la jeune femme pour la lui compresser en un étau de fer. La rouquine se retrouva violemment plaquée à un torse puissant alors que le guerrier réapparaissait dans son dos sans un commentaire. Il lui attrapa le poignet afin de tordre son bras en une clé d'immobilisation implacable, laissant savoir que d'une pression habile il pouvait lui rompre les articulations. Massé au dessus d'elle, il baissa son visage à hauteur du sien en veillant à ne pas être frappé par le crâne de la furie qu'il venait d'attraper. Il ne se doutait pas qu'elle saurait mordre et griffer pour regagner sa liberté. Ses lèvres caressèrent son oreille alors qu'il soufflait d'une voix basse, rauque et glacée :

« - Quand cesseras-tu de me prendre pour un idiot et un incapable ? »

Il lui coula un regard aussi terne et froid que les lames qui ceignaient à nouveau ses hanches, proprement rangées dans leurs fourreaux. Il pondéra un instant l'idée de la tuer et de se débarrasser de son corps. Peu de soldats oseraient poser des questions quant à sa disparition et elle n'avait aucune famille pour la pleurer. Si elle était réellement un danger pour Délimar, alors sa perte serait une précaution et dans le cas contraire ? Simplement un dommage collatéral causé par la guerre froide entre l'Empire et l'Alliance. Son regard continuait de la transpercer et pourtant il semblait ne pas réellement la voir. Le vacarme des batailles, les hurlements d'agonies et les éclaboussures mouillées de millier de chairs déchirées lui parvenaient toujours en bruit de fond. Si sa respiration était profonde, parfaitement maîtrisée, le tambour de son cœur était rapide et puissant.

« - Petite souris bien curieuse... pourquoi voudrais-tu t'intéresser à cette affaire ? N'es-tu pas celle qui affirme ne pas vouloir trouver ici, dans nos rangs, une nouvelle famille ? Tu vis à Délimar, mais tu refuses de plier à ses mœurs. Tu encombres une place chez les forgerons, bloquant l'accès à quelqu'un de plus motivé à s'intégrer. Tu n'es pas humble, mais hautaine et inutilement agressive envers les autres. Tu insultes mon honneur sur des présomptions futiles, des gamineries. »

Il gronda la dernière accusation et raffermit sa prise sur sa gorge. Pourrait-il la lui rompre d'un coup de poignet ? Probablement. Pour autant, ce n'était pas son intention. Une lueur de pragmatisme sourdait en lui et il finit par la relâcher brusquement, la poussant vers l'avant pour gagner une certaine distance de sécurité entre eux. Il ne craignait pas cette femme désarmée, mais il craignait de perdre son calme et d'avoir un geste regrettable à son égard. Sigvald se redressa de toute sa hauteur et la toisa avec sévérité tandis qu'Amarok se glissait derrière lui pour plonger un regard séculaire dans celui de la jeune femme, babines légèrement retroussées à l'écrin de sa silhouette d'ombres intangibles. La voix du Général claqua dans le calme nocturne de la forêt à la façon sèche et brusque d'un coup de fouet :

« - Laisses moi te donner un dernier conseil : apprends à nous connaître avant de nous juger. Tu es celle qui veut gagner sa place ici et puisque tu sembles oublier qu'elle ne t'est en aucun cas dû, souviens toi que tu n'es qu'une étrangère. Ta forge, le toit au dessus de ta tête ou encore cette place dans le convois ; tout cela est une main tendue que Délimar peut te refuser à tout instant. Tu n'es pas une citoyenne et tu ne sembles pas faire l'effort de le devenir... ne prends pas pour acquis les choses qui te sont simplement allouées. »

Le bâtiment qui lui servait de commerce et d'habitation appartenait à la cité, elle ne faisait que louer. Ses contrats avec les soldats était une générosité de l'Océanique qui veillait à ce que chaque artisan ait son quota de commandes afin que le commerce reste à flot, que la concurrence exacerbe les ambitions, pousse toujours plus à l’innovation. Toutefois la Cité, si elle n'était pas avare dans ses dons, était une maîtresse excessivement stricte dans ses enseignements et toute faute était sévèrement puni. Bien des étrangers avaient été banni pour des erreurs de jugements semblables à ceux que Serinne commettait depuis leur première rencontre. Il plissa des yeux en une expression souverainement agacée et serra plusieurs fois des poings afin d'y chasser la sensation de fourmillement qui piquait ses doigts. Il voulait frapper, il voulait sentir les os rompre. Pourtant, il n'en ferait rien et il se détourna de moitié pour contempler un instant le chemin qui menait aux campements. D'ici, il pouvait entrevoir la lueur des derniers feux à la façon d'une aura chaude nimbant les arbres dans la brume nocturne.

« - Révises ton comportement, Serinne Doréa. Si d'ici la fin de notre séjour à Cordont je ne t'estime toujours pas digne de vivre à Délimar, je ferais révoquer tes droits dans ma Cité. Prépares toi. »

Sans lui accorder le moindre regard, il quitta la clairière avec Amarok dans son sillage. Au détour d'un arbre, tous deux avaient à nouveau disparu dans la nuit et ne laissèrent que le silence.

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Voyant qu'il ne répondait pas, Serrine sentit bien vite que quelque chose n'allait pas. Sans doute aurait-elle dû tourner plus longtemps sa langue dans sa bouche avant de s'exprimer. Elle avait bien conscience de ne pas être la personne la plus diplomatique mais... l'atmosphère avait soudainement prit une tout autre tension. Sa bonne humeur inhabituelle s'évanouit progressivement pour laisser place à une certaine méfiance. Elle se replaça sur ses deux pieds et décroisa les bras en s'efforçant de garder un air naturel. Il valait sans doute mieux ne pas ajouter plus d'électricité à l'air ambiant.

Un nuage passa devant la lune, plongeant le bois dans l'obscurité totale. A l'instant où la lumière reparut, Serrine se retrouva seule au milieu des arbres. A l'endroit où s'était tenu Sigvald, il n'y avait plus que de l'herbe fraîchement aplatie. L'inquiétude de Serrine grandissait, elle avait beau regarder partout autour d'elle, pas moyen d'apercevoir le général dissimuler quelque part dans l'ombre. Elle repensa instinctivement au couteau qu'elle utilisait pendant ses repas, pendant à sa ceinture. Ses mains se tinrent prêtes, sa droite se rapprocha discrètement de l'instrument à sa taille. Elle vit devant elle se matérialiser cet étrange forme fantomatique de brouillard sombre à la silhouette vaguement canine. Tout cela ne lui disait rien de bon. Elle fit un pas en arrière, prête à se défendre. La forgeronne se sentait prise pour cible, la proie d'une chasse sauvage et impitoyable, bestiale. Elle fixait la "bête" nuageuse au cas où elle bondirait tout en restant vigilante sur ses flancs. A l'instant où la bête fit mine de sauter, les doigts de Serrine allait se refermer sur son couteau mais une main ferme et puissante lui saisit violemment la gorge et la tira en arrière, la plaquant contre une surface dure. Une autre lui attrapa le poignet et lui tordit le bras en une clé paralysante alors qu'elle tentait de se libérer de toutes ses forces. Elle cessa de lutter quand la clé se ressera, provoquant une vive douleur dans son épaule et tirant sur sa récente blessure, pas encore cicatrisée.

- Quand cesseras-tu de me prendre pour un idiot et un incapable ? Dit-il froidement à son oreille. Comment ? Mais ce n'était pas ce qu'elle avait voulu insinuer. Décidément ni l'un ni l'autre ne parvenait à comprendre l'autre. Elle tenta d'argumenter.

-Hein ? Non mais attends ce n'est pas ce que je... La prise autour de son poignet se fit plus ferme, lui arrachant une grimace de douleur.

- Petite souris bien curieuse... pourquoi voudrais-tu t'intéresser à cette affaire ? N'es-tu pas celle qui affirme ne pas vouloir trouver ici, dans nos rangs, une nouvelle famille ? Tu vis à Délimar, mais tu refuses de plier à ses mœurs. Tu encombres une place chez les forgerons, bloquant l'accès à quelqu'un de plus motivé à s'intégrer. Tu n'es pas humble, mais hautaine et inutilement agressive envers les autres. Tu insultes mon honneur sur des présomptions futiles, des gamineries Il la relâcha et la poussa brutalement en avant. Adieu bonne humeur et adieu sérénité et bonjour colère et rage. Croyant avoir réussi à se libérer, Serrine s'éloigna encore en se retournant vivement et en agrippant le manche de son couteau, prête à recevoir une autre attaque qui ne vint pas. Son visage déformé par une expression de colère, la femme faisait son possible pour ne pas sauter sur son agresseur. Que son acte ait été justifié ou pas, s'attaquer à Serrine était rarement une bonne idée, bien que Sigvald ait plus de chances que d'autres de survivre.
La forme canine vint rejoindre son maître. Serrine porta son attention sur elle. Ne sachant pas de quoi la chose était capable, elle s'en méfiait particulièrement.

- Laisses moi te donner un dernier conseil : apprends à nous connaître avant de nous juger. Tu es celle qui veut gagner sa place ici et puisque tu sembles oublier qu'elle ne t'est en aucun cas dû, souviens toi que tu n'es qu'une étrangère. Ta forge, le toit au dessus de ta tête ou encore cette place dans le convois ; tout cela est une main tendue que Délimar peut te refuser à tout instant. Tu n'es pas une citoyenne et tu ne sembles pas faire l'effort de le devenir... ne prends pas pour acquis les choses qui te sont simplement allouées.

Révises ton comportement, Serinne Doréa. Si d'ici la fin de notre séjour à Cordont je ne t'estime toujours pas digne de vivre à Délimar, je ferais révoquer tes droits dans ma Cité. Prépares toi. Sur ce, il la planta là en retournant vers le camp, sa bête de brouillard sur ses talons. Serrine, resta dans le bois, paralysée par sa colère, les poings serrés si fort que ses articulations étaient blanches. Elle attendit que Sigvald ait disparu au loin pour se tourner brusquement vers l'arbre le plus proche et y propulser son poing de toutes ses forces. Sa main atteignit le tronc de plein fouet, l'écorce craqua sous le coup.

-Fils de... Elle envoya un nouveau coup de son autre main. Si tu touches à ma forge, je jure de te donner tout mon stock d'armes directement dans les dents ! Encore un coup. Fumier ! Un coup. Salaud ! Un coup. Idiote ! Un coup. Imbécile ! Elle continua à frapper ainsi, trouvant à chaque frappe un nouveau juron. Elle continua, sentant l'écorce craquer sous ses coups, faisant fît de la douleur, jusqu'à en avoir les doigts en sang. Le tronc de l'arbre devenait pourpre et sa peau s'écorchait de plus en plus, mais sa colère si forte la poussait à se défouler à son maximum. Elle finit par donner le coup de trop et un nouveau craquement retentit, mais cette fois ce n'était pas l'écorce mais une de ses phalanges.

-Ah chié ! Encore plus énervée par sa propre colère, elle sortit son couteau de cuisine de son étui et le plia entre ses mains comme s'il ne s'était s'agit que de papier avant de l'envoyer sur l'arbre dans lequel il se planta. A bout de souffle, Serrine laissa pendre ses bras desquels gouttaient de fines perles bordeaux. Sa respiration se fit plus calme et sa colère commença à s'apaiser mais pas totalement. Après un moment, elle retourna en direction du camp.

En regagnant son groupe, elle trouva Ilda, Tovar et Falkreim encore éveillés autour du feu. En arrivant près d'eux, son expression leur fit comprendre qu'il valait mieux ne pas faire de commentaire sur ses blessures. Elle s'assit sur une selle posée près des flammes. Un long silence s'installa entre les quatre compagnons. Tovar ne tarda pas à aller dormir. Ilda et Falkreim ne détachaient pas les yeux de Serrine qui, elle, fixait les flammes,  sourcils froncés. Après un long moment dans cette situation, ce fut Serrine qui brisa le silence.

-Falk... j'ai besoin d'un bandage tu veux bien ?  Il répondit d'un simple signe de tête et se leva pour chercher dans ses affaires des bandes de tissus et de l'alcool. Il vint s'asseoir à côté d'elle sur la selle et commença à s'occuper de ses mains. Fort heureusement, il avait compris que ce n'était pas qu'aux mains qu'elle avait besoin de soins. Il la laissa appuyer sa tête sur son épaule et se blottir contre lui. Quand la main droite de Serrine fut bandée, Falkreim fit un signe discret à Ilda de le remplacer et il passa un bras autour des épaules de la forgeronne, qui finit par s'endormir contre lui.

Serrine ne revit plus Sigvald pendant plusieurs jours, ce qui n'était pas pour lui déplaire, mais lui permit aussi de bien tasser sa colère et de remettre en question les événements récents. Elle comprit que, même si Sigvald aurait probablement pu agir différemment, elle avait ses torts également.

Elle recroisa le général quatre jours plus tard, au hasard dans le camp. Il se déplaçait seul vers un lieu inconnu. En passant près de lui, elle baissa les yeux au lieu de les lever et lâcha simplement un "désolée" avant de continuer sa route.

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