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    Le pan de tissu qui fermait la tente fut rabattu sèchement par Aldaron, lorsqu'il retourna à l'intérieur de l'abri. Il retenait une boule dans le fond de sa gorge, celle d'un sanglot plein de peine. Qu'avait donc Seö pour être à ce point buté ? Qu'allait-il arriver à Ivanyr, à présent ? Il avait si peur de le perdre, si peur que la folie l'emporte loin de lui comme elle avait, jadis, détruit Achroma à petit feu. La tête basse, il avait dégluti comme il pouvait avant de relever un visage fermé mais dont les yeux avaient légèrement rougi au sel de ses larmes qui enveloppaient, d'une fine pellicule, ses yeux. Sa voix, d'une maîtrise parfaite, n'avait guère tremblé lorsqu'il avait demandé à la sœur d'Ivanyr de quérir Purnendu et lorsqu'elle quitta la tente, ses épaules tombèrent, comme s'il avait cherché à tenir sa droiture... Mais qui croyait-il tromper ici ? La vampire était bien plus futée que cela. Dans le silence revenu, les prunelles éplorées coulèrent sur le corps évanoui de son aimé. Il avait tellement envie de le prendre dans ses bras, pendant plusieurs heures, plusieurs jours, et ne plus bouger de là avant que l'un et l'autre ne soient réconfortés de la mésaventure. Il posa les armes, retira son armure, défit ses bottes et vint saisir une fourrure blanche piquetée de gris pour le couvrir jusqu'aux pieds. Il approchait à pas feutrés du lit, comme s'il ne souhaitait pas l'extirper de son repos réparateur. Il en avait bien besoin... Et pourtant, lui aussi avait besoin de lui. Il pouvait peut-être se faire une petite place près de lui ?

    L'inquiétude croissait en lui, sans qu'il ne puisse l'arrêter. Ivanyr avait eu l'air tellement désorienté, tellement accablé. Il s'était vu mourir, n'était-ce pas ses mots ? Il n'avait pas vu mourir Achroma... Il s'était vu mourir lui, lui qui ne s'était jamais senti connecté à l'Aîné. Les doigts fins de l'elfe dénouèrent délicatement les bottes de sa Lame pour les lui ôter. Le geste était prudent et plein de douceur. Il caressait sa peau froide mise à nue, de la cheville jusqu'à l’extrémité des orteils. Ainsi parviendrait-il à lui offrir de bonnes sensations au milieu de la tourmente. Il jaugea de la place qu'il lui restait dans le lit pour le rejoindre, mais force était de constater que la carrure glacernoise du vampire remplissait à lui seul le couchage. Il se fit une place assise, sur le bord, et défit les accroches du haut de sa tunique comme pour lui laisser une plus ample aisance à respirer... Avant de se souvenir que ce serait parfaitement inutile. Il était vraiment égaré et se se frotta l'arrête du nez, interloqué par son propre égarement. Lentement, il vint s’allonger contre lui, au trois quart sur lui, à défaut de plus de place, la tête contre son torse. Il caressait distraitement son ventre, les yeux mi-clos, ressassant les derniers joues comme on contemple une plaie béante. La catastrophe de Cordont avait brisé son cœur de nombreuses pertes. Le sang avait coulé à flot, injustement et il y avait perdu des alliés et des amis. S'en étaient suivi les propos malheureux de Luna et la décision prompte et difficile qu'il avait du prendre en annexant la ville. Puis ses innombrables voyages magiques dans les terres de l'Alliance pour avertir qui de droits. La tension accumulée de ces derniers jours, la première rencontre avec Nolan et celle à venir, plus importante, des négociations. Et maintenant cet incident... Avait-il uriné sur l'autel des huit dernièrement ?

    Il sentit les bras d'Ivanyr se refermer sur lui. Il était donc réveillé ? Il releva le nez vers son visage, le regard interrogateur porté sur son aimé avec douceur et inquiétude. « Meleth nîn...* » souffla-t-il en accueil à son éveil, avant de se rendre compte que le son de sa voix était plus brisé qu'il ne l'aurait voulu. N'y tenant plus cette fois, il s'agrippa à lui pour se traîner et se hisser lentement jusqu'à ses lèvres, sortant jusqu'aux épaules, du confort chaleureux de la fourrure. Il s'accouda sur l'oreiller pour rester visage au dessus du sien, mirant ses traits attentivement. « Ta sœur est allée chercher Purnendu... » Il écarta, de sa main qui ne lui servait pas d'appui, une mèche platine du visage pâle de l'Aîné. « Qu'est ce que je peux faire pour t'aider ? »


    *Mon amour

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La conscience lui revint lentement, accompagnée par la sensation d’un corps contre le sien, le tirant des limbes d’un oubli bienfaisant pour le ramener vers son réceptacle de chairs fourbues et malmenées. Sans ouvrir les yeux, il écouta les délicieux battements de cœur de son amant, savourant la tiédeur de sa forme souple apposée sur la sienne et la douce caresse de son souffle, se laissant baigner dans sa présence, dans la tangibilité de son être là, près de lui. Lentement, il inspira pour percevoir le parfum boisé de ses cheveux, et celui, plus piquant, de sa peau douce. Presque sans y penser, le vampire vint à l’enlacer, l’attirant plus près. Sa peau, là où l’elfe avait détaché le laçage de son col, picotait du contact chaleureux. Avec une langueur née de la lassitude qui l’écrasait, Ivanyr vint caresser les longues mèches blanches, laissant le contact soyeux laver pour un instant la douleur de ses phalanges et chasser le tremblement qui les saisissait. Il sentait, plus qu’il ne voyait son regard posé sur lui, et pourtant il ne fit rien pour précipiter la présente situation. Il y eut un silence à l’appel puis un bruissement de tissu et Ivanyr frémit en sentant les lèvres chaudes frôler les siennes, insinuant une éphémère vague de chaleur en lui. Cette fois, il ouvrit les yeux, accueillant ses paroles sans y réagir. Leur sens mit de longues minutes à percer le barrage de son apathie, l’obligeant lentement à combattre la catatonie et lourdeur de la fatigue qui coulaient son âme.

Lorsqu’enfin il comprit, sa gorge se serra, le privant un instant de parole. La question avait beau être innocente, elle découvrait une vérité si laide qu’il peinait à l’accepter, surtout en cet instant. Transi de cette réalisation qui ne faisait qu’enfoncer le clou de sa déraison et de ses craintes, l’immortel ne put que souffler d’une toute petite voix, faible et fragile comme un cristal soufflé. Aussi fragile que lui l’était.

« Je ne sais pas… »

Il ne savait pas du tout ce qui s’était passé, pourquoi il souffrait ou avait vu ce qu’il avait vu. Il ne savait pas s’il y avait quoi que ce soit à faire pour l’aider, ce qui pouvait peut-être soulager l’atroce poids qui l’écrasait, et la peur qui pulsait sourdement en lui. Aucune réponse ne lui venait, miraculeuse ou même hypothétique, son esprit était vide de toute forme de solution, peinant déjà à accepter ce qui lui arrivait.

« Je ne sais pas pourquoi je dois souffrir, alors… comment pourrais-je savoir comment me guérir… ? Ce… Ce n’est pas… juste… »

C’était candide, c’était enfantin et tellement sincère. Il n’y avait pas de réflexion là-dedans. Sa logique lui aurait dit que rien n’était juste en ce monde. Mais sa logique reposait sous des monceaux d’une pression psychologique qu’il n’était plus en mesure de supporter. Tremblant, il déglutit sa souffrance, réprima un hoquet spasmodique quelques instants durant avant de se calmer de nouveau. Parler lui coûtait, et il puisait en la présence de l’elfe des lambeaux de courage pour s’exprimer. Fermant les yeux un bref instant, il papillonna des cils et expira douloureusement avant de chevroter.

« La.. la gosse va bien ? Je ne l’ai pas… ? Non, non a-attend tu me l’as déjà dit, oui ? Je… je m’en souviens... »

Il haleta un instant, réprimant le délitement de sa conscience. Il la sentait lui échapper, lui glisser entre les doigts par instants, comme de l’eau ou du sable. C’était une sensation terrifiante à présent qu’il vivait pleinement et il aurait tout donné pour en être débarrassé. Etre le spectateur impuissant de son délitement était atroce. Et il ne savait pas comment l’empêcher.

« J’avais peur... peur de mourir, peur de te perdre. J’avais tellement peur Aldaron. Je savais ce qui arrivait, instinctivement, et… j’ai vu la bataille…j’ai vu Mort me prendre… m-moi ? C’était… c’était moi je crois…je sentais d’autres… personnes… liées à moi, qui souffraient et m’appelaient… et toi aussi, j’ai entendu ta voix, juste avant de… »

Il ne voulait pas le dire. Le dire le rendrait concret, plus palpable qu’il ne l’était déjà. Il l’observait avec désespoir, pupilles dilatées, yeux cernés. D’une main gauche, il vint lui caresser la joue, touchant sa chaleur… un instant plus tard, Aldaron se trouvait le nez enfouit dans son cou, engloutit dans une étreinte tremblante, ses mains aux longs doigts serrées dans sa chevelure blanche.

« Je le sens encore. J’ai l’impression que je vais fermer les yeux pour ne jamais me réveiller. Ne me laisse pas, je t’en prie… »

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    Le nez niché dans le creux de son cou, l'étreinte d'Ivanyr autant que ses mots le faisaient haleter de détresse et d'une angoisse étouffée. Il était si fragile, son aimé... Si fragile et si désespéré. Lui qui lui insufflait tant de force, au quotidien, lui qui le faisait aller vers l'avant, lui qui lui ouvrait les bras et dont sa seule présence savait calmer les tressautements de son âme meurtrie... Comme il était dur de le voir dans cet état. La culpabilité n'en était que plus vibrante, elle le dévastait comme un ras de marée sur une argumentation aussi précaire qu'une maison de paille. N'était-ce pas sa faute ? N'avait-il pas omis de faire tout ce qui était nécessaire pour qu'une telle situation chaotique ne puisse œuvrer dans le théâtre de Cordont ? Il avait failli et c'était Ivanyr qui en payait les pot cassés. Alors oui... Ça n'était pas juste. Il l'étreignait, ses deux mains aux formes émaciées, agrippées sur les larges épaules du vampire, avaient les jointures blanchies. Il voulait lui dire qu'il était là, présent à ses côtés et qu'il ne le lâcherait pas. L'émeraude de ses prunelles se troublait, brillant à l'éclat tremblant des torches. Une pellicule aqueuse s'y formait : il avait tellement mal pour lui. Il sentait sa douleur l'envahir, remonter dans son dos jusqu'à lui courber l'échine, engloutir son esprit et serrer sa gorge des pleurs qu'il retenait. Là où le Tyran Blanc ne l'avait jamais fait ployer, il se sentait tellement faible devant la souffrance de celui qu'il aimait qu'il se serait mis à genoux devant quiconque aurait le pouvoir de mettre un terme à la peine d'Ivanyr. « Je ne te laisserai pas. » souffla-t-il, dans le creux de son oreille froide. Mais sa voix tremblait à cette crainte. Il n'était pas être convainquant. Pourtant, il le devait. Pour lui, il devait être fort, il devait le hisser vers le haut et le sortir des abîmes où il s'enfonçait. « Je ne t'abandonnerai pas. » ajouta-t-il fermement avant d'embrasser la peau glaciale de son cou et de remonter le long de l'os anguleux de sa mâchoire.

    Un baiser sur ses lèvres et il allait le chercher du regard, le harponner du tranchant de ses émeraudes, l'hypnotiser de son aura pour ne pas le perdre. Il le sentait fuir entre ses doigts comme de l'eau, et il ne pouvait pas le tolérer. Les larmes avaient glissés sur ses joues mais de nouvelles n'étaient pas apparues. « Et tu ne m'abandonneras pas non plus, Ivanyr. » Sa voix était un souffle vibrant d'émotion qui venaient caresser ses lèvres alors que sa dextre se perdait dans les mèches platines. « Tu vas vivre. Sous cette tente, tu es en sécurité. Parce que je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'il n'y ait pas de guerre à Cordont. » Il était fatigué de faire la guerre, elle lui avait tout pris, tout arraché, en particulier ceux qu'il avait aimé. Il se souvenait encore de celle où Achroma s'était éteint. Ses yeux se fermaient alors qu'il venait poser son front conte le sien. « Tu vas vivre, Ivanyr. Même si tu fermes les yeux. » Il alla embrasser ses paupières d'un geste tendre, le forçant à les clore en même temps. « Écoute ma voix, dans les ténèbres. » Il posa un baiser sur l'une de ses tempes avant que ses lèvres ne coulent jusqu'à son oreille, effleurant la peau de sa pulpe tremblante de peine et douce d'affection. « Est-ce que tu te souviens... De lorsque nous avons sauté de la falaise ? » Il orientait ses pensées, il savait que son emprunte charismatique avait ce pouvoir. Il voulait le sortir de ce souvenir terrible. « Est-ce que tu te souviens de ma main, dans la tienne ? J'avais peur, mais j'avais foi en toi. Je savais que tu me guiderais. » Ses doigts glissaient le long de son épaule et de son bras pour enserrer leurs semblables. « Est-ce que tu te souviens du vent ? Est-ce que tu te souviens de la liberté quand nous n'avions plus rien sous nos pieds ? Est-ce que tu te souviens du temps ? Moi, je l'ai oublié. Il n'y en avait plus, il s'était arrêté. Ça sifflait à mes oreilles. Te rappelles-tu de l'étendue d'eau ? Te rappelles-tu des reflets solaires ? Je crois que c'est resté gravé sur ma rétine. »

    Ses pupilles se contractaient à la réminiscence, comme s'il voyait encore la surface bosselée de laquelle ils se rapprochaient. Il fermait, à son tour, les yeux, se laissant bercer par les images et les sensations que cela lui évoquait. « Est-ce que tu te souviens d'avoir eu l'impression de voler ? Est-ce que tu te souviens de t'être senti vivre ? D'avoir eu l'impression que ton cœur reprenait ses battements originels... Juste quelques secondes ? » La sensation de vie pour lutter contre la sensation de mort. La dualité dans son plus simple appareil et la force de son esprit pour vaincre ses chimères. Voilà ce qu'il voulait lui évoquer. « Est-ce que tu te souviens du silence ? Puissant, majestueux, lorsque nous sommes arrivés sous l'eau. Est-ce que tu te souviens de sa pureté ? De l'exaltation ? » L'elfe à la peau sombre ouvrit ses paupières et se redressa pour avoir le visage au dessus du sien. « Je tenais toujours ta main et je la tiendrai encore, même lorsque nous passerons les portes du royaume de Mort. Je la tiendrai si fort qu'aucun Dieu, aucun Esprit, ne sera jamais capable de me séparer de toi. Nous vivrons ensemble. Nous mourrons ensemble. Nous nous réincarnerons ensemble. C'est cela : être inséparables. C'est pour cela que nous avons été choisis. Ne doute jamais de cela. Ne doute jamais de nous. Les ténèbres ont tord de te faire croire qu'elles gagneront. Tu n'es pas Achroma. Tu es Ivanyr et ce qui nous unis a été sacralisé par les Esprits. » Ça n'avait pas été le cas avec Achroma. Peut-être était-il temps qu'ils appellent leur esprit-lié. Peut-être en avaient-ils besoin, vraiment, pour ne plus oublier que ce qui les assemblait ne pouvait être détruit. « Je t'ai attendu... Pendant des siècles, je n'ai jamais été capable de m'accrocher. De m'attacher. Je t'ai espéré, je t'ai désiré. Notre mariage est plus robuste que les épreuves. Il survivra. »

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Il possédait si peu de choses, si peu de liens, leur ensemble se comptait sur les doigts d’une main. Etait-ce alors si étrange qu’il craigne les perdre, viscéralement ? Lui qui au quotidien se moquait de la petitesse des humains et de leur égoïsme trivial, il ne coupait pourtant pas à ses propres biais. Mais en l’instant, qu’elle importance ? Il se sentait glisser, essayant de se raccrocher, avec au fond de l’âme la certitude résignée que cela ne servirait immanquablement à rien, qu’il ne pourrait, en fin de compte que lâcher. Comment vaincre un tel flot ? Aldaron était en l’instant la seule ancre qu’il possédait, et il s’accrochait à lui désespérément, tel un noyé. Il avait besoin de lui, de le toucher, de le sentir, de l’entendre, tout pour parvenir à son convaincre qu’il n’était pas une illusion, qu’il n’allait pas disparaître en le laissant derrière, dans ce monde froid et dur. La mort ne lui faisait pas peur, bien qu’il ne le comprît pas ainsi, la perte, elle en revanche, le terrorisait. La perte était obnubilante, omnipotente, impérieuse, elle finissait toujours par récolter un tribut et elle l’avait si souvent exigé de lui qu’il en dépérissait, même lorsque les souvenirs n’étaient qu’une vague brume lointaine. La perte était là, gravée dans sa chair, et elle le torturait de chaque fibre oubliée, remontant les racines d’une autre vie pour se nicher dans les nouvelles terres fertiles de sa conscience présente. Elle n’avait ni nom ni mots, pourtant elle emplissait son être et menaçait de le déborder.

Il essayait de se souvenir, de suivre la voix d’Aldaron, mais c’était trop dur. Ses yeux ne se figuraient pas la scène, tout n’était qu’un tracé lointain, presque à une vie de lui. Son âme ne se soulevait pas, mortellement blessée par la brèche ouverte dans la carapace qu’elle s’était fabriquée. Non ! Il aurait voulu hurler sa peine. Non il n’arrivait pas à trouver cela en lui. Il peinait à se souvenir du bruit de l’eau alors que ses oreilles étaient emplies du fracas de la guerre et des hurlements des blessés et des bellicistes. Et par-dessus cette atroce cacophonie, il entendait les cris de son amant qui l’appelait, et une autre voix… plus proche, intime, incompréhensiblement brouillée. Que disait-elle ? Il ne comprenait pas. Dans un sursaut, il lui sembla émerger, tête hors de l’eau, pour un instant. Il ne voyait pas l’océan, le ciel, ne sentait pas le vent, il n’y arrivait pas car quant bien même l’instant était puissant, ce qui le rongeait l’était bien davantage encore. Mais il le voyait lui… il voyait son beau visage, auréolée d’une légère lueur crépusculaire, de ces couleurs chaudes et pastelles qui rappellent la chaleur du jour, promesse de retour après la longue nuit sombre ; il voyait ses yeux brillants, couleur de foret verdoyante et gorgée de vie ; il voyait sa blanche chevelure comme la queue d’une étoile filante. Il le voyait d’autant plus que le reste paraissait si sombre en comparaison, si ternis. Il voyait son éclat pulsant doucement, au rythme de son cœur, et il se laissait réchauffer, apaiser.

Cela ne durerait pas éternellement, comme la nuit revenant inévitablement mais… cette pensée fut rapidement éclipsée par la lumière qui baignait son compagnon. Ses tremblements devinrent sourds, avant de s’apaiser. Une exhalation accueillit la levée d’une part de ce poids qui l’écrasait, candidement fébrile de se savoir épargné, même quelques instants, de grapiller quelques miettes de paix et de repos. Sa poigne sur lui se fit moins forte, et il se laissa retomber, ne pouvant toutefois s’empêcher de le toucher, encore, le soulagement, l’affection sincère et torturée irradiant comme un soleil, en lui, chaque fois qu’il entrain en contact avec lui. Ses yeux étaient collant de par la fine croute de sang qui les bordaient et son visage se plissa un instant alors que d’un petit mouvement de la tête, instinctif, il tentait vainement de chasser l’inconfort provoqué. Il lui fallut tout de même de longues minutes supplémentaires avant qu’il ne parvienne à quitter son état de fièvre immédiate et que ses délires s’apaisent enfin. Ce n’était pourtant que partie remise, le sang écoulé mais la blessure encore béante ne demandant qu’à s’épancher davantage. Epuisé par l’épreuve, il tomba de nouveau dans un état proche de la catatonie, sans avoir lâché l’elfe. Son troisième éveil le fit incapable de bouger plus que par mouvements douloureux et limités. Il se tourna pourtant de côté, apposé sur son flanc afin de lui laisser de la place, l’observant avec une douceur pleine de lassitude.

« Je t’aime…  »

Sa voix frêle était à peine un murmure, l’aveu comme une caresse dont il essayait de se rassurer.

« Quand le soleil brillera…  »

Il du s’y reprendre à deux fois avant d’aller plus loin, son esprit encore fragile ayant du mal à se concentrer comme il devrait.

« Quand le soleil brillera, vient avec moi… jusqu’à la falaise et… lies-toi à moi…  »

Son ancre, sa force, son amour naïf pour lui qu’il avait si peur de perdre en mourant. La sensation était encore dans le creux de son corps, indescriptible. Il n’avait nul moyen de décrire le passage de Mort. Toutes les belles philosophies, les belles images parlant de corbeau dont on entendait les battements… il n’y avait rien de tout cela. Il avait tellement besoin de croire que leur esprit-lié les attacherait réellement, lui permettrait de le garder. Mais… et les autres ? Pourrait-il seulement garder les autres ? Pouvait-il aussi s’attacher à eux pour ne jamais les perdre ? Il ne voulait pas les perdre…

« Je suis désolé… tellement désolé… de tout… tout ça, je… je voulais juste être avec toi. J’avais peur pour toi… Pardon Aldaron… je te demande pardon…  »

Il se perdit dans une litanie difficile. Pourquoi avait-il été en colère en partant de Caladon ? Il ne savait plus. Il lui avait manquait quelque chose. Cruellement manqué même.

«Je… repartirais… après si tu me le demande…  »

Et comme un forcené, il consentait encore à s’arracher les ailes si cela lui plaisait, tant qu’il l’aimait, tant qu’ils étaient ensembles à jamais.

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    D'ordinaire, il trouvait ça grisant que d'être ainsi l'attention centrale d'une foule, d'avoir les regards rivés sur lui comme s'il était le messie que tous attendaient. D'ordinaire, cela l'amusait que de jouer sur la faiblesse du cœur humain devant son charisme. Sa prestance appuyait sur leur esprit et les faisait flancher... Mais là... Mais là, c'était quelque chose de tout à fait différent. Ce n'était pas de la contemplation béate, c'était ce désespoir face à l'adversité destructrice et omnipotente. Il avait la sensation d'être son dernier bastion, son dernier refuge de paix, le bateau qui flottait encore à peine, menaçant de sombrer avec lui, au fond de l'océan. C'était terriblement effrayant, son cœur tremblait de terreur à le sentir ainsi vaciller. S'il tombait complètement à terre, il ne pourrait pas le relever. Il lui rappelait Achroma, soudain, la veille de la dernière bataille. Si terrassé, si ravagé. Pour lui, il se montait fort ; pour lui, il restait à le mirer en silence. Seuls ses doigts se faisaient caresse apaisante jusqu'à ce que son cœur se détende et qu'il ne sombre à nouveau dans l'inconscience. C'était extrêmement douloureux de le voir dans cet état, il avait l'impression qu'on lui arrachait des pans de chair à la pince avec une langueur sadique. Il eut un spasme hoquetant de pleurs, qu'il étouffa vaillamment dans le creux de son coude, alors qu'il se redressait. Il ne voulait pas le réveiller. Quittant le lit, il se détourna pour enfouir son visage dans ses mains, secoué par des sanglots qu'il rendait silencieux. Le tissu de la tente était si fin... Il ne voulait pas qu'on l'entende faiblir. Il ne le pouvait pas : il était le Bourgmestre de Caladon. Ici, il devait être fort pour tout le monde. Il devait porter le poids de leurs attentes, pesant sur ses épaules comme une masse écrasante... Et il tenait debout à leur yeux. Mais, dans l’intimité de cet écrin, pas ce soir. Ses genoux fléchirent et ses muscles se contractaient sous des spasmes de douleurs. Le mutisme de la scène la rendait plus atroce encore : tout était caché, tout était jugulé, asphyxié pour qu'il n'en reste rien de perceptible. Il n'était qu'un corps frémissant et tremblant, courbé, replié sur lui-même, le front brûlant contre le tapis.

    Il inspira doucement l'air, raffermissait sa volonté. Il ne devait pas rester faible. Il devait lutter et il lutterait. Sa respiration devenait lente, profonde. Sa maîtrise réduisait les tremblements de son souffle jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. Il se redressait lentement, fourbu, comme si un raz de marrée avait balayé ses fondements mais qu'il n'avait pas le droit de s'écrouler pour autant. Il se pencha au dessus d'un récipient d'eau et, mains en coupe, il s’inonda le visage. Le regard statique, des gouttes tombaient de son menton avant qu'il ne se sèche. Il trempa un linge et revint s'asseoir près d'Ivanyr pour lui retirer le sang séché et coagulé qui collait sur son visage. Son geste était doux, lent et la tendresse de ses mains n'avait d'égale que l'affection qu'il lui portait. Son regard triste et inquiet le couvait avec angoisse. Et s'il n'arrivait pas à le soigner ? S'il n'arrivait pas à le retenir ? Si Ivanyr sombrait dans la folie ? Il pouvait encore le tuer avant, lui trancher la gorge et le rejoindre. Lui offrir la paix.... Mais le serait-il un jour ? Lorsqu'il l'avait contemplé brûler sur le bûcher, sa seule consolation avait été de le savoir affranchi de ses chaînes. Libre des maux qui l'avaient torturé ces dernières années. Alors pourquoi devait-il revivre tout ça ? C'était injuste. Terriblement injuste. Il n'avait jamais voulu de cela pour lui. Même dans la colère qui l'avait étreint, lorsqu'il avait accusé Achroma de l'avoir abandonné, même lorsqu'il avait hurlé sa rage que de l'avoir laissé seul... Jamais. Jamais il ne lui avait souhaité de revivre ce qu'il avait vécu. Et pourtant, sa présence à côté de sa réincarnation n'était-elle pas en train de lui faire revivre tout ça ? N'était-ce pas de sa faute ? N'avait-il pas été l'élément déclencheur ? Mais il était faible. Il ne voulait pas le perdre. Il voulait y croire même si tout semblait perdu. La gorge serrée par l'émotion, il s'allongea de nouveau contre lui, à sa place. S'il n'avait pas été extrêmement épuisé par les événements de Cordont, il serait resté éveillé à se torturer l'esprit. Mais il était si vidé de son énergie, à bout de nerfs, que tout se relâcha d'un coup.

    Dans son rêve, sur une branche couverte d'une fine couche de neige blanche, il y avait un inséparable. Le vent soufflait, comme un blizzard polaire, étouffant les bruits comme l'aurait fait le silence. En plus puissant et majestueux.

    Il papillonna des yeux en le sentant remuer. Il se laissa couler, à moitié éveillé, alors qu'ils basculaient sur le flanc pour se faire face. Il se sentait reposé. Il n'avait pourtant pas dormi longtemps. Mais pour la première fois depuis la catastrophe de Cordont, il avait su trouver un sommeil réparateur. Il se demandait si ça n'était pas Ivanyr qui avait veillé sur lui, depuis sa branche enneigée. Touché par ses premiers mots au réveil et fort peu lucide à sa sortie de narcose pour pouvoir se maîtriser, ses joues virèrent au rouge pivoine de manière très radicale. Pris de court pour savoir comment réagir, son cœur lui intima un sourire affectueux. Il se sentait aussi stupide qu'un adolescent tombé sous le charme, la première fois... Mais n'était-ce pas la première fois qu'on lui réclamait de se lier en une union qu'il désirait, lui aussi, ardemment ? Son palpitant battait si fort d'un seul coup. « Je serai là. » fit-il comme on soufflait un secret timide, auquel on tenait plus que tout. La suite lui serra le cœur et il posa un index sur ses lèvres pour couper court à sa litanie. « Reste. » Ce même ordre, cette même demande, depuis leurs retrouvailles. Probablement qu'Aldaron comprenait mieux que personne sa peur de la perte. « C'était stupide de te laisser en arrière. Je pensais... te protéger de ton visage. Je pensais te cacher pour te mettre à l'abri de leurs attentes, de leur curiosité... Mais regarde ce que j'ai fait... Regarde toi... C'est moi qui suis désolé. C'est moi qui te demande pardon. Tu m'es... Dévoué. Sincèrement et si je ne fais pas attention pour nous deux, tu me suivras. J'ai sous-estimé les conséquences de ton abnégation à mon égard. Je suis... Je suis habitué au manque, au vide. Mais toi... Toi, tu ne l'es pas. Je n'ai pas senti le fossé, je ne l'ai pas vu venir. » Ses lèvres se pinçaient pour retenir leur tremblement : « Je veux que tu restes. Je veux que tu sois auprès de moi. »

    Il l'épousait d'un baiser, chancelant par sincérité. Il frémissait et son souffle chaud était chargé de sa culpabilité dévorante. Il resta un instant à dévorer son regard avant de se redresser un peu et de tendre le bras sur le chevet. Il saisit une bourse de tissu rouge qu'il ouvrit. Après avoir reprit sa place, il versa le contenu sur l'oreiller, entre eux deux. Il y avait deux anneaux et deux colliers au pendentif translucide. Il prit l'un deux et le passa au cou de son amant, soulevant, délicatement sa tête pour glisser la chaîne. Il libéra ses cheveux de l'étreinte d'argent tout en présentant : « C'est un nexus du cœur. » Il pinça son index entre ses dents jusqu'à l'éclat carmin. Le goût métallique sur sa langue nécessita un instant d'absence pour qu'il se ressaisisse. Pas Morneflamme... Ça n'était pas Morneflamme. Il posa son index sur la pierre translucide et celle-ci absorba le sang, avant de prendre une teinte d'un violet très vif enlacé de spirales orangées. « Il te dira où je suis et comment je suis. Est-ce que tu sens... Que je suis là ? »

descriptionVivre après la mort [Achroma] EmptyRe: Vivre après la mort [Achroma]

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Son acceptation réchauffa les tréfonds altérés de son âme, lui tirant un vague frémissement et le vampire se dit que, s'il devait repartir et le laisser de nouveau le lendemain, au moins aurait-il en lui ce lien indestructible pour le consoler et le forcer à croire à son retour auprès de lui. L'idée même de devoir se séparer de nouveau était une intolérable souffrance, comme si le couperet n'attendait que cela pour le faucher et lui arracher ceux qu'il aimait à s'en crever le cœur. S'il quittait Cordont… la ville disparaîtrait-elle avec tout ce qu'elle contenait ? Reverrait-il Aldaron, Purnendu et Cymorill ? Déglutissant difficilement, il tâcha d'essayer de ne pas y penser, de ne pas nourrir cette horrible angoisse, et la douleur qui l'accompagnait. Morne, il l'observa s'épancher à son tour, voulant le détromper, lui ôter l'idée de cette culpabilité mal placée mais il n'en avait pas la force, une part de lui, blessée profondément, approuvait qu'il se flagellât pour toute cette situation et il en ressentait une vive honte. En cet instant, Achroma était très heureux qu'Aldaron ne puisse pas lire ses pensées, préférant garder cacher ces idées vaines et mesquines qui auraient blessés inutilement son compagnon et n'auraient rien apporté de bon. Alors il le ravala, préférant se montrer reconnaissant de sa volonté et de son empathie, celle qu'il était incapable de ressentir lui-même. L'elfe avait raison, il n'était pas, plus habitué au manque et au vide… Il avait mis de côté cette partie de sa vie, avait laissé son être s'emplir de la présence de ses proches. D'abord Purnendu, puis Aldaron et Cymorill… il connaissait si bien la perte qu'il avait à présent peur de la subir, qu'il angoissait de la voir rôder près de lui et l'anticipait.

Lentement, il éleva une main, et lui caressa les lèvres.

« Je ne veux pas que tu y sois habitué... » souffla-t-il doucement, faiblement.

C'était trop douloureux de penser qu'il pouvait accepter d'être éloigné de lui, quand bien même sa raison aurait pu répondre différemment si elle avait eu règne sur lui en cet instant. Mais sa peine n'avait rien de raisonnable, sa douleur rien de logique. Elle sourdait de lui pour envahir chaque parcelle de son être, chaque lésion, l'amplifier. Il aurait voulu l'absoudre, le réconforter mais il était lui-même si faible… Regard plongé dans le sien, il s'affichait, l'âme à nue dans ses yeux pâles, reflétant ses sentiments. Il le regarda, ouvrant grand les yeux en le voyant s'entamer la chair alors même que ses crocs auraient pu avoir le même effet, et ne réfléchit pas à la suite. Alors même qu'Aldaon lui mettait le nexus dans la paume, il se redressa sous une impulsion qui lui coûta presque toutes ses forces et l'entraîna dans un baiser qui manqua les faire rouler sur le sol et éparpiller les objets présents sur l'oreiller. De moitié avachi sur lui, Ivanyr lui prit le visage entre les mains et l'enfouit dans son étreinte, tremblant légèrement en lui caressant la peau et les cheveux, murmurant des mots doux et tremblants, emplit de crainte et de tendresse, pour essayer de lui faire oublier le terrible souvenir qu'il savait voir invoqué dans l'esprit de son aimé. Lorsque la panique le quitta enfin, il n'y eut pas même de honte à son souvenir, seulement une profonde lassitude et il se laissa retomber sur le côté, refermant les mains avec un soupire sur la pierre, la dissimulant aux regards extérieurs, comme un précieux trésor. Oui il le sentait, et si seulement cela pouvait suffire ! Mais c’était comme vouloir enfermer l’océan dans un verre d’eau.

« Et eux ? »

Il désigna les anneaux, ne doutant pas qu’un des deux fut pour lui, mais préférant laisser à Aldaron l’occasion de lui en parler. Il y avait un peu de magie, là-dedans, mais il était trop épuisé pour faire l’effort de vérifier ce dont il s’agissait. Reposant de nouveau sur son flanc et laissa la voix le bercer. Quand il rouvrit les yeux, il était pensif, mais également étrillé de désillusion, et de tristesse… d’incompréhension… les ténèbres refluaient pour un temps, le ramenant aux rivages d’une raison encore tremblotante. Tant qu’il le pouvait, il se sentait tenu d’expliquer ce qu’il s’était passé, ce qu’il avait fait, comment et pourquoi. Pendant son inconscience, qui sait ce qu’on lui avait cassé sur le dos ? Vu la façon dont l’elfe avait réagi, ça ne l’aurait pas étonné un seul instant qu’il se prête à ce genre de choses.

« Aldaron ? »

Lorsqu’il fut assuré de son attention, il poursuivit, lentement, péniblement…

«Il a affirmé que tu étais en sécurité parce qu’il refusait de me répondre. J’ai rétorqué que si je décidais de le tuer, ça ne voudrait rien dire, qu’il n’y aurait pas de protection… Qu’y avait-il de si dur à comprendre dans cela ? Ce n’est pas parce que quelqu’un refuse de vous répondre qu’il est une barrière suffisante… »

C’était à la sécurité de son amant qu’il avait pensé, et à rien d’autres. Et de cela avait découlé tout le reste. S’il n’avait pas été épuisé, il se serait sans doute de nouveau insurgé face à l’attitude qu’avait eut le chevalier. Mais il était au bout de ses forces et ne se remettait que lentement. La faiblesse présente de son corps l’obligeait à voir les choses sous un jour plus distant, bien que non moins subjectif. Il n’avait pas du tout apprécié la façon dont on lui avait parlé, encore moins que l’on se permette avec lui les familiarités d’un enfant. Cela ne faisait d’ailleurs pas honneur aux pairs de cet individu qui nuisait à leur image. Mais c’était là son point de vue à lui.

« Je lui ai simplement pointé du doigt, à plusieurs reprises, les failles de son discours. Rien de plus, je te le jure. J’ai essayé de lui tendre la main, de trouver des explications logiques à cette situation…. Il m’a ignoré et insulté. Je prenais congés de lui quand la gamine est arrivée… »

Ses traits se crispèrent brièvement.

« Je sais que je n’étais pas non plus dans de bonnes dispositions mais… rien de ce que j’ai pu dire n’était pas justifié »

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    Son souffle chaud caressait, à chaque respiration, des doigts froids, qui semblaient avoir remonté le chemin de ses lèvres. Instinctivement, sa bouche s'entrouvrait au désir charnel qui l'étrillait, mais qu'il jugulait. Sa langue aurait voulu goûter ces doigts, comme pour vérifier que rien n'avait changé. Il esquissa un mouvement nonchalant, tentant vaguement et affectueusement de les happer, de les embrasser, de prolonger leur contact si exaltant. Ses yeux se fermaient aux mots prononcés alors qu'il les gravait dans sa mémoire. Pourrait-il sentir le manque à nouveau ? Il avait si peur que cela lui fasse mal, qu'il avait refusé de ressentir cette émotion encore. Elle était bien là, pourtant. Il ne faisait que l'étouffer. L'habitude avait rendu cela plus facile. Devait-il laisser la peine poindre à nouveau ? Il n'arrivait pas à s'y résoudre : il s'était acclimaté à cette faiblesse insensible... Mais il savait aussi qu'avec des sentiments comme ceux qu'il éprouvait pour Ivanyr, il finirait par y revenir.

    Le sang sur sa langue le terrorisait mais la fougue du baiser chassa ses chimères avec une efficacité remarquable. Il était si bon de le retrouver, de percevoir toute son affection. Il pouvait lui en envoyer en pleine face avec toute la violence surprenante de ses élans de peur et de son instinct protecteur, l'elfe prenait. S'il s'en voulut de l'avoir plongé dans cette crise de panique, involontairement, il était, une fois de plus, profondément touché par sa dévotion hors normes. Elle lui rappelait, à chaque éclat, combien ce monde n'était pas formé que de ténèbres. Il chassait à lui seul les horreurs du volcan, car il incarnait tout ce que la prison avait voulu détruire en lui. Aldaron lui murmurait des mots d'amour, soufflé dans le creux de son oreille, veillant à le rassurer sur son état et à le remercier d'être là pour lui, de manière si infaillible. Ses bras l'enlaçaient et coulaient le long de son dos avant de fermer les poings sur sa tunique.

    Il avait cette envie brûlante de fusion, le désir fiévreux de se fondre en lui pour lui rappeler qu'il était là, qu'ils étaient ensembles et qu'on ne viendrait plus les séparer. Il passa la chaîne autour du cou d'Ivanyr avant de voir la pierre être dissimulée au creux de ses vêtements. Il esquissa un sourire avant de prendre le second nexus dont la pierre état encore translucide : « C'est son jumeau. Inactif pour le moment. Si tu veux m'offrir la même chose, il suffit d'une goutte de ton sang sur la pierre. Et... Ceci, ce sont des anneaux des murmures. Il permettent de communiquer entre porteurs d'une même paire. J'aurais du te l'offrir avant de partir... Mais à l'avenir, cela ne se reproduira plus. Si tu veux me voir, tu n'auras à le demander à personne d'autre que moi. » Il vint chercher la dextre de son aimé et il passa l'anneau d'argent vieilli à l'un de ses doigts. Le geste lui semblait doté d'un sens plus profond, d'une symbolique plus marquée. Il embrassa sa main avant de prendre le second anneau, celui lisse et doré.

    Aldaron ne portait pas d'or. L'intégralité de ses bijoux étaient uniformément en argent, excepté l'Alliance du Premier dont il n'avait pas choisi la constitution. Cet anneau des murmures était unique dans son apparat et détonnait du reste. « Gwaedh O Tinnu Uireb.* » lut-il des gravures fines et délicates qui reposaient à la surface de l'anneau qu'il serra dans le creux de sa main. C'était son serment, sa promesse. Il vint loger son front contre son torse, fermant les yeux pour profiter pleinement de sa présence. Son poing serrant l'anneau était contre son cœur et se respiration se faisait paisible, un instant. Il n'aurait jamais du le laisser en arrière. S'il refusait de sentir le manque, sa présence irradiait au sein de son être. Pour la première fois depuis quelques jours, il se sentait complet. Inquiet également, et il priait mille fois pour le rétablissement d'Ivanyr.

    Son appel lui fit relever le nez vers lui, croisant son regard pensif, désillusionné et triste. Ça lui faisait si mal de le voir dans cet état-là. Il l'écouta, sans broncher, même si un sourire fin étirait ses lèvres dans une expression de tendresse. « Je te donnerais raison, même si tu avais tord, Ivanyr. Je te défendrais, même si tu étais coupable. Je te croirais, même si tout le monde me dirait le contraire. Je sais, j'ai confiance en toi. Et je me moque de ce qu'il a pu dire sur toi : il a tord. Ce que tu as exprimé auprès de lui est logique, je pense... Que Seö n'est pas dans son état normal. Cordont est devenu le siège de la paranoïa et de la discorde. Je fais relayer ma garde à tour de rôle, pas seulement pour qu'elle se repose, mais pour qu'elle puisse aller dans la campagne alentours pour se ressourcer et quitter le marasme des tensions qui règnent ici. Je reste sans broncher, car Morneflamme m'a accoutumé à une méfiance pire encore. Rester ici est rude, mais c'est supportable et cela le sera d'autant plus maintenant que tu es avec moi. »

    Un soupir soulevait son torse avant qu'il n'ajoute en baissant les yeux : « J'ai cru que je pourrais imposer à Seö la même rigueur qu'à moi. Je lui ai demandé de rester à mes côtés pour me protéger. Je sais sa loyauté et son amitié, et sa présence valait pour moi autant que dix mercenaires. Il est sous la protection de l'esprit-lié de la bernique, je penserais qu'il tiendrait. C'est le cas, en un sens, il tient bien mieux que les autres, mais j'aurais du le laisser se ressourcer également. Ses nerfs ont été mis à rude épreuve. Si tu n'étais pas dans de bonnes dispositions, il ne l'était pas non plus. Lorsque la terre a tremblé, il n'a eu de cesse de veiller à ma sécurité et celle des autres. Il a mis sa vie en péril pour rentrer à l'intérieur d'un des deux golems en train de se battre, et pour en arrêter le mécanisme. Il nous a tous sauvés. J'ai vu tant de personnes mourir à Cordont, Ivanyr... mais ceux qui restent, c'est lui qui les a sauvé. »

    Il caressait son torse, d'une main songeuse et orienta son regard vers le sien. « Quand j'ai annoncé l'annexion de Cordont, il était aussi à mes côtés. Je voudrais que tu ne le juges pas trop précipitamment. Que tu fasses preuve de tolérance à son égard. Et que tu admettes l'hypothèse que vous soyez simplement partis du mauvais pied tous les deux. Je te l'ai dit : si je devais remettre une personne à sa place entre vous deux, ce serait lui. Je l'ai fait et le ferai encore, autant de fois qu'il le faut. J'aimerais que vous ne m'y obligiez pas. Je tiens à vous deux et vous entendre blasphémer sur le dos de l'autre est insupportable. Vous avez beaucoup à partager, tous les deux. Plus que cette altercation ne vous laisserait le supposer. »


    *Promesse/Serment d'une nuit/d'un crépuscule éternel(le)

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Il soupira doucement et secoua vaguement la tête, ne cachant pas le dégoût que tout cela lui faisait éprouver, et la fatigue qu'il en ressentait au plus profond de lui. Pour autant, Ivanyr inspira profondément et reprit la parole, en couvrant une de ses mains de la sienne. Vraiment, cela le navrait. Il parlait avec lenteur, précaution, comme si former les mots lui faisait mal et achevait de l'épuiser. Pourtant il s'ingéniait à le faire, ne voulant pas voir de telles plaies s'infecter et se gangrener en silence loin des yeux.

«  Je ne désire pas que tu remettes qui que ce soit à sa place, ni que tu te montre inique pour moi, ni… quoi que ce soit qui s'en rapproche, même si toute chose devrait d'abord être dite en privée avant d'être portée à des yeux extérieurs. Et j'ai déjà reconnu que nous pouvions être partis du mauvais pied… plusieurs fois, y comprit à l'instant. Je n'ai reçu que rebuffade sur rebuffade. Cela ne m'incite pas vraiment à recommencer...  »

Le vampire se fendit d'un pauvre sourire plein de dérision. Pouvait-on vraiment le blâmer de ne pas vouloir prêter le flanc une fois encore alors qu'il s'était fait déjà tapé sur la main tendue plusieurs fois ? Qu'on puisse vouloir s'entêter quand il y avait un potentiel, il pouvait comprendre, mais là, il était un peu refroidis et pas très enthousiaste pour prendre gratuitement des coups sans aucun espoir de retour. Il souffrait assez sans cela.

«  Et… je n'ai pas blasphémé… qu'il soit courageux n'est pas garant du reste. Je veux bien te croire sur parole quand tu dis que nous avons des choses à partager, je ne les vois pas cependant et je n'ai guère envie de faire le premier pas après ce qu'il s'est passé pour les découvrir  »

Oui, il voulait le croire, il faisait confiance à Aldaron mais en même temps ? En même temps ce n'était pas sa confiance en Aldaron qui était remise en cause, c'était ce qu'il pouvait accorder à l'autre. Il pouvait fermer les yeux et avancer sur sa demande… mais si on tendait une épée de l'autre côté, il n'en mourrait pas moins et si Aldaron ne la voyait pas, il ne pourrait pas l'en détourner. Et pourtant… s'il devait mourir pour lui avoir fait confiance, il le ferait.

«  Je ne souhaitais pas que tu le vois comme un reproche de ma part envers lui… je désirais simplement que tu saches ce qui est advenu et pourquoi vous vous êtes disputés  »

D'une main, il lui caressa la joue, le regard sombre. Non, il ne voulait pas lui cacher ce qui s'était passé, non seulement parce qu'il n'avait aucune raison de le faire, mais aussi parce qu'il n'avait pas envie de n'avoir que la version de l'autre pour résumé. Ainsi, les deux parties ce seraient certainement exprimées sur le sujet, ce qui était bien normal après tout, et de bonne guerre. Pour autant, il ne cherchait pas à tout prix l'approbation de son amant… il savait avoir été honnête. Alors que l'affrontement lui revenait, une pensée vint cependant lui faire froncer les sourcils, perturbant ses réflexions. Quelque chose qui lui revenait subitement et qui le perturbait encore davantage. Quelque chose que l'elfe avait craché sur lequel il ne revenait que maintenant.

«  Qu'as donc fait la Caste après la mort d'Achroma pour que des individus l'idéalise à ce point ? Comment peut-on véritablement croire à une image de perfection quand on côtoie… Il disait être déçu de ce qu'il voyait mais je n'ai pas le sentiment, en moi, qu'Achroma ait jamais dissimulé ses fautes quand il était en vie. Je ne comprend pas  »

Non, vraiment il ne comprenait pas. Mais il était vrai qu'il n'avait pas très envie d'essayer de comprendre la logique pouvant aller avec cela. Il était déjà bien assez pessimiste comme cela sans en rajouter. Et surtout, c'était exactement ce qui l'avait perturbé pendant plus de deux mois à Caladon… l'attente des autres et la façon dont ils réagissaient, c'était exactement de cela qu'il avait entretenu Aldaron à plus d'une reprise, la violence et le rejet des autres lorsque l'on était pas exactement comme ils le voulaient. Porter la déception d'un autre, alors que l'on avait pas demandé ses attentes. Il soupira lourdement.

«  Peut-être as-tu raison, peut-être est-ce simplement la tension à Cordont mais… je n'arrive pas à y croire. J'ai senti la haine qui vibrait derrière ses mots, invisible mais présente… elle m'a glacé la peau. Je l'ai sentit instinctivement, Aldaron… elle n'attendait qu'une excuse pour se montrer...  »

Il en était encore choqué. Oui il avait réellement eut peur de ce qu'il avait sentit, crut sentir dans sa voix. Parce qu'il n'avait rien fait pour le provoquer. Si on pouvait lui affirmer sans le moindre doute, avec une franchise omnisciente qu'il se trompait, il l'aurait accepté avec plaisir et soulagement. Peut-être que la paranoïa ambiante l'avait déjà atteint ? Il se serra contre l'elfe, l'enlaçant plus étroitement et se nichant avec lui sur le lit de camp. Sa présence chassait la sensation glacée qu'il avait eut au rappel de la verve et de l'agressivité du chevalier. Et les baptistrels l'avait accepté ? Impossible d'y croire.

«  Je voudrais me tromper… dis moi que je me trompe, s'il te plaît. J'aimerais que ma vision soit simplement obscurcie par le voile de Mort et rien d'autre  »

S'en remettre à lui était sans doute trop simple, presque lâche mais n'en avait-il pas le droit dans son état et ici ? Ici à l'abri de tout ce qui n'était pas eux ? Déglutissant la boule qu'il avait dans la gorge, il attendit de se gorger de nouveau de sa chaleur pour pouvoir y puiser de la force. Décidant de chasser tout cela, il se redressa, cherchant le second nexus du cœur afin de pouvoir l'activer également, mais mit un peu de temps à le trouver.

«  Donne moi le.. où est-il… ?  »

Lorsque ce fut fait, il plongea ses crocs dans son doigt et attendit pour pouvoir placer son sang sur l'objet. Immédiatement, le nexus prit une couleur mélangeant mauve, gris, et bleu et il soupira doucement avant de le nicher dans le ceux de la main libre de l'elfe. Lui souriant, il s'allongea de nouveau, fermant des yeux lourdement cernés, transformant la peau d'albâtre et un marbre sombre, bleuit d'épuisement.

«  Voilà. A présent toi aussi tu m'auras avec toi. Et… demain… demain sera encore mieux. N'est-ce pas ?  »

La demande était frêle, timide, mais portant une infime trace d'espoir.

«  J'ai hâte, j'ai tellement… hâte... »

De nouveau, il sembla perdre connaissance, ou simplement tomber presque tout de suite en transe. Son souffle se fit plus aisé et il sembla cesser progressivement de trembler spasmodiquement. Pourtant, alors que le silence se faisait profond autours d'eux, une voix bien connue, glaciale, vint souffler dans l'oreille d'Aldaron. Prend garde Triade...

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    L'elfe fronçait délicatement les sourcils à la découverte de ce qu'il lisait sur les traits d'Ivanyr. Cela le révulsait-il qu'il le protège ainsi, aveuglément ? Qu'il lui offre toutes les raisons du monde pour lui pardonner le moindre de ses actes, la moindre de ses erreurs ? Il ne savait pas tellement sur quelle partie de son discours, exactement, était dirigé ce dégoût et cette lassitude. L'incertitude le mettait mal à l'aise et ses mots ne firent rien pour apaiser la chose. Se refermant comme une huître, il baissa les yeux sur le collier au cou de son amant. Il avait déjà tant de mal à exprimer ses sentiments, que se faire rabrouer dès qu'il lui annonçait pouvoir le couvrir, quel qu'en soit le motif, le renvoyait dans son isolation. Là, à l'abri de sa carapace, d'un masque de grandeur intouchable, il retrouvait tristesse et solitude. Mais qu'importait, quand les apparences étaient sauvées ? « Très bien. » Parvint-il à articuler. Il s'étonna même que sa voix puisse être aussi lisse. Mais qu'aurait-il pu lui dire de plus ? Il l'avait entendu et si c'était tout ce qui comptait, pour Ivanyr, alors cela lui convenait également. Il était bien rare, dans son métier, qu'on puisse s'offrir le luxe de plusieurs versions. Alors il avait appris à nettoyer la version unilatérale d'une partie pour en ôter sa subjectivité. Les exagérations étaient des marques faussées de la réalité et ce qu'il savait d'Ivanyr lui avait suffi à reconstituer le reste, plus ou moins nettement. Aussi n'avait-il pas senti que sa Lame Blanche chercha simplement à lui confier sa version, par honnêteté. Dans son état, le vampire réclamait, depuis tout à l'heure, affection, proximité et confiance. C'était à s'y perdre pour répondre à ses attentes et l'elfe s'y était perdu, blessé dans l'affection qu'il lui portait. L'incident était clos néanmoins, il n'avait pas envie d'y revenir. S'il pouvait comprendre qu'Ivanyr n'ait pas envie de tendre sa seconde joue à Seö après la première gifle, le bourgmestre était en pareille posture avec son amant. A l'exception près qu'il n'avait pas envie de l'abandonner.

    Au contact de sa main sur sa joue, il relevait ses prunelles verdoyantes sur lui, le couvant d'une attention démesurée. Les iris brillaient, expectatives et patientes, d'une inquiétude qu'il étouffait du mieux qu'il le pouvait, mais dont il savait que ce serait parfaitement vain. Une fois encore, Ivanyr lui réclamait d'être rassuré et même si Aldaron s'y était brûlé les doigts, il y revenait. Pour lui, il pouvait bien endurer. « Seö ne te hait pas. » confirma-t-il fermement. Toutefois, il ne fermait pas les yeux sur ce qui pouvait être vrai, aussi reprit-il avec douceur : « Il y a quelque chose... Oui, sûrement, de la rancune, des sentiments déstabilisants... De la déception. Mais tu sais déjà... Tu sens déjà comme ceux qui posent le regard sur toi attendent Achroma. La contrariété les rend irritables, mais... De la haine, non, je ne pense pas. Pas à ce point-là. » C'était un extrême. Les gens étaient plus vifs, plus mordants, lorsqu'ils se sentaient acculés. Ils pouvaient être cruels, par réflexe défensif. La déception était une agression comme une autre, et la désillusion, une chute bien connue. Mais de la haine, non, l'elfe ne voyait vraiment pas. Et ça n'était pas faute d'avoir été enfermé à Morneflamme, la prison des monstres. « La Caste n'est pas responsable. Ou si elle l'est, elle n'est pas l'unique responsable. En vérité, c'est l'idée que chacun se fait de la mémoire des défunts qui est à l'origine de cela. On oublie, on pardonne les fautes, dans un éloge funèbre. Les gens savent ce qu'Achroma a fait de mal. Au moins pour ce qui c'est produit à l'ère de la Théocratie. Mais ils se souviennent d'avantage de ce qu'il a fait pour sauver ces milliers de vies. On ne peut qu'être déçu et troublé, devant la version imparfaite de notre idéal. J'ai, moi-même, été perdu, à nos débuts. Tu te souviens ? » Lui, il se souvenait de leurs accros, leur mots qui se cherchent, se heurtent, s'embrassent et se frappent. Il se souvenait de la houle de l'océan, le vent de la tempête. Il se souvenait de l'emprise du feu et le sable qui fuyait entre ses doigts. Il se souvenait de ces émotions, impalpables, magiques et apaisantes.

    « Les morts... Ne sont pas sensés revenir pour faire face à la désillusion qu'ils créent, par ce qu'ils sont, humainement, malgré eux. Malgré qu'il n'aient rien fait pour le mériter. » Il leva une main pour venir caresser doucement sa joue, un geste tendre et plein de tristesse. Il inspira longuement avant de laisser retomber un soupir : « La voie n'est pas bouchée pour autant. Ce sera plus difficile... Mais aussi plus sain. » Il sentait l'épuisement gagner Ivanyr. Il vint embrasser ses lèvres, un maigre effleurement en partage de son affection, et ajouta : « Et je suis là. Je suis avec toi. » Un souffle, glissé dans le creux de son oreille, venait lui promettre que ce serait pour l'éternité. Il l'enserra contre lui, tant pour lui offrir la sensation de sa présence que pour ressentir la sienne. Elle venait l'emplir d'apaisement, enfin. Il fermait doucement les yeux, cherchant lui aussi, des bribes de repos pour affronter tout ce qui se tramait à Cordont. Il serait probablement encore sur le pied de guerre cette nuit. L'arrivée des premiers renforts caladonniens allait nécessiter son implication certaine. Il savourait, par conséquent, ces secondes, ces minutes passées à ses côtés, comme une éternité merveilleuse. Il tâchait d'étouffer sa peur, son inquiétude, se répétant par mille fois que Purnendu allait soigner Ivanyr. Le répit ne fut que d'une courte durée, malheureusement. La voix glaciale lui fit ouvrir les paupières. Il ne bougeait pas : Morneflamme lui avait appris que faire le mort aidait à s'éviter les dangers. L'ancien Prince Noir éveillait en lui de la méfiance mais lorsqu'il en identifia l'origine, il se mit d'accord avec lui-même : sa vie n'était pas mise en danger. Lentement, il se redressa en position assise, les yeux posés sur Ivanyr, veillant à le pas le sortir de sa transe et lorsqu'il fut assuré de ne pas l'avoir perturbé, il chercha la silhouette sombre du mage. Croisant ses yeux d'argent, aussi acérés que des lames, il mit un instant avant de parler. Il mirait ce profil sortit tout droit du passé. Ce qu'il avait dit à Ivanyr au sujet des morts n'était pas sans fondements dans son propre raisonnement. Saeros était mort. La rancune s'était effacée avec lui. Il n'éprouvait plus de haine, plus de désir de le détruire. Qu'aurait-il pu lui faire ?

    « A quoi dois-je prendre garde ? » demanda-t-il, sans parvenir à discerner l'objet de cette mise en garde tant ils pouvaient être multiples. Mais si elle concernait Ivanyr, alors son choix était déjà tout tracé : « Et pourquoi ? » Pourquoi se mettre en garde contre Ivanyr ? Son cœur manquait indiscutablement d'arguments.

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Un léger sourire cruel sembla étirer le visage spectral du haut mage vampirique qui observait le petit elfe qui ne savait pas quoi faire de son avertissement. La première question fut étouffée d'une mire méprisante, la seconde sembla plus appréciée… elle était plus juste, en même temps que plus intelligente, et elle reflétait les prémices de son cheminement de pensée. Oui, c'était bien d'Achroma, dont il s'agissait. D'abord sans un mot, Saeros prit davantage corps et essence, dans la chiche lumière des lieux, pour lui faire face. Bras derrière le dos, semblait-il, sans que son statut d'apparition puisse réellement l'indiquer. Il sembla prendre plaisir à attendre quelques instants avant d'offrir la moindre réponse, peut-être parce qu'il n'avait jamais réellement eut l'intention de le faire. Et comme il n'avait pas non plus l'intention d'être totalement clair même en l'instant, il se contentant de souffler d'une voix amusée et tranquille :

« Pas pourquoi, Triade. Mais quand ? »

L'instant d'après, il n'était plus là, disparut dans les méandres d'un esprit brisé. Ivanyr frémit contre son compagnon, et ouvrit vaguement les yeux, avec l'impression d'un poids encore immense. Ses prunelles crevaient l'obscurité mais il ne parvenait pas à savoir si une minute s'était écoulée ou s'il s'agissait d'heures entières, pour le moment. Bougeant légèrement, il prit conscience que le corps chaud près du sien n'était pas allongé, et avec paresse, il vint l'enlacer et le tira tranquillement à lui pour que l'elfe s'installe de nouveau dans ses bras. Sa fatigue avait eut raison de lui sur l'heure, mais pour l'instant il n'était plus aussi troublé, et il espérait que la crise était passée et qu'elle ne reviendrait plus, qu'une fois la fatigue échappée à ses membres, plus rien n'y paraîtrait, au moins jusqu'à la suivante.

Nichant son nez dans le creux de sa nuque, dans ses longs cheveux soyeux, le vampire finit par retomber dans sa transe, oublieux du monde extérieur comme intérieur, oublieux de tout ce qui constituait ses peurs, jusqu'à ce qu'elles décident de le rattraper. Il entendait son coeur qui battait, comme une berceuse, un rythme sur lequel il se calait pour sa méditation jusqu'à ce que tout le reste ne soit qu'obscurité et néant. Il voulait croire Aldaron, de toute son âme, il voulait le croire, et aller mieux…

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