- Le pan de tissu qui fermait la tente fut rabattu sèchement par Aldaron, lorsqu'il retourna à l'intérieur de l'abri. Il retenait une boule dans le fond de sa gorge, celle d'un sanglot plein de peine. Qu'avait donc Seö pour être à ce point buté ? Qu'allait-il arriver à Ivanyr, à présent ? Il avait si peur de le perdre, si peur que la folie l'emporte loin de lui comme elle avait, jadis, détruit Achroma à petit feu. La tête basse, il avait dégluti comme il pouvait avant de relever un visage fermé mais dont les yeux avaient légèrement rougi au sel de ses larmes qui enveloppaient, d'une fine pellicule, ses yeux. Sa voix, d'une maîtrise parfaite, n'avait guère tremblé lorsqu'il avait demandé à la sœur d'Ivanyr de quérir Purnendu et lorsqu'elle quitta la tente, ses épaules tombèrent, comme s'il avait cherché à tenir sa droiture... Mais qui croyait-il tromper ici ? La vampire était bien plus futée que cela. Dans le silence revenu, les prunelles éplorées coulèrent sur le corps évanoui de son aimé. Il avait tellement envie de le prendre dans ses bras, pendant plusieurs heures, plusieurs jours, et ne plus bouger de là avant que l'un et l'autre ne soient réconfortés de la mésaventure. Il posa les armes, retira son armure, défit ses bottes et vint saisir une fourrure blanche piquetée de gris pour le couvrir jusqu'aux pieds. Il approchait à pas feutrés du lit, comme s'il ne souhaitait pas l'extirper de son repos réparateur. Il en avait bien besoin... Et pourtant, lui aussi avait besoin de lui. Il pouvait peut-être se faire une petite place près de lui ?
L'inquiétude croissait en lui, sans qu'il ne puisse l'arrêter. Ivanyr avait eu l'air tellement désorienté, tellement accablé. Il s'était vu mourir, n'était-ce pas ses mots ? Il n'avait pas vu mourir Achroma... Il s'était vu mourir lui, lui qui ne s'était jamais senti connecté à l'Aîné. Les doigts fins de l'elfe dénouèrent délicatement les bottes de sa Lame pour les lui ôter. Le geste était prudent et plein de douceur. Il caressait sa peau froide mise à nue, de la cheville jusqu'à l’extrémité des orteils. Ainsi parviendrait-il à lui offrir de bonnes sensations au milieu de la tourmente. Il jaugea de la place qu'il lui restait dans le lit pour le rejoindre, mais force était de constater que la carrure glacernoise du vampire remplissait à lui seul le couchage. Il se fit une place assise, sur le bord, et défit les accroches du haut de sa tunique comme pour lui laisser une plus ample aisance à respirer... Avant de se souvenir que ce serait parfaitement inutile. Il était vraiment égaré et se se frotta l'arrête du nez, interloqué par son propre égarement. Lentement, il vint s’allonger contre lui, au trois quart sur lui, à défaut de plus de place, la tête contre son torse. Il caressait distraitement son ventre, les yeux mi-clos, ressassant les derniers joues comme on contemple une plaie béante. La catastrophe de Cordont avait brisé son cœur de nombreuses pertes. Le sang avait coulé à flot, injustement et il y avait perdu des alliés et des amis. S'en étaient suivi les propos malheureux de Luna et la décision prompte et difficile qu'il avait du prendre en annexant la ville. Puis ses innombrables voyages magiques dans les terres de l'Alliance pour avertir qui de droits. La tension accumulée de ces derniers jours, la première rencontre avec Nolan et celle à venir, plus importante, des négociations. Et maintenant cet incident... Avait-il uriné sur l'autel des huit dernièrement ?
Il sentit les bras d'Ivanyr se refermer sur lui. Il était donc réveillé ? Il releva le nez vers son visage, le regard interrogateur porté sur son aimé avec douceur et inquiétude. « Meleth nîn...* » souffla-t-il en accueil à son éveil, avant de se rendre compte que le son de sa voix était plus brisé qu'il ne l'aurait voulu. N'y tenant plus cette fois, il s'agrippa à lui pour se traîner et se hisser lentement jusqu'à ses lèvres, sortant jusqu'aux épaules, du confort chaleureux de la fourrure. Il s'accouda sur l'oreiller pour rester visage au dessus du sien, mirant ses traits attentivement. « Ta sœur est allée chercher Purnendu... » Il écarta, de sa main qui ne lui servait pas d'appui, une mèche platine du visage pâle de l'Aîné. « Qu'est ce que je peux faire pour t'aider ? »
*Mon amour