Savane de Stymphale – Immensité broussailleuse,
Il y a fort, fort longtemps.
Il y a fort, fort longtemps.
La traversée de Néthéril ne s'effectuait pas aussi aisément qu'il l'aurait espéré. Malgré tous ses préparatifs, la chaleur l'accablait davantage encore qu'en Upajaoo. L'île désertique possédait une météo sèche, aride et constante dans les dangers dont elle accablait ses invités. Mais ici, l'air était parfois horriblement lourd et moite, les orages couvaient sans jamais exploser, créant des tensions dans l'air et mettant les nerfs à rude épreuve. Les herbes tranchaient parfois comme des lames ou piquaient comme des épingles. Il y avait énormément de parasites qui s'enfouissaient dans la fourrure et si le sable ne venait plus irriter ses jointures, alors la sueur grattait sous l'épaisse toison cendrée pour créer des coupures gonflées et fiévreuses. L'herbe sèche de la savane n'offrait que peu de confort et les arbres tordus, bas sur leur tronc et se déployant comme des champignons dans leur frondaison, apportaient peu d'ombre. Le pire était la rareté de l'eau et s'il avait déjà croisé nombre de lits de rivières ou de fleuves, jusqu'alors jamais l'eau ne lui avait fais grâce de sa présence ! Les creux de sources étaient asséchés, craquelés comme du vieux cuir. Pourtant, il voyait des arbres encore vigoureux qui le narguaient de leurs feuilles vibrantes de vie et d'énergie, mais leurs racines s'enfonçaient si loin dans la terre que même ses griffes ne pouvaient pas creuser jusqu'à l'eau tant désirée.
Pourtant, le voyage avait bien commencé depuis ce petit village côtier en croissant de lune, ouvert sur l'océan avec ses interminables pontons aux piliers parsemés de coquillages et de cordages rongés par le sel. Il y avait accosté quelques jours auparavant et y avait séjourné deux nuits afin de préparer le long voyage qui l'attendait jusqu'à la Légion où il comptait présenter ses respects et obtenir le droit de résidence pour les prochains mois. Purnendu avait veillé à faire le plein de vivres, il avait même acheté un buffle aux longues cornes torsadées pour les transporter. Il avait pu garder la tente spacieuse achetée en Upajaoo, spécialement conçue pour rendre les chaleurs supportables et les nuits glacées vivables. Il avait aussi acheté de quoi chasser dans la savane, mais surtout de quoi se défendre avec des javelots et quelques systèmes d'alarmes rudimentaires. Concernant une défense plus physique, le jeune graärh avait encore suffisamment confiance en ses capacités martiales pour se protéger de quelques bêtes sauvages. Enfin, le feu saurait les tenir éloigné lorsque la nuit tomberait, tandis qu'une attention accrue lors des journées suffirait à lui épargner des rencontres malheureuses.
Toutefois, aucune de ces préparations n'avaient pu le protéger de la chaleur. Purnendu avançait donc avec beaucoup de difficultés, une main crispée sur l'encolure du buffle et l'autre serrée sur un bâton de marche qu'il battait dans les hautes herbes devant eux afin d'inciter serpents et autres bestioles venimeuses à décamper avant qu'ils n'y posent pattes et sabots. Vêtu d'une tenue ample d'un bleu foncé agrémentée de motifs noirs, elle couvrait la majorité de son corps et si sa fibre était légère pour que le vent y passe, elle restait suffisamment absorbante pour retenir la sueur et continuer d'hydrater, puis de tempérer son corps fourbu. Gueule grande ouverte, le graärh déroulait une langue râpeuse et ruisselante de salive, l’œil trouble d'une légère insolation malgré le chèche sombre qui ornait sa tête et ses épaules voûtées. Habituellement, il veillait toujours à marcher dès l'aube afin de profiter des températures encore douces, puis s'arrêtait aux heures les plus chaudes avant de reprendre au crépuscule avant de s'arrêter à nouveau pour la nuit. Malheureusement, ses réserves d'eau potable diminuaient drastiquement et il ne pouvait plus se permettre un rythme aussi indolent.
Alors qu'il était sur le point d'arrêter pour aujourd'hui et monter la tente afin de se reposer quelques heures, son buffle redressa brusquement la tête et poussa un mugissement excité. Le pauvre animal n'avait pas eut sa ration d'eau depuis des jours et ne vivait que sur la réserve de cette bosse incongrue entre ses omoplates. Une poche de graisse qui avait drastiquement descendue et tombait à présent d'un côté et de l'autre de ses épaules à chacun de ses pas. Les naseaux desséchés s'écartèrent, humant quelque chose d'encore invisible pour le jeune graärh qui, pour autant, ne chercha pas à contraindre l'animal à rester sur la route qu'il avait tracé. Lui lâchant l'encolure, il le laissa bifurquer dans les hautes herbes et se contenta de le suivre avec un brin d'incrédulité. Aurait-il senti une source d'eau ? Peut-être un danger encore inconnu ? L'inquiétude et l'espoir se disputaient dans le cœur de Purnendu et seul le reflet soudain du soleil à la surface lisse d'un grand lac parvint à le décider sur son émoi : du soulagement. Un sentiment si intense que le fauve manqua de s'écrouler ! Un large sourire étira ses babines alors qu'il dépassait l'animal pour approcher de la rive boueuse... non, il s'agissait d'un limon riche et arable. Quelle chance ! Son cœur se gonfla et il poussa un rugissement d'extase alors qu'il plantait son bâton dans le sol et commençait à défaire ses nombreux voiles.
Le lac en question formait une longue goutte étirée sur sa pointe et qui disparaissait dans un affleurement rocheux. Probablement issue d'une source souterraine, elle s'accumulait dans l'embouchure d'un ravin qui projetait une ombre constante et évitait ainsi son évaporation aux heures les plus longues et chaudes de la savane. De nombreux arbres résineux, noueux et épineux s'étaient implantés là au fil du temps, créant des ombres supplémentaires et avaient fini par créer un havre pour de petits reptiles et rongeurs. Toutefois, à voir la taille des sentiers découpés dans les hautes herbes, il y avait aussi fort à parier que du gibier plus important venait régulièrement s'abriter ici. Purnendu arrêta son geste alors qu'il était en train de dénouer le foulard à ses hanches et jeta un coup d’œil acéré vers le buffle. Qui disait gibier, disait prédateur ! Heureusement, ce dernier buvait à grandes lampées et ne semblait pas s'inquiéter de son entourage. Culpabilisant toutefois à le laisser aussi chargé, le graärh prit sur lui pour attendre de se baigner et vint défaire les lourds paquetages qui pesaient sur son compagnon de route. Une fois la corvée expédiée, il termina de se déshabiller et s'étira souplement.
Mesurant près de deux mètres dix, sa longue silhouette était celle d'un fauve racé à la musculature puissante, mais déliée par la nature même des exercices employés à l'exercer. Ses épaules et sa nuque étaient épaisses, voire massives et elles lui permettaient encore de courir sur ses quatre pattes, offrant à sa carrure un aspect encore sauvage et primitif en comparaison de bien d'autres graärh plus humanoïdes. Ses jambes ressemblaient davantage à des membres félins dans le sens où elles se courbaient et s'achevaient par des pattes où un ergot meurtrier ornait chaque talon. A présent que le chèche glissait entre ses griffes pour s'amasser au milieu du tas de vêtements, l'on pouvait voir quatre cornes qui partaient sur l'arrière de son crâne, accompagnées part deux paires d'oreilles effilées et mobiles. Son long museau ne semblait pas taillé pour maintenir les proies et les étouffer, mais plutôt pour les lacérer grâce aux impressionnantes canines qui dépassaient de ses babines telles deux sabres d’ivoire. Cependant, le plus incongru dans cet étranger devait probablement être sa fourrure ; elle était d'un beige onctueux sur le ventre, la gorge et la majorité de la crête qui partait de sa nuque, ainsi qu'à l'extrémité de son interminable queue lascive. Pour le reste, elle était d'une couleur de cendre profonde, de ce gris intense qui miroitait sous le soleil en de vagues reflets bleutés. Plus rare encore était la longueur et l'épaisseur de ce poil : l'on pouvait le mesurer en centimètre tant l'angora soyeux ondoyait sous la brise sèche de la savane. Bien sûr, la majorité de cette fourrure était lustrée de transpiration, presque moutonneuse sur le ventre plat et entre les cuisses nerveuses. La sueur venait à faire friser les poils, assombrissant les teintes harmonieuse.
« - Ma vie pour cette eau... Hnnnrrr... »
N'y tenant plus, Purnendu approcha du rivage et commença à s'enfoncer lentement dans le petit lac. Aussitôt les hanches immergées, un feulement d'extase et de bien être lui échappa avant qu'il ne plonge dans une grande gerbe d'eau. Il resta là dessous plusieurs secondes avant de ne sortir que le sommet de sa tête à la façon d'un crocodile paresseux. Les yeux mi-clos et les oreilles plaquées en arrière pour empêcher l'eau de les remplir désagréablement, il fit quelques bulles en soufflant par la truffe, puis se redressa avec un autre feulement d'aise. Son épaisse fourrure avait diminuée de moitié et collait à son corps puissant avant qu'il ne se laisse tomber en arrière dans une autre éclaboussure. Alors qu'il faisait la planche, bras et pattes écartées pour maintenir son équilibre, il porta son regard au vert d’absinthe sur le ciel bleu et eut l'ombre d'un sourire nostalgique. Ici aussi la voûte semblait blanchir sous l'intensité des rayons, mais si elle était causée par la chaleur, il s'agissait de la neige en Paadshail. Sa patrie lui manquait, mais pour rien au monde il n'y retournerait pour le moment. Beaucoup de connaissances se cachaient dans l'Archipel et il était loin de les avoir toutes découvertes. Oreilles dans l'eau, il n'entendit bientôt que le bourdonnement de son propre cœur et de sa respiration et ce ressac singulier commença à le bercer. Petit à petit, il détendit ses muscles pour se laisser porter sur l'eau, paupières de plus en plus lourdes par la fatigue qui lui tombait dessus. Bientôt, le jeune graärh se mit à somnoler, inconscient de son entourage et du fait que le léger courant dans le lac l'entraînait au milieu de ce dernier, bien loin de la rive et de la zone où il avait encore pattes.
Le soleil battait sa truffe et son torse, seules parties de son corps encore hors de l'eau. Sa fourrure angora ondoyait autour de lui en des remous mirifiques, floutant sa silhouette immergée. De ses paupières closes, il distinguait lorsque de rares nuages passaient devant l'astre diurne, ombrant le ravin et son oasis pendant quelques secondes. Pourtant, cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'un nuage bloquait le soleil et si Purnendu ne s'en était pas inquiété dans l'immédiat, le manque de luminosité finit par l'inquiéter. Si un orage se préparait, il devait rapidement sortir de l'eau pour monter sa tente où il risquait de perdre nombre de ses vivres dans l'incident. Ouvrant la gueule pour bailler, il révéla une seconde paire de canines en plus de celles qui dépassaient de ses babines sur la mâchoire supérieure. Roulant sa langue dans le fond de sa gorge, il referma le museau dans un petit claquement sec et finit par ouvrir paresseusement les yeux. Il papillonna d'abord des cils, essayant de chasser les larmes que la fatigue lui faisaient naître, puis loucha sur l'imposante silhouette qui le surplombait. Tout d'abord, il ne parvint pas à la reconnaître ou plutôt ; son esprit refusa de la reconnaître tant elle semblait absurde. Il était dans l'eau, de fait comment pourrait-on se tenir au dessus de lui ? L'information mit plusieurs secondes être décryptée et quand il assimila enfin qu'un Graärh se tenait bel et bien au dessus de lui, il poussa un feulement abasourdit et tenta de reculer hors de portée. Toutefois, un tel exercice requérait qu'il se mette d'abord en position debout et qu'il batte ensuite retraite sur la rive où se trouvaient ses armes et ses vêtements. Malheureusement pour Purnendu, il ne trouva jamais le confort du sol vaseux sous ses coussinets : ses pattes ne battirent que l'immensité d'une eau profonde et la panique le submergea aisément quand il comprit qu'il n'avait plus pieds.
Son expression de surprise se mua en panique et il se mit à couler dans de grandes éclaboussures désorganisée, puis dans un geyser de bulles et de remous quand sa tête sombra sous la surface paisible. Les yeux plissés, il tendait les mains vers la surface qui s'éloignait de plus en plus, gueule entrouverte alors que l'eau s'infiltrait aisément dans ses poumons et qu'il commençait à sentir sa conscience se dissoudre dans les affres de l'absolue noirceur.
Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Lun 23 Juil 2018 - 13:01, édité 2 fois