¤ Sous l’océan ¤

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis la violente bataille qui avait eu lieu en mer, non loin des crocs-du-givre. La victoire n’avait pas été facile à obtenir, en raison de l’incompétence de certains et d’évènement imprévu, mais au final, les pirates d’Athgalan avaient obtenu la victoire, une victoire qui irait au crédit du capitaine des gredins. Mais cette victoire n’était pour le moment qu’une demi-victoire. Athgalan n’avait pas mis en place cette opération tout simplement pour couler des navires impériaux. Non si la perfide avait mis en place cette dernière c’est pour s’emparer des diamants que le convoi transportait, diamant que les séléniens avaient récupéré sur le cadavre d’un golem du même minerai. Or les diamants en question étaient au fond de l’eau. Les informations que l’elfe avait eues étaient bonnes et il s’en félicitait. Son indicateur n’avait pas cherché à le tromper, même s’il doutait sérieusement que celui-ci eût envisagé de le faire. Cependant, dans ce genre de métier, mieux vaut rester prudent. L’homme en question avait toutefois plus d’une fois prouvé sa bonne foi, Nathaniel ne se serait pas fié à de telles informations et n’aurait pas encouragé Athgalan à mettre en place cette opération s’il ne c’était pas assurer un minimum de la fiabilité de l’indicateur. À présent si la bataille était terminée et que la partie la plus compliquée de l’opération avait été accomplie, l’elfe à la chevelure d’écume devait s’assurer de la réussite complète du plan. Ou au moins le plus possible.

Après avoir discuté quelque peu avec le capitaine Soreïn et le capitaine Oswald, leur beuglant dessus et les rassurant après, le gredin leur avait donné congé. Il finirait l’opération lui-même, non seulement parce qu’il en était le seul capable, mais aussi parce qu’il n’avait confiance qu’en lui-même pour y mettre fin après les dernières péripéties. Nathaniel aurait pu prendre le large, il avait en sa possession des informations capitales qui, bien négocier, assureraient à l’elfe une rentrée d’argent conséquente et bien supérieure à la richesse qu’il pourrait trouver sous l’eau. Mais voilà, Nathaniel ne pouvait pas faire ça, il ne pouvait pas partir sans avoir ramené au moins un diamant. Il mettait sa réputation en jeu avec cette opération et il ne laisserait rien venir l’entacher, en ce jour, il pouvait perdre aussi gros qu’il pouvait gagner. Il n’y avait donc pas à hésiter, il devait maximiser son profit. S’il parvenait à ramener des diamants, en plus de l’information et la richesse qu’il récolterait en la vendant, son influence grandirait au sein de la confrérie. Lui qui avait pour ambition de devenir roi de cette dernière ne pouvait reculer, ne pouvait échouer. Ce jour était un premier pas décisif.

Après le départ des capitaines Soreïn et Oswald, il ordonna que l’on se prépare à jeter l’ancre, mais également, qu’on lui prépare de la corde et un filet, le plus grand possible. Il ordonna également que l’on jette par-dessus bord tout le superflu. Le Maelstrom avait subi beaucoup de dégâts, il fallait remonter sa ligne de flottaison afin d’éviter de prendre l’eau et de couler, cela faciliterait aussi les réparations qui avaient déjà commencé. Toutefois, il lui faudrait aller dans un port pour effectuer toutes les réparations. Une fois les préparatifs terminés, l’elfe se mit torse nu, ne gardant que son bas, ses bottes en peau de requin, et une pierre qu’il avait récupérée beaucoup plus tôt dans sa cabine. Pendant le temps des préparatifs, il en avait profité pour se reposer et exiger qu’on l’aide à refaire le plein d’énergie, il allait en avoir besoin. Eärendil avait l’intention de plonger, profondément, sous cette eau glaciale. Il ne craignait cependant pas grand-chose, son esprit-lié de l’orque lui permettrait de respirer sous l’eau, mais aussi de se repérer grâce à l’écholocation. Et la pierre lui permettrait de ne pas mourir de froid. Néanmoins, le pirate ne disposerait que d’une heure, une heure pour descendre, trouver le maximum de coffre, et remonter à la surface. Amoureux de la mer, ce n’était pas la première fois que l’elfe plongeait, il était habitué à ce genre de pratique. Il n’espérait qu’une seule chose, ne pas tomber sur un monstre marin. Si les iles étaient dangereuses dans cet archipel, sa mer devait l’être aussi.

Fin prêt, l’elfe se saisit des cordages et filets avant de monter sur l’ancre et s’y accrocha. L’elfe c’était également attaché une corde autour du torse.

« Quand vous verrez des remous au-dessus de l’eau, vous tirerez sur la corde. Cela m’aidera à remonter. Est-ce bien clair ? La tentative de nos ennemis a été vaine, je m’en vais chercher la richesse pour laquelle nous nous sommes battus aujourd’hui ! »

Un cri de joie résonna et l’elfe l’ancre fut libérée. L’elfe sombre s’enfonça profondément sous les flots, vidant ses poumons. Il lui fallut dix bonnes et longues minutes avant de finalement toucher le fond. L’obscurité était totale, l’elfe n’y voyait rien. Durant toute la descente, il avait usé de l’écholocation de son esprit-lié pour vérifier que l’immensité autour de lui était sans danger. Le gredin ne craignait pas grand-chose, il était dans son élément, il pourrait facilement triompher. Cependant, cela lui couterait du temps et de l’énergie, deux choses qu’il ne pouvait se permettre de gaspiller. Au fond de l’eau, l’elfe commença à sonder les fonds. Il ressentit l’épave sélénienne, des rochers, d’autres épaves également, surement issues de précédentes attaques. Il y avait de la vie, des formes, mais pour le moment rien ne fonçait vers lui pour l’attaquer.

Nathaniel garda son calme et poursuivit ses recherches. Il finit par remarquer une chose ressemblant à un coffre, il s’en approcha pour en avoir le cœur. Oui, c’en était bien un, et il pouvait sentir une multitude de petites pierres à l’intérieur. Et d’un ! L’elfe continua et finit par en trouver deux autres assez proches. Le gredin crut en distinguer d’autres aussi, mais beaucoup plus loin. Il ne pouvait pas y aller tout de suite sous peine de ne pas pouvoir remonter à cause de la fin de l’effet de sa pierre. Il pesta intérieurement. Les courants marins avaient dû les éloigner. L’elfe sombre pouvait cependant s’estimer heureux, l’utilisation de son esprit-lié durant la bataille avait pu éviter que le tout soit dispersé aux quatre vents à présent. Toutefois, l’elfe pouvait sentir que de nombreuses richesses étaient éparpillées dans le fond marin. Certains coffres c’étaient surement briser, probablement en se choquant entre eux, contre des rochers ou contre l’épave. Il ne pourrait pas récupérer la totalité du magot. Tant pis ! S’il pouvait en récupérer au moins la moitié, il serait content, l’information concernant les chimères comblerait largement le manque à gagner. Le plus important, c’est qu’il rentre avec quelque chose. Non loin de l’ancre, l’elfe vint étendre le filet au sol venant rattacher la corde qui liait les quatre extrémités  à l’ancre. L’elfe allait créer un courant marin afin d’essayer de rassembler les coffres éparpillés. Une sorte de mini tourbillon. Cela éviterait qu’ils ne s’éparpillent davantage. Et avec un peu de change, au moment de remonter le filet, certains seraient dedans et l’équipage pourrait le remonter comme on remonte du poisson.

Pour autant, l’elfe ne remonterait pas les mains vides. Il allait rassurer son équipage en remontant les trois coffres les plus proches. Cela évitera les dissensions, mais surtout les morts inutiles qu’il faudra pour les éteindre. Le gredin attacha solidement les trois coffres à une corde et l’attacha ensuite à lui. Tranquillement, Eärendil usa de ses pouvoirs pour créer des remous à la surface de l’eau. Le signal donné, il ne fallut pas longtemps pour qu’il sente que l’équipage commençait à le remonter. Ceci fait, l’elfe usa des capacités de ses bottes en peau de requin pour accélérer la remonter avant de faire une pause pour regarder vers le bas et mettre en place le courant marin. Il n’aurait pas besoin de le maintenir trop longtemps. Ceci-fait, il reprit son ascension.

Le pirate n’avait plus beaucoup de temps, l’effet de la pierre arrivait à sa fin. Elle cessa de fonctionner moins d’une minute avant qu’il ne sorte. La terrible morsure de l’eau glaciale l’affecta et il sentit son corps s’engourdir rapidement. Nathaniel finit par sortir et fut remonté à bord. Grelotant. Il n’eut pas le moindre mot à dire qu’on lui apporta de quoi se sécher et qu’un membre de l’équipage usa d’un sort de chaleur pour le réchauffer.

« Le capitaine a réussi, regardez ce qu’il a ramené. »

« Et il en reste beaucoup d’autres en bas. Que l’on commence à remonter l’ancre immédiatement, j’ai créé un courant afin de rassembler ceux que j’ai pu voir. On devrait parvenir à en capturer quelques uns supplémentaires. Après quoi, nous mettrons les voiles sans attendre. »

Quelques pirates se jetèrent sur les coffres que le capitaine du Maelstrom avait pu remonter et observèrent le contenu les yeux pleins d’étoiles.

« Voilà qui devrait couvrir la solde des trois navires ainsi que la prime. Le reste ira à Athgalan. »

Sécher, l’elfe vint se rhabiller. L’ancre remontait lentement et avec le filet avec, Nathaniel espérait que la pêche soit bonne. Il avait d’ailleurs désactivé ses pouvoirs. Il s’en alla à la cale vérifier la progression des travaux et l’entendu des dégâts, quand sur le pont la vigie interpella l’équipage. On vint immédiatement prévenir Nathaniel. Un forban descendu dans la cale à toute vitesse.

« Capitaine ! Une ombre à l’Ouest ! C’est un dragon !! »

L’elfe à la chevelure d’écume ne cacha pas sa surprise. Surprise rapidement remplacée par un brin de méfiance.

« Qu’est ce qu’un dragon viendrait faire ici ? S’il vient en notre direction, que l’on se tienne sur nos gardes. Dis à l’équipage de préparer à se défendre. Cependant, ne montrez pas le moindre signe d’agressivité, on ne tirera que sur mon ordre. Je n’ai pas la moindre envie d’ouvrir des hostilités avec un dragon. Nous ne riposterons que s’il nous attaque. Qu’on apporte des provisions sur le pont, s’il s’arrête à notre niveau, on l’accueillera comme il se doit. Avec un peu de chance, tout se passera bien. »

Nathaniel remonta sur le pont du navire.

Nolan se tenait sur le pont de l’Espérance et observait les remous des vagues à la surface de l’océan. La colère grondait dans son cœur après la perfide embuscade que lui avaient tendu ces maudits pirates d’Athgalan, mais aussi l’inquiétude suite à l’apparition d’un étrange vaisseau, à l’apparence spectrale, battant pavillon Sélénien. Sans compter que peu de temps après une horrible créature, au faciès d’aigle, avait surgi à bord du navire et s’en était pris à l’adolescent et aux membres de l’équipage du capitaine Sorein. Après un combat acharné, ceux-ci étaient parvenus à arracher la victoire, in extremis, grâce à leurs efforts conjugués et à la magie du jeune empereur.

Ce dernier ferma les yeux, sentant le vent glacé lui fouetter le visage et il se concentra sur le lien qui l’unissait au dragon d’Améthyste. Soudain, son palpitant se mit à battre plus rapidement et ses paupières se soulevèrent. Cynoe approchait ! Bien que sa forme majestueuse aux écailles violines demeure encore invisible à son regard de topaze, la magie du lien lui permettait de ressentir son approche. Le saurien avait senti que son lié courrait un grave danger et revenait auprès de lui ! Quel dommage que son dragon n’ait pas été présent lors de cette bataille navale sans quoi les pirates n’auraient eu aucune chance de l’emporter, pesta intérieurement le souverain Sélénien. Le capitaine des gredins ne perdait rien pour attendre car remporter une bataille ne signifiait pas gagner la guerre, loin de là. Toutefois, pour l’heure, ce qui préoccupait le jeune Kohan n’était pas de se venger de ce fichu capitaine des gredins mais plutôt d’élucider le mystère du vaisseau fantôme sélénien. En tant que dirigeant de ce peuple, Nolan se sentait responsable et considérait qu’il était de son devoir de résoudre cette énigme afin de pouvoir ensuite régler cette sombre affaire.

Le gamin s’empressa de se rendre auprès du capitaine Sorein pour lui révéler l’arrivée imminente de son lié et lui demandé la permission de retourner sur les lieux de la bataille navale, contre sa parole d’honneur de revenir dès qu’il aurait obtenu les informations concernant l’identité de ce navire sépulcral. Le jeune homme comptait s’y tenir et respecter la parole donnée car il ne s’était pas constitué prisonnier, en échange du sauvetage de son équipage, pour fuir lâchement à la première occasion. Après que l’écailleux se soit posé sur le pont de la Demoiselle des horizons, Nolan grimpa sur son dos et lui indiqua le lieu où s’était déroulé le naufrage de la frégate.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis la catastrophe et le jeune empereur craignait qu’ils ne parviennent pas sur les lieux à temps car le capitaine des gredins avait pris le vaisseau fantôme d’assaut et il était fort probable que celui-ci ait déjà coulé. Par chance, Cynoe fendait les cieux avec rapidité et légèreté et Nolan profita du trajet pour lui transmettre toutes les informations dont celui-ci disposait par le biais de la télépathie. C’est ainsi que l’Améthyste appris l’embuscade tendue par les pirates à l’intérieur du piège de glace des crocs-de-givre ainsi que l’ignoble sabotage du gouvernail de la frégate. Les pirates avaient agi de la manière la plus perfide qui soit dans le seul but de s’assurer une victoire imméritée.

Nolan avait ensuite jeté à l’eau la cargaison de diamants afin d’empêcher le capitaine des gredins de s’en emparer et s’était téléporté, secrètement, à bord du vaisseau du capitaine Sorein pour conclure avec lui un marché visant à sauver les membres de son équipage en péril. Puis, un mystérieux navire à l’aura sinistre avait surgi de nulle part, suivi par l’apparition d’une horrible créature à bord de leur bateau. Le jeune empereur se disait qu’il ne pouvait pas s’agir d’une simple coïncidence et que les deux phénomènes étaient certainement liés.

En survolant l’endroit du naufrage, juché sur le dos de son dragon, le monarque Sélénien aperçut la forme massive du Maelstrom et sa présence inattendue éveilla sa suspicion. Qu’est-ce que le capitaine des gredins faisait encore là ? Depuis toutes ces heures, si ce dernier n’avait pas déjà largué les amarres, c'était sans doute pour une bonne raison et l'empereur comptait bien la découvrir.

- Cynoe, le monstre qui m’a tendu cette embuscade et a coulé ma frégate se trouve encore ici. Il a également attaqué le navire fantôme battant pavillon sélénien et je suis pratiquement certain qu’il l’a abordé et qu’il possède des informations à son sujet et sur ce qui se trouvait à son bord. Nous devons absolument découvrir de quoi il retourne ainsi que la raison pour laquelle il n’a pas encore largué les amarres après tout ce temps. Soyons sur nos gardes car c'est un fourbe qui cherchera à nous duper mais nous devons à tout prix obtenir ce que nous sommes venus cherchés car l’enjeu est trop important.

¤ Dialogue ¤

Dès que Nathaniel avait été informé de la proximité d’un dragon, il avait fait prendre des mesures. L’elfe n’avait pas envie de se brouiller avec un dragon, il lui appartenait donc de tout mettre en œuvre pour éviter cela. Bien sûr, il ferait tout ce qu’il pouvait « dans la mesure du possible ». Nathaniel restait qui il était, s’il n’avait pas ployé sous le Tyran Blanc, ce n’était pas pour ployer devant un autre dragon. Le capitaine ordonna à ses hommes de se tenir prêts à combattre. Il s’agissait bien sûr là d’une précaution si le dragon décidait d’attaquer. Eärendil ne voulait pas être celui ouvrant les hostilités avec le saurien. Même si cela ne le dérangeait pas d’être le premier à frapper avec toutes autres créatures. Ainsi le gredin ordonna que l’on monte des vivres sur le pont. Si jamais la créature ailée venait ici, il pourrait lui offrir un repas. Après avoir donné ses ordres, Nathaniel parti en direction du pont. Une fois à l’extérieur il put voir l’ombre approcher en leur direction. La bête venait bien sur eux. Se conterait-il se passer au-dessus d’eux ? Non, cela paraissait peu probable pour l’elfe. Il se tourna vers un de ses hommes et posa une main sur son épaule, se penchant à son oreille.

« Je te l’emprunte. Va te réfugier dans la cale. »

L’homme opina du chef puis emprunta les escaliers pour descendre. Si les choses tournaient mal, le totem de l’ornithorynque de ce marin ne serait pas de trop pour se défendre. Nathaniel glissa une main à son oreille, venant saisir le pendentif qui pendait à sa boucle d’oreille et vint bien le positionner et le plaquer sous son couvre-chef. L’elfe sentit sa magie s’affaiblir, tant pis, il n’en avait pas besoin, il n’avait jamais réellement compté sur cette forme d’énergie pour se défendre. Trois barils remplis de nourriture ne tardèrent pas à arriver sur le pont, en même temps que le dragon qui était désormais visible. Un violet, il en avait déjà entendu parler. Le capitaine retint un grognement. Les choses risquaient de mal se finir.

La bête plongea en leur direction et le pirate se prépara à sauter sur le côté si ce dernier libérait sur eux ses flammes destructrices. Fort heureusement il n’en fut rien, au dernier moment le dragon prit ce qu’il faut d’altitude pour passer au-dessus des mats, les faisant trembler sous le déplacement de l’air. Un rugissement féroce retentit et Nathaniel plaqua ses mains-là où devaient se trouver ses oreilles. Avait-il l’intention de les rendre sourds ? Le gredin se tourna pour observer à nouveau le violine qui commençait à décrire des cercles au-dessus de son bâtiment. Sans plus attendre, la voix spirituelle de la créature s’éleva dans la trame, venant raisonner dans l’esprit de l’équipage. Le regard de Nathaniel s’assombrit quelque peu tout en pensant.

*Ainsi les informations étaient vraies. Ce roitelet s’est lié avec un dragon. Voilà qui complique mon affaire. Mais s’il croit que cela le rend intouchable, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Arrogant et mauvais perdant.*

Le gredin se tourna vers un des chefs d’équipage tout en se dirigeant vers une poulie et un cordage au niveau du grand mât.

« Que les hommes se tiennent prêts. À l’instant où il nous attaque, vous ripostez. Continuez à remonter la prise. Je vais négocier. Le second commande le navire en attendant. »

L’elfe attrapa fermement un cordage contre le grand mât et donna un grand coup de pied dans un levier fixé à une poulie. Un poids se mit à tomber depuis les hauteurs, tirant la corde à laquelle était accrochée Nathaniel. L’elfe fut emporté vers les hauteurs jusqu’à arriver au sommet de la plus haute voile. Là il grimpa sur le nid-de-pie, où se trouvait déjà le guetteur, secoué par ce qui venait de se passer.

« Tu sais utiliser la magie ? »

« Moyennement mon capitaine. »

« Très bien, ça suffira. Pose ton doigt contre mon cou. »

L’homme s’exécuta et le capitaine des gredins se mit à parler, sa voix devenant bien plus forte sous l’effet du sortilège de « forte voix » lancé par guetteur. Ainsi, il espérait que le dragon l’entendrait. Depuis sa nouvelle position, l’elfe à la chevelure d’écume put remarquer un passager sur le dos de la bête ailée. Voilà donc où l’empereur avait fui. Se réfugiant dans les jupes de son dragon.

« Je vous salue maitre dragon et vous présente mes respects. Je vous demanderais de vous garder de me juger, moi et mes hommes. Ce qui s’est passé ici est uniquement de la faute de votre passager. Il a fait confiance aux mauvaises personnes. Il a été un mauvais commandant. Il a été un mauvais roi. Par deux fois j’ai proposé à l’empereur de se rendre. Le gâchis du sang versé, il aurait pu l’éviter. Plutôt que de sauver ses hommes, il a préféré fuir. À présent, il est un mauvais perdant. Plutôt que d’apprendre des erreurs de cette série de mauvais choix, il revient à la charge et met de nouvelles vies en danger. Celles de mon équipage et la vôtre. »

Les rôles étaient ici inversés. Les pirates n’étaient plus les agresseurs, le dragon et son dragonnier l’étaient. Et comme à son habitude, Nathaniel rejetait la faute de es actes sur les autres. Une logique tordue d’un esprit tordu.

« Si vous nous attaquez, nous serons dans l’obligation de nous défendre. Si vous préférez discuter, nous avons de quoi contenter votre faim et votre soif. La balle est dans votre camp. »

Eärendil n’avait pas l’intention de s’écraser devant qui que ce soit, même devant un dragon. Instinctivement, le capitaine avait posé sa main sur son poignard et avait observé les déplacements du dragon. Pourtant, son esprit était focalisé sur la personne sur son dos. Si le dragon avait une faiblesse, elle était bien là. Il lui suffisait de la bonne combinaison d’esprit lié pour frapper et le pirate l’avait déjà trouvé. A l’instant où une même où l’attaque se ferait, il userait du Bourdon. Si son adversaire pensait qu’il avait joué toutes ses cartes, il se trompait.

Le jeune empereur juché sur le dos du dragon violine mirait le Maelstrom, le cœur dévoré par la haine à l’idée que c’était à bord de ce vaisseau que se trouvait le « monstre » qui n’avait pas hésité à lui tendre une embuscade, à faire saboter son gouvernail par un traitre et à attaquer ses navires. Et toutes ces infâmes manigances n’avaient pour seul but que de dérober la précieuse cargaison, composée de coffres de diamants, que transportait la frégate impériale.

Si ce maudit pirate pensait s’en tirer à si bon compte, c’était sans compter le désir de vengeance qui à présent animait l’adolescent.
Tandis que l’Améthyste survolait le navire ennemi, recouvrant le pont de son ombre serpentine et faisant trembler d’effroi les pirates, Nolan remarqua que plusieurs membres de l’équipage disposaient des provisions sur le pont, probablement dans l’espoir d’apaiser l’ire du saurien et le jeune Kohan songea que cette tentative pour les amadouer était pour le moins pathétique. Devait-il en rire ou en pleurer ? Cependant, ce dernier n’était guère au bout de ses surprises car quelques instants après, le capitaine des gredins, en personne, se hissa au sommet du Nid-de-Pie et utilisa un sort de « forte voix » afin de manifester au dragon et à son dragonnier son désir de parlementer.

En entendant les paroles du chef forban, le jeune empereur demeura pantois et ses lèvres esquissèrent un sourire cynique. Il avait rarement ouï un tel ramassis d’idioties et à en croire la logique pour le moins douteuse de Nathaniel Earendil, désormais c’était le souverain Sélénien et son dragon les « méchants » tandis que lui se réservait le rôle du « gentil » capitaine pirate, outrageusement attaqué sur son vaisseau alors qu’il n’avait rien fait pour justifier un tel traitement ni encourir de telles représailles. A en croire son discours fallacieux, le seul en tort dans cette sordide affaire n’était autre que le monarque de Sélénia pour avoir refusé de se soumettre à ce fou qui menaçait son équipage et usait des pires perfidies, comme saboter son gouvernail, afin de s’assurer une « victoire » imméritée. Mais gagner une bataille ne signifiait pas remporter la guerre et ce lâche allait bientôt l’apprendre à ses dépens.

Le reste de ces propos visant à noircir et à discréditer l’empereur laissèrent ce dernier de marbre en l’accusant d’être un dirigeant incompétent et d’avoir causé la mort des occupants de la frégate en refusant de céder à la tyrannie de l’Elfe. Pourquoi ? Car Nolan connaissait la vérité, à savoir que son équipage avait survécu miraculeusement grâce à sa présence d’esprit et à une stratégie visant à déjouer les plans de Nathaniel. En effet, se voyant acculé et connaissant la perfidie de l’elfe, il avait préféré fuir à bord de l’Espérance et pactiser avec le capitaine Sorein afin que ce dernier se porte au secours de ses hommes, dans le plus grand secret. Mais cela, ce fieffé gredin n’était guère censé l’apprendre, au contraire, cela ne ferait que dévoiler la « couverture » du capitaine Sorein et compromettre leur début de collaboration. Au contraire, si l’un des deux était un piètre dirigeant, il s’agissait de Nathaniel, au point que l’un de ses hommes le trahisse à sa barbe et à son nez sans que celui-ci ne s’en aperçoive.

Ravalant sa fierté et faisant taire les voix intérieures qui lui intimaient de cracher à son ennemi la vérité à ce propos, Nolan serra les dents et utilisa la télépathie pour communiquer avec son lié :

- Méfions-nous de ce fourbe, je le connais il manigance certainement quelque chose. S’il veut négocier directement, cela signifie que lui et son équipage sont trop faibles pour remporter un combat contre nous mené de front. Quant à sa prétendue défense, je pense qu’il bluffe car sinon il aurait ouvert directement les hostilités si son navire faisait le poids.

En effet, comment un équipage de bipèdes pouvait-il rivaliser avec un dragon adulte de presque une dizaine de mètres et possédant la capacité de voler ainsi que de lancer des flammes destructrices ?

- Toutefois, nous devons rester très prudents car Nathaniel sait user de la perfidie comme d’une arme car c’est un lâche et un tricheur. Dès lors, présumer de nos forces pourrait nous conduire à commettre une erreur fatale et je ne souhaite prendre aucun risque.

En dépit de l’énorme puissance de l’écailleux, le jeune empereur avait conscience de représenter le point faible, le talon d’Achille en quelque sorte de son lié et qu’il suffisait de le blesser ou de le capturer pour affaiblir Cynoe. Aussi ce dernier devrait-il veiller à se protéger et à demeurer hors d’atteinte du gredin et de ses hommes qui, peut-être, disposaient de sortilèges ou de projectiles susceptibles de le toucher si son dragon s’approchait de trop près du Maelstrom.

Face à une telle situation, mieux valait combattre le feu par le feu et utiliser une stratégie intelligente et rusée afin de terrasser son ennemi. Puisque ce pirate ne possédait aucun scrupule pourquoi lui devrait-il en avoir ?

- J’ai un plan. Il s’attend certainement à ce que nous nous laissions amadouer par ses paroles trompeuses et acceptions directement la discussion sans engager les hostilités ou dans le cas contraire à ce que l’attaquions mais de manière frontale. Mais nous n’allons faire ni l’un ni l’autre.

Cette fois-ci un sourire carnassier s’afficha sur les lippes de l’adolescent à l’idée de la « surprise » qu’il réservait aux forbans. A son tour, Nolan utilisa le sort de « Forte voix » afin de débuter les palabres.

- Nathanaël Earendil, nous refusons de négocier tant que toi et ton équipage ne vous serez pas rendus ! J’exige que vous hissiez le drapeau blanc à la place du pavillon pirate en signe de réédition et que tu descendes de ce Nid-de-Pie ! Dans le cas contraire nous serons forcés d’attaquer le Maelstrom et de vous soumettre par la force voire de couler votre navire en cas de résistance !

Connaissant cet imbécile de Gredin, le dragonnier et son lié allaient certainement lui donner un « avertissement » avant qu’il n’accepte de se rendre. Mais avant toute chose, celui-ci devait songer à quelques préparatifs qui ne seraient guère superflus pour gérer une telle situation. Puis le souverain sélénien, s’empara de la baguette accrochée à sa ceinture et l’utilisa pour former autour de lui un bouclier de protection afin de parer à d’éventuelles attaques physiques et magiques. Après tout, on n’était jamais assez trop prudent.

Maintenant, il ne restait plus qu’à mettre la suite de son plan à l’exécution. En effet, si Nathanaël s’attendait à ce que le dragon d’améthyste attaque son vaisseau par la voie des airs, mais sans doute pas à ce qu’il le fasse par en « dessous » en s’en prenant à la partie immergée sous les flots. Or, le « ventre » du Maelstrom était probablement son point faible et créer des fissures et des dégâts dans la coque afin que les cales soient envahies par l’eau l’affaiblirait grandement et l’empêcherait de mener un combat, du moins si l’elfe était assez stupide pour se lancer dans cette voie sans issue.
Ensuite, comme pour berner les pirates, le dragon fit mine de voler en direction du bateau avant de changer sa trajectoire et de percer la surface de l’étendue marine dans un bruit de flop retentissant.

Fort heureusement, le saurien était un excellent nageur qui se déplaçait à très grande vitesse sous l’eau et Nolan pouvait demeurer en apnée grâce à la magie du lien qui lui permettait de respirer sous l’eau pendant une certaine durée.

La température était glaciale et l’adolescent serra les dents, en bénissant sa chevalière de stoïcisme et les précieux glyphes qui la recouvraient, lui permettant de résister au froid polaire qui régnait au sein des Crocs-de-Givre et celui-ci activa par la pensée son glyphe de protection.

¤ Toucher couler ¤

Combattre un dragon, cette perspective n’enchantait guère le capitaine des gredins. Il vouait certainement une forme de respect à ses créatures en raison de leur force et de leur utilité, mais ce n’est pour autant qu’il s’apprêterait à lui lécher les bottes et acquiescer à tout ce qu’il pourrait dire. Si l’elfe ne s’était pas soumis au Tyran Blanc, il n’allait pas le faire face à un dragon mille fois moins terrible que celui-ci. C’est que le capitaine avait ses principes et son caractère. Le pirate salua donc le dragon, mais ne se priva pas pour autant de son franc-parler et de sa manière habituelle de tourner les choses. Il renvoya la balle dans le camp du couple de lié. S’ils attaquaient, alors il contre-attaquerait avec toute sa puissance et sans chercher à ne pas les tuer. Le gredin ne pouvant malheureusement pas se permettre de jouer à ce genre de jeu avec un adversaire de cet acabit. En ce jour, par deux fois il avait proposé à l’empereur de se rendre, et à présent il lui proposait de parlementer. Cet idiot de roitelet avec le don de mettre la patience du pirate à l’épreuve et si Nathaniel voulait bien lui accorder, c’est uniquement en raison de son statut du roi et de dragonnier. Sans quoi, voilà longtemps qu’il lui aurait parlé comme un chien s’en prendre la peine de lui donner le moindre avertissement. Le dragon continua à tourner autour du navire comme un vautour autour d’une proie blessée. Mais un bon chasseur sait qu’une proie blessée est bien plus dangereuse et cela le couple de lié allait l’apprendre à leurs dépens.

C’est un rire généraliser qui s’empara de l’équipage du navire quand l’empereur ordonna au Maelstrom de lever le drapeau blanc. Comme si des pirates allaient accepter de se rendre. Un pirate, un digne pirate, ne se rend pas et encore moins ceux sous la coupe de Nathaniel. Il avait dressé ses hommes si on peut dire. Nathaniel hésita un instant à profiter de sa présence sur le nid-de-pie pour tirer le drapeau pirate et répondre ainsi à l’empereur, mais il n’en fit rien. Il ne devait pas être celui provoquant l’affrontement. Après, comme il l’avait dit, il avait proposé à ce dernier de discuter.

La réaction du couple de dragonnier ne se fit pas attendre et ils décidèrent de passer à l’attaque. Cynoë finit une boucle autour du navire pour s’en éloigner, avant de débuter un piqué en direction de l’eau lorsqu’il fut face à la proue du navire. Un soupira s’échappa du pirate. Il avait pourtant prévenu que l’entêtement du jeune roi mettait des vies en danger. Pourquoi ne l’écoute-t-il donc jamais ? Ne faisait-il pas assez peur pour dissuader les gens de jouer au plus malin avec lui ? Quoi qu’il en soit, l’elfe entra en action. Précédemment, il avait utilisé sa boucle d’oreille pour copier l’esprit-lié de l’homme qu’il avait envoyé se réfugier à la cale. L’esprit-lié de ce dernier n’était nul autre que l’ornithorynque. L’elfe sombre était en mesure de ressentir tous les esprits-liés des membres de son équipage. Tel au poker, il avait un large choix de carte à jouer pour composer son jeu et tenir tête aux liés belliqueux. Nathaniel opta pour emprunter le pouvoir de la sauterelle à l’aide de l’ornithorynque copié. Du haut de son navire, le brigand se téléporta à la proue du navire et posa sa main dessus. Le dragon était en train de plonger et allait atteindre la mer dans les secondes qui suivaient. L’elfe n’avait pas le temps de faire retirer la protection, il allait donc devoir tirer au travers quitte à abimer son navire. Tant pis, cette partie de son bâtiment avait été prévue pour cela. Si dans l’idéal il fallait ôter la poulaine, sa conception avait été faite de sorte de tirer au travers en cas d’urgence.

La magie de l’elfe à la chevelure d’écume afflua dans l’arme et un vrombissement se fit entendre. Il s’ensuivit alors une violente explosion. La poulaine à l’avant de navire éclata en même temps qu’un puissant jet d’eau en jaillit, filant droit vers le point où devrait passer le dragon et le dragonnier pour entrer dans l’eau. L’impact fut violent.

« Sortez la voile et préparez-vous à faire feu s’ils persistent à nous attaquer. »

La grand-voile fut dépliée et le navire commença doucement à avancer avant qu’une secousse ne le fasse légèrement trembler, comme s’il avait percuté quelque chose. L’elfe grogna, n’avait-il pas réussi à les toucher ? Il n’avait pas l’intention de laisser quiconque couler son navire ! Nathaniel voulut activité l’anneau des capitaines de la confrérie et put se rendre compte que le gouvernail était bloqué. On frappait au point faible de son navire. Après c’était lui qu’on traitait de fourbe. Usant une nouvelle fois de son esprit-lié, il vint créer un courant avec l’eau autour de son gouvernail. Il allait essayer de faire boire à la tasse à ce dragon, on verrait s’il apprécie.

« Un homme à la mer ! »

L’elfe sombre s’arrêta un instant en entendant cela et se précipita vers le bastingage. Les premières avancées du navire et le courant marin avaient fait dériver un homme non loin du Maelstrom et cet homme n’était ni plus ni moins que l’empereur en personne. Son tir avait donc touché. Il put remarquer la teinte rougeâtre d’une trainée sur l’eau non loin Nolan qui était en train de couler. Il avait donc été touché et désarçonné. Espérons que le coup lui avait remis les idées au clair. Les membres d’équipage s’apprêtèrent à le mettre en joue, mais Nathaniel les en empêcha en levant la main. Il y avait peut-être mieux à tirer. Le capturer peut-être pour arrêter la colère du dragon. L’elfe s’apprêta à user de son orque pour le repêcher, mais les tremblements du navire cessèrent. Le dragon avait dû se rendre compte que son dragonnier avait été désarçonné. Une ombre passa sous l’eau, happant le dragonnier, avant de surgir hors de la mer. Que devait-il faire ? Poursuivre l’attaque ? Était-ce nécessaire de faire couler plus de sang d’un dragon ? Ce dernier avait dû se rendre compte avec le dernier coup qu’il ne serait pas aussi facile de battre le Maelstrom et qu’il pourrait s’en tirer avec de sérieuses blessures. Avec un peu de chance, ce dernier aurait assez de raison pour comprendre que si deux personnes ont la capacité de se tirer dessus l’une l’autre et de se faire mal, le dialogue est la meilleure solution pour éviter un bain de sang. L’elfe changea d’esprit-lié troquant la sauterelle pour le lamantin. Sa voix viendrait calmer les esprits échauffés. Encore une fois c’est au dragon auquel l’elfe s’adressa.

« Votre dragonnier met ma patience à rude épreuve aujourd’hui. Par deux fois je lui ai proposé de se rendre et là, par deux fois, je vous propose de discuter. Je ne me soumettrais pas un roi, ni à un dragon. Vous vous êtes mépris sur mes paroles qui n’étaient rien de plus qu’une analyse des faits. Nul n’est besoin d’être un dragon ou un juge pour pouvoir les constater. Et je constate encore à présent que le refus de ma proposition a conduit à ce que lui et vous soyez blessés. Je me défendrais si l’on m’attaque. Ne me contraignez pas à lever une nouvelle fois les armes contre un dragon. Je ne vous ai pas tiré dessus dès que vous étiez à porter des canons. Pourquoi croyez-vous que je vous aie invité à discuter ? Est-ce par crainte ? Ah ! J’ai vu la totalité des cotes de l’ancien continent, arpenté ses fleuves en temps de paix et de guerre. Si certains ont vécu l’exil forcé face aux Chimères comme une tragédie, j’y ai vu un espoir et ressenti le bonheur à chaque fois que le soleil émergeait à l’horizon de l’océan. Aujourd’hui j’ai vu presque toutes les cotes de l’archipel. J’ai joué avec les récifs des crocs du givre. J’ai affronté les vents du récif des tempêtes. Tirer sur les vaseux du putride. Bientôt je traverserais les dents de siel et serais le premier à trouver un chemin parmi ce récif. Je suis le capitaine Eärendil, je n’ai pas mon égal en mer. Et si je dois trouver la mort en mer, alors ce qui arrivera, arrivera. »

L’elfe avait parlé en bougeant ses mains pour renforcer son image grandiose et finit par reprendre sur un ton plus calme.

« Si je vous ai proposé de discuter, c’est parce qu’il y avait matière à discuter. J’ai attaqué le convoi Sélénien pour ses diamants. Je suis un pirate et je suis avide de richesse. Pour ce faire j’attaque, je vole, je pille ou je négocie. C’est moi qui ai coulé ce mystérieux navire, sorti de nul, ayant joué les troubles-fêtes durant mes manœuvres. Ce navire ne devait pas être là et au vu de la direction dont il venait, il n’accompagnait pas le convoi. S’il avait été du côté Sélénien, l’empereur n’aurait pas pris la fuite, mais m’aurait combattu. Il ne savait donc pas non plus ce qu’était ce navire. J’ai pu monter à son bord avant de l’envoyer par le fond. Je sais donc à qui était ce navire et d’où il venait. Il était autant son ennemi qu’il était le mien et le vôtre. Un dirigeant se doit de connaitre ses adversaires pour protéger, ceux dont il a la responsabilité, de la menace. Le monde n’est ni tout blanc, ni tout noir, mais un subtil mélange de gris. Il faut par moments accepter d’entendre les paroles de son adversaire et commercer avec lui pour atteindre ses objectifs. Je ne ferais pas de nouvelle offre. Que Nolan accepte de discuter seul à seul sur le pont mon navire, ou nous nous entredéchirons et mourrons tels des requins dans le ventre de leur mère pour le plus grand plaisir de nos ennemis. »

Nathaniel espérait que le dragon ferait preuve de sagesse et écouterait ses paroles empreintes de vérité, car oui le pirate ne mentait pas. Pour une fois qu’il disait la vérité et il serait bon de le croire cette fois-là. Il comptait également sur le violine pour calmer les ardeurs belliqueuses de son dragonnier. Ce dernier était plus têtu qu’une mule et prenait des risques inconsidérés qui un jour risqueraient de lui coûter la vie.

Le dragon d’améthyste tournoyait autour du navire ennemi, formant des cercles concentriques, comme pour dérouter ses adversaires, avant d’effectuer un vol piqué et de fendre la surface des eaux glacées. Nolan serra les dents, sentant sa chair se recroqueviller sous la morsure du froid et bénit mentalement sa chevalière de stoïcisme qui le rendait plus impassible face à la douleur ainsi que son glyphe élémentaire, augmentant la résistance aux températures extrêmes. Soudain, une violente déflagration retentit suivi d’une onde de choc et l’adolescent se sentit désarçonné du dos de Cynoe et coula au fond de l’étendue marine. Dérouté, il tenta de nager tant que bien que mal car se sentant happé vers les profondeurs abyssales par les puissants courants océaniques des Crocs-de-Givre. Que s’était-il passé ? Des élancements douloureux parcouraient son corps et celui-ci remarqua que de légères volutes couleur écarlate maculaient l’étendue aqueuse.

A cet instant, la première pensée qui survint dans son esprit fut la suivante : est-ce que Cynoe était blessé ? La peur l’envahit et aussitôt ce dernier se concentra sur la magie du lien afin de communiquer avec son lié grâce au langage télépathique et s’assurer que le saurien n’avait guère été touché par l’explosion. Fort heureusement et à son grand soulagement, le dragon violine n’avait subi que des blessures légères, juste quelques égratignures sans conséquences sur son épaisse cuirasse d’écailles. Dès lors, ce sang qui teintait l’eau ne pouvait provenir que de ses propres blessures et il s’aperçut que son bouclier de protection avait été pulvérisé par l’onde de choc et que certaines parties de son corps, comme son dos et ses bras étaient recouverts de fines entailles. Le coup porté par les pirates l’avait touché mais celui-ci ne semblait pas grièvement atteint et ses blessures demeuraient modérées, même si celles-ci nécessiteraient des soins afin de stopper l’écoulement sanguin. Endolori et encore sonné par la violence de la déflagration, l’adolescent tenta de nager pour remonter à la surface de l’eau, lorsque soudain il vit l’écailleux fendre les flots bleus dans sa direction et le repêcher avant de remonter dans les cieux, décrivant des cercles autour du Maelstrom.

En se connectant à l’esprit de Cynoe, Nolan découvrit que leur attaque contre la coque et le gouvernail du vaisseau pirate avait réussie, bien qu’interrompue quand le saurien avait découvert le désarçonnement de son dragonnier. Néanmoins, leur objectif principal était atteint et le navire ennemi suffisamment affaibli pour se retrouver en difficulté et couler s’ils décidaient de poursuivre le combat et de lâcher sur lui le feu destructeur. Tout d’un coup, la voix du capitaine des gredins s’éleva à nouveau, toujours amplifiée par le sort de « Forte Voix » et les prunelles mordorées du jeune empereur se dardèrent sur la haute silhouette Elfique qui, à présent, se tenait à l’avant du vaisseau.

A sa vue, le souverain sélénien sentit à nouveau son sang bouillonner de rage mais, étrangement, en l’écoutant parlementer, ce dernier ressentit un sentiment de calme le gagner peu à peu et sa hargne s’apaiser comme par enchantement. Peut-être s’agissait-il de l’effet d’un sortilège ou d’un esprit-lié.  S’adressant à nouveau au dragon d’Améthyste, sans doute pour quêter son soutien afin de raisonner son entêté de lié, le dirigeant forban réitéra son souhait de palabrer plutôt que de poursuivre les hostilités, ce qui aurait pour conséquence fâcheuse de causer des effusions de sang au sein des deux camps voire des morts inutiles. L’elfe évoqua également le fait qu’il n’avait jamais plié devant quiconque, pas même devant le Tyran Blanc, un dragon incommensurablement plus puissant que l’Améthyste et que celui-ci était prêt à périr en mer si cela s’avérait inéluctable, manifestant ainsi son fervent désir de riposter en cas d’attaque, quitte à conduire son navire au naufrage. Cette manière de penser et cette volonté farouche de résister envers et contre tout rappela au jeune empereur son propre comportement face au Gredin lors de leur précédente rencontre sur le pont de la frégate. Peut-être possédaient-ils ce point commun et l’adolescent espérait qu’il s’agissait du seul et unique.

Tentant de conservant le calme olympien induit par l’esprit-lié du Lamantin, Nolan prit à son tour la parole d’une voix maîtrisée mais aux sonorités glacées.

- Tu n’es pas le seul dont les nerfs et la patience ont été éprouvés. Lors de l’attaque que tu as mené contre mon convoi, tu m’as demandé par deux fois de me rendre et je t’ai répondu que jamais je ne plierais l’échine ni me soumettrais à toi quand bien tu formulerais cette demande mille fois. Tu as ensuite demandé à discuter, mais avant cela laisse-moi te rappeler que par deux fois tu as usé de fourberie et de traitrise envers moi. La première fois, c’est le jour où tu as dérobé mon navire que tu as rebaptisé le Maelstrom et la seconde fois c’est quand tu m’as tendu une embuscade au milieu des crocs-de-givre et fait saboté mon gouvernail. Dès lors, étant donné tes antécédents peu glorieux, qu’est-ce qui me prouve que ta demande de discussion n’est pas un nouveau piège déguisé destiné à nous duper moi et mon dragon ?

A ce stade, le jeune empereur avait peu de raisons de croire à la sincérité de Nathaniel, que du contraire, cet elfe paraissait incarner un parangon de perfidie et sa main tendue pouvait dissimuler un poignard, d’autant plus que ce dernier était dénué du moindre scrupule.

« J’ai vu la totalité des cotes de l’ancien continent, arpenté ses fleuves en temps de paix et de guerre. Si certains ont vécu l’exil forcé face aux Chimères comme une tragédie, j’y ai vu un espoir et ressenti le bonheur à chaque fois que le soleil émergeait à l’horizon de l’océan. Aujourd’hui j’ai vu presque toutes les cotes de l’archipel. J’ai joué avec les récifs des crocs du givre. J’ai affronté les vents du récif des tempêtes. Tirer sur les vaseux du putride. Bientôt je traverserais les dents de siel et serais le premier à trouver un chemin parmi ce récif. »

Tout d’un coup, la fin de la tirade grandiloquente du capitaine Earendil fit naitre chez l’adolescent une étrange réminiscence. Ces paroles résonnaient dans son esprit et paraissaient étrangement familières…Une certitude le hantait, il avait déjà entendu ces mots quelque part mais ne parvenait pas à se rappeler où exactement et chaque fois que ce dernier tentait de se raccrocher à ce souvenir fragmentaire, celui-ci lui échappait, semblable aux bribes éparses d’un songe que l’on peine à se remémorer au moment du réveil. Et le parfum salin qui accompagnait ces paroles, lui rappelait aussi quelque chose ou quelqu’un qu’il avait rencontré par le passé mais dont le souvenir s’estompait peu à peu de sa mémoire.

En entendant la suite des propos du capitaine des gredins, le jeune empereur chassa rapidement cette pensée et se reconcentra sur la discussion avec le gredin :
- Tu es un pirate et pour effectuer ta basse besogne, tu voles, tu pilles ou tu négocies. Fort bien, mais n’oublie pas que je suis un dirigeant et que j’ai pour devoir de protéger mes sujets et mes navires de tes actes de piraterie. Il est donc normal qu’à mes yeux tu sois perçue comme une menace à éradiquer afin d’assurer la sécurité et la protection de mes navires. Je veux bien admettre que le monde n’est pas complètement noir ni blanc mais composé d’une infinité de gris. Cependant jusqu’à présent tu m’as surtout prouvé que nos intérêts étaient divergents et que tu devais être considéré comme un ennemi plutôt qu’un tiers ou un allié.

Toutefois, à l’évocation du vaisseau fantôme, le monarque de Sélénia sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Ainsi, Nathaniel avait pu monter à son bord et peut-être découvrir l’étrange secret de ce navire à l’allure sépulcrale qui battait pavillon Sélénien…L’adolescent se rappela l’horrible créature que lui et les membres de l’équipage du capitaine Sorein avait dû affronter à bord de l’Espérance. D’où venait-elle et pourquoi une aura si effroyable et sinistre l’entourait-elle ? Ces questions demeuraient sans réponse et peut-être que le capitaine des gredins possédait la réponse, du moins si ce dernier disait vrai.

Le reste de ses propos résonnaient étrangement dans la bouche de ce chef-pirate. Qu’avait-il appris à propos de ce vaisseau et que cherchait-il à monnayer ? Le cœur du jeune Kohan se mit à battre plus fort lorsque le chef des forbans demanda à s’entretenir seul à seul avec l’empereur. Pensait-il sincèrement que ce dernier allait accepter de descendre de bon cœur sur un navire ennemi au risque de se faire capturer ?

Nolan se tourna vers Cynoe et communiqua avec lui par télépathie, quêtant ses conseils et sa sagesse afin d’évaluer la meilleure manière d’agir lors d’une telle situation.

- Penses-tu qu’il ment et que cette prétendue négociation est un moyen de nous attirer dans un guet-apens ? Mais peut-être a-t-il réellement découvert quelque chose et nous devons absolument en apprendre plus sur l’identité de ce vaisseau fantôme. Si nous le coulons, il emportera certainement son secret dans la tombe…

Le souverain sélénien tenta d’évaluer le pour et le contre d’un tel marché, l’âme tiraillée par des sentiments ambivalents. Une part de lui-même haïssait Nathaniel et était animée par l’ardent désir de le voir sombrer ainsi que son équipage dans les profondeurs abyssales des crocs-de-givres afin d’assouvir sa soif de vengeance. Mais une autre part de son être, guidée par sa rationalité, le calme de l’esprit lié du Lamantin et la sagesse Draconique pressentait que détruire le Maestrom ne lui apporterait pas l’apaisement tellement escompté, sans compter qu’en entraînant son lié dans ce combat, ce dernier risquait d’être blessé et lui aussi. Avait-il envie d’encourir un tel risque ? D’autant plus que sa conscience nouvelle de dragonnier lui intimait de ne pas utiliser le lien pour satisfaire des ambitions personnelles ou son orgueil. Par ailleurs, s’unir à Cynoe représentait la plus belle chose qui lui était arrivé et jamais il ne supporterait de le perdre ou de faire endurer au magnifique saurien la perte de son lié, lui dont l’âme avait déjà enduré la destruction d’un premier lien.

A contrecœur, le jeune empereur prit la parole et s’adressa une nouvelle fois à Nathaniel :

- Si tu veux que nous parlions seul à seul, je peux accepter ton offre mais à une condition. Que tu fasses évacuer tout ton équipage du pont et que mon dragon puisse s’y poser. C’est à prendre ou à laisser.

Avec une énergumène telle que le gredin mieux valait se montrer très prudent car un être aussi vil que lui pouvait très bien ordonner à ces hommes de décocher des flèches sur le dragonnier sitôt que ce dernier se serait posé sur le pont.

¤ Pourparler ¤

La première tentative d’appel au calme de Nathaniel s’était soldée par un échec. Le dragon et son dragonnier n’avaient rien voulu entendre et avaient attaqué sans attendre. L’elfe n’avait eu dès lors d’autre choix que de se défendre, il les avait prévenus après tout. Le capitaine des gredins usa dès lors de son armement le plus lourd, la gueule de la baleine, capable de blesser un dragon. Il se souvenait encore de la tête des forgerons et des maitres glyphes de l’époque lorsqu’il avait passé cette commande toute particulière. Le pirate avait cependant eu raison de faire créer une telle arme. Bien qu’il n’ait pas songé avoir à besoin de s’en servir si tôt contre un dragon, n’ayant jamais exclu cette hypothèse de son esprit, il pensait surtout l’utiliser pour avoir à briser un barrage de navire lancer à sa poursuite ou qui l’aurait pris en embuscade. Mais voilà, le sort en avait décidé autrement et voilà qu’il se retrouvait à faire feu contre une bête ailée. Quel gâchis. Oh cela lui apporterait certes du prestige, mais aussi beaucoup d’ennui. Le rapport avantage-désavantage n’était pas en sa faveur, cependant, pour sauver sa vie il n’allait pas s’en priver. Et puis, avec un peu de chance, ça aurait le mérite de remettre les idées en place à ce mauvais perdant de roitelet.

Quelques instants après l’assaut, le corps du dragonnier fut repéré à l’eau, mais l’elfe n’eut pas le temps de le faire repêcher que le dragon cessait déjà les attaques contre la coque et son gouvernail pour aller sauver son lié. Tant mieux d’un côté, il lui aurait été très préjudiciable de voir encore plus endommager. L’empereur n’était pas mort, juste blessé, et le violine semblait avoir perdu quelques écailles. Mh, il y avait encore quelques ajustements à faire, mais bon, c’était la première fois qu’il s’en servait contre un dragon aussi. Toutefois, le tir de son armement semblait avoir eu l’effet escompter, et les paroles du pirate mêler à la magie des esprits-liés avaient réussi à calmer l’esprit échauffer de ce jeune empereur. Il lui conseillerait de tirer un coup en rentrant une fois les négociations terminées, cela l’aidera à défouler ses nerfs.

Nathaniel fit mine d’écouter les paroles de ses adversaires. Peu importe qui ils y étaient, cela ne justifiait pas qu’il puisse le juger pour ce qu’il était. Encore moins le Kohan, après tout sa lignée descendait des pirates. Et les dernières exactions de ses ascendants pour la couronne montraient que le sang de pirate n’avait pas totalement disparu de leur veine. Le petit empereur n’était pas aussi innocent qu’il le pensait, en ses veines coulait aussi la fourberie, et il le découvrirait tôt ou tard.

Le dragon rabrouait encore le pirate avec des menaces. Mais le pirate ne se laissait pas pour autant intimider. Il avait fait feu sans hésiter sur le dragon. Il n’hésiterait pas à nouveau à le faire si jamais ce dernier l’attaquait. Après tout, peu importe ce que ce dernier pourrait dire, il l’avait lui aussi prévenu, si on l’attaque, il se défendrait. Quand bien même il respectait les dragons et reconnaissait leur bien fait, sa vie passait en priorité et il ne laisserait pas quelque créature que ce soit lui dicter sa façon d’être. Il était un pirate et cela lui convenait très bien.

Après une courte réflexion de la part des deux liés, ces derniers acceptèrent de discuter. Parfait, cette journée allait peut-être bien se terminer tout compte fait. L’elfe leur fit signe de venir se poser à la proue du navire et ordonna à ses hommes de déserter le pont, qu’il aille réparer les dégâts, mais aussi qu’ils se tiennent prêts si jamais les négociations devaient mal finir. Nathaniel ordonna également qu’on aille lui chercher un des boucliers retrouvés sur le navire-fantôme avant qu’il ne coule, celui avec des armoiries inconnues et qui, selon lui, devaient surement être celles des chimères.

Le dragon et son dragonnier finirent par se poser sur son navire, créant des craquements. Le capitaine serra les dents. Mettre plus de poids sur son navire endommagé n’était pas la chose à faire, mais ses hommes s’occuperont d’évacuer l’eau. Au pire il usera de son esprit-lié pour diminuer l’infiltration.

« Ne tente aucun subterfuge l'Elfe, car crois-moi, le feu parlera. »

L’elfe leva un bras et fit un signe de main afin de dire « oui oui » gardant son attitude insolente, tandis qu’il se dirigeait vers les tonneaux qu’il avait fait monter plus tôt en voyant le dragon arrivé au loin. Le capitaine regarda les victuailles et vint se saisir d’une pomme.

« Que de méfiance. Si j’avais voulu vous piéger, vous seriez déjà tombé dedans à partir du moment où vous avez amorcé votre atterrissage sur mon navire. Détendez-vous, vos mines renfrogner alourdissent l’atmosphère. Il existe une règle chez les pirates qui s’appelle les pourparlers et je pense qu’elle peut techniquement s’appliquer avec vous. Après tout les Kohan ne sont ni plus ni moins que des pirates qui ont acquis une couronne. »

Nathaniel baissa son foulard, mais plaça la pomme devant sa bouche, masquant ainsi toujours le bas de son visage, vint croquer dans le fruit, puis commencer à le mastiquer. Il se tourna vers le couple de lié, parlant la bouche pleine.

« Vouch pouchez vouf servir. Ch’est pas empoichonné. »

Le pirate avala son morceau avant d’en prendre un autre. Il se pencha légèrement en avant, l’air nonchalant, faisait exprès de prendre la situation avec légèreté, pour venir se saisir d’un objet. Il s’agissait d’une sorte de targe, parfaitement ronde. Il s’éloigna doucement des barils, tenant le bouclier du bout de la main. Puis une fois assez éloigné il vint jeter la targe au sol en direction du dragon. Celle-ci se mit à rouler au sol avant de venir décrire un petit cercle à quelque mètre de lui pour finalement tomber au sol. Les armoiries sur le bouclier étaient parfaitement inconnues. L’elfe en connaissait un rayon, car il savait ainsi qui était son adversaire. L’elfe remit son foulard pour masquer le bas de son visage et jongla quelque peu avec sa pomme.

« C’était à bord du navire inconnu j’ai envoyé par le fond. Vous non plus vous ne reconnaissez pas ces armoiries, pas vraies ? Il se trouve que moi non plus … du moins trouvait. J’ai pu déterminer avec certitude à qui cela correspondait. Je suis disposé à révéler ce que je sais. Mais à deux conditions. Que l’on trouve un accord et … »

L’elfe porta une main à son manteau, venant l’ouvrir, pour en sortir une sorte de lampe à huile primitive d’un style inconnu.

« … que l’on ratifie magiquement cet accord pour éviter toutes entourloupes. Autant de votre part que de la mienne. »

Une singulière magie émanait de l’objet en possession du pirate.  

A leur arrivée sur les lieux de l’apparition du vaisseau fantomatique, le jeune dragonnier et son lié aperçurent la forme massive du Maelstrom qui, pour des raisons inconnues, n’avait pas encore largué les amarres. Désireux d’éviter le juste châtiment qui lui était réservé, le capitaine des gredins leur proposa de parlementer et essuya une attaque contre son navire en guise de réponse.

Le cœur du jeune empereur bouillonnait trop de rage pour que ce dernier se montre réceptif à ses arguments prônant la discussion. Sans compter que Cynoe n’avait que faire des misérables provisions proposées par le forban, estimant que la chair de celui qu’on surnommait l’Orque constituerait un met plus appétissant.

Cependant, ce maudit pirate usa de son artillerie lourde et parvint à blesser l’adolescent avant de leur proposer une nouvelle fois de négocier.
Nolan n’avait guère envie de concilier avec cet elfe fourbe envers lequel il ressentait un cuisant mépris mais, après une rapide analyse de la situation, celui-ci estima que le tuer leur ferait perdre de précieuses informations au sujet du mystérieux vaisseau battant pavillon Sélénien. Du moins, si l’elfe disait la vérité, ce qui n’était pas certain.

Après avoir consulté son lié télépathiquement afin de quérir son avis sur la question, le souverain de Sélénia accepta d’ouvrir le dialogue, à condition que l’équipage de Nathaniel évacue le pont du Maelstrom et que l’Améthyste puisse s’y poser.

Une fois cette première étape amorcée, le dragon violine et son dragonnier se posèrent sur le vaisseau pirate, dont le bois se mit à grincer sous le poids du saurien. Ses craquements ressemblaient à des gémissements de douleur et Nolan ne put s’empêcher de ressentir un certain plaisir à l’idée des dégâts occasionnés par son lié à la coque de ce bateau qui jadis lui appartenait.

Une fois sur le pont, le couronné demeura sur ses gardes, sachant pertinemment qu’il était impossible de se fier à un être aussi vil que Nathaniel Earendil. Derrière ses belles paroles, ce dernier dissimulait peut-être l’arme prête à les poignarder dans le dos ou leur tendait un nouveau piège. Dans tous les cas, le pirate ne visait que son propre intérêt et lui seul, faisant fi des règles morales. Restait à savoir si dans ce cas présent leurs intérêts convergeaient vers une même direction et leur permettrait de parvenir à un accord satisfaisant pour les deux parties.

L’écailleux n’hésita pas à mettre en garde le pirate afin de le dissuader de tenter la moindre entourloupe s’il ne voulait pas encourir son courroux. Pendant ce temps-là, Nolan fixait cette haute silhouette Elfique, dont le visage était en grande partie dissimulé derrière un foulard, d’un air glacial.
Malgré l’effet apaisant exercé par les précédentes paroles du forban qui avait probablement usé d’un sortilège ou d’un esprit-lié, l’adolescent éprouvait une grande rancœur à son égard en raison de ses attaques envers la Couronne.

Un jour ou l’autre, il lui ferait payer ses crimes au centuple mais la vengeance était un plat qui se mangeait froid et pour l’heure, ce dernier devait mettre de côté ses griefs pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir l’origine de ce vaisseau sépulcral. C’est ainsi qu’il se comporterait en souverain avisé et responsable.

Loin de se montrer impressionner par la présence de Cynoe, le chef pirate affecta une attitude exagérément détachée qui ressemblait presque à de la suffisance. Nolan regarda avec scepticisme ses gestes plein de théâtralisme et sa fanfaronnade digne d’un mauvais vaudeville. Le capitaine des gredins avait-il raté sa vocation d’acteur ? En tout cas, si celui-ci cherchait à l’impressionner, il obtenait l’inverse de l’effet escompté et le point culminant de cette mise en scène grotesque fut atteint lorsque Nathanaël croqua à belles dents dans un fruit avant de leur proposer, la bouche pleine, d’en goûter par la même occasion.

- Nous ne sommes pas venus jusqu’ici pour goûter tes fruits ni pour que tu m’invites à diner. Venons-en directement aux faits. Je n’irais pas par quatre chemins, je veux savoir quelles sont les informations dont tu disposes à propos de ce mystérieux navire battant pavillon Sélénien.


En apprendre davantage sur cette mystérieuse apparition était la seule et unique raison pour laquelle le jeune empereur acceptait de discuter avec cette canaille et il ne comptait pas laisser ce dernier noyer le poisson ou digresser en s’épanchant en futilités.

Soudain, comme si celui-ci avait ménagé son effet jusqu’à là, le dirigeant forban se pencha doucement en avant et s’empara d’un objet insolite, plus précisément une targe de forme ronde. Puis, après s’être éloigné des barils, il le fit rouler jusqu’au dragon et son lié.

Le bouclier roula sur le sol, décrivant un cercle de plusieurs mètres avant s’immobiliser dans un bruit métallique. L’adolescent le mira et ressentit un choc en le voyant.

La surface bosselée et brunâtre de ce bouclier était recouverte d’étranges armoiries qu’il ne parvenait pas à identifier. Celles-ci représentaient un aigle monstrueux, à deux têtes, et au pelage noirâtre entouré de symboles ésotériques. C’était la première fois que Nolan voyait un tel insigne et un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’il se remémora l’affreuse créature qui les avait attaqués sur le pont de l’Espérance.

C’est alors que le capitaine des gredins prit la parole, mettant en exergue l’étrangeté du bouclier et le fait qu’il ne révélerait les informations à ce sujet qu’après qu’un accord soit trouvé et scellé magiquement. Joignant le geste à la parole, Nathanaël sortit de sous son manteau un mystérieux objet,  ressemblant à une lampe à huile, d’où émanait une singulière aura qui n’augurait rien de bon.

Le souverain Sélénien s’adressa ensuite à son lié télépathiquement de manière à n’être entendu que de lui :

- Tout cela ne me dit rien qui vaille, surtout connaissant la perfidie de ce maudit pirate. Mais il n’a pas tort en disant que les armoiries de ce bouclier sont inconnues. Je connais l’héraldique et je suis incapable de l’identifier, aucun des trois peuples originaires d’Ambarhùna n’en possède de semblable et à ma connaissance les autochtones de Tiamaranta ne disposent pas de telles armoiries. Ce bouclier ne peut provenir…que d’ailleurs, mais d’où ? J’ai des raisons de croire que ce vaisseau fantomatique, la créature hideuse à tête d’oiseau et ce bouclier sont liés d’une façon ou d’une autre. Mais ce monstre ne révélera rien si nous n’acceptons pas ses conditions, toutefois je vais aussi mettre les miennes avant la poursuite de ces négociations.

Etant donné la personnalité psychopathique du Gredin, le risque de se faire rouler en contractant un marché de dupes était particulièrement important, aussi l’adolescent désirait-il prendre lui aussi certaines précautions. Puis, le jeune Kohan se tourna vers le forban:

- Avant d’aller plus loin, je veux avoir des explications détaillé sur cet objet en forme de lampe ainsi que sur les clauses du contrat magique que tu désires proposer. Et aussi, je te demande de me regarder dans les yeux lorsque tu t’exécuteras.

Deux précautions valaient mieux qu’une et Nolan en tant que dragonnier disposait d’un atout non négligeable : celui d’empêcher tout mensonge dès lors qu’on le fixait dans les yeux.

¤ Pourparler II ¤

L’elfe sombre avait su ferrer le poisson et tourner la situation à son avantage. Le couple de lié s’était posé sur son rafiot et maintenant l’heure de discuter était venue. L’elfe lança son appât de celui-ci fit mouche. Nolan y mordit à pleine dent. Bien, cette journée allait peut-être bien mieux se terminer au final. Nathaniel laissa le dragon et son dragonnier observer la targe, aux armoiries inconnues, qu’il leur avait jetées. La réponse à sa proposition ne tarda pas. Le gredin ignora parfaitement les énièmes menaces du dragon d’améthyste. Il en devenait ridicule. Il n’était rien de plus qu’un chien tenu en laisse aboyant le plus fort possible pour tenter de l’intimité. Le marchandage d’information était au final la même chose avec ou sans dragon parmi les parties.

« Ne me prend pas pour plus bête que je le suis, Nolan. Attirer mon attention sur une partie de ton corps pour être moins vigilant à de possibles gestes clés et diverses invocations magiques ? Ne compte pas là-dessus. »

L’elfe sombre pointa le dragon de la main.

« On dit qu’on ne peut mentir à un dragon. Ton lié s’assurera donc que je ne mens pas sur mes explications. Tu ne me fais pas confiance, certes, mais tu fais au moins confiance à ton dragon. »

Baissant la main, le gredin vint mettre en évidant l’objet qu’il avait dans les mains.

« Tu voulais des détails. Je vais donc t’en donner. Il s’agit d’un objet graärh. Je l’ai dérobé à la quatrième tribu que j’ai attaquée sur l’île de Néthéril.  J’ai capturé tous les membres de cette dernière. J’ai fait exécuter sous leurs yeux les plus puissants guerriers afin de les rendre plus dociles avant de les mettre aux fers. L’endroit vidé de toute âme, j’ai fait fouiller chacune de leurs misérables habitations, j’ai réuni toutes leurs possessions et j’ai fait bruler l’endroit. Puis, comme d’habitude, j’ai examiné mon butin. Cette lampe à huile que tu vois là fut l’objet qui attira le plus mon attention. Une singulière magie s’en dégageait. Alors j’ai fait interroger les membres de la tribu. Leur cheffe s’est montrée réticente, au début. Mais elle a très vite délié sa langue. Ces chats géants ont beau faire les fiers, ils ne sont rien d’autre que des animaux. Et les animaux se domptent d’une manière ou d’une autre. Comme les humains, les elfes, ou les vampires d’ailleurs. »

Le cruel capitaine caressa doucement l’objet dont il livrait les détails de son acquisition.

« Cet objet se nomme selon eux le Deepak-Shapak. C’est un objet rituel qu’ils utilisaient lors de la conclusion d’accord prestigieux. L’accord était scellé par la magie pour s’assurer qu’il soit respecté. Vois cela un peu comme … le serment de baptistrel. Sauf qu’ici, la magie n’est pas là pour assurer la vérité, non … mais l’exécution de l’accord. En somme, c’est l’objet que rêvent d’avoir tous les créanciers. Je me suis assuré de la véracité des propos de la graärh qui m’a expliqué son utilisation. Et ensuite, je l’ai fait tester. Et il fonctionne. Tous les termes de l’accord que cet objet va sceller devront obligatoirement être exécutés par les parties. J’ai déjà eu l’occasion de l’utiliser plusieurs fois par moi même. Grossièrement, ce que nous devrons faire, c’est nous mettre d’accord sur les termes du contrat. Les parties devront ensuite répéter l’accord en présence de l’objet avant de se verser une goutte d’huile sur la peau. Ainsi le serment sera scellé par la magie. »

Nathaniel pointa l’objet en direction de Nolan.

« Une fois ce petit rituel accompli, il est impossible d’échapper à l’accord. Toute inexécution est … et bien, rendu impossible, car la magie s’assurera que chacun exécute sa part du marché. »

Le gredin se tut, il en avait fini pour les explications. Il se tourna vers Cynoë.

« Alors ? Ai-je menti ? »

La réponse était bien évidemment non, le gredin n’avait dit que la vérité et rien que la vérité. Cela serait surement difficile à admettre qu’un pirate puisse dire la vérité, mais c’était pourtant le cas.

« Pour ce qui est des termes que je souhaite voir figurer dans l’accord, c’est assez simple. Premièrement nous devons y participer tous les trois. Deuxièmement je vous révèle tout ce que je sais à propos de ce navire-fantôme. En échange de quoi vous m’aiderez à vendre au reste de l’archipel l’information que j’ai en ma possession, vous et Sélénia vous porterez garants de ma parole et m’aiderez à organiser cette vente à l’aide de tous les moyens que vous et Sélénia disposez. Le bénéfice financier de cette vente me reviendra à moi et à moi seul. Troisièmement vous devrez garder cette information secrète, interdiction formelle de la divulguer, de quelque que manière que ce soit, jusqu’à la réalisation de la vente. Quatrièmement à partir du scellement de cet accord, vous ne chercherez pas à commettre quoi que ce soit de négatif à l’encontre de ma personne, et j’en ferais de même, et cela jusqu’à la quinzaine qui suivra la vente de l’information au reste de l’archipel. À partir de ce moment-là, le Deepak-Shapak ne nous liera plus les uns aux autres. »

L’elfe marqua une courte pause.

« Qu’est ce que vous en dites ? Avez-vous également quelques souhaits à formuler ?»

Après que l’améthyste et son dragonnier se soient posés sur le pont du Maelstrom, le gredin s’empressa de jeter un bouclier cabossé devant eux, arborant de singulières armoiries, comme un attrait destiné à les appâter. Et dès après ce dernier sortit un mystérieux objet ressemblant à une lampe à huile, d’où il émanait une étrange aura magique. Nolan l’observa sans ciller, sentant sourde sa méfiance face au pirate. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Un artefact maléfique destiné à les duper ? En tout cas, il refuserait catégoriquement de conclure le moindre accord sans s’être assuré de la provenance d’un tel objet, des clauses de l’accord en question et surtout de la véracité des paroles du forban. Avec une telle engeance, juste bonne à mentir, à tromper et à violer, mieux valait se montrer très prudent. Et un Nolan averti en valait deux.

Au moment où le monarque Sélénien proposa au chef des gredins de plonger son regard dans le sien afin de s’assurer qu’il ne mentait point ce dernier se rebiffa, craignant une quelconque fourberie ou entourloupe de la part de l’adolescent et proposa que sa crédibilité soit vérifiée par le dragon violine.

Le couronné poussa un soupir d’exaspération avec de répondre d’un ton cassant :

- Comme si j’étais fourbe comme toi voyons, bientôt tu vas prétendre être la « victime » alors que depuis le début c’est toi l’agresseur dans l’histoire. Enfin soit, venons-en à ce qui nous intéresse et si cela peut épargner ta délicatesse de pirate alors Cynoe vérifiera que tu dis bien la vérité.

L’écailleux possédait la capacité grâce à ses mires de braises de s’assurer que le chef des gredins ne tenterait pas de tromper son lié et ce dernier lui faisait une totale confiance, contrairement au forban. Ensuite le jeune empereur écouta le récit que lui narrait Nathaniel, au sujet de la provenance de l’objet en forme de lampe à l’huile et découvrit qu’il possédait une origine Graarh et que la magie qui en émanait servait à lier des individus, de la même manière que le serment d’un Baptistrel, sauf que l’enjeu n’était pas le respect de la parole donnée mais l’exécution des termes d’un contrat.

Pour un individu tel que ce cruel prédateur des mers, Deepak-Shapak, tel était le nom de cet artefact Graarh, représentait une véritable aubaine et nul doute que celui-ci tenterait d’en user à son avantage. D’autant plus que si on en croyait son récit, une fois le contrat accepté par les deux parties, tous deux seraient dans l’impossibilité d’y déroger jusqu’à son terme. Aussi Nolan devait-il y réfléchir à deux fois avant de conclure une dangereuse alliance avec le dirigeant forban.

L’elfe ténébreux se tourna ensuite vers l’Améthyste et lui demanda avec la désinvolture qui le caractérisait « Alors ? Ai-je menti ? »

Après avoir fourni les explications demandées à propos de Deepak-Shapak, Nathaniel exposa les termes du contrat qu’il entendait contracter avec le souverain Sélénien. Nolan l’écouta attentivement et fronça les sourcils suite à l'énonciation des clauses contractuelles :

- Tu souhaites que l’on t’aide à organiser cette vente à l’aide de tous les moyens dont nous et Sélénia disposons ? Je trouve cette formulation trop vague et trop sujette à caution, car si cette vente implique que Sélénia engage des moyens importants et que les bénéfices te reviennent à toi seul, comprends que ton marché ressemble plus à une arnaque. Moi et Cynoe pouvons-nous portez garant de la véracité des informations en ta possession et éventuellement t’aider à convaincre en les dévoilant à d’autres, si tu autorises mon lié à sonder ton esprit pour y puiser dans tes souvenirs. Rien de plus. Et concernant le dernier point que tu mentionnes, à savoir ne pas chercher à commettre quoi que ce soit de négatif à l’encontre de ta personne et vice versa, je préférai l’élargir car qu’est-ce qui me prouve que des membres de ton équipage ne tenteront pas quoique ce soit contre nous ? Après tout, il ne s’agit pas à proprement parler de ta « personne ».

L’adolescent réfléchit un bref instant avant de darder son regard mordoré sur le pirate :

- Il y a un autre point dont j’aimerais discuter. La cargaison de diamants qui a coulé. Mon dragon peut en récupérer une partie mais un monstre comme toi capable de contrôler les eaux pourrait se révéler d’une quelconque utilité afin d'atteindre ce but…est-ce bien le cas ?

Nolan se remémora le mystérieux pouvoir dont le capitaine des gredins avait usé pour fuir après le vol de son navire ainsi que durant la bataille navale. Si celui-ci se révélait à la hauteur de ses attentes, sa misérable existence servirait au moins à quelque chose d’autre que d’ennuyer son peuple.