D'abord inquiète de la réaction de Sighild, la louve finit par additionner deux et deux et s'adoucit, une pointe de tristesse et de compréhension dans ses yeux bleus et francs. L'archère avait un bon cœur, honnête et droit, et elle avait d'autant plus de respect pour ses convictions en la voyant se tenir à leur décision. Elle ne lui fit pas l'insulte de tenter de la rassurer ou de lui donner bonne conscience, d'abord parce qu'elle pouvait toujours se tromper sur les sentiments de sa sœur d'arme, ensuite tout simplement parce que même si elle ne se trompait pas, aucun mot ne serait juste ou légitime à venir apaiser de tels sentiments. Parfois, il fallait les vivre pleinement, souffrir pleinement, pour une cause juste, mais aussi pour sa propre intégrité. Tryghild voulait que sa sœur puisse bénéficier de tout cela, et si elle ne venait pas l'apaiser, elle était là pour partager son sentiment et la soutenir. Et elle espérait de tout cœur qu'une action d'apparence négative viendrait produire des résultats très positifs pour eux tous. Elle ne se pardonnerait sans doute pas d'avoir acheté une vie, mais elle pourrait néanmoins affirmer avoir aidé à rétablir une forme de justice pour les natifs de l'archipel. Le visage grave, elle hocha un instant la tête aux dires de l'archère, et néanmoins, Sighild ne l'avait pas tout à fait comprise.
« En fait, je ne parlais pas de t'accompagner acheter un Graarh. Je suis du même avis que toi, on essaiera de me vendre de la… marchandise de qualité, que Loup me pardonne de les appeler ainsi. Je voulais dire… dans la tribu, si tu parviens à en approcher une, à vivre parmi eux… je me dis… je devrais peut-être le faire aussi. Pour leur prouver que nous voulons vraiment faire le chemin vers eux. Pour apprendre à les connaître. Je pourrais laisser le rôle d'Intendant pendant un mois ou deux, j'ai des adjoints parfaitement compétents pour ça »
Et un fiancé qui risquait de faire une drôle de tête en apprenant qu'elle envisageait pareille chose. Sigvald se mettrait-il en travers de son chemin ? Non… en fin de compte il serait frustré de ne pouvoir l'accompagner, probablement, mais il ne s'opposerait pas à sa volonté. Il avait trop d'honneur pour ça. Néanmoins, elle ne comptait pas impliquer son champion pour le moment. Cette affaire avait besoin de leur vision à elles et de leur façon de faire à elles. Le domaine de son compagnon était la guerre et il était pareil à un esprit sur le champ de bataille, mais si elle aimait aussi se battre, si elle évoluait dans le monde de l'acier avec aisance, de par sa naissance, mais surtout de par ses capacités, elle avait été éduquée à penser comme un chef de meute. Au-delà des armes. Et aujourd'hui, elle pouvait aussi compter sur l'aide de Sighild, qui avait vu l'extérieur de leur monde à eux, et qui n'en était pas complètement changée pour autant, pas… pas corrompue. Et il y aurait également Ilhan qu'elle comptait mettre sur l'affaire. Sa sœur d'arme pourrait grandement bénéficier des talents de son responsable en diplomatie, elle n'en doutait pas un seul instant. Au salut et à l'enthousiasme de sa sœur, elle répondit d'un poing sur le cœur, le regard chaleureux.
« Peut-être en effet. Il se nomme Ilhan Avente. Ici, il est mon conseiller et… mon professeur en art diplomatique. Un homme à la patience digne d'un Esprit, donc »
Se relevant d'un mouvement souple, elle eut un geste d'invitation de la main.
« Vient, allons le trouver. Il doit être à la Citadelle à cette heure-ci »
Ensemble, elles quittèrent la demeure à pied et se dirigèrent vers la Citadelle, le cœur décisionnaire de la ville. Les gardes en faction à l'entrée saluèrent leur passage, et quelques personnes, à l'intérieur, firent de même. Mais dans l'ensemble ? Tous étaient occupés à remplir leurs fonctions. Le hall principal était immense, remplit de l'écho de pas militaires, les escaliers de pierre menaient à une succession d'étages supérieurs occupés par les diverses affiliations de l'armée et de la cité. Grimpant les marches, elles rejoignirent l'étage où se trouvait le bureau de l'Althaïen et Tryghild fit entrer l'archère après elle, après avoir frappé sèchement une première fois pour annoncer leur venue. Se plantant face au bureau, poings sur les hanches, la nordique toisa son diplomate en chef pendant quelques instants avant de faire un geste en direction de Sighild, se plaçant de côté pour que l'homme puisse la voir.
« Ilhan, voici Sighild. Je viens de lui demander de m'aider à obtenir des informations pour un projet de loi visant à l'interdiction de l'esclavage Graarh à Délimar. Vous lui servirez d'assistant »
Très sérieux, elle laissa s'écouler quelques instants, que son lettré comprenne ce qu'elle venait de lui dire, puis ajouta.
« Avez-vous des questions ? Sinon, je suis certaine que vous aurez tous deux beaucoup à échanger »