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descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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Cordont - 14 novembre an 1762 du troisième âge, en soirée



Il avait cru mourir. Ce trajet de dix jours à rythme soutenu avait bien failli avoir raison de lui.

Dès que la nouvelle des sinistres à Cordont était parvenue à Délimar, la fière cité avait répondu à l’appel. Le navire de Nyko avait pris le gros œuvre pour l’escorter par voie des mers jusqu’à Cordont, tandis qu’une autre équipée était partie par voie de terre. La cohorte des loups avait pris la direction nord, traversant monts et collines sans discontinuer, sans même ralentir le pas. De l’aube jusque tard la nuit tombante, ils avaient avancé, encore et encore. La fière Garde Loup les escortant à l’avant, les soldats à l’arrière. Ilhan avait été déguisé en artisan, tout de cuir vêtu, avec toutefois pour seule arme son sabre factuel donné par Tryghild il y a quelques mois. Un leurre plus qu’une vraie arme, même si seul un œil expérimenté aurait pu voir la différence. Il avait été juché sur un cheval de petite taille, et avait tenté de suivre le rythme au milieu des artisans délimariens, enveloppés par la Garde Loup. Et tenté était le bon mot.

Entre ce rythme martial, les simples rations de viandes séchées, de pain et de fruits secs en guise de repas, et une poignée d'heures par nuit pour dormir, à même le sol sur des paillasses simples, sans même une tente pour leur occulter la vue des étoiles nocturnes… Ilhan avait bien cru ne jamais arriver jusqu’au bout. Ces conditions drastiques avaient été rudes pour lui. Il avait eu bien du mal à trouver le sommeil, les deux premières nuits, malgré la fatigue harassante qui écrasait son corps tout entier. Monter à cheval n’était pas un problème d’ordinaire, mais y rester ainsi, des heures durant… La morsure cuisante de la selle se faisait sentir sur ses cuisses et ses muscles criaient à l’agonie.

Les premiers jours, il n’avait pu retenir maintes plaintes. Et sur le rythme, et sur les repas, et sur les nuits écourtées, et sur le sol dur, sur chaque brindille qui lui cuisinait le dos à chaque mouvement le soir… Les délimariens, Sigvald en particulier, s’étaient montrés assez patients à son égard, fait assez rare pour être noté. Jusqu’à un certain point. Après une énième plainte, le général lui avait, quelques jours après leur départ, secoué les puces et lui avait proposé de finir le trajet dans les chariots. La fierté d’Ilhan en avait pris un coup, mais il avait dû admettre que le général n’avait pas tort. Se plaindre ne changerait rien, la situation était ainsi, et il leur fallait arriver le plus vite possible. Et hors de question de subir l’humiliation supplémentaire de se faire balloter parmi les marchandises, juché sur les chariots. Il avait donc soutenu le regard clair et vif du général, s’était mordu la langue, et avait recouvré son stoïcisme légendaire.

Le reste du trajet, il avait observé, songeur, ces hommes et ces femmes, durs à la douleur, hargneux à la tâche, qui subissaient les mêmes conditions sans broncher. Certes ils avaient l’entrainement pour endurer de telles marches forcées. Certes, c’était là de coriaces soldats, tous autant qu’ils étaient. Même les artisans étaient habitués à cette dure école de survie. Et ce n’était pas parce que lui, petit bourgeois nobliau, n’avait que très peu connu cela qu’il devait pour autant geindre. Il avait réalisé, quand bien même il en était conscient déjà auparavant, qu’il avait eu une vie choyée, chanceuse. Enfin, autant que faire se pouvait. Disons que les risques qu’il avait encourus, il les avait choisis, en quelque sorte. Ils ne lui avaient pas été imposés par la vie, pas vraiment. Il était né dans une ville riche et fertile, il avait grandi au sein d’une famille aisée et aimante. Quand bien même il avait connu son lot de deuils, de pertes et d’abandon, de guerre et de sang, il n’avait jamais connu une vie dure et rugueuse, comme tous ceux et celles qui l’entouraient en ce moment. Et eux, pour autant, n’avaient pas eu un seul mot de plainte. Il avait eu honte alors de son comportement. Enfant gâté qu’il était.

Il aurait pu rester tranquillement dans son domaine, même en cette nouvelle terre, et se contenter d’une petite vie choyée. Il avait d’ailleurs été tenté par ce choix. Mais il avait choisi de répondre à l’appel de Délimar. Il se devait donc de rendre hommage à la fierté, l’honneur, et à la force de ces hommes et femmes. Et cela passait par endurer, tout, et plus encore, la tête haute. Et puis s’il devait être honnête, il avait quand même connu pire. Lors d’une sinistre nuit de fuite effrénée, il avait vu tous ses gardes mourir et avait bien failli subir le même sort avant d’atteindre le refuge des rebelles. Ou lors de leur voyage jusqu’en cet archipel, il avait bien failli mourir sur leurs sombres navires. Au final, cette traversée, aussi rude soit-elle, n’était que pacotille à côté de tout cela.

Il avait donc supporté le reste du voyage sans broncher. Il avait même essayé de participer aux installations et aux levées de camp. Quand bien même chaque tentative se soldait souvent par un échec ou une catastrophe, et semblait fortement amuser les hommes l’accompagnant. Loin de s’en vexer, Ilhan avait pris leurs réactions comme un encouragement, plus que des moqueries. Cela semblait même l’avoir un peu rapproché de quelques soldats ou gardes loups. Peut-être le fait qu’il tente de faire les choses, lui pourtant homme peu habitué au travail manuel…

Ils étaient dès lors le 14 novembre, en matinée, et ils étaient enfin arrivés. Ilhan n’en était pas mécontent. Il devait avouer ne pas avoir trop prêté attention à l’installation du camp. Quand ils étaient arrivés aux abords de Cordont, il avait longuement observé les ruines autour, le sinistre, puis, d’un regard hagard, s’était installé à l’endroit qu’on lui avait indiqué le temps que les tentes soient montées. Personne n’avait réquisitionné sa participation. Cela les aurait ralentis plus qu’autre chose, il devait bien l’avouer.

Sigvald était rapidement venu s’entretenir avec lui sur l’organisation de la journée. Ilhan avait été assez laconique, ce qui en soi montrait clairement la lassitude qui le terrassait. Les vagues mots « Besoin d’un peu de repos. Peux pas là de suite. » avaient été plus parlants qu’un long discours. De toute façon, il était plus judicieux que Sigvald s’entretienne avec Nolan avant quoi que ce soit. Il avait donc été convenu que Sigvald irait voir le gamin empereur en début d’après-midi et tous deux se retrouveraient ensuite pour souper avec le bourgmestre de Caladon. Il avait donc rédigé une rapide missive à Aldaron Leweïnra pour lui proposer de se réunir le soir même autour d’un dîner, en signe de bonne entente. Il l’avait confiée à un des soldats. Une réponse lui était parvenue assez rapidement, acceptant son offre, et les invitant Sigvald et lui à rejoindre les installations du bourgmestre pour le repas. Une énième missive pour confirmation, et Ilhan s’accorda un repos bien mérité.

Dire qu’il s’était écroulé et avait dormi à poings fermés serait un doux euphémisme. Il était littéralement tombé sur sa couche, et n’avait même pas défait sa tenue de voyage qu’il avait plongé dans un profond sommeil. À son réveil, tout son corps avait protesté et il avait eu bien du mal à se redresser. Tous ses muscles hurlaient douleur, chaque mouvement lui arrachait grimace. Il avait envie d’un bon bain, d’un bon vin et d’un repas digne de ce nom ! Mais au lieu de cela, quand il avait demandé où il pourrait faire sa toilette, on lui avait désigné le puits communautaire. Dans un soupir, il avait traversé le camp délimarien, installé en cercles. La tente de Sigvald et d’Ilhan avait été dressée au centre, puis venaient celles des officiers et des artisans, suivies ensuite des tentes du premier cercle pour la Garde Loup et enfin deux cercles en quinconce pour les soldats classiques.
 
Escorté par des membres de la Garde Loup, il se dirigea donc vers le puits. Arrivé devant, il marqua un temps de circonspection. Il regarda la corde, le sceau accroché au bout trônant sur le rebord. Il hésita longuement, regarda autour de lui, puis se rappela qu’il n’y avait pas de serviteurs ou autre pour l’aider ici. Il inspira donc profondément et attrapa la corde. Il jeta le sceau au fond. Bon jusque là, cela n’était pas trop difficile. Puis, après avoir entendu le bruit du sceau plongeant dans l’eau, il hissa la corde. Enfin tenta. Il lâcha un instant la corde et le sceau retomba au fond. Inspirant lourdement, il recommença. Mais arrivée à mi-course, la corde lui échappa et siffla le long de sa main, lui brûlant la paume de sa dextre. Il siffla de douleur et lâcha tout. Et soupira, désespéré, quand le sceau replongea. Il souffla sur sa main douloureuse et grogna pour lui-même. Il s’apprêtait à recommencer, quand il sentit une main sur son épaule.

Il manqua sursauter, mais, par sa maîtrise légendaire, il réprima ce premier réflexe et se tourna vers l’homme d’un air faussement calme. Un des gardes loups.

Laissez nous faire, Ilhan, fit-il avec un demi sourire, de ses accents rugueux.

Ilhan l’observa un court instant mais ne nota aucune moquerie, une fois encore. Brillait au fond des prunelles de glace, certes un certain amusement, mais aussi… une sorte d’acceptation ? Il n’aurait su dire. Mais en tout cas aucun mépris.

Il acquiesça donc d’un simple signe de tête, ne cachant pas un soulagement évident. Son baquet d’eau fut même porté par le garde jusqu’à sa tente et il le remercia avec sincérité. Il prit un certain temps pour se rendre un tant soit peu présentable. Il devait avouer qu’il aurait du mal à cacher ses cernes. Sigvald passa sur ces entrefaits pour lui faire part de son entrevue avec Nolan. Là encore, les deux hommes furent concis. Ilhan l’avait accueilli vêtu d’une simple tunique et de braies sombres, mais aucun des deux ne sembla s’en formaliser.

Il restait encore une heure à Ilhan devant lui avant qu’ils ne rejoignent le représentant de Caladon. Il s’accorda alors un instant de méditation et se concentra longuement devant un petit miroir pour lisser ses traits fatigués, arborer son fidèle masque neutre et vide de toute expression néfaste. Il eut bien du mal à défroisser ses vêtements, mais parvint tout de même à leur rendre une allure correcte. Sur sa tunique à haut col noire, il passa son éternel pourpoint bleu profond, et accrocha l’insigne de Délimar et de sa fonction sur sa poitrine. Il lissa encore ses braies sombres, enfila ses bottes noires, puis son petit sabre d’apparat. Il attrapa sa lourde cape noire renforcée de fourrure sur les épaules, et sortit enfin de la tente. Sigvald l’attendait sur le seuil, d’une allure digne.

Ilhan le détailla quelques instants et dut avouer au fond de lui être un peu jaloux de l’homme du Nord. Aucune trace du harassant voyage n’entachait son port de digne soldat, alors que lui-même avait mis un temps fou à retrouver un semblant de prestance. Force incarnée, l’homme dégageait une vigueur à toute épreuve. Mais, après tout, songea Ilhan, n’était-ce pas pour cela que Tryghild avait envoyé son général ? L’image de la force rassurante, de la sécurité, d’un vétéran que rien n’atteint, rien n’éprouve. Force inaltérable qui sera l’éternelle muraille pour les réfugiés contre tout danger. Ilhan inspira longuement, et hocha la tête vers Sigvald en guise de salut. Dans un silence calme, tous deux se dirigèrent vers les installations de Leweïnra.

Ils étaient attendus. Dès qu’ils arrivèrent aux abords, un homme vint les accueillir et les invita à le suivre. Ils furent introduits dans une tente arborant un certain confort, où l’elfe les attendait.

Belle soirée étoilée, Aldaron Leweïnra. Je vous remercie de nous accueillir, nous représentants de la noble Délimar, Bourgmestre de Caladon, fit-il en s’inclinant légèrement.

Son premier instinct était souvent de vouloir accorder à l’elfe le salut caractéristique de son peuple. Mais il se rappelait que Aldaron avait longtemps vécu chez les hommes, comme un homme. Il lui accordait alors à la place le salut humain. Et même le salut de noble à noble. Même si en ces terres libres, cette distinction n’avait aucune réelle signification. Il lui indiquait au moins par ce geste, qu’il le considérait d’égal à égal.

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    « Vous avez.... fait quoi ? »

    Sa voix tremblait d'une inquiétude étouffée. Il ne pouvait pas avoir la tête partout. Cordont lui mangeait suffisamment son énergie pour qu'il se préoccupe sincèrement de ce que lui, allait manger. Et pourtant, sur l'instant, cela revêtait d'une importance capitale : comment allait le prendre Ilhan ? Il serait embêtant de déclencher un incident diplomatique pour une chèvre mais... On allait tout de même pas en faire tout un plat ? Enfin si, justement, c'était ça, le problème. On avait pas idée de servir un gigot de chèvre à Ilhan... Et c'était pourtant ce qu'il allait faire malgré lui. Il n'eut toutefois pas le temps de s’appesantir sur la question ou de formuler des ordres réparateurs qu'une haute, très haute silhouette s'engouffrait dans l'ouverture de sa tente. Trop haute pour être Ivanyr car l'elfe avait congédié et pour cause : cette fois, cela aurait été avec Sigvald qu'il aurait déclenché un incident diplomatique. Pourquoi fallait-il que ses relations avec Délimar soient si compliquées ? La magie, les vampires... Les chèvres. Se massant l'arrête du nez, son visage se recomposa d'un masque régalien orné d'un sourire paisible qui dissimulait adroitement l'inquiétude qui l'habitait, sans pour autant avoir l'air oisif et insouciant. Avec une force posée qui le caractérisait si bien, il entamait à l'intention de l'Elusis : « Je suis navré : je leur avais dit d'utiliser des piquets plus hauts pour cette tente, ils n'ont pas eu l'air de comprendre pourquoi sur le coup... » Il roula des yeux, un bref sourire en coin, avant d'incliner respectueusement le buste dans sa direction pour le saluer. Ses longs cheveux blancs, lisses, coulaient par dessus ses épaules, encadrant un visage fin, comme couvert des cendres de Morneflamme. Ses traits arboraient une sérénité sérieuse et ses yeux verdoyant brillaient d'une intensité qui se dégageait du terme sombre de sa peau.

    Il s'était défait de ses artefacts pour cette soirée, délaissant une grande part de leur magie au profit d'une culture moins offensante pour des délimariens. Il avait retiré son armure pour revêtir des habits de bonne facture au style très épuré. Il n'aimait guère la surexposition des pierreries, broderies et dorures. S'il était un homme extrêmement riche, il ne l'affichait jamais. Son argent était utilisé à d'autres fins bien plus utiles que son apparat. Il ne portait que deux anneaux, l'un, d'or, était alliance qui le liait à Ivanyr, si les choses tournaient au vinaigre. Non pas avec les glacernois, mais eu égard de la tension qui régnait à Cordont, ils n'étaient pas à l'abri qu'un incident, même minime, vienne mettre le feu aux poudre. A cet effet, Foudre-Eclat, son arc de 62 pouces de long, reposait sur un présentoir dédié en retrait de la table où ils allaient dîner. Son bois clair et lisse était veinuré d'un métal destiné à garantir sa résistance physique et magique, ainsi qu'augmenter sa portée. L'alliage, qui soutenait la courbure du bois, était gravé d'un proverbe en langue nordique qui rappelait que le manteau de la vérité était doublé de mensonges. Sa jointure centrale était solidement ligaturée par une peau tannée de loup, provenant des montagnes de Glacern. L'elfe était bien plus lié à la cité de l'Honneur qu'il ne l'affichait. Il se retrouvait dans de nombreuses de leurs valeurs. Cet arc était celui avec lequel il avait combattu, aux côtés des glacernois, le tyran et les chimères. Il portait bien plus de vérités silencieuses sur l'homme qu'il était, qu'aucun récit bien avisé ne pourrait égaler.

    Si la tente état grande, des pans de tissus étaient refermés pour dissimuler les recoins plus intimes du lieu. Sa chambre et son bureau n'étaient guère à présenter. Ne restait qu'une large pièce au sol dur, couvert de peaux, pour soulager du froid de la terre rocheuse, et une table ronde usuellement prévue pour quatre personnes... mais eu égard de la corpulence de l'un de ses invités, cela ne serait pas de trop. Le couvert était dressé, dans une perfection de circonstance : c'était luxurieux pour un camp de potentielle guerre. Les assiettes, verres et couverts étaient d'argent. Les pains diffusaient une douce odeur céréalière, encore chaude et le vin les attendait. Les prunelles d'émeraude s'attardèrent sur les traits singuliers de Sigvald, qui avaient le don de le troubler par leur ressemblance certaine avec ceux d'Ivanyr, puis coulèrent sur un homme plus petit mais donc le visage lui était tout autant connu. Ilhan, son cher Ilhan. Un homme exceptionnel qu'il regrettait de ne pas voir dans les rangs du Marché Noir mais... peut-être était-ce mieux ainsi. Ses compétences en faisait un rival parfait qu'il aimait beaucoup taquiner. L'un et l'autre soutenaient une cité de l'Alliance et ordonnaient un équilibre qui aurait péricliter dans le chaos sans eux. Si Ilhan avait sa pouliche, l'elfe prévoyait de mettre la fille Ostiz à la tête de Caladon. Lui ne serait plus qu'un conseiller qui veillerait aux intérêts de la Revenante... Entre autres conspirations. C'était eux, les deux joueurs d'échecs de l'Alliance qui avaient juré de mettre leur pions en commun contre l'Empire et de s'affronter le reste du temps... Tout compte fait, ce gigot de chèvre tombait à pic.

    Le bourgmestre leva les yeux sur le haut de la tente, opaque, avant de revenir sur le politicien : « Et bien, je vais être forcé de vous croire pour les étoiles. » Il soulignait là qu'il n'avait guère eu l'occasion de sortir et qu'il recevait sous sa tente bien des généraux et des conseillers, qu'il n'avait à peine le temps de prendre l'air. Il aurait bien aimé, peut-être après le dîner. « Je vous en prie, Ilhan, vous allez ennuyer avant l'heure le Général Elusis avec vos mots pompeux. Soyez les bienvenus tous les deux, installez vous. » La langue nordique les avait brièvement salué avant de revenir à celle commune. Un geste calme de la main, il désignait la table. C'était bien le poele qui se moquait du chaudron : Aldaron était aussi un beau-parleur et savait aligner plus de mots qu'ils n'en fallait dans une seul phrase. La plaisanterie valait aussi pour lui même : il ferait montre de moins de subtilité et plus de franchise. C'était ce qu'il sous entendait en ces mots. « Vous avez l'air d'avoir fait bonne route, cela fait plaisir à voir. » Cette fois-ci, il ne regardait que l'Elusis et son vouvoiement était une politesse plus qu'un pluriel : Ilhan avait l'air, pour sa part, défait. Mais pour autant, ce 'vous' pouvait être inclusif et général. L'ambiguïté de la pique subtile ne manquerait pas de titiller les sens politiques d'Ilhan. La joute rhétorique serait discrète, mais elle viendrait égailler cette soirée qui promettait d'être un peu trop sérieuse à son goût.

    Prenant place à table, des domestiques portèrent les plats et remplirent leurs verres sans attendre. Ils savaient qu'Aldaron préférait aller marcher avec ses invités pour parler plus longuement. Mieux valait alors que le repas soit terminé à ce moment-là et puis... Delimar avait fait une longue route, ils devaient être affamés. « Du gigot de chèvre, il semblerait. J'espère que vous aimez cela, car je ne risque pas d'en manger à votre place. » Sa nature elfique le limitait aux végétaux. « Néanmoins, si vous préférez du poisson ou de la perdrix, je peux vous en faire servir. » Il était trop aimable à offrir une porte de sortie pour Ilhan alors que sous les traits de la bienséance, Aldaron se gaussait silencieusement de la farce. C'était tellement hilarant que se gorger des expressions étouffées du politicien délimarien. Une chance qu'il ait acquis une grande maîtrise de lui-même, ou il aurait probablement éclaté de rire. Ses traits de marbre s'étaient brisé un bref instant, laissant entrevoir l'ombre d'un rictus en coin, qui n'échapperait certainement par à l'éleveur de chèvres. N'était-ce pas de bonne guerre ?

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La plume courait sur le parchemin en un grattement rêche, couvrant la fibre de courbes élégantes à l'encre noire et vibrante. Les lignes se succédaient, à peine interrompues par quelques réflexions avant que la danse experte ne reprenne sa route et ne noircisse davantage encore la page. Sourcils froncés en une ligne sévère, Sigvald écarta le matériel d'écriture afin de saisir un bavoir qu'il posa proprement sur le parchemin, laissant le surplus d'encre y être absorbé. Avec un vague grondement, il se recula pour s'adosser au siège et laissa ses yeux pâles parcourir l'intérieur de la tente. Des rapports s'empilaient sur le bord de la table de stratégie qui, pour l'occasion, lui servait aussi de bureau. Certains, encore scellés, formaient un tas proprement ordonné alors que ceux dépliés s'entassaient en plusieurs petites piles devant lui. Tous portaient cependant des rubans aux codifications secrètes. Tendant une main, il caressa la fibre soyeuse d'un des rouleaux et esquissa l'ombre d'un sourire satisfait.

Ses hommes n'avaient pas lésiné depuis leur arrivée. Alors que la majorité montaient le camps, une minorité avait déjà commencé à passer le refuge des survivants au peigne fin pour collecter les doléances et organiser la distribution des biens apportés avec eux. Tandis qu'une seconde faction patrouillait les abords du gouffre afin d'en déterminer les points faibles ainsi que les rares zones d'accès pour y descendre, une autre était partie discrètement dans les bois et les collines alentours, commençant à repérer les zones propices à des postes de surveillance et des relais pour joindre Délimar et Caladon par voies terrestres. Milles hommes et femmes s'affairaient ainsi à des tâches précises, économes dans leur dépense mais ô combien efficaces et bornés dans leur réalisation. De fait, les rapports arrivaient graduellement, certains plus pertinents que d'autres et Sigvald prenait grand soin de tous les lire, les trier, puis d'y répondre selon l'urgence. Les heures défilaient sans qu'il ne les compte et l'après-midi fila ainsi à toute vitesse.

La fatigue commençait à se faire sentir, toutefois le temps jouait contre lui et il n'avait pas une minute pour se reposer. Cette nuit, probablement, grappillerait-il quelques heures de repos avant de se poursuivre son travail. Outre la paperasse, il devait s'afficher publiquement auprès de la population et ce dans le but de la rassurer et de lui confirmer le soutient offert par l'Océanique. Il comptait aider au déblaiement des ruines, voire même organiser des battues pour commencer à entreposer de la viande fraîche dans les fumoirs afin d'engranger des réserves pour cet hiver. Il y avait aussi les camps de mercenaires dont il devait se débarrasser au plus vite et surtout s'assurer qu'ils n'aillent pas vendre quelques informations que ce soit à des partis neutres et indésirables... Le pli sur son front s'accentua alors qu'il fronçait davantage encore les sourcils, la mine sévère. Il détestait ces chiens de guerre du plus profond de son être. Ils prenaient aisément la seconde place, après les vampires, et parvenaient même à supplanter les Kohan. S'il s'écoutait, il passerait chacun de ces traîtres au fil de son épée afin de s'assurer une bonne fois pour toute de leur silence et fidélité.

Mâchoire crispée sur ces pensées houleuses, il entendit quelqu'un se racler la gorge depuis l'autre côté des lourds pans de sa tente, à hauteur de l'entrée. Cillant légèrement, Sigvald appela le visiteur à entrer, se doutant déjà de son identité et vint à retirer le bavoir pour observer la lettre destinée à sa fiancée, l'Intendante Tryghild Svenn. Sans prêter attention au soldat qui se tenait à présent de l'autre côté de la massive table de stratégie, le Général survola les lignes sombres pour s'assurer de ne rien oublier, puis plia le parchemin en trois dans la hauteur, puis de même dans la largeur pour former un rectangle compacte qu'il scella d'une cire grise marbrée de blanc sur laquelle il apposa ensuite le blason de sa famille. Tenant le pliage d'une main le temps que le sceau refroidisse, il leva enfin ses orbes d'ardoise glacés sur la massive silhouette qui attendait en une posture de repos militaire impeccable.

«-  Lieutenant Løseth.
- Général. »

Il y eut un silence avant que l'homme ne se fende d'un léger sourire et ne vienne s'asseoir sur un coin de la table, faisant légèrement grincer cette dernière sous son poids. Glacernois pure souche, il s'agissait d'un homme dans la quarantaine bien tassée et excessivement massif. Mesurant dans les deux mètres cinquante, ce géant était un vétéran de guerre ainsi qu'un maître d'armes redoutable au même titre qu'un excellent pugiliste et cavalier. Capable d'étouffer un ours de ses bras, il aurait même arraché à mains nues la tête de son premier vampire... si la légende disait vraie. Aujourd'hui, il était à la tête du régiment de la Garde Loup attachée à la protection de Sigvald et, pour l'occasion, à celle d'Ilhan. Il s'agissait d'un homme fier dont l'honneur et la rigueur étaient typiques des valeurs de Glacern. Un homme qui avait épaulé Havard Svenn, combattu à ses côtés et veillé sur son jeune poulain même après sa mort. Voir Sigvald devenir Général n'avait en rien entamé son orgueil d'aîné, autant parce qu'il était celui qui avait aidé à forger cette mauvaise graine en un homme digne de représenter Délimar, mais parce qu'il avait su conquérir le plus grand trésor d'Havard : sa farouche princesse.

« - Comment se passe l'installation ? »

La question fit sortir le brun de ses pensées et il répondit avec nonchalance :

« - Le camps est entièrement monté. Bien sûr, dès que les forces Séléniennes auront battu en retraite et que les mercenaires auront quitté les lieux, nous devrons à notre tour le réorganiser, mais pour l'instant ça fera amplement l'affaire.
- Parfait. Le plan de ce soir est oppérationnel ?
- Tout à fait. Nous attendrons de voir les Cordontais achever leurs corvées pour ouvrir les fûts de bière et prétendre célébrer notre arrivée. Nous avons bon espoir que quelques curieux s'approcher et de là, nous les inviterons à nous rejoindre. A n'en pas douter, d'autres viendront et nous parviendrons sans mal à apprivoiser la classe ouvrière des survivants en peu de temps. Et toi... As-tu déjà fais ton rapport auprès d'Alente sur ta rencontre avec le petit Empereur ?
- Hmm … Qui ça ? »

Un autre silence s'imposa alors que Sigvald, ayant de nouveau baissé les yeux sur ses piles de rapports, faisait mine d'en lire un pour la énième fois. Malgré son calme apparent, une petite veine battait encore à sa tempe au sujet abordé et il refusa obstinément de croiser le regard de son mentor. Quelques secondes de plus s'égrenèrent avant qu'une lourde main ne s'abatte sur l'épaule massive du Général qui, malgré sa constitution, ne pu s'empêcher de se tasser d'un bon centimètre.

« - Bordel que t'es borné comme gamin... Tu lui en veux encore pour cette histoire de confort !?
- … Je ne vois pas de quoi tu parles. Souffla le cadet d'un ton acerbe.
- Sigvald... Le ton de voix fut réprobateur, comme celui d'un père grondant un gosse trop buté. Tu sais que depuis ce matin, il n'a pas pipé un mot de travers ? Même à la vue de la pauvreté de son mobilier ! Pas plus tard que tout à l'heure, il a essayé de puiser tout seul l'eau du puits et s'est même écorché ses jolies petites mains sur la corde rêche. »

Le blond fronça les sourcils d'un air dubitatif et releva la tête sur son ami pour l'observer d'un œil méfiant, croyant que l'autre se foutait encore de sa gueule. Combien de fois lui avait-il fais le coup ? Il en avait perdu le compte. Løseth était un vieux roublard, aussi rusé au combat que pour orienter ses hommes les plus bornés dans le bon sens. Cependant, le vétéran semblait sérieux pour une fois et Sigvald ne pu que pousser un long et lourd soupir alors qu'il lui chassait la main de son épaule afin de s'avachir dans le fauteuil. Croisant les bras sur son torse, il leva les yeux vers le plafond de la tente et resta un instant songeur.

« - Je vois... S'il montre réellement de la bonne volonté, je présume qu'il me serait injuste de continuer à le punir. Fais porter dans sa tente le reste de ses affaires, mais uniquement lorsque nous serons chez le Bourgmestre. Je n'ai pas envie d'entendre ses commentaires toute la soirée. »

Un vague sourire satisfait étira ses lèvres alors qu'il se redressait souplement et quittait son bureau pour effectuer quelques pas et se dégourdir les jambes. Si Ilhan avait réellement compris la leçon, alors autant lui rendre les tapis moelleux et isolants, les coussins brodés et les duvets qu'ils avaient emporté pour que leur petit diplomate ne soit pas trop dépaysé durant cette éprouvante mission. A la base, Sigvald n'avait même pas eut l'intention de confisquer ces biens, mais après la crise que l'autre lui avait piqué au beau milieu du trajet ? Il avait décidé de lui infliger cette punition pour qu'il comprenne combien sa condition était privilégiée comparé aux hommes et femmes qui dévouaient leur vie à sa sécurité et, justement, à son si précieux confort. Sans parler des conditions de vie que subissaient les réfugiés. Continuant de marcher en long et en large, il finit par s'arrêter lorsque Løseth lui parla d'autres affaires pressantes concernant les soldats en patrouille dans les bois.

Une heure plus tard et l'un des Garde Loup venait les interrompre pour leur signaler que le rendez-vous avec le Bourgmestre arrivait. Déstabilisé d'avoir consommé la journée sans même s'en rendre compte, Sigvald congédia son Lieutenant avec une accolade et passa derrière le paravent de sa tente pour se rafraîchir un peu. Il sortit afin de rejoindre son compatriote délimarien et lui donner, de façon fort concise, le rapport de son entrevue avec Nolan. Le voir en tenue si sobre manqua de lui arracher un commentaire acerbe, mais il se retint et quitta abruptement la tente d'Ilhan lorsqu'il n'eut plus rien à lui dire d'important. Il aurait assez à le supporter toute la soirée pour ne pas s'attarder en sa présence plus que de nécessaire. Profitant du temps qu'il lui restait avant le dîner, Sigvald fit un tour chez ses hommes pour s'assurer de lui-même que tout était en ordre et qu'ils ne manquaient de rien. Lorsqu'il entendit la cloche sonner, annonçant le début d'une nouvelle heure et surtout celle qui le concernait, il battit en retraite dans sa tente afin de se rafraîchir une seconde fois, voire même changer de vêtements pour arborer en la présence du bourgmestre autre chose qu'une tenue aussi sobre et peu représentative de son rang.

Pour autant, le Général n'alla pas jusqu'à sortir la tenue de parade. Enfilant une chemise propre beige et un pantalon noir, il ajouta une veste de cuir confortable avec un col en fourrure de lièvre blanc. Passant à ses poignets des brassards, il glissa dans le col son amulette avant de serrer d'un cran la double ceinture qui soutenait son épée organix, scindée en deux. De hautes bottes à semelles souples complétèrent la tenue, un couteau de chasse glissé dans la doublure d'une botte avant qu'il n'attache ses cheveux en un semi-catogan et ne vienne tailler un peu sa barbe de quelques jours. S'observant avec critique dans le reflet patiné de son miroir de cuivre, il finit par soupirer et sortit de la tente après avoir dédaigné sa cape. Il ne faisait pas encore assez froid pour qu'il se couvre davantage. A l'aide de grandes enjambées, il ne lui fallu qu'une poignée de minutes pour rejoindre Ilhan et l'attendre encore plusieurs minutes. Sourcils légèrement froncés, il allait pour le sortir par la peau du cul de sa tente quand ce dernier émergea de lui-même. Le regard d'ardoise acéré tomba lourdement sur la fine silhouette du diplomate et il vint étrécir les paupières sans faire le moindre commentaire, le trouvant vraiment trop froissé et fatigué pour son propre bien. Finalement, l'intervention de  Løseth n'avait réellement pas été vaine... Ce vieux loup avait bien joué son jeu.

« - Allons y. »

Ce fut d'une marche paisible qu'ils gagnèrent la tente du Bourgmestre, accompagnés par une garde réduite afin de ne pas insulter leur hôte, mais nécessaire pour la sécurité d'Ilhan et suivre quelques protocoles encore obscures au Général. La taille de l'habitation lui fit légèrement pincer des lèvres et il leva une main pour saisir les pans de l'ouverture afin qu'ils ne le dérangent pas lorsqu'il se courba légèrement, tête penchée sur le côté et chevelure ombrant son visage sévère par vagues de mèches lâches. Roulant des muscles et des épaules pour se glisser dans l'ouverture trop basse, il se redressa ensuite de toute sa hauteur avec dignité et impassibilité. Il pouvait sentir la toile effleurer son crâne et se déplaça avec une aisance surprenante pour sa carrure afin de gagner le centre de la tente où la hauteur de plafond ne représenterait plus une menace pour son confort.

« - Bourgmestre Leweïnra. »

La salutation fut sobre, annoncée d'une voix profonde et grave, respectueuse bien que dénuée de toute autre fioriture de courtoisie. Ses yeux pâles scrutèrent l'elfe avant qu'il n'observe avec sévérité Ilhan à l'entendre user d'entrée de jeu des termes aussi ronflants et préféra détourner son attention vers l'arc qu'il remarquait enfin, à l'autre bout de la pièce. Il reconnaissait la qualité, ainsi que les runes gravées en sa langue maternelle. Il notait aussi la fourrure des loups et plissa légèrement des yeux avec désapprobation alors qu'il adoptait une posture de repos militaire digne avec les mains croisées dans le creux des reins et les pieds légèrement écartés. Épaules carrées en arrière, dos droit et regard élevé au dessus de tous les autres, il enregistra les moindres détails de son environnement, ses faiblesses et ses points stratégiques, laissant les deux autres commencer leurs taquineries. Un lourd soupir lui échappa alors qu'il reportait une attention sévère sur les deux hommes, l'un marchand aussi rusé et fourbe qu'un renard lâché dans un poulailler, et l'autre ; politicien à la langue plus acérée et mielleuse qu'une patte d'ours dans une ruche.

La soirée allait être longue.

Rompant sa posture, il approcha de la table et s'installa avec prudence, jaugeant la taille du mobilier et ne voulant pas taper la table de ses genoux ou bien renverser sa chaise. Une fois sa grande carcasse d'installée, il déplia ses longues jambes pour les croiser à hauteur de chevilles et tendit à l'elfe une bouteille du meilleur hydromel de Délimar avec une expression toujours aussi impassible. Le cadeau venait réellement du cœur puisque cet alcool était la fierté de son peuple et puisque ces deux là semblaient bien partis, Sigvald espérait secrètement qu'Aldaron aurait au moins pitié de lui et ouvrirait cette bouteille plus tard, en digestif, afin de le sauver d'un ennuis mortel.

« - Nous avons coupé à travers les collines. Heureusement, nous n'avons confronté aucune intempérie et sommes arrivés dans les temps, sans compter de blessés ni de pertes matérielles. »

Factuel, il observa les domestiques faire le service et contempla ensuite le contenu de son assiette sans ciller.  L'incongruité de la situation lui échappait jusqu'à ce que l'elfe de cendre ne vienne ajouter son petit commentaire, arrachant à Sigvald un vague sourire acide alors qu'il tournait son attention sur ce pauvre vieux Ilhan. Et bien ! Il semblerait que la rumeur de sa nouvelle occupation n'ait dépassée les murailles de Délimar. N'allait-on retenir du génie altaïen que sa passion des chèvres ? S'adossant à la chaise, il prit d'une main son verre de vin et en huma le bouquet riche et rond avant d'en boire une première gorgée. Ce fut de sa voix rocailleuse qu'il lâcha le plus naturellement du monde :

« - Nous n'allons pas déranger votre domesticité pour si peu... à moins que vous n'ayez déjà prévu de servir, en cas d'urgence, un pavé de saumon braisé ? »

Il savait manquer de finesse dans sa réplique et s'en fichait royalement. Observant les deux hommes avec une expression sévère, il fronça légèrement les sourcils.

« - Bien. Maintenant que l'on a fait le tour des courtoisies de salon, peut-on engager le cœur du sujet ? Si toutefois vous vous sentez encore d'humeur à vous renifler, faites donc. Mais vous avez tout intérêt à finir avant que je n'ai vidé mon assiette... »

Grondante, la menace qu'il perde patience d'ici là flotta un instant dans l'air avant qu'il ne prenne ses couverts et ne commence à manger. La situation de Cordont lui paraissait bien trop précaire pour qu'ils perdent du temps avec ce genre d'enfantillage. Borné et silencieux, Sigvald se força à ne pas précipiter son appétit pour laisser toutefois, aux deux commères, un peu de temps pour elles.

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Ainsi l’elfe souhaitait abandonner l’art des mots doux et soyeux ? Serait-il prêt à adopter celui plus rigoureux de la franchise et le double tranchant de la vérité crue ? Ilhan en doutait. Il n’était pas bien sûr d’en être tout à fait capable lui-même. Peut-être pourraient-ils se parer d’un peu moins de ronflant, d’un peu plus de mordant. Aller à l’essentiel sans enrobage artificiel, soit, peut-être. Mais de là à abandonner le rare plaisir qu’il avait ces temps-ci d’une petite joute verbale ? Ce serait là soirée bien cruelle.

Et déjà la joute commençait. Qu’on ne lui parle pas de cette maudite chevauchée ! Il en avait le souvenir cuisant sur les cuisses. Il se demandait encore comment il allait parvenir à s’asseoir sans s'écrier. Et ce bougre de bourgmestre le devinait ! Ils se connaissaient bien trop tous deux et Aldaron avait apparemment bien compris dans quel état était réellement Ilhan. Le diplomate grimaça intérieurement en songeant à l’avantage que son rival allait en tirer, mais ne se départit pas pour autant de son éternel sourire énigmatique.

Il préféra ne rien répondre et garder son air impassible habituel. Il ne sourcilla pas et jeta un rapide regard en coin à son compagnon délimarien. Fidèle soldat presque au garde-à-vous, nota-t-il. Il retint un reniflement amusé, et se contenta de suivre le geste de l’elfe qui leur désignait la table. D’un œil vif et acéré, il fit le tour des mets, couverts, et vins. Il ne put s’empêcher de scruter chaque élément, à l’affût de tout objet magique, dangereux, ou pire empoisonné. Il retint de justesse un mouvement pour vérifier si son antidote était bien dans sa poche, et se morigéna intérieurement. Nul besoin d’être ainsi aux aguets dans cette tente. Nul empoisonnement ou nulle attaque fourbe attentant à sa vie n’était à craindre en ces lieux. Si la seule présence du délimarien à ses côtés était déjà un élément suffisamment dissuasif en soi, il devait surtout se rappeler qu’il n’était plus à Gloria, qu’il n’était plus une cible potentielle de telles bassesses.

Il se força donc à se détendre et s’installa à la tablée auprès des deux autres. Retenant à grande peine une grimace de déformer son sourire quand ses cuisses, brûlées par les longues heures d’équitation imposées, touchèrent le siège. Il pria en son for intérieur que le petit manège des domestiques ait été suffisamment distrayant pour masquer son mouvement ralenti. Il ne put retenir un léger soupir quand enfin il se stabilisa sans crier sa douleur tout en se mordant la langue. Pas trop fort tout de même la morsure. C’était là l’un des rares organes utiles dans sa carcasse de vieil althaïen, il ne faudrait pas trop l’abîmer.

Mais s’il crut son mini calvaire fini une fois installé, il se figea soudain, un bref instant, aux mots de l’elfe. Socrate ! Il lui donnait à manger son Socrate en gigot ! Il riva un regard noir peu amène vers le plat de viande et maudit le bourgmestre de se moquer ainsi de lui. Il se mordit les joues pour ne pas cracher la remarque acerbe et le sarcasme caustique qui lui venait à l’esprit, et récita un rapide mantra mental pour rappeler le calme en lui. Il se sentit un brin blêmir, maudissant d’être si fatigué pour ne pas se contrôler aussi bien que d’habitude, et se força à lisser ses traits de toute expression. Il parvint à ne pas perdre son fameux sourire pendant tout ce manège et releva un regard perçant sur l’elfe.

Ainsi donc il savait pour ce qu’on appelait sa nouvelle hobby des chèvres. Personne n’avait cru son désir de partir s’isoler avec elles dans un coin paisible loin du brouhaha des politico-magouilleurs. Et pourtant… Mais là n’était pas la question. La question était de savoir à quel petit jeu jouait soudain son vieux rival.

De deux choses l’une : soit il savait l’attachement réel d’Ilhan pour ses chèvres et le testait alors, soit il se moquait tout simplement. Ilhan doutait de la première option cependant. L’elfe le connaissait assez bien normalement. Il savait qu’Ilhan avait chassé toute attache de sa vie. Il y a près de vingt ans, il s’était juré de ne plus se lier, à quiconque, de quelque manière que ce soit, de ne plus prendre ni épouse ni famille, quand il avait perdu tous les siens. Pas d’attachement, pas de liens, pas d’emprise, avait-il vite compris quand il avait commencé à entrer dans les jeux politiques. Et il était devenu réputé pour être un éternel solitaire à ce titre depuis. Non, l’elfe ne pourrait croire décemment que des chèvres auraient une quelconque emprise sur un politicien de son acabit. Même s’il devait avouer… mais pas au point de pouvoir jouer sur lui.

Non, la deuxième option était la plus judicieuse. Boutade, moquerie, entre deux vieux compères se retrouvant. Et petit test diplomatique en prime. Soit, autant jouer son jeu donc. Il avait alors plusieurs possibilités pour répondre à cette petite pique taquine. Il aurait pu se la jouer outragé, tels que certains courtisans et nobliaux l'auraient fait à Gloria, dans la Cour où tout se surjouait... ou il aurait pu se la jouer faussement blessé et en appeler à l'incident diplomatique pour réclamer ensuite son dû pour prétendue réparation... Mais ici, à Cordont, face à un tel sinistre, et au sein de l'Alliance où des jeux plus importants se disputaient ? Non, cela ne serait pas de bon ton... Et ces jeux lui avaient bien trop pesé en son temps de Gloria pour qu'il les perpétue ici aussi. S'il avait voulu s'isoler avec ses chèvres, ce n'était pas pour rien.

Non, ce n'était pas ces cordes-là qu'il devait tirer ici. Il servait Délimar. Il se devait de se montrer digne de cette belle cité, il se devait d'adopter un comportement aussi proche que possible de ce fier peuple. Parler avec honneur, fierté, et franchise... autant que faire se pouvait en politique du moins. Sans fourberie éhontée en tout cas.

Il décida donc de botter en touche et de concéder à l'elfe un petit point de victoire. Lui faire croire une petite bataille de gagner.

Et puis, pour être honnête, il ne se voyait pas manger son Hypolite ou son Épicure. Adieu chair tendre et savoureuse pour ce soir, donc. Monde cruel ! Il détestait Cordont ! Il détestait l’elfe qui se gaussait intérieurement en ce moment ! Oh oui il l’avait bien vu, ce petit sourire esquissé vite disparu. Ce n’était pas à un vieux singe qu’on apprenait la grimace. Même si l’elfe techniquement était bien plus âgé que lui.

Et il détestait Sigvald et son petit sourire en coin dans son verre ! Il se retint de lever les yeux au ciel à la brusquerie habituelle du délimarien. Au revoir finesse, bonjour franchise. Mais pourquoi diantre était-il venu s’embourber dans une telle situation ? Ah oui, Tryghild. Délimar. Calastin. Quel vieil imbécile il faisait parfois avec ses rêves à la noix.

Notre ami a raison, fit-il en regardant l’elfe droit dans les yeux sans se départir de son petit rictus.

Un brin plus crispé le rictus, dut-il avouer.

J’espère que vous ne prendrez pas comme un incident diplomatique le fait que je ne goûte pas votre gigot ce soir. Quand bien même je le devine…

Amèrement chévricide !

Délicieux. Mais cela fait longtemps que je n’ai pas mangé végétarien.

Petite référence à son séjour chez les baptistrels il y a longtemps.

Ce sera là une belle soirée pour en redécouvrir les bienfaits.

Il jeta un coup d’œil à son compagnon délimarien qui commençait déjà à manger. Ah oui, c’est vrai. Ils avaient dit pas de palabres. Pas trop du moins. Il allait devoir faire un effort et contenir son petit plaisir du soir. À croire qu’en ces lieux, tout plaisir lui serait retiré. Mais, après tout, pourquoi aurait-il droit à quelque plaisir que ce soit, quand on songeait que les rescapés du sinistre n’en avaient plus aucun ? Sa mine s’assombrit légèrement, alors qu’il observait son compagnon porter une bouchée à ses lèvres et son sourire manqua se faner, pour la première fois depuis sa carrière. Il se reprit rapidement, mais son regard se fit plus sérieux et coupant, quand il se retourna vers l’elfe et reprit la parole :

Vous n’aurez qu’à servir ma part de gigot au malade le plus nécessiteux. Ou mieux. Le poisson et la perdrix que vous m’offriez seront également au menu pour les autres malades, si cela sied aussi à Caladon.

Cette fois, son sourire s’élargit. Un sourire entre sincérité farouche et rictus carnassier. Sans attendre, il se servit de légumes et but une rapide gorgée de vin. Il en savoura les arômes tout en fermant les yeux.

Je n’en avais pas bu de tel depuis quelque temps, laissa-t-il flotter songeur. Vous nous choyez.

Sa voix se teinta d'un brin de moquerie. Petite pique un peu mesquine, qui faisait référence au fameux gigot. Même si un filet de sincérité s'y dessinait aussi, face à tout ce faste qu'il goûtait avec un réel délice. Puis il rouvrit soudain ses orbes sombres, et reprit, d’une vois plus énergique :

Mais assez palabré. Passons aux choses sérieuses, comme le souhaite notre général. Délimar est là, comme promis.

Sous-entendu, nous tenons et tiendrons nos engagements, en hommes d’honneur que nous sommes.

Avec tout le nécessaire. Nous sommes parés, comme vous l’avez constaté, pour aider le peuple de Cordont à se relever de cette épreuve et à se reconstruire. Notre armée est déjà à l’oeuvre pour sécuriser les lieux. Ce que vous voyez là au dehors, tous ces hommes au labeur, ce camp déjà fièrement dressé, ce matériel prêt à servir, nos spécialistes déjà actifs, tout cela n’est qu’une infime partie de ce nous apportons. Nos bateaux..

Bon un seul mais on lui pardonnera cet écueil stylistique de langage...

Arrivent avec bien plus encore.

En clair, nous sommes là et allons prendre part pleinement à ce qui se passe ici. En accord avec Caladon, main dans la main ensemble, dans l’idéal…

Il fit rouler un instant le vin dans son verre, le reposa dans un geste indolent, puis attrapa sa fourchette. La relâcha de suite, sous la brûlure de sa main droite, et l'attrapa de sa main gauche, bénissant les esprits d'être ambidextre. Même si chaque tâche avait une main principale attitrée. Il joua de sa fourchette dans son assiette, sans pour autant toucher encore aux mets. Vieille habitude de ne rien avaler avant que les autres n’aient goûté avant lui...

Mais avant de parler organisation, il faut aplanir la… crise... politique.

Il laissa ses mots traîner d’une voix grave, faisant bien sonner chacun, non pas comme une menace, mais comme un fait potentiel qui se dessinait et qu’ils devaient circonscrire rapidement pour éviter que la situation ne s’enlise et pourrisse. Ou pire. Sans parler du danger des golems souterrains.

Si vous voyez ce que je veux dire...

Encore de ses célèbres accents trainants.

Où en est la situation ? Au-delà de ce que nous avons pu constater de nos propres yeux, j’entends.

Et ses propos étaient assez explicites, sous couvert de bons mots, pour que l’elfe comprenne : il voulait un rapport de son entrevue avec l’empereur Nolan, et de tout ce qui s’était dit ou décidé sur le plan géopolitique. L’organisation matérielle serait un point à aborder ensuite, certes, mais en second temps. Ilhan souhaitait qu’ils éclaircissent les points épineux en premier. Tant qu’à avoir des aigreurs d’estomac… autant les avoir de suite.

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    La brusquerie du délimarien détourna l'attention que l'elfe portait sur Ilhan et lui faisait à la fois l'effet d'une douche froide et d'un rappel à l'ordre légitime. Les prunelles claires de l'Elusis avaient quelque chose de troublant, pour Aldaron, par leur similarité avec celles d'Ivanyr. Il avait tendance à baisser sa garde, instinctivement, à lui faire confiance et il finirait par déraper au moment le moins opportun, c'était certain. Ainsi, il haussa doucement les épaules à l'évocation du pavé de saumon braisé, visiblement peu enclin à esquiver l'indélicatesse. S'il taquinait ce bon vieux camarade de politique, il n'en demeurait pas moins vrai qu'il acceptait de se prêter tout autant au jeu. Il ne s'attendait, cependant, pas à ce que sa rivale de l'Alliance le cuisine de la sorte. Ses lèvres cendrées demeurèrent scellées, même lorsqu'Ilhan proposa de servir les plats aux blessés. Vu le faible nombre de ces malheureux qui avaient survécu, cela serait bien moins coûteux à Caladon que ce que la moquerie d'Ilhan escomptait déclencher. « Évidement. Je n'ai pas pour habitude de manquer de générosité. » Il soulignait là une réalité qui était criante tout en chargeant sa réplique d'un grand nombre de sous-entendu.

    Le plus visible était probablement la manière déconcertante avec laquelle il avait glissé de la générosité de Caladon, qu'Ilhan appelait de ses vœux plaisantins, à sa générosité personnelle. Il soulignait là, qu'en dépit de la productivité de Caladon, sa propre place à la tête de la Cité Libre assurait une sécurité et une solidité financière comme seul le Marché Noir en avait jadis connu. Les contrats qu'il soldait, les routes commerciales qu'il ouvrait étaient choisies avec un soin méticuleux et l'assurance qu'elles seraient rentables. A cela s'ajoutait l'action invisible du Marché Noir sur la bourse de la ville. Ainsi il pouvait se targuer d'être la main maîtresse de la générosité de Caladon, puisqu'il était la principale source de revenue de ce foyer chéri. Le second sous-entendu rappelait sa nature en tant qu'individu. Si la majorité des caladoniens était pingre, Aldaron n'avait jamais exhibé sa propre richesse. Elle était là, sourde et puissante, mais elle se voulait humble. Son histoire auprès du 'défunt' Marché Noir ne faisait que souligner ce trait qui lui était propre : tout l'or qu'avait pu brasser son organisation avait été investi dans des causes. Jamais la Triade ne s'était servie la première, elle avait successivement fait vivre la Rébellion, le Protectorat, la caste des Dragonniers et maintenant Caladon.

    « A plus forte raison lorsqu'il s'agit de mes alliés... » Souligna-t-il, pour confirmer qu'il ne prendrait pas mal son refus de goutter au gigot tout en renouvelant son serment de solidarité. « Ou de mes protégés. » Si par ce mot significatif, l'elfe faisait planer l'aura du Marché Noir de manière sibylline, il faisait aussi écho au titre qu'il avait donné à la cité dévastée : Cordont, la Protégée. Il n'avait pas besoin de souligner à Ilhan qu'il savait exactement ce que transportait le navire délimarien à venir, puisque celui-ci avait fait une halte à Caladon pour être chargé de vivre périssables. Délimar avait fait montre de générosité, mais là où elle brillait par son armée hors du commun, c'était Caladon qui brillerait pour ses dons. Les caisses de l'Océanique n'étaient pas aussi fournies que celles de la Revenante. Voir Délimar vanter ses capacités miraculeuses à offrir des biens matériels, c'était comme voir Caladon s'extasier sur son armée de mercenaires : c'était bien, mais il était quand même préférable que l'un n'empiète pas sur les spécialités de l'autre au risque de paraître ridicule dans son affirmation. Et pour confirmer le fond de sa pensée, il acheva son propos par un : « Ainsi nous apportons chacun la sécurité à Cordont : la garde Loup a fait une très forte impression à son arrivée. » Son regard coula sur Sigvald avec douceur et sincérité : « Il est bon de pouvoir se rassurer à sa présence après les jours tremblants que nous avons traversés. » Tout comme il avait été personnellement satisfait de retrouver son propre Loup en la présence d'Ivanyr, les Caladoniens avaient été ravis de se faire entourer par les hautes carrures protectrices des nordiques.

    Avant de répondre à la dernière question du Conseiller, le Bourgmestre s'adossa dans le fond de son assise pour goûter le vin de table. Probablement s'offrirait-il le luxe d'un digestif à l'hydromel, puisque la boisson lui avait été offerte si généreusement. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas savouré cet alcool fort. Les domestiques profitaient de l'interlude pour remplir les assiettes des convives et la sienne. « Quant à la crise... » Il reposa délicatement son verre avant de saisir sa fourchette et piquer un premier légume. « A l'arrivée de Nolan Kohan, nous avons acté une trêve provisoire le temps des négociations afin que ce précipice ne devienne un champ de bataille. Nous avons convenu qu'aucune exploration n'aurait lieu jusqu'à la ratification d'un accord et que l'Empire comme l'Alliance pourrait venir en aide aux rescapés de manière qui lui convient et qui lui est possible. En dépit de nos camps opposés, je salue sa volonté affirmée de prendre du recul sur la situation et de ne pas mettre promptement la main à l'épée après mon Annexion. » Il fallait bien rendre à Seyzhär ce qui appartenait à Seyzhär, comme on disait chez les elfes, même s'il n'avait jamais compris d'où venait cette expression. Probablement un roi de jadis...

    « J'ai à nouveau rencontré l'Empereur et nous avons fait part l'un à l'autre de notre volonté commune. Nous ne souhaitons pas verser le sang inutilement et préférons trouver un accord, tant que cela reste possible. Il désire prendre part à Cordont, tant pour assurer la reconstruction de la ville après le désastre que pour garantir sa propre sécurité. Je lui ai indiqué que Caladon était prête à faire des concessions, à tolérer sa présence dans les limites et conditions que nous fixerions ensemble, une fois la délégation de Délimar présente. » Ce qui était le cas maintenant. « Pour être tout à fait honnête avec vous... C'est là que commence mon problème. » S'il montrait son flanc pour se prendre ? Sûrement. Ici se trouvait la défaillance de la mentalité et du système Caladoniens. Néanmoins, il avait foi que les rivalités devaient être mises de côté au profit de la transparence. Son aveu était la marque immaculée de son honnêteté : « Si une part de mon Conseil se montre vindicte, l'autre fait les pieds froids devant le spectre de la guerre et m'a demandé de transiger le plus possible avec l'Empire. Hélas – ou heureusement – il n'est pas dans mon tempérament personnel d'ignorer le danger de concessions laxistes et il est possible que même une argumentation raisonnée ne puisse m'octroyer la voix majoritaire de mon Conseil pour valider ma fermeté. »

    Tout comme il était possible qu'il se fasse entendre aisément... Mais il ne voulait pas finir accablé par une surestimation de ses compétences. En vérité, plus que d'être demandeur de la voix ferme de Délimar, il venait surtout verrouiller ses propres positions et s'assurer que son Conseil ne puisse esquiver ces choix nécessaires. S'il devait y avoir une guerre, il y aurait une guerre. Et ça... Plus d'un être, connaissant la force de conviction de l'elfe, en arriverait à cette conclusion. Il n'avait pas réellement besoin de l'inflexibilité de Délimar, mais elle était une facilité à laquelle il préférait adhérer... D'autant plus qu'elle lui permettait de souligner la force de l'Alliance : chacun avait ses atouts dont il serait triste de se passer pour excès de fierté. « J'ai rendu visite à Tryghild Svenn, il y a deux jours. Je lui ai confirmé que Caladon suivrait son allié dans sa rigueur si Délimar en annonçait sa volonté ferme. Néanmoins... Tant pour mon Conseil que pour la promesse que j'ai faite à l'Empire d'adoucir notre position, j'ai demandé à l'Intendante de se montrer ouverte à l'idée d'une acceptation restrictive, sécuritaire, encadrée et/ou progressive de Sélénia. » Cela ferait sûrement grincer des dents, mais c'était un mal nécessaire. Une bonne négociation laissait toutes les parties frustrées, disait-on.

    « Nolan Kohan m'a fait savoir qu'il accepterait une annexion provisoire d'un an de Cordont par Caladon ouisqu'une main était tendue à son égard. J'ai donc été cette main et j'espère qu'il tiendra parole également. Évidement, l'annexion sera ratifiée pour l'Alliance. Je ne pouvais légitimement prendre position avant pour l'intégralité des Cités Libres sans avoir la confirmation que Délimar acceptait de s'y investir. Ce qui m'en fait venir au dernier point. » Il porta ses prunelles verdoyantes sur le conseiller de Tryghild : « Loin de moi est l'envie de me passer de votre diplomatie, Monsieur Avente. Il est néanmoins des propos qui ne peuvent vous choisir pour intermédiaire entre l'Intendante et moi. De ces propos figurent la demande de pardon. Si je suis allé directement à la rencontre Dame Svenn, c'était pour lui présenter des excuses. Si j'affirme toujours que l'Annexion immédiate de Cordont était une exigence pour avoir la main de maîtrise sur la crise à venir, j'affirme également qu'il était tout aussi indispensable d'assurer la cohésion de l'Alliance avant de prendre toute décision. J'ai fait un choix entre deux nécessités primordiales, mais acter la première ne m'exonère guère de regretter ne pas avoir privillégié la seconde. » Marquant une pause pour asseoir son propos, il ajouta finalement : « En vérité, il ne reste à présent plus qu'à attendre la position de l'Empire quant à l'abandon de Cordont. Soit il accepte et nous avons à organiser la tutelle de Cordont. Soit il refuse et nous avons à organiser notre défense. »

    Il bifurqua à nouveau son regard sur Sigvald : « Comment s'est passé votre entretien ? » Bien sûr qu'il savait qu'il avait rencontré Nolan. Tout le monde savait tout ce qui se passait sur ce camp tant la tension était palpable.

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À la mention de générosité envers les alliés, Ilhan se contenta de sourire plus encore. Un sourire marquant de l’amusement certain et un brin d’ironie, le tout distillé avec une pincée d’appréciation. L’elfe était redoutable. En deux phrases à peine, il soulignait qu’il détenait une grande partie des cordons de la bourse de l’Alliance, qu’eux tous étaient normalement des alliés, et non des rivaux devant se tirer dans les pattes, et que Cordont était sous son aile. Pour le moment du moins. Sous leurs ailes à tous, s’ils marchaient main dans la main. Du moins Ilhan l’espérait. Mais il était à peu près sûr qu’Aldaron le pensait aussi. Du moins autant que faire se pourrait. Ilhan fut tenté un instant de le corriger en précisant « nos protégés », mais se ravisa ensuite. Ce serait là jeter de l’huile sur un feu qui n’avait pas besoin de brûler plus encore. Cordont était annexé à Caladon. C’était un fait, ratifié par Tryghild et Délimar, même si par la force des choses. Ils devaient d’abord se concerter sur comment agir ensemble avant de parler de « nous ». Ce mot se construirait ensuite au jour le jour.

Et il y avait beaucoup à construire.

En tout cas, dans ces quelques paroles, Ilhan venait au moins d’obtenir une réponse à l’une de ses grandes questions. Le Marché Noir. Il était bel et bien actif, tel ressuscité de ses cendres. Tout comme ses propres araignées s’étaient remises peu à peu en mouvement. Il avait probablement en face de lui la Triade, en plus de Caladon. Et c’était là un fait à ne pas oublier.

Ilhan observa l’elfe prendre enfin, enfin !, un de ces légumes et l’avaler lentement. Dans un discret soupir, Ilhan l’imita. Et dut se retenir pour ne pas gémir de plaisir en fermant les yeux. Enfin, enfin !, une nourriture décente. Il n’avait pas mangé de tels délices depuis… des… Bon seulement dix jours, certes. Mais cela lui avait paru une éternité. Petit enfant gâté qu’il était, songea-t-il subrepticement. Il n’en sourit pas moins à sa deuxième bouchée. Il écouta attentivement l’elfe, tout en savourant son repas. Il remercia ses bonnes manières de parvenir à ne pas se ruer sur la nourriture savoureuse et à manger, certes avec un entrain peut-être peu coutumier le concernant, mais toujours avec décence.

Certaines choses relatées par le bourgmestre de Caladon étaient rassurantes. Qu’ils soient parvenus à une trêve et à parlementer un tant soit peu était déjà un grand pas et un grand progrès. Un signe que tous souhaitaient éviter une nouvelle guerre. Attendre pour lancer de potentielles explorations lui semblait sage aussi. Il ne put qu’acquiescer en silence. Que l’empereur souhaite prendre part à la reconstruction de Cordont ne l’étonnait guère non plus.

Mais son entrain à manger se fana un brin, à la suite du discours de l’efle. Il n’était pas bien sûr d’aimer ce qu’il entendait. Transiger le plus possible avec l’Empire ? Transiger jusqu’à quel point ? Voilà, les aigreurs d’estomac allaient commencer. Sa fourchette ralentit un peu l’allure, sans pour autant s’arrêter totalement.

« Je lui ai indiqué que Caladon était prête à faire des concessions, à tolérer sa présence dans les limites et conditions que nous fixerions ensemble, une fois la délégation de Délimar présente. »

Ce qu’Ilhan entrevoyait là lui donnait quelques sueurs froides pour Délimar, pour tout dire. Même s’il n’en montra rien. Entre les lignes de tous ces beaux mots, Ilhan apercevait un possible scénario qui pourrait jouer en défaveur de Délimar et détruire sa réputation grimpante. Caladon disait accepter de faire des concessions, du moins une partie du conseil : cela permettrait alors à Caladon de montrer à l’Empire un visage avenant, beau joueur. Pacifiste. En disant attendre l’arrivée de Délimar pour fixer les conditions de la présence sélénienne, Caladon donnait là, potentiellement, le rôle du belligérant vindicatif, intransigeant, obtus ou rancunier, à Délimar. Ou comment se baser sur un fond de vérité pour tirer au mieux son épingle du jeu. Même si voir Délimar ainsi revenait à balayer tout le passé du peuple délimarien, et à nier que ses possibles conditions étaient basées sur de la méfiance plus que sur une volonté de guerroyer ou conquérir. Pour contrer cette possibilité, il allait falloir soigner leur image, montrer aussi leur volonté de paix, d’entente. Voilà en tout cas des points qu’il lui faudrait souligner à Tryghild.

Certes considérer de telles possibilités revenait à extrapoler vers un avenir pas même esquissé. C’était là forcer le trait sur les fourberies potentielles de leurs possibles adversaires. Mais c’était aussi le rôle d’Ilhan de voir les coups que les autres en face pouvaient, pourraient, jouer et aider Délimar à les parer. Si une guerre se déclarait, il était hors de question que l’on impute cette guerre à l’intransigeance de Délimar. Si guerre il y avait, les torts seraient partagés. Et ce serait un échec personnel, quelque part, pour Ilhan. L’échec de la diplomatie. L’échec du pouvoir des mots...

Ilhan se contenta de hocher la tête au reste des paroles. Il rumina en silence quand l’elfe parla d’avoir contacté Tryghild. Non pas sur le fait qu’il l’ait contactée, ou qu’il ait pu dénigrer le diplomate présent. Il n’avait pas un tel égo au point de se préoccuper de ce genre de choses, il ne lui semblait pas anormal que deux dirigeants veuillent parfois échanger en direct. Non ce qui le faisait réagir, c’était plus la teneur des propos. Demander à l’Intendante ? À ces mots, Ilhan haussa un sourcil, et son rictus se durcit légèrement. En quel honneur Caladon donnerait-elle des consignes, ou même des conseils, à Délimar ? Quand bien même le conseil était bien fondé, il devait l’admettre, pour l’avoir lui-même soutenu, même si pas en ces termes. Il garda silence toutefois et se contenta de grincer des dents intérieurement. Il devait faire confiance à Tryghild, elle était bien assez grande, ce sans mauvais jeu de mots, pour rabattre le caquet à quiconque oserait outrepasser ses prérogatives, si tel avait été le cas.

Par contre le reste l’intéressa bien plus encore, et chassa sa soudaine morosité. L’annexion avait été… acceptée… par l’Empereur ? Telle quelle ? S’il n’avait pas été si maître de lui-même, sa fourchette lui en serait tombée des mains. Il ne put réprimer un léger instant où il se figea, mais parvint à bien vite se reprendre. Lors de l’entretien que Nolan Kohan avait eu avec Sigvald, d’autres idées avaient été émises. Il n’avait pas vraiment été question de ratifier l’annexion. D’accepter une éventuelle tutelle, oui, à demi-mots, et encore, mais l’Empereur avait précisé ne pas accepter de conquête… et n’avait donc pas clairement explicité accepter l’annexion. De ce qu’Ilhan avait cru comprendre, Nolan ne voulait pas abandonner Cordont aux mains de l’Alliance sans garder un droit de regard. Certes, Sigvald avait encouragé l’Empereur à parler à coeur ouvert et à exposer ses idées, sans prendre en compte ce qu’il avait pu dire avec Aldaron. Ce qui pouvait expliquer cette légère différence de discours. Mais...

Mais déjà l’esprit d’Ilhan reprenait ses rouages d’analyse, tentant d’entrevoir toutes les connexions, tous les fils qui soudain se dessinaient devant eux. L’annexion avait été acceptée. Peut-être pas formellement, mais… C’était là un fait important. Ce simple fait pourrait leur faciliter les choses. Cela ne voudrait pas dire qu’ils ne devraient faire aucune concession. Il leur faudrait aussi montrer leur bonne volonté. L’annexion acceptée, presque ratifiée même si oralement, leur ouvrait cependant un grand nombre de portes. Si toutefois l’Empereur ne revenait pas sur cette parole.

Et c’était là toute la question. L’Empereur avait-il dit, tel quel, avoir accepté l’annexion ? Non pas qu’il doutât des paroles d’Aldaron. Il savait l’elfe capable de mentir, mais… non, en cet instant, il ne notait aucune fourberie, aucun signe de mensonge. Et en mensonge, il s’y connaissait, pour en pratiquer l’exercice régulièrement. Mais il voulait savoir la teneur exacte des paroles de l’Empereur. Les mots étaient importants. Il en jouait suffisamment pour le savoir…

Et, si annexion acceptée, l’Empereur s’y tiendrait-il ? Avait-il évoqué ses idées au Général de Délimar dans le secret espoir qu’une autre solution soit acceptée à la place de cette annexion ? Si l’Alliance gardait ses positions sur la question de l’annexion, l’Empereur tiendrait-il cette parole donnée devant le bourgmestre de Caladon, même si informellement ? Ilhan nota tous ces points à éclaircir dans un coin de sa tête. Et reporta son attention sur l’elfe.

Quand Aldaron fit mine de s’excuser auprès de lui pour avoir contacté directement l’Intendante, Ilhan chassa ces propos d’un geste de main, telle une mouche peu intéressante. Ils avaient plus urgent. Il avait plus urgent à penser surtout. Leurs ego n’avaient aucune raison d’être en ces circonstances. Il acquiesça toutefois, toujours en silence, quand l’autre parla de pardon, de cohésion de l’Alliance. Oh oui il pouvait demander pardon à Tryghild de l’avoir mise devant le fait accompli et de l’avoir forcée à acter aussi cette annexion sans autre choix, pour faire front uni face à l’Empire. Même si demander pardon ne servait plus à rien dès lors. Mais le geste était beau et se devait d’être noté. Et, Ilhan le concédait, l’elfe n’avait guère eu beaucoup de choix, aucun enviable en tout cas, devant l’urgence de la situation. Pour tout avouer, s’il avait été à la place de l’elfe… sans doute aurait-il agi de même. Ou de façon très similaire…

Je pense que l’Intendante de Délimar vous a déjà répondu sur tous ces points. Nous ne jugerons pas vos actions. Quel que soit ce que nous pouvons en penser, nous avons choisi de faire front uni.

Il laissa ses accents trainer sur ces deux mots en particulier. Comme pour mieux leur donner consistance.

Puis l’elfe se tourna vers le général et lui demanda de partager à son tour la teneur de son entretien avec l’Empereur enfant. Ilhan observa Sigvald d’un regard en biais… le vit se tendre, puis lui faire signe de répondre à sa place. Ilhan soupira intérieurement. Il aurait aimé ce petit laps de temps pour réfléchir un peu à tout ce qu’il avait entendu, pour trier, tisser, les informations. Il ne broncha pas toutefois, posa simplement sa fourchette, prit une lampée de vin, puis se tourna de nouveau vers l’elfe cendré. Il le darda un long moment de ses orbes d’obsidienne avant de finalement reprendre la parole, tout en reposant son verre d’un geste lent.

La teneur de cet entretien a été un brin différente. Toutefois, avant de vous en relater les grandes lignes, il me faut préciser que Notre Général Sigvald ici présent a préféré laisser l’opportunité à l’Empereur de s’exprimer librement. Et de faire comme s’il ne s’était pas entretenu avec vous auparavant. Cette précision a toute son importance.

Il ponctua ses derniers mots d’un doigt en l’air. Comme pour bien fixer l’attention de l’autre sur ce point-là avant toute chose. Quand il fut assuré que ces mots avaient eu leur impact dans l’esprit de l’elfe, il continua d’une voix posée, calme.

L’Empereur a renouvelé ses vœux de ne pas déclarer de guerre et de vouloir tout faire pour l’éviter. C’est là des propos qui reviennent de façon cohérente. Sa… vision…

Il inspira un court instant.

...des solutions pour ce faire semble toutefois un peu différente que simplement accepter l’annexion telle quelle. Notre jeune empereur ne manque pas d’idées. Nous ne pouvons nier que certaines d’entre elles ont certains intérêts.

Il aurait grimacé lui-même à ce pieux mensonge, lui qui avait presque levé les yeux au ciel quand Sigvald lui avait relaté la proposition du jeune Nolan de scinder Cordont en deux. De toutes les propositions, celle-là lui semblait la pire. Infliger cela à un peuple déjà au fond du gouffre… sans mauvais jeu de mots…

Ou en tout cas elles ont eu le mérite d’être exprimées et étudiées.

Car oui il devait concéder cela. L’Empereur ne souhaitait pas l’annexion, mais cherchait des solutions intermédiaires.

L’annexion ne semble pas lui convenir. Il ne nous a pas dit l’avoir acceptée en tant que telle en tout cas. Il aurait aimé, je pense, trouver une autre solution. Je ne dis pas qu’il a dit non à l’annexion lors de cet entretien. Je dis juste que, de ce qui en ressort, l’annexion pure et simple de Cordont par Caladon, et donc l’Alliance, ne l’enchante guère.

Et pour être honnête une fois encore, s’il avait été empereur à la place de l’empereur, il aurait pensé la même chose.

Des idées qu’il a évoquées, une semblait lui porter à coeur en particulier. Une proposition de cotutelle entre l’Alliance et l’Empire. Il n’a pas refusé une tutelle par l'Alliance non plus, il a même dit être prêt à l’accepter, mais en précisant ne pas pouvoir accepter une conquête. Le mot conquête peut sous entendre pas mal de choses toutefois… De même, il dit être prêt à accepter le retrait de ses troupes sous certaines conditions. Reste à entendre ces conditions...

Il inspira une autre fois, guettant la moindre réaction d’Aldaron. Puis il s’empressa de reprendre, après une autre lampée de vin. Ses aigreurs d’estomac lui donnaient soif.

Je conçois que ce que je relate là peut paraître… surprenant et confus. Et dérouter. Ces deux conversations sèment un certain trouble en moi, et je pense croire que je ne suis pas le seul, tant elles donnent l'impression de partir dans tous les sens, sans ligne directrice claire de la part de certaines parties...

Inutile de préciser de quelle partie il parlait...

Sans doute Nolan Kohan ne le réalise-t-il pas, pas tout à fait. Il est un jeune empereur, avec de lourdes responsabilités et il n’a pas le don des années pour le conseiller. Mais…

Il se pencha alors vers l’elfe, ses yeux noirs brillant soudain d’une vivacité acérée.

J’aimerais revenir sur un point, si vous le voulez bien. Sur ces paroles clés, objet de notre trouble actuel.

Ou comment lui faire remarquer qu’il n’était pas totalement aveugle pour un humain et qu’il avait bien vu certaines réactions.

Vous nous avez fait part d’un fait notable et important : l’Empereur dit avoir accepté l’annexion. Puis-je me permettre de vous poser une question sur ces propos ? En quels termes exacts l’Empereur a-t-il dit cela ?

Il leva une main pour interrompre toute offuscation possible et pouvoir expliciter ses propos. Certes maladroits, dits si abruptement. La fatigue ne l’aidait pas.

Que mes propos ne soient pas mal compris. Je ne remets pas en doute vos paroles. Je vous crois. Et, puisque vous avez opté pour la sincérité, je vais en faire de même et dévoiler un pan de mes préoccupations soudaines, face à ces nouvelles. Vous comprendrez mieux ensuite ma demande… incongrue, présentée ainsi.

Il claqua la langue, clairement contrarié de dévoiler ainsi ses propres pensées. Car il n’en avait pas l’habitude et se gardait souvent de se livrer. Ce pouvait être là des armes pour ses adversaires. Mais il reprit, fixant l’elfe droit dans les yeux.

Je souhaite comprendre ce qui s’est dit et ce à quoi nous pouvons nous attendre du jeune Empereur. Il est encore trop tôt avec ces deux entretiens pour pouvoir en juger, car ils ont eu une teneur assez différente. Mais il nous faut en rassembler toutes les informations. Il nous faut retenir que Nolan Kohan est dans une position peu enviable, avec un poids des responsabilités très lourd pour ses jeunes épaules. Il doit sans cesse faire ses preuves de toute part, que ce soit à cause de son jeune âge justement, ou à cause de son héritage et de son nom sans cesse rejeté au visage. Il a à coeur de tout concilier, mais cette volonté justement risquerait de le faire osciller. Je ne dis pas que c’est le cas, mais… c’est un risque à considérer. Il est partagé entre sa propre volonté de ne pas guerroyer, et celle de contenter son peuple, de le servir, le protéger. Méfiance est le sceau qui lie l’Alliance à l’Empire, et ce dans les deux sens. La seule chose de concrète que je retire véritablement de ces deux échanges est que lui-même ne souhaite pas la guerre. Sur ce fait-là, je le crois sincère. Mais…

Son regard se troubla et il détourna les yeux, se faisant songeur. Sa voix se mua en un murmure plus bas, plus grave, plus profond. Mortellement sérieux.

Mais le pouvoir réside là où les gens se le figurent, ne l’oublions pas.

Il était bien placé pour savoir qu’un empereur n’était pas toujours le véritable détenteur du pouvoir. Il pouvait parfois n’être que l’apparence du pouvoir… Il releva la tête et en un soupir et continua :

Un empereur est entouré de conseillers, et je connais assez bien certains d’entre eux siégeant à Sélénia. Tous ne sont pas aussi bien intentionnés que Nolan pourrait l’être. Certains veulent leur revanche sur l’Alliance, et Cordont ne pourrait être qu’un prétexte, pour relancer les hostilités et reconquérir les territoires du Sud. Je me méfie de ce dont ces loups de la politique peuvent être capables en Sélénia. Je les ai trop bien côtoyés du temps de Gloria. Et même d’Aldaria. Ils sont prêts à tout. Le parjure ne leur ferait pas peur. Ou pire même…

Il laissa planer ces mots.

Je ne sais si Nolan peut avoir la force de résister s’ils commencent à lui faire pression. Surtout s’il accepte nos conditions, en partie du moins. Et je ne parierai pas sur la force d’âme d’un homme. Pas même la mienne si je voulais être honnête. Voilà le pourquoi de ma demande. D’une part, parce que la façon dont Nolan Kohan a formulé son accord pour l’annexion est primordiale. Pour des propos d’une telle importance, chaque mot compte. D’autre part, il me semblerait judicieux de les… consigner.

Il s’humecta les lèvres un instant, conscient de marcher sur des œufs. Comme rarement il ne l’avait fait. Cette demande pouvait paraître tellement déplacée, ou trop précoce. Mais il sentait, sans qu’il ne sache pourquoi, que c’était une mesure à prendre. Peut-être ne serait-ce que pure précaution, et peut-être jamais n’auraient-ils besoin d’utiliser ensuite ce qu’ils auraient consigné… mais…

Mais son expérience de tisseur, son expérience de politicien, son expérience d’espion, lui criaient toutes ensemble de prendre ces précautions. Même si elles se révélaient inutiles ensuite. Qu’il valait mieux le faire maintenant. Il devait protéger Délimar. Au cas où. Et c’était là une des protections possibles.

Là encore, j’espère que vous ne prendrez pas ce… conseil... comme une remise en question de votre parole ni même comme une ingérence outrageante. Je le répète, ce n’est nullement mes intentions. Je vous fais simplement part de ce que, personnellement, je ferais, si je détenais un tel savoir, crucial dans un tel moment, où à tout instant une guerre peut éclater. Parfois sur de simples mots.

Une autre inspiration encore.

Si je détenais un tel savoir, je le consignerais. Je mettrais par écrit, mot pour mot, les propos qu’a pu prononcer l’Empereur quand il a dit accepter cette annexion. Je les coucherais sur un parchemin, sécurisé. Peut-être demanderais-je à un baptistrel d’en attester aussi la véracité, d’attester que je n’ai pas falsifié ces dires. Mieux, je verrais pour partager ce souvenir, qu’un autre puisse aussi témoigner. Je ferais en tout cas en sorte de ne pas être le seul détenteur de ce souvenir important. Et ce, par simple mesure de précautions. Assurer la pérennité de ce souvenir s’il m’advenait quelque chose… en des temps si troublés… Assurer la sécurité du souvenir. Et ma propre sécurité aussi.

Voilà c’était dit. Il espérait que l’elfe le comprenne. Et Délimar aussi. Il tourna un rapide regard vers le général avant de reporter son attention sur Aldaron.

Il me paraitrait plus judicieux que vous ne soyez pas le seul à avoir une telle preuve concernant des paroles d’une telle importance, Aldaron Leweïnra. Il serait peut-être judicieux que nous l’ayons tous, écrite là sur parchemin, souvenir consigné textuellement mot pour mot et attesté par un baptistrel ensuite. Mais la décision vous revient.


descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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    L'elfe reporta presque aussitôt ses prunelles sur l'Althaïen, et son attention tout autant. L'insistance sur les mots de 'front uni' ne lui avait pas échappé, aussi répliqua-t-il presque aussitôt par un sourire sincère, dénotant du masque régalien qu'il portait bien souvent et qui filtrait les émotions qu'il acceptait de laisser passer. Se battre ensemble, c'était ce qu'il voulait, c'était ce qu'il avait longuement fait. Il aurait aimé lui dire que ce n'était pas de lui qu'il avait à craindre la fourberie, mais de son Conseil Caladonien. Lorsqu'il quitterait son poste de Bourgmestre, il ferait en sorte que sa pouliche, Eleonnora prenne sa place et surtout que ses infiltrés du Marché Noir prennent la majorité des sièges du Conseil. Ainsi serait-il certain que Caladon se tiendrait à carreaux, en plus des projets dont il avait validé la teneur avec Tryghild. Mais probablement Ilhan l'apprendrait-il d'elle, a posteriori. Son sourire sincère, doux était néanmoins la marque qu'il partageait ce désir et qu'il veillerait à empoigner ce qui était nécessaire pour garder le contrôle là dessus.

    Puisque Sigvald n'y était pas disposé, le Bourgmestre prêta une oreille attentive au résumé délicieusement enrobé que lui servait Ilhan. Assez rapidement, il fut déçu par ce qu'il entendait. Quand bien même le Général avait invité Nohan à parler librement, quel intérêt y avait-il à ne pas marcher dans une direction ébauchée par leur premier entretien, si ce n'était pour montrer Ô combien il était désorganisé et Ô combien il n'était vraiment pas digne de ses fonctions ? Nolan était un empereur, déroger aux demandes de Sigvald était son droit s'il voulait avancer dans les négociations et maintenir la paix, tracer un chemin sur lequel Aldaron lui avait promis de lui assurer son soutien. Si cela était honnête de sa part et une preuve de sa bonne volonté à recoller les morceaux avec les glaçernois, force était de constater que cela n'avait mené nulle part. Les seules issues possibles, eu égard de l'entretien qu'il avait eu avec Tryghild était un retrait de Sélénia de Cordont ou une guerre. Et Aldaron le lui avait dit ! Pourquoi donc cet imbécile avait été sur une autre voie ? Avait-il tant envie de justement passer pour un imbécile aux yeux des dirigeants de Calastin ? Ou de se faire rabrouer derrière et remettre à sa place ? Et bien c'était gagné !

    C'était... Un gamin. Oui, voilà, c'était de la gaminerie et un papillonnage d'enfant. Et ça l'usait. Malgré toute sa bonne volonté, Aldaron ne put s'empêcher de montrer une mine clairement blasée par ce comportement immature et irraisonné. Aldaron lui avait donné des conseils pour se faire bien voir de Délimar, passer pour un adulte responsable.... Et comme tous les adolescents, le roi s'était torché avec. Du moins était-ce le point de vue de l'elfe et que les Esprits lui soient témoins : il était un homme très exigeant. Ilhan eut néanmoins le don de le tirer de tout cela lorsqu'il lui demanda le contenu exact. Quoi ? Il le prenait pour un menteur ? Bon certes, il en était un. Mais... Il pensait qu'il était capable de mentir sur ce sujet-là en pareille tension ? Le Bourgmestre arqua un sourcil circonspect face à la demande clairement pas enthousiaste à ce qu'on vienne le remettre en cause maintenant. Non là, il avait envie de ruminer et maugréer comme le vieux qu'il était et seule sa bonne éducation le retenait. Il le laissa donc s'expliquer plus en détail.

    Un sourire fin, doux vint à renaître sur son visage calme alors qu'Ilhan achevait son exposé. « Parfois il vaut mieux être le seul détenteur d'un secret... » C'était le cas du Marché Noir. Il n'était jamais mieux gardé dans son ensemble que par lui-même. Ainsi était-il le seul à pouvoir en tirer les ficelles et il en serait le seul jusqu'à sa mort. Là, son Organisation s'écroulerait et c'était ainsi qu'il le voulait. Il avait construit quelque chose de trop puissant, financièrement, pour le laisser entre n'importe quelles mains. Il ne se targuait pas d'avoir les meilleures intentions du monde, mais il savait ce qu'il voulait et il savait pourquoi il agissait ainsi. Morneflamme n'avait marqué au fer rouge. « Et parfois, il vaut mieux que non. » Conclut-il à ce sujet. Il lui soulignait là que tout propos ne devait pas forcément être partagé sous prétexte qu'une mort viendrait l'effacer à tout jamais. Parfois il était important de jauger le risque et les bénéfices et le marchand avait fait cela toute sa vie. Un soupir souleva son torse, et ses prunelles d'émeraude furent nimbées par cette même expression déçue qu'il avait exprimé un peu plus tôt.

    « Mes entretiens avec Nolan Kohan et avec Tryghild Svenn ont été dictés dans les grandes lignes à mon scribe à l'issue de chaque entretien afin d'en retranscrire le plus authentiquement possible le contenu. Les parchemins ont été transmis à Caladon sous scellée afin que mon Conseil puisse en faire bonne lecture. » Le gouvernement de Caladon prévoyait ordinairement que le Bourgmestre ne pouvait s'affranchir de l'aval de son Conseil. Si Aldaron avait pris le gauche pour réagir promptement à Cordont, il restait honnête à l'égard de ceux qui l'avait élu à ce poste. « Si vous souhaitez les consulter, vous êtes toujours bienvenue à Caladon, Monsieur Avente. Je vous confierai une autorisation manuscrite, une fois que nous aurons fini de manger. » Et qu'il aurait les mains libres pour prendre une plume et du papier. « Je n'ai pas en ma possession de moyen de partager un souvenir. Il m'a fait savoir qu'il préférerait renoncer à Cordont plutôt que d'ouvrir une guerre. J'espère qu'il se tiendra à cette volonté, au terme de tout ceci, et que tout le reste n'aura été qu'une regrettable immaturité. »

    S'il était très concis, cela restait très évocateur sur le fond de sa pensée, à la fois tranchante et miséricordieuse. « Ou une surdité précoce pour ce pauvre enfant. » Ce n'était pas charitable de sa part mais réaliste. Nolan ne l'avait pas écouté. Soit, il s'agissait de ses choix et tant pis pour lui. L'Alliance se portait bien et se soudait là où lui demeurerait seul et abandonné. Il avait consenti de prendre Aldaron en méfiance et ses conseils pour des propos falsifiés et il assumerait ses enfantillages. Au fond, cela lui importait peu. La lignée Kohan l'avait déçu et s'il avait eu l'espoir à son sujet, Nolan n'avait pas mis longtemps à l'assassiner dans l’œuf. Au final, cela ne lui faisait pas plus mal. Cela lui confirmait qu'il avait mieux à faire ailleurs, avec Tryghild par exemple, et très honnêtement ? Il le remerciait de lui avoir avoué ne pas être à la hauteur aussi vite, ça lui éviterait de tomber de trop haut. Maintenant qu'il savait à quoi s'attendre, il ne pourrait que voir le bon, s'il y en avait un jour.

    « Commençons-nous des plans de co-tutelle de Cordont... Ou des plans de défense militaire ? » demanda-t-il à ses deux collaborateurs, chacun apte dans l'un des deux domaines. Et eu égard de la tournure de leur conversation, ça sonnait plus en 'bon les mecs, vous le sentez comment pour l'avenir ?' que pour un plan d'organisation de leur soirée.

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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Le repas devenait aussi lourd que cette conversation. Regard baissé sur le contenu de son assiette, le délimarien soupesait l'idée de plus en plus tentante de tout laisser tomber pour retrouver le confort et la simplicité de ses appartements. Les deux hommes s'entendaient comme larrons en foire dès qu'il s'agissait de politique à l'égard de Séléna, la rancœur de l'un alimentant les reproches de l'autre en un moulin perpétuel. Sa présence n'était probablement pas vitale, il pourrait toujours donner ses instructions concernant la sécurité du camps et du gouffre par missive, car plus la discussion avançait et plus Sigvald se sentait noyé sous des phrases et des considérations que son esprit cartésien et simple ne parvenait pas à saisir... ou ne voulait pas saisir. Il n'avait pas besoin de se polluer l'esprit avec ce genre de considérations, après tout Ilhan était là pour s'en préoccuper à sa place, non ? Des dents de sa fourchette, il poussa un bout de viande dans la sauce épaisse et sombre qui l'accompagnait, n'y trouvant aucun plaisir malgré le raffinement évident du met. Et c'était peut-être ça le soucis : la saveur originale de la viande était, à son goût, totalement noyée sous des herbes qui ajoutaient des saveurs superflues. Rien ne valait une bonne tranche tout juste braisée, relevée par la cendre d'un bois de hêtre et quelques ails et baies sauvages glissés sous le gras. Et puis quelle idée de cuisiner un chevreau alors que les réfugiés allaient d'ici peu confronter un hiver rigoureux -selon leurs standards. Était-ce réellement un accident ou bien la Triade s'amusait vraiment à taquiner ce pauvre vieux Avente ? Même si Caladon s'estimait suffisamment riche pour subvenir aux besoins de ravitaillement de Cordont, se repêtre de richesses inutiles était réellement une image que l'on devait présenter à ceux que l'on tentait de recruter ?

Un vague soupir lui échappa alors qu'il balayait mentalement ce genre de réflexion. Un éclat d'ennuit, qu'il ne chercha même pas à dissimuler aux deux autres alors qu'il quittait la morne contemplation de son assiette pour observer les végétariens en pleine conversation. Il avait perdu le fil et fronça légèrement les sourcils lorsqu'il entendit son envoyé diplomatique user d'une expression peu flatteuse envers son Protecteur. Ses couverts furent rudement posés de part et d'autre de son assiette, causant un tintement métallique sec et péremptoire alors qu'il lui soufflait avec un vague sourire aigre :

« - Prenez garde, Ilhan... Insultez encore une fois l'Esprit du Loup et je vous ferais rentrer à Délimar à crue sur le dos de votre cheval. »

La menace semblait légère, mais connaissant la délicatesse du Dauphin et le cirque qu'il lui avait fais en venant ici alors qu'il possédait une selle bien luxueuse en comparaison de celles, basiques, accordées à ses soldats, il ne pouvait imaginer punition plus terrible sans entrer dans la violence ou le vulgaire. Tanner le postérieur du politicien autrement qu'avec le plat de son épée lors de leurs entraînements était un doux rêve qu'il espérait voir un jour lui être accordé ! Pour l'instant, le simple fait de voir son compatriote blêmir suffit à apaiser son courroux et il tendit la main en direction de son verre pour en regarder le contenu. Le vin possédait une robe sublime et un parfum puissant, boisé avec une touche fruité légèrement âpre qui laverait parfaitement bien le goût trop riche de son repas. Il en bu quelques gorgées avant de s'appuyer à son dossier, puis croisa les mains sur son ventre, étendit une jambe sous la table et garda l'autre légèrement repliée sous la chaise en une posture aussi régalienne que confortable. Son regard aux iris pâles fixèrent longuement la table et finit par remonter sur Aldaron qu'il contempla sans ciller plusieurs instants. Enfin, il prit la parole d'une voix posée, prenant le temps de revenir sur quelques points de leur conversation avant de passer au sujet suivant, bien que ce dernier l'intéressa davantage.

« - Nolan est un gosse très mal accompagné, on est tous d'accord sur ce point. Il a reçu le poids de son héritage bien trop tôt et en des circonstances guère favorables, ne l'oublions pas. Mais il est conscient des torts de sa famille et souhaite avancer sur ses propres décisions... ou du moins, ce qu'il pense être ses propres choix. Il faudrait posséder une vision clair de la situation à la Cour Sélénienne pour savoir exactement quelles influences pèsent sur lui. En tout cas, le fait qu'il tente une approche neuve à mon égard, faisant fi des accords convenus verbalement avec vous, ne me choque pas tant que ça. C'était malin de sa part et puisque j'étais celui l'invitant à agir comme s'il ne vous avait jamais rencontré, pourquoi aurait-il refusé de tenter sa chance ? Ça ne lui coûtait rien et cela m'a permit d'en apprendre beaucoup sur lui. »

Un vague sourire désabusé vint assombrir son visage alors qu'il soufflait avec une pointe de sarcasme :

« - J'ai d'avantage eut l'impression de voir mon fils essayer de contourner l'interdiction de sa mère en allant amadouer son père dans le dos de cette dernière... Sans offense, Leweïnra. »

Sigvald leva une main pour se gratter la barbe, ses yeux pâles descendant sur le dressage de la table alors qu'il dédaignait toujours son assiette, à peine touchée. Une légère crispation dans sa mâchoire vint trahir les émotions qui se disputaient en lui et il ajouta avec un fond de rancoeur :

« - Je ne cautionne pas ses actes, encore moins la ligne directrice de son comportement lors de notre rencontre... toutefois la seule chose qu'il assenait à la moindre occasion était son désir de protéger son peuple et ses terres. Toute sa réticence à nous laisser Cordont ne vient pas d'un désir altruiste pour les réfugiés, mais seulement de la crainte que nous utilisions les souterrains pour gagner les dessous de Sélénia et porter un coup décisif à son Empire, que ce soit en ressurgissant au milieu de ses terres par des accès secondaires ou bien en réveillant des golems similaires à ceux rencontrés sous nos pieds. »

D'un point de vu purement stratégique, il s'agissait de raisons tout à fait valable et n'importe quel dirigeant digne de ce nom en tremblerait. Lui-même avait ordonné que les environs de Délimar soient passés au peigne fin, que ce soit sur les falaises côtières ou dans les collines environnantes. Son seul objectif étant de trouver une possible entrée à ces fameux souterrains, vérifier si des colosses sommeillaient sous l'Océanique. Imaginer la perte de sa cité, engloutie dans un gouffre similaire à celui de Cordont, suffisait à lui coller des sueurs froides. Pouvait-il réellement blâmer le jeune Empereur pour ses efforts désespérés à obtenir l'assurance que son territoire ne serait pas envahi ou détruit au moyen des possibles accès révélés dans le gouffre ? Absolument pas.

« - Même si nous n'avons aucune certitude concernant l'étendue des couloirs souterrains, je dois avouer que sa crainte m'est partagée. Mais encore une fois, cela n'excuse pas ses maladresses et son inexpérience. Se déplacer en personne était … courageux de sa part, mais peut-être aurait-il dû s'appuyer sur le soutient de personnes plus compétentes pour ce genre d'affaires, surtout aux vues de leur délicatesse. »

Le glacernois posa un regard entendu sur Ilhan, le considérant de facto comme étant son atout et la-dite personne compétente à gérer les affaires politiques et délicates pour leur partit. S'il ne remettait pas réellement en cause les compétences de l'elfe, il ne lui accordait pas le même degrés de confiance. L'althaïen était mieux taillé pour ce genre d'affaires et lui inspirait davantage de respect, même s'il ne l'avouerait jamais à voix haute. Et puis, sans être un génie, Sigvald n'était pas non plus un parfait abruti et il avait instinctivement compris la délicate situation dans laquelle Leweïnra avait mis son peuple en le présentant comme le partie belliciste de l'Alliance. Sans avoir fondamentalement tort, cela revenait à leur mettre l'étiquette du « mauvais » inspecteur face à Sélénia tandis que lui se montrait comme le « bon » inspecteur, celui qui vous apporte un verre d'eau ou une carotte de tabac lors des interrogatoires. C'était très malin de sa part, il fallait le lui accorder ! Mais le principe même de subir encore ce stéréotype de brute devenait usant, même s'il était forcé d'admettre son utilité... Sa frustration et sa fatigue augmentèrent d'un cran et il passa une main sur sa nuque pour la masser quelques instants. Dans la chaleur et le confort de la tente, la fatigue de cette première journée commençait enfin à lui peser dessus. Sigvald récupéra son verre et bu encore une gorgée avant de poursuivre :

« - Si l'on parvient à calmer ses craintes concernant les accès aux souterrains, je suis persuadé que tout le reste passera aisément en notre faveur. Les cordontais ne l'intéressent pas, du moins pas en tant que valeur humaine. Pour lui ce n'est qu'un point stratégique menaçant son territoire, rien de plus. »

Amer sur le constat, il secoua une main pour chasser le sujet et se redressa enfin alors qu'il retrouvait un intérêt honnête pour la conversation. Son comportement, il le savait, devait mettre ce pauvre vieux Avente dans tout ses états et probablement jeter aux orties les âpres leçons sur la diplomatie qu'il avait désespérément souffert de lui inculquer ces derniers mois. D'une voix basse, il lui gronda en le voyant s'agiter avec malaise :

« - Oh détendez-vous, mon vieux. Mon quota de patience et de diplomatie s'est entièrement fait drainer quand je me suis retenu d'encastrer le gamin sur la table des négociations... Alors vous allez me pardonner ma franchise pour ce soir. Je n'ai plus l'humeur à ce genre de petits jeux. »

Il reporta son attention sur Aldaron et ajouta d'une voix légèrement amusée, bien que désabusée dans le laçage rauque de ses inflexions nordiques :

« - La Triade me pardonnera aussi ma rudesse, n'est-ce pas ? Je vous ai connu davantage en tant qu'homme d'action qu'en celui de paroles et de velours. Vous voulez parler des plans de défense militaire ? Soit. Mais on va abandonner les ronds de jambes et les brossages mutuels dans ce cas. »

Oui, oui, il pouvait sentir Ilhan frémir et sur-ventiler en silence. Il fut tenté de le taquiner en lui donnant les conseils d'exercices respiratoire pour les femmes enceintes, mais la blague serait de mauvais goût, même selon ses standards. Tant pis, il ferait part de cette taquinerie à Tryghild lorsqu'ils auraient le temps de se revoir. Le guerrier était sûr que sa fiancée goûterait à ce trait d'humour … ou lui en collerait une. Un pari qu'il était prêt à prendre. Durant le bref silence qu'il s'accorda afin d'organiser ses pensées, il poussa son assiette et ses couverts sur le côté afin de dégager suffisamment de place pour qu'il déroule une carte sommaire du gouffre et de ses environs. Usant des gobelets pour tenir les quatre coins du document, il utilisa des morceaux de pains pour résumer ses troupes et grignota pensivement un régiment de cavalerie lorsqu'il prit enfin la parole :

« - Je suis venu avec un millier d'hommes et autant de chevaux, je pense que cela sera amplement suffisant pour l'instant. L'Amiral Svenn arrivera d'ici peu avec un lourd ravitaillement, qu'il soit pour les réfugiés en termes de ressources vitales, que d'outils et de biens pour mes hommes et la fortification du camps.
Nous avons aussi deux cents cinquante Gardes Loups avec nous. En sachant qu'une cinquantaine est largement suffisante pour la protection d'une personne, nous pouvons encore compter deux élites en plus de votre personne, Leweïnra. Si vous avez des protégés en tête, n'hésitez pas à me les signaler pour que j'organise leur sécurité.
Dans tous les cas, vous n'avez plus besoin de vos mercenaires. Virez-moi ces chiens sans patrie de ma zone de contrôle, d'accord ? Je n'ai pas besoin de m'encombrer de leur présence... et cela soulagera les caisses de Caladon. Assurez-vous simplement qu'ils gardent le silence sur la situation actuelle à Cordont, je détesterai devoir partir moi-même à la chasse à l'homme pour m'assurer qu'ils se taisent... définitivement.
 »

Il marqua une pause, ignora l'agitation d'Avente, puis commença à expliquer, plan à l’appui, les chemins de patrouilles qu'il comptait faire prendre à ses hommes ainsi que l'emplacement des postes avancés qu'il souhaitait disposer dans les alentours afin de surveiller et d'écumer le plus gros des intrus qui seraient inévitablement attirés par l'incident et les richesses cachées dans les souterrains. Sigvald expliqua que ce n'était pas tant les intrusions de l'Empire qui l'inquiétaient, mais davantage les excursions de pillards sur les routes commerciales ou encore tout les charognards qui essaieraient de s'installer dans les environs pour abuser de la détresse de la population. Les pirates pourraient aussi devenir un soucis, pas forcément pour les navires, mais encore une fois les convois terrestres ou les bourgades isolées alentours.

« - Concernant le gouffre en lui-même, il nous faut absolument en sécuriser les abords. Ce n'est pas tant la crainte de voir quelqu'un y descendre, mais plutôt celle d'en voir sortir des... et bien, des choses. Nous ne savons absolument pas ce que l'effondrement a pu réveiller là, en bas. Si ces tunnels et grottes étaient réellement coupés du monde extérieur, nous n'avons aucune idée de la faune et de la flore qui y prolifèrent. Une ouverture de cette envergure attiserait la curiosité de bien des créatures, intelligentes ou non. Avec le bruit que nous faisons et les odeurs que nous apportons, la curiosité ou la crainte pourrait éveiller des pulsions ou des instincts plus... carnassiers chez nos locataires du dessous. »

L'idée même de combattre des bêtes venues de souterrains éveillait en lui la nostalgie de ses jeunes années où la chasse aux vampires se passait à la frontière même de leur territoire puant, aux bordures des grottes d'où ils rampaient dès la tombée de la nuit. Le frisson de confronter des prédateurs inconnus, l'adrénaline d'un combat à mort... le guerrier mourrait d'envie de descendre et d'aller lui-même chercher par la peau du cul quoi qui se trouva là-dessous, mais le stratège et l'homme portant la sécurité d'un peuple tout entier sur ses épaules n'avait pas encore la folie de céder à pareille pulsions immatures. Il soupira intérieurement et glissa l'index sur le contour du gouffre.

« - Cependant, pour fortifier les abords, il nous faut un sol viable. Du genre à ne pas nous lâcher à la première pluie ou lors des premières neiges ! La terre est extrêmement affaiblie à cause de l'effondrement, des coulées de boues sont ma plus grande crainte, suivies par des glissements de terrains. »

Il se frotta la barbe, pensif.

« - Leweïnra, la magie elfique est liée à la nature, n'est-ce pas ? Est-il possible pour cette arcane de contrôler les racines ? Si nous parvenons à créer un maillage de racines dans le sol qui borde le gouffre, que ce soit par les arbres ou des buissons, voire même de l'herbe, nous auront une plus grande facilité à consolider nos appuits. Il faudrait aussi construire des drains en amont pour que le déversement des pluies soit dirigé ailleurs, peut-être même des s'en servir lors de la construction du village comme un système d'évacuation des déchets ? Je peux demander à notre Logistique de se pencher sur le sujet. »

Accoudé au bord de la table, il jonglait distraitement avec un couteau à viande préalablement essuyé, regard rivé sur le plan. Il tressaillit légèrement lorsqu'un détail lui revint brutalement à l'esprit et il fixa les deux autres d'un air sombre avant de gronder :

« - Oh j'y pense... le Petit Empereur semble avoir une idée fondamentalement différente de la notre sur le statut neutre et indépendant de Cordont... »

Il leur expliqua alors la situation telle que Nolan la lui avait gracieusement présenté lors de leur rencontre, un peu plus tôt dans la journée.

« - Peut-être que c'est aussi un nœud du problème dans les négociations ? Je ne me rappelle pas avoir eut cette version de l'Histoire concernant Cordont, après ça ne m'étonnerait pas d'être celui en tort puisque je ne m'y suis jamais réellement intéressée jusqu'à aujourd'hui. »

Il n'avait pas honte à énoncer une telle lacune, puisqu'il pouvait en résoudre un enseignement personnel, voire peut-être l'éclairage sur le dénouement de leur problème. Dans les deux cas, il était gagnant.

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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« - Prenez garde, Ilhan... Insultez encore une fois l'Esprit du Loup et je vous ferais rentrer à Délimar à crue sur le dos de votre cheval. »

Oups. Il ne l’avait pas vu venir celle-là. Lui qui toujours pesait chaque mot… Il n’avait jamais songé à la susceptibilité des loups de Délimar quant à l’évocation de leur animal totémique. Pourtant ce n’était pas une réaction inattendue, si l’on y réfléchissait. C’était leur seule magie. Et surtout un animal totémique emblématique qui les suivait de génération en génération, ou presque.

Ilhan se fustigea mentalement pour cette maladresse. Lui, maître des mots, faire une telle bourde dans leur usage ! Il se sentit blêmir, à la fois mortifié d’une telle erreur de sa part, et épuisé à la simple idée d’un tel trajet dans de telles conditions. Il se mordit la langue toutefois plutôt que d’y répondre. Et continua, comme si de rien n’était. Chassant dans un recoin de ses pensées ce petit intermède. Il y reviendrait plus tard, avec le loup en question, si celui-ci le désirait. Sans doute Ilhan devrait-il lui présenter des excuses. A y réfléchir. Plus tard. Il y avait plus urgent. Et il parvint à reprendre le fil de ce qu’il disait comme s’il n’avait jamais été mordu par le loup en question. Bénissant ses années d’expérience en la matière…

Puis l’attente fébrile quant à la réaction de l’elfe face à sa demande chassa bien vite tout remords ou toute inquiétude suite aux menaces du général. Une réponse qui se fit désirer.

« Parfois il vaut mieux être le seul détenteur d'un secret... »

Et qui le fit soupirer intérieurement, quelque peu dépité. Il perdait décidément de son talent de persuasion politicienne...

Oui. Il voulait bien le concéder, lui-même étant plutôt amateur de secrets. Tel celui de sa Toile. Tout comme l’elfe en face de lui en étant aussi friand avec son Marché Noir. Ilhan ne put alors que répondre d’un fin sourire entendu. Oui, certes, il comprenait. Ils se comprenaient. Mais tout secret n’était pas bon à garder non plus. Et les meilleurs stratèges politiques n'étaient-ils pas ceux sachant, entre autres, choisir quel secret garder et quel secret partager ? Et surtout avec qui les partager. Restait à savoir si l’elfe lui concéderait ce point-là.  

Visiblement qu’à moitié. Consulter les archives qui ne contenaient qu’une simple retranscription peut-être sommaire, et en tout cas potentiellement infidèle quant aux mots employés, n’enchantait guère le vieil althaïen. Bon au moins le bourgmestre n’avait-il pas mal pris sa demande, même s’il s’en était fallu de peu, et lui accordait de consulter ces maudites archives. Ilhan hocha donc simplement la tête à cette offre. Son sourire restant poli mais clairement peu convaincu.

« Je n'ai pas en ma possession de moyen de partager un souvenir. »

A ces mots, Ilhan se fit soudain songeur. Il avait espéré que la bonne mémoire des elfes ne soit pas que légende et qu’Aldaron puisse lui relater mot pour mot les paroles de l’Empereur. Il était vrai qu’aucun moyen n’existait réellement, mis à part peut-être le chant-nom, pour consulter un souvenir. Aucun si ce n’était… Il s’était beaucoup entrainé. Son sort était au point maintenant, il le savait. Sur les humains du moins. Qui pour beaucoup n’avaient pas une volonté de l’esprit aussi aiguisée que la sienne. Mais il ne l’avait encore jamais essayé sur un elfe. Jamais… Sur un elfe ! Que cette simple idée était tentante soudain ! Mais non, pas sans son accord. Pas sans sa volonté pleine et entière. Il n’était déjà pas bien sûr d’y parvenir sur l’esprit vif et acéré d’un elfe plus que centenaire, alors s’il tentait une intrusion par la force ? Non. Il se ferait éjecter. Et perdrait toute once de confiance qu’il aurait pu gagner jusque-là.

Et étrangement il tenait trop à cette ébauche de confiance et d’amitié rivale qui le liait à l’elfe en face de lui.

« Commençons-nous des plans de co-tutelle de Cordont... Ou des plans de défense militaire ? »

Ilhan sursauta presque à ces mots. Tout à ses pensées, il n’avait quasi pas écouté la suite des paroles de l’elfe. Il soupira, pesant le pour et le contre de ce qu’il s’apprêtait à jeter, et finalement se lança, d’une voix basse et sourde, presque un murmure hésitant, ce qui lui était peu coutumier.

Je connais peut-être un moyen.

Songeant que son propos sortait soudain de son contexte, vu qu’il répondait à retardement, il s’empressa d’ajouter :

Pour partager un souvenir.

Il effectua un moulinet de la main, comme s’il rembobinait la conversation, un sourire d’excuse appuyant son geste.

Mais vous avez raison, nous avons d’autres sujets à aborder. Nous en reparlerons plus tard si vous le désirez, après le repas.

Et sans laisser le temps aux deux autres de réagir à ses paroles, il se tourna vers le général.  

Heureusement Sigvald prit enfin le relais et permit à Ilhan de se poser quelque peu. De trier ses pensées, pendant qu’il écoutait les paroles du général d’une oreille un tantinet distraite. Il connaissait déjà, un tant soit peu, le ressenti du délimarien quant à son entrevue avec l’empereur sélénien. Ilhan nota d’ailleurs dans un coin de son esprit de donner quelques cours de politesse plus appuyés à ce rustre de première. Appeler l’Empereur de Sélénia par son prénom et non son titre ! Eut-il eu affaire à quelques uns des ancêtres de l’empereur-enfant que cela aurait suffi à déclencher une guerre. Ca ou prendre ledit empereur par le collet sous une onde de colère…

Ou parler en nordique face à un elfe, avec qui pourtant ils étaient censés parlementer… La franchise n’excluait pas le respect, à défaut d’admettre la politesse. Le Général en avait-il seulement conscience ? Non, sans doute pas. Et à cette simple pensée, Ilhan eut un soupire dépité en son for intérieur. Avait-il donc perdu tout ce temps passé avec Sigvald à lui apprendre quelque rudiment de diplomatie et de politique ?

Non, peut-être pas totalement, si l’on songeait effectivement qu’il n’avait pas « encastré » le gamin.  S’il y avait eu des gestes et des mots malheureux, et ils devaient tous remercier mine de rien la tolérance de l’empereur à cet égard, ce qui était là effectivement un signe de sa part de vouloir renouer avec les Nordiques malgré le passé et malgré leur rudesse coutumière, Ilhan pouvait s’estimer heureux qu’il n’y ait pas eu mort notable ou même duel sanglant. Pas même de casse de mobilier d’ailleurs, ce qui était un fait étonnant. Espérons que Tryghild parvienne elle aussi à faire preuve de la même modération, et plus même, lors de sa propre entrevue avec l’empereur…

Ces considérations philosophiques ne l’empêchèrent pas de sentir un vent de panique s’abattre sur son esprit aux mots rudes du rustre à ses côtés qui ne semblait pas même se rendre compte de la tempête diplomatique qu’il pouvait souffler. Il inspira et expira plusieurs fois profondément, en un ersatz de pratique transo-méditative pour apaiser ses nerfs à vif. Et ses brûlures d’estomac féroces. Quiconque de sensible à la magie totémique aurait pu sentir l’esprit du dauphin à pleine puissance pour lui venir en aide et ne pas exploser lui-même face à ce loup qui jetait aux orties toutes les leçons qu’il avait tenté de lui inculquer.

Il préféra toutefois ne pas intervenir. Peu sûr de ne pas lâcher une réprimande caustique de son lui le plus mordant. Il jeta un coup d’oeil en biais au bourgmestre de Caladon, guettant ses réactions. Prêt à intervenir si un esclandre éclatait, pour apaiser toute tension. Heureusement ils avaient affaire à un elfe, souvent moins sujet aux humeurs belliqueuses. Et il savait Aldaron assez maître de lui pour savoir faire la part des choses, surtout en de telles circonstances… délicates.

Ilhan n’en resta pas moins sur le qui vive, les mots prêts à parer, en cas de souci. Il n’accorda que peu d’attention à la carte déployée, ni au plan présenté, qu’il connaissait déjà en partie d’ailleurs. Sigvald avait au moins ça pour lui : ses compétences incomparables et son efficacité. Cela plaiderait sans doute pour lui.

« - Oh j'y pense... le Petit Empereur semble avoir une idée fondamentalement différente de la notre sur le statut neutre et indépendant de Cordont... »

Ilhan haussa un soudain sourcil à cet abrupt changement de sujet. Avait-on idée de lui faire faire un tel yoyo émotionnel en une seule soirée ? Il avait connu pire oui. Surtout lorsqu’il regardait Fabius dans les yeux alors qu’il jouait les diversions pendant que ses araignées portaient de redoutables informations aux rebelles. Mais… Non décidément il avait passé l’âge de ces jeux-là !

« - Peut-être que c'est aussi un nœud du problème dans les négociations ? Je ne me rappelle pas avoir eu cette version de l'Histoire concernant Cordont, après ça ne m'étonnerait pas d'être celui en tort puisque je ne m'y suis jamais réellement intéressée jusqu'à aujourd'hui. »

Oui, potentiellement, ce peut-être un nœud du problème, répondit Ilhan d’une voix étonnamment posée malgré l’agitation intérieure dont il était victime.

Un nœud du problème qui, s’il se confirmait, dénotait encore une fois l’inexpérience et les méconnaissances de l’Empereur sur certains sujets et son manque flagrant de bons conseils à ses côtés.

Ce sera un élément à creuser et dont nous ferons part sans doute pour les prochaines négociations, ajouta-t-il avec un hochement de tête envers Sigvald.

Comme pour le remercier d’avoir noté ce fait. Ou le féliciter d’y avoir pensé. Un peu des deux peut-être. Puis il balaya l’air de la main, et reprit.

J’ai également quelques suggestions à vous proposer.

"Quelques" était un doux euphémisme. Il en avait plusieurs. En assez grand nombre. Mais il ne pouvait décemment pas les imposer ainsi au bourgmestre de la ville à laquelle Cordont était censée être annexée… Il préférait attendre l’assentiment de l’elfe… avant de le noyer sous la flopée de parchemins exposant et résumant tout ce à quoi il avait pensé.

Si vous souhaitez également les entendre.

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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    Achevant une part de son repas, l'elfe reposa ses couverts. Il ne mangeait pas beaucoup, par rapport à d'autres. Mais en comparaison des rescapés de Morneflamme, c'était la panacée. Il avait la chance d'être servi par des domestiques qui prenaient grand soin de préparer la nourriture de telle sorte qu'elle n'évoque jamais le goût du sang honni. Cela l'aidait pour beaucoup à achever ses repas sans tout recracher, et tout le monde n'avait pas ce privilège. Il était capable de la reconnaître, sa chance. Il s'est reconstruit après la prison. L'althaïen lui souligna qu'il disposait d'un moyen pour partager un souvenir. Hormis l'intérêt pour résoudre la présente situation, cela éveillait sa curiosité sur un autre plan : de quoi ce bon vieux Ilhan était-il capable ? Mieux le cerner, c'était aussi mieux l'anticiper et même s'il ne le considérait pas comme un ennemi, il aimait à connaître les moyens dont il disposait pour faire de la politique. Le bourgmestre acquiesça d'un signe de tête, promesse de voir cela après le repas... Et de ne pas l'oublier. « Bien sûr, Monsieur Avente. » confirma-t-il.

    Portant ses mires verdoyantes sur Sigvald pour lui accorder l'attention de circonstances, Aldaron coula son regard brièvement en biais sur Ilhan lorsqu'il fut question d'avoir ''une vision claire de la situation à la Cour Sélénienne''. Il ne doutait pas que l'althaïen ait encore bien des contacts, tout comme Aldaron, pour savoir combien cette fosse aux serpents était pernicieuse. Faire une liste de toutes les influences néfastes que Nolan avait le privilège de côtoyer noircirait bien des pages de parchemins, hélas. Mais fort heureusement, il n'y avait pas que de mauvaises langues. En vérité, il ne suffisait parfois que d'une seule bonne influence pour sortir un homme du marasme dans lequel il baignait. Encore fallait-il trouver cet homme capable de sortir du lot et d'obtenir la confiance du jeune Kohan. C'était un travail auquel le Marché Noir et ses Délégués aux Arts s'évertuaient. Infiltrer les hautes administrations de l'archipel était dans ses vœux, et ceux-ci s'en trouvaient majoritairement exhaussés à Caladon où il exerçait son aura politique. Sélénia, c'était plus complexe et s'il n'avait pas tant aimé la cité marchande, s'il n'avait pas eu tant de rancune personnelle à l'encontre de la lignée Kohan, probablement serait-il resté du côté de Sélénia pour mettre Nolan sur un chemin moins dangereux que celui bordé de vipères.

    Le sourire de l'elfe s'étira doucement à la comparaison que Sigvald faisait au sujet d'une parentalité qu'ils exerceraient sur Nolan. Le sourire avouait qu'il ne moquait bien d'être pris pour une mère difficile et que la forme de sa comparaison était divertissante mais ses prunelles trahissaient que le fond de la réflexion le laissait amère : « Cela aurait été une image amusante s'il s'était vraiment agi d'un enfant et non d'un roi, Elusis. » Car là, on tombait dans quelque chose plus tragique. Un enfant n'avait pas de responsabilités, pas d'image à imposer. Il ne payait que rarement les conséquences d'avoir ''tenter sa chance'' en se parant de l'innocence blanche d'un bambin. Il pouvait se permettre de se faire disputer lorsqu'il échouait ou de se prendre une tape sur les mains. Mais un roi, c'était tout autre chose. « Une chance que papa et maman soient d'accord. Il aurait été dommage qu'il s'engouffre dans la faille de nos divergences. » Car elles existaient, fondamentalement. Leurs régimes, s'ils se ressemblaient dans leur forme démocratique, avaient des valeurs différentes. Ces valeurs faisaient de Caladon et Délimar des rivales pour chapeauter l'Alliance. Aldaron soulignait sa pensée.

    Pour lui, Nolan avait profité de l'invitation de Sigvald, même de façon innocente. Diviser pour mieux régner, c'était une devise que les enfants apprenaient plus tôt qu'on ne le pensait et s'il était prêté à des manières enfantines et excusables, il n'en demeurait pas moins vrai qu'il s’agissait d'une façon d'obtenir ce qu'on désire, de ''tenter sa chance'' en jouant sournoisement sur les désaccords de ses ennemis. Aldaron n'était pas de ceux qu'on amadouait et le comportement du roi Sélénien, en plus d'être couvert du ridicule de l'infantilisation, se paraît de fourberie. Depuis quand tente-t-on sa chance quand des milliers de vies dépendent d'une guerre à venir ? Aldaron n'avait pas joué à cela lorsqu'il était allé discuter avec Tryghild, et l'intendante n'avait pas misé là dessus non plus. Cela aurait été irresponsable. Nolan était jeune, oui, c'était certain. Mais il était aussi un dirigeant sur un terrain plein de tensions. Pas un enfant qui cherchait à obtenir une sucette au chocolat et qui pouvait se permettre d'échouer.

    Néanmoins, il ne s'étendit pas plus sur le sujet, la tournure de phrase était bien assez imagée pour souligner le danger qu'il percevait. Il s'apaisait à entendre le Général considérer, au demeurant, le comportement de Nolan comme inadéquat. Cela ne faisait que souligner leur commune lucidité sur le sujet. Il appréciait la finesse de son propos, la manière dont il traduisait son échange avec le Roi Sélénien, en y pesant le pour et le contre. Cet esprit pratique et droit, il l'avait connu auprès de quelques humains, de façon singulière à chaque fois. Et celle-ci avait la singularité de venir d'un visage qui ressemblait beaucoup à Ivanyr. Cela avait quelque chose de troublant, d'indéfinissable. Parfois, il avait l'impression de voir Sylath, parfois Sigvald. Plus encore lorsqu'il parla une seconde fois en cette langue qui courbait, chaque instant, l'accent de son inséparable. Il ne put s'empêcher un sourire franc en voyant la tête qu'Ilhan tira, avant de l'étouffer en ce mordant l'intérieur de la joue. L'elfe n'avait compris tout au plus qu'un mot sur dix, de ce charabia, mais le visage de l'althaïen en disait long sur le contenu.

    « La Triade vous pardonnera votre rudesse si vous m'expliquez ce que signifie ''je me suis retenu d'encastrer le gamin sur la table des négociations''. » Répéta-t-il dans un nordique aux tonalités elfiques. Néanmoins, l'effort de prononciation était bien-là, presque fidèle. « Cette partie de votre phrase a l'air de beaucoup contrarier Sire Avente. » s'amusa l'elfe, un large sourire taquin aux lèvres lorsqu'il coulait un regard joueur sur ce cher Ilhan. Au fond, il n'était pas obligé de lui répondre, le marchand demanderait à sa Lame Blanche, elle lui répondrait efficacement. D'un geste de la main, il l'invitait à poursuite et il décala sa propre assiette sur le côté pour pencher le buste légèrement en avant, les coudes posés sur la table, avant-bras contre lui, pour se donner de l'appui. Ainsi il prouvait son intérêt pour ce que Sigvald lui exposait à grand renfort d'olives, de pain et de couverts. Il avait d'ailleurs eu sa fourchette prise en otage pour le bien des plans de Cordont, dans la mêlée, pour représenter la colline qui bordait le nord de la ville.

    Il l'écouta avec l'attention d'un élève face à un professeur, cherchant à s'enrichir de son savoir et de ses motivations. L'elfe avait encore le regard songeur porté sur une mie de pain roulée en boule lorsque le Général changea de conversation d'un seul coup. Il releva les yeux sur lui, avant que son visage de cendres ne s'oriente sur l'éleveur de chèvres. « Il ne plairait d'entendre vos suggestions, Monsieur Avente. Et je dois vous poser quelques questions, Général. » Ses mires venaient retrouver celles d'un azur hivernal. Un silence dura quelques secondes, le temps que l'elfe ordonne ses pensées. Sa race avait l'art et la manière de prendre son temps. « Je vais néanmoins répondre à la vôtre. Cordont a été déclarée comme étant une terre neutre lors de la signature de l'Armistice. Elle a décidé de devenir, comme nous, indépendante de la Couronne mais pour préserver son impartialité, elle a refusé de signer l'accord qui unit l'Alliance des Cités Libres. C'est une sorte de cité libre... Mais hors de notre union. Lorsque Luna Kohan a annoncé l'arrivée de Sélénia à Cordont, elle a brisé cet accord d'indépendance que le Royaume lui avait octroyé. Et mon Annexion a également brisé l'accord de non-gouvernance que l'Alliance avait avec cette cité. Nolan Kohan m'a demandé de dissoudre mon autorité sur cette terre, j'ai refusé. »

    Sans reprendre place au fond de son siège, l'elfe aux cheveux blancs se redressait néanmoins de son appui en avant. « En vérité, je ne m'y oppose pas. Mais annuler mon annexion ne ferait que restaurer le contrat qui unit l'Alliance à Cordont, en rien cela ne rendrait à Cordont sa déclaration d'indépendance ratifiée avec le Royaume et bafouée par la venue d'hommes armés de Sélénia. Maintenant que le Nord et le Sud ont avancé jusque Cordont, il est difficile de reculer. Ni pour nous, ni pour eux, pour toutes les raisons de sécurité que vous avez très justement évoquées, Général Elusis. Il nous faut un accord... Ou il nous faut une guerre. Croyez bien que j’œuvre pour le premier et que je n'ai maintenu l'annexion que pour disposer d'une marge de manœuvre lors de négociations et la réduire en tutelle. Si le Royaume retire ses troupes et rend à Cordont son indépendance, je serai ravi que l'Alliance lui rende sa neutralité. C'est pour cela que j'ai demandé à Dame Loup de me faire la faveur de sa fermeté. Je crois... Qu'il reste, dans le cœur de Nolan Kohan, cette affection blessée pour le peuple de Glacern. Un charme que ne possèdent pas les petites gens auxquels il ponctionnait des taxes pour refaire les dorures de ses appartements. » En d'autres termes : Caladon. L'elfe trouvait l'ironie belle quand il pensait qu'à présent, c'était les caisses de Sélénia qui servaient de tirelire au Marché Noir. « Un charme qui saura enrober plus efficacement cette fermeté que si elle était venue de moi, voyez-vous ? »

    En parlant de charme, l'elfe eut du mal à baisser les yeux du visage de l'Elusis, toujours aussi troublé, pour mirer le plan de fortune sur la table. Son accent rond, emprunt de sa langue natale, venait à nouveau faire sonner la langue commune lorsqu'il reprit parole : « Il y a une plante que l'obscurité des profondeurs gardait mourante et qui commence, à la lumière du jour, à sortir de son tombeau. Ils l’appellent Ékinoppyre et peut-être n'est-ce que la première... Chose qui se manifeste. Elle est très envahissante et carnivore, il faudra la museler. » De son index, il avait désigné le bord ouest du gouffre où la plante s'était manifestée. Cela avait été drôle de voir les Séléniens se débattre avec cela puisque c'était l'emplacement de leur actuel campement mais cela deviendrait moins amusant lorsque cela serait leur tour de gérer la chose. « La magie elfique peut consolider les roches autour du gouffre, en étendant une ramification de racines, c'est exact. Il est aussi possible de dresser des murs, des piliers, depuis les profondeurs pour venir en renfort. La roche des éboulements ne sera pas d'une grande aide pour les architectes et artisans. Elle est trop fiable. Mais les mages peuvent la remodeler. Dresser de telles structures sur plusieurs milliers de mètres ne se fera pas en quelques jours, c'est très épuisant. Si nous commençons aujourd’hui, cela ne s’achèvera que vers fin décembre »

    Cela était mieux que rien, car ce serait là que les plus fortes précipitations se présenteraient. Relevant son regard, il le posa sur Ilhan, puis sur Sigvald : « Vous l'avez dit, Général, vous m'avez connu comme homme d'action. J'étais bien plus au front qu'à la planification. Je veux bien m'en remettre à vous et à votre savoir-faire pour la défense de Cordont. Si vous souhaitez que je retire mes troupes, je le ferai. J'ai toutefois besoin de quelques éclaircissements pour cela. » Son visage perdait de son lisse apparat lorsqu'il fronçait les sourcils, en proie à ses interrogations sans réponses. « Si une guerre venait à se déclarer, saurez vous gérer seul l'armée Sélénienne ? Ou faudra-t-il que je rappelle les mercenaires que j'aurais congédié ? Ne serait-il pas mieux que nous gardions ces renforts jusqu'à la signature d'un accord pour éviter de perdre du temps... Et des hommes ? » Il secoua doucement la tête de gauche à droite, perdant une part de son assurance charismatique sur ce terrain qu'il ne connaissait que peu : « Je... Je ne remets pas en cause vos capacités et celles de vos Hommes, Général. Mais je me souviens que nous avons obtenu notre indépendance ensemble, il y a quelques mois, pour repousser la répression. Et outre les considérations pratiques, viennent celles de mon cœur : serais-je toujours un frère d'arme si je vous laissais verser votre sang seul ? »

    Peut-être que l'armée de Délimar tiendrait, elle était très puissante... Mais à quel prix ? Ce qui chiffonnait Aldaron était de laisser ses confrères payer seuls ce tribu s'il congédiait ses mercenaires. Se mordant l'intérieur de la joue, il poursuivit : « Et il y a... Une autre question qu'il me faut vous poser. C'est... Assez délicat. Je suis accompagné à Cordont d'hommes et de femmes en qui j'ai confiance et dont je suis assuré de la loyauté à mon égard. » Dans les faits, il parlait de ses soldats de plomb, du Marché Noir, ainsi que de sa Lame Blanche, mais tout homme de pouvoir se devait de s'entourer d'une garde personnelle et fidèle, en plus d'aides et de conseils. « Parmi ces hommes et ces femmes qui resteront avec moi, il y a quelques vampires. Je ne désire pas remettre en cause votre point de vue à leur égard. Ce n'est pas un secret que nous ne partageons pas le même. » Il était de notoriété commune qu'Aldaron avait formé la Triade avec une sœur de cœur humaine et un frère de cœur vampire et ce, bien avant que les peuples aient besoin de s'unir face aux Almaréens.

    « C'est par respect pour vos propres convictions que j'ai besoin de savoir si vous les protégerez ou si je dois le faire. Et... Plus que cela... » Se penchant un peu en avant, il prenait délicatement le couteau avec lequel l'Elusis jonglait distraitement pour le reposer à plat sur la table. Il avait appris de ses discussions pour l'Armistice avec Tryghild que ce genre d'objet pouvait très vite écrire une histoire malheureuse. « Dois-je me prémunir de l'éventualité de retrouver votre épée plantée dans le ventre de l'un d'eux ? » Bien sûr qu'il pensait très, très fort à Ivanyr. Mais lorsque l'Elusis lui demandait de retirer ses troupes mercenaires, que lui restait-il pour protéger les siens ? Et surtout... Comment allait réagir sa nouvelle garde aux passages répétés d'Ivanyr et d'autres vampires dans sa tente ?

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Le visage sévère du glacernois se fendit d'un bref sourire alors que l'elfe s'essayait à sa langue maternelle. Avait-il vraiment besoin d'une traduction ou cherchait-il simplement à retourner le couteau dans la plaie ? Ce pauvre Ilhan semblait déjà bien assez mal en point et l'espace d'un instant, le guerrier hésita à jouer le jeu du troisième larron, mais il finit par se ranger du côté de son compatriote d'infortune. Si réellement Aldaron voulait la traduction, il n'aurait qu'à la demander à l'abomination qui l'accompagnait jours et nuits ou bien chercher dans un dictionnaire ! Passant donc sous silence la requête du Bourgmestre, Sigvald hocha légèrement la tête lorsque le diplomate souligna son commentaire sur la question de la nature exacte de l'indépendance de Cordont et lui affirma sa pertinence. Bien, il avait eut raison d'écouter son instinct et de partager l'information. La voix chantante de l'elfe s'éleva à son tour et pendant le bref cours de géopolitique dont il bénéficia gracieusement, lui retourna s'adosser confortablement dans la chaise et croisa les mains sur son ventre, les yeux rivés sur le plan encombré. Sourcils légèrement froncés dans une expression aussi attentive que pensive, il hochait parfois la tête pour signaler qu'il suivait toujours et que les informations lui faisaient parfaitement sens.

Il comprenait parfaitement la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient. Avec le passif que les deux partis possédaient, il était hors de question que l'un ou l'autre soit le premier à reculer. Comme deux bêtes blessées, le moindre signe de faiblesse inciterait l'autre à attaquer sans aucune forme de pitié, ce qui engendrerait fatalement une nouvelle guerre de territoire, même si celle concernant Cordont était temporairement évitée. Si l'on laissait à l'Empire ce territoire, qu'est-ce qui nous assurait qu'il ne viendrait pas ronger bout à bout nos frontières dans les prochains mois ou années ? Avec le réseau de sous-sol, l'Empire pourrait très bien prétendre que tout ce qu'il se trouvait sous terre leur appartenait et ce qui était en dessus par extension. Le froncement de ses arcades s'accentua alors qu'il marquait ses traits d'une vague grimace de contrariété et de colère contenue. A la mention de Tryghild, le Champion releva un regard vif et acéré sur l'elfe, l'avertissant silencieusement de bien réfléchir aux prochains mots qu'il comptait associer avec la dirigeante et sembla se détendre, satisfait de l'entendre en dire du bien. Un autre sourire, fugace et amer, trancha l'austérité de son expression alors qu'il soufflait d'une voix rauque, presque viscérale :

« - Il a comparé sa condition d'otage politique par Fabius et la trahison de ce dernier envers sa famille à égale mesure de souffrance avec tout ce que mon peuple aura enduré, la perte de Glacern et de nos terres comprises... »

Ses doigts se crispèrent sur la silhouette élancée du couteau à viande, refrénant l'envie subite de la planter avec toute la force et la violence dont il était capable dans le bois tendre de leur table à manger. Heureusement pour cette dernière, le sujet changea aussi vite qu'il était venu et le glacernois pu éventer une partie de sa colère en se concentrant sur un sujet beaucoup plus maîtrisé et simple : la protection d'une zone délimitée.

« - Ékinoppyre... ? Parce que donner des noms simples aux choses est trop compliqué pour ces Érudits, mh ? »

Grinçante, la remarque fut adoucie par un vague sourire désabusé alors qu'il venait se gratter pensivement une joue, de nouveau accoudé au bord de la table. Ses yeux pâles survolaient le plan et il hocha à plusieurs reprise du chef pour signaler à l'elfe qu'il était d'accord sur toutes ses propositions concernant le renforcement des abords immédiats du gouffre. Là résidait leur véritable priorité. Le reste viendrait seulement après ou ils risquaient de tout perdre à la première secousse ou pluie saisonnière. Sans parler des gèles qui fendraient irrémédiablement les pierres, même les plus épaisses et solides. La force de la nature était une chose terrifiante, heureusement pour eux ils pouvaient la plier dans une certaine mesure à leur avantage.

« - Le temps consacré au renforcement du Gouffre n'a pas d'importance, après tout il est possible de loger les réfugiés dans un camps temporaire avec tout le confort nécessaire. Mmmh... Que l'on passe aussi une annonce parmi nos hommes, ceux de l'Empire et des survivants : S'il y a des gens liés à des Esprits comme le Scarabée ou que sais-je et qui pourraient nous aider sur ce projet, alors autant ne pas se retenir. Dans le cas de volontaires civiles, nous pouvons les rassurer avec la promesse d'un salaire ou d'une compensation pour leurs efforts. Qu'en pensez-vous ? »

Il les regarda tour à tour avant qu'Aldaron ne touche un sujet de nouveau sensible. Silencieux, il l'écouta déverser ses questions sans sourciller. Son regard resta rivé dans le sien alors que sa puissante silhouette se tendait à mesure que les paroles se déversaient en lui dans le flot chantant du Bourgmestre. Pour autant, l'ombre d'un sourire appréciateur passa, fugace, quand il émit l'inquiétude de perdre le droit d'être considéré comme un frère d'arme s'il fuyait la queue entre les jambes le champ de bataille. Avec un soupir silencieux, Sigvald allait ouvrir la bouche pour le rassurer et répondre à ses interrogations des plus légitimes, quand l'elfe approcha un sujet plus sensible encore. A la mention des vampires, toute chaleur quitta le regard du glacernois et son visage se ferma pour devenir aussi lisse et inhumain qu'une porte de prison. Instinctivement, l'homme se redressa dans son siège et toute la violence contenue dans son corps puissant, forgé par la guerre et les combat, se tendit à l'image d'une corde d'arc. Le bleu de ses iris vira à l'acier et la jointure de ses doigts se mit à blanchir sur l'arme culinaire qu'il tenait. Sa respiration, contrairement à la haine viscérale qui grondait en lui, n'avait pas gonflée et ne s'était pas accélérée. Au contraire, elle s'était approfondie et régulée à la façon d'un prédateur, comme le loup sachant qu'une longue traque l'attendait et que chaque parcelle d'énergie lui était nécessaire.

« - Bourgmestre Leweïnra... Je pourrais me vexer de vos propos. »

La voix était basse, rocailleuse et grondante, elle fit vibrer son torse musclé alors qu'il massait des épaules et plissait des yeux sur la silhouette racée qui lui faisait face. Son instinct lui hurlait de lever les armes, de refuser toute affaire avec ces monstres répugnants. Chaque fibre de son être, modelée depuis le berceau à haïr les vampires, criait au massacre de ces choses inhumaines, de ces absurdités de la nature. Savoir que ces choses ce baladaient librement dans le camps lui avait toujours gratter le creux de la paume, éprouvant sans cesse le conflit de tirer, ou non, sa lame au clair pour abattre la juste rétribution des victimes causées par ces meurtriers et ces bêtes maudites. Un silence pesant tomba sur le petit groupe alors que le glacernois luttait visiblement pour ne pas simplement quitter les lieux et partir en chasse afin de régler une bonne fois pour toute ce dilemme. L'approche de l'elfe fut observée avec une attention accrue et il était évident que le moindre geste brusque serait pris comme une attaque et qu'il y répondrait en conséquence. Pour autant Aldaron fut assez délicat et gracieux pour qu'un incident malheureux ne se produise pas et ce fut avec réticence que le Général laissa son hôte récupérer le couteau. Le silence se poursuivit encore quelques instants, mais cette fois il semblait moins électrique et lentement, Sigvald prit de profondes inspirations avant qu'il ne parvienne à décrisper un à un ses muscles. Lorsqu'il roula des épaules pour chasser les dernières tensions, il retourna s'adosser dans la chaise. S'il ne semblait plus d'humeur à massacrer de la sangsue, un éclat dangereux dansait toujours au fond de ses prunelles glacées.

« - Tant que vous tenez en laisse vos monstres, il n'y aura pas de problème de notre côté. Toutefois, s'il me vient aux oreilles le moindre incident qui les impliquerait, que ce soit de près ou de loin... »

Il ne termina pas sa phrase. En avait-il seulement besoin ? Le visage toujours fermé et dépourvu de toute émotion, le guerrier baissa enfin les yeux sur le plan et il s'ébroua mentalement pour revenir à des sujets plus urgents.

« - Si une guerre venait à se déclarer et que vous auriez déjà renvoyé vos mercenaires, soyez assuré que mes hommes sauront repousser les troupes séléniennes déjà en place. »

Sigvald marqua un pause et lança un regard en coin à Ilhan, semblant seulement se rappeler de sa présence. Il cilla légèrement à la tête que ce dernier tirait et poussa un long soupir alors qu'il venait masser l'arrête de son nez entre son pouce et son index. Le peu de tension qui lui restait sembla définitivement couler hors de lui et il s'affaissa contre le dossier dans un vague grondement dépité. Pourquoi avait-il la certitude qu'il allait se faire passer un savon par son professeur de diplomatie dès qu'ils mettraient un pied hors de cette tente ? Il en avait déjà un début de migraine. D'un vague geste de la main qui engloba toute la carte, il reprit la parole avec une certaine chaleur retrouvée dans la voix autant que dans son regard. Le Chasseur de Vampire en lui refluait et l'inhumanité nécessaire pour confronter des êtres au sang tout aussi froid retournait en sommeil. Légèrement déphasé par cette grimpée d'adrénaline semblable à un coup de fouet, le glacernois passa une main dans ses cheveux et reprit :

« - Je parle donc uniquement des troupes séléniennes en place sur Cordont et je ne compte avec elles que deux dragons et dragonniers. J'ose espérer que la Princesse Ataliel n'aura pas la stupidité de s'impliquer militairement dans un conflit au risque d'empirer les choses. Tout ce qu'elle y gagnera, c'est de tirer le Royaume Elfique dans ce merdier sans nom... et avec ça, probablement la perte de son rang au sein de l'armée. »

Il fronça de nouveau les sourcils, visiblement peu convaincu de ses propres paroles. De toute, si la Flamboyante restait en retrait, elle forcerait très probablement sa compagne à faire de même et de toute façon, ni la petite Luna, ni son dragonnet de cuivre ne représentaient à l'heure actuelle un réel atout si jamais un conflit sérieux venait à éclater entre les deux factions. En toute logique, il ne resterait alors que Nolan et sa calamité à écailles d’améthystes... et lui, Sigvald Elusis, il n'avait toujours pas de baliste sous la main ! Non décidément, il allait devoir en faire passer commande auprès de Nyko pour qu'il lui en rapporte une lors de sa prochaine escale sans quoi il ne se sentirait jamais à l'aise.

« - Il y a deux cas de figures dans ce genre de situation. Soit l'affrontement est suffisamment violent et vindicatif de notre côté pour que Nolan prenne peur et courbe l'échine, calmant ses ambitions et ses nerfs testostéronés d'adolescent, soit le conflit n'a pas assez d'impact et lui donne la confidence de s'engager dans une nouvelle guerre contre l'Alliance. »

L'ombre fugace d'un sourire amer, sans joie, avant qu'il ne poursuive :

« - Dans le premier cas, nous affirmons notre main mise sur la situation et faisons comprendre à l'Empire qu'il agit réellement comme un enfant. Les pertes sont minimes et vous n'aurez effectivement pas à rappeler vos mercenaires. Dans le second cas, la situation s'enlise et l'Empire apporte des renforts ; même si nous pouvons aussi en faire venir de Délimar, je dois avouer qu'un soutient militarisé de Caladon ne sera pas de refus... car la zone n'est clairement pas à notre avantage. Il n'y a quasiment aucun point stratégique et les pertes humaines risquent d'être rapidement très lourdes. »

Il se pencha au dessus de la table pour l'observer et leur désigna les différents points intéressants, puis leur exposa les nombreuses failles présentes dans les environs, sans faire mention du Gouffre qui était une donnée déjà bien instable et périlleuse en soit.

« - Tout ça pour dire, Leweïnra, que même sans la présence de vos mercenaires, je ne cracherai pas sur votre compagnie au front. Jusqu'à preuve du contraire, vous êtes deux entités séparées, non ? Ne me dites pas que cet arc n'est là que pour la décoration... »

Son regard brilla un instant d'un brin de provocation amicale, puis il reprit avec plus de sérieux :

« - Outre mon aversion pour les mercenaires, je sais qu'ils coûtent excessivement cher, même pour Caladon. Nous ne savons pas combien de temps va durer la mise en place des négociations et je préfère savoir cet argent au chaud dans vos poches, plutôt que dans celles de ces chacals. Vous avez su prouver que l'appel aux armes de Caladon peut se dérouler en quelques jours à peine, je ne pense pas que l'Empire l'oubliera si vous venez à retirer vos hommes de la zone... au contraire, cela risque de mettre en confiance le jeune Empereur qui aura moins la pression militaire dans sa prise en compte des arguments de l'Alliance quand à un désir de paix. C'est un faible sacrifice pour montrer patte blanche à l'Empire, vous ne trouvez pas ? »

Il les regarda tour à tour, replongeant dans le silence.


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    Un sourire pincé, étouffé fendit son visage de cendres à l'absence de réponse à sa demande de traduction. Était-ce donc aussi inavouable que cela ? Voilà qui risquait d'être très amusant lorsqu'il retrouverait Ivanyr pour le questionner. Revenant à un sérieux de circonstances, ses sourcils délicats se froncèrent d'une pensée affligeante. Être l'otage de Fabius et d'Aldakin n'avait guère du être une expérience ravissante pour des enfants, surtout des protégés royaux guère habitués à être malmenés, mais de là en venir à comparer cette souffrance avec celle ressentie par les Glacernois à l'égard de la Couronne... En plus de mettre un point d'honneur à ponctuer toute conversation par sa parole, Nolan ne savait guerre entendre la douleur des autres sans la ramener à la sienne. C'était déplacé autant que cela n'alimenterait jamais de débat. Rien de plus que de la colère. Aldaron la sentait, vibrante et véhémente, dans les muscles tendus du colosse. Ainsi n'ajouta-t-il rien à ses propos : il était inutile de jeter de l'huile sur le feu quand celui-ci était déjà un brasier. Seuls ses prunelles verdoyantes s'inclinaient à l'éclat d'une compassion muette mais pas moins sincère. Le respect avait plus de profondeur que les palabres mielleuses n'en auraient jamais. Il n'était pas Nolan, à courir absolument après les dernier mot. Il y avait des fois où il était plus poignant de l'offrir à l'autre, en signe de déférence.

    L'ombre d'un sourire revint au sujet du nom de la plante. L'elfe, lui, n'était guère surpris d'une pareille appellation. Marchand, il avait acquis et vendu des objets portant tant de noms abracadabrants qu'un de plus ou un de moins ne soulevait aucun sentiment. Néanmoins, en prenant un peu de recul, celui-ci était particulièrement peu parlant. ''Plante carnivore'' aurait été plus représentatif... Les savants devaient probablement avoir leurs raisons. Acquiesçant d'un signe de tête la sélection des recrutements, il cherchait mentalement des connaissances qui pourraient répondre présentes. Le réseau du Marché Noir était assez large, peut-être que son Grand Mécène aurait quelques noms à lui souffler dans le creux de l'oreille. Il confirmait faire ce qu'il pourrait pour placer les personnes les plus adéquates face à ce gouffre et ses nombreuses problématiques. Gagner la tutelle était une chose, mais celle-ci s'accompagnait d'un devoir de protection. Ils auraient l'air bien ridicules s'ils échouaient après s'être tant battu pour repousser la ligne Sélénienne et refuser sa présence. L'elfe énonçait ses questions, au sujet de l'armée en présence, et ce fut sans grande surprise qu'il mira la tension étouffée dans ce corps musculeux, prédatrice et dangereuse. Il haïssait Morneflamme, mais sur l'instant il remerciait la prison d'avoir forgé la solidité de son esprit et sa capacité à résister à l'image d'une telle figure de puissance.

    Sigvald aurait pu se vexer, oui. Mais le subjonctif soulignait une hypothèse qui vraisemblablement n'avait pas sa place. Et pourquoi ? Probablement parce que le Général avait cette maîtrise solennelle et Aldaron cette sincérité tolérante, capable de tout avouer et de tout entendre. Les deux combinés lui permit de soutenir son regard, sans craintes violentes et sans honte. Il était légitime dans sa question lorsqu'il s'agissait d'un enjeu tel qu'Ivanyr, aussi demeurait-il ferme dans l'attente d'une réponse. De la même manière, il ne cherchait pas à contraindre sa colère et sa haine à l'égard des vampires. En lui retirant le couteau, il ne lui prenait que la possibilité d'un geste malheureux. Il ne le chargerait pas d'un discours sur l'erreur qu'il faisait, comme de nombreux Glacernois, à prendre les vampires uniquement pour des monstres. Ils l'étaient, Aldaron ne saurait nier l'essence même de leur existence qui était une malédiction, ni même leurs agissements bestiaux. Mais il les savait aussi capables de pieux sentiments et même d'amour sincère. Les esprits-liés des inséparables les avaient choisi pour s'aimer. Et les esprits-liés ne pouvaient pas se tromper. La Triade s'en trouvait assuré qu'il y avait un compromis à trouver entre la haine cruelle et la confiance aveugle. Ainsi avait-il trouvé un équilibre, jadis, avec son frère de cœur.

    La réponse vint et l'elfe la laissa couler dans son intégralité, la captant dans son essence. Il laissa un silence s'installer alors que ses prunelles verdoyantes se posaient sur son propre arc, trônant qur le mobilier. Il ne se serait pas permis une telle décoration en la présence de Sigvald, si ce n'était son utilité. Rien dans son habillement n'était magique. Seule son arme reposait à proximité, eu égard des tensions sur le campement. Ses mires d'émeraude revinrent se planter dans les orbes de glace. « Je vais faire retirer les mercenaires. Ils seront payés ce soir de leur solde ainsi que de leur silence et devront lever le camp demain matin. Isenkor est la Cité Libre la plus proche disposant d'un de mes réseaux de mercenaires. Ils sont à quatre heures à pied d'ici. C'est à eux que j'ai fait appel suite à la catastrophe. » Ainsi connaissait-il ses délais, à présent, pour les faire revenir en cas d'urgence. « Je tiendrai mes monstres en laisse. » Il ne cherchait même pas à revenir sur ces propos crus, pas même à en discuter leur nature : il s'alignait sur ses mots sans les dénaturer, et sans avoir peur de les affirmer. « Toutefois, s'il vient à vos oreilles le moindre incident qui les impliquerait, que ce soit de près ou de loin... Vous viendrez m'en référer. » La chute était droite et ferme. Inflexible.

    « Je suis le bourgmestre de Caladon. C'est à moi qu'il appartient de répondre des actes des hommes dont j'ai la loyauté mais aussi la responsabilité. » L'un n'allait pas sans l'autre, aussi refusait-il que Sigvald fasse justice lui-même. « Entendons-nous : je ne fermerai pas la porte à vos doléances. Il s'agit néanmoins de mon peuple, j'appliquerai la sanction adéquate à l'égard de ceux qui viennent perturber la bonne marche de votre travail, en ce lieu de tensions militaires. » L'émeraude se fit tranchante, rehaussée d'une aura régalienne. Poussa un soupir, il vint retrouver le fond de son assise alors que ses mains glissaient de la table pour venir de poser sur ses genoux. Il n'aimait pas la façon dont Sigvald parlait des vampires, mais il taisait ses émotions au profit de quelque chose de plus juste. L'Elusis et lui savaient pertinemment de quel vampire en particulier il était question sous ces propos généraux. Aussi acheva-t-il avec clarté et sincérité : « Si vous tuez Seithvelj, Général, vous me tuez aussi. Et je ne vous parle pas de sentiments qui poussent à sauter du haut de la falaise. Nos vies sont liées par un pacte plus puissant de la raison ou même la volonté de vivre. » Et pourtant, la sienne était bien affûtée par son séjour à Morneflamme. S'il y avait bien des personnes qui s'étaient accrochés à la vie, c'étaient les rescapés de la prison.

    Serrant les mâchoires pour déglutir ses propres mots, il ajouta : « Je n'avais pas l'intention de jeter un froid, ce soir. Ni même de vous offenser ou de vous vexer. Je voulais que vous le sachiez et que vous vous en souveniez lorsque... » Ses paupières se fermaient alors qu'il expirait sèchement par le nez. D'une voix blanche, il terminait : « Il est normal de chercher à panser ses plaies, je ne vous le reprocherai jamais. Il est cruel de ma part de vous demander de laisser votre blessure saigner pour moi. J'espère que vous me pardonnerez cette monstruosité. » Sigvald n'avait-il appelé les vampires 'monstres' ? Il n'était pas sorti de Morneflamme avec une armure blanche. Il porta son regard sur Ilhan dans l'espoir que leur conversation prenne un nouveau virage.

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Ilhan tentait de suivre les plans militaires de Sigvald. Pas que cet effort intellectuel lui était difficile. Plus qu’il cherchait à comprendre les motivations derrière de telles manœuvres ou de telles décisions. Depuis qu’ils avaient commencé leurs cours mutuels tous deux, Ilhan avait dévoré pas mal de livres et autres récits militaires, de description de stratégie guerrière. Pas qu’il pourrait devenir Général à la place du Général, pas encore. Mais disons du moins qu’il commençait à comprendre certains mots, certaines tactiques. Et qu’il en cherchait alors les traces à la moindre occasion. Moult questions agitaient encore son esprit à chaque détail qu’offrait Sigvald, mais il les tut. Pour ne pas l’interrompre d’une part et… parce qu’il y en aurait trop, d’autre part. Il espérait ne pas être trop fatigué en rentrant pour pouvoir ensuite savamment les noter sur un parchemin… et les poser au Général une fois leurs cours repris…

Le diplomate pinça les lèvres et son sourire se durcit quand l’elfe demanda la traduction de cette phrase nordique honnie. Mais ce n’était pas l’elfe qu’il foudroyait de son regard le plus noir, c’était le Général. Fort heureusement, ce dernier, qu’il ait vu sa pleine et forte réprobation ou non, ne répondit pas et botta en touche. Même si Ilhan se doutait bien que l’elfe obtiendrait, d’une façon ou d’une autre, la traduction de ces mots malheureux. Il était étrange, songea-t-il, comment l’elfe parvenait à bien se rappeler une phrase en langue étrangère, presque mot pour mot, alors qu’il était incapable de leur répéter aussi fidèlement les paroles si précieuses de l’Empereur. L’esprit humain était chose étonnante, mais l’esprit elfique l’était tout autant, finalement, et avait les mêmes mœurs sélectives dirait-on, quand quelque chose attirait son intérêt.

Il remercia l’elfe intérieurement de donner pour lui l’explication détaillée des tenants et aboutissants concernant l’interprétation de neutralité et le réel statut de Cordont. Un territoire des cités libres même si pas de l’Alliance. Une cité libérée elle aussi de l’Empire, même si en terrain « neutre » et frontalier, choisie pour signature d’un traité de paix. Et Ilhan nota que Sigvald semblait véritablement attentif. Presque plus que lors de ses propres cours. Peut-être devrait-il songer à une autre méthode pour cet élève parfois un peu récalcitrant...

Puis un autre virage fut pris. Des Ékinoppyre ? Ilhan nota aussi les précisions sur ces plantes étranges qui les menaçaient depuis les profondeurs. Y avait-il encore de telles surprises dans ces bas fonds obscurs ? Le petit althaïen réprima un frisson et se força à se concentrer de nouveau sur la conversation.

Et soudain… soudain… LE sujet délicat. Comme s’il n’y en avait pas déjà assez. Ilhan se tendit. Cette fois il ne réprima pas ce mouvement. Il était aux aguets, les sens à l’affût, et son regard sombre était rivé sur le glacernois. Pas sur l’elfe, nul besoin de surveiller l’elfe en cet instant. Ce qui l’inquiétait était la réaction du délimarien à ses côtés. La demande de l’elfe n’était pas totalement inutile ni illégitime si l’on était honnête. Il était de notoriété que Caladon abritait des vampires… et donc la question de leur sécurité devait aussi être réglée. Ilhan priait en son for intérieur que le colosse sache se maitriser. Un minima.  

« - Tant que vous tenez en laisse vos monstres, il n'y aura pas de problème de notre côté. Toutefois, s'il me vient aux oreilles le moindre incident qui les impliquerait, que ce soit de près ou de loin... »

Et il soupira de soulagement. Même si son corps ne se détendit pas entièrement. La réponse était rude… mais acceptable. Si l’elfe était honnête aussi, il ne pourrait que concéder l’effort. Le coeur de l’athaïen ne se calma pas pour autant et semblait vouloir voler hors de son corps vers d’autres cieux plus cléments. Quand il vit son partenaire se détendre d’un iota, Ilhan reporta son attention sur l’elfe et attendit la prochaine bombe. Peu sûr que la réponse du délimarien ait totalement suffi au bourgmestre.

Il écouta. Attendit. La patience du dauphin aiguisée comme jamais. Mais la rapidité de l’araignée prête à fuser pour stopper sa proie. Tout son corps était porté vers l’avant. Sa main posée sur la table, tout prêt du bras du délimarien. Un geste, un seul et il réagissait. Il n’était certes ni fort ni puissant, mais agile et rapide. Et l’esprit calculateur capable d’anticiper aussi. L’oeil observateur scrutant chaque réaction déplacée.

« Je tiendrai mes monstres en laisse. »

Ilhan retint une grimace. Mais ne broncha pas. Il lâcha l’elfe du regard toutefois et porta toute son attention sur le délimarien.

« Toutefois, s'il vient à vos oreilles le moindre incident qui les impliquerait, que ce soit de près ou de loin... Vous viendrez m'en référer. »

Alerte. Désamorçage en vue. La tension revenait en puissance dans le corps du délimarien. Mâchoire crispée. Dos raide. Non, Ilhan pas maintenant, il se contient encore. Heureusement il connaissait de mieux en mieux son compère pour décrypter le moment clé, ce moment où toute lucidité se perdait et où l’action prenait ses droits sur toute réflexion.

« Je suis le bourgmestre de Caladon. C'est à moi qu'il appartient de répondre des actes des hommes dont j'ai la loyauté, mais aussi la responsabilité. »

Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Ilhan se ferait une joie de consigner cette phrase-là aussi. Elle serait cruciale si dérapage devait advenir. Parce que si le dérapage se déclenchait par l’action d’un vampire… Inutile de dire que les délimariens n’iraient pas porter plainte. Ils agiraient, neutraliseraient la menace. Et ensuite seulement en aviseraient qui de droit... Alors si dans cet acte de neutralisation le malheureux vampire fautif venait à périr… Non, mieux valait ne pas y songer. Ce ne serait même pas une question de justice dans l’esprit de Délimar. Mais juste de légitime défense. Difficile sur ces notions-là de faire tomber d’accord des états d’esprit si différents.

Délimar avait évolué oui, s’était ouverte même aux étrangers, par certains côtés… mais il ne fallait pas trop en demander tout de même. Et ce que l’elfe demandait là était encore trop délicat. Les délimariens pouvaient jurer ne pas attaquer les vampires oui, les défendre au même titre que les autres si attaque extérieure, éventuellement. Mais… encore fallait-il que lesdits vampires n’attaquent pas eux-mêmes.

« Entendons-nous : je ne fermerai pas la porte à vos doléances. Il s'agit néanmoins de mon peuple, j'appliquerai la sanction adéquate à l'égard de ceux qui viennent perturber la bonne marche de votre travail, en ce lieu de tensions militaires. »

Ouch, ça passait mal. Ilhan le voyait. Il avait l’impression que Sigvald broyait les mots qu’il retenait tant sa mâchoire était contractée. Pourtant, il fallait aussi l’avouer, les deux partis avaient mis de l’eau dans leur vin. L’elfe pour ne pas broncher aux propos outrageux et grossiers qu’avait offert le général délimarien envers les vampires, ledit général pour ne pas avoir encore, même si bientôt, explosé à ces demandes, certes légitimes, mais difficiles à accorder pour les Glacernois, fiers et nobles descendants de tous ces combattants anti-vampiriques. Il y avait des efforts de part et d’autre oui. Pour autant, Ilhan ne lâchait toujours pas Sigvald des yeux. Tout dans l’attitude du diplomate dénotait son inquiétude, légitime elle aussi. Car il sentait qu’on frôlait les limites du délimarien. Il allait devoir intervenir si le sujet s’éternisait...

« Si vous tuez Seithvelj, Général, vous me tuez aussi. Et je ne vous parle pas de sentiments qui poussent à sauter du haut de la falaise. Nos vies sont liées par un pacte plus puissant de la raison ou même la volonté de vivre. »

Limite atteinte. Alerte, alerte rouge ! Ce regard de glace qui soudain soufflait mépris profond et vive réprobation. Tout en Sigvald criait « assume de te lier à un monstre, imbécile ». Les mots n’étaient pas dits, mais le corps les hurlait pour lui. Ilhan posa instantanément une main sur le bras puissant de Sigvald et ferma sa petite poigne sur la peau tendue. Une pression. Une deuxième plus appuyée. Etonnamment son coeur qui s’était emballé jusque-là semblait ralentir. L’appréhension de l’action se dissipait, l’heure d’agir avait sonné et l’althaïen n’avait plus qu’une pensée : calmer la tension arrivée à son paroxysme. Plus rien d’autre ne comptait.

Paix mon ami, nous sommes ici pour Cordont. Avant toute chose, souffla-t-il pour ramener le délimarien à la réalité.

Pour le rappeler physiquement à l'endroit où ils se trouvaient. Même s’il risquait de se prendre un coup malheureux et en avait parfaitement conscience.

Nous sommes là tous pour Cordont, ajouta-t-il, sa main toujours sur le bras, mais son regard sombre alternant entre le délimarien et l’elfe.

Prêt à s’interposer physiquement s’il le fallait. Ou à appeler le souffle spirituel de son anneau pour que son dauphin devienne plus puissant et l’aide à les ramener à la raison si besoin en était.

Pour l’Alliance. Et par respect pour tout ce que nous avons perdu et voulons reconstruire. Paix et respect mes amis.  Ce sont là les maîtres mots.

Ilhan sentit son compère revenir à lui et sans doute à un semblant de raison. Il n’aurait visiblement pas besoin du dauphin à pleine puissance, que les esprits soient bénis.

« Il est normal de chercher à panser ses plaies, je ne vous le reprocherai jamais. Il est cruel de ma part de vous demander de laisser votre blessure saigner pour moi. J'espère que vous me pardonnerez cette monstruosité. »

Ilhan hocha la tête vers l’elfe.

Chacun sera effectivement responsable du comportement de ses propres hommes, fit-il enfin d’une voix posée, mais ferme. Mais, bien entendu, il n'y aura pas d'incident, vous saurez chacun…

Et son regard fixa longuement l’un et l’autre.

tout mettre en oeuvre pour les éviter.

Il ancra ses orbes de jais un peu plus longuement sur l’elfe. Lui faisant clairement comprendre à demi-mot que mieux valait faire en sorte que ses comparses vampiriques ne commettent aucun impair, car toute bonne résolution pourrait être balayée par le feu de l’irraison et de la colère. « Tu es responsable ? Soit, alors tiens-les bien et tout ira bien. »

Puis lâchant enfin le bras de Sigvald, il frappa dans ses mains, faussement enjoué.

Vous avez fait joujou avec vos plans militaires, à moi de jouer avec mes plans politiques.

Un sourire presque carnassier s’esquissa sur son visage tiré et d’un geste souple il tira plusieurs parchemins de ses brassards cachés.

Il en déroula un, sans même leur laisser le temps de réagir, et le posa sur la carte de Sigvald en poussant doucement ses petits soldats de pain.

Voici une liste de toutes les tâches à prévoir. Le plus urgent me semble, outre la sécurité et le renforcement des terres, l’assainissement. Si je puis me permettre ce mot grossier. Nous ne pouvons laisser ce gigantesque charnier en l’état. Sous peine de voir épidémies et maladies répandre leur venin sur les lambeaux de la Chue. Mais nous devons aussi aux morts un semblant de respect… Nous ne pourrons certainement pas effectuer un rituel des morts digne de ce nom comme le veut la coutume de chaque peuple. Mais… nous pourrions tout de même… effectuer une petite cérémonie en leur hommage qui y soit apparentée. Voilà ce que je propose.

Et il tourna vers eux le parchemin avec toutes ces propositions qu’il résuma sommairement. Cela consistait à effectuer un énorme bucher funéraire et à nommer chaque mort lors de la combustion, y assister pour ceux qui en auraient le courage et pour un représentant au moins de chaque cité. Lui-même se dévouait, bien entendu, même si cette tâche le faisait déjà succomber de nausée. Mais cela lui semblait le minimum décent tout en permettant d’assainir le chantier de mort.

Pour les reconstructions, dont certaines temporaires, voici quelques propositions et ébauches de plan pour les premiers travaux. La liste de nos artisans, leurs compétences. Leur estimation des constructions urgentes, comme la gestion des points d’eau. La liste de nos matières premières apportées, plus celles que Caladon a assumées. La liste de celles à venir. L’estimation des besoins en nourriture, eau, fournitures de base, celles apportées, et celles dont nous aurons encore besoin.

Se disant, il désignait chaque point. Il continua sur certains points d’organisation sanitaire et de gestion du camp. Car la politique ce n’était pas que des débats futiles et inutiles mais aussi l’agencement du territoire et la gestion des populations. Ni plus ni moins que ce qu’il proposait d’agencer de façon claire et ordonnée pour que toutes les cités coordonnent leurs efforts de façon optimale. Sans entrer encore dans les détails, cela viendrait après, les équipes chargées de chaque point s’en chargeraient.

Puis arriva une question cruciale selon lui.

Il nous faudra aussi, rapidement, et quand je dis rapidement c’est dans les jours à venir, à la fin du mois au plus tard, constituer un Conseil qui dirigera et régentera Cordont pendant nos absences respectives, qui coordonnera, selon les consignes données, tous les travaux et la gestion au quotidien. Voilà, si vous êtes d’accord sur la constitution d’un tel Conseil, une proposition de composition.

Il sortit alors un autre parchemin, où était noté le nom de Cordont, Délimar et Caladon. Et trois postes pour chaque cité. Trois postes de conseillers par cité. Neuf en tout. Quand Cordont serait assez apte pour nommer les siens. Six en attendant. Un nombre pair, trois délimariens, trois caladoniens. Le temps que les cordonais les rejoignent et se fassent les membres impairs pour trancher tout litige. C’était là un chiffre déconseillé, en temps ordinaire. Mais ils n’étaient pas en temps ordinaire. Ilhan avait alors estimé ce chiffre juste : Délimar et Caladon se devaient de se mettre d’accord. Et cela passait par un Conseil soudé et avançant dans la même voie. Un tel Conseil sur un temps limité pouvait être fort et marquer les esprits. Ilhan pensait que les deux cités avaient déjà fait beaucoup dans la même ligne de conduite, ce ne serait là qu’un pas de plus. Le temps que des cordonais rejoignent le Conseil et en prennent la main à leur côté.

Tout incident concernant Cordont pourra ainsi être traité par ce Conseil mis en place, souffla-t-il en un murmure, évoquant doucement le sujet délicat de responsabilité.

Un Conseil leur enlèverait, il était vrai, cette épine du pied.

Le petit althaïen darda alors un long regard sur l’elfe en face de lui, attendant son verdict. Le silence s’étira, les deux sans doute en train de consulter ses parchemins. Un serviteur passa et déposa une petite coupelle de dessert sucré. Ilhan attrapa une des petites friandises en forme de boule et ferma les yeux sous le délice. Il adorait le sucré. Puis il attrapa une petite barre fine et allongée.

Hum. Succulent. Un pur plaisir des sens. Mais je préfère les boules…. Là.. Je ne connais pas le nom de…

Et soudain Ilhan se figea, réalisant les mots qu’il venait de dire. Et le double sens possible. Confus, il s‘arrêta, s’empourpra légèrement, et ajouta à mi-voix :

Je parlais du dessert. De… ça…

Puis préféra se taire et se pincer les lèvres pour éviter tout autre mauvais jeu de mots.

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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Les mots de l’elfe étaient probablement justes, voire légitimes, si seulement une oreille objective pouvait s’y prêter. Hors ce n’était pas le cas du Délimarien dont la corde imagée de son sang froid s’étiolait fibre après fibre, un peu plus limée à chaque mot que le Bourgmestre prononçait. Son corps s’était de nouveau raidi, ses épaules se massaient vers l’avant alors que ses poings massifs se fermaient avec une telle force qu’ils faisaient frémir la musculature puissante de ses bras. Les veines saillantes dansaient sous la peau pâle, criblée de cicatrices et les coutures de son ensemble grinçaient au supplice qu’elles vivaient sous la tension imposée. La mâchoire se crispa et les yeux s’étrécirent d’une colère qui couvait, grondante et grandissante comme un feu de forêt. Son souffle s’était modulé en une rythme profond et calme, dépareillant de l’aura bouillonnante qui émanait de lui sur l’instant. Même les battements de son cœur s’étaient étrangement apaisés, pourtant il avait soif de violence et de rétribution pour les insultes que son prétendu allié lui giflait l’une après l’autre.

S’entendre dire qu’il devait porter à l’elfe des doléances en cas d’attaques vampirique le laissait totalement sur le cul. Espérait-il vraiment que lui et ses hommes n’interviennent pas si jamais ces monstres s’en prenaient aux autres peuples !? Alors quoi ? Ils devraient simplement attendre, puis aller témoigner de l’attaque et laisser ça aux mains de Caladon plutôt que de régler le soucis sur l’instant et d’en référer ensuite à qui de droit ? C’était totalement absurde ! Comment pouvait-on être aussi aveugle au danger que représentait ces choses !? Les vampires étaient foncièrement vicieux, pervers et tourmentés. Ils n’étaient que des parasites, des reliquats des êtres dont ils possédaient le corps… ils ne valaient pas mieux que les Chimères. Au moins ces dernières avaient le mérite d’assumer leur héritage ! Une bile amère monta à la gorge du délimarien qui restait silencieux, bien que son regard trahissait clairement le fond de ses pensées. L’estime qu’il avait commencé à bâtir autour d’Aldaron était en train de s’effriter comme un vulgaire château de sable et le coup final lui fut porté avec une efficacité redoutable.

La nouvelle lui tomba dessus comme un véritable coup de feutonner et il mit plusieurs secondes à assimiler pleinement l’information, puis ce fut l’explosion. Le regard de Sigvald se peignit de tout le mépris et le dégoût qu’une telle union lui inspirait et il cloua l’elfe d’un ressentiment profond alors qu’il amorçait un geste pour se lever. Comment pouvait-on se lier à un monstre et imposer aux autres pareilles conséquences !? N’osait-il pas s’assumer pour réclamer que l’on considère ses actes avant d’agir par égard pour lui ? Mais par les Dieux, s’il fallait payer la mort du Bourgmestre lorsque viendra le moment de se débarrasser enfin de Seithvelj, alors il paierait le tribu sans une once de remords ! Le Général allait tendre un bras pour saisir l’elfe par dessus la table avec la ferme intention de lui enfoncer dans le crâne ce qu’il pensait de ses propos, quand il sentit une main fine se poser sur son avant-bras. Aussitôt il se crispa davantage et tourna vivement la tête en direction de l’inconscient qui osait le retenir… seulement pour découvrir Ilhan.

Leur regard se croisèrent et la voix au timbre profond l’appela au calme. En d’autres circonstances, en d’autres compagnies, probablement qu’un tel geste aurait appelé un bon revers de ses phalanges, mais heureusement pour le dauphin que pour tout ce qu’ils essayaient de bâtir aujourd’hui ; Sigvald retrouva un semblant de calme. Il ne pouvait pas déshonorer Tryghild ainsi que tout Délimar sur un coup de sang. Ce fut donc avec un sourd frisson de colère que le géant retourna s’asseoir et croisa les bras en une posture fermée et hostile. Ses yeux au bleu glacé se rivèrent avec obstination sur le plan qui encombrait la table, sa mâchoire resta crispée et les mots qu’il n’avait pas pu prononcé furent broyés avec une mauvaise humeur palpable. Le temps qu’il fallu à Ilhan pour dérouler ses parchemins suffit à lui faire avaler une partie de l’incident et ce fut d’un œil plus aimable qu’il contempla ce que son diplomate avait à leur exposer. Il songea, en l’observant d’une expression à nouveau impassible, qu’il devrait lui présenter des excuses lorsqu’ils seraient à nouveau seuls. Peut-être même lui faire parvenir quelque chose depuis Délimar lors de la prochaine livraison maritime, comme un équipement de confort ou d’étude ?

Mettant de côté pareilles considérations, Sigvald fronça les sourcils alors qu’il levait une main pour se gratter une joue mangée de barbe. Le premier sujet qu’abordait l’althaïen était délicat puisqu’il impliquait la mort et les cérémonies qui en découlaient. Chaque peuple avait sa propre façon d’exécuter ces dernières hors ils n’avaient ni les ressources, ni la main d’œuvre pour les effectuer chacune à leur tour dans des délais raisonnables. Un lourd soupir secoua sa silhouette et il prit enfin la parole d’une voix encore sourde de colère :

« - J’entends ce que vous me dites, Avente. Toutefois, nous n’avons pas autant de bois à consacrer pour une telle action. Nous sommes encore au cœur de l’hiver et nous ne savons pas si le printemps arrivera à l’heure cette année, du coup le bois de chauffage est déjà hors de question. De plus, il nous est impossible de déboiser les forêts proches, pour les raisons que nous avons cité plus tôt, mais aussi en raison du gibier que nous devons préserver dans la région pour les prochaines années. Enfin, le bois que nous recevons depuis les Cités est déjà manufacturé en planches, poutres et autres nécessités pour la reconstruction de Cordont. »

Il passa la main sur sa nuque qu’il massa longuement avec l’espoir de chasser la tension qui persistait dans son corps. Plus que jamais, il regrettait l’absence de Tryghild ou de Nyko avec qui il aurait adoré se défouler une fois qu’il quitterait cette foutue réunion.

« - On a pour nous la saison : le froid conserve les corps et ralentit la décomposition, mais je suis d’accord avec vous ; tôt ou tard, un épidémie va surgir et nous n’avons vraiment pas besoin de ça. De plus, le moral des survivants, autant que celui des troupes stationnées, n’est pas à négliger. Je propose que l’on habille et dispose des corps de façon plus… respectueuse, dirons-nous. Si nous les disposons sur le sommet d’une colline, puis que l’on recouvre le tout avec de la chaux, il nous suffira d’empiler des pierres pour que les corps ne soient pas saccagés par les bêtes sauvages. C’est bien sûr une solution temporaire, qui offrira aux survivants un lieu de recueille le temps que nous puissions dégager les ressources nécessaires pour offrir aux morts une cérémonie digne de ce nom. Faire cette dernière à la va vite ne me satisfait pas, je dois l’avouer… ils méritent mieux, même si pour cela nous devons garder auprès de nous leurs âmes un peu plus longtemps. »

Le Général se fit à nouveau silencieux et écouta la suite des estimations concernant les ressources, l’aménagement et l’approvisionnement des camps, mais surtout de la ville et de sa reconstruction. Avec une légère grimace à la vue impressionnante de la paperasse que lui sortait Ilhan, il prit un à un les parchemins en se demandant comment l’autre parvenait à cacher tout ça dans ses manches ! Il avait un glyphe « sans fond » là dessous ou quoi !? Avec un soupir à fendre la roche, Sigvald commença une longue et ardue lecture faite de colonnes de chiffres et de lignes interminables. Il argua sur certains points et partagea de bon cœur sa propre expérience en la matière, ayant travaillé à la construction de Délimar depuis qu’ils s’étaient installés sur l’Archipel. En dehors de ses fonctions de Général il avait le statut plus commun de Chasseur, mais puisque les bois étaient riches en gibiers et que nombre de soldats savaient parfaitement chasser, Sigvald s’était davantage tourné sur la menuiserie et d’autres corps de métiers principalement axés sur la construction ou les réparations. S’il aurait préféré mettre ses connaissances à profit d’une cause moins sinistre, il était toutefois heureux d’être en possession de tels acquis et de pouvoir aider ceux dans le besoin. Trop occupé à noircir les marges de quelques annotations de références et conseils, il ne comprit pas tout de suite l’embarras soudain qu’il sentit chez son collègue.

« - Êtes-vous vraiment un althaïen, Avente ? »

Il le darda d’un air sévère, mais la légère lueur dans ses yeux dénotait une pointe d’humour acerbe. Lorsque l’on connaissait les pires rumeurs sur la Romantiques et les mœurs supposées volages de son peuple en plus des festivités organisées au temps de Fabius ; il était difficile de croire le diplomate capable de s’embarrasser tout seul pour si peu. L’incident eut pour mérite de le dérider un peu, mais un regard à l’elfe suffit pour assombrir de nouveau son humeur et Sigvald finit par se lever. Dépliant sa haute et massive silhouette, il fit rouler ses épaules en un mouvement souple, prédateur, alors qu’il mirait un instant l’arc exposé à l’autre bout de la pièce. Un pli amer tira ses lèvres et plissa son nez alors qu’il détournait la tête et s’écartait de la table pour fourrer dans les mains d’Ilhan les parchemins qu’il avait parcouru et corrigé.

« - Je veux qu’un des trois conseillés assignés à Délimar soit un militaire. Je vais vous faire parvenir, Avente, la liste des gradés que j’estime les plus à même de remplir ce rôle. Pour les deux autres, je conseille un chef artisan et enfin un de vos collègues lettrés ; de cette façon, nous couvrirons les domaines les plus importants. »

Il avança vers l’entrée dont il souleva les pans. Un air froid entra aussitôt, léchant et s’enroulant aux chevilles de ceux présents. Le glacernois observa l’extérieur, puis jeta un regard par dessus son épaules et gronda d’une voix rauque :

« - Je n’ai rien de plus à dire. J'attends votre rapport de cette entrevue sur mon bureau pour demain midi au plus tard, Conseiller. Maintenant, seuls les actes jugeront de la sincérité de chacun… »

Le drapé tomba lourdement derrière lui et le Général s’éloigna à grandes enjambées, mains posée sur l’une des gardes de son épée. Lorsque ses hommes le rejoignirent, il ordonna à ce que des volontaires soient trouvés pour un entraînements surprises avec lui comme adversaire. Après un moment d’hésitation, il ordonna aussi que l’on dépêche des médecins pour rafistoler tout ce petit monde une fois que le-dit entraînement serait terminé. Les mots de l’elfe le hantaient et il voulait les exorciser dans la sueur, le sang et la violence.

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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    Les mires verdoyantes d'Aldaron dardèrent Ilhan un long moment, ses sourcils se fronçant délicatement, indisposé par de tels propos. Bien sûr qu'il mettrait tout en œuvre pour éviter les incidents, mais aucune des dispositions du monde ne viendrait écarter toute erreur, toute maladresse. Là où un humain Caladonnien risquait l’indifférence pour un regard mal placé, un vampire se retrouverait avec une lame au travers du corps. Était-ce trop demandé de venir lui apporter l'importun avec le motif de ses doléances plutôt que d'égorger ses vampires sur place ? Comment le Bourgmestre de Caladon pouvait-il assurer la sécurité de siens en de pareilles conditions ? On lui réclamait le retrait des troupes de mercenaires, pour placer une garde qui ne saurait pas se tenir au moindre regard de travers ? Et il devait accepter béatement ? Certainement pas. Si Sigvald ne savait pas respecter ses alliés, quel qu’ils soient, alors Caladon assurerait sa sécurité par ses propres moyens. Il ne laisserait pas des soldats délimariens entourer ses vampires comme une ombre oppressante  sur chacune de leurs actions.

    Ses prunelles bifurquaient sur le Général, en proie à un nouveau coup de sang. Qu'est ce qui était passé par la tête de Tryghild pour décider d'envoyer un tel homme ici, afin d'ouvrir le dialogue avec Nolan Kohan et d'organiser l'alliance avec Caladon sur Cordont ? C'était un soldat, pas un diplomate. Et Sigvald, croyait-il lui faire peur ? Toute sa haute stature n'arriverait jamais à la cheville de l'ampleur des ombres de Morneflamme. Qu'il ose seulement le toucher. Qu'il ose. Aldaron avait cinq siècles d’existence derrière lui pour appuyer son impassibilité souveraine, ainsi ne bougea-t-il pas d'un iota, se contentant de fixer le Général jusqu'à ce que celui-ci se calme et pose les yeux sur les plans d'Ilhan. Si l'elfe écoutait les propos du Conseiller Délimarien, il était loin d'avoir enterré le comportement qu'avait eu Sigvald à son égard. Il était buté et fermé, armé d'une certitude que ses valeurs, que son éducation étaient les bonnes. Il lui rappelait les elfes, en un sens, incapables de changer d'avis, incapables de remettre en cause ce qu'ils croyaient juste quand on leur apportait un nouvel élément. Aldaron lui avait posé un cas de conscience, une demande personnelle de ne pas toucher à Ivanyr tant qu'ils devraient cohabiter à Cordont. Mais au fond, qu'avait-il cru ? Que l'Alliance pourrait vraiment pousser les Glacernois à un peu d'ouverture ? Que les guerres où ils avaient combattu sur le même front suffiraient à en faire des amis ?

    Ses lèvres demeuraient scellées, à peine eurent-elles un mouvement d'amusement devant l'égarement d'Ilhan. Même lorsque le Général quitta la tente, il ne le salua pas... Puisque de toutes évidences, Sigvald avait jugé que l'elfe ne méritait pas cet égard politesse en quittant les lieux, Aldaron n'avait tout de même pas répondre au vide, non ? S'il l'avait fait, cela n'aurait qu'accrut la lacune de l'Elusis et Aldaron n'avait pas envie d'en rajouter une couche. Néanmoins le lourd silence qu'il conserva pendant plusieurs secondes après son départ, les mires rivés sur le pan d'ouverture de la tente, en disait très long sur le fond de sa pensée. Il était déçu et las. Cordont lui avait apporté son lot de solitude et de défaites et il en était fatigué. Ses prunelles revenaient sur Ilhan, et son mutisme perdura encore un instant, pesant sur l'ambiance comme un fardeau dont l'elfe ne parvenait pas à se défaire. Il ne le faisait pas même exprès. Il ne savait, en vérité, vraiment pas quoi lui dire après un pareil moment.

    Il descendit son regard sur les plans d'Ilhan étalés sur la table qu'on venait débarrasser de ses plats à l'exception des quelques douceurs dont le Conseiller semblait friand. Ce n'était certainement pas à Délimar qu'il devait trouver pareille excellence. « L'agencement que vous proposez pour le conseil de Cordont me convient. » Même si Sigvald n'avait pas même attendu un instant que l'elfe donne cet accord pour affirmer les représentations de Délimar en la matière. « Je vous communiquerai le nom de mes délégués lorsqu'ils auront été choisis et validés par mon Conseil. » Aldaron fermait les yeux, un moment, le temps de remettre ses idées en place et de se souvenir de la chute mortelle de Cordont, des cris de terreurs de ceux qu'il n'entendrait jamais plus. « Nous pouvons faire venir du bois de Nyn-Tiamat. La forêt de Licorok est très prolifique et les glacernois pourront remercier les vampires de ne pas avoir besoin de bois de chauffage, pour l'hiver, eux. » L'ironie était palpable : jamais un glacernois irait remercier un vampire. Là était tout le cœur du problème et Aldaron l'avait bel et bien en travers de la gorge. Son propos ne faisait que le confirmer indirectement. Un tel marché devrait combler néanmoins une mince partie des dettes contractées par le Royaume Vampirique auprès de Caladon et du Marché Noir. « Les premiers navires pourront arriver dans la deuxième quinzaine de décembre. »

    Posant, de nouveau, son regard sur le Conseiller, il ajouta : « Même si, par ailleurs, il n'est pas forcément nécessaire à un bon mage qu'il y ait du bois sur un bûcher. L’exercice est seulement plus fatiguant. » Comme cette conversation. Les concessions auraient être le bois de leur bûcher mais ils devraient faire sans. « Les corps pourront être mis sous cercueil de glace en attendant. Caladon veillera à les entretenir jusqu'à établir les bûchers funéraires. » Il avait lui-même des amis à pleurer dans cette catastrophe, il n'était pas venu seul au Congrès. Un soupire souleva son torse : « Il en sera de même pour toutes les fournitures qui pourront être nécessaires : Caladon est la place centrale du marché Tiamarantais. Nous pouvons avoir de tout très facilement sans empiéter sur nos propres réserves. Et... Pour finir, vous ferez savoir au Général Elusis qu'il ne m'est pas possible d'accepter son offre. La Garde Loup aura probablement d'autres tâches que celles de garder les miens en sécurité tant qu'elle ne sera pas aptes à les garder véritablement en sécurité. Nous avons bien assez d'angoisse à subir du front de Selenia pour avoir à tapir dans l'ombre nos moindres faits et gestes afin qu'ils ne soient visibles  à ceux qui les jugeront trop abruptement. Je vais néanmoins congédier le surplus de mercenaires pour que l'Armée de Délimar puisse prendre place ici et je garderai à ma charge la sécurité du Campement Caladonien. Je ne tolérerai aucune agression des vôtres sur les miens, Monsieur Avente, et j'espère m'être bien fait comprendre sur ce point. »

    Il avait bel et bien insisté auprès de Sigvald sur cela et il insistait auprès d'Ilhan pour que le message passe bien. Refusant de s'apesantir plus longtemps sur ce point, il ajouta : « Vous indiquiez avoir un moyen de partager le souvenir de ma rencontre avec le roi Sélénien. Je vous écoute. »

descriptionQue le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald] EmptyRe: Que le festin commence... - Cordont - [PV Aldaron & Sigvald]

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Si Ilhan était choqué en son for intérieur qu’on retarde, encore, les funérailles des défunts, il n’en montra rien. Mais il sentait tout son être se révulser à cette idée. Pour des raisons d’hygiène et de risques d’épidémies, certes, mais pas seulement. Pour des raisons de décence et de respect aux morts, pour des raisons de respect des vivants aussi. Comment voulait-on que Cordont se reconstruise tant qu’un grand charnier, présenté décemment ou pas, conservé par le froid ou pas, resterait près de la Chue ? Non, décemment, ces plans-là ne lui convenaient pas. N’y avait-il pas quelques mages parmi eux ? Des spécialistes en élémentaire de feu ? Ou il ne savait quel autre procédé… Et s’il fallait se passer de bois de chauffage… Non, sans doute mieux valait préserver tout de même les vivants, en effet. Mais… Tout de même !

Tout cela, toutefois, il le garda pour lui, en lui, enfoui au plus profond de son esprit. Son visage resta de marbre tout le temps des explications du général. Il ne pipa mot, ne se départit pas de son sourire, même ses yeux parvinrent à ne pas se parer d’un éclat glacé. Il comprenait les raisons du Général, oh oui. Il ne pouvait totalement lui donner tord et les solutions qu’il entrevoyait portait un nom parfois encore honni en Délimar. Même si plus totalement. Il ne voulait pas non plus relancer un autre débat, une autre discorde, et ne souhaitait surtout pas se montrer en désaccord avec le Général. Si Délimar devait faire front uni avec Caladon face à l’Empire, cela était encore plus vrai en leur propre sein face à Caladon. Face à tout ennemi, ou tout allié.

Ils auraient donc droit à un immense mausolée pendant quelque temps. Paix aux âmes des défunts. Il se contenta de passer à la suite, égal à lui-même. Il peina toutefois à conserver son calme au dernier propos outrageux que lui offrit son partenaire du moment. S’il était vraiment althaïen ? Oh il comprenait parfaitement le sous-entendu de ce propos. Un peu trop bien. Il l’avait par trop entendu déjà à la Cour Glorienne, qui n’avait rien de glorieux. Oui, il était althaïen et en incarnait tous les principes, toutes les finesses ! Car Althaïa n’était pas la dépravée que ses jaloux voudraient faire croire en faisant courir des rumeurs impudiques et indécentes. Althaïa était finesse et raffinement, et ce dans tous les domaines. TOUS les domaines. Le sexe oui, si le Général voulait parler vulgairement, mais dans ses plus intimes délices, dans ses plus intimes secrets. Les althaïens, hommes ou femmes, étaient réputés pour être de parfaits amants, car ils savaient donner du plaisir à leur partenaire, et savaient tout du corps des humains. Et de l’esprit aussi en un sens. Raffinement oui, dans les arts du plaisir, dans les arts de la beauté (ils étaient célèbres pour leur parfum ou leur belle soierie notamment), dans les arts culinaires sucrés salés ou aux épices rares, dans les arts de l’esprit, de la poésie à la musique… et dans les arts de la mort aussi. Ses poisons à la fois célèbres et peu connus… célèbres pour leur efficacité et leur caractère redoutables et peu connus quant au secret de leur confection… Des poisons parfois indétectables. Parfois efficaces d’un simple toucher. Si le Général voulait véritablement savoir s’il était un althaïen, il pouvait lui montrer l’étendue de leurs raffinements. En cet instant, cela lui ferait un immense plaisir. Et l’éclat meurtrier de son regard noir devait parler pour lui.

Et ce comportement discourtois, si rustre et si… irrespectueux envers leur homologue de Caladon ! Ilhan attrapa les parchemins, manquant s’en prendre certains en plein visage, et grinça des dents pour toute réponse. Il sentait son dauphin palpiter en lui. Même son esprit si bienveillant peinait à contenir l’agacement qui irradiait de lui. Il dut se forcer à plusieurs inspirations profondes aussi discrètes que possible, pour garder un calme apparent. Mais en cet instant, il n’avait qu’une seule envie. Se défouler sur une plage dans ses danses méditatives en pensant frapper ce maudit glacernois.

« - Je n’ai rien de plus à dire. J'attends votre rapport de cette entrevue sur mon bureau pour demain midi au plus tard, Conseiller. Maintenant, seuls les actes jugeront de la sincérité de chacun… »

Bien, Mon Général, grinça-t-il d’une voix basse.

Bien trop basse pour ne pas crier alerte à quiconque le connaissait. Par tous les esprits, qu’est-ce qui avait pris à Tryghild d’envoyer ce mufle sauvage ? Et quand il jeta un coup d’oeil à l’elfe, si fermé, si raide, même si toujours impassible, le visage lisse de toute expression, il manqua fermer les yeux en se demandant comment il allait seulement pouvoir rattraper ces incivilités. Et le lourd silence qui suivit ne fit que lui confirmer ses craintes. Un silence gênant qui venait les étouffer des miasmes de rancoeur et de désillusion dont il était chargé. Toutefois, Ilhan ne le rompit pas. Il est parfois des silences d’or qu’il vaut mieux conserver précieusement, aussi meurtriers soient-ils. Ils étaient révélateurs et souvent salvateurs.

Il ne dit mot donc, gardant en lui ses précieux compagnons de tout temps. Il en aurait besoin pour après. Il devait les chérir, bien au chaud, et les prononcer au bon moment. Il se contenta donc de poser doucement ses parchemins sur la table et d’observer l’elfe en face de lui. D’un air apaisant. Si son dauphin l’avait aidé à se calmer, peut-être le pouvait-il aussi pour le bourgmestre ? Il inspira donc profondément, sans ostentation, et tenta de ressentir toute la paix intérieure dont il était capable pour la projeter, si ce n’est d’un sort qu’il ne connaissait pas encore, au moins par son attitude, son regard, son sourire qui se fit plus doux, plus confiant. Et il attendit.

Attendit.

Attendit que l’autre enfin reprenne vie.

« L'agencement que vous proposez pour le conseil de Cordont me convient. »

Un immense soulagement envahit Ilhan, même s’il n’en montra rien. La sagesse avait parlé et l’elfe ne rejetait pas Délimar pour le comportement d’un seul d’entre eux. L’althaïen hocha alors simplement la tête en un sourire.

« Les premiers navires pourront arriver dans la deuxième quinzaine de décembre. »

Je crois que les défunts et les familles vous en seront reconnaissants.

Il sentit sa gorge se nouer en songeant audites familles. Si peu. Si décimées.

Un mausolée de glace serait une douce consolation en attendant que des funérailles décentes puissent avoir lieu. Je doute que nous puissions apporter quelque aide que ce soit sur ce terrain-là toutefois.

Pas même lui, pour tout dire. Mage bien peu puissant, ces sortilèges lui étaient inconnus. Le sous-entendu était, il l’espérait, évident, étant un des rares mages de Délimar présents. Pas que les délimariens en comptent beaucoup parmi eux en temps ordinaire d’ailleurs…

Quant à Caladon comme place de marché tiamarantien… Comme place du Marche Noir plutôt, avait-il envie de dire. Il se força toutefois à garder ses lèvres closes et à museler la curiosité outrageuse du Tisseur.

« Et... Pour finir, vous ferez savoir au Général Elusis qu'il ne m'est pas possible d'accepter son offre. La Garde Loup aura probablement d'autres tâches que celles de garder les miens en sécurité tant qu'elle ne sera pas apte à les garder véritablement en sécurité. »

Ilhan hocha la tête sinistrement. Après un tel esclandre du Général, il ne pouvait s’attendre à autre chose de la part du bourgmestre de Caladon. Il sentit une acidité d’estomac le ronger rien qu’à penser au moment où il annoncerait cela à Sigvald. Pourquoi était-il diplomate de Délimar déjà ? Ah oui, parce qu’ils en manquaient cruellement et que personne ne voulait venir ! Peu étonnant cela dit, c’était là un métier où vous mourriez à petit feu plus prématurément encore qu’avec une guerre… Il préférait ne pas rencontrer son miroir d’ici demain ou il compterait assurément une bonne poignée de cheveux blancs supplémentaires.

« Je vais néanmoins congédier le surplus de mercenaires pour que l'Armée de Délimar puisse prendre place ici et je garderai à ma charge la sécurité du Campement Caladonien. Je ne tolérerai aucune agression des vôtres sur les miens, Monsieur Avente, et j'espère m'être bien fait comprendre sur ce point. »

Oh oui il avait bien compris. Malheureusement. Il était inutile de dire qu’il en serait de même de Délimar en sens inverse. Le message avait été un peu trop frappant précédemment.

Parfaitement, Bourgmestre de Caladon. Le message est parfaitement clair et Délimar l’entend bien.

Il aurait aimé pouvoir affirmer TOUT Délimar, mais… Une pierre tomba au creux de son estomac et lui fit ravaler toute mauvaise pensée, toute sinistre appréhension, à ce sujet.

« Vous indiquiez avoir un moyen de partager le souvenir de ma rencontre avec le roi Sélénien. Je vous écoute. »

Ilhan sourit doucement. Voilà un sujet bien plus plaisant, il devait en convenir. Rien que l’idée de peut-être, si son interlocuteur acceptait, s’amuser à…

Ce petit sort qu’il avait mis tant de temps à créer, peaufiner, tester… Là, le voir pleinement prendre sens... Oui, il en jubilait d’avance, même si le sujet initial de sa proposition n’avait rien d’amusant. Il ne put retenir toutefois l’éclat pétillant de ces orbes sombres. Encore un peu et il sautillait de joie tel un gosse devant son nouveau jouet. Ce qui n’était pas loin d’être le cas.

En effet, susurra-t-il d’une voix profonde, ses accents althaïens reprenant le dessus et faisant trainer ces deux petits mots avec saveur.

Il s’humecta les lèvres et se permit une petite gorgée de ce bon vin avant de reprendre, son sourire s’épanouissant de nouveau, perdant ce rictus figé d’énigmes qu’il gardait souvent, pour se parer de plus de sincérité.

Je suis un mage bien peu puissant. Je n’ai jamais poussé cet art très loin, mais j’avoue me passionner pour quelques-unes de ses branches les plus… mystérieuses. Les arts de l’esprit, sous toutes ses formes, même sous forme de magie, me fascinent.

Oui, il voguait plutôt vers les arts de la magie vampirique. L’illusion, disparaître dans les ombres, et maintenant ça… Mais même si les vampires ne le mettaient pas à l’aise, il ne pouvait nier les aspects fascinants de certains pans de leur culture. Il préférait taire ce point-là toutefois, bien trop litigieux.

Depuis de longues années, j’ai travaillé sur un… sortilège. Unique en son genre, je pense. Il est enfin apte à rendre pleinement son office.

Il se pinça légèrement les lèvres en observant l’elfe en face. Que cela allait être fascinant de plonger dans cet esprit-là, en particulier !

Enfin… s’il acceptait.

Mai peut-être devrait-il arrêter de faire durer le suspens. Et remercier la patience des elfes...

J’ai créé un sortilège me permettant de projeter mon esprit dans un autre pour… pour… lire n’est pas le bon mot, mais donne une idée approchante.

Son sourire se tordit en un petit rictus victorieux. Oh oui, il était fier de son petit sortilège. Surtout au vu de sa propre puissance magique.

Selon la volonté de l’esprit en face, selon sa force et sa détermination, je peux voir de simples bribes de souvenirs furtifs à des souvenirs plus complets et plus détaillés.

Il ne précisa pas toutefois qu’il pouvait aller jusqu’à en manipuler les souvenirs, par bribes ou plus profondément, si sa cible était de faible volonté. Il n’allait certes pas tout révéler. Sans mentir toutefois. Il doutait de toute façon pouvoir aller jusque-là avec un esprit aussi fort que celui de l’elfe. Car assurément, cet esprit-là ne serait pas facile à pénétrer.

Avec ce sort, je devrais donc pouvoir visionner votre souvenir et nous pourrons ainsi consigner les propos exacts de l'Empereur dès que je sortirai de votre esprit. Je peux vous rassurer de suite, je doute pouvoir pénétrer l’esprit d’un elfe sans son consentement, vous pourrez certainement m’éjecter facilement si quoi que ce soit ne vous convenait pas.

Voire pire me retourner le sort. Mais cela aussi il préféra le taire. Il avait affaire après tout à la Triade… Lui, le Tisseur. Mais qu’était-il allé donc faire dans cette galère ? songea-t-il abruptement.

Une simple pensée vous suffira. Si vous acceptez, il vous faudra vous concentrer sur votre entrevue avec l’Empereur, je doute le retrouver moi-même, votre esprit se défendrait bien trop si je le fouillais, je pense. Et nous devrons sans doute… Parfois un simple échange de regard suffit. Mais là… Vous êtes… un elfe...

Et lui un humain. Une force mentale féroce peut-être, mais qui n’était sans doute rien comparer à celle des elfes...

Un esprit puissant… Pour les sujets plus difficiles, il me faut un contact. Front contre front. Je l'ai déjà testé sur des humains, mais jamais sur vos paires. Je ne sais même pas si j'y parviendrais vraiment.

Ce qui pourrait être gênant.

Je pense que vous avez là tous les éléments pour prendre votre décision. Il vous est possible de refuser, vu le processus proposé. À moins que vous ayez d’autres questions ?

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    Sa déception était reléguée au fond de son esprit. Ilhan lui confirmait que Délimar entendait sa requête et venant de la part d'Avente, il voulait bien le croire, mais les autres ? Cohabiter ne serait jamais facile. Ils étaient différents et les vampires seraient sans cesse leur point de discorde si les Délimariens refusaient de s'ouvrir à leur sujet. Mais c'était bien trop demandé, Aldaron n'était pas assez naïf pour y croire. Il aurait seulement voulu qu'on fasse l'exception avec Ivanyr. Qu'on l'épargne de tous les maux dont on accablait les vampires, qu'on accepte de lui donner une immunité. Une exception. Il aurait voulu qu'il fasse l'exception. Mais il ne l'obtiendrait visiblement pas. Aldaron trouva inutile de s’appesantir plus que nécessaire sur ce point sans solution et proposa à Ilhan de lui faire part de de moyen dont il disposait pour partager un souvenir. La lueur dans ses mires sombres l'intrigua. Qu'était-ce donc ? De la joie ou de la fierté ? Peut-être des deux. Dans tous les cas, cela s’avérait prometteur. Le Conseiller avançait à pas feutrés pour lui expliquer le fruit de son travail.Une fois n'était pas coutume : la manipulation de l'esprit était un point que les deux hommes partageaient. Il mesurait les dangers d'un tel sort lancé à son encontre, surtout en ce qui concernait l’œuvre dissimulée du Marché Noir. Probablement était-ce de l'abus de confiance en soi, mais il savait son esprit bien gardé et assez solide pour lui faire face... Tout en étant rongé par le doute. L'althaïen était un intellect remarquablement bien forgé, probablement était-il d'une force égale à la sienne, comme deux titans de volonté, solides, inébranlables.

    En vérité, plus que de jauger leurs forces, Aldaron savait Ilhan être assez intelligent pour ne pas tenter une manœuvre si audacieuse contre le Bourgmestre de Caladon. Ses mots le soulignaient : l'humain y avait certainement pensé et pour des raisons diplomatiques, il comptait sur lui pour rester derrière les filets des limites acceptables. Il serait regrettable que son poignard vienne sectionner la carotide de l'humain pour mettre un terme au sort si l'elfe venait à se retrouver piégé. Cela ne serait bon ni pour Caladon, ni pour Délimar. Il n'était pas l'heure que l'Alliance se déchire. Non... Si Ilhan voulait trahir sa confiance, il ne se risquerait pas à ceci. Cela aurait été trop grotesque. Et dangereux. Un fin sourire vint à naître sur ses lèvres et il le cacha discrètement du bout de ses doigts en venant appuyer son menton dans le creux de sa main, dont le bras était accoudé au siège. Et s'il le taquinait ? Cela changerait définitivement l'atmosphère. Une chance qu'il ait demandé à son fiancé de ne pas rester dans les parages ce soir : entre l'aveu d'Ilhan sur son affection pour les boules et cette demande de rapprochement et de contact si soudain, il y avait de quoi faire des potins. Ses mires émeraudes coulèrent lentement sur les sucreries dont l'Avente raffolait avant de revenir vers son invité, ayant de plus en plus de mal à cacher son sourire amusé derrière sa main.

    Ilhan suivrait aisément le fil des pensées qu'Aldaron n'avait pas cherché à cacher. Cela se passait presque de mots, en définitive. « Non, je n'ai pas d'autres questions. Entamons cela. » D'un geste de la main régalien, habitué à donner des ordres, il l'invita à se lever tandis qu'il exécutait la même action. Il aurait été malvenu de demander à Ilhan de venir se pencher sur lui, tant pour l'âge de cet homme que pour l’irrévérence dans laquelle cela les mettrait. Peut-être était-ce un sursaut de traumatisme, mais il n'appréciait pas de se retrouver à un niveau inférieur. Il ne cherchait pas à dominer son interlocuteur mais il veillait à l'égalité de posture. Si Ilhan était assis, l'elfe s'asseyait. S'il était debout, l'elfe se levait. Il lissait les pans de son habit et vint à l'approcher, d'un pas mesuré. Il ne voulait pas lui donner l'impression de lui fondre dessus, et il ne voulait pas faire durer plus que de mesure la manœuvre de rapprochement qui les aurait mis mal à l'aise tout les deux. L'avancée lui venait avec un certain naturel. Ses mires verdoyantes plongeaient dans celles du Conseiller délimarien, avec cette emprise charismatique, poignante, qui saisissait si bien la foule, avant que ses paupières ne se ferment et qu'il baisse la tête pour qu'elle soit à bonne hauteur pour Ilhan. Il sentait sa peau chaude contre son front et son souffle venir lui caresser le cou avec un calme incroyable qui ne faisait que souligner la ferme volonté de son interlocuteur à maîtriser les apparences. L'elfe n'était pas gêné de ce genre de proximité, mais il ne pourrait peut-être pas en dire autant d'Ilhan, aussi assena-t-il la douche froide, de sa voix grave et ferme : « Concentrez-vous. »

    L'ordre donné, il se l'imposa également à lui-même tandis qu'il cheminait dans ses propres souvenirs pour cueillir celui qui les intéressait. La scène lui revenait, assez claire encore. L'oubli ne l'avait que très peu morcelée puisqu'elle était encore assez fraiche. La tente qu'il avait occupé avec Nolan était floue, des ombres s'y affichaient, menaçantes, autour d'eux. Parfois on pouvait même voir de hautes tourelles, des remparts infranchissables faits de roches volcaniques. Quelques soient ses pensées, quelques soient ses souvenirs, Morneflamme avait toujours son emprise, en arrière-fond. Cela n'impactait pas la scène, mais... C'était là. Tout simplement. Comme une relique qu'il ne parviendrait jamais à totalement détruire. C'était son fardeau. A l'issue de la scène, il redressa lentement son front et ses paupières s'ouvraient sur... Un Ilhan un peu pâle. On aurait dit un homme sur un bateau qui avait le mal de mer. Il tanguait. D'un geste solide, Aldaron l’attrapa par la taille, poigne fermée sur ses vêtements, pour l'empêcher de tomber. Ses sourcils se fronçaient : « Avente ? » Sa magie appelait par télékinésie une chaise qui venait se placer derrière les genoux de l'humain mal en point. Et bien quoi ? Ce qu'il avait vu le remuait à ce point ? Ca n'était que Nolan, il n'y avait pas de quoi être aussi...

    D'un geste sec, il saisit le bras d'Ilhan qui s'apprêtait à tomber sur le côté et il tâcha de l'asseoir sur la chaise. Il posa une main sur son torse pour le tenir en place au fond de l'assise : « Vous allez bien ? Vous avez l'air... Désorienté. » Aldaron posa un genou à terre, la mine soucieuse, inquiète : « Cela n'a pas fonctionné ? Désirez-vous que j'appelle un guérisseur ? » Il était pourtant bien persuadé d'avoir senti le spirite du dauphin dans son esprit.... « De l'eau ? Un... Seau ? »

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Ilhan s’interrogea soudain en voyant les yeux de l’elfe voguer entre les sucreries, qu’il avait avoué tant aimer, et sa propre personne, se demandant un court instant s’il l’invitait à se resservir. Un court instant seulement. Bien vite, au sourire moqueur que l’elfe lui offrit, il comprit l’allusion. Il sentit ses joues s’empourprer sans parvenir à le contrôler, puis pâlir tout aussi abruptement. Il se raidit imperceptiblement, sentant une brèche s’ouvrir en son esprit et des images, des souvenirs, s’infiltrer dans ses pensées. Il lui fallut faire appel à toute sa maitrise pour rejeter ses ombres du passé en bloc et se focaliser sur l’instant. Le présent. Seul le présent comptait. Surtout pour ce qu’il s’apprêtait peut-être à faire.

« Non, je n'ai pas d'autres questions. Entamons cela. »

Donc… Il acceptait ? Il acceptait ! La Triade prenait là un gros risque et marquait une grande confiance envers Ilhan. Il en était de même, en un sens, du Tisseur qu’il était. Confiance… Voilà bien un mot dont il se serait cru à jamais incapable.

Ilhan se leva simplement sans un mot au geste de l’autre. Il aurait voulu protester, proposer qu’ils s’assoient par terre. Il n’était pas bien sûr que la position debout soit la plus adaptée. Il savait le sort éreintant pour lui et… Et un sursaut d’orgueil lui refusa cet aveu. Alors il obtempéra et garda silence. Mais soudain l’elfe s’avança sans même lui laisser le temps de se préparer mentalement, de se remettre, de…

Et cette brusque proximité… Certes nécessaire, mais… Et ce regard… Il se sentit happé par ces lagons d'émeraude et manqua chavirer. Il banda toute sa volonté pour ne pas reculer. Cela aurait été mal venu, surtout qu'il avait parlé lui-même de contact. Il ne pourrait expliquer ce geste. Il peinait à se l’expliquer lui-même parfois. Il se crispa alors, mais parvint à garder un immobilisme déterminé. Il braqua toute sa force mentale sur le but à venir, toute sa volonté vers leur objectif commun.

« Concentrez-vous. »

Et se concentra. Il n’avait pas besoin de cet ordre pour cela. Pour lui, plus que pour l’elfe encore, c’était indispensable, primordial, s’il ne voulait pas se perdre en projetant son esprit dans l’autre.

Et il plongea. Littéralement aspiré. Il tomba bien vite sur la scène, d’étranges remparts en arrière-fond. Mais tout était… tout était… Ilhan peina à s’accrocher à la scène qu’il voyait et sentait son esprit presque imploser sous le flot brutal, dense, confus et intense, d’informations qui lui venait. Un torrent, non un fleuve, impétueux, gigantesque, tumultueux, courant dans son lit à une vitesse folle et se projetant dans une mer immense et tout aussi folle de vie. Toutes ces couleurs, intenses, fulgurantes, un arc-en-ciel en fusion… Tous ces sons, ces bruits, si forts, si infimes, si… tant et tant… ces images, ces… Se concentrer. Il devait… se… concentrer. Sur une sensation. Sur les voix. Sur les mots. Il devait se concentrer sur les voix de la scène, juste elles. Entendre leurs mots, les retenir… Juste les mots. Ilhan s’accrocha alors à ces sons connus et inconnus à la fois. Il était passionnant d’entendre tant d’inflexions dans la voix du gamin qu’était l’empereur. Ainsi tel était ce que percevaient les elfes. C’était…

C’était…

Fascinant. Merveilleux. Indescriptible. Que les sens humains semblaient soudain si… ternes. Si… Ilhan en aurait pleuré. Il chassa alors ses propres sensations, ses propres sentiments, en appelant à son dauphin de toute sa puissance pour lui apporter paix et calme et se concentra. Encore.

Il sentait une douleur vive poindre en arrière-fond. Il ne sut si c’était de lui ou… Mais il y avait ici aussi une douleur. Il sentait… comme une brulure. Les remparts. Une montagne, une roche brulante, semblait constamment titiller ce qu’il percevait. Morneflamme, réalisa-t-il abruptement. Morneflamme… Un frisson happa son esprit et manqua le faire plonger et se perdre. Il se raccrocha à la scène devant lui et se força à se focaliser dessus. L’effort lui était intense, douloureux, mais il parvint à garder son propre esprit vigile et conscient.

Jusqu’à… jusqu’à ce que la scène prenne fin. Son esprit revint dans son corps aussi abruptement qu’il en était sorti. Un corps faible soudain, si… si… las. Épuisé. Ses orbes sombres papillonnèrent avant qu’il ne tombe. Ou presque. Une poigne ferme l’avait rattrapé, semble-t-il, mais il n’en eut que vaguement conscience. Tout lui semblait si… flou. Le monde tanguait dangereusement. Il avait mal, si mal… Sa tête le martelait, son coeur tambourinait. Il sentait une suée lui courir le long de l’échine et un froid intense le figer dans son linceul.

« Vous allez bien ? Vous avez l'air... Désorienté. »

Cette voix… Elle venait de si loin. Pourtant si près. Ilhan tenta de redresser sa tête. En vain. Tout geste lui semblait si… douloureux. Demandait trop d’effort. Trop…

« Cela n'a pas fonctionné ? Désirez-vous que j'appelle un guérisseur ? »

Il sentit un contact sur son torse. Des images fugaces fusèrent en lui. Un visage. Des yeux. Si sombres. Un sourire. Si cupide. Il se crispa dans un ultime effort et tenta de rassembler les lambeaux de son esprit éparpillé. De ses forces effondrées. Il releva brusquement la tête, les yeux hagards, fixa l’elfe auprès de lui sans le voir, et agrippa la main qui le tenait. Tenta de la repousser de ses maigres forces, de le dégager de lui, quitte à tomber. Sans y parvenir.

Non, non, pas ça, pas ça, Fabius, pas ça, s’il vous plait. Pas.. encore Fab…

Et le nom mourut quand il rencontra deux perles poison. Non… pas poison. Émeraude. De l’émeraude pur où ne brillait… aucune cupidité. Aucune… Ce n’était pas Fabius. Il n’était pas là. Le présent était revenu, le passé envolé. Ilhan était de nouveau dans son corps. Dans son esprit.

Il se figea soudain confus et mortifié. Il aurait dû mieux se préparer. Se lancer dans ce sort, juste après des souvenirs d’un sombre Kohan pour visionner un autre Kohan plus jeune… Non, cela avait été une mauvaise idée. Il s’humecta les lèvres, et retint cette fois la main sur son torse. Si elle le quittait, il savait qu’il allait tomber. Définitivement chavirer. Il lui fallait tenir encore un peu. Il allait récupérer. Un peu de temps, juste quelques instants, et ses forces reviendraient tout doucement. Normalement.

Non. Pas… de guérisseur. Cela…

Sa voix était rauque, presque caverneuse. Il peinait à la reconnaître lui-même.

Les inquiéterait. Je n’ai… pas la force… de temporiser… Si jamais… si leur impulsivité.. Pas de guérisseur. Juste…

Un peu de temps. Il parlait des délimariens. Il avait vaguement conscience de ses propos confus mais peinaient à aligner deux mots totalement cohérents. Il espérait que l'elfe comprendrait.

De l’eau oui.

Ça pourrait l’aider. Même s’il doutait parvenir à boire seul. Il sentit d’ailleurs qu’on lui portait un verre à ses lèvres. Il parvint à en avaler deux gorgées, mais sentit une nausée le happer. D’une main tremblante, il repoussa le verre et renversa un peu d'eau.

Ce sort… m’épuise souvent. Pas autant que… là.  Mais… Mais… Je suis entré dans l’esprit d’un elfe, réalisa-t-il.

Et un fin sourire pâle naquit sur ses lèvres.

Un elfe ! Moi, un humain ! C’était… Diantre ! Si intense ! Vous voyez donc le monde… ainsi ? Tant de couleurs… si vives… tant de sons… Notre monde à nous est si… pauvre, si terne en comparaison.

Il en aurait presque eu les larmes aux yeux. Peut-être les avait-il d’ailleurs. Il ne savait plus.

Je n’étais pas… Je suis désolé, j’aurais dû… me préparer. Il me faut.. me concentrer… reprendre… mes…

Il tâtonna alors à son col, chercha la chaine sous son vêtement. D’un geste tremblant et frénétique, il parvint enfin à l’attraper et la sortir doucement. Sa Pythie Koryfi. Il la porta doucement à ses lèvres et soupira de soulagement. D’un geste hésitant, il la défit de sa chaine, se pencha vers la table à ses côtés et la lança doucement d’un geste faible. Elle tournoya paresseusement quelques instants. Quelques tours à peine. Quelques tours suffirent à happer son regard, et à forcer son esprit à se focaliser sur elle. À apaiser ses sens malmenés. Son estomac cessa peu à peu de faire du yoyo.

Piètre spectacle que je vous offre là, fit-il en se radossant las dans sa chaise, la tête en arrière, incapable de garder un port décent.

Tout en tentant de ranger sa pythie. En vain. Sa main tremblait trop pour qu’il la remette sur sa chaine, alors il la garda dans son poing fermé.

Le sort a marché. Un peu trop bien peut-être, ajouta-t-il en un sourire taquin. Il me faudrait… une plume. Et un parchemin. Je doute… pouvoir écrire moi-même pour le moment toutefois, fit-il en un sourire contrit.

Puis il ferma les yeux.

Me concentrer. Me souvenir de ce que j’ai vu. Sans les perceptions en trop. Sans les interférences. Oui, là… je l’ai. Je…

D’un geste, il indiqua à l’elfe de noter vite, tout en gardant les yeux fermés, la tête en arrière adossé au siège dans une posture presque affalée.

Je cite : " Puisque vous avez fait la moitié du chemin alors je ferai l’autre moitié. Je suis prêt à accepter l’annexion provisoire de Cordont ainsi que le délai d’un an demandé, car je comprends qu’il s’agit d’une grande concession de votre part et que vous avez à cœur la sécurité de votre peuple ainsi qu’éviter la guerre. " 

Il s'humecta les lèvres, fronçant les sourcils sous la concentration.

Ajoutez trois points, je tronque ses propos. Il parle trop. Beaucoup trop. Des mots… si…

Ilhan soupira avant de reprendre.

Autre citation : " Je suis même prêt à faire un pas supplémentaire envers l’intendante en demandant à mes hommes de renoncer à l’usage de magie et d’objets magiques au sein de ces galeries." Autre citation : " Dès lors, je me contenterais de sécuriser ces terres et d’informer l’Alliance sans rien demander en échange, " 

Enfin il s'arrêta. Compulsa rapidement la suite mais ne trouva rien à ajouter.

Je pense que cela suffira pour assurer nos arrières. Si vous pouviez ajouter : Je, soussigné, Ilhan Avente, Conseiller de Délimar, atteste que les propos ci-dessus sont l’exacte reproduction des paroles prononcées par l’Empereur Nolan Kohan, lors de son entrevue avec le bourgmestre de Caladon Aldaron Leweïnra, à Cordont même le 12 novembre 1762. Ce parchemin pourra être attesté par baptistrel ou totem hibou. Pour faire valoir ce que de droit.

Quand il acheva cette dictée, Ilhan rouvrit ses obsidiennes, ternies d’une importante lassitude, mais pétillait au fond de ces lacs sombres une petite étincelle de fierté. Il venait, pour lui, d’effectuer une prouesse. Même si cela lui coûtait beaucoup.

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    Ilhan n'avait pas l'air en point. Mentalement, Aldaron cherchait déjà quel mensonge il allait pouvoir servir officiellement pour expliquer convenablement aux Délimariens l'état dans lequel il leur rendrait leur Conseiller. Il n'avait pas envie de déclencher un incident diplomatique, surtout pas en ce moment. Néanmoins, il n'aurait pas préservé la sûreté des liens entre la Revenante et l'Océanique au détriment de la santé d'Avente. A cela s'ajoutait que s'il leur rendait mort pour avoir voulu cacher le présent problème, ce serait pire que mieux. Ainsi avait-il proposé de faire venir un guérisseur. Il ne s'était toutefois pas attendu à ce qu'il agrippe sa main sur la sienne pour la repousser. Aldaron la maintenait en place, refusant que l'autre finisse par terre, l'intimant à se calmer d'une voix qui se voulait paisible mais qui trahissait son incompréhension. Le comble de sa surprise fut sûrement lorsque l'althaïen l'appela Fabius. Une grimace perplexe marqua ses traits racés. Déjà qu'il ne tenait pas les Kohans dans son cœur, mais Fabius fut le premier d'entre eux qu'il eut détesté. Ce porc sans foi ni loi n'avait rien de louable. Être appelé par son prénom l'irritait et il dut faire preuve d'un bon discernement pour ne pas planter Ilhan là et le laisser à son sort.

    Et dans ce discernement, il y avait de l'inquiétude. Qu'avait traversé le spirite du dauphin pour en arriver à pareille tourment, pour lui réciter cette litanie suppliante, écho d'un traumatisme violent qui le persécutait toujours, même des années après ? Ainsi resta-t-il à encaisser la méprise jusqu'à ce que l'humain se ressaisisse et semble le reconnaître, se figeant d'un seul coup. Il bafouillait et même en fronçant les sourcils, l'elfe n'en comprit pas le fond. S'assurant qu'Ilhan reste dans son assise, Aldaron se redressa et prit un verre qu'il remplit d'eau. Il aida son confrère à boire correctement, s'hydrater pour se remettre les esprits en place. Il recula lorsqu'on le repoussa et posa le verre sur la table, à portée de main s'il en avait de nouveau besoin. Il posa à nouveau un genou à terre tout en l'écoutant, les sourcils toujours aussi froncés : « Je n'ai jamais vu à travers les yeux d'un humain, je ne sais pas s'il y une différence, mais vu votre état, je pense pouvoir vous croire sur parole. » Il eut un sourire en coin, amusé, maintenant que la vague la plus complexe semblait être derrière eux. Du moins l'espérait-il, vu la fébrilité de ses mots et de ses mouvements.

    Ses mires verdoyantes se posaient sur la toupie, puis sur Ilhan et sa tenue en chaise, indécente pour un noble. Il n'avait pas l'habitude de le voir ainsi. Mais il avait connu les humains sous bien des états et il ne pouvait pas lui reprocher cette familiarité quasi vulgaire, dans le sens populaire, après l'effort que ce partage de souvenirs avait nécessité. Il haussa doucement les épaules avant de répondre : « J'ai vu bien pire que cela. » Le ton était sans douceur lorsqu'Ilhan se blâma de sa position. La voix de l'elfe s'était montrée ferme dans son affirmation : il s'en moquait éperdument car il avait vu pire. A Morneflamme. Dans le volcan, il n'y avait eu aucune intimité. L'on dormait, urinait, déféquait presque les uns sur les autres, entassés dans ce charnier funeste. Il avait vu des hommes perdre leur dignité avec un comportement pire que celui-ci, y compris de la part de lui-même. Alors non, il avait beau chercher, cela ne lui faisait rien.

    A la demande informulée, il se fit scribe, loin de compromettre les efforts pénibles auxquels Ilhan avait consenti. Se saisissant d'un parchemin, d'un encrier et d'une plume de bonne facture, il s'assit à la table où ils avaient mangé, s'exécutant parfaitement à la dictée, sans l'interrompre ou le perturber. Les mots lui revenaient dans son propre esprit et y faisaient écho. Lorsqu'il eut fini, il laissa le silence revenir alors qu'il reposait la plume délicate sur la table. Ses prunelles d'émeraude relisait le travail. Son écriture était fine, sèche, mais parfaitement lisible. Lorsqu'il avait tenu les comptes avec la Triade, il avait fallu qu'elle puisse être relue facilement. Corinne l'avait plus d'une fois grondé de faire son enfant brouillon. Elle avait été comme une grande sœur pour lui, qui était trop instable, malgré qu'il eut toujours eu quelques siècles de plus qu'elle. Elle n'était plus là, mais il avait gardé une écriture propre. Pour elle sûrement. Et pour Ilhan aujourd'hui.

    Lorsqu'il eut fini de se relire, ses mires s'orientèrent vers Ilhan, pour s'assurer de son état, mais à en juger par les étoiles de fierté qui brillaient dans les iris d'obsidienne, il en conclut qu'il s'en remettrait. Un bref sourire, paternel, vint briser le masque fermé du bourgmestre. Il aurait pu lui dire qu'il était aussi fier de lui, mais cela aurait été l'infantiliser. La reconnaissance silencieuse valait mieux. Il aurait aussi vous l'interroger au sujet de Fabius, mais il n'avait pas assez de proximité avec lui pour cela. Sa belle éducation lui interdisait de lui poser des questions curieuses. Non pas qu'il veuille en savoir plus, mais il avait souvent partagé la vie des humains, servi d'oreille attentive pour ces milliers de vies qui ne lui avaient pas survécu. Le silence revint plus lourdement avant qu'il ne décide de le rompre. « J'aimerais vous demander... De garder pour vous la fin de mon entretien avec Nolan. J'ai perdu patience. J'aurais préféré lui en céder moins, de moi. » Le visage torturé qu'il avait montré à Nolan pour avoir droit, enfin, aux confidences du souverain en retour. Celles d'un Nolan perdu entre le devoir et ses propres envies. Et celle volonté féroce de ne pas abandonner avant d'avoir au moins essayé.

    « Quatre siècles au service des Kohans ne s'oublient pas aussi facilement. J'ai eu l'espoir puéril que la reconnaissance que je n'ai pas eue avec Korentin, je puisse la trouver au moins dans le regard de son fils. » Son sourire se fit amère : « Mais même dans la reconnaissance qu'il distribue, il est très égoïste. Il admire Achroma Seithvelj, le défunt dragonnier qui l'a arraché, lui, des griffes d'Aldakin du Néant. Mais l'homme qui a gardé son père en vie pendant trois ans à Morneflamme, qui a tué pour lui, il l'a regardé comme un ennemi cherchant à le piéger. » Il secoua lentement, mesurément sa tête de gauche à droite alors que ses yeux s'abaissaient vers le vide, las et déçu. « J'ai perdu patience. J'aimerais que vous le gardiez pour vous. Ça et le volcan. » Il ne doutait pas qu'Ilhan l'ait perçu en arrière fond : « Puis-je vous accorder cette confiance, Avente ? » Ainsi fonctionnait le Marché Noir. Sur une confiance et un dévouement sincère. Ce n'était qu'un premier pas, invisible, pour y entrer. Un premier test.

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« J'ai vu bien pire que cela. »

Oui, Ilhan voulait bien le croire. Les hauts remparts, la chaleur étouffante, ces braises ardentes qui sans cesse semblaient consumer l’esprit de l’elfe en arrière-fond… Oui, sans doute que le port bien peu noble d’un petit nobliau affaibli n’avait rien de catastrophique, eu égard à ces fantômes bien plus sombres. L’althaïen n’appréciait pas pour autant montrer pareille faiblesse devant son homologue tantôt allié tantôt rival. " Mais tu es faiblesse incarnée voyons, Ilhan ", lui rétorqua une petite voix mesquine en son esprit. Voix qu’il chassa bien vite pour se focaliser sur l’instant. La réplique de l’elfe lui aurait arraché une grimace s’il n’était pas si concentré à récupérer un semblant de souffle et un semblant de force. Si concentré à se remémorer. Et à dicter.

Mais quand le point final fut apposé, le sourire qu’il reçut en retour lui réchauffa étrangement le coeur. Que lui-même soit fier de son accomplissement était une chose. Mais qu’un autre semble partager cette même fierté ? Que cet autre soit un elfe bien plus habile en magie que lui, et donc sans doute bien plus conscient encore de l’effort qu’un tel sort requerrait… Oui, cela lui réchauffa le coeur. C’était là l’approbation, la fierté, le sourire, qu’un ami aurait pu offrir. Un ami…

Cette déroutante constatation le frappa de plein fouet et le déstabilisa profondément. Il se connaissait déjà pas mal d’affinités avec l’elfe, affinités d’esprit, de fourberies et de ruses, affinités de goûts et de raffinement aussi… Mais il n’avait jamais pleinement réalisé qu’ils auraient pu… Oui, en d’autres temps, en une autre époque, sans doute auraient-ils pu. S’ils n’étaient pas affiliés à des cités différentes, même si alliées, s’ils n’étaient pas tous deux à la tête de deux organisations puissantes, aussi bien rivales que alliées dans leur destinée, oui peut-être auraient-ils pu devenir amis.

« J'aimerais vous demander... »

Ilhan hocha la tête, les sens alertes. Son coeur pulsant un peu plus rapidement que d’ordinaire. S’attendant à tout… et au pire. L'elfe avait-il vu ? Avait-il compris ? Ces simples mots… l’avaient-ils trahi ? Il n’était certes guère lucide quand il les avait bafouillés, mais il se rappelait vaguement ses pitoyables suppliques… et ce nom murmuré, honni dans ses vieux cauchemars hantés.

« De garder pour vous la fin de mon entretien avec Nolan. J'ai perdu patience. J'aurais préféré lui en céder moins, de moi. »

Ilhan en entrouvrit la bouche, soudain pantois, sourcils froncés. Signes qu’il n’avait pas encore totalement récupéré et qu’il n’était pas encore totalement maitre de lui-même, pour laisser sa surprise ainsi transparaitre.

Ilhan referma la bouche et se concentra alors pour se remémorer cette scène. L’éclat de l’elfe, soudain si authentique dans sa blessure. Une blessure qu’il avait révélée au jeune Empereur pour mieux lui faire comprendre toute la valeur des êtres que Nolan aurait dû chérir… et qu’il avait peut-être perdus. Pas seulement l’elfe, mais aussi tant d’autres. Ilhan lui-même aussi, même si d’une autre façon. Souvent par incompréhension et par impulsion de jeunesse sans doute. Parfois pas même de son propre fait, tel un lourd héritage de son nom terni. Mais… le mal était fait. L’elfe avait montré ce mal qui les rongeait tous alors, dans une rare sincérité pour le bourgmestre qu’il était. Il avait poussé le jeune homme, qu’Ilhan revoyait si jeune prince, et maintenant si jeune empereur, à se révéler à son tour. Confirmant les craintes d’Ilhan, pour tout avouer. Un Empereur partagé, dévoré entre deux feux, deux camps, sans parvenir à trancher, sans parvenir à trouver une voie qui rallie ces deux désirs ardents.

Ilhan écouta sans un mot, offrant toute son attention, toute son empathie aussi à son… presque ami. Peut-être ami.

« J'ai perdu patience. J'aimerais que vous le gardiez pour vous. Ça et le volcan. »

Ah, voilà le sujet volcan. Ilhan n’aurait jamais cru que l’elfe aurait abordé le sujet de lui-même.

« Puis-je vous accorder cette confiance, Avente ? »

Ilhan se retint de grimacer. Vu le sujet si personnel, il aurait pu au moins l’appeler Ilhan. Ah les elfes et leur goût du formel même dans les moments si sombres comme celui-là.

Mais était-ce un moment si sombre que cela ? Certes, les sujets évoqués étaient troubles et douloureux, mais… Non, aucunes réelles ténèbres en cet instant. Ilhan entrevoyait même une petite lueur au loin, au travers de ces mots. Une voie, un chemin, une main tendue… La saisirait-il ? Il le voulait. Le pouvait-il ?

Il sonda longuement l’elfe des yeux, et laissa planer le silence entre eux, tout à ses pensées. Avant de réaliser qu’on attendait cette fois une réponse de sa part.

Oui, il pouvait la saisir. Il suffisait de le désirer. Et cette fois sa raison et son coeur semblaient s’accorder sur ce désir. Alors il saisit la main imaginaire en son esprit et, d’une voix grave, posée, qui avait repris ses accents althaïens les plus chauds, mais aussi les plus sincères, il répondit enfin.

Je suis sans doute capable de nombre de fourberies et de traitrises.

Le passé parlait malheureusement pour lui. Il lui en avait fallu pour se retourner contre Fabius et oeuvrer contre lui de si nombreux mois, voire années.

Mais même moi ai mes limites de conscience à ne pas franchir. Et celle-ci en fait partie. Je n’aurais pas cette cruauté de vous trahir ainsi.

Car oui pour lui cela serait de la cruauté. Cela serait assené un coup presque fatal à l’elfe en face de lui s’il usait de telles armes contre lui.

Il ajouta dans un petit sourire taquin :

Je vous avoue que j’ai particulièrement apprécié voir le jeune Empereur enfin se révéler. Tel que je le pensais d’ailleurs.

Puis son sourire perdit de son amusement et se teinta d’une réelle compassion fraternelle.

Je ne trahirai pas ces deux secrets qui sont vôtres. Si vous souhaitez m’accorder cette confiance, j’en serai honoré. Si toutefois pour vous rassurer vous désirez un serment, cela ne me pose aucun tourment.

En fait, pour tout serment, il en connaissait un autre. Un genre de serment dont il avait usé si fréquemment. Un service pour un rendu. Un secret pour un révélé. Bon certes, souvent il avait révélé des secrets bien peu importants pour lui pour en obtenir un bien plus puissant pour la Toile. Mais en cet instant...

Et je pense pouvoir vous accorder la même confiance concernant mon propre… fantôme… au nom honni de Fabius ? Le garderez-vous pour vous aussi ?

Ilhan ancra ses orbes noirs dans les perles émeraudes de l’elfe, comme souhaitant de nouveau lire en lui. Savait-il ? Avait-il vu ? Le sort aurait pu, sur la fin, se retourner contre lui… dans l’état qu’il était, il ne l’aurait peut-être pas remarqué ? Ou l’elfe avait-il seulement compris avec ses élucubrations effrénées ?

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    A son regard, Aldaron ne se déroba pas. Il resta, émeraude dans l’obsidienne, sincère et confiant dans sa demande. Il ne brisa cet échange silencieux que lorsqu'il le sentit bien trop appuyé pour la pudeur, déroutant. Il le détourna, un simple instant, pour ne pas le laisser lire en lui le fond de sa souffrance, celle qui l’étouffait plus souvent qu'à son tour. Il attendait une réponse, Ilhan cherchait-il à le biaiser ? Trouver un moyen de lui faire une pseudo-promesse sans la respecter ? Il n'aimait pas cette idée, autant qu'il savait le monde de la noblesse très fourbe. Ilhan, comme lui, en faisait partie. Ils avaient appris à mentir, à tromper. Ils avaient appris à se servir de l'autre pour avoir des informations ou des faveurs. Leur vie avait été corrompue par cette noblesse, autant qu'elle leur avait servi à aiguiser leurs armes.

    La réponse vint enfin, fort heureusement dans le sens où il l'attendait. Il espérait qu'il ne s'agisse pas d'un mensonge, en son for intérieur. Il en aurait été déçu. L’échec du test aurait un goût amère. Le demande qui lui vint en retour ne fit que confirmer  le traumatisme dont l'althaïen était victime. Il acquiesça doucement de la tête. « Je n'ai pas d'intérêt à vous faire du mal, Ilhan. » Le prénom était venu intuitivement, et une fois prononcé, il était difficile de revenir en arrière, d'effacer et corriger. « Ni à vous, ni à Delimar. » Il se leva de sa chaise pour aller chercher le service à thé, laissé discrètement par une domestique un peu plus tôt. Il posa le plateau sur la table, d'un geste précis et délicat. « Je n'ai pas besoin de serment. Je n'ai jamais fonctionné ainsi, même jadis, au temps du Tyran Blanc. Les gens savaient qu'avec moi, et avec le Marché Noir, ils œuvraient pour quelque chose de juste. Ceux qui trahissaient la Triade finissaient toujours par s'en mordre les doigts. Parce que notre aile n'était plus là pour les protéger et que la Théocratie était une jungle hostile. »

    Il servit deux tasses du liquide ambré, délicatement parfumé aux goûts de son hôte qu'il avait glanés par espionnage. « Il n'y avait pas de serment. Car en vérité, on peut toujours prendre toutes les précautions que l'ont veut pour sceller un accord – et les Déesses savent combien de contrats j'ai pu rédiger dans ma vie – ils sont toujours imparfaits. La personne malintentionnée, qui désire sincèrement vous trahir, le fera, qu'importe les obstacles qu'il lui faudra franchir à cette fin. Je préfère encore qu'elle le fasse de manière spontanée, sans entrave. Pour qu'elle soit authentique et qu'elle fasse des erreurs. Si vous la laissez échafauder un plan, elle aura réfléchi à beaucoup plus de choses. » Après avoir servi la tasse de thé, il en approcha une près du bord de la table le plus proche d'Ilhan et en rapprocha une à sa place. « De ce fait, j'ai gardé cette habitude. Peut-être me trouverez-vous naïf. Mais j'aime à croire que le risque que je prends en accordant ma confiance est un meilleur investissement qu'une alliance scellée par un serment. »

    Portant doucement la tasse chaude à ses lèvres, il goûta cette saveur sucrée et il comprit assez rapidement pourquoi cet arôme était celui que préférait le conseiller Délimarien. A l'avoir vu dévorer ces... boules un peu plus tôt, il n'y avait plus aucun doute à ses yeux aux fait que l'althaïens raffole de sucreries. « C'est pour cela que je trouve dommage que l'Alliance repose sur un serment. Avec l'Intendante, nous avons décidé de le renforcer car je... Je resterai probablement pas Bourgmestre jusqu'à la fin de mon mandat, et qu'il nous faut cadrer mon successeur. » Il haussa finalement les épaules. Il formait Eleonnora et il espérait qu'elle apprenne et grandisse. Qu'elle fasse fit de ses préjugés à l'égard des Délimariens afin de se lier sincèrement à eux. Car c'était de cette sincérité que viendrait leur plus grande force. « Alors non, je n'ai pas besoin d'un serment. Mais si vous souhaitez me contraindre d'un pour vos propres peines, je ne vous en voudrai pas. Il est autant normal de désirer la confiance que de craindre le joug de la trahison. Je suppose que tout est une question d'équilibre. »

    Il sirotait lentement son thé, jaugeant de l'état de l'Avente régulièrement, pour voir s'il se remettait de sa mésaventure. Après un instant, il demanda tout simplement : « Vous sentez-vous mieux ? » Il eut un sourire en coin , fin et amusé : « Je n'ai pas envie de vous perdre tout de suite. » Comme trop d'humains. Là était tout son soucis. Certains humains avaient attisé son intérêt et Ilhan en faisait parti. Mais il avaient tendance à mourir prématurément, par rapport à lui. « En avez-vous déjà parlé de Fabius, à quelqu'un d'autre ? » demanda-t-il avant de se mordre la lèvre : « Vous n'êtes pas obligé de répondre. Je sais... » Il chercha un instant ses mots : « Je sais juste que j'ai gardé longtemps Morneflamme pour moi et ça m'a brûlé de l'intérieur pendant des années. C'était un tabou, pour moi. Jusqu'à ce que j'en parle. Ma question n'était pas intéressée. Je veux seulement m’assurer que vous trouviez la voie de la guérison. Comme tous ceux qui ont connu la guerre, la torture, la perte. Nous sommes un peuple malade. » Il secoua la tête de gauche à droite.

    Ils glissaient sur un terrain privé et il n'était pas certain que cela soit bien vu ou accepté. Il était prêt à accepter qu'il refuse la conversation et s'en aille. Il n'était pas toujours facile d'accepter la main de l'aide, même lorsqu'elle vous était tendue.

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Pas d’intérêt à vous faire du mal… Peut-être là, en cet instant. Tout comme lui n’en avait aucun non plus. Mais… si un jour intérêt il y avait, l’elfe romprait-il sa promesse ? Forcerait-il l’althaïen à la rompre aussi ? Ilhan détesta cette pensée et préféra la chasser aux confins de son esprit, de son âme. La laisser tapie dans l’ombre. Elle reviendrait sans difficulté aucune le hanter quand nécessité l’y forcerait. Inutile de laisser cette possibilité de fourberie accaparer son esprit en l'instant présent.

Quant à la confiance et la nécessité de serment… Ilhan ne put que répondre par un petit sourire. La Toile fonctionnait de même. Nul besoin de serment. Ne serait-ce que parce qu’il choisissait ses éléments avec attention, sa paranoïa s’exerçant jusque dans les filets finement entrelacés du Tisseur. Il prenait maintes et maintes précautions avant de recruter. Et se contentait ensuite d’une promesse d’entrer au service de leur Grande Oeuvre, sans serment autre pour sceller leur alliance. Tous savaient que quitter ou trahir la Toile serait bien plus mortel, bien plus venimeux, que de la servir fidèlement. Ilhan avait toujours fidélisé ses plus proches complices, non pas en les contraignant, mais en les servant en premier lieu, en leur rendant un service, souvent important, primordial, parfois vital… Nul besoin de serment quand votre honneur était engagé par une dette de vie. Ou quand vous voyez en l'autre un protecteur, une aide inespérée...

Ilhan ne dit mot pour autant, gardant ses pensées muettes, laissant ses yeux sombres parler pour lui. Il ne comprenait que trop bien. Pour tout avouer, il se l’était dit maintes fois, mais la Triade et le Tisseur avaient, finalement, si ce n’est dans l’oeuvre et les manières, de nombreux points communs. Ils auraient tellement pu travailler de concert plutôt que dans la méfiance. Méfiance était peut-être un bien grand mot. Disons… distance polie. Observation intéressée. Curiosité fragile et prudente.

Il prit la tasse entre ses mains froides. Soupira d’aise, soulagé de ne plus les voir trembler. Et de ne plus trahir sa faiblesse éhontée. Il parvint à reprendre peu à peu un port un peu plus décent, à défaut de retrouver son port altier habituel. Il attendit que l’elfe boive une petite gorgée avant d’enfin l’imiter. Et de légèrement frissonner à la douce chaleur qui l’enveloppa. Il tendit sa main vers une petite confiserie, se disant qu’un peu de sucre, encore, ne lui ferait aucun mal. Il manqua la faire tomber, la rattrapa in extrémis d'un geste encore malhabile, avant de la porter à sa bouche. Et de savourer les goûts mêlés en silence, tout à l’écoute de l’autre.

Se disant toutefois que l’elfe en savait décidément beaucoup sur lui pour connaître jusqu’à ses goûts en matière de thé.

Puis sentit tous ses sens se tendre, son esprit s’écrier danger, quand l’elfe annonça ne pas rester bourgmestre. Ce n’était pourtant pas une réelle surprise. La Triade n’avait jamais voulu rester trop longtemps à des places de haute importance dévolues aux Hommes. Toujours là, dans l’ombre, parfois dans la lumière, mais seulement pour quelque temps.

Non, nul besoin de serment non plus. Je n’ai nulle peur d’en porter moi-même quand nécessité fait loi, mais je n’en ai pas besoin pour m’assurer la confiance des miens.

Il porta un regard acéré sur l’elfe. Aldaron pourrait-il se targuer d’être l’un des siens ? Presque en un sens. Tout comme il aurait presque pu être pour l'elfe un des siens aussi… très certainement.

Ou la constance de leur silence, si la confiance n’est plus permise.

Nulle menace dans ces mots. Juste des faits. Il était maitre de nombre de secrets pour s’assurer le silence de certains. Sans forcément en venir à de grandes extrémités d’ailleurs.

Tout comme la Triade en était capable sans aucun doute. C’était là, encore, un de leurs points communs.

« Vous sentez-vous mieux ? »

Oui, merci bien, je me sens… mieux, avoua-t-il du bout des lèvres.

Détestant et maudissant sa faible constitution. Il détestait l’image que cela pouvait renvoyer face à l’elfe, qui pouvait être un allié de poids. Comme un terrible ennemi.

« Je n'ai pas envie de vous perdre tout de suite. »

C’est prévenant de votre part, répondit-il en un léger sourire moqueur.

Aussi moqueur pour lui que pour l’elfe.

Mais vous me perdrez bien un jour, vous savez. Je ne suis qu’un éphémère. Et je suis au crépuscule de ma vie. Bientôt ma nuit tombera et je ne serai plus.

Il souffla ces mots sans réelle appréhension. Depuis le temps qu’il attendait la mort. Qu’il attendait de pouvoir la rejoindre, elle, son aimée. Et leur fils parti si vite.

Mais ce que prononça ensuite l’elfe lui fit perdre tout sourire. Ses orbes sombres se teintèrent d’un dur éclat. Tandis que ses pensées ruminaient une âpre constatation. " Il avait donc vu ". Maudit soit-il. Il n’aurait pas dû obtempérer aux injonctions d’Aldaron et aurait dû se préparer avant. Maintenant… Maintenant l’autre savait. Pire ! Avait vu ! Oh certes, lui aussi avait vu Morneflamme. Des remparts, une fournaise, mais pas… Il n’avait pas vu Aldaron dans une réelle faiblesse, à nu, démuni. Il l’avait deviné à ces images, qui étaient plus des métaphores de cauchemars passés que de réelles révélations des horreurs vécues. Mais l’elfe… l’elfe avait vu !

Ces mots pourtant ne semblaient pas vouloir le narguer. Ni même le blesser. Ilhan écouta alors, et tenta de ne pas totalement se fermer. Il inspira profondément et détourna le regard, se concentra sur une lampée de thé, qui manqua lui donner soudain la nausée, mais il écouta. Non ces mots ne lui voulaient aucun mal. Quand bien même ils l’écorchaient quand même. Il fut tenté un court instant de fuir, de partir, là, maintenant, prétextant un épuisement non feint. Mais…

Mais quand il releva les yeux vers l’elfe, quelque chose le retint. Et surtout, surtout… il voulait répondre, car ce qu’évoquait l’elfe le concernant le dérangeait. Comparer son petit traumatisme individuel à une horreur de guerre ? Ce que l’elfe avait connu, tout comme tous les rescapés de Morneflamme, était sans commune mesure. Ilhan n’avait subi que les frasques d’un Comte, puis d’un Empereur, avide et cupide…

Tout à ses pensées, ses obsidiennes toujours plantés dans les émeraudes vives de l’elfe, Ilhan laissa planer un lourd silence. Sans vraiment en avoir conscience. Pesant le pour, le contre, faisant taire la petite voix qui voulait crier en lui, faisait taire les larmes qui voulaient monter. Puis soupira lourdement, comme tentant d’évacuer un trop-plein d’émotions qu’il ne pouvait totalement confiner, avant de répondre, d’une voix basse et grave, dans tous ses accents althaïens :

Nos deux expériences ne me semblent pas… Comparer ce que vous avez pu vivre comme atrocités à Morneflamme avec mon petit traumatisme personnel ? Certes intime et…

Il grimaça de dégoût et s’empressa de chasser toute futile pensée.

Ce que j’ai vécu… n’était l’oeuvre que d’un homme, fourbe, cupide, cruel et dépravé… je n’ai eu à le subir qu’une fois…

Il se figea, un instant pensif. Non, cela était mensonge…

Bon peut-être un peu plus. Quelques nuits. Le temps que je comprenne comment déjouer ses avances et celles de tous sbires, nobliaux ou non, partageant les mêmes penchants pervers, le temps que j’apprenne à sécuriser… mon intimité.

Et ce dans tous les sens du terme.

Alors que vous… Vous avez vécu ces atrocités… tous les jours… plusieurs semaines, mois… années !

Il eut un sourire triste.

Vous ne pouvez comparer des blessures aussi communes et banales que les miennes avec vos blessures de guerre et de Héros.

Il songea un instant qu’il enviait presque Aldaron de pouvoir parler si librement de ces affres. Enfin peut-être pas si librement… Peut-être pas totalement. Mais les atrocités de Morneflamme étaient connues, et personne ne viendrait remettre en question les dires ou les récriminations potentielles de l’elfe. Alors que lui… lui ? C’était il y a si longtemps. Et c’était si… intimiste. Non, il ne se voyait pas le dire, ne serait-ce que parce que cela serait accusé un ancien Empereur. Sans preuve aucune. Mis à part l’appui d’un baptistrel. Sans témoin, fort heureusement. Du moins l’espérait-il.

Et puis en parler pour quoi ? Faire scandale ? Éclabousser plus encore la famille Kohan d’une autre infamie ? Non merci. Quand bien même il n’aurait pas reculé pour discréditer l’incompétence d’un Empereur ou l’inaptitude tangible d’une famille à rester sur un trône qui n’était plus qu’apparat plus que réel pouvoir. Cette révélation n’aurait servi en rien ces desseins-là.

Quant à en parler ? À qui ?

Un autre sourire triste, d’une ironie amère et fanée, étrange reflet de son sinistre sourire de son jeune lui éploré.

À mes proches ? Ils ne sont plus. Tous dévastés. Là encore je ne pourrais me réclamer de pertes ou de blessures de guerre. Ils sont tous morts d’une mort si… banale.

Il réprima une grimace en ravalant un sanglot. Aucun son ne sortit, aucune larme ne perla, alors qu’il braqua toute sa volonté pour juguler le torrent d’afflictions qui menaçaient de s’écouler. Il était  épuisé, physiquement, psychiquement, et maintenant émotionnellement. Soirée ma-gni-fi-que.

Et pourtant, au lieu de fuir, une fois encore, il resta.

À mes amis ? Je n’en ai pas. Pas vraiment. Mieux vaut pour eux qu’ils ne soient pas déclarés comme tels en tout cas. Pas d’attache, pas d’emprise. À mes alliés ? Nous avons bien d’autres choses à discuter que de mes petits tracas.

Son sourire ironique se teinta de nouveau d’une once de taquinerie. Et ses orbes sombres, bien qu’un peu trop brillants pour être honnêtes, reprenaient de leur éclat vif et acéré.

Et en parler pourquoi ? Pour donner des armes à mes ennemis qui se feraient une joie de s’en servir pour me déstabiliser au plus mauvais moment ? Bien que je sois préparé, et, même si l’épreuve serait dure, je ferais front pour ne pas flancher. Je ne leur donnerais pas cette victoire-là.

Il secoua doucement la tête.

Et entre laisser filtrer quelques informations bien ciblées, telles que le thé que j'apprécie le plus, et laisser échapper des informations bien trop délicates pouvant se retourner en arme... Non, je n’en ai jamais parlé. Et cela date maintenant de si longtemps. Le temps fait souvent bien les choses, dit-on, fit-il en haussant les épaules. Nous sommes peut-être des malades de guerre, oui, nous tous qui avons tant perdu.

Lui aussi avait beaucoup perdu pendant la guerre. Il avait perdu par moment sa foi, des gens qu'il aimait en silence, qu'il avait apprécié, qui avait compté pour lui même si jamais il ne l'avouerait. Et surtout il avait perdu son Althaïa. Mais...

Pourtant je n’ai pas autant perdu que certains dans cette guerre. J’ai presque plus perdu avant…

Il soupira, son regard se perdant au loin.

Avant, répéta-t-il simplement avec une note de nostalgique tristesse.

Une note vraie, pure, telle que l’auraient aimée les baptistrels. Peut-être était-ce là sa note à lui.

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    L'althaïen lui confirmait ne réclamer aucun serment également. L'elfe acquiesça brièvement de la tête, confirmant qu'il l'avait entendu et que cela lui convenait tout à fait. Les deux hommes s'entendaient assez bien. Il avait toujours beaucoup aimé traiter avec Ilhan de politique. Malgré son affection pour Tryghild, avec le Conseiller, il n'avait pas besoin d'aller au bout de ses pensées pour que les sous-entendus et les messages sous-jacents soient saisis et acceptés. L'Intendante n'était pas stupide et bien souvent elle assimilait ce qu'il lui disait, mais ils n'avaient pas forcément le même cadre de référence là où Ilhan et Aldaron avaient longuement fréquenté la Cour Impériale des Kohans. Ils étaient deux personnalités différentes et le Bourgmestre préférait tantôt s’adresser à l'un, tantôt à l'autre, en fonction de ce que la discussion réclamait en terme de finesse ou de franchise nette.

    La satisfaction l’apaisait de savoir qu'Ilhan se sentait mieux. Non pas qu'il craignait la rancœur des délimariens s'il leur rendait un conseiller tout cassé – quoiqu'il fallait tout de même y penser – mais c'était la sincérité qui s'était exprimée et recherchait la pérennité de cet homme qu'il appréciait, au moins politiquement. L'idée de sa perte le rebutait... Comme elle le rebutait à chaque fois qu'il s'attachait un fragile et éphémère humain. Ils finissaient toujours par embrasser la nuit, bien avant lui. Sa longévité d'elfe lui avait fait porter tant de deuils qu'il envisageait progressivement la nuit comme une autre porte que la mort absolue. Il y avait la nuit vampirique qu'il avait promis d'accepter, un jour ou l'autre, pour partager l'éternité avec Ivanyr. Se pourrait-il qu'il sauve ces mortels également ? Qu'il cristallise leur existence dans la mort éternelle ? Ilhan lui en voudrait, sans compter la majorité des Glacernois qui tenaient cela en horreur.

    Il n'en dit mot mais son air pensif semblait souligner qu'il ne s'était pas arrêté sur cette fin. Quelque chose avait poussé plus loin sa réflexion. En silence, à nouveau, il l'écoutait sans l'interrompre d'un bout à l'autre et lorsqu'il eut fini, il fronça délicatement les sourcils, froissant ce visage aux traits raciaux si parfaits, alors qu'il s'appuyait au fond de son assise. Ce qu'il lui avait dit semblait le chagriner, non pas qu'il lui en tienne rancune, mais il était triste de l'entendre prononcer de tels propos car il s'était entendu les dire lui-même, il y avait quelques temps encore. « Que voilà une sinistre façon de penser. » souffla-t-il finalement, après quelques secondes de mutisme. Il ne se moquait guère, néanmoins, sa voix grave était lassée des éclats de la peine, lorsque, sournoise, elle le saisissait par surprise. Il réalisait qu'il l'était sincèrement. « Vous avez monté et m'avez récité votre propre réquisitoire pour vous accabler et vous restreindre au sein de votre tristesse et de votre solitude. Est-ce moi que vous essayez de convaincre, Ilhan, ou vous-même ? »

    Sa voix se posait dans une habituelle prestance. Ronde d'angles poncés, lissant son propos d'une douceur protectrice et pourtant franche. Le silence appuyait la question, laissant le temps de la réflexion et de la réalisation, criante de vérité. « Le passé est immuable. On peut le regretter autant qu'on le souhaite, il ne revient jamais. » Combien ne l'avait-il, lui-même, pas regretté ? Son regard porté sur l'horizon, vide, quand Corinne brûlait sur le bûcher ? Et Achroma ? « Mais votre avenir, aussi court soit-il, du moins à mes yeux... Lui, il est entre vos mains. Vous craignez de souffrir de vos nouvelles attaches, et dans cette crainte, ne souffrez-vous en vous privant ? Pas d'attache, pas d'emprise, vraiment ? » L'elfe bougea d'un geste lent et à peine perceptible sa tête à gauche puis à droite. La négation était esquissée lorsqu'il l'affirma : « Je ne vous crois pas. Tryghild ne mérite pas que vous niez son amitié. La refuseriez-vous si elle vous la donnait ? »

    Il reposait doucement sa table sur la table, les mires posées sur la surface ambrée. L'un de ses poings venaient se serrer, imitant un geste du passé qu'il évoquait : « Prendre la tête d'un homme en l'empoignant par les cheveux pour lui fracasser le crâne contre la roche du volcan... » Il desserrait doucement le poing, le regard rivé sur sa main : « N'avait rien d’héroïque, je vous assure. » Il relevait les prunelles sur son interlocuteur : « Il n'y a pas vraiment d'échelle pour la souffrance, pas de comparaison à faire... Parce qu'à un moment, on ne sent même plus qu'on nous fait mal, encore un peu plus. Vous comprenez ? Vous ne devriez pas diminuer vos souffrances. Elles existent et la solitude... Je ne saurais nier qu'elle a ses avantages. L'ombre est un endroit bien calme pour panser ses plaies. » Il y avait lui-même disparu après Morneflamme. S'il était là, beaucoup avaient pensé qu'il était tout bonnement mort.

    « Au début, seulement. Moi aussi je ne voulais plus d'attache. Plus rien sentir de nouveau. Mais en vérité, on y revient toujours. Je crois que nous ne sommes tout simplement pas faits pour embrasser la solitude. Lorsque vous vous sentirez prêt et si vous craignez tant pour vous, peut-être devriez-vous vous tourner à nouveau vers les baptistrels. Vous ne leur donnerez aucune arme dont ils ne sauraient user. » Il haussa doucement les épaules. Peut-être que l'idée ferait son chemin, tôt ou tard. « Je prierai pour vous. » souffla-t-il, finalement. Les Déesses ne pouvaient plus veiller sur eux, mais il était encore commun de faire de rites et prières pour elles, et, plus récemment, pour que les esprits-liés les exhaussent : « Pour que vous retrouviez la lumière. Nous ne sommes pas obligés de nous éteindre avec ceux que nous aimions et je crois... Je crois que le premier pas doit venir de nous, en temps et heure. »

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Âpres vérités que celles sur soi-même.

« Que voilà une sinistre façon de penser. »

Cela sonna comme une étrange sentence. Non comme un ressentiment, mais comme… une affliction. Avait-il blessé l’elfe par ses paroles ? Pourtant…

Ilhan repassa chaque mot prononcé dans sa tête, mais n’en trouva aucun qui aurait pu altérer ainsi l’humeur du bourgmestre ou qui aurait pu le froisser par quelque malentendu. La suite toutefois lui révéla bientôt la source de ces effluves de peine qui flottaient entre eux, les enveloppant d’un parfum de nostalgie et de douleur pudique.

« Est-ce moi que vous essayez de convaincre, Ilhan, ou vous-même ? »

Ilhan fronça les sourcils à ces mots, clairement, totalement, décontenancé. Il n’en perdit pas pour autant son rictus énigmatique, mais celui-ci s’était figé tel un masque de cire. Seuls ses orbes sombres semblaient encore vivants dans ce visage soudain de marbre. Il avait repris son masque, tel un bouclier parant d’hypothétiques coups psychiques à venir. Mais qui ne vinrent pas.

Non, aucun coup, aucune menace, aucune moquerie non plus. Ce n’est pas pour autant que les paroles de l’elfe apaisèrent son soudain tourment et ses questionnements à foison. Bien au contraire. Chaque phrase semblait avoir le don de déclencher en lui un tourbillon de questions, de remise en cause. Un tourbillon qui soudain lui donnait le vertige.

Toutefois… Toutefois, il n’était pas totalement d’accord avec tous ses propos. S’il ne voulait pas d’attaches… ce n’était pas pour ne pas souffrir. Pas réellement. Pas consciemment. C’était pour que ces attaches ne soient pas elles-mêmes en danger, qu’elles ne soient pas prises en otage contre le Tisseur… Difficile toutefois de le révéler ainsi à l’elfe sans révéler l’un de ses secrets. Bien qu’il doutait que l’elfe ne sache pas la vérité à ce sujet. Quant à Tryghild et son amitié… Pouvait-il parler d’amitié les concernant ? Leur relation était censée se baser sur un autre plan. Tout autre. Il était son Conseiller et elle était Sa Reine. Pour le bien du royaume, cela devait rester ainsi, n'est-ce pas ? Amitié était censée ne pas avoir de place entre eux, non ? Était-ce se leurrer de penser ainsi ? Possiblement, avec Tryghild. Mais lui… Lui ne devait-il pas maintenir les barrières, les distances ? Mais avait-il seulement réussi ? Ne s'était-il pas, au final, déjà attaché à cette femme étonnante qui avait su raviver la flamme de l'espoir en son vieux coeur désabusé ? Devait-il céder à cet élan si jamais… si… Y’avait-il seulement un si ?

Confusion reprit soudain possession de lui. Tant de pensées se chamaillaient que sa migraine, à peine apaisée quelques secondes plus tôt, après l’effort mental intense que son sort lui avait demandé, revint tambouriner avec force dans son crâne. Il préféra détourner les yeux, et pour apaiser ses pupilles qui criaient peu à peu à l’agonie même sous la faible lumière, et pour ne plus affronter les perles poison de l’elfe. À la place, il préféra se masser les paupières. Il n’en écoutait pas moins Aldaron de toute son attention.

Toutefois quand l’elfe évoqua les atrocités de Morneflamme, les horreurs que tous avaient dû commettre là-bas, la décence l’obligea à relever ses obsidiennes et à les ancrer dans le regard profond de l’autre. Ils semblèrent soudain se lier par ce simple regard, un regard qui formait soudain entre eux des chaines fortes, inaltérables, que même le temps ou la mort ne pourraient rompre.

« L'ombre est un endroit bien calme pour panser ses plaies. »

Les chaines non pas de l’esclavage ou de l’asservissement, non pas de la peur et de la menace, mais celles de la compréhension. Celles… oui, peut-être, d’une étrange amitié.

« Lorsque vous vous sentirez prêt et si vous craignez tant pour vous, peut-être devriez-vous vous tourner à nouveau vers les baptistrels. »

Cet elfe en savait décidément un peu trop sur lui pour connaître le lien étroit qu’il avait noué avec les baptistrels. Mais, si cette pensée le dérangea quelques secondes, elle fut bien vite balayée par ce que cela sous-entendait : " je cherche à vous trouver une aide, si vous ne souhaitez pas la mienne. " Et ce geste, tout en pudeur dans ses non-dits et ses silences, le toucha plus que tout autre chose et envoya valser les doutes de sa paranoïa maladive.

Une part de moi s’est déjà éteinte il y a des années, Aldaron, murmura-t-il enfin en réponse. Vous avez raison, dans le fond, sur de nombreux points du moins. Si je ne souhaite pas d’attaches, peut-être est-ce pour ne plus souffrir. Même si pas seulement...

De nouveau, il se massa les paupières.

Ma raison première qui m’a fait prendre une telle décision était de ne pas donner d’emprise sur moi à mes adversaires. D’éviter que mes attaches deviennent des otages pour mes ennemis. Je n’aurais jamais pu réaliser ce que j’ai pu faire… dans le passé…

Comme trahir Fabius en le regardant droit dans les yeux.

Ou même actuellement…

En réactivant la Toile et tout ce que cela impliquait.

Si par ailleurs je devais m’inquiéter pour les miens. Mais…

Il soupira. Et maudissait la sagesse des elfes en son for intérieur. La vérité mise à nu était souvent si cruelle, si douloureuse…

Peut-être était-ce aussi pour ne plus souffrir. Pour ne plus mourir… encore… quand eux mourraient. Car oui, Aldaron, une part de moi est morte… avec ma femme et mon fils…

Il ravala les sanglots qui manquèrent l’étouffer et força sa voix à garder son calmer. Il préféra ne pas parler en outre de Tryghild et d’une possible amitié. Il préférait ne pas y songer, l’idée le troublait trop. Il sentait bien certaines frontières s’effriter entre Sa Reine et lui, bien malgré lui. Pour un mal ou pour un bien, il ne savait trop, et n’avait aucune envie de s’épancher sur la question pour le moment.

Il y a si longtemps. Les baptistrels m’ont effectivement déjà beaucoup aidé pour rallumer la petite flamme qui avait survécu. Mais… Ils ont, nous avons tous, beaucoup plus urgent à faire que de soigner les coeurs blessés, les âmes brisées. Nous sommes tous des écorchés vifs. Mais malheureusement nos blessures devront encore attendre, car un autre combat nous attend. Je ne sais quand, mais il viendra, c’est obligé. Peut-être sera-t-il le dernier.

Il releva ses perles noires sur l’elfe et les ancra avec une force, une détermination, étonnante, après l'élan de nostalgie et de tristesse auquel il s'était laissé aller.

Notre passé nous forge, notre présent nous lie… et nos intentions enfantent notre avenir. Telle est la devise des Avente. Et mon intention est bien d’être de ce combat, avant toute chose. Je ne faillirai pas, Aldaron. Ce qui me ronge ne me fera pas flancher le moment venu, je peux vous le promettre. Je ne sais si nous gagnerons, j’en doute fort pour tout avouer. Mais je donnerai tout ce que j’ai dans ce combat-ci. Tout.

Son regard se radoucit un peu. Juste un peu, alors qu’il ajoutait.

Mais oui, si nous gagnons, si nous remportons cet ultime combat… je prendrai le temps de panser, avec de l’aide si nécessaire, les douleurs qui me rongent encore, si vous y tenez tant. Bien que je n’aurais jamais pensé, que... la Triade... se préoccupe tant du petit humain que je suis, rajouta-t-il avec un fin sourire taquin.

Il avait manqué de peu de parler de lui en tant que Tisseur. Faux secret que celui-là… Il en était persuadé. Ce nom se chuchotait de plus en plus en Calastin après tout. Tout comme Aldaron était devenu célèbre pour être la Triade, le Marché Noir incarné, et tout comme il se chuchotait, sans preuve aucune, que le Marché Noir renaissait de ses cendres…

Mais je ne suis pas le seul alors qui devra vraiment y songer. Si l’heure de la victoire nous honore, quand alors nous pourrons penser reconstruction, vous aussi aurez bien des plaies à soigner…

Cela sonnait presque comme un marché. Je suivrai tes conseils si tu les suis toi aussi. Le Tisseur avait, après tout, toujours fonctionné ainsi. Un prêté pour un rendu.

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    Avait-il été trop loin ? Ilhan s'était-il senti pris au piège ? Peut-être un peu, il n'en doutait pas. En vérité, il avait l'habitude. Les gens savaient qui il était et ce qu'il avait fait, tant comme Triade que comme prisonnier de Morneflamme. Beaucoup avaient peur, fronçaient les sourcils et suspectaient. C'était aussi attristant que commun : il en avait pris l'habitude. Il fallait en général du temps et de longs propos soignés pour leur faire changer d'avis et accepter tout simplement sa bonne foi en la matière. Aldaron était un menteur d'excellence, mais surtout jadis. Aujourd'hui, il connaissait la valeur de la vérité, son caractère rentable et de bonne augure.

    Fort heureusement, Ilhan ne s'en offusqua pas et lui répondit sans détour pour appuyer la raison pour laquelle il refusait des attaches. Pour avoir été un Haut-Dignitaire rebelle au temps de Korentin, un homme drainant les forces de l'Empire de Fabius pour assurée la survie d'Aigue-Royale, il savait qu'un Tisseur avait œuvré pour offrir les bonnes informations au bon moment. Or, rester auprès de l'Imposteur avait réclamé à Ilhan de grand sacrifice en terme d'intégrité alors qu'une sortie vers la liberté aurait pu lui être offerte en se joignant aux forces de Korentin. Des extractions d'urgence, il y en avait eues, et d'autres envisagées pour les enfants royaux solidement mis sous clés. Les deux idées se rejoignaient en une hypothèse tenue et fébrile, à peine balbutiante.

    Sa volonté de partir en bataille contre les chimères qui reviendraient tôt ou tard n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd, pas plus qu'il était conscient que Tryghild s'y opposerait probablement. En vérité, il ne la connaissait encore que trop fragmentairement, mais il était assez aisé de deviner qu'il y avait peu d'espoir pour qu'Ilhan puisse manier correctement une épée et soit, pas voie de fait, considéré comme apte à se rendre au combat. Il acquiesça d'un signe de tête, conscient de ce qu'on lui confiait, sans pour autant répondre pour l'heure. Il acheva sa tasse de thé lorsque l'althaïen lui présenta un marché. Il eut un sourire en coin : le spirite du saumon n'avait pas l'habitude qu'on vienne spontanément sur ce terrain qui était le sien et sur lequel la pente pouvait s'avérer fort glissante pour ses interlocuteurs. Aussi saluait-il l'effort sans négocier outre mesure : « Je tâcherai de le faire, oui. Je suis fort heureusement, bien entouré. »

    Il reposait délicatement la porcelaine au centre de la soucoupe, alors qu'il ajoutait : « Et pour ma part... Je n'aurais jamais pu réaliser ce que j'ai pu faire, dans le passé, ou même actuellement... » plagiat-il, avant d'achever au contraire : « Si par ailleurs, je ne m'inquiétais pas, justement, pour les miens. » Ils étaient son moteur, ce qui le faisaient avancer. Vivants ou défunts, leurs sûretés ou leurs mémoires étaient toujours honorées par ses actes. Il levait à peine les épaules dans un soupir, les yeux bas, alors qu'il écartait les mains en signe délicat de son absence de solution digeste, plus adéquate... A moins que...

    « Peut-être... Devriez-vous trouver des amis qui ne craindront pas plus d'être la proie chassée pour vous atteindre que celle chassée pour ce qu'elle est elle-même déjà. » Mais ces êtres, solidement posés sur leurs pieds, il en existait que très peu. Le seul auquel Aldaron pensa n'était autre que lui-même et il préféra couper court à cette conversation avant qu'Ilhan ne le songe intéressé dans ses conseils. « Nous devrions en rester là pour ce soir, n'est-ce pas ? » il porta sur lui un regard désolé pour ses derniers propos tenus, bien qu'ils ne manquaient pas de réalisme et de pertinence. Il n'était pas certain de pouvoir tenir une conversation aussi intime avec cet homme, en si peu de temps... mais avec les mois, qui sait ? L'elfe se leva de son assise après un bref regard sur la santé de son hôte : il devrait s'en sortir. Avec toutes les convenances de la noblesse, il le reconduisait à la sortie de sa tente mais lorsqu'il s'appréta à le laisser lui tourner le dos et à refermer le an de sa tente, il se rétracta : « Ilhan. »

    Une fois qu'il eut son attention, il reprit : « Auprès de la Triade, une aide sera toujours apportée, à ceux qui la demandent. » Une aide ou une caisse d'ailleurs. Il avait l'impression de devenir un vieux sage, attaché à ses énigmes et à ses mystères, avec une grande barbe blanche et des lunettes en forme de demies-lunes posées sur le bout de son nez. « Aussi petit humain que vous croyez être. » Il avait envie d'ajouter un affectueux 'andouille' à la fin. Il l'aurait probablement fait à un ami, pour lui secouer les puces et lui rappeler qu'il n'était pas insignifiant à ses yeux. Mais le simple fait qu'il y ait pensé... N'était-ce pas justement par là que commençait l'amitié ?

    Un sourire en coin, un « Bonne nuit. » Et le pan de la tente se refermait.

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