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descriptionQue les vents de Délimar soient avec vous - Cordont - [PV Nyko] EmptyQue les vents de Délimar soient avec vous - Cordont - [PV Nyko]

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Cordont - 16 novembre an 1762 du troisième âge, après-midi



Ils étaient arrivés il y a deux jours à peine. Leur convoi terrestre avait été plus rapide que le convoi de mer de Délimar. Mais ce dernier avait dû faire charger tout le lourd matériel et était parti un peu plus tard qu'eux. De plus ils avaient dû certainement faire une halte à Caladon pour charger des vivres supplémentaires. Et enfin, les belles et nobles voiles de la Glacern apparaissaient non loin. Elles s’élevaient sur les hauts mâts, gonflées par le vent, poussant la Glacern à belle vitesse. Ilhan n’était pas sur le pont, mais devinait le vent sifflant et les voiles claquant sous ses fouets. Il attendait vers le port, ou ce qu’il en restait, que la navire arrive.

Il observa de loin les marins affaler les grandes voiles pour ne naviguer qu’avec les brigantines et les focs, offrant ainsi moins de prise aux vents, moins de vitesse, mais plus de précision. Heureusement le vent était assez clément, ni trop faible ni trop fort, pour permettre la manœuvre délicate d’accostage.

Ilhan ferma un instant les yeux, et s’enivra de l’air marin, des embruns fouettant son visage, du vent s’infiltrant dans ses cheveux et lui chatouillant la nuque. Il plana un instant avec les oiseaux marins qui criaillaient au dessus de lui, au son du lent leitmotiv de la marée. C’était de ces instants dont il aimait profiter. De ces perles de vie dont il aimait s’abreuver, se laissant emporter par toutes les sensations grisantes qui l’électrisaient. Ces moments de communion intense et envoûtante avec la nature, le présent, la vie, les autres. Ces instants précieux qu’il chérissait et qu’il rappelait à lui ensuite lors de ses méditations quotidiennes.

De ces instants qui vous rappelaient que vous étiez vivants. Là. Maintenant. Pour quelques secondes encore.

De ces instants trop chers et trop courts, qu’il enfermait dans les petites boites précieuses de ses souvenirs, en son esprit.

Mais il était temps de refermer l’écrin de cette nouvelle perle et il rouvrit les yeux. Il ignora les larmes que le vent vint lui soutirer. Et aperçut le bateau si proche soudain. Quasiment accosté. Il attendit, patient, homme de sel figé, que les marins stabilisent la belle frégate.

Il était venu accueillir le vieux loup, autant pour honorer son arrivée que pour pouvoir lui faire un premier compte-rendu de leur avancée, à Sigvald et à lui. Enfin pour tout avouer, Sigvald avait accompli le plus gros œuvre et n’avait pas chômé. Le général avait été des plus efficaces pour installer le camp délimarien et organiser les premières interventions sur le champ de ruines qu’était devenu Cordont. Ilhan avait surtout aidé à certains conciliabules, et à une partie de la coordination. Et à commencer à tirer quelques ficelles dans l’ombre, mais ces ficelles-là mettraient plus de temps pour tisser leur toile pleinement. Le général était encore occupé  à une affaire pressante et l’avait envoyé en avant. Il s’entretiendrait certainement plus tard avec le vieux loup pour les affaires militaires et apparentées.

Ilhan était ainsi perdu dans ses pensées, quand enfin la haute et imposante silhouette de l’immaculé se dessina dans son champ de vision, descendant du bateau. Visiblement Nyko l’avait vu et, après avoir donné quelques ordres à ses hommes, se dirigeait déjà vers lui et sa garde. Ilhan alla au devant du délimarien. Arrivé devant lui, il dut relever la tête pour fixer ses orbes sombres, brillantes de malice et de vivacité, dans les perles azur du vieux glacernois. Avait-on idée d’être aussi grand ? Non, en fait, la véritable question était : avait-on idée de venir parmi un peuple de géants, lui déjà pas bien grand, même parmi les siens ?

Retenant de justesse un reniflement agacé à cette pensée, il offrit un respectueux hochement de tête à l’amiral et s’inclina légèrement.

Bienvenue à vous, noble loup de mer. J’espère que la marée vous a été clémente, fit-il en langue nordique, dont il avait presque gommé ses accents althaïens.

Presque. Il peinait toujours sur certaines sonorités plus gutturales.

Il réprima une grimace au souvenir des marées houleuses qu’il avait affrontées lors de leur traversée jusqu’en cet archipel, et qui lui avait donné un mal de mer carabiné, et se força à sourire à la place.

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Le soleil entamait déjà sa longue descente vers l'horizon. Les journée se faisaient de plus en plus courte songea le Vieux Loup depuis le gaillard arrière. Ses mains calleuses étaient posées de part et d'autre du bastingage. Ses cheveux attachés en une queue haute se mouvaient sous la volonté du vent glacial de novembre. Les fourrures de sa capeline n'étaient pas de trop, bien au contraire, et étaient solidement attachées afin de protéger la gorge du marin des vents traîtres. Nyko aimait la mer mais il savait aussi que tomber malade en pleine traversée n'était pas une bonne idée, aussi ne tentait t-il pas sa chance.

Soudain, le cri d'une mouette attira le regard du vieux guerrier. L'oiseau volait tout près du grand mât et fut rapidement rejoint par quelques uns de ses semblables. Nyko se permit un léger sourire face à cette escorte. Quelques minutes plus tard, depuis le gaillard arrière, l'Amiral aperçu le port de Cordont. L'endroit avait souffert, lui aussi, de l'effondrement de la cité. Toutefois, en raison de la topographie du terrain, les dégâts n'étaient pas si nombreux.

Le port se trouvait à flanc de falaise. Toute l'île de Calastin était un immense plateau et, tout comme pour Délimar, il avait été nécessaire de tailler un chemin en zig-zag jusqu'au sommet. Celui-ci, même de loin, semblait praticable et cela soulagea fortement l'inquiétude du marin vis à vis des marchandises qu'il devait faire parvenir jusqu'à la petite bourgade.

— Abattez les perroquets ! aboya l'homme à l'adresse de son équipe.

L'ordre fut relayé par ses seconds et, soudainement, le pont reprit vie sous le regard du capitaine. Les hommes et les femmes grimpèrent agilement dans la voilure, rappelant à Nyko à quel point lui-même aimait cela. En parfait équilibre dans les gréements, ils remontèrent les grandes voiles carrées puis, habitués à la manœuvre, ils s'empressèrent d'aller remonter les huniers. Il ne resta plus que la grand voile, un foc et une brigantine lorsque la Glacern fit son entrée dans le port. C'était l'amiral qui tenait fièrement la barre pour la manœuvre. La haute mer était ce que l'homme préférait, mais l'accostage demandait un tel doigté que Nyko n'aimait pas déléguer.

Les bouts d’amarrages furent jetés par dessus bord et les hommes à quai s'empressèrent de stabiliser pour de bon la grande frégate. L'air s'était réchauffé sur le pont en contact avec la terre ferme et, tandis qu'il donnait ses derniers ordres, le marin détacha les sangles en cuir de sa capeline. Ne craignant pas le vole, il laissa le court vêtement à la barre et, après un dernier regard pour le pont, se dirigea vers la passerelle qu'on avait déjà tirée.

Le bois trembla sous les pas lourds du guerrier. L'épée au côté, ce dernier aperçu sans mal le conseiller de sa petite fille ainsi que sa garde. L'homme de mot ne correspondait pas à ce cadre songea Nyko tandis qu'il s'arrêtait face à Ilhan. l'althaïens était si petit que le glacernois devait baisser la tête pour s'adresser à lui.

— Heureux de vous revoir en un seul morceau, répondit le vieux loup de but en blanc.

Le franc parlé de Nyko n'était un secret pour personne. L'ancien Seigneur de l'Hiver n'était pas un homme de mots, mais d'actes, et il ne s’embarrassait jamais des formules de politesses et tournures de phrases qu'Ilhan employait. En cela, sans aucun doute, Tryghild lui ressemblait beaucoup. Sa petite fille tenait de nombreux traits de son grand-père.

— Il n'y a pas eu autant de houle que je le pensais à notre départ de Délimar. La traversée fut tranquille. Tant mieux ! Fit l'homme en posant ses poings sur ses hanches. Légèrement de côté, il tourna son regard vers la fière frégate. Le matériel n'aura absolument pas souffert du voyage, ni les vivres d'ailleurs. Qu'en est t-il de la situation ici ?

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Heureux de vous revoir en un seul morceau.

Les mots du vieux loup firent sourire Ilhan. D’un vrai et franc sourire, un des rares qu’il n’offrait qu’à certaines personnes, qu’en certaines circonstances. Quand confiance s’installait un tant soit peu et qu’il pouvait baisser sa garde.

En un seul morceau. Il tâta un court instant l’ironie de ces mots, lui qui avait eu tant de mal à supporter le voyage et qui en ressentait encore les méfaits jusque dans ses vieux os. Mais il retint sa langue cynique. Le glacernois en face de lui ne goûterait certainement pas son humour noir, même si teinté d’une forte dose d’autodérision. Sans compter que l’homme en face de lui était plus âgé, en âge réel du moins, et n’était pas genre à se plaindre. Certes, il devait être homme plus résistant, et habitué à la rudesse de tel voyage, mais Ilhan sentit une pointe d'indécence à évoquer sa propre expérience. Ou peut-être était-ce une pointe de honte qui retenait sa langue...

Heureusement l'amiral déjà poursuivait. Ilhan sourit, et dut retenir un léger rire, au franc-parler si direct du marin. Droit à la cible, sans ambages. Du Délimar pur jus, à savourer tout cru. Ilhan hocha la tête aux rapports diligents de l’autre homme. Et se força à adopter le même type de langage pour lui répondre, toujours dans la langue nordique.

Voilà au moins de bonnes nouvelles.

Epurer ses propres mots, choisir le mot juste, sans futilité, était pour lui un exercice difficile. Comme quoi, on pouvait apprendre à tout âge, même dans un art que l’on croyait maîtriser.

Quant à la situation… si je devais résumer en deux mots, je dirais… désastreuse et délicate.

Il laissa planer ces deux mots un court instant tout en sondant le vieux loup. Son regard sombre détailla rapidement les traits âpres et fiers de l’homme. Tout en lui transpirait le fils du nord, droit et fier. Ses entrelacs cuivrés trahissaient son appartenance aux intemporelles pourtant. Rappelant son passé de vampire. Ilhan peina à réprimer un léger frisson en songeant à ce que l’autre homme avait pu être. A cette force de la nature convertie en force de la nuit… Que les sept soient remerciés, il était revenu aux siens, à Délimar, dans un corps de nouveau sain.

Le sourire d’Ilhan se fana toutefois, et il détourna légèrement le regard qu’il porta sur les décombres non loin. Des décombres moins impressionnantes que celles qui les attendaient au centre du sinistre.

Ce que vous voyez là n’est qu’un petit aperçu des ravages dont a souffert Cordont. Plus loin au centre de la ville… Autant dire qu’il n’y a plus de ville. Plus rien. Et c’est même un miracle qu’il y ait eu quelques rares rescapés.

Il se racla la gorge et remonta son regard pour l’ancrer de nouveau dans celui de l’autre.

Caladon avait organisé les premiers secours pour les sinistrés. Dès notre arrivée, il y a deux jours, nos hommes et spécialistes ont prêté main forte. Notre général n’a pas chômé. Le camp de Délimar était monté et paré dès le midi de notre arrivée. Nos premières interventions ont commencé aussi le jour même : déblaiement, désencombrement, renforcement à certains endroits, sécurisation de périmètre, premières mesures de reconnaissance sans pour autant descendre dans les souterrains révélés, assainissement de la zone...

Il avait bien fallu s’occuper de ce grand charnier qui menaçait tous les campements d’épidémie…

Ca, c’était pour le côté pratico-pratique. Le plus facile en un sens même si le plus fatigant. Il n’avait pas encore parlé de la situation géopolitique.. Bien plus compliquée à gérer. Bien plus tendue finalement.

Il préféra ne pas aborder ce point tout de suite. Laisser le temps à l’amiral de digérer ce flot d’informations. Même s’il n’y avait là rien de bien surprenant. Surtout pour un guerrier habitué sans doute à gérer des situations d’urgence.

Mais peut-être souhaitez-vous voir de vos propres yeux, offrit-il, tout en se décalant sur le côté, avec un geste de main en une invitation à marcher à ses côtés vers le gouffre béant qui éventrait Calastin.

Il espérait bien que le noble guerrier accepte. Et le suive. Il voulait lui montrer. Et surtout il voulait LE montrer. Que tous voient l'amiral, là, avec eux, au milieu d'eux. Un autre fort symbole de Délimar... Un autre symbole d'espoir...

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Homme d'action et de guerre, Nyko ne perdait pas de temps. Le Vieux-Loup avait poussé ses marins dans leur retranchements pour arriver le plus tôt possible de ce côté de l'île, il était donc hors de question de se perdre en palabres inutiles. Cela, Ilhan le comprit et ne perdit pas un instant pour évoquer la situation de Cordont qu'il jugeait à la fois désastreuse et délicate. Cela tira un soupire à l'amiral, dont les mires se posèrent sur le conseiller. Nyko avait été autrefois Seigneur de l'Hiver, aussi savait t-il lire entre les lignes. Sans doute pas aussi bien qu'Ilhan, bien entendu, mais suffisamment pour mesure l'ampleur de la situation - et des dégâts - au travers de la réponse du Dauphin.

Le regard azuré de l'immaculé suivit celui du conseiller et se porta sur les décombres. Depuis le pont de son navire, Nyko les avait observés. Plus proche désormais, il se rendait compte qu'il n'en avait pas mesuré la taille aussi bien qu'il le pensait.

Je savais que nous pouvions compter sur Sigvald pour mener à bien cette mission. Allons-y, approuva le guerrier.

Ils se mirent en route, de même que de nombreux marins et soldats venues avec l'Amiral, car les vivres et le matériel pour Cordont n'allait pas se rendre tout seul jusqu'aux ruines. Nyko participa en transport en chargeant sur son épaule une lourde caisse que trois hommes peinaient à transporter. Bien qu'il haïssait son passé et avait horreur de ne plus être "simplement humain", le Vieux-Loup devait avouer que sa condition nouvelle avait des avantages, comme celui-ci.

Tandis qu'ils avançaient sans effort sur la route pentue jusqu'au plateau de Calastin, Nyko jeta un coup d’œil sur le petit homme qui marchait à ses côtés en silence. Ilhan n'était pas à sa place dans ce théâtre de malheur. Délimar , son palais et ses habitants lui allaient mieux. Mais Trygild avait jugé que l'homme serait utile ici pour gérer à la fois Caladon et Sélénia, ce que Nyko avait lui-même approuvé d'ailleurs. Pour autant, voir le conseiller ici était étrange.

Lorsqu'ils arrivèrent au sommet de la petite route, le regard de l'Amiral se posa sur un spectacle de désolation. Un horrible fumet vint chatouiller ses narines. L'homme se garda de froncer le nez, mais il pouvait reconnaître l'odeur du sang et des cadavres. C'était la même odeur que sur un champ de bataille, ou presque, car il n'y avait pas les fragrances de l'acier brisé. Le Vieux Loup devança Ilhan de quelques pas, son lourd paquet toujours sur l'épaule, et s'avança parmi les décombres jusqu'au camp Délimarien. Sigvald ne s'y trouvait pas, sans doute aidait t-il quelque part, mais cela n'était pas un problème temps que Nyko avait le Conseiller sous la main.

— Je ne sais pas si le terme de 'désastre' est suffisant pour décrire la situation, commença le Vieux-Loup en se tournant vers Ilhan. Marchons, j'aimerais voir tout cela de mes propres yeux, et parlez moi de la situation avec Sélénia et notre allié Caladon.

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Ilhan se sentit bien petit, et bien inutile, parmi le cortège de marins délimariens portant caisse et tonneaux. Il marqua un temps d’arrêt, quelques secondes à peine, avant de finalement suivre le mouvement et de marcher aux côtés de l’amiral. Proposer son aide aurait été ridicule. Il n’aurait fait que se blesser. Mais il n’en ressentit pas moins une onde de frustration face à ce rappel de sa différence si notable à Délimar. Lui qui toute sa vie avait été fier de son esprit, qu’il avait élevé au rang d’art, se retrouvait confronté à l’une de ses pires défaillances. Cette défaillance physique qui lui était renvoyée comme un boomerang féroce en plein visage, lors de toutes se interactions avec les délimariens, et lui rappelait alors sinistrement qu’il lui serait difficile de devenir délimarien. Lui, petit bourgeois anobli, fier et riche en sa belle Althaïa, se retrouvait dès lors comme apatride en cette nouvelle archipel, et quand bien même il donnait tout ce qu’il avait de compétences, d’art et d’artifice pour Délimar, il n’était pas bien sûr de pouvoir en devenir vraiment un jour citoyen. Pas bien sûr qu’on l’accepte comme réel citoyen. Il était…

Il était si différent. Il lâcha un léger soupir aux côtés de l’amiral et marcha en silence. Là où chaque pas semblait devenir ardu pour lui sur cette pente âpre, les autres hommes pourtant chargés semblaient n’en faire qu’une bouchée. Mais non il ne devait pas se laisser aller à ces sombres pensées, songea-t-il. Il se força alors à inspirer profondément, et se concentra sur le vent chargé d’embruns qui agitaient leurs capes et vêtements, ou sur la poussière qui voltigeait sous leurs pas, ou sur les brindilles herbeuses qui tentaient vaillamment de renaître elles aussi suite au sinistre. Qu’il était épatant de constater que la nature et la vie trouvaient toujours leur voie pour tisser leur chemin.

Si seulement il avait la même capacité. Si seulement les humains étaient capables d’en faire tout autant, pensa-t-il alors qu’ils arrivaient aux abords du sinistre. Il suivit le vieux loup du regard, d’un air calme et impassible. Une lueur admirative dans son regard sombre devait trahir le fond de ses pensées toutefois. Cet homme-là, entre tous, était de ceux trouvant sans cesse leur voie, même dans les plus noirs chemins. Il voulait que les rescapés le voient, l’admirent eux aussi. Que le Vieux Loup devienne une icône de force et d’espoir. Qu’il leur montre, rien que par sa présence parmi les siens qu’il avait cru perdus, que tout était possible. Tout. Même l’impossible.

Quand l’homme se tourna de nouveau vers lui, Ilhan chassa le sourire nostalgique de son visage et y plaqua son rictus habituel.

Marchons, j'aimerais voir tout cela de mes propres yeux, et parlez-moi de la situation avec Sélénia et notre allié Caladon.

Ilhan hocha la tête d’un air grave et le guida à travers le camp délimarien. Il lui montra déjà l’agencement, des tentes, la sienne préparée proche de celle du général, les sanitaires et l’espace commun, le puits… Tout en lui montrant l’installation du camp et en saluant ici et là quelques soldats qu’il avait eus pour gardes, il fit son compte-rendu.

La situation géopolitique avec Sélénia et Caladon semble stable. Elle pourrait être pire, pour tout avouer. Les échanges avec Caladon se profilent bien, nous pensons pouvoir réellement nous organiser avec la Revenante pour reconstruire Cordont. Je doute que nous ayons à craindre quelque duperie de ce côté-là. Quant à Sélénia…

Il marqua un temps d’arrêt. Et dans ses mots, et dans ses pas. Pour tout avouer, marcher en parlant l’éreintait un peu aussi. Après un si long voyage, dont il ne se sentait pas tout à fait remis même en deux jours, tant il y avait eu à faire dans ce laps de temps… Non, vraiment, il aurait bien parlementé autour d’un bon vin pour reposer un peu son corps fatigué. Mais ce tour du camp et surtout des lieux sinistrés était important, primordial même. Sa fatigue attendrait. Encore. Le bon vin aussi.

Quant à Sélénia, les différents entretiens qui ont eu lieu avec l’Empereur sont…

Il reprit sa marche, claqua la langue agacé de chercher ainsi ses mots. Il devait avouer hésiter parfois dans la langue du nord.

Déroutants. Pour résumer, nous dirons que tous semblent vouloir éviter une guerre. C’est là notre seule certitude sur laquelle nous devrons nous appuyer. Pour le reste..

Il les fit bifurquer vers les installations des rescapés.

Ici se reposent les rescapés. Peu nombreux. Bien trop peu. J’ai pu m’entretenir avec eux. Chacun d’eux. Mais je vous en ferai part plus tard.

Il reprit sa marche, prenant soin de marcher plus lentement, et observant les regards se tourner vers eux. Ilhan esquissa un petit rictus, content de lui et de l’effet que l’amiral produisait auprès des âmes en peine qui les regardaient.

Pour le reste, disais-je... L’empereur Nolan Kohan a eu un premier échange avec le bourgmestre de Caladon et semble avoir accepté lors de cet entretien l’annexion de Cordont à Caladon. Il n’en est pas tout à fait ressorti la même chose lors de son entretien avec Sigvald. À sa décharge notre général souhaitait entendre les réels désirs de l’empereur et l’a encouragé à lui parler comme s’il n’avait parlé à personne d’autre avant…

Ilhan chassa une mouche virtuelle de la main.

Toujours est-il qu’il en est ressorti que l’annexion n‘enchante guère le jeune empereur, comme nous pouvions nous en douter. Il a évoqué diverses solutions, dont une cotutelle. Il n’a pas dit refuser une tutelle par l'Alliance non plus, il a même dit être prêt à l’accepter, mais en précisant ne pas pouvoir accepter une conquête. Le mot conquête peut sous-entendre pas mal de choses toutefois… De même, il dit être prêt à accepter le retrait de ses troupes sous certaines conditions. Reste à entendre ces conditions... Voilà où nous en sommes.

Il s’arrêta, reprenant son souffle après ce long laïus qui pourtant avait été un rapide résumé.

J’ai pris soin de consigner les propos tenus par l’empereur face au bourgmestre de Caladon si jamais… si jamais il s’avisait de ne plus vouloir accepter l’annexion. J’espère que nous n’aurons pas à nous en servir.

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La découverte du sinistre avait laissé l'amiral sans voix. Son cœur s'était serré face à tant de désolation et de souffrance. Le spectre de la mort flottait au-dessus du gouffre qui s'étendait devant lui et jusque dans ses profondeurs abyssales tandis que le vent venant des terres lui rapportait les complaintes des rescapés. Le font du cratère devait être un véritable charnier, songea le délimarien.

Ce dernier suivit docilement Ilhan à travers le camp. Rapide et méthodique, le conseiller lui montra l'agencement des lieux et Nyko acquiesça à chaque fois que le petit homme lui expliquait à quoi servait telle ou telle tente. Ils croisèrent aussi quelques soldats au repos après avoir passé de longues heures à déblayer les décombres. L'amiral s'arrêtait près de ceux-là afin de les encourager à poursuivre leur travail avec tout l’acharnement qu'on pouvait attendre d'un soldat délimarien, puis il emboîtait de nouveau le pas à Ilhan. L'homme lui fit un compte-rendu succins des évènements.

Sans réelle surprise, les relations avec Caladon se profilaient bien. Nyko se méfiait de la cité marchande car il n'avait pas confiance en l'or, mais la Revenante avait aussi à gagner dans cette affaire.
Ce qui intéressait vraiment l'amiral était les relations avec Sélénia. L'empereur-enfant avait t-il fait preuve d'un soupçon de jugeote dans cette affaire ? Probablement, se dit Nyko, sans quoi l'Alliance et Sélénia seraient déjà à couteaux tirés. Mais jusque où les discussions étaient allées ?

Bien, répondit laconiquement le soldat lorsque Ilhan assura que Nolan souhaitait également la éviter la guerre. En quels termes ? demanda t-il ensuite.

Le conseiller ne tarda pas à élucider cette question. Sans surprise, Nolan n'appréciait pas de voir Cordont ainsi annexée. Cela n'avait rien de surprenant aux yeux de l'amiral. Il ne fit d'ailleurs aucun commentaire mais haussa un sourcil interrogateur lorsqu'Ilhan révéla les propositions du jeune monarque. Parler de co-tutelle puis dire être prêt à accepter une tutelle de l'Alliance uniquement... C'était dire une chose et son contraire. Le jeune âge du Kohan lui jouait t-il des tours ?

— Le jeune empereur semble réellement prêt à tout pour éviter un conflit, reprit Nyko lorsqu'Ilhan révéla avoir consigné les propos de Nolan lors de son entretient avec Aldaron. Les sourcils froncés, il avoua en son fort intérieur que le conseiller avait bien fait. Je n'ai pas assisté à sa discussion avec Sigvald, mais Kohan semble aussi être très incertain vis à vis de la marche à suivre. Je ne pense pas que nous ayons grand chose à craindre de lui. On dirait davantage un enfant en train de geindre qu'un empereur défendant ses intérêts ainsi que la sécurité de son peuple. Y a t-il autre chose que je dois savoir ? S'enquit finalement l'amiral après une courte pause.

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Le jeune empereur semble réellement prêt à tout pour éviter un conflit.

Oui, à tout, dirait-on.

Et à n’importe quoi ? C’était justement ce point-là, ce genre de comportement, qui inquiétait Ilhan. Car cela dénonçait un manque d’expérience, certes tout à fait justifié vu le jeune âge du monarque, mais dangereux, ainsi qu’une possible instabilité décisionnelle et l’absence d’un conseil clair et éclairé qui parvienne à dessiner une ligne directrice précise. Ligne directrice définie ne signifiait pas ensuite refuser toute concession. Mais au moins ses interlocuteurs auraient su quels étaient les points clés sur lesquels baser la discussion. Là ? Tous avançaient dans le vague, et mis à part leur propre ligne, et une évidente envie d’éviter une guerre, ils n’avaient rien d’autre sur quoi s’appuyer pour lancer des négociations véritablement fertiles. Ils allaient devoir adapter leurs lignes de conduite à l’aveugle, et lancer des propositions dans la vague, sans savoir si ces suggestions pourront être acceptables et acceptées. Autant dire que négocier dans de telles conditions était comme jouer au funambule au-dessus du gouffre.

À ces sombres pensées, Ilhan fronça les sourcils et se força à les chasser pour se re-concentrer sur sa discussion avec l’Amiral.

Je ne pense pas que nous ayons grand-chose à craindre de lui. On dirait davantage un enfant en train de geindre qu'un empereur défendant ses intérêts ainsi que la sécurité de son peuple.

De lui, peut-être pas, susurra Ilhan, presque pour lui-même.

Même si l’ouïe aiguisée de l’immaculé n’avait pu manquer ces mots. Non de l’empereur, qui semblait réellement de bonne foi, il n’y avait pas forcément à craindre. Mais derrière un empereur, il y avait toujours des ombres. Des ombres qui pouvaient vouloir tirer des ficelles. Et les ombres étaient souvent plus à craindre que le mur sur lequel elles se projetaient.

Y a-t-il autre chose que je dois savoir ?

Ilhan soupira profondément et inspira une grande bouffée. Oui, beaucoup de choses, trop sans doute pour que l’Amiral supporte un long laïus en compte-rendu. Ilhan avait donc préparé quelques parchemins résumant tout ce qui avait été dit et décidé.

D’un geste souple, ample, dénotant une agilité insoupçonnée quand on connaissait son incompétence notoire pour le maniement de toute arme, il sortit deux parchemins de son brassard gauche, qu’il tendit à Nyko avec un grand sourire taquin.

Voici de la lecture qui occupera, j’en suis sûr, votre après-midi. Tout y est résumé. Ce qui a été décidé lors de la réunion avec le bourgmestre de Caladon, quant à l’organisation de la reconstruction de Cordont.

Il avait fait l'effort de tout rédiger en nordique. Une petite attention pour ce haut personnage déjà fortement occupé. Même s'il savait que Nyko maitrisait le langage commun il était toujours plus aisé de lire et écrire dans sa langue maternelle.

Cela va des plans de défense et de protection du gouffre et de la zone sinistrée, de la sécurisation des zones alentours, à un réaménagement urgent pour l’hiver qui vient, en passant par l’organisation de réapprovisionnement que ce soit par la chasse, ou par transport de vivre depuis Caladon et Délimar. Y sont aussi évoqués les plans d’approvisionnement des matières premières, qui seront à redéfinir toutefois selon les négociations avec l’Empire, ainsi que l’ébauche de plan pour la nouvelle ville à reconstruire, ou encore par l’assainissement et l’hommage aux morts qui devraient bientôt avoir lieu.

Ilhan inspira une grande bouffée, chassant la nausée naissante rien qu’à la pensée du grand charnier ou encore la pointe douloureuse qui soudain lui vrillait le coeur à la pensée de tant de morts. Tant de pertes humaines encore…

Leur peuple était déjà un peuple fragile, comparé à la force de certains tels les elfes ou les vampires. Les humains étaient des lucioles éphémères en ce monde, certes capables de fuser, d’irradier avec fulgurance, mais tellement fragiles. Et Cordont en était le sinistre exemple. Si toute leur belle île était ainsi un gouffre caché… Non, mieux valait ne pas y songer.

Je me suis permis d’aller visiter chaque rescapé. Chacun d’eux. De parler quelque temps avec eux, d’entendre leurs doléances, leurs desiratas pour ceux capables de les exprimer. J’en ai fait le compte-rendu détaillé à notre…

Il était pour dire Reine, comme il aimait si bien taquiner Tryghild en l’appelant ainsi, puis se ravisa.

Intendante. Mais si vous voulez les lire aussi…

D’un autre geste souple, il extirpa un troisième parchemin.

Voici. Encore de quoi vous occuper, ajouta-t-il avec un petit clin d’oeil moqueur.

Il était sans doute un brin osé de taquiner ainsi un délimarien. Mais s’il avait su s’imposer à ce peuple fier, c’était aussi par son humour particulier, parfois un brin cynique et porté sur l’autodérision en de maintes occasions.



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Tout, dans le comportement de Nolan, laissait entendre que le jeune homme avait un profond désir de paix. Mais l'Amiral ne devait pas se montrer trop sure de lui, chose difficile dans le cas présent. Pourtant, homme de guerre qu'il était, il savait qu'un chef prêt à tout pouvait être plus dangereux que la plus crainte des armées. Pire, les ombres gravitants dans son entourage pouvaient être la raison de décisions déraisonnables aux conséquences dramatiques. Ilhan partageait visiblement cet avis. Son murmure n'avait pas échappé aux oreilles de l'Amiral.

Ce dernier s'enquit du reste de la situation, demandant s'il y avait d'autres choses qu'il devait savoir. Le soupir du Conseiller fut éloquent. Nyko ne manqua pas de hausser un sourcil tout en posant un regard interrogatif sur le petit-homme. Ilhan semblait avoir pris dix ans depuis son arrivée à Cordont. Cette ville, ou ce qu'il en restait, ainsi que la situation plus que tendue semblait avoir raison de lui. Pourtant, ce fut un sourire taquin que le Conseiller lui rendit tandis que, dans un geste tout en agilité, il sortait deux parchemins sous le nez de l'Amiral. Ilhan les avait sans doute dissimulés dans son brassard, se servant des lanières de celui-ci pour les retenir.

Sans attendre, Nyko saisit les deux rouleaux. Ses mains paraissaient immenses par rapport à celle du Conseiller. Une pression de son immense paluche sur les doigts d'Ilhan les briserait comme des brindilles, songea l'amiral. Tout en écoutant les explications de son vis à vis, Nyko déroula consciencieusement l'un des deux rouleaux et en parcouru rapidement le contenu. Ilhan avait pris le temps d'en rédiger le contenu en langue nordique, ce que l'Amiral apprécia. L'écriture était également soignée, il n'y avait pas de tâche d'encre ni de rature.

« Merci. J'apprécie l'effort. » souligna le Vieux-Loup en un semblant de sourire. Malgré la méfiance naturelle du Glacernois pour les hommes politiques, Nyko ne pouvait nier le travail de qualité du Tisseur. Et en ce lieu, un peu de reconnaissance pour sa besogne faisait toujours plaisir. Travailler dans un tel sinistre était une épreuve pour ceux qui ne côtoyait pas la mort quotidiennement. Le Conseiller avait du courage ainsi que les tripes accrochées.

Lorsque Ilhan extirpa un troisième parchemin de sa manche, Nyko leva la main pour en prendre possession. Il ne l'ouvrit pas, cette fois-ci, et le rangea aussi - avec les deux autres - dans la petite sacoche qu'il portait à la ceinture. La taquinerie du Conseiller lui valu un froncement de sourcil réprobateur ainsi qu'un regard noir.. Ce n'était pas, pour le Vieux Loup, un sujet sur lequel il était possible de plaisanter. Lorsqu'il rouvrit la bouche, son ton était encore plus ferme qu'auparavant, comme un avertissement.

« Merci. Je vais, toutefois, prendre un peu de temps pour parler avec eux. »

Nyko savait que voir un chef sur un champ de bataille ravivait souvent la flamme. Il espérait en faire de même à Cordont.

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« Merci. J'apprécie l'effort. »

Ilhan hocha la tête à ces quelques mots. Effort lui semblait un bien grand mot. Ce n’était rien en comparaison du travail acharné qu’avaient abattu les délimariens. Son effort à lui consistait à penser, réfléchir, organiser, ordonner éventuellement ou suggérer… Certes c’était là un certain effort intellectuel, oui, même s’il avait connu bien pire et s’il en avait l’expérience. Un effort physique peut-être aussi, pour supporter les conditions drastiques du camp. Mais pour le conseiller qu’il était, cet effort qu’il avait fourni lui semblait normal. Pour lui, cela faisait tout simplement partie de son travail. Et consciencieux comme il l’était, il aimait peaufiner tout travail qu’il commençait. Toutefois il ne dit mot de toutes ces pensées, et se contenta de recevoir le remerciement en toute simplicité. Tout comme il lui avait été donné.

En ce lieu sinistre, tout petit encouragement était bon à prendre, il devait l’avouer aussi.

Parfois quand il voyait le délabrement ici bas, quand il voyait leur peuple si mal engagé, divisé, en pleine dissension tendue, à délibérer sur une guerre potentielle, quand il voyait le peuple des Hommes si sévèrement touché, menacé en son coeur, dans les fondements mêmes de leur cité… Parfois, il se demandait, oui, s’ils n’auraient pas dû laisser les chimères les engloutir, tout simplement. Si cela était pour finir englouti par des terres étrangères… Puis, à peine cette vile pensée l’effleurait, qu’il se fustigeait mentalement et s’obligeait à reprendre courage. Il ne pouvait baisser les bras. Pas quand tant combattaient, encore et encore, sans perdre espoir, sans perdre vaillance. Alors il les imitait et avançait lui aussi, dans son combat à lui, même si d’une autre nature.

Bon visiblement, sa taquinerie avec son troisième parchemin était celle de trop, réalisa-t-il, quand il reçut pour toute réponse un regard des plus noirs. Le petit althaïen n’en perdit pas son sourire pour autant.

« Merci. Je vais, toutefois, prendre un peu de temps pour parler avec eux. »

Et ses yeux noirs brillèrent d’une vive lueur à ces mots-là. Une approbation et une vive admiration illuminèrent les profondeurs de ses orbes sombres. Voilà les mots qu’il attendait. Les mots qu’il espérait. Les mots qui lui prouvaient qu’il avait visé juste, qu’il avait raison concernant ses « plans » pour Nyko. Peut-être était-ce, enfin, le bon moment pour évoquer ce sujet-là. Même s’il le devinait délicat.

Si vous le voulez bien, je vais vous accompagner jusqu’à leur tente, fit-il d’une voix douce et d’un accent trainant.

De ces accents typiques de l’althaïen qui signifiaient qu’il n’en avait pas fini. Pas totalement.

Les deux hommes reprirent chemin donc, mais Ilhan imposa un rythme moins rapide. Même s’il devinait que pour l’Amiral son pas lent devait mettre ses nerfs à rude épreuve.

Depuis quelque temps, depuis mon arrivée à Délimar et notre première rencontre pour tout dire, j’ai tout de suite vu quelque chose en vous. Et votre dernière réponse est une autre preuve encore, s’il en était besoin, que ce que je vois en vous est là, au fond de vous.

Il se stoppa net et se tourna vers l’Amiral. S’il garda son sourire, son visage avait perdu toute trace de taquinerie et ses yeux étaient plus que sérieux.

Avez-vous déjà songé au rôle que vous auriez à jouer ? Je ne parle pas seulement du rôle d’Amiral, ou de Conseiller, certes rôles importants. Non je parle d’un autre rôle, d’une autre façon de servir Délimar, plus encore.

Ilhan prit une profonde inspiration, réfrénant les battements spastiques de son coeur. Il n’en menait pas large : aborder un tel sujet avec cet homme-là.. Lui suggérer d’endosser enfin pleinement le rôle que le destin semblait lui avoir ouvert…

Je sais que j’aborde là un sujet… délicat. Qui pourrait ne pas vous plaire. Mais… Je crois, je suis sûr, que votre destin va plus loin encore que de vêtir la cape d'Amiral de Délimar. Et non je ne parle pas de vous mettre au rang d’Intendant, certainement pas, ajouta-t-il vivement tout en levant une main, avant que l’autre ne se méprenne. Nul ne pourra endosser ce rôle-là mieux que Tryghild. Elle est… Elle est la plus digne, la plus noble des Reines qu’il m’ait été donné de servir.

Et dans le timbre de sa voix résonnait un dévouement sans borne pour cette femme. Sa Reine comme il aimait l'appeler.

Non, je parle de tout autre chose.

Une autre inspiration. Et sa voix se fit plus grave, plus profonde, faisant appel à tout l’art de son dauphin pour apaiser toute tension que ses paroles pourraient provoquer.

Avez-vous conscience de ce que vous représentez pour Délimar ? Pour tous, pour nous, pour eux ? Avez-vous conscience de comment ils vous voient ?

Il désigna d’un geste les gens au loin. Et laissa sa fougue l’emporter, sa voix portant en elle tous les accents passionnés qu’il pouvait posséder au fond de lui. Même si toujours d'un ton posé et bas.

Voyez-vous ce que je vois dans leur regard ? L’espoir. L’indicible espoir que vous incarnez et auquel ils se raccrochent. Avez-vous conscience de ce que nous voyons en vous ? Certes, nous voyons l’homme, un Svenn, un Amiral, une force… mais plus encore ! Vous êtes revenu d’entre les morts, vous êtes revenu aux vôtres, vous êtes revenu et êtes devenu une force intemporelle. Un espoir immortel. Vous incarnez toutes les valeurs de Délimar avec tant de vigueur et tant de constance. Vous êtes… Notre espoir. Notre étendard. Notre…. Icône ?

Et il laissa planer ce mot dans l’air. Avec tout ce qu’il sous-entendait. Et attendit que la tempête se déchaine.



PS : j’aborde le sujet qui était évoqué dans le prédéfini au sujet de la relation d’Ilhan avec Nyko :

Pour l’instant, il apprend à le connaître, mais Ilhan a déjà quelques projets pour lui, car le sir est un outil parfait pour un peu de propagande bien ajustée. Il suffirait de le convaincre, mais est-ce seulement possible ? Bien sûr, il ne l’a pas encore réellement évoqué, si ce n’est de façon très superficielle.

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Nyko pensait que cet entretien touchait à son terme. Il avait tout faux. Les rouleaux en poche, il s'apprêtait à prendre congé du Conseiller de l'Intendante. Mais, au fond de ses orbes noirs, l'amiral vit quelque chose qui lui fit froncer les sourcils. Les deux traits noirs se touchaient presque, au-dessus de son nez, tandis qu'il attendait la suite. Car il y aurait une suite, assurément.

« Faites donc. » répondit le Glacernois avant de tourner les talons. Sa foulée était grande et, rapidement, il dépassait l'althaïen. Toutefois, pris de remords, Nyko eut tôt fait de ralentir le pas. Ilhan fut alors en mesure de marcher à sa hauteur sans trop s'essouffler, instaurant son propre rythme. Ils marchèrent en silence. Nyko ne comptait pas le briser et s'amusait de sentir le petit humain - Ilhan lui arrivait à peine à l'épaule ! - chercher ses mots.

Finalement, l'althaïen se lança. Ce sujet qui lui tenait tant à coeur et qu'il avait évité d'évoquer jusqu'alors était enfin sur le tapis. Le compliment fit plaisir à Nyko, forcément, pour qui l'honneur était une notion très importante. Veiller à ces gens faisait partie des devoirs d'un homme comme lui.

Ilhan s'arrêta, Nyko aussi. Ils se firent une nouvelle fois face. L'amiral baissa le regard, dévisageant le Conseiller. Ce dernier souriait mais son regard sombre témoignait d'un grand sérieux. Ilhan croyait en ses propos, il les avait à coeur. Ne sachant d'abord quoi penser, le Sainnûr posa ses larges mains sur ses hanches. Il détourna le regard, le posant au loin, sur les tentes, sur les hommes qui travaillaient. Nyko écoutait bien qu'il sembla plonger dans ses pensées. Ce ne fut qu'au moment où Ilhan évoqua un rôle plus important qu'amiral que l'homme tourna son regard bleu-gris vers son vis-à-vis, le dévisageant. Ce dernier leva la main en signe de tempérance, puis éclaira son propos. En son coeur, Nyko fut un peu vexé. Lui-même avait gouverné autrefois. Mais Trygild était taillée pour ce rôle, il devait l'avouer, bien plus que lui-même ou que son prédécesseur.

« Éclairez moi. » répondit-il, laconique. Nyko sentait, chaque jour, le regard des autres sur sa personne. Ils étaient partagés entre la haine pour ce qu'il avait été et l'admiration pour le courage et la force dont il avait fait preuve au cours de ces épreuves… Mais l'amiral était curieux d'entendre la réponse du jeune conseiller. « Une icône ? » lâcha l'homme en haussant un sourcil. S'énerver ou même hausser le ton n'était pas dans sa nature, pas pour ce genre de chose. De plus, et Ilhan le savait sans doute, Nyko avait à coeur d'aider les siens, de les guider et de les protéger. C'était un mentor dans l'âme. « Je vois souvent les regards que vous évoquez. Mais je vois aussi la haine et la méfiance. Je fus un vampire. » son ton se durcit à l'évocation de cette race maudite. « Pour certain, cela ne peut être oublié. Mais je vois où vous voulez en venir. De vampire, je suis devenue ce que les elfes appellent Sainnûr. Immaculé. Et vous voulez que je sois un phare pour que d'autres immaculés se joignent à moi. À nous. »

L'idée d'inspirer des gens à adopter sa façon de voir le monde, à se conduire avec honneur, était terriblement séduisante. Si les immaculés rejoignent Délimar, ce serait aussi accroître la force de la cité. Mais cette éventualité soulevait des points problématiques. Des questions pour plus tard.

« Alors, est-ce que je me trompe ? »

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« Éclairez moi. »

Bon déjà ses propos n’étaient pas rejetés. Ilhan ne saurait dire s’ils avaient fait mouche, avaient touché ou blessé l’Amiral. Peut-être un peu des deux. Aucun signe ne lui indiquait clairement ce que pensait en cet instant l’homme en face de lui. Pour une des rares fois de sa vie, l’althaïen peinait à interpréter les signes, à déchiffrer ce visage, ce regard.

Mais le dauphin ne se départit pas de son calme, et stoïque, observa l’autre avec un profond respect. Et une onde d’espoir.

« Une icône ? »

Ilhan se contenta de hocher la tête. Tout en offrant un sourire sincère. Si Nyko parvenait à mettre ses propres mots, à reformuler, à sa façon, ce qu’il essayait de lui dire, ce serait un pas vers l’acceptation. Car, Ilhan ne se leurrait pas, ce ne serait pas facile pour un délimarien dans l’âme, pour un homme tel que l’Amiral, d’accepter de devenir cette icône. C’était tellement peu dans la nature réelle des glacernois… Et pourtant, qu’il le veuille ou non, en un sens, Nyko devenait déjà une icône au sein de la noble citadelle, peu à peu. Autant qu’il prenne ce rôle à bras le corps et qu’il le fasse sien. Entièrement. Et qu’il puisse y mettre ses propres valeurs, toutes ces valeurs qu’il avait tant défendues sa vie durant, toutes ces valeurs que Délimar brandissait tant en étendard.

« Je vois souvent les regards que vous évoquez. Mais je vois aussi la haine et la méfiance. Je fus un vampire. »

Ilhan frémit imperceptiblement. Enfin sans doute aurait-ce été imperceptible pour tout autre qu’un immaculé… Lui aurait plutôt dit la peur. Oui, le mot vampire faisait peur, faisait frémir. Et même sous leur bravade et leur farouche haine, que les Délimariens mettaient un point d’honneur à entretenir envers les vampires depuis des siècles, se cachait une sourde peur : celle de devenir comme eux, de tomber eux aussi sous ces crocs avides, de succomber au venin traitre et acide. Pour tout dire, lui-même nourrissait, en son sein, cette même hantise.

« Et vous voulez que je sois un phare pour que d'autres, immaculés se joignent à moi. À nous. »

Bon ce n’était pas tout à fait cela, pas entièrement du moins. Mais l’idée était là. Nyko s’en approchait.

« Alors, est-ce que je me trompe ? »

Ilhan passa deux doigts de part et d’autre de ses lèvres, songeur, réfléchissant à comment bien s’exprimer, sans heurter, sans blesser, et le plus clairement possible. Chaque mot allait compter. Il devait les choisir avec justesse et sincérité. Il inspira profondément et ancra de nouveau ses orbes sombres dans les yeux de l’Amiral.

C’est à peu près ça. Mais pas seulement. Je ne souhaite pas que vous soyez un phare seulement pour les immaculés. Mais pour tout humain, ou ancien humain, qui reviendrait lui aussi de sombres sentiers et qui voudrait trouver en lui la force que vous avez en vous. Vous êtes déjà une icône, Nyko Svenn. Parce que vous êtes un Svenn, parce que vous êtes un ancien vampire revenu d’entre les non-morts, parce que vous êtes une force incarnée. Oui, devenez ce phare pour tout immaculé perdu, qu’ils viennent donc nous rejoindre.

En prononçant ces mots, Ilhan réalisa soudain comment il s’imbriquait lui-même dedans. Ce « nous » lui était venu si… naturellement. Si spontanément. Sans calcul ni plan fomenté. Mais une soudaine question lui vint : faisait-il vraiment partie de ce « nous » ? Il était si… si… différent. Petit politicien sudiste, petit bourgeois anobli, petit mage aux secrets troubles et aux mille et un complots… Tout ce que Délimar exécrait en temps normal. Il chassa toutefois cette pensée, qui lui venait bien assez souvent pour l’agacer, et se força à se focaliser sur la conversation.

Mais devenez aussi ce phare, cet espoir, cette lumière dans la nuit et dans la pleine tempête, pour tout humain qui ne sait où aller. Et même, soyons fous, pour tout vampire qui voudrait trouver la force et la voie immaculée. Permettez aux hommes d’espérer en vous voyant, et de se dire : « et si moi je suis mordu, si moi aussi je deviens vampire, tout ne sera peut-être pas perdu. Si lui est revenu, je reviendrai aussi. ».

Ilhan laissa un instant ses mots planer entre eux.

Devenez une icône pour tout Délimar, et surtout pour tout le peuple humain, passé, présent, et à venir.

Il offrit alors un sourire un peu triste à Nyko. En un sens ce qu’il lui demandait n’était pas forcément le rôle le plus facile. Pas que gouverner à la place de Tryghild en tant qu’Intendante l’était... Mais devenir une icône vivante pouvait devenir pesant. Ce serait là une lourde et difficile charge. Mais Nyko avait les épaules pour l’assumer, Ilhan en était sûr.

Soudain il leva une main, calme, sereine, et d’un ton posé teinté de ses accents d’Althaïa, il ajouta :

Ne répondez pas de suite, Amiral. Prenez le temps de réfléchir à ce que je vous ai dit. Ce ne sera pas là une décision facile ni à prendre à la légère. Et nous pourrons en reparler quand vous le voudrez, au calme. Avec Tryghild aussi, si vous le souhaitez. Autour d’un bon hydromel pour vous réchauffez.

À ces derniers mots, il lui offrit un petit sourire taquin. En tout cas, lui avait froid. Il tremblait presque même sous sa cape et il devinait presque ses lèvres légèrement bleutée. Il s’inclina alors doucement. Puis, recula d’un pas.

Si vous avez besoin de moi, Amiral, je serai dans ma tente. Je saurai me montrer disponible si vous m’appelez.

Et se disant, il tourna les talons souplement et partit en direction de sa tente. Et de ses parchemins.

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