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6 Décembre 1762

Le cadavre gisait là, devant lui. Pas de tonnerre divin, pas de lamentation de la terre, pas la moindre espèce d’occurrence singulière ayant pu indiquer que la mort de cette femme avait eut la moindre importance. Elle était une petite goutte d’eau dans le fleuve de la mort. Le cadavre gisait là, devant lui. Pas de mouvements, pas de sons perçant le silence naturel des lieux. Tout s’était tu voilà des heures entières, quand elle avait abandonné la vie, et qu’il avait achevé son festin. Une fois les sons étiolés, il ne restait que cette chose par terre, au centre de la clairière herbeuse, qui ne signifiait plus rien de la conscience que le réceptacle avait abritée. Le cadavre gisait là… un amas brunâtre de sang séché et de chair en macération dans la chaleur ambiante, on repérait encore vaguement la silhouette bipède en lui, bien qu’il fût tordu en une posture grotesque, cage thoracique ouverte, vidée. Par endroit, la chair massacrée, réduite en bouillie informe, laissait place au blanc d’un os, pointes des côtes apparentes, comme une bouche ouverte vers le ciel. Ce qui restait des bras, à moitié arrachés, laissaient entrevoir un ivoire brisé, la moelle vidée alors que les restes de cuisses étaient nettement découpées en de profondes incisions, des morceaux entiers de muscles absents. La terre sèche et l’herbe étaient sombres de sang, en une auréole autours des restes, et des mouches commençaient à venir bourdonner autours, alors que dans le ciel, les vautours approchaient.

Il en était à la moitié du chant premier de funérailles lorsque le bruit incongru lui parvint : cliquetis, crissement de l’herbe sous une botte, profonde respiration équine. Il se redressa en plaçant le bois dans un angle de la clairière, sans se hâter, et chassa des esquilles prises dans le tissu bleu qu’il portait en guise de manteau et qui le préservait en partie de la chaleur de l’île.

« Difficile de construire un bûcher ici. Le bois est sec, mais sans les outils adéquats, en réunir suffisamment est une corvée »

Sortant un chiffon de sa ceinture, il le passa sur sa nuque et son front pour en chasser un peu de sueur, puis l’y fourra de nouveau. Il avait les mains sales, terreuses d’avoir cherché le bois et entaillées d’avoir tiré pour arracher des branchages. Au départ, il avait voulu attendre pour entamer le rituel, mais après la première demi-heure, Teotl avait vite abandonné l’idée. A défaut de bûcher, elle aurait au moins eu les chants adéquats pour accompagner son âme.

« Le scalpe est en bon état, considérant le reste. J’hypothétisais une femme »

Stoïque, il jeta un regard vers la masse désormais molle qu’avait été la tête. Les cheveux de bonne longueur étaient emmêlés, encroûtés de sang et de divers fluides, mais ils pouvaient avoir eut un dessin et un ornement féminin. Le visage était impossible à se figurer, l’os de la clavicule était plusieurs fois fendu. Il soupira, puis se tourna vers l’arrivant, gardant la tête vers lui quelques instants avant de nouveau de parcourir les lieux pour rassembler quelques branchages de plus.

« Si je savais à quelle distance était la rivière la plus proche, j’aurais pu plutôt construire un radeau et la porter jusqu’au domaine, ou simplement la laver avant de la faire brûler, elle s’est oubliée avant de mourir »

Un blanc, un instant, pendant lequel le bourdonnement des mouches devint lourd, puissant, crissant dans le silence de la savane. Son ton n’était pas monté un seul instant. Las et préoccupé, il restait néanmoins calme et maîtrisé, et le ton qu’il employé, factuel, ne laissait rien paraître de ses sentiments. Haussant les épaules dans une mimique de découragement tiède, il s’assit sur une grosse pierre, tête penchée vers le cavalier.

« L’odeur deviendra insupportable d’ici quelques heures… »

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Les bruits sur le sol sec étaient ceux d'un entier, un cheval blanc à la robe mouchetée de noire, maintenu par sa cavalière qui avait certainement du entendre cet individu parler et par curiosité avait décider de s'avancer, elle n'était pas réellement surprise de cette scène, dans la savane, c'était affreusement banal de retrouver les restes de ceux qui avaient péris, les os blanchis par le temps en témoignaient. Elle avait chassé quelques créatures, dans le but de récupérer de la viande ou bien de la fourrure, séchée, la viande se conservait longtemps et était particulièrement nourrissante quant à la fourrure elle pourrait toujours en tirer un bon prix.

Elle plissait les yeux, son regard allait de ce qu'elle identifiait comme un homme - la voix lui confirmait ses doutes -, affichant clairement une mimique de méfiance, non pas une méfiance humaine, mais bestiale, presque instinctive et primaire, sans réflexion. L'attitude de ceux qui ne sont pas habitués à vivre au contact d'autres membres de leur propre espèce. Elle était une personne qui ne pouvait être domestiquée, cela se voyait dans son attitude, elle était statique mais tendue, à la manière d'un animal prêt à s'enfuir.. Ou à bondir sur sa proie, son épée était à portée de sa main, et ses yeux verts d'une couleur surnaturelle descendait devant cette scène, pas de dégoût, elle avait déjà dépecer bon nombre d'animaux, et finalement humain ou créature, dans cet état tous se ressemblaient et empestaient la même odeur. Puis remontait à l'homme sans aucune émotion si ce n'était une certaine froideur ou plutôt distance.

Indiscutablement, elle était une elfe, ou l'avait été en tout cas, elle ne cachait pas sa nature, elle possédait le charme propre à cette race, même si elle n'était pas spécialement l'idéal qu'on s'en faisait, et était au contraire plutôt atypique. Ses longs cheveux noirs descendaient en une cascade obscure, dissimulant ses oreilles, une mèche barrant son visage, elle n'était pas spécialement grande ni même fine, on lui donnait facilement une petite vingtaine. Elle portait une tenue en soie noire proche du corps, entourée de pans de tissu légers blancs, plus amble.

À cela s'ajoutait une lourde ceinture métallique dans laquelle était glissée son épée, massive, presque impressionnante pour le physique fin qu'elle avait, d'ancienne facture elfes, au moins vieilles de plusieurs siècles, mélangeant les couleurs de l'or et de l'argent ainsi qu'un couteau à dépecer - ça et les fourrures attachées à sa selle, une chasseuse ? Étrange pour une elfe. Elle était aussi vêtue d'une cape aux multiples nuances de vert qui semblaient avoir vécu pas mal d'année, bien que l'étoffe restait belle, ainsi qui écharpe dans les mêmes tons qui dissimulait parfaitement son cou. En dépit de sa tenue, elle ne semblait pas vraiment souffrir de la chaleur, sans doute à force d'errer dans cette savane qui n'en finissait jamais.

Sa main gauche posée sur le pommeau de son épée, alors que dans la droite, se tenaient les rênes d'un cheval de haut linéage almaréen, curieuse acquisition pour une elfe, ces chevaux étaient extrêmement rares, facilement reconnaissable à leur robe noire tachetée de blanc, clairement pas à la portée du premier venu. Même si elle semblait être une ermite, elle devait appartenir autrefois à une classe plus aisée, voir la noblesse au vu de la richesse de ses vêtements et de sa monture.

Ithrinn ne se demandait pas ce qu'elle aurait fait à sa place, sans doute rien, les cadavres devaient être laissés à leur place pour que la nature se renouvelle, s'était une vision des choses que jamais elle n'affichait par peur de choquer, bien qu'elle-même eut pris soin de respecter les traditions funéraires elfiques, mais la survie avait modifier son schéma de pensée.

Analysant pendant de longues secondes l'homme, il pouvait être aussi bien un elfe, un vampire, une chèvre ou le simple fruit de son imagination que ça ne changeait rien pour elle, c'était significativement la même chose. L'homme parlait au sujet d'un cadavre. Néanmoins, le temps s'écoulait et le silence devenait doucement gênant, alors elle se décidait à parler, de sa voix brisée habituelle, dans une demande qui aurait presque pu paraître serviable : Je peux vous aider ? Elle aurait presque pu frissonner en entendant sa propre voix, si dissonante par rapport à ce qu'elle avait été, et surprenante puisqu'elle tranchait singulièrement avec son physique. On sentait que chaque mot lui coûtait et demandait un effort pour sortir, autant parce qu'elle ne semblait pas parler à quelqu'un tous les jours que par peut-être un défaut physique ou une autre tare.

Néanmoins au-delà de la méfiance, elle ne semblait pas être une bête assoiffée de sang puisqu'elle lui proposait son aide en toute-bonne foi, bien qu'elle tâchait de garder une certaine distance au cas où il arriverait quelque chose. Elle avait survécu aux almaréens et à la théocratie, ce n'était pas un voyageur louche qui allait changer cela. Parce qu'un détail lui avait sauté aux yeux, c'était trop propre, en dépit de l'apparente brutalité, c'était trop propre, beaucoup trop propre pour avoir été fait par un animal, et surtout récent. Sa méfiance montait d'un cran, mais pour quelqu'un qui ne la connaissait pas elle était similairement la même que plus tôt, et dans tous les cas elle n'était pas une justicière, alors elle passait outre ce détail, le gardant dans un coin de sa mémoire, refusant de tirer des conclusions hâtives.

On trouve toutes sortes de créatures dangereuses dans cette savane. Une phrase plus longue, encore plus poussive que la première, néanmoins elle ne semblait pas en être spécialement affectée, se contentant de s'asseoir elle aussi sur un rocher sa monture fourrageant de son côté, maintenant elle avait des interrogations. Mais elle était néanmoins troubler par le personnage, peut-être parce qu'elle était incapable de distinguer ses yeux ? Et donc d'y lire le fond de sa pensée ?

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Cette savane était décidément plus peuplée qu’il ne l’avait d’abord pensé lorsqu’il avait décidé de s’y aventurer pour un peu de calme loin du Domaine. Cillant de ses yeux morts derrière le bandeau qui lui couvrait le haut du visage, le pirate étudia quelques instants l’individu venu troubler son sanctuaire de circonstance, puis se détourna pour observer de nouveau la silencieuse masse torturée répandue en des angles douloureux sur le sol sec dont elle imbibait les fissures de son sang. Définitivement, la transporter risquerait d’être compliqué. Se voûtant légèrement, bras sur les cuisses, il secoua un peu la tête et commenta de nouveau d’une voix pensive, très absorbé par son problème, bien trop pour chercher à défaire le puzzle de sa nouvelle compagne.

« Si on la transporte, je risque d’en perdre des morceaux sur le chemin. Ce ne serait pas une bonne chose, si des morceaux de son âme sont encore accrochés dessus elle ne pourra pas trouver le chemin de la réincarnation »

Il ne lui était pas venu à l’esprit que d’avoir mangé certains morceaux aurait le même effet. Mais il n’était pas objectif alors on ne pouvait guère attendre de lui un tel recul sur la situation. Tout à sa réflexion, il ne vit guère le temps passer. Après un moment, il se redressa pour commencer à rassembler d’autres branchages, ne se sentant nullement gêné de cette nouvelle compagnie, pas plus que de l’ancienne. Néanmoins, lorsque l’elfe lui proposa son aide, le jeune immaculé la jaugea quelques instants, tête penchée sur le côté comme un animal curieux, avant de se détourner de nouveau. Il y eut encore une silence avant qu’il ne lui réponde, alors qu’il pondérait ce qu’elle pourrait faire pour l’aider, ou même si elle pourrait réellement être d’une aide quelconque.

« Je ne suis pas contre un peu d’aide »

Se redressant, il se passa une main dans les cheveux, décollant des mèches pâles qui épousaient sa peau à cause de la sueur. Mine de rien, marcher et se baisser continuellement, dans la chaleur ambiante, ça éprouvait, surtout qu’il n’y était pas tout à fait habitué. Il faisait chaud également en haute mer mais… cela se sentait moins, avec la fraîcheur du vent et des embruns. En cet instant, il comprenait toute l’importance du ressenti sur son corps. C’était quelque chose qu’il allait devoir garder à l’esprit surtout s’il devait se débarrasser de sa nouvelle ‘amie’ après coup. Si elle portait cette épée, c’était sans doute qu’elle savait l’utiliser, il s’agissait non seulement de ne pas la mésestimer mais aussi de ne pas se surestimer. Il était réellement fatigué de la chaleur ambiante.

« Vous pouvez m’aider à trouver du bois. Si vous maîtriser la magie, allumer un feu sera relativement simple également. Je crois, en tout cas. Si vous avez le cœur accroché, vous pouvez aussi repositionner notre amie. Qu’elle brûle dans une position un peu plus digne que celle-ci. Et si vous savez où est la rivière, peut-être pouvez-vous me rapporter de l’eau ? Votre cheval sera plus rapide que mes jambes »

Après un instant, il s’arrêta de nouveau. La sueur coulait le long de son dos et sur sa gorge, et il commençait à se demander si acquérir un glyphe contre les températures extrêmes ne serait pas une bonne idée. Aveugle, métaphoriquement, au moindre signe de tension de son interlocutrice, Teotl fit tourner un branchage entre ses doigts puissants et se perdit un instant dans la réminiscence. Dire qu’il n’était pas près de pouvoir se reposer était un sacré euphémisme… C’était bien beau, de réussir à enterrer sa morte, mais il allait ensuite devoir enquêter sur la façon dont elle l’avait trouvé, et surtout pourquoi, après tout ce temps. Il y avait encore des membres du Souffle qui lui courraient après et voulaient apposer la vengeance de la guilde ?

« Hm ? »

La voix rauque et difficile le sortit de ses pensées. Il l’observa quelques instants, au ralenti, puis eut un infime frémissement de sa silhouette musclée. Comme si le sens des paroles commençait tout juste à pénétrer en lui et à faire jour.

« Des créatures dangereuses ? »

De quoi parlait-elle ? Une seconde plus tard, il comprit. Une seconde de trop peut-être ? Elle ne semblait pas particulièrement prête à lui sauter dessus et il avait encore le temps.

« Oui, il y en a beaucoup d’après ce que j’ai entendu. Je n’en ai pas encore vu cela dit, mais vous avez l’air de connaître ce lieu bien mieux que moi. Et d’y être plus à l’aise. Quelle créature aurait pu aire cela à votre avis ? »

Il attendit, relativement intéressé. Mais attendre ne signifiait pas ne rien faire, aussi continua-t-il d’amasser des branchages, et après un moment, il commença à creuser de son mieux pour récupérer de la terre et construire la base du bûcher. Sur la base surélevée, il serait plus simple de disposer les branchages uniformément et d’y installer le corps. Il s’activait près du cadavre, et rapidement, lorsqu’il parla de nouveau, il était évident qu’il respirait par la bouche pour se préserver de l’odeur immonde qui se répandait par relents. En même temps, c’était vraiment repoussant.

« Je me demande toujours pourquoi les Déesses nous ont fait ainsi. Je veux dire, pourquoi nous faire dégager une telle odeur lorsque nos matériaux mortels se décomposent ? Nos morts sont déjà viles en elles-mêmes pour la plupart, est-ce un moyen de nous apprendre davantage l’humilité ? »

Un haussement d’épaule tendit le cuir de sa tenue, puis en se redressant, il produisit un petit objet rond, fait de métal et gravé, qu’il lui envoya aux pieds. Elle semblait assez farouche et il n’avait pas envie qu’elle prenne cela comme une attaque. L’invitant à l’observer, lui-même retourna à sa tâche présente. La pièce tenait dans la paume d’une main, et sa surface semblait faite d’acier ou d’argent. Le sceau gravé dessus avait été effectué par un artisan doué de ses mains, et un petit ruban était attaché dans la gravure. c’était cette simple pièce qui occupait une grande part de ses pensées depuis le moment où il l’avait trouvé sur la femme.

« J’ai trouvé ça sur elle. Le sceau vous parle ? »

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L'elfe n'avait pas prêté attention plus que ça à l'attitude de ce curieux individu jusqu'à présent, mais le détachement qu'il semblait éprouver vis-à-vis de la situation la mettait à présent assez mal à l'aise. Mais elle ne laissait rien paraître de plus que des œillades méfiantes dont elle avait le secret.

Je vis depuis pas mal de temps dans cette savane pour savoir ce qu'il y rôde en effet, j'ai l'habitude d'y traquer ses prédateurs et ses proies. Elle prenait une longue inspiration, semblant réellement pensive, mais surtout aligner autant de mots lui brûlait la gorge. C'est propre en dépit de tous les efforts fait pour briser le corps, un animal n'aurait pas fait cet effort. Elle pointait de sa main gantée les parties où la chair avait été méticuleusement retirée. Un seul prédateur se donne autant de mal pour dissimuler ses actes : l'Homme. Elle avait prononcé ce mot comme s'il avait été la pire malédiction qui soit, mais elle achevait sa phrase dans un haussement d'épaule désintéressé. Néanmoins, elle reprenait la conversation. Il y a quelques années, j'aurais dit, vampire, mais ils n'ont aucun intérêt à emporter de la viande. Bien que ce genre de boucherie soit de leur genre. Oh, elle se donnait la peine de dévoiler un racisme latent. Néanmoins, elle voulait l'assurer d'une chose. Je me moque de savoir qui l'a tuée ou ce qui a fait qu'elle a fini dans cet état. Elle avait déjà bien assez à faire avec les vivants pour se préoccuper des morts, elle mettait ainsi une distance entre elle et ce cadavre.

L'elfe était futée, peut-être trop. Ce n'était pas la première fois qu'elle mettait les pieds dans une histoire sordide. Elle ressemblait à ces prédateurs parfaitement adaptés à leur environnement, elle avait appris à combattre la chaleur, à combattre les prédateurs plus fort qu'elle et à se montrer plus maligne, à pister et à abattre, mais elle devait bien s'avouer vaincue sur ce point, ça lui paraissait être trop, pour être véritablement l'œuvre d'un animal. Alors elle en tirait les conclusions qui s'imposaient, de son point de vue, un meurtrier rôdait dans les parages, et peut-être même qu'il se trouvait juste devant elle. Elle plissait légèrement les yeux, elle savait que le physique ne signifiait pas grand chose, elle-même possédait une force dont on ne pouvait la soupçonner et dépit de son apparente finesse. Néanmoins, elle n'avait aucune intention de lui sauter dessus pour lui faire avouer quoi que ce soit.

C'est pas très prudent d'errer dans la savane, sans un minimum d'équipement. Vous pourriez mourir de soif en quelques heures à peine. Le premier ruisseau est à plusieurs heures de marche, mais j'ai toujours de l'eau sur moi. Elle fixait quelques instants le cadavre, chercher un moyen d'arranger leur amie. Je ne suis pas très douée pour réarranger quelqu'un dans cet état, mais je dois bien avoir de quoi lui rendre un peu de dignité. Elle se dirigeait de nouveau vers son cheval, décrochant de son bat une peau de smilodon assez grande pour abriter le corps, ainsi qu'une outre pleine d'eau. Lançant l'outre dans la direction de l'homme - après qu'elle se soit assuré de ne pas le surprendre. Elle s'attachait rapidement les cheveux en une queue-de-cheval plutôt haute, dévoilant à présent ses oreilles pointues. Se débarrassant de sa cape, de son écharpe - ainsi découvrant l'épaisse cicatrice qui barrait entièrement son cou, l'on pouvait deviner facilement la tranche d'un poignard ou d'une épée - et de ses gants et remontant ses manches, pour ne pas les salir dans l'entreprise. Néanmoins, son épée la gênait plus qu'autre chose, alors elle la tirait de sa ceinture et plantait la lame plusieurs fois centenaire dans le sol, une manière détournée de montrer un signe de confiance.. Ou un piège.

Elle posait ensuite la fourrure à plat, s'accroupissant à côté du cadavre pour réfléchir à quelle méthode employé. Entreprenant de placer le corps dans la fourrure, plus aisé à transporté et un peu plus digne, elle le faisait avec un dégoût légèrement dissimulé. Elle avait de très nombreuses fois plongées les mains dans des entrailles, homme, animal, qu'elle différence dans cet état ? Après de longues minutes, elle rabattait la fourrure sur le corps, dans une position un peu moins légère. Puis elle tendait sa paume dans la direction de la morte, repliant lentement ses doigts, murmurant ce qui ressemblait à un adieu dans un vieux dialecte elfique, typique de l'ancienne noblesse tendis que des racines enserrait l'objet qu'elle visait, le sol était sec, toute la nature l'était ça flamberait bien, offrant ainsi une prison végétale plus que décente. Il n'y avait plus qu'à y mettre le feu. Un dernier mot ?

L'elfe se redressait ensuite rapidement, essuyant d'un revers de main la sueur qui perlait sur son front, même avec du sang - et certainement d'autres choses encore moins ragoûtantes - plus haut que ses coudes, elle ne perdait pas de son élégance, et de sa beauté sauvage, elle avait agi avec une certaine praticité, et cela suffirait bien à cette inconnue. Elle allait ensuite se rincer rapidement les mains avec une autre de ses outres aussi attachée à le harnachement de son cheval, l'odeur de sang et de la mort lui était insupportable. Ainsi, elle pouvait récupérer sa précieuse épée, bien plus un bien sentimental que matériel.

Elle attrapait le médaillon. S'installant confortablement sur un rocher, son épée à ses pieds. Ithrinn avait beau observer la pièce, elle ne pouvait tirer que des vague supposition, c'était plutôt commun et sans signe réellement distinctif. Néanmoins le symbole marquait rapidement son attention, elle l'avait déjà vu quelque part, il y a plusieurs années.. Et maintenant ça lui semblait être une évidence.

Peut-être un médaillon frappé à Caladon, de la petite bourgeoisie, pas assez tape à l'œil pour être un objet Sélénien, trop féminin pour être de Délimar. Ce ne sont que des maigres suppositions. Une jolie pièce, avec une valeur plus sentimentale que monétaire. Néanmoins je crois y reconnaître le symbole du souffle. Elle excluait d'office la provenance graarh ou elfique, elle estimait l'objet typique de l'Humanité, peut-être un objet vampire, mais dont elle n'avait pas assez de connaissance dans cette culture pour en juger. Et elle lui relançait. Tout ceci lui évoquait un règlement de compte entre malfrats. Vous devriez pouvoir en tirer un petit prix, les morts n'emportent rien dans le royaume de Mort.

Elle-même aurait tout brûler à la mort de son époux, s'il n'y avait pas eu sa fille pour proclamer l'héritage de la famille, et elle-même n'avait aucune utilité à toutes ces richesses dans la savane. Ithrinn n'était pas matérialiste, les objets n'avaient que peu de valeur à ses yeux, hormis cette épée qu'elle avait depuis que son propre père lui avait légué, le symbole même de sa famille.

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Propre ? L'adjectif le laissa un instant perplexe, détournant son attention de ce qu'il était entrain de faire. La suite cependant replaça efficacement l'affirmation dans son contexte et il pencha légèrement la tête, dans une mimique exsudant un mélange d'attention polie et de curiosité. Tout à l'intérêt qu'il lui portait, le pirate manqua faire remarquer que l'état du corps ne résultait nullement d'une tentative de maquiller cela en agression animale, que cela servait un tout autre but. Il se mordit la langue au tout dernier moment, et se contenta de hocher la tête pour ponctuer ses explications. Toutes proportions gardées, ses remarques étaient très pertinentes et il garderait tout cela à l'esprit pour les mettre en pratique à l'occasion… Peut-être pourrait-il également honorer cet enseignement en lui en faisant profiter le moment venu ? Elle serait sans doute exquise ainsi révérée. Il pourrait montrer de première main le résultat de conseils savamment prodigués, de ce qu'une expérience partagée pouvait créer. Pointant les os blanchit qui apparaissaient dans la sanglante masse carmine et brunâtre, il se détourna un instant pour approcher, comme un élève assidu devant un professeur respecté. S'abaissant un instant, avec un mélange de révérence pour la morte et de détachement intellectuel, il demanda :

« Comment voyez-vous que c'est trop propre ? Est-ce à cause des os ? Je vois qu'ils sont intacts lorsqu'ils n'ont pas été sectionnés. Pas d'écorchures ou de rayures ? La chair semble bien entamée, il y a de sacrés lambeaux, quand elle n'est pas réduite en purée. Le sang n'est pas assez répandu peut-être ? J'avoue n'avoir pas remarqué »

Il parlait doctement, commentant ce qu'il pouvait percevoir dans un effort de critique pour correspondre aux remarques faites par l'elfe. Se détachant de la chose, il envisageait une autre hypothèse scolaire au sujet de l'état du cadavre, une hypothèse somme toute légitime en un sens. Si le travail était si propre à ses yeux, était-ce qu'elle était trop habituée et professionnelle, ou bien était-ce autre chose ? Quelle raison pouvait se cacher derrière ce choix et cette attitude ? Tournant un regard étranger sur sa propre personne, il observait objectivement la bifurcation que prenait sa pensée avec une forme d'amusement grinçante, peinte de l'ironie d'un tel retournement.

« Sans se demander, dans l'hypothèse où l'auteur de cet acte serait un humain, pourquoi il l'a tué, je trouve tout de même curieux de savoir pourquoi quelqu'un ferait le choix d'une telle précision dans un environnement aussi peu accueillant que celui-ci. Prendre le temps de nettoyer et d'inciser correctement demande de la concentration, et de l'énergie. Par cette chaleur, cela ne semble pas un parti aussi acceptable que celui de saccager les restes… »

Se redressant souplement, sans jamais perdre son équilibre, le jeune pirate retourna à sa tâche initiale comme si de rien n'était. Ou plutôt, comme s'il était parfaitement capable de l'écouter et de poursuivre en même temps, ce qui n'était pas loin de la vérité, et il espérait qu'elle ne s'en vexe pas. Son attrait était réel, il était simplement habitué à pouvoir se montrer efficient dans ses devoirs, quitte à en combiner plusieurs. Il n'était pas rare qu'il agisse ainsi sur le navire de son géniteur, mais cette habitude remontait à… et bien, à la guilde. Tout semblait l'y ramener, depuis peu, semblait-il. Goûtant en silence à la constatation dans toute son ironie, Teotl accepta la remontrance sans guère de mauvaise volonté.

« Très certainement, ce n'était pas très futé de ma part. Je l'avoue, j'ai sous estimé les lieux… Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été prévenu par les résidents du Domaine Baptistral »

Sa fille avait marqué une certaine appréhension à le voir ainsi vagabonder et jouer les aventuriers, mais elle le connaissait assez bien pour savoir qu'il ne se laisserait pas décourager sans avoir pu vérifier de lui-même, pas pour cela en tout cas. Se renseigner sur la localisation des rivières aurait néanmoins eut une réelle utilité. Il accepta l'eau offerte par la nouvelle venue sans faire montre de fierté mal placée cette fois : au moins était-il bon perdant. Il l'observa s'apprêter sans un mot, et derrière le bandeau aveugle, son attention resta fixé un instant sur la lame plantée dans le sol avant qu'il ne revienne à elle. Se fiant à son expertise, il acheva de son côté ce qu'il était entrain de faire, il s'installa finalement sur une pierre le temps qu'elle termine.

« Bonne réincarnation ? »

Cela semblait le plus juste, en fin de compte. Il ne la connaissait pas particulièrement, et même si ça avait été le cas ? Elle ne pouvait plus rien entendre, désormais. Tout au plus serait-ce symbolique. Il s'occupa de la flambée de son mieux, pendant qu'elle examinait le médaillon. La chaleur du bûcher s'ajoutait à celle de la savane de façon fort désagréable pour lui, mais il avait mieux à faire que de se plaindre. L'analyse qu'elle fit du médaillon lui fit marquer un léger sourire, et il récupéra l'objet, l'empochant sans trembler. Elle connaissait donc le Souffle. C'était rare pour une elfe. Mais cette créature face à lui semblait n'avoir jamais été informée des normes elfiques : protection de la nature, délicatesse, et tout le tremblement. Cela dit, cela signifiait aussi qu'elle avait eut affaire à l'humanité plus tôt que ses congénères.

« Je ne suis pas certain qu'il soit de bon ton de faire circuler une pièce portant l'emblème du Souffle. De plus, cette guilde a été détruite lors des invasions Almaréennes. En voir encore ainsi portées… c'est étrange »

Personne n'ignorait que la guilde avait été éradiquée par les Almaréens lors de leur entrée dans Gloria. En revanche, personne ne savait comment exactement ils avaient pu avoir accès aux informations sur le groupe de tueurs, ou trouver un accès à leur royaume sous la capitale humaine. Le hasard ? Une belle plaisanterie. Un traître, peut-être ? Oui, peut-être un traître. Dans ce cas, les survivants semblaient décider à lui mettre cela sur le dos. Plaisant, flatteur, mais pas nécessaire le moins du monde. De nouveau, le pirate se perdit en réflexions. Elle semblait totalement désintéressée, mais n'était-ce pas un piège ? L'évidence de son abandon de l'épée lui avait donné la même sensation, après tout. De nouveau, il pencha légèrement la tête, pour l'observer davantage. Puis, sur un léger geste involontaire du chef, il poursuivit.

« Je suis surpris que vous connaissiez l'existence de cette guilde, cependant. Avez-vous déjà eut affaire à elle ? Si cette personne était un assassin, elle en avait peut-être après vous ? »

Certes, les elfes étaient tous gracieux, beaux et on en passait des meilleurs mais il savait encore humer le parfum de la noblesse au-delà de telles considérations. C'était plausible en un sens. Outre cela, cependant, il y avait aussi la préoccupation de savoir réellement pourquoi le sceau réapparaissait à présent, sans prévenir. Qu'est-ce que ça voulait dire exactement ? Qu'il restait d'autres survivants certes, et après ? Il ne s'agissait pas pour lui de savoir uniquement ce qui lui valait la tentative de meurtre, mais bien de comprendre d'où cela provenait et dans quelles circonstances. Devait-il prévenir sa fille ? Les protections du Domaine étaient puissantes mais au cours de ses voyages… ?

« Qu'en dites-vous ? »

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Il était vrai que pour elle, cela sonnait comme une évidence, une boucherie pareille, qui lui semblait presque avoir été faite pour dissimuler quelque chose, une tare pire que le meurtre. Mais elle n'arrivait pas à savoir quoi exactement. Elle finirait bien par l'apprendre tôt ou tard, elle restait soigneusement sur ses gardes et à distance respectable, s'il y avait bien une chose qui lui avait appris sa vie d'ermite : la méfiance extrême. Elle avait échappé ainsi aux théocrates et aux almaréens, et elle était prête à recommencer pour chaque menace.

Un animal ne saurait ôter de la chair de manière aussi nette, ça a été fait avec un objet tranchant, ce qui ne correspond à aucun des animaux vivant ici. De plus, un animal laisserait une proie en consommant qu'une si petite partie, les prédateurs d'ici ont plus d'appétit que ça. Elle les avait souvent vu faire après tout puis elle ajoutait. Et puis un animal ne ferait pas autant de gâchis.

Néanmoins, les questions sur le Souffle lui firent hérisser les cheveux sur la nuque, pendant qu'elle achevait de se nettoyer, l'odeur du sang lui donnait la nausée et ravivait des souvenirs qu'elle préférait oublier. Un goût amer à l'évocation de ce nom, qui était lié à d'autres souvenirs, tout aussi peu agréable. Je parierais sur quelqu'un qui avait peur d'être surpris, par adrénaline ou peut-être par simple sadisme. Elle ressentait le besoin pressant de mettre une distance entre elle et le monstre qui avait ça, comme s'il était plus agréable de se dire que les atrocités de ce monde étaient pratiquées par des choses qui n'avaient pas un visage Humain, mais forcément par un dégénéré.

Bonne réincarnation, c'était une bonne idée, il n'y avait jamais grand chose à dire pour quelqu'un que l'on ne connaissait pas, et puis elle préférait laisser cela derrière elle, elle murmurait quelque chose en elfique pour elle-même et retournait à des pensées plus lugubres.

C'est la rareté qui créer l'intérêt. Les gens qui ont les moyens achètent n'importe quoi tant que c'est rare.. Des artefacts, des pièces d'arts.. Et peut-être même des vies humaines. Elle ne cachait pas le moins du monde sa profonde aversion pour ce genre de pratique.

Elle lâchait un éclat de rire en l'entendant mentionner la disparition du Souffle, elle n'y croyait pas une seule seconde, il aurait fallu bien plus que des barbares venus d'une terre étrangère pour en finir avec le Souffle. C'était beaucoup trop simple, elle finissait par dire d'un ton encore rieur à cause de son rire. Je n'y crois pas une seule seconde. Il était facile de deviner quand une chose plaisait ou non à l'elfe, elle débordait d'expressions diverses et variées pour montrer ses émotions, cela avait toujours été un de ses défauts, elle était incapable de faire semblant. Quant au reste, elle restait silencieuse un long moment, affichant un air parfaitement amer, elle, elle n'était rien et elle n'était une menace pour personne. Elle se contentait de répondre d'un ton finalement assez peu concerné. Moi ? Je ne suis personne. Et puis au final qui savait qu'elle se trouvait ici ? Néanmoins, ce changement de ton dans la conversation ne lui plaisait pas vraiment, alors elle optait pour un pieu mensonge. Et puis si c'était le cas, un bien piètre assassin pour mourir avant même d'atteindre sa cible. Si c'était réellement le cas - ce dont elle doutait fortement - c'était un échec sur toute la ligne, mais elle n'y croyait pas. Son regard se faisait à présent plus aiguisé lorsqu'il se portait sur le curieux être, tout en lui, lui évoquait un serpent, ses tics et ses mimiques, il sortait de son cadre de normalité et cela l'irritait.

Et en effet elle était une noble, les vampires avaient achevés l'ancestrale famille, balayée en une nuit, elle en gardait une haine profonde pour le peuple de la nuit et encore plus à présent pour son peuple. Et encore plus quand elle pensait à l'avenir de sa fille, condamnée à vivre comme une orpheline à présent.

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La déchirure était donc trop nette, fort bien, cela pouvait s’arranger, en utilisant ses griffes par exemple. Il lui faudrait simplement appliquer ce traitement après avoir prélevé les morceaux qu’il désirait garder, pour ne pas gâcher la viande de choix et plus encore l’essence qui y était liée. Ce n’était cependant pas si difficile, bien qu’il regretta de s’être laissé emporté par la colère, maintenant qu’une tierce personne lui faisait remarqué combien son travail avait été biaisé. S’il ne s’était pas laissé aller, très stupidement, sans doute aurait-il pu se douter tout seul de ce qu’on lui annonçait ainsi mais… il savait prendre les critiques. Ce n’était pas un problème, et de toute évidence, sa présente compagnie ne semblait pas décidée à lui faire part du moindre doute à son sujet, si seulement elle en avait. A moins que la mention d’un quelconque gâchis soit un piège pour qu’il se trahisse ? Si c’était le cas, ça ne marcherait pas. Ou en tout cas, ça ne marcherait plus. Il s’était reprit à présent, et sa colère était de nouveau sous contrôle. Il ne restait que la docte curiosité et une certaine dose de lassitude en raison tant de la chaleur que de ce qui se profilait pour lui sur les prochaines semaines. Parce que bien entendu, il ne pouvait pas simplement faire comme s’il n’avait rien vu et rien fait… on venait d’essayer de le tuer, il devait creuser la question, et sans doute pas uniquement la question. Il devait savoir ce qui se tramait, en fin de compte.

« Peut-être »

Pas un instant il ne vint la contredire. La voir essayer de rationaliser et de se détacher était fascinant. Il doutait de pouvoir contempler ses pensées s'il ouvrait cette tête couronnée de sublimes cheveux sombres, mais l'idée était néanmoins plaisante à imaginer, tout comme il était amusant de la voir voguer sur de fausses assomptions. Mais il ne la détrompa pas. L'intérêt de la voir réagir avec sincérité était trop grand pour qu'il brisa tout cela. Si elle parvenait aux bonnes conclusions par elle-même avant le moment convenu, alors tant pis mais il ne hâterait rien. Pour autant, elle avait raison en ce qui concernait les achats douteux de certains fortunés, mais enfin les idiots étaient un fléau de ce monde et ils n'étaient pas restreints aux nantis bien que, parfois, il fut possible de comparer exponentiellement la taille de la bourse et de la bêtise d'un individu. L'or n'achetait pas tout hélas, la bonne éducation sans doute, l'intelligence beaucoup moins. C'était là l'emprise de la sélection naturelle sur un monde en évolution.

« Humaines, elfes, graarhs, elles ne sont pas rares à l'heure présente sur le marché de l'Archipel »

Il parlait avec détachement, sans implication, sans jugement certes mais sans peine également, énonçant des faits brutaux comme il s'était mit en tête de construire le bûcher funéraire de sa propre victime plutôt que de la laisser pourrir là pour le bonheur des charognards.

« Sur les places marchandes d'Athgalan et de Caladon, à Délimar, même à Sélénia, les esclaves sont monnayés. Ils n'ont aucune rareté en fin de compte. Mais ils se vendent bien quand même, comme les fleurs »

Un haussement d'épaule vint conclure l'énonciation. Il n'en avait pas grand-chose à faire après tout. Et puis c'était un commerce comme un autre, il ne voyait pas vraiment pourquoi certains en concevaient un tel outrage. N'aimait-on pas acquérir un cheval, ou en moins noble une vache, une chèvre ? En quoi était-ce différent ? Ils saignaient pareil après tout, même le goût se rapprochait. La fragrance de porc grillé lui restait, de la première fois où il avait cuit la chair d'un homme pour la rendre moins flasque en bouche, moins filandreuse à déchirer. Leurs usages étaient les mêmes également. On pouvait les consommer, on pouvait les mettre à l'ouvrage, on pouvait s'accoupler avec si l'envie était là. Ceux qui dénonçaient tout cela avaient peur d'en être victime avant tout, s'ils ne refusaient pas simplement par le rigoureux conditionnement que leur société imposait. L'essence était plus riche chez les êtres doués de raison, en revanche, plus prégnante et fluide, là où celle des bêtes était plus stagnantes. Peut-être que, devant l'évidence de la sauvagerie du monde dont ils avaient été victimes, certains avaient cessés de se cacher derrière des principes creux.

Ou peut-être était-ce simplement un détachement, comme celui que son interlocutrice semblait utiliser.

« C'est votre nom, Personne ? Vous déniez votre substance ? »

Un piètre assassin, si on voulait. En tout cas pas celui que la situation pourrait nécessiter. A moins que ce ne fut un test autant qu'un écrémage. On jaugeait de ses présentes capacités et on se débarrassait, dans le pire des cas, d'un poids gênant. Cela tenait tout autant la route.

« Sans doute. Il ne pourra plus rattraper ce manquement en tout cas. Mais peut-être n'était-il pas seul »

Secouant légèrement la tête, il bougea un peu, pour détendre ses muscles, et fit quelques pas en reportant son attention sur le bûcher. Il n'avait pas très envie de courir simplement après de potentiels adversaires l'attendant un peu partout. En revanche, il pouvait toujours trouver une combine pour les appâter et les forcer à se rassembler, ou au moins à venir au compte goutte… un appât par exemple. S'il parvenait à leur faire croire que cette femme avait prit la vie de leur sœur d'arme, et que ces survivants étaient réellement assez déviants pour agir au-delà du cercle de règles établies, alors il aurait potentiellement un petit avantage contre eux en plus de s’octroyer un compagnon d'infortune qui serait bien forcé de l'aider à faire le ménage pour sauver sa vie. Est-ce que cela marcherait forcément ? Il n'en savait rien mais il pouvait toujours essayer. Elle semblait sur ses gardes cependant, il allait avoir besoin d'une ouverture dans sa garde pour la piquer et la faire dormir le temps qu'il faudrait…

« Accepteriez-vous de me remettre sur la bonne route pour rentrer au Domaine ? Nous n'avons plus rien à faire ici désormais… et je suppose que vous voulez retourner à vos occupations »

Si elle acceptait, il aurait exactement ce qu'il attendait. Son dard n'avait besoin que d'un instant, et elle serait par la suite sans défense. Assommée proprement puis gardée inoffensive, il maquillerait la scène pour débuter leur petite histoire, puis il la ferait transporter jusqu'à Athgalan, où la suite aurait lieu. Il reviendrait probablement vers elle après s'être assuré qu'elle était effectivement menacée et lui expliquerait le fond de la question… mais ça évidemment, ce serait uniquement si elle acceptait. Une pointe d'amusement enfantin pétilla en lui alors qu'il s'imaginait son expression à reprenant conscience au sein de la Perfide, avec la médaille du Souffle et un contentieux qui, en fin de compte, ne la concernait pas le moins du monde. Mais évidement, cela n'aurait lieu que si elle acceptait. Quoi qu'il pouvait toujours trouver une alternative pour l'approcher suffisamment. Et il préférait autant user d'elle ainsi plutôt que de devoir la consommer. Cette viande là, il en était presque certain, n'aurait pas la bonne richesse pour ses projets.

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En réalité, l'elfe était à des lieux de se rendre compte qu'elle était en train de donner de très bons conseils pour.. Masquer un meurtre, elle n'avait pas voulu se poser d'avantage de questions sur les intentions de ce curieux étranger, et elle allait certainement s'en mordre les doigts plus tard. Quant au reste elle préférait taire son avis sur l'esclavagisme.

Ithrinn Awarlith. Il y avait assez peu de chance qu'il puisse connaître son nom, même s'il évoquait la noblesse, il évoquait des cendres rien de plus pour quelqu'un qui connaissait un minimum l'elfique, et puis il n'y avait pas grand monde pour le porter à présent, tout juste deux personne et quelques membres éloignés.

Elle relevait les yeux devant la mention de plusieurs assassins, oh, cela allait bien compliquer sa journée, qui avait déjà été des plus surprenantes, elle regarde presque dubitativement le curieux homme masque avant de finalement répondre. Il serait fâcheux que ça soit le cas. Mais ce genre d'individus serait toujours bien accueilli, du moins s'ils étaient véritables une menace, elle haissait faire couler le sang inutilement et toute sa vie elle avait éviter de le faire autant que possible.

Sans problème. C'est à l'Est, une journée de marche en se pressant un peu. Elle finissait de remballer ses affaires dans le paquetage de sa monture, avant de prendre la tête, elle ne pouvait tout simplement pas se contenter de lui indiquer une vague direction et de le laisser là, vu la situation délicate dans laquelle elle l'avait trouvé elle aurait bien trop peur qu'à son retour, elle doive s'occuper d'un autre corps. Elle taisait le fait d'y vivre de temps à autre. Je dis y retourner pour vendre mes fourrures.

Néanmoins, elle ne baissait pas sa garde pour autant, la longe de l'étalon dans sa main droite, son épée dans la gauche, cette dernière traçant un sinistre sillage était une menace claire, à la moindre menace cette dernière s'abattrait sans considération, les meilleurs avertissements n'avaient pas besoin d'être dit. Elle finissait par dire pour couper le silence, puisque quitte à être accompagnée, autant briser le silence.

Vous devriez éviter d'errer dans la savane seul. Surtout, si ce genre d'individus y traîne. De toute évidence, il n'était pas préparé à une telle expédition, ou alors il cachait bien son jeu. À cette pensée le visage de l'elfe devenait un peu plus sinistre, elle se sentait mal à l'aise sans vraiment savoir pourquoi. Après tout, elle n'avait jamais été très sociable, mais elle espérait que l'humble mise en garde fasse son œuvre.

Il n'avait pas l'air spécialement méchant, mais elle pensait entendre un serpent à sonnette à cette évocation. Néanmoins, elle ne le croyait pas capable d'attaquer quelqu'un par traîtrise, il était certes étrange, mais de son avis incapable d'utiliser de tels moyens. Mais elle ne baissait jamais sa garde, tout comme elle ne se séparait jamais bien longtemps de son épée.

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Il hocha la tête, avant de la tourner dans la direction qu'elle venait de lui indiquer, sensiblement penchée dans cette mimique pleine de curiosité attentive qu'il affectionnait. Une journée de marche… il s'était donc tant éloigné, et sans s'en rendre compte ? Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé tant de temps sur terre, à force de ne pas s'exercer à se repérer, il avait dû rouiller. Ou alors, et c'était également probable, la savane était plus traîtresse qu'elle n'y paraissait. Ce n'était pas un environnement familier, mais il allait devoir apprendre à s'y repérer. Peut-être pouvait-il tirer d'elle des informations à ce sujet, puisque jusque là elle n'avait pas rechigné à lui transmettre son savoir, et lui n'était pas assez aveuglé par son orgueil, sans jeux de mots, pour cracher sur la maîtrise d'autrui. Si le Souffle lui avait bien apprit une chose, c'était à juger les autres justement et tirer partie d'eux pour devenir plus fort. Il y avait toujours matière pour s'améliorer après tout. En y pensant, sa fille tenait certainement plus de lui qu'il n'avait bien voulu l'admettre puisqu'elle s'était faite acceptée au cœur de la sagesse de l'ancien monde… Il faudrait qu'il en discute avec elle, à l'occasion, peut-être pouvait-il lui aussi en bénéficier. Pensif, il fit quelques pas en arrière pour laisser le temps à l'elfe de s'occuper de ses affaires, et ramassa les siennes.

« Bien. Je n'ai pas de problèmes à me presser »

Avec une hydratation même sommaire, il était capable de marcher efficacement, même si sa préférence allait aux embarcations de tous types. Repassant la lanière de cuir de son sac autours de son torse, le pirate lorgna l'épée et eut un léger sourire, éphémère, mais plein d'un amusement sincère. Avec une apparente docilité, il croisa les mains dans le dos, au-dessus des pans de son manteau couleur de sable, et la suivit, calquant son pas sur le sien avec une relative aisance. Le conseil lui fit relever légèrement la tête et il en opina paisiblement, et même avec une certaine bonne humeur.

« Effectivement, j'ai été idiot de prendre ça comme une banale promenade et sans me poser de questions… ça me servira de leçon »

Oh que oui, ça lui servirait de leçon. La prochaine fois, il s'assurerait d'avoir réussi à éliminer sa cible totalement plutôt que de partir du principe que ce serait le cas. De toute évidence, même la fabuleuse machine de guerre Almaréenne n'avait pas été suffisante pour le Souffle. Et oui, il prendrait une carte en plus de l'outre d'eau la prochaine fois, ou alors une gourde inépuisable. S'il avait fait les choses correctement dans tous les cas, sa présente situation serait bien moins périlleuse. Mais tout n'était pas perdu, maintenant qu'il avait une ébauche de plan, il ne restait qu'à capitaliser dessus.

Le silence retomba pendant un long moment et il ne chercha pas à le meubler ou à le chasser, parfaitement à l'aise dans cette ambiance qui lui permettait de conserver son souffle comme de continuer à préparer la suite. Au bout de plusieurs heures, néanmoins, Teotl décida de briser le calme de leur avancée en lui posant quelques questions sur la façon dont elle naviguait au sein de cet environnement hostile, si elle avait des points de repère, une carte, des indications spécifiques à suivre… Le sujet l'intéressait réellement, même s'il n'avait pas l'intention de revenir ici en séjour de plaisance, toute information utile à sa survie en général lui importait. Et puis, cela lui permettait de pouvoir trouver un moment pour frapper.

Elle avait une bonne vigilance, qu'il décida d'identifier, à la nuit tombée, comme un reste d'entraînement militaire. Avait-elle été rôdeuse autrefois ? Peut-être. Il fut de bonne compagnie, mais ne chercha pas à la pousser dans ses retranchements, et lui laissa même la garde, pour ne pas éveiller de suspicions face à ce regard farouche de bête traquée, mais également parce que cela lui permettait de ne pas être tout à fait aussi vigilant qu'il aurait dû. Outre cela, il s'habituait à elle. Aux allées et venues de son souffle, à la sensation de ses bottes sur le sable de la savane, à sa gestuelle également, la façon dont elle bougeait et dont elle dosait ses mouvements. Il leur restait une demi-journée de marche après cela, il ne désirait pas se presser.

La nuit, la température chutait drastiquement, et il s'enroulait dans son manteau, près du feu, sans un mot, sans une plainte, laissant le crépitement des branchages secs servir de conversation. La reprise de la marche fut accueillie avec un certaine satisfaction, et Teotl en profita pour s'étirer et détendre sa musculature crispée après la nuit passée dans le sable et les herbes rases. Ce ne fut qu'en vu du domaine qu'il décida de passer à l'action, ne pouvant pas attendre davantage, et suffisamment confiant dans son effet de surprise pour ne pas craindre la lame dont on l'avait menacé. Ce fut d'abord un ondoiement du sable sous ses bottes pour influer son équilibre, puis devant son regard pour brouiller sa vue, et finalement, la pointe de son dard perçant la chair, le venin se répandant rapidement grâce au coeur battant de sa victime.

Une impulsion des muscles et il reculait, infligeant le même sort à la monture avant que celle-ci ne décide de le piétiner à mort. La poignée d'instants suivants furent le témoin de sa tension, le venin paralysant n'était pas instantané et elle était forte. Mais il la retint suffisamment pour la sentir se raidir et cesser de lui résister. La laissant glisser au sol, il vint se tenir dans son champ de vision un bref moment et se pencha au-dessus d'elle, venant s'excuser de ne pas l'avoir plus rapidement immobilisée pour lui éviter un inconfort inutile. Un genou au sol près d'elle, il eut un léger sourire en ajoutant, sur le ton de la conversation :

« Il ne faut pas que je traîne davantage. Nous avons beaucoup à faire vous et moi… 

Son poing s'abattit sur sa tempe l'instant suivant, l'expédiant dans l'obscurité. Lorsqu'elle s'éveilla par la suite, elle occupait, ligotée, la cale d'un navire pirate. La mer grondait et soupirait à travers la cloison de bois, et la lueur ambrée d'une sel gemme glyphée donnait à l'espace restreint une aura traîtreusement chaleureuse et paisible, dessinant les ombres sur les parois comme des songes éphémères. L'odeur de l'iode était prégnante, dans l'air, de même que celle, astringente et entêtante des herbes ramenées du Domaine. Le bois grinçait par instant et plus encore sous les pas du pirate lorsqu'il descendit s'assurer qu'elle avait enfin reprit conscience. Un instant, il resta au pied des marches, l'observant dans la pénombre ambrée, et sembla hésiter à approcher. Il oscilla là, une poignée de battements de coeur durant, avant de se décider, approchant à pas feutrés, comptés, et s'agenouillant devant sa prisonnière.

« Je ne m'étais pas vraiment présenté, je crois ? » Sa voix comme l'intonation et le choix des mots résonnait d'un petit quelque chose d'enfantin bien que son corps agile gardât une complète fixité, parfaitement en équilibre dans sa posture, ressemblant davantage à un serpent prêt à détendre vers sa proie plutôt que comme un suppliant prostré.

« Je suis Nicté. Je vous emmène à Athgalan Ithrinn. Vous allez m'aider à résoudre un gros problème »

Il eut un léger sourire carnassier, et se releva souplement sur ces paroles sinistres. Oui, elle allait grandement l'aider. Elle ne saurait jamais à quel point elle allait l'aider…

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