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descriptionUn roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan EmptyUn roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan

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Pas de pompe, pas de grands étalages ni de cérémoniale figuration… en vérité, pas même un réel comité d'accueil. Elle était seule, haute figure portant l'armure de la citadelle Délimarienne, cheveux sombres ondoyant dans la brise marine, yeux pâles fixés sur le navire qui approchait, effectuant sa manœuvre de mise à quai. Aucun garde ne l'accompagnait, aucune suite, pas de messagers, encore moins de dames de compagnies, et pourtant elle ne paraissait nullement solitaire, nullement isolée ou menacée. Ses traits graves et durs ne cachaient pas le souci qui l'habitait, et elle ne se fendit d'aucun sourire mielleux ou hypocrite lorsque le souverain Sélénien posa le pied dans l'enceinte de la ville, pendant que les marins s'occupaient du navire de son grand-père. Alors que le jeune homme était guidé vers elle, Tryghild laissa ses mires se perdre dans les voilures de La Glacern, éprouvant un puissant sentiment de soulagement à savoir son aïeul encore en vie et ici, auprès d'elle. L'instant perdura sans qu'elle n'y mette fin trop brusquement, et pourtant, elle revint bien vite au très délicat colis que Nyko lui avait ramené et dont elle n'était toujours pas certaine de savoir quoi faire exactement. Elle n'avait pas la moindre idée de la façon dont elle devait aborder la raison pour laquelle ils se regardaient tous deux en chien de faïence en cet instant, elle ne savait pas quoi dire, comment le dire, comment faire passer un message clair et arriver à son but… Il était jeune, tellement jeune, trop jeune même, cela rendait les choses tellement difficiles… mais de toute façon il n'y avait pas le choix, il fallait boire son verre en entier une fois servit, faire dans la demi-mesure ne lui ressemblait pas. Elle se devait d'agir, pour sa patrie. Toujours pour sa patrie.

« Bonjour .» fit-elle sèchement.

Et elle lui tendit brusquement une dextre, amorçant une poignée de main virile et bourrue. Ce n'était absolument pas ce qu'elle avait eut l'intention de faire, et la raideur de ses épaules montrait assez qu'il s'agissait d'un automatisme difficilement contenu. Dans sa tête, cela avait sonné autrement, elle était plus prolixe, moins brutale et concise. Dans sa tête, il y avait une salutation plus complète, avec un titre, et éventuellement s'enquérir de comment le voyage s'était passé, mais devant ses inquiétudes, tout cela était passé à la trappe et elle avait foncé dans ses habitudes, sans faire cas du reste. Tant pis. Son regard franc accrocha le sien, le gardant et le jaugeant un instant sans se cacher, prenant la mesure. L'Intendante dépassait le souverain largement, mais elle escomptait qu'il ne se ferait pas plus petit encore face à elle. Ilhan désespérerait certainement et cela l'ennuyait de ne pas faire honneur à ses enseignements, mais elle espérait le faire d'autres manières en tout cas. Par l'essence du dialogue à ouvrir et si les Déesses le voulaient, par un accord entre eux… et il faudrait au moins les Déesses pour qu'elle réussisse un jour à se comporter comme une politicarde. Serrant les dents, elle nota sans mal qu'il allait bien et n'était ni malade ni blessé, aussi décida-t-elle de se passer de questions creuses et courtoises. Si elle était courtoise, elle, c'était en ne leur faisant pas perdre leur temps. Après un instant, elle recula donc légèrement et se détourna de moitié pour indiquer l'intérieur de la ville. Celle-ci était encore grouillante d'activité et malgré l'importance de la venue du souverain rival, les habitants ne semblaient pas plus perturbés que cela, remplissant leurs devoirs avec abnégation et efficacité.

« Venez .»

Intérieurement, elle remercia Aldaron de lui avoir servit d'exercice pour calquer son pas à celui d'un autre, aussi réussit-elle à ne pas le perdre ou leur faire jouer les instruments de musique saugrenus. Ce fut à pied qu'ils marchèrent dans les rues de la ville en direction de la citadelle principale, car elle n'avait pas voulut de montures. La marche en elle-même était autant un test pour circonvenir sa personnalité qu'un moyen de la garder elle en mouvement pendant qu'ils discutaient afin de ne pas lui donner le mal de mer. Elle avait tant de mal à rester en place qu'en l'instant, avec toute l'importance du moment et de ses décisions, devoir attendre sans bouger serait un supplice bien trop atroce. Parfois, elle saluait un homme ou une femme sur leur chemin, d'un simple signe de tête, sans rien dire. Il fallut au moins une bonne quinzaine de minutes avant qu'elle ne se décide à rompre de nouveau le silence qui s'était établit entre eux, tendu, au moins à ses yeux à elle. Sa voix n'avait aucune douceur particulière, et lorsqu'elle parla, elle eut, au fond d'elle-même, l'impression que son cœur allait quitter sa poitrine pour s'en aller, sautillant, sur les pavés. Elle ne devait pas faire d'erreurs, elle devait être au mieux d'elle même, de cette rencontre dépendrait peut-être la paix et la sécurité des siens… surtout la sécurité. Elle avait d'innombrables attentes sur les épaules et n'avait pas le droit de reculer ou d'hésiter, pas le droit à une seconde chance. Bien sûr que la pression était là, c'était tout naturel, le contraire l'aurait couvert de honte car cela l'aurait désignée comme frivole et inconséquente. Elle ne l'était pas ! Elle était la digne fille de son père, elle avait été choisie comme Intendante pour une raison. Une bonne espérait-elle.

« J'ai eu les rapports de mes hommes sur l'état de Cordont. Je sais la ruine et la menace qui pourrait se trouver là, sous nos pieds. Je sais ce que les autres dirigeants de l'Alliance pensent de tout cela. Et vous, Empereur ? Qu'en pensez-vous ? Vous avez vu le golem désactivé, sur place, vous avez vu les décombres… qu'est-ce que ça vous a inspiré ? Qu'est-ce que ça vous a fait ? .

Elle laissa un instant passer, avant d'ajouter, avec un calme étrange, et davantage de contrôle, sa dynamique fixée par la marche et elle ne pu que se féliciter davantage d'avoir choisit cette option plutôt qu'une autre.

« Je ne sais pas ce qu'on vous a dit de moi. Je préfère l'affirmer dès à présent, je ne suis pas une policitienne, je ne manie pas les mots comme des armes. Lorsque je parle, c'est pour des échéances concrètes. Je n'ai pas l'intention de nous faire perdre du temps à tous les deux. J'espère que cela vous convient… .»


Dernière édition par Tryghild Svenn le Ven 28 Sep 2018 - 21:43, édité 1 fois

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A travers les brumes marines, le souverain Sélénien discernait les contours de Délimare l’Océanique se profiler à l’horizon. Accoudé au bastingage de la Glacern, son regard rêveur contemplait les terres Délimariennes pendant que le vent salin chargé de senteurs iodées fouettait son visage et ébouriffait les mèches flavescentes de sa chevelure. Cette ville, abritée derrières ses hautes murailles réputées imprenables, était le fief d’un peuple fier et austère, composé de Glacernois, d’Almaréens et de Lyssiens. C’est en ce lieu que se trouvaient les plus virulents opposants à sa lignée, accusée de la déchéance du peuple humain et d’incarner désormais un symbole de décadence contrastant avec sa grandeur passée.

Nolan ignorait l’accueil qui lui serait réservé à son arrivée  et même s’il savait ne pas devoir s’attendre à des cris de liesses, celui-ci espérait ne pas être conspué. Cependant pour l’instant, ce dernier n’avait guère à se plaindre du traitement des Délimariens. Tryghild avait même pris le soin de le faire escorter par son général Sigvald Elusis et par Nyko Svenn, son propre grand père, à bord de la Glacern, un splendide navire qui représentait un chef-d’œuvre du savoir-faire de ce peuple de guerriers, aussi redoutables sur terre que sur les mers.

L’intendante l’avait fait entouré de tant de soins et de sécurité durant son voyage qu’il devinait sans peine qu’elle désirait que rien de fâcheux n’arrive au dernier héritier de la lignée Kohan. Elle qui pourtant avait hurlé sa colère et son ressentiment, rejetant son autorité et jugeant le règne des Kohan désuet et passéiste. Mais Nolan pressentait que derrière cette façade de glace et ce tempérament d’acier, se dissimulait l’impétuosité, la bonté ainsi le farouche désir de le protéger. Tant de princes et de Rois Glacernois avaient voué leur existence et leur loyauté à des Kohan ; hélas en ne récoltant que la traitrise en retour. Mais pouvait-on faire fi aussi facilement du passé et d’un lien aussi fort, à la vie à la mort ?

La terre se rapprochait peu à peu dévoilant les murailles nimbées de brumes de la cité et son port où se trouvaient amarrées des navires de guerre et de pêche. Après que la Glacern ait accosté et que le jeune empereur soit descendu sur le port, il aperçut la haute silhouette de Tryghild Svenn, l’intendante de la Délimare, que certains nobles Séléniens avaient surnommé la Louve des glaces en référence à ses origines Glacernoises et à la férocité qu’on lui prêtait au nord de Calastin. La jeune femme était seule, vêtue d’une armure arborant fièrement les couleurs de l’Océanique tandis que ses cheveux bruns flottaient au vent, imprégné du parfum des embruns.

Nolan observa silencieusement celle qui lui faisait face. Son physique était dépourvu de féminité si l’on se référait aux critères de beauté qui prévalait à Sélénia et ne possédait rien de la grâce des coquettes de la Cour. Toutefois, la Louve des glaces dégageait une apparence de force et de grandeur, à l’image des montagnes et des glaciers immortels de Glacern l’oubliée.Derrière le lustre d’argent de son regard de glace, se lisait le brasier passionné qui couvait en son sein telle la lave au cœur d’un volcan.

Le jeune empereur se tenait droit, le visage impassible et vêtu d’une armure, la poitrine ornée d’un tabard aux couleurs de Sélénia. A sa ceinture, logée à l’intérieur de son fourreau, pendait Ondine-Eau dormante, la légendaire épée de l’eau dont il ne se séparait jamais. Cette magnifique lame ayant appartenu autrefois à Judovik Kohan se transmettait de génération en génération et lui rappelait qu’avant de devenir des empereurs ses ancêtres étaient de redoutables forbans écumants les océans.

La voix de Tryghild claqua sèchement et le gratifia d’un simple « bonjour » sans s’encombrer de formules de politesse obséquieuses ou d’un quelconque sourire doucereux. Nul cérémonial n’entourait l’arrivée du monarque Sélénien et autour de lui régnaient la rigueur et la froideur Glacernoise.

Néanmoins, ce dernier ne se laissa pas déstabiliser par ce ton cassant et cette expression glaciale et répondit calmement:

- Bonjour.

Soudain, la fille Svenn lui tendit sa dextre et son mouvement brutal laissait présager la poigne d’acier dans laquelle elle risquait d’enserrer sa main si d’aventure il se risquait à serrer la sienne. Sans sourciller, Nolan imita son geste, d’un mouvement plus lent et moins bourru, mais déterminé à endurer la douleur sans un cri si celle-ci lui broyait les phalanges. Question de fierté, d’autant plus qu’il n’était plus un enfant ni un douillet.

Ensuite, de sa voix autoritaire, la Nordique l’invita à la suivre au travers du dédale des rues de la ville. Le jeune Kohan, constata qu’elle marchait vite en faisant de grandes enjambées et qu’il devait presser le pas afin de ne pas se laisser distancer. Fort heureusement, il était accoutumé à l’exercice physique et s’entrainait au maniement de l’épée depuis son enfance, ce qui lui avait permis de devenir maitre dans ce domaine malgré son jeune âge.
Par ailleurs, sa fougue juvénile et son tempérament actif l’empêchait de tenir longtemps en place. Gamin, il se montrait turbulent et facétieux, faisant littéralement tourner en bourrique les domestiques chargés de son éducation. Que de mal s’était donné et se donnait encore ses conseillers pour le brider et le façonner afin de lui un être sérieux et inaccessible, susceptible d’incarner cette image de majesté qu’on attendait d’un empereur Kohan.

Nolan gardait le silence, ne desserrant pas les pétales de ses lippes, attendant que cette femme pleine de rudesse prenne la parole. Il savait qu’à l’instar de Sigvald, elle ne s’embarrasserait pas d’ambages, de formules alambiquées et que ses intentions seraient limpides comme de l’eau de roche.

Eprouvait-il de l’appréhension concernant cette entrevue dont dépendait tant de choses, notamment l’avenir de Cordont et de son peuple ? Oui et non, car s’il craignait la colère et le ressentiment des Délimariens, il les savait exempts de traitrise et de fourberie. Et si Tryghild affichait l’aspect d’une dame de fer, le cœur qui battait derrière cette chape de métal était sans doute plus tendre qu’il n’y paraissait.

De son ton bourru, la dirigeante de l’Océanique s’adressa à lui et le questionna sur ce qu’il pensait de Cordont et de la menace des Golems :

- J’étais à Cordont et j’ai vu de mes propres yeux les terribles dégâts engendrés par les Golems. La ville n’est désormais plus qu’un cratère béant et il y a eu durant cette catastrophe de nombreux morts et blessés. Je pense que ces créatures dont nous ignorons l’origine pour l’instant et aussi s’il s’agit d’êtres vivants ou d’objets animés car d’après les informations dont je dispose leur cœur est composé d’un cristal de magie représente une sérieuse menace pour les trois peuples de Calastin. Leur présence sous la surface de l’ile éveille mes craintes et j’aimerais en apprendre le plus possible à leur sujet afin de mieux gérer le danger qu’ils incarnent.

En effet, à présent que le spectre du conflit armé semblait s’éloigner, l’attention du jeune empereur s’était de nouveau focalisée sur ce qu’il considérait comme la menace principale, à savoir les Golems. De but en blanc, l’intendante Svenn lui avoua son inhabileté politique et son désir de ne pas perdre un temps précieux à discourir dans le vide, ce qui arrangeait également Nolan qui n’avait guère envie de se livrer à des palabres interminables.

- Fort bien, cela me convient parfaitement. Quant à ce qu’on m’a dis de vous, j’ai entendu tellement de choses contradictoires, allant des plus dithyrambiques aux plus désobligeantes mais j’ai pour habitude de ne pas me fier aux ouï-dire et je préfère me faire mon opinion par moi-même. Alors parlons puisque nous sommes tous les deux désireux d’aller droit au but, je suppose qu’on vous a également rapporté la teneur de mes entretiens avec Aldaron Leweinra et Sigvald Elusis.

Nolan ne doutait pas un seul instant qu’Aldaron avait rapporté le contenu de leur entretien à la Glacernoise, peut-être en déformant ses propos. Et Sigvald lui avait sans doute déjà transmis ces précieuses informations par corbeau.

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Bien, si ce n’était pas pour le reste, au moins avaient-ils le même point de vue concernant la menace présente sous leurs pieds. C’était déjà un point positif. Pouvait-il être en train de lui mentir ? Oui, sans nul doute, mais il ne gagnerait que peu à le faire, alors que lui dire la vérité pouvait au contraire lui apporter beaucoup. Et il ne gagnerait que peu à ne pas se préoccuper de ces menaces encore indistinctes, car hélas, elles pourraient se révéler très graves si ce que ses experts lui rapportaient déjà. Tous trois, avec Aldaron, avaient à cœur d’en apprendre plus, et la finalité la plus distante, celle qui motivait au fond toutes ces négociations et discussions, c’était bien que tout le monde en apprenne plus sur ce qui se tramait. Ils avaient tous des peuples à défendre et à garder sauf. Elle pondérait la façon dont ils pourraient établir des mesures contre le réveil des golems lorsque le nom de deux de ses proches passa les lèvres du jeune souverain, attirant son regard vers lui, sans qu’elle ne s’arrête pour autant de marcher, ne semblant nullement perturbée ou fatiguée par le double exercice. Elle l’observa longuement, une fois de plus, jaugeant de l’abord qu’il prenait à tout cela. Au fond d’elle, la tempérance d’Aldaron résonnait, ses paroles pour lui expliquer que le Sélénien avait l’intention de faire des efforts vers eux, sa tentative de la convaincre qu’elle ne devait pas penser à la guerre comme à une solution saine à tout ceci. Oui, Aldaron avait fait plus que sa part pour lui offrir son calme actuel, tout comme Ilhan, Sigvald et Nyko. Elle remerciait chacun d’eux chaleureusement.

« J’ai bénéficié des rapports de mes hommes, et j’ai discuté avec le Bourgmestre de Caladon, en effet »

Lorsqu’il était venu à elle, l’elfe avait prit grand soin de lui relater son entrevue avec l’enfant à grand renfort de détails et de justesse, malgré ses propres affects. Il aurait pu aller plus rapidement, ou plus sommairement, mais non. Elle avait entendu ce qui avait été échangé, les idées, les difficultés, les avis de chacun, à part évidemment celui du Sélénien qui se trouvait à présent à ses côtés, foulant les rues de la ville de pureté. Lorsqu’elle reprit la parole, ce fut sans se défaire de sa mesure.

« Vous avez accepté l’annexion par Caladon du territoire de Cordont pour une durée d’un an en présence du Bourgmestre Leweïnra. Cette mesure va être modifiée suite à nos discussions internes. Le territoire Cordonnais sera sous protection et tutelle de l’Alliance et non de Caladon. Il sera préservé conjointement par toutes les cités-libres qui désirent s’investirent dans sa restauration. Vous serez tenu informé avec régularité de l’avancée des travaux et nous vous invitons à apporter des vivres et des matériaux destinés à pourvoir à la reconstruction, comme nous le feront »

Prenant une pause, elle bifurqua sur une seconde avenue traversant le quartier des citoyens. Là encore, sur son passage, on la saluait. Les hommes tombaient néanmoins silencieux en observant le souverain étranger à ses côtés. Il n’y avait nulle parole d’antipathie ni de gestes violents, pourtant, on sentait que leur duo était jaugé tandis qu’il avançait. Les citoyens avaient été informés de l’arrivée de Nolan Kohan pour une visite diplomatique, mais c’était une chose que de l’entendre et c’en était une autre que de le constater.

« Cependant, puisque Cordont et sa principauté seront territoires sous tutelle, le traité d’armistice déjà en place s’appliquera pour eux. Cela signifie que vos troupes ne pourront pas stationner sur place. Elles devront au minimum trouver caserne à une distance raisonnable de la ville, derrière le défilé de montagnes. Ceci n’est pour le moment pas sujet à négociations, l’Alliance ne le désir pas »

Et elle disait bien l’Alliance. Pas Caladon. Pas Délimar. Mais l’Alliance. Entière, unie, parlant d’une seule voix. Car il était aisé d’oublier que sous l’ombre des deux géants, il y avait d’autres villes, d’autres histoires, d’autres raisons de craindre ce que Sélénia pouvait réserver, ou pas. Si toutes les cités n’étaient pas aussi grandes ni aussi puissantes, il y avait néanmoins leur voix à faire entendre et à écouter, parfois plus sage que les leurs. Oui, parfois bien plus sage… et ils savaient le reconnaître.

« Néanmoins, nous avons entendu votre souhait de prouver votre bonne foi et votre honneur aux yeux de notre accord. Nous sommes ouverts à en jauger et cela m’amène à notre proposition. Pendant une durée de trois mois, aucun Sélénien n’entrera sur le territoire en tutelle par l’alliance. Vos aides seront vérifiées à la frontière et acheminées par nos hommes. Si à l’issu de ces trois mois nous jugeons que tout s’est bien passé d’un côté comme de l’autre… donc pour nous comme pour vous… alors des autorisations seront faites pour que vos artisans, ouvriers, architectes et autres individus pertinents à la reconstruction puissent pénétrer dans Cordont afin d’assister les moyens mis en place par l’Alliance. Si tout se passe toujours bien, à l’issu de trois autres mois, donc six mois en tout, nous pourront permettre une garde auprès des artisans, réduite et triée sur le volet, et seulement si elle est jugée absolument nécessaire. De plus, à ce moment, une expédition faite de citoyens de Sélénia et de l’Alliance pourra descendre dans les souterrains afin de les explorer et de les étudier. Vous disposerez de toutes les informations recueillies. Six mois sont le minimum nécessaire à prouver un début de probité de votre part et à, surtout, assurer la sécurité des explorateurs… »

Elle parlait énormément, et n’en avait pas l’habitude. Inspirant, elle se laissa quelques instants pour se reposer, et profiter du vent marin qui venait souffler sur eux. L’odeur de l’iode, fraiche et vivifiante, lui fit du bien. Elle était plutôt contente de la solution qu’ils avaient montée. Elle lui semblait un bon compromis pour ménager tout le monde, ne pas se fermer comme elle l’avait promis tout en restant critique. Il était utopique d’accueillir Sélénia à bras ouverts. Et le peuple de Délimar comme celui de l’Alliance au grand complet avait bien assez souffert comme cela. Des précautions étaient nécessaires, sans perdre de vu que le jeune empereur avait le droit à sa chance également.

« A l’issu de trois autres mois, si nous jugeons tous que la situation se passe bien, vous recevrez une invitation à venir en visite à Cordont, avec votre sœur, afin de pouvoir jauger de l’avancée des travaux et des découvertes… et visiter les souterrains avec nous. Le Bourgmestre et moi-même sommes aussi curieux et préoccupés que vous. Enfin, à l’issue de l’année de tutelle, nous nous retrouverons tous une nouvelle fois, y compris avec un représentant de Cordont, pour discuter des découvertes faites, de l’avancée des travaux et des actions à appliquer par la suite »

Voilà qui devrait donner à réfléchir à son interlocuteur. Il avait là un réel effort de compréhension de la part de l’Alliance, et surtout, il était structuré. Lancer des volontés et des aspirations en l’air, c’était bien, mais ça ne servait à rien face aux dures réalités pragmatiques existantes. Et la pire, c’était bien la situation des survivants et de ce qui restait de Cordont. Ors s’ils ne se mettaient pas tous d’accord, la reconstruction serait plus lente encore, déjà qu’elle prendrait du temps ! Là, il y avait l’essence de ce que chacun désirait. Délimar conservait sa décision de ne pas accepter de troupes Séléniennes et d’aider les Cordonnais dans leur épreuve dans les meilleures circonstances possibles. Caladon conservait en sus l’annexion effectuée, bien qu’elle devienne terre de l’Alliance et obtenait une continuité de sa démarche de paix. Nolan obtenait de faire ses preuves sans être mis de côté, de prouver qu’il valait bien que ses dégénérés de prédécesseurs, tout en conservant ce qui devrait être son principal souci : les informations nécessaires à la sécurité de son royaume. Et le reste de l’Alliance obtenait également un apaisement de la situation.

« Durant les six premiers mois, je viendrais moi-même en visite à Sélénia pour vous apporter les nouvelles, en gage d’assurance de leur véracité. Et si cela ne vous suffit pas… »

Elle inspira profondément, puis expira de même.

« Je suis prête à ce qu’un Baptistrel soit présent afin de vérifier mes dires »

Pour se laver la bouche de la proposition avec laquelle elle était très mal à l’aise, l’Intendante poursuivit.

« Voilà les grandes lignes de notre proposition. Les détails pragmatiques, techniques, de chaque sujet seront à discuter points par points afin que nous puissions user au mieux de toutes les forces en présence, quelle que soit le allégeance »

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Sans fards ni faux-semblants, Nolan répondit aux questions de Tryghild Svenn, ne pouvant s’empêcher de penser que celles-ci représentait une sorte de test destiné à cerner ses intentions. Même cette marche militaire et cadencée dans les venelles de la cité s’apparentait à une épreuve d’endurance. Le jeune empereur ne connaissait que trop bien l’importance qu’accordait les Délimariens à l’exercice physique et aux compétences martiales, en conformité avec leurs valeurs d’honneur et leur mode de vie spartiate.

Et l’adolescent supposait qu’elle cherchait par ce biais à en apprendre davantage sur son tempérament. Était-il indolent ou énergique ? Avisé ou inconséquent ? Son physique et ses habitudes de vie en révèlerait plus sur le genre d’homme qu’il était que de simples paroles. La jeune femme paraissait imperturbable malgré le débit rapide de sa parole, mais derrière ce masque impassible le couronné devinait sa nervosité. Elle désirait en apprendre davantage sur la manière dont ce dernier comptait traiter la menace que les Golems représentaient et, par chance, leur vision concordait. Il se contenta d’hocher la tête lorsque celle-ci lui confirma avoir bénéficié des rapports de ses hommes et écouta attentivement la suite de ses propos sans l’interrompre avant de prendre la parole.

- En effet, j’ai accepté l’annexion par Caladon pour une durée d’un an, mais c’était sous réserve de vous rencontrer et de pouvoir rediscuter de ce point. Durant l’entretien que j’ai eu en présence du bourgmestre Aldaron Leweinra je lui ai fait part de ma grande réticence vis-à-vis de son action d’annexion de Cordont car même si je suis en mesure de comprendre sa réaction suite à l’annonce de l’arrivée des troupes Séléniennes par ma sœur, j’estime qu’un tel acte porte atteinte aux libertés fondamentales et à la propriété des Cordontais. Comme vous le savez, initialement la ville de Cordont se situait sur un territoire déclaré neutre suite à la signature de l’armistice et ce peuple bénéficiait de son indépendance et possédait ses propres terres. Or une annexion modifierait cette donne et mon séjour là-bas et mes discussions avec les rescapés m’ont montré qu’ils sont attachés à leur liberté ainsi qu' à la possession de leur terres. C’est la raison pour laquelle je préfère que ce territoire demeure la propriété exclusive de ses ayants-droits et ne sois mis sous tutelle que le temps de la reconstruction de Cordont et de son accession à l’autonomie.

Tout en marchant, le jeune Kohan jetait de temps à autre des regards en coin à l’intendante Svenn, guettant la moindre des expressions qui transparaissaient sur son visage aux traits anguleux. Ses paroles faisaient-elles écho dans le cœur de la Louve des glaces ? Elle dont le peuple avait lutté pour sa liberté et pour la possession de nouvelles terres. D’ailleurs, n’était-ce pas ironique qu’aujourd’hui se soit lui, le dernier héritier d’une lignée décriée pour son impérialisme et son absolutisme qui s’érige en défenseur de la liberté ? Cependant, ce dernier savait que les choses n’étaient jamais entièrement noires ou blanches mais composées d’une infinité de nuances et que les oppresseurs d’hier pouvaient se métamorphoser en défenseurs le lendemain. Rien n’était figé définitivement et l’existence se composait de multiples cycles, à l’instar des saisons où le printemps succédait à l’hiver. Cette pensée rassurait Nolan et lui permettait de se distancer de l’idée d’un déterminisme inéluctable qui le condamnerait à répéter les erreurs et les errances de ses ancêtres sans pouvoir échapper à sa destinée inique. Il désirerait ardemment devenir le seul maître de son destin et écrire les pages de son propre livre.

- Je puis accepter une mise sous tutelle de ce territoire par l’Alliance pour une durée d’un an afin que les Cordontais puissent bénéficier d’une protection et d’une réhabilitation de leur cité dévastée. Bien entendu, étant soucieux de l’avenir de ce peuple je souhaite être informé de l’avancée des travaux et je désire contribuer autant que possible à la reconstruction de cette cité en envoyant des vivres et des matériaux.

La Délimare était une cité entièrement bâtie pour la guerre et la défense et ses avenues rectilignes renvoyaient à une rigueur toute militaire. Tandis qu’ils parcouraient une large avenue traversant le quartier des citoyens, le souverain Sélénien sentait peser sur lui les regards ébaubis des passants et certains s’arrêtaient pour l’observer plus longuement. Toutefois, en dépit de cette attention excessive que lui témoignaient les badauds, l’adolescent demeurait imperturbable et nulle ombre ne ternissait le lustre de ses mires d’or pur. Depuis sa plus tendre enfance, celui-ci était habitué à être observé et à voir le moindre de ses faits et gestes épié et commenté. Contrairement, à certains individus ayant vécu connu la quiétude de l'ombre avant de gagner le monde de la lumière en gravissant les échelons du pouvoir, le monarque de Sélénia était né pour régner et ce fait avait conditionné toute sa jeune existence.

La Louve des neiges lui fit ensuite part des exigences de l’Alliance concernant le retrait des troupes Séléniennes stationnées sur place et de les voir trouver caserne à une distance raisonnable de la ville.

-  Il m'est possible de faire partir mes troupes du territoire de Cordont si tel est le souhait de l’Alliance. Néanmoins, il reste un point crucial à éclaircir avec vous avant cela.


Le souverain Sélénien demeura silencieux un bref instant avant de tourner ses mires mordorées en direction de la Glacernoise et de la contempler avec une étrange fixité.

- Désirez-vous aider les Cordontais par pur altruisme ou y a-t-il derrière votre démarche une volonté d’asseoir votre influence sur cette ville et d’y faire de la propagande afin qu’à terme elle renonce à sa neutralité ou pire se révolte contre l’Empire ?

Ses paroles aussi directes soient-elles avaient au moins le mérite de la sincérité et révélaient l’une de ses préoccupations à propos de l’avenir de cette cité. En laissant la tutelle, même provisoire, de Cordont à l’Alliance devait-il craindre un affaiblissement politique de l’Empire ou une tentative de l’Alliance pour intégrer cette Cité libre et indépendante à ses rangs au lieu de la mener sur le chemin de l’autonomie comme elle le prétendait ? Si tel était le cas leur action en apparence désintéressée et protectrice se transformait en une manœuvre purement politique. Toutefois, l’empereur-enfant possédait la certitude que Tryghild, contrairement à Aldaron, ne lui mentirait pas sur ce point et lui révélerait la vérité concernant les motivations de l’Alliance aussi crue soit-elle.

Ensuite la nordique lui fit part d’une proposition destinée à jauger de sa bonne foi et son honneur vis-à-vis de leur accord. En soi, il ne s’agissait pas d’une proposition malhonnête et si Tryghild éprouvait de la méfiance et des craintes vis-à-vis de l’Empire, Nolan en ressentait également et songea que l’intégration progressive d’une présence Sélénienne à Cordont lui permettrait de surveiller les agissements de l’Alliance et de l’empêcher d’asseoir totalement son influence sur cette ville et sa population. Par ailleurs, ce dernier ne faisait pas confiance à Aldaron et estimait que cet elfe malveillant tenterait sans doute de manipuler la populace à son avantage en usant de son charisme et de ses arguments fallacieux. Quant à Tryghild chercherait-elle à s’attirer leur allégeance en usant de propagande Délimarienne afin de servir ses intérêts et ses ambitions personnelles ?

- Nous pouvons toujours tenter de procéder sur cette base de trois mois par trois mois et voir ce qu’il en découlera afin de juger au mieux de la poursuite des opérations. Néanmoins, j’ose espérer que cette proposition n’est pas figée et qu’elle pourra éventuellement faire l’objet d’aménagements en fonction de la situation. Concernant une visite à Cordont de moi-même et de ma sœur dans six mois et l’exploration des souterrains en votre compagnie et celle du Bourgmestre de Caladon, il serait souhaitable que nous reparlions et que nous avisions de cette question le moment venu, en fonction de l’avancée des travaux et des éventuelles découvertes car bien des aléas peuvent bousculer ce plan prévisionnel.
Toutefois, votre proposition témoigne de votre volonté d’intégrer l’Empire à la réhabilitation de Cordont et de votre souci de collaborer avec moi. Pour ma part, si le moment venu j’étais dans l’impossibilité de me rendre en personne dans cette ville ou de visiter les souterrains en votre compagnie et celle du bourgmestre, j’enverrais une délégation et un émissaire chargé de me représenter en gage de ma bonne foi et du souci de Sélénia vis-à-vis de Cordont et de l’exploration.


Le jeune empereur ne pouvait que concéder au fait que l’intendante de la Délimare faisait de sérieux efforts pour admettre des Séléniens sur une terre sous tutelle de l’Alliance alors que le fantôme de la guerre hantait encore tous les esprits. Lui-même, bien que soucieux de n’en rien laisser paraitre, n’appréciait guère l’idée de collaborer avec une faction qu’il considérait encore comme une ennemie potentielle. Collaborer représentait un moyen de surveiller l’Alliance et de veiller à protéger les intérêts de l’Empire à Cordont.

Nolan écouta sans sourciller la dernière proposition de la dirigeante Glacernoise et remarqua à quel point cette dernière prenait sur elle, acceptant de se déplacer jusqu’à Sélénia pour l’informer durant les six premiers mois et d’accepter la présence d’un Baptistrel si tel était le désir du jeune souverain. Un sacrifice admirable de la part de cette femme si l’on songeait à quel point son peuple abhorrait la magie.

- J’accepte que vous veniez à Sélénia afin de m’informer de la situation à Cordont et me délivrer les informations indispensables concernant la sécurité de mon peuple. Néanmoins sachez que je ne tolérais pas la présence de troupes Délimariennes sur mon sol ni de navire de guerre dans mon port. Tout au plus, je puis accepter une simple escorte et que vous veniez accompagnée de quelques personnes proches et fiables de votre entourage. Quant à la présence d’un maitre Baptistrel afin de vérifier vos dires, je ne vous ferez pas cette offense car je doute fort que vous vous rendiez jusqu’à Sélénia dans le but de m’abreuver de mensonges.

En effet, il était peu probable que cette femme, qu’importe la haine et le ressentiment qu’elle nourrissait au sein de son cœur cherche à le duper. Les Délimariens possédaient trop d’honneur pour user de fourberie ou trahir  et c’était ce qui les avait conduits à leur perte par le passé et peut-être les perdrait encore dans le futur.

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Comme c’était pratique. Bien sûr, il avait justement discuté avec de rares survivants qui, comme par hasard également, soutenaient son point de vue et là était toute la réponse, affaire classée. Malheureusement, cette utopie là n’existait pas et elle ne pouvait y croire, elle ne pouvait plus y croire, depuis qu’on avait trahit son peuple. Certaines choses clamaient tant leur praticité qu’elles devenaient indigestes. Le fait était tout de même qu’elle avait eut de nombreux rapports, par de nombreuses sources, et qu’aucune n’avait adopté ce point de vue là. Les survivants étaient défaits, ils reprenaient tout juste leurs esprits et pleuraient leurs disparus et ils avaient peur… peur d’une nouvelle catastrophe, naturelle, magique, ou martiale. Peut-être que l’enfant mentait, peut-être que ses interlocuteurs avaient simplement peur de s’avancer dans un conflit dont ils ne connaissaient pas la teneur alors qu’ils n’avaient plus rien et qu’ils étaient à la merci de plus grandes forces humaines. Peut-être tout autre chose également. De plus, même effectivement une volonté d’indépendance existait… il n’était certainement pas celui qui avait la moindre légitimité à en parler, non seulement après avoir refusé celle des cités de l’Alliance, mais également après avoir proposé à son général de découper les lieux comme un vulgaire gâteau pour espérer faire plaisir à tout le monde. Il avait bon dos, l’empereur, de venir ensuite clamer tenir à l’indépendance des autres. Elle déglutit un fond de colère. Sigvald l’avait largement prévenu de la jeunesse de son interlocuteur et l’avait abreuvé de ses perceptions. Peut-être tenait-il réellement à préserver l’indépendance de la ville… mais il s’en dépêtrait mal. Finalement l’épreuve réelle pour ses nerfs risquait d’être savoir distinguer la vilenie concrète de l’absence des bons mots, comme elle pouvait aussi le faire.

« Vous avez accepté l’Annexion de Cordont sans faire part d’aucune condition à l’interlocuteur étant alors pleinement responsable de cette question, pourquoi l’Alliance devrait-elle en accepter à posteriori ? Je vous informe simplement de nos décisions et des aménagements que nous comptons apporter à l’accord initial. Cela est de notre ressort, pas du vôtre  »

Le ton était sec mais pas agressif. Elle était droite dans ses bottes, entière, et elle ne faisait qu’énoncer la vérité. Aldaron l’avait informée que l’accord sur l’annexion avait été uniforme et sans réserves. Elle ne comptait pas en accepter à présent, et si il soutenait la décision prise par l’alliance des modifications de gouvernance durant l’année acquise, c’était très bien mais extérieur. Un instant, elle hésita à lui signifier qu’il aurait mieux fallut qu’il se prononce immédiatement auprès du Bourgmestre plutôt que de risquer un parjure qui lui coûterait certainement une guerre, mais elle se ravisa. Elle ne voulait pas que cela soit prit comme une menace, son point était fait, et au-delà, elle ne voulait pas l’influencer. Si vraiment il en venait à se parjurer, elle le passerait au fil de son épée… mais si Sigvald avait raison, alors ce n’était qu’un oubli, fâcheux pour lui, mais juste un oubli, ou une candeur. Peut-être aurait-elle fait de même dans son cas, si Ilhan n’avait pas été là pour l’épauler. Nolan Kohan ne saurait sans doute jamais tout ce qu’il devait à son fiancé… Mais elle ne s’en inquiétait pas moins pour autant, intérieurement, car au fond, s’auréoler dans un suaire de bonne volonté et de légitimité, c’était ce que Korentin Kohan avait fait également. Elle-même n’était pas du tout certaine de ce qu’elle allait voir de cet enfant. Par devoir et selon les lois sacrées de l’hôte, il ne lui serait fait aucun mal à Délimar, mais ça ne voulait pas tout dire. Elle doutait toujours, oui, elle doutait et aurait aimé avoir des preuves contrariant ses pensées.

La suite lui fit décocher un regard froid dans la direction du Sélénien et lorsqu’elle parla, ce fut cette fois avec sévérité.

« Nous avons autre chose à faire que de gâcher le temps et l’énergie de nos hommes à faire de la propagande quand nous devons faire reconstruire et sécuriser une ville entière et découvrir les tenants et aboutissants d’une menace pour l’humanité, et vous, vous  devriez occuper le votre autrement qu’à vous demander si nous sommes de bonnes foi ou non. Je vous rappelle que nous n’avons jamais manqué à nos obligations et nos valeurs, nous.  »

Elle ne le prenait pas bien du tout. Qu’il lui attribut le soupçon d’une telle pensée la hérissait de toutes les fibres de son être et elle s’en récriait. Vraiment ! Qui pouvait passer son temps à penser à de telles choses alors qu’il y avait des gens qui souffraient là-bas ?! De nouveau, elle serra les dents pour ne pas l’invectiver vertement. Bien sûr, lui n’avait jamais connu la destruction totale de sa maison, la disparition de tout ses biens et souvenirs, de son espoir. Lui il avait retrouvé Aldaria après la guerre contre le Tyran, qui l’attendait, bien douillette, alors que eux ? Eux n’avaient plus rien du tout. Eux ils savaient ce que cela faisait, ce que les Cordonnais pouvaient ressentir en ces heures sombres. C’était une ignominie que de se fourrer aussi profondément la tête dans la merde politique. Sans doute était-ce légitime en soi, mais ce n’en était pas moins horrible à contempler. Inspirant profondément, elle tâcha de rester calme, imaginant le sourire d’Ilhan face à la situation, la voix chaude de Sigvald et la poigne de Nyko sur son épaule. Respirer, c’était la clef de tout. Oui c’était légitime. Horrible mais légitime comme question. Mais elle en était frustrée. Elle avait l’impression de voir un peu d’Aldaron là, et pas la partie qu’elle aimait de l’elfe. Ou de tout autre politicien au final. Elle exhala finalement lentement, puis parvint à parler de nouveau, et à sa grande fierté, elle ne lui aboya pas dessus. Pour elle, s’était un miracle et un accomplissement certain.

« Nous savons ce que cela fait, Kohan, de perdre nos maisons….  »

La nordique lui lança un regard las avant de poursuivre.

« Dans un an, comme affirmé, nous nous retrouverons tous ensemble pour jauger des progrès de la reconstruction, et de ce qu’il reste à faire. Et si au terme de la reconstruction, Cordont souhait rejoindre l’Alliance de son propre gré, librement et sans influence, alors je lui ferais bon accueil. Si elle souhaite rester neutre, elle restera neutre. Je suis prête à aider ces gens, mais le site n’a aucune valeur militaire »

Pendant un moment, elle ne parla pas, digérant ce qui venait de se passer, puis lorsqu’elle reprit la conversation en main, ce fut à la suite du discours de l’Empereur. Avec tiédeur, sans pour autant fermer la porte, elle lui répondit de son mieux. Intérieurement, elle repensait à ce que son père lui avait un jour dit de cette famille. Elle revoyait leurs échanges et cela la fatiguait profondément. Qu’aurait-il fait à sa place ? La guerre sans doute, sans plus de considération. Elle en avait, elle. Si elle s’était unie assez tôt, Nolan aurait presque eut l’âge d’être son fils…

« Cela ne dépend que de vous, Kohan. Et de ce que vous montrerez, c’est là le cœur de tout ça  »

Ils étaient enfin arrivés là où elle souhaitait le guider. Pas dans la citadelle en réalité. Chez elle. Ils entrèrent par la porte de bois, puis elle lui fit gagner le jardin intérieur, pour s’installer. Un havre de calme, le seul lieu où elle parvenait à rester sans bouger en permanence. Il n’y avait pas de bruit dans la grande maison en pierre et ils purent s’asseoir sur les bancs disponibles aux quatre coins de l’enclave de végétation fraîche. Face à l’empereur, l’Intendante l’écouta encore, et eut une expression d’ironie sans joie, quelque peu rosse et surtout, encore une fois, sèche. Mais c’était son attitude habituelle, qui déplaisait souvent aux anciens sudistes. Ses yeux de glace brillaient lorsqu’elle parlât de nouveau.

« Mais vous acceptez de me faire l’offense de me taxer d’impérialisme et de belligérance, et si je comprends bien, de traîtrise en pensant que je profiterais d’une visite diplomatique pour vous attaquer. Je crois que vous choisissez mal vos batailles… et ceux que vous insultez  »

Fort heureusement, il devait repartir en un seul morceau et en vie. Et c’était un enfant. Aussi maladroit qu’elle, d’après Sigvald. S’adossant contre un tronc d’arbre, elle croisa les bras, se carrant dans une pose martiale mais qui, pour elle, restait détendue. Dans d’autres circonstances, une telle insinuation aurait finit dans l’arène. Plutôt que de lui laisser l’occasion de revenir là-dessus, ne voulant pas risquer qu’il s’enfonce davantage plutôt que de remonter, elle poursuivit. Il y avait bien des choses dont ils devaient s’entretenir et il s’agissait d’être efficace le plus longtemps possible. Elle ne brillait pas par sa patience sur les questions diplomatiques et il y aurait forcément un moment où le pauvre Nolan allait devoir prendre congés pour qu’elle ne brise pas tout ce qu’ils accomplissaient là. Elle prendrait sur elle aussi longtemps que possible mais elle connaissait aussi les limites à ne pas dépasser.

« Puisque la base de notre proposition semble être acceptée, il y a deux choses dont il faut que je vous entretienne tout de suite, car elles vont être importantes dans la définition des détails de notre collaboration. La première est celle-ci : cette ouverture à Cordont n’est peut-être pas la seule existante, aussi faudrait-il que vous cherchiez s’il y en a d’autres sur votre territoire comme je compte le faire ici, chez nous. Et cela me fait venir à la seconde chose. Bien que vos troupes ne soient pas acceptées dans Cordont, puisque vous désirez vous investir, il faudra établir une surveillance stricte de votre côté également… Pensez-vous que cela vous sera possible, et dans quelles mesures ?  »

Ils y avaient d’autres menace sur l’Archipel pouvant nécessiter des interventions armés, les pirates par exemple.

« Ensuite, j’ai besoin d’avoir une idée des matières premières et ravitaillement que vous pouvez produire pour Cordont, afin que nous coordonnions avec nos propres approvisionnements. Dans quelle mesure souhaitez vous livrer des vivres et des outils ? Je ne vais pas vous demander le détail d’une cadence logistique, cela sera du ressort de votre délégué à cette discipline, mais vous devez avoir une idée de l’état des fonds et des possessions de votre empire n’est-ce pas ? Donc vous pouvez avoir une idée de ce que vous voulez investir...  »

Elle se tut et eut un petit signe de tête pour l’inviter à s’exprimer

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Nolan écouta attentivement la suite des paroles de Tryghild tout en gardant ses prunelles mordorées rivées sur elle, afin de mieux observer ses mouvements saccadés, ses maladresses verbales, son ton bourru et son inhabilité politique, couplé à son manque de grâce physique. A son instar, elle incarnait une dirigeante atypique et devait lutter dans un monde d’hommes, de même que lui cherchait à s’imposer au sein d’un univers de politiciens en dépit de sa grande jeunesse. Si l’on pouvait imputer ses erreurs ou ses tâtonnements, son côté parfois abrupte et autoritaire, à son âge et à son inexpérience, qu’en était-il de la Dame-Loup ? Il s’agissait d’une guerrière, une femme de fer, sans doute plus à l’aise avec les armes qu’avec les mots.

- J’ai accepté l’annexion de Cordont par la Cité libre de Caladon et elle seule pour un délai de 1 an. Les modifications internes de cette validation concernent exclusivement l’Alliance et l’Empire n’est guère tenu de ratifier une annexion de Cordont par l’Alliance car n’ayant pas été consulté au sujet des modifications ultérieures apportées à l’accord initial pris en présence du bourgmestre de Caladon. Dès lors, l’Empire restera sur sa position et n’acceptera de ratifier que la proposition initiale, la seule qu’il a validée oralement, à savoir l’annexion de Cordont par la Cité libre de Caladon pour un délai d’un 1 an. L’empire ne validera ni ne ratifiera la nouvelle proposition susmentionnée, à savoir l’annexion de Cordont par l’Alliance des Cités libres sous quelque motif que ce soit.  


Le ton était ferme, dénué d’animosité et son regard mordoré restait braqué sur les mires de glace de la géante. Allait-elle le frapper, au risque de provoquer un incident diplomatique, pour avoir exposé la position de l’Empire concernant une annexion de Cordont par l’Alliance ? Peut-être, mais à cet instant, ce dernier n’éprouvait aucune crainte vis-à-vis d’elle et avait même la singulière impression que se trouver en présence de cette femme au tempérament d’acier éveillait la volonté de fer qui sommeillait en lui.

Un Kohan et une Svenn, étaient-ils une sorte de couple immortel lié pour le meilleur…ou pour le pire ? Et si suite à son refus de ratifier l’annexion de Cordont pour l’Alliance, elle décidait de lui déclarer la guerre sans autre forme de procès, peut-être même en viendrait-il à conclure que la relation qui unissait leurs deux lignées demeurait aussi violente et passionnée que par le passé.

- Néanmoins, comme je l’ai mentionné précédemment, étant soucieux de la protection de Cordont, du bien-être de ses habitants et désireux d’apaiser les tensions entre l’Empire et l’Alliance, je suis ouvert à la discussion et prêt à valider ainsi qu’à ratifier une mise sous tutelle par l’Alliance de cette cité durant un délai de 1 an jusqu’à son accession à l’autonomie en lieu et place d’une annexion exclusive par Caladon pendant 1 an si tel est le souhait de l’Alliance.

L’empereur venait d’énoncer sa proposition et désormais il appartenait à l’Alliance, du moins à l’intendante de la Délimare, de se positionner concernant Cordont. Désirait-elle à tout prix que l’Alliance possède ce territoire, quitte à priver les Cordontais de leur indépendance, condition qui serait rempli par l’annexion de Cordont par Caladon ou s’agissait-il pour elle uniquement de protéger cette ville et de veiller à sa réhabilitation, tout en intégrant dans cette opération l’ensemble des Cités Libres via une tutelle ? Son choix serait déterminant pour répondre à cette question qui le taraudait.

A ce stade, Nolan n’était pas encore pleinement rassuré concernant les motivations de Tryghild et cherchait à déterminer ses ambitions et quels idéaux l’animaient. Les mots seuls et peut-être les actes étaient souvent impuissants à révéler la véritable nature d’une personne car eux-mêmes porteurs d’ambivalence. Placé face à un tel dilemme, la Glacernoise n’aurait guère d’autre choix que de se positionner de manière claire, révélant par ce biais ses vrais désirs et ses objectifs futurs.

Le couronné espérait que tous les deux parviennent à un accord afin que puisse cesser ces palabres politiques qu’il exécrait tellement et produisait chez lui une profonde lassitude. Hélas, ce dernier était forcé d’endurer ces interminables négociations afin de défendre les intérêts de son peuple ainsi que ceux des Cordontais et de veiller à leur sécurité. Emprisonné dans le carcan de son rôle de dirigeant, celui-ci peinait à dévoiler sa véritable personnalité et sans doute n’y parviendrait-il que lorsque cette affaire de Cordont serait réglée.

- Je suis heureux d’entendre de votre bouche même que votre unique motivation est de sécuriser et de reconstruire la ville car comme je vous l’ai affirmé précédemment, le bien-être et la sécurité des Cordontais sont ma principale préoccupation. Quant à la manière dont j’occupe mon temps libre, merci de vous en soucier, mais cette information relève de la sphère privée et ne concerne que moi et moi seul.

Là encore nulle agressivité ne transparaissait dans la voix du jeune homme, ce dernier exprimait simplement avec assertivité son avis sur la question.

A la phrase « Nous savons ce que cela fait, Kohan, de perdre nos maisons…. ». L’adolescent ne put s’empêcher de répondre à brûle-pourpoint.

- Cela nous fait un point commun, Svenn.

En effet, le jeune empereur avait perdu sa terre natale, Aldaria détruite par les chimères et gardait en mémoire le souvenir tragique de sa disparition. Son ancien Royaume n’existait plus et une part de son cœur pleurait ce lieu mirifique qui l’avait vu naître. Est-ce que Sélénia, sa nouvelle patrie, bâtie sur l’ile de Calastin au sein d’un nouvel archipel pourrait un jour remplacer Aldaria ? De même que les Délimariens en viendraient-ils un jour à considérer la Délimare comme une nouvelle Glacern ?

- Fort bien, j’attends ce jour avec impatience, dit-il en guise de réponse à ses paroles concernant le fait qu’ils se retrouveraient tous dans un an pour jauger des progrès de la reconstruction de Cordont. Je vous concède que le site ne possède aucune valeur militaire ni économique d’ailleurs.

Cordont n’était rien de plus qu’une misérable bourgade et dont le seul intérêt résidait dans sa symbolique car il s’agissait du lieu de signature de l’Armistice. D’ailleurs, les blessures de la guerre pourraient-elles jamais se refermer et le lien fusionnel et destructeur que sa lignée nourrissait avec les Svenn aboutir à un jour à une relation plus bénéfique ?

Tout en marchant, leurs pas les conduisirent vers la demeure de Tryghild, un lieu pour le moins incongru, si l’on prenait en compte la teneur de leur entretien, à savoir des négociations politiques. Une douce quiétude régnait en ce lieu et Nolan commença à se sentir plus détendu que lors de leur promenade dans les ruelles de la cité, durant laquelle les regards curieux des badauds pesaient sur lui. Parviendrait-il à s’ouvrir davantage et à renoncer à son masque d’empereur face à cette femme dont il devinait l’âme généreuse derrière ses gestes empreints de rudesse ? Ce dernier l’espérait et que leur conversation se déroulerait sous de meilleurs auspices une fois débarrassée des tensions liées à leurs obligations de dirigeants et de la rivalité latente entre leurs deux nations.

Ils s’installèrent sur un banc et le jeune Kohan sentit le calme de l’endroit l’envahir peu à peu tandis que ses prunelles de topaze se posaient sur la jeune femme adossée contre un arbre. Même ici, au sein de cet écrin de verdure, elle ne parvenait pas à se départir de ses réflexes de guerrière et adoptait une posture martiale.

Ses lèvres esquissèrent un sourire à la fois triste et amer en entendant les paroles suivantes de celle surnommée la Louve des glaces et la laissa terminer tout ce qu’elle avait à dire avant de clarifier un point litigieux:

- Je ne pense pas que vous profiteriez d’une visite diplomatique pour m’attaquer. Si je vous soupçonnez capable d’une telle perfidie, je n’aurais jamais accepté de me rendre ici en personne sur votre sol, privé de ma propre escorte. Pourtant je l’ai fait et paradoxalement je me sens plus en sécurité au cœur des terres de la Délimare que dans ma propre cité. Ma formulation était abrupte mais je tenais à vous informer que lors de vos visites diplomatiques à Sélénia, il vous faudra voyager léger et vous contenter d’une simple escorte car aucune troupe ni navire de guerre ne sera accepté.

Autoriser des troupes Délimariennes à pénétrer sur son sol ne ferait qu’attiser des tensions inutiles au sein de son peuple et donnerait du crédit à ses ennemis politiques ainsi qu’à ses détracteurs qui lui reprochaient de se montrer trop tolérant vis-à-vis des Cités Libres, considérées aux yeux d’un grand nombre de Séléniens comme des Cités Rebelles.

Le monarque Sélénien tourna son regard ambré en direction de cette fille originaire des contrées glacées de Glacern et lui dis d’une voix radoucie.

- Je sais que venir à Sélénia en personne pour m’informer durant les six premiers mois représente pour vous un grand sacrifice et je vous en remercie, dit-il dans un murmure. C’est une ville remplie de magie, de beauté mais aussi de fourberie. Même pour moi il s’agit d’un véritable nid de vipères et je n’ose imaginer ce qu’il en sera pour vous car vous comptez de nombreux ennemis parmi la noblesse et il y a à la Cour tout ce que vous haïssez. Les mensonges, l’hypocrisie et aussi la trahison…

Le jeune empereur savait que parmi son entourage de conseillers ou les membres des grandes nobles, certains vouaient une profonde aversion à la lignée des Svenn et avait surnommé la jeune femme « la Louve des glaces », un surnom infamant si l’on songeait qu’il était censé renvoyer à la bestialité et à la férocité animale. Une part de lui-même s’attristait à l’idée du dédain qu’éprouvait nombre de dignitaires ou de nobles Séléniens envers la Dame-Loup.

Après cela, l’adolescent prit la parole pour répondre aux questions que lui posait l’intendante de la Délimare.

- Concernant un autre accès situé sur le territoire Sélénien, j’ai déjà donné des ordres pour que l’on commence les recherches et c’est désormais l’un de mes objectifs prioritaires. Lorsque mes troupes évacueront Cordont, je les déploierais pour quadriller mon territoire et rechercher un autre accès à la terre creuse de Calastin et j’espère en trouver un le plus rapidement possible. Dès lors, mon investissement concernant la protection de Cordont concernera principalement un accroissement de la surveillance des côtes Est de Calastin via ma marine militaire car Cordont étant une cité côtière, des attaques de pirates sont à craindre.

De par sa position géographique et stratégique, Sélénia était la nation la plus à même de protéger les côtes de Cordont d’éventuelles attaques pirates grâce à sa puissante flotte qui n’avait rien à envier à celle des Délimariens. Caladon quant à elle ne disposait que d’une flotte marchande et la Délimare ne pouvait se départir de ses redoutables navires de guerre sans risquer de se rendre elle-même vulnérable face à la menace pirate.

- Au niveau des vivres, il me sera facile de fournir des produits de la pêche, comme des fruits de mer et diverses variétés de poissons. L’empire peut également acheminer vers Cordont du bétail, des chevaux, de la viande de volaille et bovine ainsi que des fruits, des légumes, des sacs de farine de blés ainsi que du fromage, divers produits laitiers et des vins Séléniens. En ce qui concerne les matières premières, Sélénia est en mesure d’apporter du bois, des métaux et des blocs de pierres et de granit issus des carrières du nord de Calastin ainsi que du charbon issu de ses mines. L’empire fournira aussi si besoin des matières textiles telles que de la laine, du lin ainsi que des vêtements et des objets du quotidien comme des meubles, divers ustensiles de cuisine, des outils servent à labourer le sol et destiné à la construction. Il s’agit bien entendu d’une liste non exhaustive et j’adapterais les ravitaillements en fonction des besoins des Cordontais et des informations que vous me fournirez lors de vos visites concernant l’état d’avancement des travaux et de la reconstruction.

Ayant achevé l'énoncé de cette liste, Nolan se tut et fixa l'intendante, guettant sa réaction et d'éventuels compléments d'informations à ce sujet.

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Elle lui jeta un regard oblique, sévère mais surtout perturbé par son attitude. Est-ce qu'il était sérieux ? Elle commençait à réellement se poser des questions sur lui. Ils n'avaient pas le moins du monde à consulter une nation extérieur à l'Alliance pour des questions intérieures, non seulement c'était une demande illégitime, mais elle relevait en plus d'un impérialisme qui ne lui plaisait guère. Dès l'instant où il avait accepté de céder le territoire Cordonnais à Caladon, celle-ci était libre d'en faire ce qu'elle voulait, puisqu'il s'agissait de ses terres. Si elle décidait de transformer ce régime en une tutelle globale de l'Alliance, c'était son droit et Sélénia n'avait hélas pas grand pouvoir pour le lui interdire. Il pouvait toujours protester, mais à moins d'entrer en guerre, cela ne servirait à rien. Ce qui était plus perturbant encore, c'était qu'il vienne lui tenir la botte alors que ce qu'il voulait était finalement ce qu'elle l'informait qu'ils allaient faire. Pendant un instant, elle pensa lui pointer du doigt la trop grande ambition dont il s'entourait et ce qu'elle signifiait mais rapidement, l'Intendante changea d'idée. Elle n'allait que le ramener à la réalité de l'instant premier, le reste, il se casserait les dents dessus le moment venu s'il y revenait et s'entêtait, elle n'était pas tenue de le prendre par la main après tout, elle n'était pas sa mère ou sa nourrice. De nouveau, elle lui lança un regard perturbé, ayant vraiment énormément de mal à comprendre l'utilité de lui dire non pour lui proposer exactement ce qu'elle venait de proposer. De bonne foi, Tryghild se demanda un instant si elle avait fait une faute en parlant en langage commun, si elle s'était trompée de mot ou de formulation dans son explication. Pourtant, ça lui avait parut claire à elle.

« C'est ce que je viens de vous dire Kohan. Je vous ai dis que nous allions faire une tutelle de Cordont par l'Alliance »

Non vraiment elle en restait perdue. Mais enfin, dit comme cela, elle espérait que ce serait plus clair pour lui. Cette fois, elle était certaine qu'elle n'avait pas fait d'erreur dans sa traduction. Et si ça ne convenait toujours pas il faudrait qu'il se mette à apprendre le Glacernois et puis tant pis ! Avait-on idée de parler une langue avec autant de conjugaisons aussi…

« Elle relèverait de votre sphère privée si elle ne vous faisait pas poser des questions stupides. Dès l'instant où cela vient sur le tapis, ça ne vous appartient plus entièrement, puisque vous la communiquez »

Surtout pour quelqu'un qui prétendait agir pour le bien du peuple ! Voilà des choses qu'il était bon de garder en tête lorsqu'on se retrouvait à assurer la survie d'une nation. Et pour le coup, lui demander si elle comptait faire de la propagande, c'était simplement cracher sur toute la culture nordique. Elle aurait pu également s'en douter, aucun natif du sud de l'empire n'avait jamais montré beaucoup de regard pour les traditions et les manières de penser de leurs cousins hivernaux. Au-delà de cela, si elle avait été un peu moins regardante et déterminée, cela aurait pu suffire à le faire passer par-dessus la muraille. En l'état, elle était effectivement déterminée… et Sigvald avait lourdement insisté. Mais elle n'allait pas non plus mâcher ses mots. Il fallait qu'il apprenne un peu comment s'adresser aux autres dans ce genre de situation, et comment on agissait. Elle par exemple, elle avait arrêté de vouloir combattre Aldaron chaque fois qu'ils se voyaient. Mais ça évidemment, encore fallait-il que le Sélénien daigne s'intéresser à ses pairs plutôt que de rester dans son coin, et ça, c'était relativement récent. C'était autant de choses qui motivait sa manière de faire, en bien comme en mal. Elle hocha la tête pour sanctionner son assertion sur le manque de valeur de Cordont. Non, il avait raison, elle n'avait guère de perspectives économiques non plus. En soi, c'était une terre morte à défendre, elle ne rapporterait rien de conséquent, car même sa proximité avec Sélénia n'était pas correctement utilisable. Aucun stratège militaire ne parierait dessus. Dès l'instant où on le comprenait cela, tout le reste n'avait plus de pertinence. Elle estimait donc la question réglée.

« Je ne peux vous donner tord, effectivement. Déjà parce que ce serais renier mes propres traditions d'hospitalité, ensuite… et bien simplement parce que vous n'êtes pas le premier à me le dire. Ici, à moins que vous n'insultiez très gravement quelqu'un et qu'il vous défie en duel, vous ne devriez pas avoir de problèmes. Votre bagage est celui que vous apportez. Je n'ai pas les bons mots, en langue commune, pour exprimer ma pensée comme je le voudrais, aussi j'espère que vous accepterez d'en prendre le cœur avant tout et de m'accorder votre pardon pour une apparence trop proche du jugement mais… je trouve triste et dommageable que la situation soit celle-ci. Vous devriez pouvoir vous sentir plus en sécurité dans votre patrie qu'ici »

Un souverain qui se sentait mieux chez ses voisins, ce n'était pas bien. Il n'y était pour rien, sincèrement mais il aurait dû pouvoir jouir de sa tranquillité pleinement car, en fin de compte, cela bordait à terme le désamour. Elle-même n'imaginait pas diriger Délimar si elle ne se sentait pas bien entre ces murs, pleinement, au point de pouvoir y fermer les yeux et marcher sans réfléchir, sans armes. Elle tenait énormément à la sécurité et à la loyauté de ses patriotes… Dans le même temps, elle savait également qu'elle n'aurait pas le cœur à le priver de se sentir bien à Délimar si il en avait besoin, en tant que personne et être humain.

« Ensuite, parce que je connais les lois des escortes en pays étranger. Vous n'aurez pas à craindre mes escortes »

Mais ceux qui voudraient s'en prendre à elle, eux, le ferait. Et la craindre elle. Si elle ne chercherait pas le conflit avec eux, elle ne se laisserait pas faire pour autant. Elle espérait que les nobles séléniens s'en tiendraient à simplement la mépriser et la laisserait effectuer ses visites paisiblement, afin de ne pas mettre Nolan dans une situation impossible. Avec un sourire, cette fois plus détendue, et avec une pointe de taquinerie amicale, elle continua, la voix portant davantage la trace de son accent, qu'elle avait tendance à supprimer au maximum quand elle se concentrait mais qui tendait à reparaître quand elle se détendait ou qu'elle s'énervait.

« Je ne viens heureusement pas pour votre entourage, mais pour vous informer vous. Et peut-être votre sœur, puisqu'elle prend part à ce qui se passe. Je ne me déplacerais pas plus pour faire de la politique avec vos gens que faire de la propagande à Cordont ne m'intéresse. Bien sûr, si on veut vraiment me parler, et si vous avez à l'esprit des personnes susceptibles d'être intéressantes pour des relations entre nos états, j'y prêterais l'oreille. L'idée est de pouvoir se considérer autrement que comme des voisins irritants »

Elle écouta ses idées avec attention, hochant la tête une ou deux fois pour marquer qu'elle suivait son propos. Bien sûr, ils auraient à laisser leurs experts discuter entre eux également mais c'était bon qu'il mette les mains à la pâte. Cela le différencierait de ses ancêtres. Lorsqu'il retomba dans le silence, ce fut à elle de reprendre la parole, alors qu'elle réfléchissait au problème que leur posait la situation de Cordont et de ses habitants. Il y avait énormément à faire et plus que jamais, elle était contente d'avoir envoyé d'ors et déjà des experts sur place afin qu'ils puissent effectuer les premiers rapports le plus vite possible. Toute la proactivité accumulée maintenant servirait dans une course contre le temps avec le climat de l'île.

« Il va falloir mener deux chantiers de front, au moins dans un premier temps. Le premier, ce sera de fournir des habitations, un camp digne de ce nom aux habitants rescapés, mais également à tous ceux qui travailleront sur place. On ne peut pas exiger d'eux de grands efforts sans fournir le nécessaire pour leur vie de tous les jours. Le second, ce sera de sécuriser le gouffre et les ruines restantes. Avec l'approche de l'hiver nous allons avoir des pluies, de la neige, des coulées de boue sans parler des créatures qui sortent des cavernes. Avant même de penser à reconstruire la ville, c'est empêcher le gouffre de grandir qu'il faudra faire. Le plus gros de ce travail va devoir prendre place le plus vite possible, car la saison est déjà très avancée »

Heureusement, une bonne moitié de la flotte Délimarienne avait déjà fait la traversée avec autant de matières premières pour commencer à pourvoir à ces besoins immédiats. Avec la proximité de Caladon, ou de Sélénia, il serait aisé de convoyer de la nourriture. Ce ne serait pas luxueux, mais le luxe n'était pas ce que la population rescapée demanderait. Elle aurait besoin du plus important pour tenir au travers de l'hiver qui s'annonçait. Apporter les provisions depuis Délimar serait inefficace, mais il faudrait peut-être établir les mêmes douanes qu'aux limites de l'Océanique afin qu'il ne soit pas fait commerce de la détresse de la ville.

« En ce moment même, nous avons des experts logisticiens sur place afin de circonvenir les besoins de la ville et du chantier. Ils nous seront communiqués en même temps. Concernant les attaques pirates, je pense surtout qu'il faudra protéger les convois de marchandises, par terre comme par mer. Encore une fois, Cordont elle-même n'a aucun attrait rationnel, pour nous comme pour les pirates. En revanche, les convois eux seront des cibles juteuses… »

Elle s'assombrit un instant et se fit silencieuse, observant pensivement l'un des arbres. Son immobilisme ne dura qu'un bref instant, mais lorsqu'elle parla de nouveau, l'Intendante semblait supporter un lourd poids sur les épaules. Son regard se posa sur le sien, franchement, sans détours.

« J'ai une question à vous poser. Elle est majeur.e à mes yeux. Pensez-vous qu'au sein de votre empire, des individus puissent vouloir se servir de ces golems géants comme armes afin de détruire l'Alliance ? »

descriptionUn roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan EmptyRe: Un roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan

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La louve des glaces darda ses mires de givre sur l’adolescent et ses traits anguleux arborèrent une expression pleine de sévérité. A en juger par son air belliqueux, cette dernière n’appréciait guère le discours tenu par le jeune monarque. Sans s’en apercevoir, faisait-il preuve d’arrogance ou de cet impérialisme tant décrié par les Cités Libres ?  

Peut-être, car le sang hérité de sa lignée l’avait destiné à régner sur un Empire et le système de monarchie absolutiste qui prévalait à Sélénia n’était guère propice à la négociation avec d’autres parties, même si cette réalité comportait diverses nuances en raison de la présence d’importants jeux d’influence à la Cour Sélénienne. De plus, certains de ses conseillers attendaient de lui qu’il fasse preuve de grandeur, en manifestant la distance le séparant du commun des mortels, ainsi que d’une fermeté de caractère à toute épreuve afin de devenir un Roi de fer.

Quand celui-ci entendit la réplique de l’intendante, Nolan comprit que sa précédente réponse reposait sur un malentendu et une grossière erreur d’interprétation et qu’il valait mieux rectifier sans tarder.

- Je n’avais pas bien compris votre phrase et il a eu vraisemblablement une confusion à propos de l’emploi du mot tutelle. La manière dont vous l’avez formulé m’a fait douter du sens de ce mot, donc je ne savais plus si vous l’employiez au sens juridique du terme ou dans un sens secondaire comme un synonyme du mot protection. C’est heureux que nous puissions en parler afin de rectifier cette mauvaise interprétation.

L
e couronné prit une profonde inspiration avant de poursuivre d’un ton calme :

- J’accepte une mise sous tutelle, au sens juridique du terme, de Cordont par l’Alliance pour une durée d’un an, jour pour jour, à compter de la date de la signature de l’accord. J’accepte également votre proposition d’intégration progressive de  civils Séléniens à Cordont, d’exploration commune et de mise en commun des découvertes moyennant cela, j’ordonnerais le retrait des troupes Séléniennes du territoire de cette cité. Et bien entendu, j’acheminerais des ressources destinées à la reconstruction de Cordont et m’investirai dans sa protection, dans la mesure de mes possibilités.

A présent, le jeune empereur espérait que les choses étaient limpides, aussi bien pour lui que pour elle, car la ratification d’un accord de cette envergure nécessitait la plus grande précision quant au choix des mots. D’ailleurs, à cette pensée, ce dernier songea qu’il ne serait pas superflu pour lui de s’entourer à l’avenir d’excellents légistes et de docteurs en lois lors de la tenue de telles négociations afin de s’assurer de la validité des différents traités.

Nolan écouta sans sourciller les paroles suivantes de la Nordique et son visage juvénile conserva un calme olympien, ne laissant rien transparaître de ses émotions :

- Certes, il est vrai qu’à partir du moment où je communique cette information elle ne relève plus entièrement de la sphère privée et vous auriez pu ajouter qu’étant un personnage public la manière dont j’occupe mon temps libre ne me regarde pas uniquement car j’ai un devoir de représentation envers mes sujets. J’avoue que vous marquez un point. En revanche, je n’adhère pas à votre point de vue concernant le fait que mes questions sont stupides, c’est votre avis et celui-ci n’engage que vous. Après tout, il s’agit d’une vision subjective et d’un jugement de valeur. Pour ma part, je trouve mes questions légitimes et en tant que dirigeant il me semble normal de m’enquérir de vos intentions à propos de l’avenir de Cordont et des Cordontais.

En effet, l’empereur-enfant aurait été un souverain bien inconséquent s’il ne préoccupait pas outre mesure des éventuelles retombées politiques de l’affaire Cordont ainsi que du sort de ses habitants qui, bien que très peu nombreux après la catastrophe, n’étaient pas à négliger pour autant. Que la Délimare tente de se faire passer pour une bienfaitrice afin de les rallier à sa cause et à sa vision idéologique constituait une hypothèse plausible, même si les paroles rassurantes de Tryghild tempérait quelque peu ses craintes à ce sujet.

Certes, celui-ci avait préféré en discuter avec elle de but en blanc plutôt que de dissimuler ses pensées derrière un masque factice d’hypocrisie ; toutefois, peut-être s’était-il exprimé avec une franchise confinant à la brutalité et heurté la susceptibilité de la Glacernoise. Si Tryghild Svenn ne mâchait pas ses mots, au risque de faire lever au ciel les yeux de son interlocuteur, visiblement Nolan Kohan semblait avoir hérité de ce défaut et du même usage maladroit du langage. Après tout, il était empereur et non pas diplomate et devrait sans doute apprendre à pallier cette lacune et à s’entourer de personnes compétentes sachant le seconder efficacement lors de négociations aussi délicates que celles de Cordont.

D’ailleurs étant donné la réputation d’explosivité de la Nordique, Nolan devait sans doute s’estimer heureux qu’elle sache faire preuve jusqu’à présent d’une relative tempérance à son égard, peut-être par indulgence envers son jeune âge et le fardeau qui lui incombait.

Par la suite, leur conversation dériva sur des sujets plus personnels et l’adolescent avoua à son interlocutrice se sentir plus en sécurité à la Délimare qu’au sein de sa propre patrie. Cette révélation pouvait parait un peu paradoxale, mais c’était sans compter sur ses ennemis à la Cour et les complots qui s’y tramaient. Au moins à Délimare, personne ne se dissimulait dans l’ombre pour œuvrer à sa perte quand bien même certains Glacernois éprouvaient une haine farouche envers sa lignée en raison des multiples trahisons endurées par leur peuple. En découvrant cet état de fait, Tryghild mentionna son avis sur la question, déplorant une telle situation.

- En vérité, je ne peux qu’adhérer à votre avis, il est triste et dommageable de ne pas pouvoir se sentir en sécurité dans sa propre patrie. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraitre, je suis profondément attaché à Sélénia malgré les dangers qui s’y trouvent. Je la considère comme mon chez-moi et je crois que je ne pourrais jamais  me sentir vraiment heureux ailleurs…

Ce dernier marqua ensuite une courte pause, semblant absorbé dans ses pensées, avant de poursuivre :

- Un peu à la manière de gens qui vivent sur une terre aride ou au climat hostile mais qui refusent de l’abandonner afin de partir vers des cieux plus cléments. De là même façon, j’aime Sélénia et je refuse de la quitter quel qu’en soit le prix à payer.

Ces paroles devaient sembler bien sibyllines, mais à bien y réfléchir Sélénia la Majestueuse ressemblait à une fleur venimeuse au parfum envoûtant et la Cour Sélénienne à un nid de vipères.

Les intrigues et les complots étaient-ils le tribut à payer pour demeurer dans un tel écrin ? De même, encourir perpétuellement le risque de la trahison représentait-il le revers de la médaille du pouvoir ?

Le couronné n’oublierait jamais que son père Korentin avait été trahi par son épouse et son propre cousin Fabius. Mais ce dernier préféra chasser rapidement cette sombre pensée et se reconcentra sur le cours de leur discussion.

La tension semblait retomber peu à peu et le ton de la Nordique s’adoucir à présent qu’ils avaient délaissé l’âpreté des négociations et leurs échanges prenaient une tournure plus intime.

La Dame-Loup précisa qu’il n’aurait rien à craindre de ses escortes et qu’elle ne venait pas pour rencontrer son entourage mais l’informer ainsi que peut-être sa sœur.

- Très bien, dans ce cas cela ne posera pas de problème. Pour ma part, vous et votre escorte êtes les bienvenus à ma Cour même si je sais que votre présence déplaira à certains membres de mon entourage.

Le jeune empereur subodorait que Tryghild devrait faire face de la part de certains nobles Séléniens à un mépris affiché voire à une franche hostilité, mais son tempérament d’acier l’aiderait sans doute à passer outre les médisances qui courraient à son sujet.

Ensuite, redevenant soudain plus sérieuse et retrouvant son pragmatisme typiquement Glacernois, la femme des glaces lui expliqua la manière dont elle envisageait le chantier de Cordont et la course contre la montre qu’ils devraient livrer avant l’hiver afin de stabiliser les alentours du cratère menacés d’effondrement.

- Dans ce cas, dès que j'aurais les informations sur les besoins de la ville, il faudra que je donne des ordres dans les plus brefs délais à mon grand intendant pour qu’il s’occupe de la gestion des ressources et de l’acheminement des convois Séléniens vers Cordont.

Par ailleurs, les attaques de brigands ou de pirates envers les convois, qui représenteraient une cible facile, n’étaient guère à négliger, comme le soulignait l’intendante Svenn.

- Une partie des troupes Séléniennes sera affectée à l’escorte des convois destinés à ravitailler Cordont ainsi qu’à leur protection.


Soudain, les mires métalliques de la Nordique parurent s’assombrir et elle plongea son regard adamantin dans celui de son vis-à-vis avant de lui demander sans ambages s’il pensait qu’il existait au sein de son Empire des individus prêts à utiliser les Golems afin de détruire l’Alliance.

Le souverain Sélénien poussa un profond soupir et une expression empreinte de gravité se dessina sur son jeune visage. Ce dernier hocha la tête en signe d’acquiescement avant d’ajouter :

- Si je vous affirmais le contraire, peut-être me prendriez-vous pour un menteur ou un naïf. Malheureusement, un tel risque ne peut être écarté, de même que je ne peux éluder la possibilité que certains de mes ennemis Séléniens ne tentent d’en user contre moi pour me renverser. Et en ce qui vous concerne, croyez-vous que certains individus de l’Alliance pourraient tenter de s’introduire au cœur des souterrains pour faire s’effondrer Sélénia ou utiliser les Golems comme une arme contre l’Empire ?

Confidence pour confidence, elle pouvait bien lui dire la vérité. Du reste, celui-ci serait très dubitatif si cette dernière lui affirmait sans sourciller qu’au sein de l’Alliance nul ne désirait sa perte, sa destitution ou n’ourdissait de complots contre lui.

descriptionUn roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan EmptyRe: Un roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan

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Ce n'est pas seulement de l'avenir des Cordonais dont tu t'inquiètes la pensée, franche la traversa, et pourtant elle le laissa aller encore une fois dans le mur. Derrière ses beaux discours et ses grandes affirmations, Nolan Kohan avait frisé plus d'une fois la guerre, non seulement en cette journée, mais également depuis la catastrophe survenue à Cordont. Et pour toute sa bonne volonté, il semblait encore et toujours que son ego le mène là où il ne fallait pas. C'était une caractéristique de la jeunesse, plus encore chez les sudistes, et il était certes malheureux que le jeune monarque ne se rende compte à aucun moment que seul le meilleur jugement, et la patience de ses aînés avaient sauvés la situation. Hélas, il était de ceux à qui on ne pouvait accorder cette période de grâce passagère. Il aurait déjà dû grandir et maturer. Avec regret, elle se souvint qu'une des missives de feu son père avait comporté une discussion entre le Seigneur de l'Hiver et Korentin Kohan au sujet d'une tutelle de son fils pour tremper davantage son caractère. Quel grand bien cela lui aurait fait. En l'état, il ne semblait cependant pas concevable que Nolan s'arrête pour enfin comprendre ce qu'était le fond de ses propres paroles, ou les avertissements qu'elle lui tendait. Il voulait se donner le beau rôle, désespérément, quitte à marcher sur les autres et à en arriver au résultat inverse. Était-il à ce point désespéré par les fautes de ses pairs ?. Quand elle-même, dans la fougue de son adolescence, s'était mise en tête de vaincre les montagnes seules, son père l'avait laissé faire et lui avait intimé par la suite de tirer des leçons de ses blessures. Mais Nolan tirerait-il les leçons de ses propres erreurs ou se dissimulerait-il la tête dans un sac en se convainquant mordicus qu'il était défait de toute responsabilité ?

« Ah non? Impossible de se sentir heureux ailleurs ? Pas même à Aldaria ? »

La ville tenait probablement encore debout, envahie de Chimères à l'heure présente, mais debout. S'ils parvenaient un jour à vaincre les Chimères, s'il était possible de retourner sur le vieux continent, il retrouverait Aldaria et tous les souvenirs qui y étaient associés. Elle n'était pas certaine de le croire s'il lui affirmait l'inverse. Pour autant, qu'on veuille rester en un lieu malgré la dangerosité de celui-ci lui était bien connu, les montagnes de son enfance n'avaient rien eut d'accueillant en elles-mêmes et avaient enfanté un peuple dur. La vérité était peut-être simplement qu'ils étaient tous trop différents les uns les autres, et la meilleure chose à faire était peut-être en fin de compte, si cette tentative ne marchait pas, que l'Alliance oublie Sélénia dans un coin et ne s'en préoccupe plus, fermant ses frontières définitivement. Ce serait à envisager s'il devenait évident qu'ils ne pouvaient réellement pas fonctionner en bonne entente. Cordont le prouverait sans doute assez bien. Haussant un sourcils à ses prétentions, elle manqua lui dire sur le tas qu'elle le prenait déjà pour un naïf et qu'un peu plus ou un peu moins n'y changerait strictement rien. Mais ça aurait été inutile, il n'avait pas besoin de savoir ce qu'elle pensait de lui comme personne, d'un côté comme de l'autre. Elle ne lui parlait pas comme Tryghild mais comme la voix de Délimar et en ce jour, de l'Alliance même. Elle déposait le manteau de son propre cœur à part, même si cela n'était guère difficile puisque sa ville pensait pour beaucoup les mêmes choses qu'elle. En plus violent et en plus définitif. De par son statu d'Intendante, elle était forcée d'avoir affaire au reste de l'Alliance et donc de devoir nuancer ses avis davantage pour le bien de leur Union. Elle ne lui dirait pas ce qu'elle pensait, parce que cela n'apporterait rien à la situation.  

« Je ne pense pas que les Golems soient la solution vers laquelle ils se tournent. Ici, à Délimar, rien ne remplacera la satisfaction de vous empaler sur une épée ou de vous décocher une flèche dans le cœur. Vous faire écrouler les souterrains sous les pieds ne viendra pas apaiser la rancune que l'on vous dédie. Et cela tuerait des innocents, or ce n'est pas aux Séléniens que nous en voulons, c'est à vous et à votre famille. En plus de quoi on risquerait de vous rater si par malheur vous êtes sur le dos de votre dragon. Et nous aimons l'efficacité »

Elle haussa des épaules, puis poursuivit.

« Les Caladoniens ? Ils valorisent les richesses. Détruire vos terres détruirait aussi les richesses à exploiter, les biens de Sélénia à acquérir et les opportunités d'affaires avec ceux de vos gens qui ont des savoirs-faire. Je ne pense pas non plus qu'ils veuillent vous faire écrouler le sol sous les pieds. Dans le pire des cas, puisqu'ils n'aiment pas avoir les mains rouges, ils se contenteront de financer la campagne afin que Délimar et les armées jointes s'occupent du 'sale boulot'. Cependant, ils n'apprécient pas réellement l'idée d'une guerre sur un champ de bataille »

Les autres suivaient le même cheminement, avec leurs propres spécificités. Et elle ne blâmait et ne jugeait personne. Mais elle savait aussi qu'un potentiel usage des golems par leurs gens n'était pas le plus probable. Elle ne remettait même pas en cause que beaucoup n'appréciaient pas les Kohans et seraient ravis de les voir disparaître, c'était une évidence et elle ne voyait pas pourquoi elle réfuterait ce que n'importe qui avec des yeux aurait pu voir. Mais ce qui opposait l'Alliance à Sélénia, pour l'alliance elle-même, était un immense symbole fort et prégnant de beaucoup de choses. C'était cette richesse violente et passionnée qui la faisait affirmer qu'un conflit ne se solderait pas de leur côté à eux par une usage des golems. Pour eux… il ne s'agissait juste pas d'un territoire rebelle à écraser.

« Quand vous aurez davantage côtoyé mes concitoyens, vous comprendrez mieux de quoi je parle… Je n'ai pas l'intention de vous enfermer ici en permanence. Une des raisons pour lesquelles tout cela arrive, Roi, c'est que vous ne connaissez pas du tout nos populations, ni ce que nous sommes. Ainsi, vous ne pouvez pas comprendre la façon dont nous pensons et voyons le monde. Sans cette connaissance vous irez forcément au désastre car vous vous cantonnez à voir le monde par votre éducation à vous, alors qu'il est riche de dizaines d'autres visions. Je l'ai appris moi-même lorsque je suis devenue Seigneur de l'Hiver, et plus encore aujourd'hui au sein de l'Alliance. La compréhension mutuelle, voilà ce qui a toujours manqué »

Elle se releva souplement et l'invita d'un geste de la main, haussant un sourcil.

« Je ne doute pas que vous acceptiez… le devrais-je ? »

Ils avaient du temps avant de devoir de nouveau faire voiles vers Cordont pour la signature du traité.

descriptionUn roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan EmptyRe: Un roi sans justice est une rivière sans eau | Nolan

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Quelles pensées pouvaient traverser l’esprit de la fille de Glacern ?  Et quels sentiments se dissimulaient derrière ses mires d’acier et ses traits anguleux ? Ses paroles étaient dures et dénuées d’aménité car cette guerrière nordique n’avait guère pour habitude de s’encombrer de mots de velours, semblables à ceux qui prévalaient à la Cour.

Pourtant, l’empereur-enfant ne parvenait pas à se départir de l’idée que derrière cette armure de fer qu’elle s’était forgée, la dame-loup possédait un cœur généreux et plein de bonté. Peut-être même que malgré que toutes les exactions et les trahisons des membres de la lignée Kohan, celle-ci était prête à lui laisser une chance. Éprouvait-elle de la peur et de la colère envers lui ? Sans doute, mais Nolan savait aussi qu’à l’instar du loup, son esprit-lié, cette digne descendante des Svenn possédait un grand sens de l’honneur et des traditions qui lui interdisait de condamner trop rapidement un enfant innocent pour les fautes de ses pères.

Au fond, le souverain de Sélénia n’était rien d’autre qu’un adolescent affligé d’une cruelle destinée et forcé d’endosser le fardeau d’un héritage inique. Tryghild, aussi endurcie soit-elle pouvait certainement en avoir conscience.

Quant à sa rancœur et aux griefs que cette dernière nourrissait à son encontre, le monarque était capable de les comprendre pour peu qu’il accepte d’ouvrir son cœur.

Derrière sa dureté et son masque d’acier, l’intendante était une femme blessée qui avait vu son peuple trahi et spolié et tentait vainement de panser ses plaies. Son histoire était terrible et tragique.

- Tryghild, je déplore tout le mal que votre peuple et vous-même avez enduré à cause de certains membres de ma lignée.

Les paroles du jeune empereur étaient sincères et dépourvues d’esprit de calcul. Les négociations étaient terminées et il n’avait rien à y gagner, pas même l’espoir illusoire d’amadouer la dame de fer.

A la question suivante de la Nordique, Nolan réfléchit un bref instant avant de répondre :

- Je ne peux pas répondre à cette question avec certitude, mais je ne crois pas que j’y retournerai un jour. Même si c’était possible, retourner à Aldaria signifierait pour moi abandonner Sélénia et je pourrais pas m’y résoudre. Désormais c’est ma nouvelle patrie et c’est avec elle que j’ai envie de construire l’avenir.

Le souvenir d’Aldaria demeurerait à jamais gravé dans sa mémoire mais trop d’images douloureuses l’entachaient et en partant en exode sur l’océan, le jeune Kohan avait en quelque sorte renoncé à son passé, même si ce choix lui déchirait l’âme. Son départ représentait son incapacité à sauver la terre de ses ancêtres de l’invasion chimérique et à présent celui-ci plaçait tous ses espoirs dans l’avenir.

Cependant, des fragments d’Aldaria la Lumineuse vivraient en lui à jamais et Sélénia la Majestueuse était la descendante de l’ancienne cité magique. Au sein de ce nouveau monde, lui et son peuple pourraient garder intactes une part de leurs traditions, tout en tentant d’assimiler les enseignements de cet archipel.
En entendant la suite des paroles de Tryghild, le Sélénien garda le silence, se contentant de hocher gravement la tête.

Et quand la dame-loup se releva d’un geste plein de souplesse et l’invita à s’ouvrir au monde environnant ainsi qu’à la richesse d’autres points de vue qu’il pourrait acquérir en côtoyant ses concitoyens, le souverain de Sélénia se leva à son tour de son siège et répondit d’un ton radoucit :

- Vous avez raison quant au fait que je ne connais que peu de choses concernant votre peuple et votre culture. Puisque les négociations sont à présent terminées, j’aimerais prendre le temps de visiter la ville.

Un léger sourire naquit à la commissure de ses lèvres :

- Et puis comme vous l’avez dit, ici je n’ai pas grand-chose à craindre et je peux facilement me passer d’escorte.

Après cela, le couronné prit congé et s’éclipsa du jardin avant de quitter la demeure de la Dame Loup pour rejoindre les quartiers de l’Océanique et tenter de découvrir l’âme de la cité guerrière.

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