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17 novembre 1762

« … Matis? »

Son nom passa entre ses lèvres interdites comme un murmure dans une flute. Doux et mélodique, mais faible. Peut-être que les deux hommes qui l’escortaient l’avaient entendu, s’ils portaient attention, mais certainement personne d’autre. Les yeux dorés s’écarquillèrent doucement, une mine soucieuse se transforma rapidement en paralysie. Son visage, elle ne l’avait pas vu, d’abord intimidée par la taille impressionnante de l’inconnu . Puis elle avait jeté un deuxième coup d’œil, se demandant qui était cette nouvelle tête qu’elle n’avait pas vu plus tôt. Elle avait, après tout, entendu parler que les Délimariens avaient jetés l’ancre récemment. Puis elle avait figé devant le visage d’un esprit. Était-ce un esprit? L’avait-il vu, figer ainsi?
La veuve se surprit à se demander comment ses cheveux étaient devenus gris aussi rapidement. Il y avait moins d’un an, depuis qu’il…depuis qu’il…
Son visage, ses traits devenaient flous, un à la fois. La veuve avait peur, plus que tout, de tenter de se souvenir à quoi ressemblaient ses yeux car chaque fois qu’elle forçait sa mémoire à revoir quelque chose, tout devenait brumeux. Ses yeux, à quoi ressemblaient ils? Elle voulait encore, pouvoir voir leur expression candide, la manière dont ils se pliaient lorsqu’il était en colère. Et si elle devait toujours se contenter que d’un mot pour décrire ses yeux, à sa mémoire? La misérable insatisfaction que de ne pouvoir nommer que leur couleur. Il était tellement plus grand, c’était impossible. Juste une coïncidence cruelle.

Il ne se passa que quelques secondes de paralysie avant qu’elle sente les battements de son cœur s’accélérer, elle fit quelques pas en arrière, bien qu’elle eût déjà une distance de plusieurs mètres avec le colosse. Son cœur battait si fort qu’elle le sentait vouloir exploser dans chacune de ses veines. Autone posa la main sur la besace à sa ceinture quand elle remarqua qu’elle hyperventilait déjà depuis un moment. Sa respiration s’était-elle accélérée avant ou après son cœur? « Marius… » Le rossignol fit quelques pas confus vers l’arrière et fouilla d’une main distraite dans sa besace. Il devait bien y avoir quelque chose, un éventail, un mouchoir, une potion. Elle ne savait même pas ce qu’elle cherchait, il lui fallait absolument calmer quoi que ce soit qui agitait son cœur à ce moment. Ou se cacher, se cacher était très bien. Pourquoi avait-elle donné son mouchoir à Ivanyr? Elle ne pouvait pas se permettre de se montrer aussi vulnérable ici, devant le peuple et encore moins devant les Délimariens.
Voulant s’adresser à son garde du corps, elle se retourna et posa à nouveau, sans le vouloir, son regard sur le visage qui lui était si familier avant que cette image, elle aussi, ne devienne floue. Le rossignol tenta d’attraper le bras de son garde du corps mais sa main s’arrêta dans le vide, elle sentit ses pieds perdre l’équilibre. Dans son esprit, retentit une question, avant qu’elle ne sente son corps attiré par le sol. « Comment est-ce possible? » Marius, confus, l’empêcha de justesse d’heurter le sol.

Elle ouvrit les yeux du même brouillard qui les avait éteints. Elle prononça, dans sa confusion « Matis … »  alors que le voile devant ses yeux se levait. Elle fronça les sourcils en se redressant, pour être en position assise. La petite dame posa une main sur son front, tentant de se souvenir où elle était.
« Co...Cordont, c’est ça? Qu’est-ce qui s’est passé? » pensa-t-elle à voix haute. « Je ne sais pas, Dame Falkire, vous avez défailli… seulement quelques instants. » répondu Marius, encore déstabilisé par le malaise inattendu. La petite dame observa le ciel et les ombres portées par les campements. Il était certain, au moins, qu’elle n’était pas restée inconsciente plus d’une heure. En vérité, seulement quelques minutes avaient passés. Autone posa les yeux sur sa robe. Pourquoi était-ce le seul jour qu’elle décidait de porter la seule robe longue qu’elle avait emmenée, qu’elle devait se retrouver au sol? Bien qu’elle ne fût pas réellement prête à affronter les questionnements et les rumeurs, elle enfila rapidement le masque de marbre qui la protégeait toujours en politique après avoir laissé un soupir s’échapper. Elle utilisa l’aide de Marius pour se relever et secoua un peu sa robe noire. Sa seule envie à présent était de rejoindre sa tente et de ne jamais en sortir. La petite dame jeta un oeil sur le Nexus du cœur noir qui restait presque toujours à son cou. À quoi s'attendait-elle? Il n'allait certainement pas changer de couleur.

La veuve s’arrêta net et pâlit lorsqu’elle vit le colosse devant elle et détourna les yeux, évitant de baisser la tête, embarrassée.  

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Voilà quelques jours maintenant qu'il avait pris en partie possession de Cordont la Chue, distribuant ses hommes aux quatre coins de la zone sinistrée pour en assurer la sécurité. Les bois proches furent rapidement passés au peigne fin de sorte à ce que le gibier soit évalué et que des équipes de chasseurs soient déployées afin d'apporter une viande fraîche au camps. Les champs proches, ravagés par le tremblement de terre, puis oubliés à cause des récents événements, furent quant à eux de nouveau travaillés pour que la jachère ne soit pas gâchée cet hiver et qu'au printemps prochain les cultures restent abondantes. L'herbe haute fut fauchée, puis brassée et mise dans les granges où le bétail survivant y était entassé pèle-mêle, sans plus de distinction de propriétaire. Dans cet instant de crise, tout appartenait désormais à l'Alliance et les vivres, comme les autres biens et ressources, étaient équitablement distribuées entre les survivants du sinistre. Un rationnement s'imposait, car il était encore difficile d'évaluer avec exactitude le temps que prendrait la reconstruction de la ville et si les autres cités libre ainsi que l'Empire s'alliaient pour subvenir aux besoins de Cordont, les jours ou semaines entre chaque ravitaillement ne pouvaient pas être gaspillés en frivolités. Par exemple, la viande et les légumes frais revenaient en priorité aux blessés, puis venaient les soldats et les ouvriers et enfin le reste de la population. L'intérêt était d'inciter la majorité à participer à la reconstruction de la ville, quelles que soient les moyens employés : chaque participation, de la plus petite à la plus conséquente, était la bienvenue. Le message était limpide : tous devaient mettre leur pierre à l'édifice, sans distinction de rangs ou de compétences. Le premier n'ayant plus de pertinence vue la situation et le second pouvait être remédié via un apprentissage sur le tas. Tout se basait sur la bonne volonté.

De son côté, le travail s'accumulait sur le bureau du Général, les rapports se faisaient de plus en plus nombreux ; récapitulant l'avancé des camps avancés qui se construisaient aux points les plus stratégiques de la campagne environnante. Les patrouilles sillonnaient inlassablement les frontières, la rotation stricte et aléatoire permettant aux hommes de se reposer tout en refusant à l’ennemi la moindre possibilité d'anticiper les routes ou le nombre d'hommes déployés. Bien sûr, la brèche la plus importante dans la sécurité du camps venait tout simplement du Gouffre béant et si le glacernois avait rapidement levé des remparts de pieux et de planches pour éviter que quiconque s'en approche, il ne pouvait malheureusement pas encore descendre pour assurer que les couloirs souterrains soient vides de toute menace. Pour remédier à cette faiblesse dans ses défenses, il avait fait forger des balles en métal dont les cerceaux en maillage serré étaient remplis de braises et de combustibles lents. Torche et brasero combinés en un, ces énormes billes furent ensuite suspendues à des cordages et lestées sur les parois déchirées du Gouffre, permettant d'en illuminer les premières dizaines de mètre en profondeur, facilitant la veille des soldats postés sur son contour. Cette action révéla aussi l'étrange métal bleu qui parsemait les colosses endormis, apportant aux survivants un spectacle toujours aussi merveilleux et féerique dès que le soleil ou les torches sphériques en illuminaient les sillons irisés. Pour maintenir le moral, Sigvald autorisa la construction d'une plate-forme panoramique et fit organiser chaque soir la distribution d'une pinte de bière pour chaque ouvrier et survivants employés à la reconstruction.

Des jours donc que le Général Elusis montrait un visage fort et inébranlable au peuple de Cordont, mais aussi aux troupes Séléniennes et aux alliés de l'Alliance. Il n'oubliait pas son rôle : celui de rassurer les survivants, d'apporter un sentiment de sécurité et de confiance. Avec la sensation de marcher sur des œufs dès qu'il sortait de sa tente ou encore celle d'avoir le poids d'un menhir dans la main chaque fois qu'il marquait la cire de ses rapports du sceau familiale, la tension s'était lentement accumulée et elle tendait désormais ses larges épaules d'une violence latente, prête à exploser en tout instant. Malgré ses efforts pour s'épuiser physiquement, joignant la main d’œuvre sur les charpentes écroulées des bâtiments, aidant à déblayer ou encore à transporter les poutres et autres charges lourdes, rien n'y faisait. Il allait bientôt falloir songer à s'entraîner sérieusement afin d'expulser le plus gros de sa frustration et puisque la Glacern avait accosté il y a peu, Sigvald envisageait de plus en plus à mettre la main sur l'Amiral Svenn. Avec l'immaculé comme adversaire, il pourrait frapper comme un sourd sans craindre de lui faire grand mal... A la perspective de se défouler pour de bon, un vague sourire fauve étira ses lèvres alors qu'il plongeait les mains dans le tonneau d'eau à l'extérieur du bâtiment en reconstruction. Plié en deux, il s'éclaboussa le visage et se mouilla la nuque pour chasser le plus gros de la sueur. Depuis l'aube, il travaillait à la restauration d'une maison encore entière dans ses fondations et qui, une fois habitable, servirait d'auberge de passage pour les blessés en fin de convalescence et aux soldats entre deux patrouilles à l'extérieur.

Alors que l'eau ruisselait de son visage et mouillait le col de sa simple chemise de laine blanche, il entendit plusieurs exclamations dans son dos. Trop occupé à virer la poussière et la chaux des pores de sa peau, il n'y prêta tout d'abord pas attention, mais les glacernois qui l'accompagnaient se rapprochèrent de lui et l'un d'eux posa une main sur son épaule afin d'attirer son attention sur ce qu'il se passait un peu plus bas, dans la même rue. Sigvald soupira, songeant qu'il n'avait pas le temps de s'occuper de quelques spectacles ou altercation et passa une main sur son visage avec un froncement de sourcils. Il profita d'avoir sa dextre trempée pour peigner ses cheveux en arrière, dégageant sa vue et lui permettant d'assister à une scène bine singulière : une enfant venait de perdre conscience. Non, s'agissait-il d'une adolescente ? Elle était si petite et menue, comment pouvait-il faire la différence !? Sourcils davantage froncés, il remarqua surtout la présence d'une escorte à ses côtés et chassa l'hypothèse qu'il s'agisse d'une rescapée de Cordont. Sachant combien la présence d'émissaires séléniens était rare et ne lui serait surtout pas inconnue, il ne restait au Général qu'une solution : l'inconnue était caladonienne. Un vague grondement dépité lui échappa alors qu'il attrapait un linge propre et s'essuyait le visage, puis les mains avant qu'il n'approche à son tour. Ses hommes, en tenue civile, n'eurent cependant aucun mal à chasser la petite foule qui s'était attroupée, assemblant autant des citoyens sincèrement inquiets, que de simples curieux. Silencieux et mains croisées dans le dos en une posture martiale de repos, il observa avec sévérité le visage doux et mélancolique de la jeune femme pour réaliser seulement à cet instant qu'elle n'était certainement pas une adolescente et encore moins une enfant. La donzelle évanouie était une femme mâture et tout dans sa frêle silhouette le rappelait, que ce soit par ses courbes, que dans l'équilibre affirmé de ses traits harmonieux.

Maintenant qu'il avait plus ou moins confirmé l'age et l'identité de cette femme, il lui restait à savoir la nature exacte de sa pâmoison. Vu son teint pâle, était-ce un manque de viande ? Elle semblait si frêle que le glacernois ne s'étonnerait même pas qu'elle vienne à tourner de l’œil à chacune de ses menstruations si elle n'y prêtait pas garde. Ainsi, venir à Cordont avec une condition physique aussi pauvre n'était pas prudent, peut-être devrait-il l'envoyer à l'Hospice pour qu'elle reçoive de quoi compléter les besoins nutritionnels de son corps ? Toutefois, s'il s'agissait d'autre chose, l'indélicatesse de sa proposition risquait de créer des malentendus malheureux et Sigvald n'avait pas envie de se faire encore une fois sermonner par Ilhan. Le froncement de ses sourcils s'accentua, rendant à son visage plus de sévérité encore alors qu'il observait tour à tour le garde d'escorte et la femme inconsciente. Le guerrier ne réalisait pas combien sa présence silencieuse pouvait être éprouvante pour les nerfs et il attendit que la dame se réveille pour s'écarter d'un pas afin de lui laisser la place de se relever. Attentif, il l'observa récupérer les morceaux de sa conscience et lorsque le garde la nomma « Falkire », il su aussitôt à qui il avait affaire. Conseillère de Caladon et protégée du Bourgmestre, elle avait notamment brillé plusieurs fois par ses éclats sur l'ancien continent. Le regard polaire du glacernois se réchauffa à la réalisation qu'il avait là quelqu'un d'honorable et il continua de la détailler avec intensité, gorgeant son esprit du moindre détail, du moindre indice sur sa jolie personne.

« - Dame Falkire. Je suis le Général Elusis, envoyé par Délimar afin de superviser la sécurité et les rénovations de Cordont la Chue. »

Sa voix grave gronda quand leur regard se croisa l'espace d'une seconde, mais la conseillère échappa à l'accroche de ses orbes glacés et perdit plusieurs couleurs à son teint déjà laiteux. Instinctivement, Sigvald tendit une main pour lui saisir le coude, craignant qu'elle ne s'effondre encore et posa un regard inquiété sur le soldat d'escorte avant qu'il ne se penche vers la jeune femme en espérant cette fois croiser son regard et le garder.

« - Vous ne semblez pas bien... désirez-vous être escortée jusqu'à l'Hospice ? »

Il regarda autour de lui, balayant les alentours d'un regard acéré avant qu'il ne lui lâche le bras et ne se redresse de toute sa hauteur. Par les Dieux, cette femme n'était pas plus grande qu'une enfant glacernoise ! Il avait peur de la briser s'il n'y prenait pas garde. Un vague sentiment de malaise l'envahit à cette pensée et il se racla la gorge alors qu'il songeait avec retard qu'un tel état de faiblesse serait probablement une tâche à sa réputation de bourgeoise et de conseillère caladonienne. Le guerrier retint un soupir et après une volée d'hésitation, il ajouta :

« - Ma tente se trouve à l'extérieur de la ville en reconstruction. Là bas, vous pourrez souffler et boire un remontant. »

Il se gratta la barbe d'un geste pensif et se fendit d'un pâle sourire.

« - De plus, cela me permettra de discuter avec vous de votre escorte. »

Sigvald lança un regard qui se voulait rassurant pour les hommes qui l'accompagnaient déjà, ne voulant pas leur laisser croire qu'il comptait se débarrasser d'eux. Toutefois, sa Garde Loup serait un ajout non négligeable à la sécurité d'une personne d'un rang aussi important au sein de l'Alliance. N'oubliant pas ses leçons âprement obtenues avec Ilhan, il lui proposa son bras et attendit de voir sa décision. Quel que soit son choix, il l'accompagnerait jusqu'à destination.

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Tout semblait si rapide et lent à la foi, comme si un brouillard venait entourer sa tête et changer les évènements de leur ordre. Il y avait ses pensées qui s’ajoutaient à cette confusion. Autone tenta d’ignorer les regards inquiets et les curieux, mais ils passaient dans un coin de sa vision et se mêlaient aux choses dont elle avait peur. La veuve dût user de toute sa force d’esprit pour garder une expression froide à l’ouïe de cette voix qui n’avait rien de celle de Matis. Il était plus calme, il était juste…différent. Puis elle fronça les sourcils, comme si elle cherchait quelque chose dans sa tête. Et elle ne la trouvait pas, la voix de son aimé, qui partait avec son visage et tout ce dont elle tentait de se souvenir. Le regard perdu de la dame se retrouva en cillant, puis elle leva la tête quand les mains du glacernois tenaient son coude, comme si elle fût sur le point de tomber à nouveau. Pourtant elle était stable, encore un peu confuse seulement. Autone s’inquiéta à l’idée qu’elle fût en train de jouer le rôle de la demoiselle en détresse. Elle se força à affronter ce regard inconnu quand il sembla chercher le sien, se raccrochant à la certitude que ses prunelles le différenciaient de celui qu’elle avait perdu.

Le visage de l’imbrisée était calme mais il y avait une intensité dans le regard doré qu’il ne pût voir que de près. Elle se sentait mal à l’aise, devant ce géant qui se penchait sur elle. Et elle était effrayée, de craquer à nouveau, si elle n’avait déjà montré trop de faiblesse pour le bien de son image. Elle avait peur de se briser d’avantage, ou de juste se mettre à pleurer si elle ne prenait pas gare.

Autone se sentit déçue de ne pas avoir fait une meilleure première impression. Elle n’avait pas pu, non plus, se présenter correctement, puisqu’il l’avait reconnu des mots de son escorte. Elle ne fût pas nerveuse que le glacernois s’en offusque, c’était peu probable. Pour rattraper la politesse perdue, elle inclina légèrement la tête, au moins pour le saluer respectueusement. Puis elle releva la tête pour le regarder dans les yeux, aussi mal cela pouvait-il lui faire.

« Non. »
prononça-t-elle calmement après un moment de silence. Elle s’arma de résilience avant de poursuivre. « C’est la première fois que cela se produit... Je ne crois pas qu’ils puissent faire quelque chose de toutes manières. »

Elle n’avait que des hypothèses sur ce qui venait de se passer. Enfin, sur le pourquoi. Quelque part elle savait, mais était-il réellement possible que ce ne soit que cette confusion fugace?  L’imbrisée avait déjà ressenti de la détresse mais jamais elle n’avait craqué ainsi. Elle s’était toujours dit qu’elle ne redescendrait jamais là où elle était tombée, qu’alors, tout irait bien. Peut-être était-ce les rêves, ou juste un ensemble de choses.
Son attention fût brisée par des mots prononcés en glacernois derrière le général. Ses soldats semblaient trouver la situation assez drôle. Autone leva un sourcil accidentellement, comme à son habitude puis redirigea son attention vers le général, intéressée par la mention de son escorte. Autone n’aimait pas qu’on sous entende qu’elle était en danger, mais elle ne perçut pas de mépris dans la voix de Sigvald. Elle percevait même une certaine bienveillance en lui, ce qui l’étonnait un peu, bien qu’elle ne sache pas pourquoi. Elle n’avait jamais eu une image négative des glacernois, bien qu’elle méprisât les servants de néant depuis longtemps. Pourtant, de toutes les personnes qui la méprisaient, Autone avait présumé que les Délimariens devaient être à surveiller.

La dame se retint de répondre de manière arrogante, puis sourit discrètement, pour la première fois depuis le début de leur échange. Elle pencha la tête sur le côté, semblant silencieusement considérer son offre avant de simplement accepter son bras pour le suivre. Elle espérait qu’il s’adapterait à sa vitesse, qui nécessairement, avec l’écart de grandeur, serait différente.

« La raison pour laquelle je garde la plus petite escorte possible est que je sais déjà me défendre. J’ai passé la majorité de ma vie à me faire enseigner par les femmes qui m’entourent à manier mes dagues. J’ai appris que je ne pouvais pas compter sur le fait que quelqu’un serait là pour me sauver. Et je n’étais pas noble avant mon mariage, alors le principe de ne jamais être seule est non seulement nouveau mais légèrement désagréable. »
Sans hargne, la veuve regardait devant elle en prononçant les mots discrètement. « Cela dit je ne sais pas si c’est ce dont vous vouliez me parler. On me reproche parfois de ne pas être assez prudente mais je crois que… les gens se fient à mon image sans me connaître. Je ne veux pas mobiliser six gardes armés par formalité si leur aide peut être plus précieuse ailleurs. »

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Les quelques soldats qui l'avaient accompagné pour aider aux chantiers de la nouvelle ville avaient suivi la scène à distance et en silence. Ils n'étaient qu'une poignée, ne faisaient même pas partie de la Garde Loup, et pourtant ils n'hésitèrent pas à chambrer gentiment leur Général. Sigvald était bien plus jeune qu'une majorité d'entre eux, il avait fais ses armes à leurs côtés à Glacern et aujourd'hui encore il les traitait comme des frères plutôt que des subordonnés. Le lien qui les unissait transcendait les strates sociales. C'est pour cela que les commentaires qui fusèrent ne furent ni grossiers, ni irrespectueux à l'égard de la jeune femme. Bien que peu éduqué pour la plupart, le respect d'autrui était profondément ancré dans leurs os, inculqué depuis le berceau, puis un service militaire exigeant, presque inhumain pour les autres nations. Les commentaires, donc, visaient davantage leur camarade et comptaient, entre autre du : « Regardes toi, si vilain avec ta fausse barbe que les jeunes filles en tombent dans les pommes », se gaussa un immense glacernois à l'impressionnante toison aussi noire que du jais. « Que va penser la Louve si jamais elle entend la rumeur que son promis fait tomber les caladonniennes à ses pieds dès qu'ils sont séparés par quelques collines ? », ajouta un autre avec un sourire goguenard, accoudé à sa pioche. Sigvald, pour sa part, se contenta de rouler des yeux avec l'ombre d'un sourire, se promettant de faire manger la poussière à tous ces idiots lorsqu'ils se retrouveraient au prochain entraînement commun.

N'aurait tenu à la faiblesse passagère de la Conseillère, il aurait réglé ses comptes immédiatement. Toutefois, la main délicate et minuscule qui se faufila au creux de son coude eut l'effet d'une longe à l'encolure d'un étalon fougueux et le guerrier rongea ainsi son mord pour l'accompagner jusqu'à sa tente, sans faire cas des rires amusés et taquins qui le précédèrent. Le logement temporaire se trouvait au cœur du campement délimarien dont les nombreuses tentes et camps se déployaient en quinconce, formant une spirale évasée sans lignes directes en son cœur lourdement protégé. Les premières lignes extérieures étaient des soldats classiques, puis venait les « écuries » où les puissants chevaux glacernois et almaréens étaient jalousement surveillés et choyés, véritable fierté culturelle. Les secondes lignes armées étaient encore des soldats basiques, bien qu'aussi redoutables que n'importe quels autres, puis enfin à mesure que l'on approchait du centre, l'on pouvait distinguer un brusque changement sur la zone protégée par la Garde Loup. Ces vétérans de guerre possédaient une rigueur encore plus exemplaire que leurs compatriotes et le camps, rendu à ce niveau, était impeccable. Les feux étaient cerclés de pierre, la cendre souvent balayée et préservée pour les prochaines cultures, comme engrais pour le sol. Les fumoirs à viande et à poisson étaient scrupuleusement surveillés, les rotations de pailles fraîches pour les chemins de ronde ou encore les couches ne sautaient jamais. A l'approche de leur Général, les hommes et femmes le saluèrent avec chaleur et respect avant qu'ils n'offrent une salutation plus réservée à l'inconnue qui l'accompagnait. Les regards expérimentés vinrent ensuite jauger l'escorte de la caladonienne, essayant d'estimer leur qualité et de décrypter leurs expériences passées.

« - Savoir se défendre contre un adversaire en combat singulier ou bien être capable de se sortir d'affaire quand on est confronté à un petit nombre d'adversaires n'a plus réellement de pertinence lorsque le conflit prend des ampleurs plus conséquentes, Dame Falkire. Mais nous en parlerons une fois arrivés. »

Silencieux lors de leur traversée du village en ruine, puis de la ville en construction, le glacernois ne reprenait la parole qu'à l'approche de sa tente circulaire et n'ajouta rien de plus après cela. Le ton qu'il employa n'avait rien eut de paternaliste et encore moins de méprisant. Il s'agissait d'un simple constat, basé sur son expérience personnelle. Après quelques minutes supplémentaire de marche, il s'arrêta à l'entrée de son logement et souleva l'épaisse tenture pour inviter la jeune femme à y pénétrer. Élevant à sa suite un bras à hauteur du torse des hommes qui l'escortaient, il leur refusa l'accès et, d'un simple signe de tête, leur désigna un feu de camps à quelques pas de là où plusieurs de ses Gardes Loups se reposaient en jouant aux dés.

« - Je ne remets pas en doute vos capacités. Vous n'avez pas besoin de vous montrer aussi défiante à mon égard. Nous autres, glacernois, n'avons pas pour habitude de discriminer une personne en fonction de ce qu'elle a, ou n'a pas en l’occurrence, entre les cuisses. Nous nous basons sur les compétences prouvées et je crois que les vôtres n'ont plus besoin d'introductions. »

La remarque, acerbe, ricocha contre les parois isolantes de la tente à la façon d'un grondement presque animal, rauque et grave. Le regard pâle du champion tomba sur la fine silhouette et la jaugea longuement en silence, sans marquer la moindre hostilité sur ses traits, avant qu'il ne la dépasse pour approcher d'un petit meuble contenant deux placards à hauteur du sol. Ce dernier, notamment, était couvert de tapis et de pailles fraîches autant pour l'isolation que le confort. La majorité de la place était encombrée par une grande table qui servait visiblement aussi bien de centre stratégique que de bureau de travail si l'on se référait à l'immense carte régionale clouée sur le dessus, autant qu'aux nombreuses piles de parchemins et de tablettes. Accroupi, le délimarien fouilla dans le compartiment et quand il se releva, ce fut pour révéler une bouteille de liqueur de noix vertes avec deux petits verres. Un vague sourire illumina son visage aux traits sévères lorsqu'il fit danser le liquide sombre d'un geste tentateur.

« - Voilà quelque chose qui vous aidera à garder vos esprits, surtout par ce froid. Mhm, il est certain que ce n'est pas l'Hospice qui va prodiguer ce genre de remède, n'est-ce pas ? »

Vaguement amusé, il vint faire le service à un angle de la table et s’essaya sur un autre avec nonchalance, à l'aise au cœur de son territoire. Le reste de la tente était divisé en deux autres « pièces » avec dans un arrondi un espèce de salon improvisé, tandis qu'à l'opposé un paravent cachait sûrement la couche du Général ainsi que son coffre et ses effets personnels.

« - Allons au cœur du sujet, Dame Falkyre. Vous n'êtes pas sans savoir combien la situation est désormais tendue entre l'Alliance et l'Empire. Malgré notre lourde présence militaire, Sélénia possède en face une troupe conséquente ainsi que trois jeunes dragons. Je n'ai malheureusement pas pu emporter dans mes bagages une de nos bonnes vieilles balistes... donc la menace qu'ils représentent ne peut pas être écartée. C'est parce que nous pouvons nous confronter à tout moment à une rupture du traité de paix que je souhaite confier votre protection à certains de mes hommes. »

Une fois de plus, le ton cynique du glacernois grinça dans le silence de la pièce. La température y était confortable grâce à un brasero qui crépitait non loin du coin salon. D'ailleurs, Sigvald sembla se rappeler combien les autres peuples étaient frileux en comparaison du sien et il quitta son coin de table pour inviter la jeune femme à s'installer parmi les coussins et fourrures qui entouraient une petite table basse. Veillant à lui laisser la place la plus proche des braises vives, il s'installa en tailleurs et s'accouda d'un bras à la surface de bois vernis.

« - Ma Garde Loup est une faction d'élite au sein de notre armée. Elle est, en temps normal, uniquement attachée aux familles principales de Délimar et n'intervient qu'en cas de gros conflits armés.J'ai apporté avec moi deux cents cinquante Loups, ils vont être principalement distribués entre vous, Dame Falkyre et Sir Avente. Une plus petite portion restera avec moi tandis qu'une autre, d'égale mesure, protégera le Bourgmestre Leweïnra. »

Il bu une première gorgée.

« - Comme je l'ai dis, je ne doute pas de vos compétences face à une confrontation mineure. Tout comme je ne remets pas en cause celles de l'elfe ou encore de la sangsue qui lui colle aux braies. »

Une lueur sombre, dangereuse, vrilla fugacement dans les orbes gelés du glacernois. Cet éclat ne troubla cependant ni le timbre profond et calme de sa voix, ni le masque impénétrable de son visage. Comme si rien de choquant ne venait d'être prononcé, Sigvald poursuivit sur sa lancée :

« - La Garde Loup aura principalement comme fonction de vous servir d'escorte en cas de guerre soudaine avec Sélénia ou toute autre menace majeure. Leur mission sera de vous extraire d'urgence de la zone de conflit pour vous escorter jusqu'à un point de ralliement sécurisé plus au Sud, dans nos terres. »

Il marqua une légère pause et l'observa avec un vague froncement de sourcils inquiets lorsqu'il se rappela dans quelle condition physique s'était retrouvée la jeune femme quelques minutes plus tôt. L'homme se mordit la langue pour avoir encore manqué de tact et oublié, l'espace d'un instant, qu'il n'avait pas une solide glacernoise face à lui, mais une frêle et faible glorienne.

« - Est-ce que vous comprenez mieux les points stratégiques et organisationnels que je souhaite aborder avec vous ? Enfin, plus important, herm... vous sentez-vous de les aborder ou souhaitez-vous vous allonger quelques minutes d'abord ? »

Il se sentait terriblement maladroit en l'instant et détestait ce sentiment.

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Elle n’était pas vraiment capable de s’imaginer être attaquée par plus de deux ou trois personnes, pas seulement parce que cela ne s’était jamais produit, pas par surprise. La bataille de Sandur avait été son plus grand affrontement. Et elle avait cette idée que dans la pire des situations elle pourrait toujours prendre la fuite par la mer, ou se faufiler entre les gens comme cela l’avait sauvé de nombreuses fois, dans la prison volcanique. Elle se revoyait courir dans la masse étouffante et ne dit rien, alors que Sigvald imposait le silence. Elle entra dans la tente et constata, seulement lorsque le loup fût entré, qu’il eût refusé l’accès à sa garde.

Elle ignora la remarque, bien qu’elle s’amusât tout bas qu’il la croit défiante. Il en fallait plus que cela pour qu’elle commence à mordre. Autone sourit sincèrement au trait d’humour, songeant qu’en effet, elle n’aurait pas prescrit tel traitement aux blessés qu’elle aidait.  Elle gloussa et prononça un simple « Merci » amusé avant d’accepter le verre qui lui fût servi. Elle s’assied en tailleur lorsqu’elle y fût invitée, prenant soin de garder sa robe par-dessus ses cuisses et ses genoux.

La veuve but sa première gorgée lorsque le loup insulta son fils de cœur, s’efforça de ne pas réagir et contrôla sa respiration pour éviter un soupir. Mais cela se voyait sur son visage, elle était tout à coup, plus fermée. Combien d’homme cela signifiait-il pour elle? Elle imaginait le nombre et paniquait déjà. En réfléchissant, elle fronçait les sourcils et perdait le contact visuel avec Sigvald, jusqu’à sentir une hésitation de sa part. Elle fût un peu surprise de la question et releva la tête pour le regarder dans les yeux.

« Je suis ici et je ne sais pas si nous trouveront un autre moment pour discuter de cela. Je m’étendrai plus tard, dans ma propre tente. »

Elle avait, inconsciemment, levé un sourcil. Autone prit une gorgée, pour se laisser une seconde de plus pour réfléchir à la situation. Si Orfraie prenait les armes, elle pouvait mettre le royaume elfique dans une situation diplomatique difficile, cela dit elle avait prouvé plus d’une fois qu’elle était sa propre personne. Qui plus est, elle était peut-être Ataliel mais elle n’était plus une elfe. Et personne ne pouvait vraiment reprocher à Aegnor de ne pas pouvoir la contrôller. Luna, elle qui se disait pacifiste et idéaliste, partirait-elle attaquer les citées libres à dos de dragon si c’était ce qu’elle croyait être juste? « Luna Duruisseau se dit pacifiste, Orfraie Ataliel est une elfe et Nolan… » Dit-elle, toujours l’air pensive.
Un sourire narquois aux lèvres, elle pencha la tête sur le côté, puis reposa son regard sur le loup. « Qu’en pensez-vous? Est-ce que l’enfant roi attaquera les citées libres à dos de dragon? » Elle prit un air plus sérieux. « Je pose la question car elle me semble importante à considérer, mais je sais que vous vous préparez à toutes les éventualités. Et je suis reconnaissante de votre initiative. »  

Autone refusait de s’imaginer Luna, fonçant sur les Caladoniens, ou de devoirs combattre avec elle. Pourtant c’était l’image que le Délimarien lui imposait. Elle se sentait sur le point de faire une grave erreur diplomatique.

« Ce n’est pas seulement une question de capacité. Comment dire… J’ai côtoyé les Kohan dans la dernière décennie plus que je ne l’ai désiré. J’ai subi leurs décisions, leurs alliances et leurs problèmes familiaux qui n’auraient jamais dû concerner le peuple. Chaque fois qu’on me vendait un idéal monarchique quelque chose tiquait chez moi. Puis j’ai mis le doigt dessus. Vous savez ce que je hais? Une attaque surviendrait, mettant en dangers des centaines de civils et le soldat qui dit servir son peuple crie ‘’Mettez l’empereur à l’abri!’’

Et c’est pour ça que j’ai quitté Selenia. Si une attaque survient, ici à Cordont, je ne vais pas me cacher derrière une cinquantaine de soldats qui pourraient sauver plusieurs civils. Le principe qu’une vie noble vaut plus qu’une autre me dégoute. S’il survient un conflit, ici à Cordont, je serai en train de fouiller mon grimoire et ma mémoire pour trouver un moyen de protéger les innocents. »  


Elle prit une gorgée, tentant de ne pas s’emporter dans cette haine qu’elle avait gardé silencieuse, pour sa propre survie, depuis le moment où elle avait posé les yeux sur Fabius. « Mais, nous parlons d’un conflit armé impliquant une quantité importante d’homme. Si quelqu’un voulait s’en prendre à moi, spécifiquement, il est vrai qu’une escorte compétente pourra être utile. Et il est vrai que Marius a failli à avoir le bon réflexe tout à l’heure. Non je ne rejette pas votre proposition. Mais sachez que je n’ai pas pour habitude d’être obéissante. La seule partie que je refuse est celle-ci : En cas de conflit, je ne resterai ni en retrait, ni en sécurité. »  
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Son expression ne refléta aucune de ses pensées et il préféra garder le silence lorsque la femme lui demanda de confirmer son avis sur l'Empereur et l'hypothèse d'une attaque à dos de dragons. Ses yeux pâles continuèrent de la vriller de leur sévérité alors qu'il s'était simplement contenté d'un bref hochement de tête quand elle lui avait assuré pouvoir attendre avant de se reposer. Le léger pli entre ses sourcils s'accentua à peine et il pencha sensiblement la tête sur le côté, écoutant ce qu'elle avait à lui répondre. S'il n'était pas ici pour débattre de ses tactiques militaires avec une novice et n'avait, de surcroît, aucun compte à lui rendre concernant ce domaine, il ne lui coûtait rien de la laisser s'expliquer. Qui sait, peut-être apporterait-elle la lumière sur un détail qui lui aurait échappé, même s'il en doutait. Après tout, il ne fallait jamais sous estimer la capacité d'observation d'un civil... et encore moins celle d'une femme.

Et il fut récompensé de sa décision, non pas que les paroles d'Autone soient pertinentes, mais elles éclairaient un problème que le Général Délimarien était bien content de confronter maintenant plutôt qu'au cœur d'une véritable bataille. A mesure que la femme exposait une plaidoirie qu'il ne lui avait en aucun cas demandé, exposant des arguments sur des accusations qu'il n'avait pas tenu, il plissa des yeux et se renfrogna de façon évidente. Pourquoi cherchait-elle à se justifier ? Le froncement de ses sourcils s'accentua et il décrocha enfin son regard du petit brin de femme pour observer le fond de sa liqueur. Rapidement, le glacernois chercha où il avait pu commettre un impaire qui aurait mené la caladonnienne à prendre la mouche et fut consterné de n'en trouver aucun. Aurait-il pu se vexer d'être mis au même rang que les Séléniens qu'il l'aurait fais, mais il sentait instinctivement qu'Autone se défendait contre autre chose : une blessure plus ancienne et profonde. Il décida, pour cette fois, de laisser glisser.

« - Vos intentions sont louables, Dame Falkire. Cependant... »

La voix traîna alors qu'il relevait les yeux de son verre pour la vriller d'une attention sévère. Son visage restait muré d'un masque neutre, bien que la tempête qui couvait dans ses yeux couleur d'ardoise trahisse le tempérament fougueux du guerrier. Il marqua une pause, sembla peser ses mots avant de finalement se décider. Il ne pouvait pas laisser un comportement aussi dangereux être cautionné par une prise de silence et il préférait largement circonvenir tout risque maintenant, plutôt que d'avoir à réparer des torts plus tard.

« - C'est pourtant de l’obéissance qu'il vous faudra démontrer, surtout si vous vous obstinez à rester sur Cordont en cas de conflit. Je ne peux tolérer un soldat qui n'en fait qu'à sa tête ! Et c'est bien le rang que vous aurez si vous décidez de prendre part au combat. Vous devrez obéir à chacun de mes ordres et adapter vos actions en fonction des troupes qui vous épauleront, ne vous déplaise ou pas. »

La remarque cingla l'air avec autorité, péremptoire, alors qu'il se redressait sur son assise et l'observait sans aucune douceur ni compassion, de toute sa hauteur. Son visage était impassible, sans aucun mépris ni haine, mais qui n'admettait visiblement pas un comportement aussi anarchique et égoïste. Il marqua un silence avant de sembler se détendre, puis de légèrement s'adoucir quand il reprit la parole pour étayer ses propos.

« - Comprenez moi bien Dame Falkyre, je ne suis pas contre l'idée de vous avoir sur le terrain. Je serais idiot de refuser une telle force de frappe et même si côtoyer la magie ne me réjouit pas plus que cela, j'ai conscience de l'avantage que vous, comme les autres aides du Bourgmestre, sauraient nous apporter dans l'idée d'une frappe décisive.
Cependant il faut que vous réalisiez que vous ne serez pas seule sur le terrain. En plus de ma Garde Loup, je possède un millier de soldats réguliers. Mes troupes se composent principalement de glacernois et d'almaréens... autant de personnes qui ne pratiquent pas ou très peu la magie. Nos tactiques et manœuvres ne prennent pas en compte les mages, au contraire, mes hommes sont davantage habitués à les combattre et à déjouer leurs plans aussi vite que possible.
 »

Il avala le reste de sa liqueur d'une seule gorgée et déposa le verre près de la bouteille, s'essuyant la commissure des lèvres avec le pouce de sa dextre. La chaleur de l'alcool l'aida à composer davantage encore son tempérament belliqueux et il poussa un long soupir inaudible avant de poursuivre :

« - C'est pourquoi si vous décidez de n'en faire qu'à votre tête, vous allez causer plus de mal que de bien. Ça, je peux vous le garantir. »

Il éleva une main pour l'inciter au silence, ne désirant pas être interrompu maintenant. Il l'observa avec gravité, la jaugeant de la tête aux pieds avant qu'il ne hausse légèrement des épaules et ne secoue la tête de droite et de gauche. Les autres peuples échappaient totalement à sa logique, engoncés de problèmes qu'ils s'inventaient et bloqués par des œillères plus grosses que leurs égaux. Toutefois, il pouvait sentir qu'Autone n'était pas taillée du même bois, enfin, pas complètement. Son désir de rester pour protéger les civils était spontané, porté par une réelle philanthropie et il ne pouvait décemment pas cracher dessus simplement par confort personnel. Le Général sentait déjà poindre un mal de crâne à l'idée de devoir gérer cette femme en même temps que ses troupes. Il attrapa la bouteille pour se resservir, vérifia que son invité ait toujours de quoi se désaltérer, avala une nouvelle gorgée avant de continuer.

« - Je peux aussi affirmer, rien qu'à vous regarder, que vous ne changerez pas d'avis... et ce n'est pas pour me déplaire. Une femme de caractère est une femme de qualité, après tout. »

L'ombre fugace d'un sourire vint adoucir l'austérité de ses traits. Une femme docile et soumise était écœurante, une honte pour ce noble sexe capable de porter et d'engendrer la vie. A Glacern, le respect des femmes était infaillible car tous savaient que c'étaient elles qui enfantaient les farouches guerriers. Elles seules qui permettaient à un peuple de prospérer dans les âges et les mémoires. De plus, il suffisait de voir Tryghild pour savoir qu'une femme n'avait absolument pas à rougir en terme de capacités martiales ! Non, décidément, il ne comprenait pas pourquoi les autres peuples persistaient à les avilir de la sorte et les écarter des postes d'importances. Sortant de ses réflexions, il se gratta une joue mangée de barbe avec une expression plus détendue et ouvertement songeuse.

« - La protection des civiles sera une priorité si jamais un conflit devait éclater, cela va sans dire et puisque ce détail semble vous porter particulièrement à cœur, je peux vous incorporer dans les troupes dédiées à l'escorte et la sécurité de ces innocents. Bien sûr, si vous avez réellement le désir de sauver les réfugiés et si vous n'agissez pas simplement pour prouver à autruis que vous valez mieux que votre voisin... alors j'ose espérer que vous serez présente lors de tous les exercices et de toutes les manœuvres des-dites troupes ? »

Sigvald haussa un sourcil, attendant de voir si la femme était réellement sincère et motivée ou s'il elle n'agissait que par intérêt personnel. Il avait encore beaucoup de points et de détails à aborder, mais il préféra marquer un silence et, d'un vague geste de la main, l'incita à prendre à son tour la parole en espérant qu'elle ne pique pas une crise. Il ne supportait pas les femmes hystériques et regretterait d'avoir à l'assommer. Enfin, il doutait quand même que la Conseillère et favorite du Bourgmestre soit ce genre de lunatique, c'était d'ailleurs sur cette base qu'il s'était permis autant de franchise et de sévérité.

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Elle l’écouta, sans tenter de l’interrompre et en ne réagissant presque pas. Elle avait l’habitude, à présent, de rester droite et calme lorsqu’elle se sentait commettre une faute. Parce qu’elle le savait, que tout ce qu’elle venait de dire était une erreur. Elle se sentait bête et à la fois, elle comprenait, pour une première fois, qu’elle entrait dans un monde différent lorsqu’il s’agissait des glacernois. Il n’était pas nécessaire de se justifier, ou de tenter de se montrer plus convaincante, plus tenace que l’autre pour faire en sorte qu’on considère seulement ce qu’elle avait à dire comme valable. Et Sigvald, n’avait définitivement aucune idée de ce qu’une femme avait à faire pour avoir le droit de parole. Mais les outils, les chemins qu’Autone devait prendre pour y parvenir étaient inutile chez un homme qui ne faisait pas partie de cette réalité hiérarchique entre les hommes et les femmes.
Il fallait japper plus fort qu’un homme Glorien, aller jusqu’à mordre s’il le fallait, pour être écoutée. Mais cela n’avait rien à voir avec les loups.
Lorsqu’il eût terminé, elle échappa un sourire en coin et gloussa, admirant l’exploit de joute verbale qu’il venait d’effectuer. Il l’avait même flattée, entre temps, pour apaiser les tensions. Elle laissa s’écouler quelques secondes de silence, comme à son habitude, pour s’assurer qu’il eût bel et bien terminé de parler.


« Habile. »
souffla-t-elle avant de prendre une gorgée. Elle savait très bien qu’il tentait de la coincer, elle n’avait pas le choix à présent de dire oui, ou s’en allait sa crédibilité. Sauf que le fait d’accepter était obéir à son piège. Elle n’y avait aucun mérite.


« Je ne savais pas que vous aviez déjà prévu cela, mais je n’ai pas présumé que vous ignoriez cette partie de la population. Je ne suis pas venue à Cordont pour des raisons diplomatiques. J’ai eu l’occasion de conseiller le bourgmestre par projection astrale, mon travail était fait avant de monter sur un navire. Je suis venue à Cordont pour aider. Pour l’instant, j’ai participé principalement à l’hospice, mais si je peux me joindre à vos troupes pendant des répétitions, je suis disponible. »

Son sourire s’élargit légèrement, sans moquerie ou amusement, non, ce qu’il y avait dans ses yeux, c’était la conscience d’une situation un peu absurde, elle riait intérieurement à l’idée d’un glacernois lui ordonnant de lancer l’un ou l’autre de ses sorts.


« J’ai déjà eu le rang de soldat. Quand je parle d’obéissance, je parle d’autre chose. Je n’aurais pas dû vous parler comme on parle à un homme Glorien. Il faut leur montrer que l’on est insoumise avant de parler, sans quoi il est impossible d’être écoutée. Je sais à présent que c’est inutile vous concernant, si vous voulez pardonner ma maladresse.
Cela dit, si vous me commandez en cas d’attaque et que je contribue avec de la magie, soit vous devrez connaître mon grimoire, soit nous devrons communiquer de manière…floue. L’idée d’un général Délimarien commandant des sorts me semble…comique »
gloussa-t-elle. Elle reprit un air plus sérieux avant de poursuivre.


« Quoi qu’il en soit, si vous m’invitez en effet à des répétitions, je peux vous communiquer quels sorts en particulier me sembleraient utile et vous jugerez lequel vous désirez voir sur le terrain. »

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Il ne la quittait pas des yeux et, lorsqu'elle précisa les raisons exactes de sa venue, ses vœux, ainsi que le désir sincère de participer à l'effort commun, il ne pu que répondre à son sourire par un autre. Le corps massif du glacernois sembla se détendre alors qu'il s'installait plus confortablement dans les coussins qui formaient une dossier improvisé. Il prit une gorgée et savoura la chaleur de l'alcool avant de déglutir, essuyant ses lèvres d'une caresse du pouce, l'air toujours attentif. Savoir qu'elle avait déjà servi dans l'armée lui fit hausser un sourcil dubitatif, non pas qu'il doutait de ses compétences en magie, mais bien parce qu'elle n'avait absolument pas l'attitude d'une ancienne soldat. D'un autre côté, si elle avait effectivement participé à l'effort dans les rangs gloriens alors il n'y avait pas matière à le surprendre vue la qualité de ces derniers. Il n'y avait rien de bon à conserver là-bas.

Ne désirant pas s'attarder là-dessus, Sigvald se concentra sur les excuses que lui servait la Conseillère et il haussa cette fois-ci des deux sourcils alors qu'il se renfrognait légèrement au fait d'apprendre que l'autre avait adopté avec lui le même comportement qu'en présence d'un fichu Glorien. L'espace d'un instant, il manqua de se vexer pour de bon et crispa un peu des mâchoires, puis il se rappela combien les femmes de l'Empire étaient formatés, rabaissées et mésestimées. Au lieu de s'énerver, seul un long et lourd soupir ébranla sa haute silhouette et il secoua une main comme pour chasser un sujet aussi désagréable que propice aux conflits inutiles. Il trouvait simplement dommage qu'une femme supposément versée dans la politique commette une erreur aussi grossière à son encontre. Après tout, Délimar était gouvernée par une femme ! Par les Dieux, ils acceptaient même un Althaïen comme bras gauche à la direction de l'Assemblée. Alors question sexisme ou xenophobie, on repassera.

La suite, toutefois, le fit légèrement tiquer et le timbre rocailleux de sa voix adopta aussitôt un tranchant plus sec et autoritaire :

« - Nous ne sommes pas à ce point stupides. Nous sommes plutôt bien versés en terme de stratégie militaire, je crois d'ailleurs que nous avons largement prouvés nos compétences face aux Almaréens, lors de l'Aube Rouge ou encore au cour de la guerre d'indépendance pour l'Alliance. Donc oui, nous userons de cryptologie pour communiquer en combat, Dame Falkire. Une technique que je pratique déjà couramment avec mes hommes sur le terrain. »

S'il perdait de sa patience ? Oui. S'il hésitait à la mettre finalement dehors pour ne plus en entendre parler ? Peut-être. Seule la menace que représentait Autone si elle devenait un élément libre l'empêchait de céder à la tentation. La sécurité de ses troupes et le respect des manœuvres étaient trop conséquentes pour qu'il abandonne aussi vite et permette à cette furie d’œuvrer comme bon l'entendait. Toutefois, si elle tentait de jouer d'humour et de bonne humeur pour s'attirer de quelconques faveurs, elle allait rapidement se heurter au mur d'impassibilité du Général lorsqu'il abordait un sujet aussi sérieux et délicat à son attention. L'acier de son regard gris la cloua de sévérité alors qu'il faisait des efforts considérables pour ne pas repartir dans un monologue d'instructeur envers une jeune recrue. Avec une profonde inspiration, Sigvald continua d'un ton radoucis :

« - J'aurais principalement besoin de sorts pouvant handicaper les mouvements des troupes adverses sans heurter mes hommes ou rendre le terrain par la suite impraticable. Si possible, des sorts offensifs précis pour les flancs et les forces arrières seraient un plus... bien sûr, avec l'hypothèse d'une attaque dans le campement, il faudra éviter tout ce qui est lié au feu. »

Un moment pensif, il se frotta une joue mangée de barbe avant de poursuivre :

« - Je crois me souvenir que vous possédez quelque chose comme Immobilisation, Glissade et d'autres tours du genre. Sont-ils effectifs sur plusieurs cibles ou seulement une à la fois ? Des murs de pierre, aussi, seraient intéressants dans le cas de confrontations dans les rues du camps ou même dans la forêt, afin de créer des entonnoirs et de couper toute retraite, voire empêcher l'arrivée de renforts. »

Il n'était certes pas un mage, mais il avait pris grand soin d'étudier un minimum leurs livres de sorts afin de savoir reconnaître la plupart des gestes clés et des dangers qu'ils entraîneraient. S'il n'était pas rendu au niveau des Brises Sorts, il était toutefois un bon élève et tenait à connaître ses ennemis aussi bien qu'il connaissait ses alliés.

« - Il faudra me renseigner sur votre niveau ainsi que vos possibles spécialisations, si jamais vous en possédez. Des sorts de soins seraient toujours utiles, mais à vous seule ce serait comme de vous demander de vider un seau avec une cuillère. »

Ses sourcils se froncèrent sous la concentration dont il faisait preuve et Sigvald finit par se redresser, puis se hisser sur pieds pour aller vers son bureau où il attrapa plusieurs parchemins vierges et du fusain avant de revenir auprès de la jeune femme. Il serait plus aisé d'expliquer les manœuvres classiques et lui trouver le meilleur placement en leur sein s'ils couchaient tout cela sur papier avec des croquis.

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« En effet. »

Commenta-t-elle simplement lorsque le général terminât de parler. Elle avait l’habitude de s’en sortir avec de l’humour et n’avait pas l’habitude des Glacernois. Toute cette rencontre était une gaffe monumentale, à commencer par le début. Elle aurait dû rentrer à sa tente lorsqu’elle était encore dehors.

Autone ouvrit le sac à sa ceinture et sembla chercher un moment. Elle sortit son petit encrier, une plume et un carnet de sorts qui n’avait rien de l’ampleur de son grimoire, mais qui suffisait en cas d’oubli. Elle feuilleta les petites pages, le carnet ouvert sur ses cuisses, en sortant du papier de sa besace : elle se permettait ce luxe, à présent qu’elle le pouvait.

« Le mur de pierre est… Inutile. Il prend du temps à s’ériger et il n’est pas très long. J’attends encore la situation dans laquelle il serait utile. »

Elle écrit sur le petit papier posé sur la table, que le sort de glissade était individuel et continua à énumérer ses quelques sorts de contrôles de terrain. Prison de terre, trombe, lisière d’eau, etcetera.

« La plupart des sorts de contrôle de terrain rendent le terrain impraticable pour tous ensuite…Mais habituellement j’utilise ce sort avant que l’ennemi n’arrive assez près de mes alliés. Cela peut ralentir quand on a besoin de gagner du temps. »

Elle marqua Vapeur toxiques « C’est un peu…vicieux mais c’est utile, quand l’ennemi est un peu éloigné. Brouillard, fait un effet semblable, mais cesse la respiration. » Elle l’écrit en le disant. « Lumière vive est rapide et efficace, il aveugle pour un court temps mais ne prend pas non plus beaucoup de temps à faire. Évidemment je suis capable d’être prudente concernant ma cible. »

Elle hésita devant les sorts de niveau maître, qu’elle apprenait tout juste et qu’elle n’utilisait jamais réellement, seulement en entraînement. « Et dans le pire des cas…Il y a le mur de force. Cela pourrait être utile, pour les civils. »

Autone soupira intérieurement en pensant à Orfraie et à Firindal qu’elle avait monté. Si les deux armées s’affrontaient, Luna allait-elle être pacifiste ou se ranger du côté de son frère?
« Et je ne guérirai pas magiquement vos hommes. À moins qu’ils ne le demandent. Je me suis suffisamment fait engeullée à Sandur pour avoir essayé. »

Le rossignol se retenait de mentionner les Almaréens, Peu importe ce qu'elle en pensait, et son opinion était bien forgé à leur sujet, ils étaient ses alliés et elle devait les tolérer.

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De son côté, il commença à prendre des notes sur ce qu’elle lui expliquait. La magie était un véritable mystère pour lui, une tare dont souffrait l’humanité et qui la rendait dépendante, voire vulnérable comme ils en avaient tous eut la preuve face aux Almaréens… puis face aux Chimères. Toutefois, quand la Trame se révélait stable et efficace, l’utilisation de la magie avait ses avantages. Le nier serait hypocrite. Un soupir silencieux lui échappa et il lança un regard en coin vers la Conseillère, penchée sur son petit cahier de notes. La voir nécessiter d’anti-sèche n’était pas forcément pour apaiser ses craintes concernant les mages en général, mais il se garda bien de faire tout commentaire.

« - Il serait utile en préparation à une volée de flèches… avec une bonne synchronisation, il pourrait sauver bien des soldats en étant utilisé comme un bouclier, non ? »

Il ne s’attarda cependant pas plus sur le sujet et attrapa le petit papier pour le tourner dans son sens et en lire l’intitulé, puis la liste de sorts concernés.

« - Rendre le terrain adverse impraticable freinerait une possible retraite voire un rassemblement des troupes pour une nouvelle manœuvre, qu’elle soit offensive ou défensive. Dans le cas présent, nous voulons défendre le camps, piéger ses alentours ne devrais pas trop nous concerner. »

Le sort suivant avait un titre aussi sinistre que ses effets et si Sigvald s’efforça de rester impassible, il sentit tout son être se révulser. Même à ses pires ennemis il ne voulait pas leur infliger un sort aussi horrible… les vampires ne comptaient pas, puisque ces monstres ne respiraient plus. Une légère impatience le gagna alors qu’il répliquait du tac au tac :

« - Le brouillard pourrait couvrir les civiles dans leur fuite, est-il possible de l’accrocher à quelqu’un pour qu’il se déplace avec tout le temps de son effet ? Doit-il obligatoirement bloquer la respiration ? »

Était-il tombé sur la seule mage qui ne savait absolument pas quoi faire de ses sortilèges ? Les preuves devenaient presque accablantes contre la caladonnienne qui épuisait déjà ce qu’elle avait à offrir. Peu convaincu, le Général passa une main sur une joue pour y frotter pensivement sa barbe. Il ne voulait pas être inutilement rude avec elle, mais il devait admettre qu’il n’avait pas la moindre idée de quoi faire d’elle… Un soupir lui échappa alors qu’il ramassait les bouts de papiers pour les relire.

« - … Content de savoir que vous savez retenir vos leçons. »

Un vague sourire étira ses lèvres au commentaire acide et il lui coula un regard en coin avant de s’adosser dans les coussins et de croiser les bras, encore songeur. Un plis pensif barra son front alors qu’il fronçait les sourcils et mâchait en silence ce qu’ils venaient de se dire.

« - Nous allons utiliser les entraînements pour essayer d’adapter vos sorts à ce que nous recherchons en cas d’attaque sur Cordont. Vous viendrez deux fois par semaine aux entraînements de mes hommes et une troisième fois pour participer aux manœuvres hebdomadaires grandeur nature que nous organisons autour de la zone sinistrée. »

Il passa l’heure suivante à lui montrer sur la carte et d’autres parchemins, les-dites manœuvres ainsi qu’à lui expliquer le menu des entraînements qui consisteraient à de l’équitation, maniement d’arme à sa préférence et, bien entendu, l’utilisation de la magie après qu’elle se soit habituée aux procédés purement délimariens. C’était à elle de réfléchir à comment ménager sa magie et les soldats, puis à proposer des solutions et voir avec lui, le Général, lesquelles s’adaptaient et lesquelles étaient encore à travailler. Lorsqu’il fut certain d’avoir fais le tour pour cette première rencontre, Sigvald se leva et lui fit signe de faire de même pour la raccompagner à la porte.

« - Habillez vous en conséquence. Si vous n’avez pas d’équipement, nous vous en fournirons un… ou nous essaierons en tout cas. »

Vu sa taille d’enfant pour une glacernoise… peut-être que les lyssiennes avaient de quoi faire ? Il allait devoir lancer un appel aux volontaires parmi ses troupes. Sigvald souleva la lourde tenture et observa encore d’un air critique la jeune femme.

« - Je compte sur votre ponctualité, Dame Falkyre. Ne me faites pas regretter mon choix. »

Il sortit après elle et croisa les mains dans son dos alors qu’il l’observait s’éloigner, gardant le silence sur le véritable fond de ses pensées.

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