Aube du 16 Octobre de l’an 1762 Ambharunien
Le silence de la nuit recouvrait encore la tribu quand Sa’Hila ouvrit les yeux. Un lourd silence que seules les sentinelles à l’extérieur de son foyer perturbaient par leur rondes. Comme bien souvent, elle s’éveillait avant le soleil, fidèle à sa réputation de lève-tôt par ailleurs. Papillonnant des yeux afin d’en chasser les derniers restes de fatigue, elle s’étira dans son hamac et laissa pendre sa main pour grattouiller Bhavika entre les oreilles, roulé en boule en-dessous d’elle. Le gros félin se mit à ronronner et Sa’Hila sourit, attendrie. à le voir si paisible, qui pourrait croire que le félidé avait un caractère de cochon ?
Dans un mouvement tout en souplesse, elle se laissa glisser et entreprit de se débarbouiller à l’eau claire, rafraîchie par la nuit. Puis elle entreprit sa toilette quotidienne, mettant un point d’honneur à paraître aussi respectable que sa fonction l’exigeait, et surtout par pure coquetterie. Le temps qu’elle enfila une robe de lin bleutée et qu’elle ceignit sa lame, que la panthère noire avait aussi fini de se réveiller. La bête s’étira de tout son long, plantant ses griffes dans le sol en baillant à s’en décrocher la mâchoire. Son rituel quotidien en somme. Ceci fait, Bahvika trottant docilement à côté d’elle, l’Aaleeshaan finit par sortir de son wigwam, savourant l’air frais de la savane. Chargé de l’humidité des moussons, il était cependant agréable, apportant quelques fragrance de terre mouillée. Dans quelques heures, ce même air se chargerait des odeurs des activités de la Légion, mais pour le moment, la Dompteuse se contentait de profiter de son moment de la journée préféré et avisant Garan, la sentinelle posté à quelque pas d’elle, lui fit un signe de tête franc et direct. Celui-ci s’inclina légèrement, visiblement heureux que sa garde nocturne soit terminée et il prit congés en prévenant les autres.
Une fois seule, elle contourna le monticule de terre sur lequel culminait sa demeure et vint s’asseoir sur une pierre plate, usée par le temps et la météo. Sa pierre de méditation comme elle aimait l’appeler, était dans l’axe parfait pour regarder le lever du soleil, qui d’ailleurs pointait ses premiers rayons. Une fois que celui-ci réchaufferait le monde pleinement, elle devra porter son masque de dirigeante, comme d'habitude depuis dix années déjà. Par chance, ce n’était pas encore un fardeau pour elle et de tout coeur elle savait que jamais ce ne le serait. Son métier était dur, parfois épuisant mais ô combien gratifiant. Les Graärh avaient besoin d’elle et elle avait besoin d’eux. Et si la situation actuelle n’étaient pas des plus reluisantes par rapport aux esclavagistes, au moins étaient-ils tous restés unis dans l’adversité.
Perdue dans ses pensées, elle vit un oiseau voleter dans l’aube naissant. Malgré la distance, mais à la vue de son atterrissage, elle reconnut Leksa. “Et bien, il n’y a pas que moi de matinale aujourd’hui.” pensa-t-elle amusée. La jeune Chouette lui avait fait bonne impression et bien que téméraire, c’est bien les épreuves qu’elle avait subi qui l’avaient marqué. Loin d’éprouver de la pitié, elle admirait son courage et c’est avec humilité qu’elle écoutait ses conseils, elle qui était en sécurité au coeur de la Légion. Cela faisait un moment d’ailleurs qu’elle n’avaient pas eu l’occasion de discuter toutes les deux. Le moment était bien choisi finalement. Grattant toujours Bhavika à son endroit préféré, elle lui murmura à l’oreille:
-Vas me chercha Leksa s’il te plaît, joignant l’image mentale de la flamboyante graärh.
Des années de dressage avaient rendus les deux félins aussi complices que complémentaires. Parfois, Sa’Hila n’avait même pas besoin des pouvoirs du Cheval pour communiquer à demi mot avec la panthère. Voyant là une bonne occasion de se dégourdir les pattes, le félin s’élança directement en direction de sa destinataire.
Quelques minutes passèrent pendant lesquelles seuls quelques stridulations d'invisibles grillons troublèrent le calme du jour naissant, avant que le roux caractéristique de la Tribyoon ne fasse son apparition. Le familier reprenant sa place à côté de sa maîtresse, elle désigna une place à côté d’elle. Elle ronronna la première, comme le voulait la tradition.
-Bonjour Leksa, cela fait un moment que je ne t’ai pas vu. Joins-toi donc à moi et apprécies le levé du jour. N’est-ce pas là le plus beau moment de la journée ?
Ce n’était pas vraiment un ordre mais simplement une invitation. Même si elle pouvait donner des ordres, elle aimait pas vraiment ça et préférait que les actes soient sincères. Leur langage corporel étant déjà très marqué par les rapports de domination (ce qui expliquait surement pourquoi le vouvoiement était une notion totalement obscure pour les graärh), elle ne tenait pas à imposer encore plus ses décisions inutilement.
Gardant les yeux rivés sur l’astre qui colorait le ciel de milles nuances de rouges, elle attendit patiemment sa réponse.