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descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Cordont - 02 décembre 1762



Atchoum

Ilhan renifla piteusement en maudissant l’archipel entier. Il avait froid, ses doigts étaient gelés, il avait chaud et des suées, un mal de crane terrible le martelait et ses couvertures ne cessaient de glisser. Il frissonnait de tout son corps et chaque expiration le narguait de sa buée.

Atchoum.

Il devait pourtant se résoudre à se lever. Sortir de son couchage, de ses chaudes couvertures plus si chaudes que ca. L’aube était levée. La nuit avait été une longue agonie de gel, avait-il eu l’impression.

Il s’était réveillé d’un coup, les dents claquant de froid, et avait réalisé en catastrophe que son feu s’était éteint. Il s’était vaillamment levé, râlant de se retrouver sans aide ni personne pour le seconder dans ses moments-là. Il devait avouer ne pas être habitué à s’occuper de ces choses-là, qu’il avait toujours considérées en son for intérieur comme tellement triviales. Après tout, pourquoi aurait-il dû y penser ? Il avait toujours eu plusieurs serviteurs pour y penser pour lui. Des serviteurs bien traités, qui le traitaient bien en retour. Ils pensaient pour lui aux choses communes et il pensait pour eux aux choses moins habituelles. Un cercle vertueux, avait-il toujours cru.

Peut-être s’était-il trompé. Ou peut-être… mais qu’importe les peut-être. En cette nuit, en ce camp maudit, il n’avait aucun serviteur pour le seconder et lui décharger l’esprit de ces banalités. Résultat : un feu éteint, et un Ilhan au bord du gouffre devant des braises mourantes qu’il était incapable de réanimer. Dépité, il avait vu les dernières cendres se consumer, impuissant… et avait ensuite agonisé devant elles, tout doucement déclinant.

Il avait songé un instant à sortir réveiller un garde et lui demander de… Mais une pointe d’orgueil mal placée l’avait soudain retenu. Lui petit althaïen toujours à prôner les valeurs de l’esprit, incapable de s’occuper du feu de ce petit taudis… Il s’était retenu. Avait ravalé ses larmes d’impuissance. Et s’était emmitouflé dans ses couvertures. Après tout, il n’allait pas mourir pour un simple feu éteint, n’est-ce pas ?

N’est-ce pas ?

En ce matin timide, soudain, cette folle certitude s’était elle aussi éteinte et avait fondu comme neige au soleil. Un soleil qui peinait à se pointer pour le réchauffer cela dit. Bon certes, il n’était pas mort. Mais il en avait presque l’impression. Tout son corps était raide, son dos le lancinait et…

Atchoum…

Non, pas mort. Mais malade au moins. Quel piètre représentant de la fière et forte Délimar il faisait soudain.

Rassemblant le peu de force qu’il avait, il se leva à gestes lents. Se débarbouilla rapidement d’un coup d’eau sur le visage, frissonnant plus encore. Il passa rapidement un pourpoint bleu sur sa tunique sombre, agrafant avec maladresse sa fidèle broche, puis enfila ses bottes et sa cape. Direction guérisseur. Il ne pouvait rester ainsi. Il serait incapable de quoique ce soit et avait encore du travail. Il salua les gardes de la journée dans un sinistre reniflement. Ceux-ci l’observèrent circonspects mais le suivirent sans un mot.

Ilhan se dirigeait d’abord vers le guérisseur que lui avait désigné le général en cas de besoin… un guérisseur délimarien avec des remèdes tout ce qu’il y avait de plus délimariens. A cette pensée, Ilhan se figea. Des remèdes lents, qui nécessiteraient certainement quelques jours pour agir… Quelques jours… Mais il n’avait pas quelques jours pour finir ce qu’il avait à finir. Ilhan se gratta un sourcil, songeur, pesant le pour et le contre de ce qu’il s’apprêtait à faire. Delimar lui en voudrait-elle tant que cela s’il allait voir un autre guérisseur ? Un guérisseur usant de magie, plus rapide, plus fulgurante que toutes les plantes et herboristeries qu’on pourrait lui proposer ?

L’image du guérisseur graärh s’occupant des rescapés et des orphelins s’imposa soudain à son esprit. Il avait déjà songé plusieurs fois à l’aborder, par curiosité et intérêt, mais le guérisseur avait toujours eu l’air débordé, toujours vaquant à mille occupations et Ilhan avait repoussé l’idée. Ils n’avaient que peu échangé lorsque Ilhan était allé visiter, plusieurs fois, les sinistrés. Mais…

Et si là, il sautait sur l’occasion ? Lui demander remèdes et guérisons ? Et en profiter pour satisfaire sa curiosité et ses mille questions ? Et se disant, Ilhan fit demi-tour. Direction la tente du fameux guérisseur. Après tout, si Délimar se vexait, il pourrait toujours prétexter agir dans l’intérêt d’une de ses missions. Le fameux projet d’abolition de l’esclavage des Graärh. Ce ne serait que demie vérité. Ou demi-mensonge.

Les gardes le suivirent toujours sans un mot et s’arrêtèrent à bonne distance quand il arriva devant ladite tente. Hésitant encore un court instant, Ilhan prit une profonde inspiration et entra. Plusieurs lits encore occupés, quelques regards se tournant vers lui. Il leur offrit un léger sourire et ses orbes sombres, un brin fiévreux, cherchèrent le guérisseur. Il avisa rapidement la haute silhouette à la belle fourrure au fond de la tente. D’un pas un peu vacillant, il se dirigea vers le Graärh. Ce dernier lui tournait le dos et donnait ses dernières consignes à un jeune garçon.

Ilhan attendit patiemment, retenant à grand peine un éternuement et un reniflement peu discret. Quand enfin le Graärh se retourna, il lui offrit un pâle sourire contrit. Réellement contrit.

Je suis désolé de vous importuner, guérisseur, mais puis-je… abuser de vos services ?

Et cette fois l’éternuement ne put être retenu. Maudit camp, maudit feu. Maudite soit son incapacité notoire à s’occuper de lui-même...

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Les semaines avaient passé depuis son arrivée à Cordont. Chaque jour était différent avec son lot de surprises, de nouveautés et malheureusement de pertes. Ses visites à l'Hospice, d'abord timides et prudentes, prirent rapidement de l’ampleur et Purnendu devint sous peu une figure majeure dans la tente immaculée. Grâce à ses connaissances poussées de la flore locale ainsi qu'aux Dons accordés par l'Esprit du Raton-Laveur, il avait permit aux réserves de remèdes et autres soins naturels de rester à flot dans les étagères malgré les urgences graves et le nombre toujours croissant de blessés. Puis, alors que l'incident disparaissait sous le tas de nouvelles aubes et crépuscules, la foule de patients admise à l'hospice commença lentement à décliner. Que cela soit par l'efficacité des soins apportés par l'équipe ou par une sélection aussi naturelle qu'implacable, la grande tente de toile blanche se vida progressivement. Ceux qui ne nécessitaient plus de soins constants furent déplacés dans le camps de réfugiés là où la main d’œuvre manquait cruellement. Les amputés quand à eux se retrouvèrent pris en charge dans une autre tente, une sorte d'annexe où ils s'entassèrent et déprimèrent de leur condition, souffrant de l'exclusion forcée en cette période malheureuse. Personne n'avait réellement le temps ou les moyens de s'occuper d'handicapés. La priorité venait à la reconstruction de la ville.

L'Hospice, ainsi libéré, pu se transformer en une clinique où l'organisation tourna principalement autour d'auscultations, mais aussi de la rééducation de ceux ayant soufferts de fractures importantes. Les conditions de vie n'étant pas encore optimales dans le camps temporaire, il n'était pas rare que des ouvriers ou même des citoyens tombent malades. Les causes les plus récurrentes étaient la malnutrition et le froid, bien sûr des blessures physiques dans les chantiers arrivaient, mais elles occuraient de façon si sporadique que les mages n'avaient aucun soucis à soigner et renvoyer la personne au travail dans la même journée. Ainsi sous la grande toile blanche, l'on trouvait à présent plusieurs lits de repos alignés de part et d'autre d'une grande allée centrale découpée en plusieurs bureaux d'auscultations séparés les uns des autres à l'aide de paravents pliables. La température était gardée chaude grâce à des brasero installés entre les lits pour que les patients en profitent le plus. Dans les braises crépitantes, Purnendu veillait à y faire brûler plusieurs herbes séchées pour qu'une odeur fraîche et revigorante tapisse les lieux durant la journée, puis changeait pour des herbes au propriétés reposantes et relaxantes lorsque venait la nuit. Le fond de la tente était employé au laboratoire d'alchimie et d'herboristerie où l'on retrouvait plusieurs alambics de même que des étagères qui montaient jusqu'au plafond. Ce dernier était lui-même criblé de bouquets d'herbes en train de sécher, offrant le spectacle d'une forêt inversée.

Le graärh à la fourrure couleur de cendre passait le plus clair de son temps dans cette partie de la tente. Lorsqu'il ne s'occupait pas des orphelins ou n'allait pas soulager la souffrance des estropiés, il était facilement la truffe dans les livres et les notes de ses nouveaux confrères afin d'en apprendre toujours plus sur l'alchimie et leurs propres méthodes pour confectionner des remèdes. Sa dernière lubie était d'extraire l'essence des plantes pour en faire une sorte d'infusion extrêmement condensée et puissante en terme de propriétés curatives. L'idée lui était venue lorsqu'il avait constaté avec effarement du gaspillage colossale de ressources lors de simples infusions ou cataplasmes. Depuis lors, il triait quels fleurs, racines ou feuillages seraient les plus adaptés à ce nouveau processus. Malheureusement, la saison actuelle ne l'aidait pas et il piétinait dans son étude depuis plusieurs jours, le poussant à orienter sa soif incommensurable de savoir sur d'autres aspects de l'alchimie, autant fasciné par le matériel complexe que les mils et un procédés associés. Un des orphelins les plus âgés l'aidait comme apprentis, s'occupant de menues tâches et d'errances dans le camps à sa place. Le jeune garçon était malin, mais plus encore ; il était très curieux, tout ce qu'il fallait pour accompagner Purnendu dans ses recherches.

En cette matinée froide, il était principalement question de collecter de fraîches écorces de bouleau, ainsi que des rameaux de sapin. Même s'il manquerait cruellement de la sève dans les fibres du bouleau en ce début de mois d'hiver, l'arbre restait excessivement abondant en cette matière comparé à ses confrères, ainsi ses propriétés diurétiques et fébrifuges ne devraient pas trop avoir souffert du froid. Concernant le sapin fraîchement cueilli, il comptait poursuivre une expérience entamée la veille et dans laquelle il avait de grandes attentes. Pour une tâche aussi simple, il n'avait pas besoin de se déplacer seul et donnait donc les derniers conseils et instruction à son aide de camps lorsqu'il entendit un bipède s'approcher avec un reniflement humide caractéristique d'un bon début de rhume. Se redressant, il donna une tape sur l'épaule de l'enfant qui ramassa un grand panier d'osier vide qu'il plaça sur son dos à l'aide de lanières rembourrées de laine, attrapa une serpe, un couteau et une hachette qu'il glissa à sa ceinture avant de se faufiler par une sortie secondaire annexée au laboratoire. Purnendu le suivit du regard avec un léger sourire au coin de ses babines avant qu'il ne pose son attention sur l'homme qui se présentait à lui avec un air piteux... avant d'éternuer de tous ses poumons. Surpris par la virulence de l'éclat, il retint un rire et se contenta de souffler par la truffe alors que ses yeux d'absinthe pétillaient d'amusement teinté de compassion.

« - Bien sûr, je suis là pour ça après tout. »

D'une enjambée, il fut face à lui et leva une main en sa direction. Sa paume était constituée d'un coussinet noir craquelé d'anciennes gerçures et rendu rêche par le maniement des armes et d'autres outils. Ses doigts étaient longs, aux articulations marquées et qui se finissaient par d'immenses griffes noires et courbées aussi effilées que celles de tout grand prédateur. Pour autant, la prise que le graärh posa sur l'épaule de l'humain fut parfaitement contrôlée. Il n'accrocha nullement les fibres de ses vêtements et ne broya en aucune façon sa chair délicate de bipède. Purnendu se pencha vers l'althaïen et posa sans plus de cérémonie sa truffe contre son front pour en tester la température. L'extrémité glacée de son museau heurta une chair brûlante et légèrement humide de sueur poisseuse, confirmant à l'herboriste de l'état déplorable de son nouveau patient. Son souffle chaud qui s'échouait le temps que dura cet étrange contact, sur le visage d'Ilhan avait l'odeur de la réglisse. Lorsque l'immense félin se redressa, il pencha la tête de côté en une interrogation silencieuse et contempla l'homme qui lui faisait face avec tiédeur.

« - Quel est ton nom ? Et comment t'es-tu retrouvé dans cette situation ? Peux-tu me décrire exactement tes symptômes ? »

Il n'y avait aucun jugement dans sa voix grave et caressante, aux inflexions lacées d'un vague ronronnement et à la chaleur semblable à la caresse d'une fourrure aux oreilles. Il l'invita à s'asseoir sur un tabouret, à côté d'un brasero dont il remua les braises rougeoyantes à l'aide d'un tison. S'il tutoyait Ilhan, aucun mépris ou manque de respect volontaire ne se sentait, il semblait s'agir d'une façon tout à fait naturelle chez lui de communiquer dans la langue commune. Par ailleurs, son vocabulaire autant que sa prononciation était quasiment sans faute et emprunte de cette rythmique retrouvée parmi la noblesse. Une fois son patient installé, il l'invita à retirer sa cape et l'étendit à cheval sur un paravent pour en faire sécher le bas gorgé de neige fondue. Tout en l'écoutant, Purnendu alla faire chauffer de l'eau et quand elle commença à frémir, il y jeta plusieurs poignées d'épines de pin vertes, ainsi que des billes de résine. Rapidement, l'odeur fraîche et revigorante du sapin s'éleva autour d'eux par la vapeur d'eau ainsi parfumée. D'une cuillère en bois, il touilla l'infusion après l'avoir retiré du feu au signe des premiers gros bouillons.

« - C'est un méchant coup de froid que voilà... et assez tôt dans la saison. On va s'occuper de soigner ça et empêcher que la mésaventure ne se reproduise, d'accord ? »

Il lui lança un petit coup d’œil en coin, sourire taquin ourlant ses babines sombres alors qu'il glissait avec humour :

« - Ce n'est pas que ta présence me déplaît, mais je suis sûr que l'expérience n'est pas réellement à ton goût, n'est-ce pas ? Ça par contre, devrait davantage te plaire. »

Il poussa un vague roucoulement en guise de rire étouffé et se pencha pour atteindre, sur l'une des dernières étagères d'un meuble, un pot de terre cuite fermé d'un carré de tissu huilé et d'une corde à nœud coulant. Défaisant le couvercle, il révéla un miel sombre et granuleux au parfum fort et sucré dont il tira une large cuillère qu'il plongea ensuite dans la casserole d'infusion fumante. Il touilla encore plusieurs minutes, dans un silence paisible avant qu'il ne vienne prendre une tasse en fer blanc et ne la remplisse  aux trois quarts de la concoction parfumée. Il enroula le tout d'un torchon afin que les mains délicates du bipède ne se brûle pas, mais serve plutôt de bouillotte le temps de sa dégustation.

« - Si le goût est encore trop fort, n'hésite pas à te resservir de miel. Il est plus que conseillé dans ta condition. Oh, prend le temps de te reposer au chaud, je vais te préparer un remède qui te remettra sur pied en un rien de temps. »

Heureusement, il avait tout ce qu'il fallait pour le confectionner. Les humains se révélant particulièrement sensibles au froid, il lui était devenu habituel d'avoir ce genre de cas présenté à lui et ce, plusieurs jours par semaine. Parfaitement à l'aise dans son environnement, Purnendu se déplaçait avec une grâce toute féline malgré sa stature imposante. Ses pas étaient silencieux sur le sol boisé de la tente alors que son interminable queue angora ondoyait dans son sillage sans rien renverser. Il attrapa plusieurs pots et sachets, humant les contenus mystérieux pour s'assurer d'avoir les bons ingrédients, puis tira une meule d'herboriste et commença à moudre sa préparation. Le crissement régulier de la pierre contre la pierre rythma un instant le nouveau silence qui leur tomba dessus. Les autres patients, allongés, ne faisaient pas un bruit si ce n'était parfois une quinte de toux ou le bruissement des draps lorsqu'ils tournaient dans leur lit. Lorsqu'il fut certain que le diplomate ait pu boire quelques gorgées et que son corps soit réchauffé près du brasero, Purnendu lui jeta un rapide coup d’œil par dessus son épaule.

« - Je n'ai encore jamais vu d'humains avec une peau aussi sombre et des cheveux bouclés comme une laine de mouton. Tu es de l'Empire Sélénien ? Quel est le nom de ton peuple là-bas ? »

Visiblement, Ilhan n'était pas le seul à avoir de nombreuses questions sur le bout de la langue.

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Quand il aperçut la massive silhouette du gräarh s’approcher de lui en une grande enjambée et lui tendre une… main ? patte ? bien griffue, si on lui demandait son avis… Ilhan dut réprimer un sursaut d’instinct qui lui criait de s’écarter, reculer, fuir !, ce terrible prédateur qui pouvait en un coup de patte bien senti le mettre à bas. Il se raidit et fit appel à toute sa volonté pour ne pas bouger d’un iota. On aurait presque pu le prendre pour une statue de cire sur l’instant. Son œil alerte nota toutefois les étranges coussinets craquelés, la couleur de ces griffes immenses, la couleur de son pelage, les articulations presque noueuses, et son corps s’étonna du contact chaud et presque rassurant de cette poigne de fer et douce à la fois sur son épaule.

Même s’il était toujours aussi raide qu’un piquet, Ilhan se détendit un minima. Et parvint à rester tout aussi stoïque quand la truffe humide et douce se posa sur son front. Il préféra fermer les yeux toutefois, peu sûr de garder tout son self contrôle s’il entrapercevait quelque croc que ce soit dépasser de cette gueule impressionnante, vue de si près !

Il devait avouer aussi que ce contact inattendu, étrange, déroutant, était plutôt… rafraichissant. Oh oui, si rafraichissant. Ce n’est qu’en cet instant qu’Ilhan réalisa avoir possiblement de la fièvre. Si concentré sur cette sensation nouvelle, il prêta à peine attention à l’odeur réglissée qui glissa sur son visage.

Et soudain la présence imposante s’écarta de lui. Ilhan rouvrit les yeux et laissa le silence s’installer entre eux pendant qu’ils s’observaient mutuellement. Ce fut finalement l’autre qui le rompit.

« - Quel est ton nom ? Et comment t'es-tu retrouvé dans cette situation ? Peux-tu me décrire exactement tes symptômes ? »

S’il fut surpris et plutôt circonspect face au tutoiement, il tenta de n’en rien montrer et garda un sourire poli de circonstances. Défaut de langage ? Coutume Gräarh? Un point à élucider, un ! Peut-être devrait-il tout de même répondre, se fustigea-t-il intérieurement. Son soudain silence pourrait être pris pour un rhume du cerveau en plus d’un rhume du corps.

Ilhan. Ilhan Avente, répondit-il.

Ne s’était-il pas déjà présenté quand il était allé rendre visite aux rescapés blessés ? Peut-être pas, à vrai dire. Il avait peut-être juste dit être un envoyé de Délimar, sans donner son nom.

Pour tout dire…

Enfin "tout" tait un grand mot.

Mon feu s’est éteint cette nuit.

Il n’allait pas préciser qu’il n’avait pas su le rallumer, hum ? Non, il avait, encore, un minima de dignité. Un minima.

Plus beaucoup toutefois, quand un virulent éternuement le surprit avant qu’il ne reprenne.

Autant pour la dignité.

Quant aux symptômes, fit-il en un reniflement piteux, tout en balayant sa fine silhouette d'un geste de main. Désolé… je ne voulais pas… si fort… mais…

Un autre éternuement. Il préféra se taire pour le moment, espérant que la crise se calme, et obéit sagement quand son hôte lui désigna un siège. Enfin, siège… Un tabouret bien peu confortable. Mais soit. Il n’était pas venu là pour paresser dans un bon lit douillet. Quoique… Il n’aurait pas dit non. Il se sentait si… fatigué. Si… Bref.

Il obtempéra de même quand on lui demanda d’ôter sa cape. Note pour lui-même : en trouver une dotée d’un sort de réchauffement. Ou de conservation de température. Ou trouver quelqu’un apte à apposer un tel glyphe sur celle-là…

Mes symptômes… Éternuements, alternance de froid et chaud, fièvre, je suppose, toux sèche et irritante… sensation de compression qui commence aussi là, fit-il en désignant son thorax.

Se disant, il observa son hôte s’affairer avec son nécessaire d’herboriste… ou d’alchimiste ? Ilhan fronça les sourcils alors qu’il détaillait plus posément les lieux. Se pourrait-il que le Gräarh s’intéresse à un domaine aussi pointu que l’alchimie et apparenté ? Voilà qui était un point intéressant à creuser... Et un de plus, un !

« - C'est un méchant coup de froid que voilà... et assez tôt dans la saison. On va s'occuper de soigner ça et empêcher que la mésaventure ne se reproduise, d'accord ? »

Ilhan avait soudain l’impression d’entendre son guérisseur quand il était enfant. Les humains étaient-ils des sortes d’enfants pour les Gräarh, tout comme ils l’étaient pour les elfes ou les vampires ? Ou n’était-ce qu’un type de langage ?

Cesse avec tes questions, Ilhan. Ce n’est pas le moment, se fustigea-t-il en son for intérieur.

Il se força à se concentrer sur l’instant présent, à se focaliser sur les odeurs d’herbe et de pin, sur la chaleur qui l’enveloppait, presque le berçait, sur les tons ronronnants de son hôte. Ronronnants ? Ronronnait-il vraiment ? Comme certains félidés ?

On avait dit d’arrêter avec les questions, Ilhan !

L’odeur de miel titilla ses sens et le ramena à la réalité. Il attrapa la tasse rudimentaire enroulée de torchon, craignant un instant de se brûler les mains, avant de presque roucouler lui-même de plaisir à ce contact chaud et apaisant. Il huma le doux parfum et ferma les yeux pour en apprécier toutes les saveurs. Il n’en but pourtant aucune gorgée. Il n’aurait qu’à prétexter que le breuvage était trop chaud… le temps qu’il se décide à le goûter quand même.

Car décemment il ne pourrait ne pas boire. C’était un guérisseur, son remède, et un refus serait… offensant. Pour ne pas dire pire. Lui qui était venu pour nouer contact ne pouvait se permettre cet impair. Il allait devoir se résoudre à… Mais attendons déjà que le breuvage refroidisse un peu. Oui, juste un peu…

Fausse excuse, lui souffla une petite voix qu’il chassa bien vite.

Ilhan garda donc sa tasse ne main, profitant de la chaleur et des odeurs apaisantes, et observa, curieux, le grand félin se déplacer avec grâce. Souplesse et force se concordaient dans ce corps massif de façon surprenante. Des gestes vifs, sûrs, précis, malgré une musculature qui aurait pu broyer chaque objet en une seule poigne… Les yeux sombres ne perdaient pas une miette de cet étonnant spectacle, dévorant chaque détail avec avidité.

Il attrapa le rapide coup d’oeil du gräarh par-dessus son épaule.

« - Je n'ai encore jamais vu d'humains avec une peau aussi sombre et des cheveux bouclés comme une laine de mouton. Tu es de l'Empire Sélénien ? Quel est le nom de ton peuple là-bas ? »

Et se raidit, presque imperceptiblement, à ces mots. Il y avait longtemps qu’on ne lui avait pas fait de remarques sur son physique ! Il était très typé de sa ville natale. Et si, en son domaine d'antan, nombreux étaient ceux qui lui ressemblaient, il en avait été tout autre sur le reste de leur vieux continent. Les althaïens étaient très sédentaires et, comme le nom de leur ville, s'avéraient souvent des romantiques très attachés à leurs racines, leurs histoires, leurs coutumes et leur belle ville d’Althaïa. Quelque part, Ilhan ne dérogeait pas à la règle. Mais il avait voyagé, comme peu d’althaïens le faisaient, et il s’était confronté à la différence déroutante de son apparence vis-à-vis des autres peuplades humaines, que ce soit à Gloria ou Aldaria. « Une beauté et un charisme exotiques », lui avait-on dit souvent. L’exotique de sa peau un peu plus mate que celle d'un grand nombre de ses paires... Pas seulement de cette couleur cuivrée que vous donne le soleil, non, mais d'une carnation naturellement un peu plus sombre, même s’il était bien loin d’être noir de peau. De même ses cheveux noirs épais et ondulés, si difficile à dompter parfois, tranchaient avec les longues chevelures lisses et si bien dressées des grandes lignées gloriennes…

Mais… bouclés comme un mouton ? Non, en fait, celle-là en particulier, on ne la lui avait jamais faite. Ilhan attrapa une mèche d’une main pour observer ses cheveux. Certes avec la pluie ils ondulaient un peu plus encore. Mais ne formaient pas de véritables boucles non plus… Défaut de langage ? Ou juste… taquinerie ?

Non ne pas s’offusquer, Ilhan, ne pas s’offusquer, tu as connu pire comme critique sur ton physique...

On me décrit plus souvent comme ayant la peau mate et les cheveux ondulés. Je suis althaïen, une ville de notre ancien continent, que l’on appelait aussi la Romantique.

Un air de nostalgie s’afficha un court instant sur son visage. Peu d’entre eux avaient en fait survécu à tous ces événements. Il n’était certes pas le dernier althaïen, mais… il n’en avait pas rencontrés beaucoup depuis leur arrivée sur l’archipel, il devait l’avouer… Chassant soudain ses sombres pensées, il reprit, son sourire d’entre-deux revenant avec férocité :

Et je ne suis pas de l’Empire, encore moins sélénien. Je suis de Délimar.

À défaut d’être totalement délimarien, rajouta-t-il pour lui-même, avec une pointe de tristesse. Ce défaut d’appartenance qui lui collait à la peau depuis son arrivée… Pourtant il aimerait tant… tant…

Puis-je demander également votre nom, Messire ?

Il laissa planer un court instant ces derniers mots, avant d’ajouter, en un accent trainant :

J’avoue n’avoir moi-même encore jamais vu de guérisseur avec une fourrure aussi dense…

Bon cette petite pique était un brin mesquine. Cela avait été plus fort que lui. Son cynisme mordant avait parfois du mal à se taire. Et que cela faisait du bien, devait-il avouer. Il s’empressa de cacher son sourire moqueur en approchant ses lèvres de sa tasse et en soufflant sur son breuvage. Qu’il n’avait toujours pas goûté.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Ilhan Avente, étrangement ce nom lui disait quelque chose sans qu'il parvienne à remettre la griffe dessus. Lui qui avait une excellente mémoire, cette absence soudaine lui procura une intense frustration et ses oreilles tiquèrent plusieurs fois, trahissant son agacement. Sa longue queue, allongée sur le sol autour de ses pattes postérieures, avait l'extrémité duveteuse qui tapait le sol de droite et de gauche, comme un pendule. Museau légèrement froncé, l'immense graärh tenta de se réconforter en se disant qu'avec toutes les nouvelles choses qu'il avait eut à apprendre depuis son arrivée à Calastin, il n'était pas étonnant qu'il oublie un nom probablement entendu entre deux conversations. Et pourtant... Pourtant, il était persuadé d'avoir la solution sur le bout de la langue. Regard posé dans le vague, le rythme de la roue à moudre dans sa meule de pierre se fit plus long et appuyé, trahissant l'esprit songeur de l'herboriste qui, ainsi plongé dans ses réflexions, manqua de louper la voix posée de son patient. Non mais ! Avait-on idée d'avoir un timbre aussi posé et agréable à l'oreille ? L'autre savait définitivement comment s'adresser à son entourage sans éveiller les animosités ou les tensions.

En apprendre davantage sur l'ancien continent n'était pas pour lui déplaire et trouver quelqu'un volontaire à aborder un sujet aussi douloureux que mélancolique était chose suffisamment rare pour que le fauve à la couleur de cendre n'en oublie un instant sa préparation pour observer avec intensité le bipède. Althaïa la Romantique ? Quelle appellation douce-amère. Si l'amour et la romance lui étaient des choses inconnues de part sa nature et sa culture graärh, il pouvait vaguement se peindre une image grâce aux nombreux livres parcourus lors de ses quelques mois passés en Caladon. Purnendu pencha la tête sur le côté, une mimique tout à fait féline alors qu'il cillait et dressait les oreilles avec une attention renouvelée. Sa queue formait à présent derrière lui un indolent point d'interrogation et il émit un vague roucoulement rauque, encourageant l'autre à poursuivre. Il aimait l'expression qu'Ilhan arborait en parlant de sa ville natale et ses moustaches frémirent alors qu'il se mordait la langue pour se retenir, pour ne pas le bousculer afin d'obtenir davantage. Il ne devait pas se montrer avide. Il devait être patient et savourer ce qu'on acceptait de lui partager. La suite le fit totalement se redresser et la roue resta esseulée dans son ornière.

« - Délimar ? Oui, j'en entends beaucoup parler ! C'est une ville fortifiée située au Sud-Ouest d'ici, n'est-ce pas ? »

La question était rhétorique, puisqu'il connaissait déjà la réponse toutefois il aima s'entendre confirmer qu'ils parlaient bien de la même cité humaine. Purnendu leva les yeux vers le plafond de la tente et se gratta légèrement le dessous du museau, plongeant les griffes courbes dans l'épaisse toison de sa fourrure angora.

« - Vous êtes les alliés de Caladon. Vous venez d'une citée perdue dans les montagnes de votre ancien continent. Vous favorisez l'honneur à tout le reste et il est dit que la parole d'un délimarien vaut tous les traités que les bipèdes pourraient bien signer... j'ai rencontré une femelle de ce peuple il y a quelques semaines. Elle m'a fait de grandes éloges de ses racines et je me suis ensuite renseigné dans vos livres d'histoires. J'aimerai, si un jour l'occasion se présente, me rendre à Délimar pour observer de mes propres yeux si les rumeurs sur ce fier peuple des neiges est vrai ou pas... toutefois, je ne me fais pas trop d'illusions, car après tout ; ils pratiquent l'esclavage de mon peuple. »

Ce fut un regard perçant, comme seul ceux des chats sont capables, qui vrilla la silhouette d'Ilhan. Entièrement dressé sur ses pattes arrières, le graärh l'observait sans plus ciller ou bouger d'une moustache alors qu'une tension habitait soudain son corps. Son faciès animal était indéchiffrable et le silence qui s'en suivit fut tendu, presque électrique. Ses pupilles n'étaient que deux fentes noires qui se dilatèrent lentement jusqu'à engloutir tout l’absinthe et sa posture sembla lentement se modifier, comme celle d'un prédateur à l’affût de sa proie... avant qu'il ne se détourne avec cette nonchalance typiquement féline et ne retourne moudre les herbes odorantes de son remède, comme si de rien était.

« - Mais je suis certains que vous avez vos raisons... Si je ne craignais pas de me faire passer un collier autour du coup, je serais allé là-bas. Je présume que je vais devoir me contenter des livres et des récits collectés autour d'un feu de camps ! »

L'ironie mordante était lacée d'une rancœur sourde, difficilement contenue malgré la fausse légèreté qu'il souhaitait y insuffler. Ne désirant pas s'attarder sur un sujet aussi épineux, autant pour épargner ses nerfs que la gorge de son pauvre patient, il sauta sur les autres questions et remarques de ce dernier avec un peu plus d'enthousiasme :

« - Ah, je m'excuse ! Je suis Purnendu Chikitsak, aussi appelé l'Âpre-Cendre. »

Lorsqu'il prononça son nom, qui n'était au final que des mots non traduits de sa langue maternelle, sa voix se fit plus basse et rauque, lacée de ronronnement râpeux sur les « r » et de vagues feulements avalés sur les « s ». Quand il fut sur son nom et surnom, il porta la main à son cœur, puis à sa tête, avant de remettre cette dextre sur la meule et poursuivre son travail minutieux. L'air de rien, il puisait depuis tout à l'heure dans l'énergie de son esprit-lié du Raton-Laveur pour infuser les herbes et exacerber chacune de leur propriété de façon unique, exceptionnelle. Un sourire retroussa pleinement ses babines et l'éclat fugace d'une seconde paire de canines, logée derrière celles longues et courbées qui jaillissaient déjà à plein temps, apparu avant qu'il ne laisse filer un rire chaud, caressant.

« - Ahahahah ! Tu  n'es surpris que par la densité de ma fourrure !? Quel drôle de bipède tu fais. Je t'aime bien. »

Il lui lança un regard pétillant alors qu'il arrêtait d'écraser les herbes et s'en allait prendre une nouvelle casserole qu'il vint remplir d'une eau pure tirée de l'outre qu'il portait à la hanche. Il ne remplit qu'un quart du récipient, puis versa la préparation directement à l'intérieur et couvrit le tout pour le disposer sur un tapis de braise afin d'obtenir une cuisson longue et constante. Il ne voulait pas d'une infusion, mais d'une réduction pour que les effets soient plus condensés.

« - Bon, cela va prendre quelques temps à se faire. Veux-tu t'allonger dans un lit pour récupérer quelques heures de sommeil ? Tu as les yeux cerclés de noir... j'ai toujours trouvé ça fascinant chez les bipèdes, c'est si simple de voir quand vous êtes malade ! Votre corps est comme une carte ouverte à tout le monde. »

Il se tenait près de lui et glissa un index recourbé sous le menton d'Ilhan, veillant à ne pas lui égratigner la peau de sa longue griffe. Il lui releva la tête et observa son visage avec une grande attention. Ses yeux au vert intense scrutèrent chaque trait, chaque frissons dans les nerfs. Il observa ces fameuses cernes, observa la sueur sur son front et combien les cheveux s'y collaient en arabesques fantasques. Il remarqua le nez légèrement gonflé et rougie, l'irritation dans le blanc des orbes, les larmes salées bloquées dans les cils à force d'éternuer ou de bâiller. Il sentit l'odeur acide de la sueur mêlée à celle unique de ce bipède, capta la fragrance d'un feu de bois, captive dans les fibres de ses vêtements, puis celles variées et complexes glanées à l'extérieur, le temps qu'il arrive jusqu'ici.

« - Il existe un bon moyen pour garder un lit chaud même après que le feu ce soit éteint. »

Il changeait abruptement de sujet et ce faisant, il relâcha son patient pour se détourner de lui et aller fouiller dans une des commodes qui séparaient chaque lit de l'infirmerie. Quand il émergea de sa recherche, il tenait entre les mains une espèce de boite en fer blanc plate et très large, percée de plusieurs dizaines de petits trous.

« - C'est quelque chose que les soigneurs d'ici utilisent, mais je présume que je peux te le prêter le temps que tu te remettes totalement de ta grippe. Quand le feu s'éteint, il faut prendre les braises et en remplir ce coffre, puis tu le glisses entre le matelas et le sommier pour que la chaleur se diffuse pour de nombreuses autres heures. Le froid remonte du sol, donc c'est un bon moyen de protéger ton corps. Tu peux aussi ajouter une couche supplémentaire de paille sous ton lit et bien sûr, si tu as un chien ou un autre animal de compagnie à proximité, tu peux aussi t'en servir de bouillotte vivante. »

Il lui tendit l'objet pour qu'il le détail tout à loisir.

« - Il n'était pas rare, dans mon ancienne tribu, que l'on fasse entrer les yaks et les bharals dans nos yourtes les plus vastes afin que l'on partage notre chaleur aux plus fort des blizzards. Tout le monde y bénéficiait, même si je dois avouer que l'odeur était parfois assez tenace ! »

Il eut un autre rire et alla se servir un gobelet d'infusion de pin. Quitte à rester en bonne compagnie, autant qu'il se réchauffe aussi et s'installe confortablement, non ? Il s'assaya à même le sol, près du feu et huma sa préparation avant d'en laper prudemment une gorgée, sa grande langue râpeuse se courbant dans l'ambre pâle du thé pour en récolter une portion. Aussitôt le graärh sursauta et recula vivement le museau avec une expression déçue et confuse. Gueule entrouverte, il haleta pour essayer de refroidir sa pauvre langue au supplice et leva les yeux sur Ilhan avant de hausser des épaules, l'air désabusé.

« - Ze 'raint le ssaud... Ze pré'ume 'ue wa auchi ? »

Il ne l'avait pas vu ou entendu boire une seule gorgée jusqu'à présent. Tendant une main vers l'établi, ayant assez d'allonge pour ne pas avoir à se relever, Purnendu attrapa le pot de miel et s'en servit une large cuillère qu'il plongea directement dans sa gueule avec un air de chat heureux.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Oups, Délimar, sujet sensible pour les Gräarhs, nota-t-il dans un coin de son esprit. Un instinct primal lui criait de se recroqueviller sur lui-même, tel un enfant pris en faute que l’on gronderait. Il réprima ce réflexe primaire en braquant sa volonté sur son immobilité. Il se figea tant, qu’un court instant il ne cilla même pas. Les yeux fixés sur le gräarh. Notant chaque détail, chaque geste. Cette espèce semblait avoir un langage corporel très développé. Les battements de queue, les plissements de leurs yeux, le mouvement de leur museau, de leurs oreilles… Tout semblait parler, et pourtant Ilhan peinait à en décrypter la moindre nuance. Il avait soudain l’impression d’avoir en face de lui…

Un chat. Oui, voilà, un grand chat qui parlait. Les mouvements de queue, tel un balancier de son humeur… le regard qui vous transperce jusqu’à l’âme... Ses étranges fentes qui le fixaient soudain semblaient bien vouloir le happer plutôt que le soigner. Ilhan sentit un frisson lui courir le long de l’échine. Il avait là, en face de lui, un prédateur né. Et il serait une proie bien facile si jamais… Tout son corps se glaça. Effet de la fièvre ? Du frisson de l’appréhension ? Il n’en savait rien. Il se contenta de répéter en boucle dans sa tête les mêmes mots, en continu : ne bouge pas. Ne bouge pas. Un leitmotiv, un mantra comme il les appelait, qui lui permis de rester de marbre face à la brusque vindicte de l’autre.

Heureusement les fragrances du danger semblèrent doucement s’envoler et le gräarh retrouva une posture plus posée. Ça, Ilhan le décrypta sans peine. Et se détendit lui-même en partie. Il avait bien des choses à dire au sujet de Délimar pour rassurer son hôte. Et surtout pour défendre sa belle et noble cité. Mais pas là. Pas maintenant. Pas alors que colère et sombre rancoeur semblaient encore trop vives. Peut-être plus tard. Une fois que tous deux auraient appris un peu à se connaître ? Tout à l’heure, quand il ne risquerait plus de se faire croquer par des crocs avides du moins.

Ilhan renifla piteusement et retint un éternuement. Il n’en entendit pas moins le guérisseur lui révéler son nom. Purnendu Chikitsak. Hum… Voilà qui allait être difficile à retenir. Chikitsak, chikitsak… Ce mot avait-il une signification particulière ? Et Âpre-Cendre ? À cause de son pelage ? Ou… mille questions lui revenaient, mais il les tut, une fois encore. Les gardant précieusement au chaud de son esprit pour les poser dès qu’il serait sûr de sa voix.

« - Bon, cela va prendre quelque temps à se faire. Veux-tu t'allonger dans un lit pour récupérer quelques heures de sommeil ? Tu as les yeux cerclés de noir...  »

A cette question, Ilhan hocha la tête négativement. Son corps criait oui, en effet, il était plus qu’éreinté. Mais son esprit disait non. Pas maintenant. D’une part parce qu’il ne pouvait pas se payer vraiment le luxe de dormir. Mais surtout parce que ce moment était trop précieux pour dormir. Il voulait apprendre plus sur ce peuple étrange. Et il y avait un projet sur le feu pour Délimar. Certes mis de côté avec le sinistre de Cordont, mais Ilhan ne l’oubliait pas pour autant. Et il comptait bien approcher le plus de gräarhs qu’il pourrait, apprendre d’eux, les écouter, se lier à eux si possible… Les avoir de leur côté, pour que leur projet aboutisse sans heurt si possible.

Tout à ses pensées, il manqua sursauter quand il sentit le doigt griffu lui relever légèrement le menton. Sans le blesser pour autant. Ilhan frémit un court instant, mais ne broncha pas et se laissa examiner par ces grands yeux envoutants. Puis son guérisseur s’écarta et passa du coq à l’âne sans prévenir. Ilhan fronça les sourcils, à la fois confus, surpris et curieux.

Il attrapa d’une main un peu fébrile l’objet que l’autre lui tendit, le retourna délicatement, et en observa les détails. Un objet étrange oui. Un peu lourd aussi. Ilhan s’empressa de le poser sur ses genoux pour ne pas le faire tomber.

« - C'est quelque chose que les soigneurs d'ici utilisent, mais je présume que je peux te le prêter le temps que tu te remettes totalement de ta grippe. »

Si cela ne gêne pas... je serais honoré de ce prêt.

Et curieux de l’essayer, il devait l’avouer. Il nota les consignes dans un coin de son esprit, et ses yeux sombres encore assez vifs malgré la fièvre fixaient avec avidité le gräarh. Il peina à ne pas réprimer une moue de dégoût toutefois quand l’autre évoqua dormir avec son animal. Il aimait bien ses chèvres, mais quand même…

« - Il n'était pas rare, dans mon ancienne tribu, que l'on fasse entrer les yaks et les bharals dans nos yourtes les plus vastes afin que l'on partage notre chaleur au plus fort des blizzards. Tout le monde y bénéficiait, même si je dois avouer que l'odeur était parfois assez tenace ! »

Cette fois ce fut un large sourire qui s’épanouit sur le visage tiré de l’althaïen. Ah oui ça, il imaginait bien la puanteur, merci bien.

Et éclata d’un rire franc quand l’autre se brûla la langue après avoir goûté son infusion bouillante. Il était rare qu’Ilhan se laisse ainsi aller à donner libre cours à sa véritable humeur. Mais… Il se sentait assez libre de s’exprimer, corporellement du moins, avec cet être-là. Il ne connaissait pas beaucoup cette espèce encore, mais une chose était sûre : ils étaient directs et vrais. Un peu comme les délimariens en un sens. Qu’il était dommage que les relations de ces deux peuples partent d’un si mauvais pied… Mais foi d’Ilhan, ils allaient y remédier.

« - Ze 'raint le ssaud... Ze pré'ume 'ue wa auchi ? »

L’althaïen plissa les yeux à ce nouveau dialecte et se figea. Tout comme son cerveau. Etait-ce du langage gräarh ? Non, ou alors un patois. Il avait déjà entendu le gräarh, et se révélait incapable pour l’heure de le parler. Tout en rrrhhh, shh, graoutement… Et le langage corporel si particulier. Comme appuyant chaque parole. Chaque mot. Mais… ça ? Non… Ça sonnait comme…. Si on avait une patate chaude dans la bouche. Une patate chaude… Soudain la phrase fit tilt dans l’esprit d’Ilhan. Et il éclata d’un nouveau rire, chaud, profond et grave.

Vous craignez le chaud ? Oui, oui moi aussi, hoqueta-t-il entre deux rires.

Il s’essuya les yeux d’un doigt, rattrapa d’un geste vif l’objet qui était sur ses genoux et avait failli glisser, et le posa doucement au sol pour éviter qu’il ne tombe de nouveau. Il manqua se renverser du breuvage à ce geste, mais parvint à éviter la catastrophe. Se relevant, il aperçut le guérisseur goûter le miel aussi. Bien, boisson ok. Miel ok. Il pouvait peut-être s’y risquer… Il souffla doucement dessus. Sa propre boisson n’était plus brulante toutefois, depuis le temps qu’il la tenait en main.

Mais ça a un peu refroidi.

Il en goûta une gorgée. Et ferma les yeux en se laissant envahir par le goût. À la fois amer par les décoctions, et sucré de miel. Mmhh le miel était délicieux, songea-t-il. Se figeant en entendant sa propre voix prononcer tout haut ce qu’il avait pensé tout bas.

Désolé. Mais j’adore le sucré et votre miel est… goûteux.

Il avala une autre gorgée, tout en reniflant une fois encore.

Tout à l’heure… Votre nom est Chikitsak, n’est-ce pas ? J’espère… ne pas en écorcher les sonorités. Je tente d’apprendre votre langue aussi, mais elle est… compliquée… délicate dans ses rugosités. Les sons très gutturaux me sont difficiles surtout. Mais… est-ce que votre nom a une signification particulière ? Et vous avez dit…

Une autre question lui brûlait les lèvres, mais il hésita à la poser. Puis soudain se lança, tentant de bien peser ses mots. Il voulait apprendre, comprendre mais sans blesser. Il avait parlé de tribu. Ce point-là était un élément crucial de la vie des gräarh… Mais il avait dit ancienne… ce pouvait être un sujet douloureux…

J’espère ne pas vous froisser ni vous peiner par une question importune… mais vous avez parlé de votre… ancienne tribu ?

Ilhan inspira profondément, avant de se décider à continuer, avant même que le gräarh ait pu répondre. Il lui demandait une confidence peut-être douloureuse. Alors il lui en donnerait une pour apaiser sa colère, si colère il y avait, ou pour le mettre en confiance, si confiance se pouvait.

Ne vous sentez pas obliger de répondre si le sujet est trop éprouvant. Je sais ce que c’est que… J’ai perdu tous les miens. Tous ceux de ma famille. Cela a commencé par mon épousée.

Une boule douloureuse enserra sa gorge et les larmes lui montèrent aux yeux. Mais ne perlèrent pas. Il prit une autre inspiration avant de poursuivre, d’une voix posée, calme, douce. Nostalgie, mélancolie, douleur et douceur s’y mêlant en une étrange symphonie.

Elle venait de mettre au monde notre fils. Un beau, magnifique, fils. Mais…

Sa gorge se serra un peu plus encore. Les mots manquèrent l’étrangler. « Continue Ilhan , continue. Confidence pour confidence. Confiance », souffla une petite voix en discret mantra.

Il est mort lui aussi, peu de temps après. Puis mes parents, mes… Tous. Ils sont tous décédés ensuite dans la même année. Une épidémie, a-t-on dit. Je ne sais pourquoi j’ai survécu. Mais… je sais ce que c’est que de perdre sa famille. Notre tribu en quelque sorte chez le peuple humain. Je sais ce que c'est que de ne plus en avoir... Même si dans la nouvelle cité où je vis semble se construire quelque chose, je ne sais quoi encore. Et puis j'ai mes chèvres aussi. Je crois avoir compris que pour vous, la tribu est importante… Une notion cruciale, vitale même ?

Il soupira légèrement, prit une autre gorgée, puis murmura, inquiet d’avoir blessé son hôte.

Je suis trop curieux. J’en suis désolé. Je voulais juste apprendre, comprendre… Aucunement vous blesser.

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Le rire fit dresser ses oreilles et il releva même la truffe de son pot de miel pour observer l'humain avec fascination. Il avait beau entendre cette manifestation de bonheur un nombre incalculable de fois, jamais il ne s'en lassait. La voix chaude de l'althaïen était caressante et elle se révéla extrêmement plaisante pour l'ouïe fine du félin cendré. Pupilles légèrement dilatées, ses babines se gonflèrent de satisfaction alors qu'il penchait la tête d'un côté, puis de l'autre afin de mieux capter les infimes nuances dans le timbre de voix qui s'égrenait en notes graves et modulées. Quand le silence s'installa, sans émettre de gêne entre eux, il tourna à nouveau son attention sur le récipient et observa son contenu d'ambre liquide avec un bref hochement de tête songeur. Lui n'était pas particulièrement tourné sur le sucre, mais le miel avait une signification bien particulière à ses yeux.

« - C'est du miel de forêt. Il n'a rien d’extravagant, car il a été conçu à partir des fleurs sauvages qui jonchent les bois et collines de Khokhattaan, au printemps dernier. Un léger blanc, avant qu'il n'ajoute d'un ton plus bas : A Paadshail, nous avions pour habitude d'aller chercher le miel sur les ruches sauvages, contre les falaises du Nin Daaruth, après les premières fontes. Il était noir et très fort, récolté sur les premières fleurs de pins. Ses nombreuses propriétés étaient très appréciées que ce soit pour conserver la nourriture qu'agrémenter les galettes de tubercules ou encore servir dans la confection de cataplasmes. »

La nostalgie teinta sa voix alors qu'il refermait le pot et s'étirait afin de le ranger sur son étagère sans avoir à se lever. Quand il se ré-installa confortablement, il huma son infusion et tenta pour la seconde fois d'en boire une gorgée prudente. Satisfait de la température, Purnendu lapa délicatement son breuvage tout en lorgnant du coin de l’œil son patient qui lui semblait soudain très hésitant. A le voir peser chacun de ses mots, le graärh ne pu s'empêcher de sentir croître en lui une certaine appréhension et si le premier sujet restait encore relativement abordable, puisqu'il ne s'agissait que de son nom et de la coutume y étant reliée, l'herboriste sentait instinctivement que le bipède voulait toucher un point beaucoup plus sensible et qu'il tournait désagréablement autour du pot.

Ah.
Finalement, la pierre était jetée dans la marre ! Mais contre toute attente, il fut soulagé que ce ne soit que « ça » que l'autre voulait apprendre. Silencieux, parfaitement immobile même au point de ne plus ciller, il l'observait se débattre comme un poisson tout juste ferré. Lui n'avait encore rien dis ou fais pour attiser un tel malaise et la situation commençait même à devenir comique tant le pauvre homme bataillait à poursuivre sans paraître indélicat. Toutefois, en réalisant qu'il lui confiait en vérité une expérience aussi douloureuse qu'intime, toute moquerie quitta les yeux pétillants du grand fauve. L'air soudain grave, sa queue cessa même de battre le sol et resta parfaitement coite. Avec un grand respect, Purnendu le laissa s'ouvrir sans l'interrompre une seule fois et se contenta de hocher la tête au bon moment pour lui signaler qu'il suivait et comprenait ses paroles.

Toujours muré dans le silence, il continua de l'observer longuement et ce même après qu'Ilhan ait présenté de nouvelles excuses. Ses oreilles tiquèrent légèrement à ce trait typiquement bipède et il se mordit l'intérieur d'une joue pour ne pas le rabrouer à ce propos. Il ne devait pas oublier la différence de culture et là où son patient devait très certainement désirer montrer sa bonne foi, l'insistance de ses excuses paraissait de plus en plus manquer de sincérité au regard du graärh. Lorsqu'il sentit le silence s'élimer et manquer de devenir gênant, il prit finalement la parole. Sa voix fut paisible, sans trace de jugement ou de reproche.

« - Ne t'excuse pas de vouloir apprendre. Après tout, l'ignorance est le terreau de la haine et des préjugés. »

Il pencha légèrement la tête sur le côté, pensif, et détourna enfin ses yeux de la frêle silhouette pelotonnée contre le brasero pour finir de laper le contenu de son gobelet. Lorsque sa soif fut étanchée, Purnendu se sentait prêt à raconter cette triste histoire. Heureusement pour eux deux, il en avait fais le deuil et n'éprouvait à présent qu'une rancœur lacée de mélancolie. Posant le récipient de fer blanc, il s'installa plus confortablement encore et se gratta la gorge tout en réfléchissant à la tournure de ses prochaines phrases. Les longs discours lui étaient encore difficile à traduire et il commença son histoire avec lenteur, cherchant parfois  encore un peu ses mots :

« - C'est survenu peu de temps après votre arrivée. Ma tribu était limitrophe avec le Nyn Daaruth et la Toundra de Nyn-Nevrast. Elle était nomade et suivait principalement le bétail avec les saisons ; en été elle descendait dans les grandes plaines herbeuses avant de remonter sur les flancs rocailleux pour s'abriter de l'hiver, lorsque les cols se bloquent et les lacs gèlent. Ma tribu n'était pas portée sur la pêche, contrairement à la majorité des autres clans, mais elle possédait de rares chasseurs. Ils nous étaient précieux, vaillants et féroces, capable de tenir les Vers de Glace à distance.
Malgré la force de ces guerriers, ma tribu fut totalement impuissante face à l'attaque éclair qu'un groupe de vampires lui porta sans autre raison que le désir de tuer ou bien l'attrait et l'exotisme de nouveaux esclaves. En y repensant, il devait probablement s'agir d'une des toutes premières rencontres entre les deux peuples... Quoiqu'il en soit, il n'y eut qu'un seul survivant dans ce massacre : mon géniteur, Vaakin. Ce pauvre chasseur fut d'ailleurs exilé pour son incapacité à sauver sa Tribu et à ce jour, je ne l'ai encore jamais recroisé... même si j'entends parfois parler de ses exploits et de sa lutte farouche contre les vampires.
Pour ma part, j'étais de l'autre côté de la chaîne de montagne, du côté de l'Inlandsis Nyn-Mereän, à m'occuper d'un patient bien particulier qui me demandait tout mon temps et toute mon énergie. J'apprenais avec lui votre langue commune et en échange je l'aidais à combattre ses chimères du passé ainsi qu'à trouver ses repères dans ce nouveau monde. Il n'y avait aucun préjugé entre nous, juste la découverte sincère de l'un et de l'autre.
Lorsque les premières fontes arrivèrent au printemps de cette année, Ivanyr et moi avions décidé de retrouver ma Tribu afin que je puisse l'y présenter et, avec beaucoup de naïveté je dois l'avouer, espérer l'intégrer à mon peuple. Ce fut à ce moment que nous découvrîmes les ruines incendiées des yourtes, les enclos brisés et... le bûcher funéraire graärh.
 »

Il s'était mis à fixer le plafond, regard perdu sur un point que lui seul devinait dans la toile cirée. Son imposante silhouette, d'apparente tranquillité, avait plus d'une fois frémi tout au long de son récit.

« - Je dois avouer que sur l'instant, j'ai éprouvé un profond désarrois. Je ne comprenais pas « pourquoi » cet incident s'était produit. Avec l'aide de mon ami, j'ai pu faire brûler des prières avec les restes des corps... puis à la demande d'Ivanyr, nous avons cherché la fosse commune où se trouvaient les restes des vampires et nous leur avons, à eux aussi, offert des funérailles décentes.
J'ai ressenti beaucoup de colère, de haine et d'incompréhension alors que les flammes emportaient les âmes de ces êtres sanguinaires et qu'il leur était offert un repos qu'ils ne méritaient probablement pas. Pourtant je pouvais comprendre, aussi, les raisons qui appelaient à un tel acte de bonté : aucun n'avait probablement choisi de devenir des vampires, aucun n'aurait probablement souhaité commettre pareilles atrocités s'ils étaient encore humains ou elfes. Non pas que ces peuples soient tout deux composés uniquement d'innocents, mais... ceci est un autre débat.
 »

Un sourire sans joie étira ses babines alors qu'il se redressait pour venir verser dans son gobelet une nouvelle rasade d'infusion brûlante. Il en proposa aussi à Ilhan, s'il le désirait avant de reposer la casserole dans les braises.

« - Je me suis un peu éloigné du sujet principal. Ce que je voulais dire c'est que ma Tribu a effectivement disparue, toutefois je n'éprouve pas les même sentiments que toi à la perte de ta famille, car cette notion même nous est quasiment étrangère. Je ne vois pas mes parents de la même façon que toi, de même que je ne perçois pas mes enfants avec un lien aussi fusionnel et viscéral tel que ton peuple semble le ressentir en sa grande majorité. De l'autre côté, nous ne renions pas nos petits et ne crachons pas sur nos liens... c'est juste qu'ils ne sont pas aussi développés.
Nous avons un sens profond du respect des anciens, de même concernant la responsabilité sur l'éducation de la prochaine génération. Mais sache qu'un graärh devient indépendant lorsqu'il atteint sa sixième année et généralement il commence à s'accoupler vers ses dix ou douze ans. Une femelle peut donner naissance jusqu'à six, voire huit graärhons et elle ne s'en occupe que le temps de leur sevrage avant que son mâle reproducteur ne prenne en charge leur éducation jusqu'à maturité. Ce cycle se perpétue encore et encore... et encore. Nos vie sont simples, mais comme tu as pu le remarquer l'Archipel est un environnement qui ne pardonne pas, notre taux de mortalité est aussi élevé que celui de natalité.
Peut-être avons nous développé ce détachement pour nous protéger de la peine d'une perte trop constante ? Peut-être ne sommes nous pas si éloignés de nos ancêtres, les smilodons et avons-nous gardé une empathie atrophiée, comme celle des animaux ? Je ne sais pas. Je ne m'étais jamais penché sur la question et ce n'est que depuis quelques mois que je côtoies activement les bipèdes et que je découvre la myriade de nuances que vous cultivez dans chacune de vos émotions. Réellement fascinant, mais aussi terrifiant quand on voit certaines des conséquences.
 »

Il eut l'ombre d'un sourire dont l'amusement gagna cette fois ses yeux d'absinthe qui pétillèrent fugacement alors qu'il retrouvait bien assez vite son sérieux.

« - Je suis peiné par la perte de ma Tribu. Je suis toujours confus sur les raisons qui ont poussé et qui poussent encore aujourd'hui les nouvelles races à pratiquer activement l'esclavage. Je suis fâché de ne pas avoir été là pour aider... et possiblement mourir dans le tas. Mais c'est tout. »

Il haussa légèrement des épaules avant de souffler sur l'infusion pour en faire baisser plus vite la température.

« - Nous sommes fondamentalement territoriaux et nous aimons protéger ce qui nous appartient. Il n'est pas dans nos mœurs de nous attacher à des biens physiques, mais paradoxalement nous sommes très possessifs et peu partageurs quand il est question de nos Tribu et de nos terres ! Pas que cela vous dérange ou vous empêche de réclamer tout ce que vous voyez comme vôtre sans permission, mh ? »

Purnendu agrémenta sa petite taquinerie d'un clin d’œil, moustaches frémissantes et oreilles dressées. Il rabaissa la truffe au dessus du gobelet, mais n'osa pas s'aventurer à en laper le contenu. Pas encore.

« - Enfin... Chikitsak veut dire « docteur » en Graärh. Nous ne possédons pas de nom de famille, comme vous. Pour les raisons que j'ai expliqué tantôt. Nous n'avons que nos prénoms, puis les « nom » sont davantage des titres qui nous définissent au plus simple et rapide lors des présentations d'usage. Si j'arrêtais d'offrir mes services d'herboriste, de chirurgien ou encore de guérisseur et que je redevenais un chasseur et un pêcheur alors mon « nom » ne serait plus Chikitsak, mais peut-être Machhua ou encore Traikar. »

Un bref silence, le temps pour lui d'hydrater sa gorge de quelques gorgées méfiantes, craignant de se brûler une fois de plus la langue. Quand il reprit la parole, ce fut avec un sourire dans la voix et un chaleur sincère dans le regard.

« - Mmmh... ai-je répondu à tes questions ? J'ai tendance à me laisser emporter alors peut-être ai-je dévié de l'essentiel ! Si tu as d'autres interrogations, n'hésite surtout pas... car je compte bien te poser autant de question que j'en recevrai ! »

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Ilhan buvait littéralement chaque mot de ce récit passionnant, tout comme il buvait par petites gorgées son breuvage doux amer. Il fut tenté un court instant de prendre un parchemin et de demander plume et encre pour tout noter, mais se retint. Cela serait malvenu, cela couperait ce bel élan de confidence, cette ambiance feutrée si apaisante.

Il aimait les intonations grondantes, parfois ronronnantes, du Gräarh face à lui. Il était fasciné de toutes les nuances et expressions que son faciès félidé pouvait prendre. Il resta lui-même figé, telle une statue de cire, de peur que chaque geste ne stoppe ce moment béni des esprits. Un gräarh, enfin !, confiait son histoire à un humain. À un délimarien. Ils avaient mis tant de temps avec Sighild pour que l’un d’eux accepte de leur raconter ne serait-ce que des bribes de leur passé… Et là, il avait fallu qu’il ait cette rencontre, entre toutes, une des plus inattendues, des plus imprévisibles ! Si les dieux étaient encore parmi eux, Ilhan aurait cru qu’ils se jouaient de lui. Il en apprenait soudain sur ce peuple bien plus en quelques minutes à peine qu’en plusieurs semaines à Délimar. Peut-être devrait-il un jour prévoir un voyage dans les contrées sauvages des Gräarhs ? Avec l’un d’eux à ses côtés, bien entendu. Ce peuple semblait détenir un étrange savoir, un savoir à la fois si… primitif, mais si… puissamment naturel. Si… différent et pourtant si intéressant. Un peuple qui semblait si respectueux de la vie, de la nature, de la terre les entourant..

Au mot vampire Ilhan peina à réprimer un frisson. Il sentit une onde glacée lui parcourir l’échine. Et il doutait qu’elle ne soit due qu’à la fièvre. Qui d’ailleurs semblait s’estomper un peu. Il était tel un enfant, les yeux avides réclamant encore et encore un nouveau récit, et réagissait presque comme on s’y attendait des âmes encore naïves qui vivaient les récits qu’on leur contait. Ses yeux brillaient, de cette lueur attentive, tout son corps était entièrement dirigé vers l’autre, écoutant, s’abreuvant de cet autre conte qui palpitait de tant d’émotions. Il avait l’irrépressible envie d’aller serrer le gräarh dans ses bras pour lui marquer son soutien. Il ne fit pas un geste pourtant et resta figé, attentif, ses yeux sombres parlant pour lui, vibrant de compassion, de tristesse et de peine partagées.  

Il trouva l’exil de son père une bien dure punition. Après tout, il avait déjà perdu tous les siens, n’était-ce pas déjà une bien sinistre sanction ? Mais le peuple gräarh semblait un peuple dur, grandissant à la force des épreuves. Un peu comme le peuple de Délimar, songea Ilhan en son for intérieur. Et ce n’était pas la première fois qu’une telle pensée lui venait. Ces deux peuples avaient tant de similitudes… Ils pourraient tant partager, tant s’apprécier… Il lui fallait à tout prix les réconcilier. Foi d’Ilhan, il y parviendrait.

Un autre frémissement au mot chimère. Ilhan faillit littéralement recracher sa gorgée, mais se contenta de toussoter légèrement et d’un geste de main s’excusa. L’autre heureusement continua et de nouveau Ilhan savoura son récit.

Ainsi donc il s’agissait de ce fameux gräarh qui avait retrouvé Achroma, nommé depuis Ivanyr, et qui l’avait ramené parmi eux ? Voilà qui était intéressant. Un détail très, très intéressant. À cette pensée, Ilhan caressa distraitement son anneau des murmures.

Il fut plus qu’étonné toutefois d’entendre Purnendu parler ainsi des vampires. « Aucun n’avait probablement choisi de devenir vampire ». Si, inconsciemment, Ilhan avait caressé cette idée, jamais elle ne lui avait autant sauté à la gorge, telle une évidence dérangeante. C’était là une vérité crue, forte, et difficile à considérer. Mais ce n’était que sinistre réalité. Devait-on pour autant pardonner toute atrocité sous le sceau de l’inconscience de ses actes ? Difficile question soudain, à laquelle tout son esprit criait non. Mais il se promit d’y réfléchir à nouveau à tête reposée. Calmement. En tentant de chasser tout préjugé. «  Aucun n'aurait probablement souhaité commettre pareilles atrocités ». Ces mots allaient le hanter, il le sentait. Et non malheureusement, ils étaient loin d’être des innocents tous. Il n’y avait qu’à voir ce qui avait été fait à ce digne peuple gräarh.

Ilhan accepta le breuvage sans un mot, déglutissant difficilement à toutes les pensées qui soudain l’agitaient. Et écouta la suite avec la même fervente avidité.

Tant, tant d’informations sur la vie de ce peuple soudain ! C’était plus que ce qu’il aurait pu espérer. Diantre, il aurait voulu en cet instant une araignée baleine pour tout écouter et tout enregistrer !

« - Nous sommes fondamentalement territoriaux et nous aimons protéger ce qui nous appartient. Il n'est pas dans nos mœurs de nous attacher à des biens physiques, mais paradoxalement nous sommes très possessifs et peu partageurs quand il est question de nos Tribus et de nos terres ! Pas que cela vous dérange ou vous empêche de réclamer tout ce que vous voyez comme vôtre sans permission, mh ? »

Ilhan eut la décence de paraître contrit et gêné. C’était un trait de caractère qu’il n’appréciait pas outre mesure dans la race humaine. Ou les autres races d’ailleurs. Il n’avait lui-même pas réclamé « ses » terres, comme l’Empire lui avait proposé de les prendre, ses fameuses terres associées à son titre de Comte, lui anobli depuis quelques années à peine. Il considérait que ces terres offertes n’étaient de toute façon pas les siennes, pas celles qu’il avait gagnées, méritées. Ses terres à lui étaient en Alhaïa. Ses terres à lui étaient à des lieux d’ici, ravagées… meurtries et perdues à jamais. Aucune autre n’aurait pu être sienne. Et… Il était vrai que ces nouvelles terres sur lesquelles ils arrivaient en conquérants tout puissants ne leur appartenaient pas vraiment. D’ailleurs, songea-t-il soudain, pouvait-on vraiment s’attitrer des terres, des arbres, des fleurs ? Après tout, tout ceci n’appartenait-il pas au monde, à la nature, et non à eux pauvres humains éphémères ? Pensée dérangeante soudain que celle-là. Mais… Il sentait qu’il touchait là, encore, quelque chose d’important.

Fascinant comment une simple conversation avec un soi-disant animal lui ouvrait des perspectives de pensées déroutantes…

Aux différents mots gräarh, Ilhan tenta de les répéter à mi-voix, mais eut bien du mal aux âpres et rugueuses sonorités et préféra finalement se taire pour ne pas écorcher la langue de son hôte.

« - Mmmh... ai-je répondu à tes questions ? J'ai tendance à me laisser emporter alors peut-être ai-je dévié de l'essentiel ! Si tu as d'autres interrogations, n'hésite surtout pas... car je compte bien te poser autant de questions que j'en recevrai ! »

Ilhan offrit un doux sourire sincère lui aussi, délaissant, en cet instant si intense en murmures intimes, son célèbre sourire énigmatique qu’il gardait en toute circonstance. Non cette fois-ci, il se voulait ouvert et totalement sincère. Il ne sentait nul jugement chez ce gräarh et trouvait cet instant si rare et si précieux qu’il ne voulait pas le gâcher par de faux semblants ou une attitude fallacieuse.

Oui vous avez honoré toutes mes questions. Mais ne m’offrez pas d’en poser d’autres, ce serait sans fin avec moi. On me reproche souvent d’avoir trop de questions, d‘être trop curieux, ou de chercher trop loin…

Il eut un geste évasif de la main pour signifier que ces questions pouvaient effectivement partir loin. Très loin. Son cheminement de pensées était parfois tordu, même pour lui.

Et je serai heureux de répondre, autant que je le peux, à toutes vos questions aussi. Mais avant, une toute dernière… je crains qu’elle ne soit douloureuse toutefois…

Il hésita et s’humecta les lèvres. Puis retint un reniflement, mais l’éternuement partit sans prévenir.

Désolé, offrit-il piteusement.

Un autre reniflement. Il était proprement agacé lui-même de cette faiblesse. Et de ce manque de prestance outrageant.

Tout à l’heure… Vous avez dit vous nommer aussi…

Il hésita encore, puis, se lança, tout en imitant les deux gestes qu’avait effectués le gräarh pour ponctuer ses mots :

Âpres-cendres. Est-ce… en rapport à tout cela ?

Il soupira lourdement avant de s’empresser d’ajouter.

Si cela est trop indiscret ou douloureux, vous n’êtes pas obligés de répondre. Votre histoire est… si triste. Si…

Une boule d’émotions lui coupa les mots un court instant. Mais il s'empressa d'ajouter avant que l'autre ne puisse répondre :

J’aimerais vous dire que je suis désolé. J'aimerais pouvoir affirmer, que nous ne voulions pas… mais ce serait mentir. Nos peuples sont ainsi. Mais je peux toutefois vous assurer que certains d’entre nous tentent de guider les nôtres vers d’autres sentiers, vers des chemins de paix et de respect. Vous parliez de Délimar… et de l’esclavage… Sachez que certains à Délimar oeuvrent pour que les choses changent. Pour que le respect des vôtres devienne réalité. Et la première à oeuvrer en ce sens est son Intendante elle-même, Tryghild Svenn. Pour cela nous cherchons toute aide, tout précieux conseil. Et je suis heureux que vous m’ayez confié tout cela, c’est un récit qui nous aidera dans ce combat. Délimar est un peuple noble et fier, malgré cet outrage fait aux vôtres, et le peuple de Délimar porte en lui tant de valeurs qui vous plairaient… ce sont de nobles guerriers, qui préfèrent mourir pour leur dignité plutôt que de se cacher pour leur survie. Leur peuple, telle votre tribu, est précieux pour eux, et chacun donne tout ce qu’il a pour le faire grandir et le rendre plus fort. Vous…

Il regarda le gräarh droit dans les yeux et acheva, dans un murmure sourd.

Vos deux peuples se ressemblent tant. Sans vouloir vous offenser.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Un dernier point douloureux à aborder ? Et bien, pour une première conversation, ce bipède n'y allait pas de main morte. Bah, s'ils déblaient tout de suite les sujets délicats sans se sauter à la gorge alors oui, d'une certaine manière, ils pourraient ensuite avancer sans plus se soucier de regarder où ils mettaient les pattes ! Toutefois, Purnendu ne comprenait pas pourquoi son interlocuteur insistait à présenter des excuses alors qu'il ne lui en demandait aucune et cette profusion de politesse commençait sérieusement à le mettre mal à l'aise. Le fauve passa une main dans sa crinière et pinça légèrement des babines alors que son regard se faisait vaguement fuyant, témoin de son malaise. Les mots étaient précieux dans sa culture, en abuser leur faisait perdre de leur valeur. Un soupir silencieux lui échappa et il essaya de se concentrer sur ce que le sans-poil essayait de lui dire, mettant de côté ce gouffre culturel pour encore un moment.

La question, toutefois, eut le mérite de lui changer les idées et il ouvrit des yeux ronds avant qu'un léger frémissement dans ses larges épaules ne trahisse le rire qu'il essayait de contenir. Oh qu'il était adorable à se soucier d'un tel détail ! Il l'aurait volontiers enfoui dans ses bras s'il n'avait pas peur de l'étouffer ou de commettre un impaire diplomatique. Ils ne se connaissaient pas assez après tout, une accolade de cette envergure passerait probablement mal aux yeux de ce pauvre homme. Refrénant donc ses pulsions, Purnendu cacha son hilarité dans le fond de son gobelet alors qu'il lapait de nouvelles gorgées d'un air faussement innocent. Devait-il lui raconter pourquoi on le surnommait l'Âpre-cendre ? Oh, l'histoire n'était pas bien longue, mais elle avait souvent le mérite de détendre bien des situations et à entendre le sujet qu'aborda l'homme à la suite de sa question ; ils en auraient probablement bien besoin.

Le regard d'absinthe s'assombrit et l'étincelle de bonne humeur disparu au profit d'un lustre sombre et froid. Ah, l'esclavagisme de son peuple... il y revenait réellement ? Lui qui avait fais une note d'humour pour indiquer à l'autre que ce n'était pas quelque chose qui méritait de s'y attardait... peut-être y avait-il eut confusion ? Un lourd soupir lui échappa et il roula un peu des épaules pour empêcher la tension de ses épaules de s'installer définitivement et de le crisper pour le reste de leur échange. Il y avait beaucoup de choses à dire, trop en réalité et il n'était pas certain de vouloir les aborder maintenant. Silencieux de longs instants, il pu enfin boire une gorgée et la chaleur bienvenue dans sa gorge l'aida à dénouer sa gorge qu'il n'avait pas sentit se resserrer d'émois.

« - Si la moitié de ce que tu me dis sur ce peuple est vrai... alors pourquoi avoir autorisé l'esclavage en premier lieu ? »

La remarque fut particulièrement acerbe et fissurée d'une douleur profonde, ravalée de nombreuses fois. Purnendu éleva toutefois une main pour couper court à toute réplique, car il n'en désirait, en réalité, aucune. Il connaissait déjà la réponse, ou du moins s'en doutait suffisamment pour s'en passer. Et puis, l'endroit ne se prêtait pas à ce genre de débat, d'autant que lui-même n'avait pas envie de se gâcher l'humeur à penser aux esclavagistes, encore moins aux peuples hypocrites qui essayaient désespérément de faire marche arrière lorsqu'ils réalisaient combien ils avaient causé du tord à toute une race innocente des préjugés et crimes qu'on leur avait immédiatement portés sur des bases aussi superficielles que puériles. Un autre soupir secoua ses épaules et ce fut un regard usé et sombre qu'il porta sur son patient. Il l'observa encore un moment, puis détourna le museau avec un vague sourire désabusé.

« - Dans mon peuple, nous accordons beaucoup d'importance aux mots. Après tout, notre culture est orale. Nous écrivons peut et faisons davantage confiance aux leçons de la vie que celles des livres... toutefois, nous portons encore davantage d'importance aux actes. Il existe beaucoup de rituels et d'épreuves afin de déterminer si quelqu'un est digne de ses paroles, capable d'en transporter le poids des responsabilités. »

Il se massa la nuque, sembla réfléchir et ajouta d'une voix plus lente et prudente :

« - Peut-être êtes-vous sincère... avec vos mots, je veux dire. Toutefois, avec ce que vos actes vous définissent déjà à nos yeux, de simples paroles ne suffiront pas. Si vous voulez vraiment « nous » prouver qu'il ne s'agit pas que de simples syllabes creuses lâchées aux quatre vents... Et bien, peut-être devriez-vous organiser une rencontre entre votre Aaleeshaan Svenn et... Hum... »

Il s'interrompit brusquement et se frotta le dessous du museau, réellement songeur cette fois. Un léger tic anima ses oreilles alors qu'il penchait la tête d'un côté, puis de l'autre. Devait-il l'aider ou le laisser se débrouiller ? Il était tenté de lui imposer le second choix, car il consistait en lui-même à une épreuve de foi. D'un autre côté, mettre volontairement des bâtons dans les roues des rares bipèdes enclins à accepter son peuple et s'ouvrir à une véritable conversation n'était pas une décision des plus éclairées ! Puis Purnendu songea que moins il y aurait de peuples esclavagistes et moins Ivanyr serait enclin à brûler l'Archipel pour les punir. Le fauve reprit donc avec plus d'entrain :

« - Et probablement la Kamda Sa'Hila, de la Légion Vat'Aan'Ruda sur Néthéril. Elle est célèbre pour son esprit des plus... avant-gardistes, je dirais ? Ahahah... Errr... C'est assez délicat à expliquer, mais elle serait la moins encline des deux à vous abattre à vue si vous l'approchez, contrairement à l'Aaleeshaan de Paadsh- hum, je veux dire, de Nyn-Tiamat. C'est une femelle visionnaire, que j'ai rencontré une fois il y a très longtemps... si elle est restée ne serait-ce que la moitié de l'Aaleeshaan qu'elle était à ce moment, vous auriez beaucoup à gagner l'un de l'autre. »

De l'autre côté, il connaissait Illidim de réputation et la seule véritable rencontre qu'il avait eut avec la femelle avait été des plus sulfureuse... mais pas dans le bon sens ! Il en était ressorti la fourrure roussie et l'humilité profondément enfoncée dans le crâne. La cuisante négociation s'était achevée par un accord qui, s'il avait eut le mérite de l'arranger dans l'immédiat, lui causait aujourd'hui beaucoup de remords et de difficultés. L'Aaleeshaan de Paadshail était redoutable, farouche, violente et probablement très hostile aux nouveaux peuples avec tout ce que les esclavagistes et les vampires imposaient comme pression aux graärh de l'île depuis leur arrivée. Si le peuple de Délimar souhaitait réellement se rapprocher de sa race, alors autant commencer avec les pattes tendres de Néthéril ! Purnendu s'ébroua pour se sortir de ses réflexions et regarda de nouveau Ilhan avec une expression plus composée et détendue. Sa longue queue se remit à balayer le sol de façon indolente.

« - Quoi qu'il en soit, il faut vous préparer à des épreuves et vous armer de beaucoup de patience. Un grand mal a été porté sur les graärh et nous avons une très, très longue mémoire. »

Il haussa légèrement des épaules, puis termina son gobelet avant de se pencher vers la casserole oubliée sur son lit de braise depuis le début de leur conversation. Il en souleva le couvercle à l'aide d'une griffe, pour ne pas risquer de se brûler les coussinets, puis observa la couleur et la densité de la réduction d'herbes. Satisfait, il hocha la tête.

« - Aaah, cela devrait-être bon ! Une fois que tu l'auras bu, tu seras remis sur pieds. »

En temps normal, il aurait fallu encore quelques heures supplémentaires, mais grâce à son lien avec l'Esprit Sacré du Raton-Laveur, ses remèdes gagnaient autant en efficacité dans leurs propriétés, mais aussi dans leur temps de préparation. Purnendu se leva d'un mouvement ample, tout en souplesse, et alla chercher un nouveau gobelet et une louche avec carré de linge pour filtrer le breuvage. Accroupi, il versa la réduction odorante et veilla à n'en pas renverser une seule goutte hors du récipient. Humant le résultat, il prit une gorgée avec la louche et se lécha les babines avant de hocher la tête dans un vague roucoulement satisfait. Il ajouta ici aussi deux bonnes cuillères de miel avant de tendre à Ilhan sa préparation. Pour que l'humain ne se retrouve pas encombré de plusieurs gobelets et ne prenne le risque de se brûler, il l'aida en lui récupérant l'infusion de sapin.

« - Âpre-cendre est un titre qui me vient de mes débuts en herboristerie. Cela n'a rien à voir avec la disparition de ma tribu ! »

Il roucoula ce qui ressemblait à un rire, puis secoua la tête d'un air amusé.

« - C'était très... gentil à toi de penser cela et de vouloir en être certain, mais je t'assure que mon titre n'a rien d'aussi dramatique ! Vois-tu, au début de ma carrière j'étais très.. comment dire ? Collégiale dans ma pratique ? Je suivais les enseignements de mon professeur sans oser m'écarter du chemin qu'il m'avait tracé et mes remèdes en souffraient beaucoup... dans leur goût ! Ahahah... ils étaient imbuvables. Non, sérieusement ; il fallait que je force mes patients à les boire. Certains prétendaient même préférer la mort à mes soins. »

Purnendu pouffa encore de rire et le regarda avec insistance pour qu'il boive le-dit remède. Celui-là, heureusement, était lourdement parfumé de miel, mais l'on pouvait toujours sentir l'odeur astringente des herbes et le goût particulièrement âpre et terreux de certaines racines. Il n'était pas difficile d'imaginer combien ce breuvage aurait été une punition à boire sans sa note sucrée. Bras croisés et l'expression goguenarde, le graärh poursuivit :

« - Ce titre est donc né de la combinaison de ma couleur de fourrure et du goût affreux de mes remèdes, rien de plus simple... ni de triste ou de dramatique. »

Il haussa un peu des épaules, les yeux à nouveau pétillant d'amusement et d'un rien d'espièglerie. Attentif, il observa ensuite l'humain en silence. Les gorgées qu'Ilhan prenait lui détendaient la gorge et la chaleur qui s'en dégageaient communiquait jusqu'à ses poumons, chassant leur encombrement. Chaque déglutition faisait remonter dans ses sinus la fraîcheur des herbes, dégageant ses voies respiratoires. A peine eut-il terminé de boire, qu'il n'avait plus d'autres symptômes que la fatigue causée par son manque de sommeil et les courbatures récoltées à force de se crisper de froid.

« - … Alors, comment tu te sens ? »

Il approcha pour l'observer de plus près, puis se fendit d'un large sourire qui révéla sa dentition carnassière. Sincère dans sa joie, il s'exclama :

« - Ça m'a tout l'air guéri ! Allez, je vais t'en préparer une autre au cas où et je vais te mettre plusieurs rations d'infusion de pin. Quand ce sera fait, on pourra rejoindre ta tente pour la suite ! »

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Ilhan sentait par moments un malaise chez le graärh en face de lui. Ou plutôt… une gêne, ou… il ne savait quoi, à vrai dire… Mais par moments, il avait l’impression que l’autre se crispait, s’irritait. Était-ce les sujets abordés ? Pourtant son interlocuteur s’était… agité… avant qu’il n’aborde de nouveau le sujet Délimar. Avait-il dit ou fait quelque chose qui chez les graärh était insultant ? Ou pire encore ? Il hésitait à poser la question, de peur de mettre encore de l’huile sur le feu, déjà qu’il abordait des sujets potentiellement délicats. Pourtant, il lui faudrait trouver le courage de la mettre sur la table… S’il voulait comprendre ce peuple, s’il envisageait de mieux les appréhender, il lui fallait savoir ce qu’il faisait mal.

Rangeant la question dans un coin de son esprit, il observa l’autre, attendant avec une réelle appréhension, même si parfaitement contrôlée, les réactions du guérisseur aux deux sujets délicats qu’il osait remettre sur le tapis.

« - Si la moitié de ce que tu me dis sur ce peuple est vrai... alors, pourquoi avoir autorisé l'esclavage en premier lieu ? »

Ilhan ne se départit pas de son sourire énigmatique, même si ses yeux sombres brillèrent d’une lueur fugace. Oui, il devait avouer partager cette même question. Délimar abhorrait l’esclavagisme d’une façon générale, alors comment avait-elle pu l’accepter pour les Graärhs, quand bien même elle les considérait comme des animaux ? Même les bêtes de bâts étaient dignement traités en Délimar. Alors… comment ? Pourquoi ? C’était si… improbable venant de la Cité de l’Honneur. Bon, si l’on considérait objectivement les choses, l’esclavagisme était interdit en Délimar pour toutes les races conscientes, humains, elfes ou même vampires. Il n’avait pas été précisé que l’esclavagisme des graärhs était réellement accepté. En fait... rien n’avait été précisé à ce sujet. Les esclavagistes s’étaient engouffrés dans ce vide « législatif » pour l’instaurer et l’imposer en Délimar, en prétextant que la définition de races conscientes n’incluait pas les graärhs... À eux, responsables de Délimar, de réparer maintenant ce vide…

Toutefois Ilhan garda silence, comme lui intimait la main griffue levée vers lui. Il déglutit légèrement à la vue de ces griffes acérées qui, dans un geste rageur, pouvaient aisément le tuer sans qu’il n’ait aucune chance.

« - Dans mon peuple, nous accordons beaucoup d'importance aux mots. Après tout, notre culture est orale. »

Cette simple phrase fit écho en l’althaïen sans qu’il ne parvienne encore à complètement dire en quoi exactement. Il sentait qu’elle était une clé. Une clé à ses questions… à sa question… l’agacement viendrait de là ? Il parlait trop ? Ou usait de trop de mots ? Pas assez d’actes ? Comment pourrait-il seulement acter quoique ce soit dans une conversation, dans cet échange oral… ? Ilhan fronça les sourcils. Et se fustigea de s’attarder ainsi, alors que le graärh continuait de parler et de lui révéler des choses tout aussi importantes.

«  Il existe beaucoup de rituels et d'épreuves afin de déterminer si quelqu'un est digne de ses paroles, capable d'en transporter le poids des responsabilités. »

À ces mots, Ilhan se pencha légèrement en avant, tout ouïe.

« Et bien, peut-être devriez-vous organiser une rencontre entre votre Aaleeshaan Svenn et... hum... »

Et hocha la tête comme l‘encourageant. Une clé ! Il détenait là une information cruciale. Donc Tryghild serait leur… Alesh… Non… Aaleeshaan ? Erf que la langue des graärh était complexe. Donc une rencontre… entre Tryghild et ? Et qui ?

Ilhan se figea, attendant la suite avec impatience et avidité, qu’il ne prit même pas la peine de cacher, le corps entièrement en avant, ses yeux sombres brillant de vivacité, la tête légèrement penchée sur le côté. Il garda toujours silence, mais son sourire s’adoucit en des courbes plus sincères, son sourire de façade laissant enfin, peu à peu, la place à un sourire bien plus empathique.

« - Et probablement la Kamda Sa'Hila, de la Légion Vat'Aan'Ruda sur Néthéril. »

Ouch que de noms compliqués. Ilhan s’empressa de se les répéter plusieurs fois mentalement, tel un leitmotiv. Il devait s’en rappeler, il le devait ! Enfin un nom, une marche à suivre, pour faire un pas vers un rapprochement entre leurs deux peuples !

« - Quoi qu'il en soit, il faut vous préparer à des épreuves et vous armer de beaucoup de patience. Un grand mal a été porté sur les graärh et nous avons une très, très longue mémoire. »

Ilhan hocha la tête en déglutissant sa salive âpre. Une épreuve. Imposer une épreuve à Tryghild… L’idée lui faisait froid dans le dos et ne lui disait rien qui vaille. Mais ce choix ne lui revenait pas. Et si Tryghild voulait un rapprochement avec les graärhs, sans doute allait-elle devoir passer par cette étape pour se faire reconnaître comme une aa...alle… aaleeshaan officielle. Et donc par l’étape épreuve. Il soupira aussi imperceptiblement que possible, mais hocha de nouveau la tête. Mille questions, encore, à l’esprit. Dont certaines, une surtout, qu’il n’oserait jamais poser : « comment vous considérez-vous vous-même vis-à-vis des animaux ? Et les humains ? Et les elfes et vampires ? » Questions très certainement malvenues qu’il garda précieusement pour lui, en se mordant les lèvres.

Muet, attentif, il se contenta de prendre le gobelet qu’on lui tendait, notant d’un œil avisé que l’autre avait tout goûté sans tomber dans d’âpres souffrances et qu’il pouvait boire en relative confiance. Ce qu’il fit donc, après avoir soufflé quelque peu sur le breuvage fumant.

« - Âpre-cendre est un titre qui me vient de mes débuts en herboristerie. Cela n'a rien à voir avec la disparition de ma tribu ! »

Il écouta, et pencha la tête à l’étrange son que l’autre lui offrit. Était-ce un rire ? Un rire de graärh. Un doux son ronronnant… Ilhan sourit à son tour et but une gorgée. Puis deux. Réellement soulagé que cette question-ci, finalement, ne soit pas si triste et si douloureuse. Il but finalement tout son gobelet sans même y penser, alors que ses oreilles buvaient elles aussi le récit que l’autre lui offrait.

« - … Alors, comment tu te sens ? »

Ilhan sursauta presque à la question. Comment se sentait-il ? Remarquablement bien, observa-t-il soudain. Oui, remarquablement bien. Fourbu, éreinté, un bon sommeil ne lui ferait pas de mal, même s’il ne se l’accorderait pas avant le soir venu. Mais… sa migraine semblait envolée, ses poumons ne le brûlaient plus, l’air frais les enivrait sans encombre. Il inspira à grande bouffée et offrit un large sourire.

Mieux, vraiment mieux. C’est… inimaginable.

Les mages guérisseurs n’auraient pas fait mieux. Et c’était un graärh guérisseur qui avait réalisé cette prouesse avec de simples remèdes aux herbes…

Un grand merci, maître guérisseur. Noble Chikitsak.

Toutefois il manqua reculer quand le graärh l’approcha si vite et si près. Avec ces crocs si grands et si puissants ! Son sourire se fana un chouia, et il peina à réprimer un frisson. Mais parvint à ne pas fuir de son siège comme une proie découverte.

« - Ça m'a tout l'air guéri ! Allez, je vais t'en préparer une autre au cas où et je vais te mettre plusieurs rations d'infusion de pin. Quand ce sera fait, on pourra rejoindre ta tente pour la suite ! »

Ilhan hocha la tête et regarda le graärh s’affairer. Il s’humecta les lèvres plusieurs fois, des questions encore une fois sur le bout de la langue et tenta de peser ses mots pour les exprimer clairement.

Puis-je… me permettre encore quelques questions ? Vous… avez parlé d’épreuves. Une humaine, aussi digne soit-elle, peut-elle y prétendre ? Si j’ai tout compris, notre aallle… hum…

Inspire, expire, et tente de ne pas écorcher le mot.

Aaleeshaan… j’espère bien le prononcer, la langue graärh m’est difficile, donc notre aaleeshaan Tryghild Svenn devrait se rapprocher de… hum…

Ilhan se passe une main sur le menton, peu sûr encore de sa prononciation et peu désireux de vexer son hôte.

–  la Kamda Sa'Hila, ?

Il leva un sourcil en quête d’assentiment sur sa prononciation mais poursuivit :

Et elle devra passer ensuite des épreuves pour être reconnue digne… du titre d’aaleeshann et digne d’un lien avec le peuple graärh, est-ce bien cela ? Serait-ce outrancier de demander de quelle nature sont ces épreuves ? Si j’ai tout compris, votre peuple nourrit de hautes aspirations quant à la force, la volonté et le courage. Délimar porte en haute estime les mêmes valeurs d’ailleurs. Est-ce que je me trompe si je suppose que ces épreuves seront… des épreuves de force, de courage et de volonté ? Peut-être un brin guerrières ou en rapport avec la chasse ?

Il inspira profondément avant d’ajouter.

Peut-être ces questions sont déplacées et peut-être que ces épreuves sont de natures… secrètes. Auquel cas je m’en excuse.

Puis, songeant à sa précédente question face aux réactions du graärh à certains mots, il ajouta, presque dans un murmure.

J’ai aussi l’impression que… certaines de mes paroles ou de mes actes, ou peut-être mes non-actes, vous irritent, mais… j’avoue ne pas savoir en quoi. Si je fais quelque chose… qui vous… insupporte… ne vous gênez pas pour m’en faire part et je tenterai de le corriger. Je ne souhaite en aucun cas vous…

Il leva une main en signe d’impuissance, les mots lui manquant soudain comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant.

blesser. Ou que sais-je. Je souhaite vraiment, et ce ne sont pas que des mots, vous connaître, vous, et vous comprendre, vous et votre peuple. Outre mon intérêt personnel, c’est une étape importante pour nos deux peuples que d’apprendre à se connaître. Et pour les projets de Délimar… d’abolir l’esclavage. Et sans doute de tenter de réparer, si tant est que ce soit possible, les torts causés...

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Une gourde dans une main et une louche dans l’autre, le graärh veillait à filtrer la réduction médicinale avant de la verser dans le récipient. Il y avait deux doses supplémentaires et avec ça, le Conseiller de Délimar pourrait soigner n’importe quel encombrement respiratoire. Grace à son Esprit-Lié, ses remèdes étaient particulièrement efficaces pour traiter tous les maux que le corps pouvait héberger, il lui suffisait juste de connaître les bonnes plantes et procédés d’extraction et de préparation pour pouvoir aider son prochain à volonté. Voir le soulagement et la joie sur le visage de ses patients était déjà un paiement suffisant pour Purnendu, bien qu’il ne soit pas assez naïf pour n’accepter que cela comme paiement en rétribution de ses services. Généralement, il s’arrangeait d’une part de la chasse quotidienne ou d’autres ressources utiles comme une poterie, une peau traitée ou tout simplement un service qui lui sera rendu ultérieurement. Il y avait toujours moyen de s’arranger et une vie valait bien l’inconfort d’un ventre vide ou d’un pot fêlé pour quelques semaines de plus.

Dans son peuple, la parole donnée était une assurance certaine, sans quoi l’honneur du parjure en pâtirait grandement. Toutefois, parmi les bipèdes, le graärh avait rapidement appris grâce à l’enseignement d’Aldaron qu’il valait mieux se baser sur des valeurs plus… matérielles, comme ces pièces d’argent et d’or qui s’échangeaient en lieu et place d’un troc plus confortable à ses yeux. Il s’était plié à cette étrange coutume et avait appris les bases du marchandage ainsi que la valeur donnée aux outils et biens les plus basiques. Heureusement pour ceux qui venaient à l’hospice de Cordont, aucun paiement n’était demandé par le fauve à la couleur de cendre. Tout le matériel dont il avait besoin lui était fourni gracieusement par l’Alliance et même l’Empire ! Quant au prix de ses services, il était offert de bon cœur en cette période de sinistre et de deuil. Faire connaître son nom, balayer les préjugés sur son peuple ; voilà autant de paiements qui lui suffisaient. Venir ici lui avait permit d’en apprendre plus sur la médecine que les autres races possédaient, de découvrir l’alchimie et le plus important : de faire de nouvelles rencontres, toutes plus enrichissantes les unes que les autres.

En parlant d’enrichissement culturel, Purnendu était persuadé que l’althaïen en apprenait plus avec lui en quelques heures, qu’il en aurait été capable en plusieurs lunes laissé à lui-même. Encore une fois, son enseignement n’était pas totalement innocent, car il espérait qu’une telle connaissance débloquerait la situation entre deux peuples et qu’à la façon des dominos ; d’autres suivraient cet exemple. Bien sûr, cela ne se fera pas en quelques saisons, mais à terme… ah, oui :  à terme, ils pourraient tous vivre en harmonie sur l’Archipel. C’était là son vœux. Même si les races venaient à s’isoler chacune sur une île ! Tant qu’il n’y avait plus de conflits inutiles, il serait heureux. Revenant aux questions d’Ilhan, il leva le museau de sa préparation et le fixa longuement sans un mot. Sa queue se balançait par moment, prise de petites secousses paresseuses. Son immobilité pouvait être dérangeante, de même que l’insistance de son regard à la couleur saturée, presque irréelle.

« - Nous portons beaucoup d’importance aux mots. Chacun possède une valeur, une richesse que l’on doit respecter et user avec modération. Nous agissons plutôt que nous ne parlons, car nous savons combien le poids d’une promesse est irrévocable, combien une phrase mal pensée ou mal formulée peut être une contrainte et une raison à la perte de son honneur… voire au bannissement. »

Sa voix était devenue profonde, lavée de toute taquinerie ou amusement. Le timbre résonnait dans son puissant poitrail, sortait avec un accent plus prononcé qui faisait rouler les « r » et siffler les « s ». Sa posture s’était sensiblement modifiée et le puissant félin semblait plus massé tandis que sa queue s’était enroulée autour de ses jarrets. Un silence tomba encore après ces quelques phrases et il termina ce qu’il faisait avant de se redresser de toute sa hauteur. Du pouce, il enfonça le bouchon de la gourde et s’assura qu’il n’y ait pas de fuite avant de tendre l’objet au Conseiller.

« - Depuis que je t’ai rencontré, j’ai perdu le compte des fois où tu as présenté des excuses. Encore et encore, comme un mantra aussi creux qu’un œuf percé, tu n’as pas arrêté de dire « désolé ci » ou « désolé pour ça » alors qu’en face de toi, jamais je ne t’ai appelé à prononcer de telles paroles. Je ne crois pas m’être montré hostile ou fermé à ta curiosité. Je me rappelle avoir même accepté et encouragé un tel comportement de ta part et pourtant… pourtant, tu continues à te soumettre et à te présenter en faute. »

Purnendu détourna la tête et passa une main sur sa nuque massive, enfonçant les griffe dans sa crinière blanche pour en gratter les mèches soyeuse et décorées de perles de bois et d’ambre, d’anneaux en argent et d’autres breloques qui tintaient doucement à chaque frémissement de son cuir. Il sembla mal à l’aise, mais se força à poursuivre sa leçon :

« - T’excuser pour un acte qui ne t’es pas reproché et insister plusieurs fois… Pour mon peuple, c’est une marque de faiblesse ainsi qu’une très bonne raison pour tâcher ton honneur au regard des autres. Abuser de ces mots, c’est leur fait perdre toute valeur dès lors qu’ils sont dans ta bouche et quand viendra le véritable moment de présenter tes excuses ; pourquoi devrions-nous croire les mots d’une personne qui les abuse envers tout et n’importe quoi ? Personne ne sera convaincu, même si en ton cœur tu es sincère. »

Le fauve approcha de l’établis et commença à plier plusieurs carrés de papier en petites enveloppes qu’il remplit chacune d’une dose d’infusion de sève et d’épines de pins.

« - Au delà d’abuser des mots, continuer à t’excuser malgré mes propres encouragements était comme dénigrer ma sincérité et la valeur de mes propres paroles. Si je peux comprendre ton vœux à ne pas me froisser et ton inconfort à marcher en des bases qui te sont inconnues, n’oublie pas que tous en mon peuple ne sont pas aussi patients et ouverts d’esprit. Je désire en apprendre sur votre peuple probablement autant que toi sur le miens, mais les graärh que tu vas rencontrer ailleurs seront probablement hostiles et méfiants à ton égard. Ce sera à toi de faire tes preuves, pas l’inverse… alors n’oublie pas, Ilhan Avente, Conseiller de Délimar ; les mots sont lourds, très lourds de sens. »

Il se tourna et lui tendit cinq petites enveloppes. Son regard s’était réchauffé alors qu’il essayait de ne pas trop paraître solennel et réprobateur. Il savait que le gouffre des cultures était difficile à combler et que ce pauvre homme apprenait beaucoup en très peu de temps. De son autre main, il lui serra doucement l’épaule et vint lui offrir ce qu’il espérait être un sourire rassurant.

« - Les actes parlent peut-être pour eux-même et sont aussi d’une grande importance, mais parfois… et bien, aucune action ne peut remplacer des mots. Parfois, tu ne peux rien faire de plus que parler, d’où la nécessité de chérir ces mots et la valeur qu’ils auront dans ta bouche. C’est compliqué, mais l’un ne doit pas être négligé au profit de l’autre. Une action peut devenir creuse de sens si la personne porte des mots usés et a contrario des mots vides ne pourront pas forcément être remplis par des actes de bravoure. L’équilibre est fragile. »

Il le relâcha et le contourna pour se diriger vers sa besace dont il passa la sangle en travers de son large torse et s’assura qu’elle reposait bien contre sa hanche, sans gêner ses mouvements.

« - Ouvre la voie, Ilhan. Allons chez toi afin de continuer cette conversation de façon plus intime. Le détail des épreuves n’est pas un sujet que j’aimerai poursuivre au quatre vents. »

Ce qui impliquait qu’il lui accordait sa chance ; celle de prouver que ses intentions étaient sincères. Après tout, la succession d’une Aaleeshaan était un rite sacré au sein de son peuple. Observant l’althaïen lui passer devant, Purnendu le suivit en mesurant ses pas pour ne pas le dépasser. Quittant l’immense tente de toile blanche, ils s’engagèrent dans le camps de réfugiés.

« - Pourquoi Délimar souhaite changer son comportement vis à vis du traitement porté aux Graärh ? Quel a été l’élément déclencheur après presque deux ans d’abus et d’esclavage ? Votre Aaleeshaan ne s’est certainement pas réveillé un matin avec une illumination ! Ou bien a-t-elle été visité par un Esprit ? »

Même si le ton était légèrement moqueur, l’on pouvait sentir que les questions étaient sincères et que les réponses étaient très attendues.

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Ilhan retint presque sa respiration en attendant la, les, réponse(s) à ses questions. Il ne bougea pas d’un iota, et garda un immobilisme stoïque, même quand le graärh le fixa de son regard insondable un long moment. Un très long moment. Gênant. Déstabilisant. Mais l’althaïen parvint à soutenir ce regard sans sourciller, sans broncher, avec une patience et un calme inébranlable. Une chose qu’il avait appris au contact de Fabius : le regarder droit dans les yeux, lui servir des mensonges éhontés ou plutôt des demies vérités, tout en le trahissant dans l’ombre. Même si là nulle duperie ne rongeait son coeur, il avait tout de même la nette impression d’être jugé, et que le moindre faux pas lui coûterait. Peut-être, sûrement même, n’était-ce que vile impression infligée par sa paranoïa exacerbée. Mais dans le doute… il ne fit aucun pas, aucun geste, et attendit, appelant son dauphin à lui.

Et fut extrêmement soulagé quand l’autre enfin reprit la parole. Mieux même, lui répondit !

S'il s'était attendu à cela ! Le Graärh lui expliquait l’importance des mots, que ce soit dans son peuple ou d'une façon générale. Il lui expliquait leur valeur, leur connotation primordiale et la nécessité d’en faire usage à bon escient, de choisir le bon mot au bon moment. Et il lui expliquait tout cela à lui ! Le gräarh lui expliquait cela à lui qu’on disait souvent maître des mots ! Un court instant, Ilhan sentit une pointe d’agacement et de vexation… puis son dauphin l’apaisa et la douce ironie de ce laïus lui sauta aux yeux. Il était toujours bon de prendre des piqûres de rappel, et au contact des délimariens il avait effectivement pris cette fâcheuse habitude de présenter ses excuses pour les propos qu’il savait pouvoir déclencher colère ou irraison chez eux. Mauvaise habitude. Très mauvaise. Et c’était un graärh, entre tous les êtres de cet archipel, qui lui rappelait cela ! Ilhan sentit un sourire mi cynique mi amusé poindre sur ses lèvres à ses dépends, sans qu’il ne puisse le retenir. Sans qu’il ne veuille le retenir.

Il attrapa l’objet qu’on lui tendait et remercia d’un simple signe de tête. Il préférait ne pas user de mots pour cette fois-ci.

« - Depuis que je t’ai rencontré, j’ai perdu le compte des fois où tu as présenté des excuses. »

Son sourire d’autodérision se fana et s’adoucit pour laisser place à une moue plus contrite devant cette once de semonce. Il baissa les yeux, tout en lâchant un lourd soupir. Qu’il se sentait las et fatigué. Et qu’il faisait un bien piètre diplomate, surtout face aux graärhs, en cet instant.

Mais non, se morigéna-t-il en silence, il était peut-être piètre, pour le moment, mais il avait tout apprendre de ce peuple. Il ne pouvait pas baisser les bras. Pas maintenant, pas alors qu’il touchait enfin du doigt ce qu’il avait toujours cherché concernant les graärhs. Fort de cette nouvelle détermination, bien qu’un brin vacillante par la fatigue accumulée, il releva ses orbes sombres et les darda sur Purnendu d’un air résolu.

Et continua d’écouter, de noter en son for intérieur tout ce qu’il apprenait sur les mœurs de ce peuple. Tellement semblable aux délimariens par certains aspects. Et à écouter Purnendu, Ilhan sentait approcher une nouvelle compréhension du peuple nordique aussi. C’était, eux aussi, des gens d’action, de gestes, pas de paroles. Même si Tryghild l’avait fait mander pour l’art de parlementer et son talent diplomatique, il n’avait pas réussi à totalement ouvrir la communication avec les délimariens. Restant toujours un peu à part.

Il avait toujours été un peu à part, s'il voulait être honnête. Même en Althaïa, il était trop ambitieux, trop accaparé par ses rêves de gloire humaine pour la Romantique. Même à Gloria. L’althaïen à Gloria. L’exotique pudique à la Cour insolente. Le petit bourgeois talentueux jouant des coudes au milieu des nobles l'ignorant, l'insultant ou le jalousant. A force de ruse, de talent et de combativité, il avait su se faire une place dans ce monde si fermé. Pour mieux ensuite lui refuser ses talents et retourner à des valeurs d’un autre ferment. Mais… si à la Cour il lui était vite apparu qu’il ferait mieux de rester l’exotique, de rester à part, de se mêler à eux sans totalement s’y fondre… Ici, à Délimar, et face aux graärhs… Peut-être devrait-il oeuvrer autrement ? Avec plus… de véracité ? Peut-être… être plus lui-même ? Tout simplement ? Mais être totalement lui-même, si tant est qu’après tout ce temps, il le sache vraiment, en serait-il capable ? N'était-ce pas risqué ? Ne serait-il pas… rejeté ? Totalement désapprouvé ? Ne serait-il pas…

« - Ilhan Avente, Conseiller de Délimar ; les mots sont lourds, très lourds de sens. »

Il se gifla alors mentalement pour se poser de telles questions maintenant. Il regarda les petites enveloppes qu’on lui tendait d’un air dubitatif et incertain puis d’une main hésitante les prit, un nouveau hochement de tête en remerciement silencieux.

Il ne sursauta même pas quand une patte griffue vint serrer, presque avec chaleur, presque avec douceur, son épaule. Il baissa les yeux sentant des larmes traitresses lui monter. La fatigue oui.

La fatigue… Pff, qui croyait-il duper ? L’humiliation peut-être de se faire rabrouer comme un apprenti, ou l’amertume de réaliser que peut-être il s’était trompé de voie, fourvoyé tout un pan de sa vie. Ou… Ou… tant et tant d’émotions se bataillaient soudain en lui. Un maesltröm prêt à l’étouffer et que seules des larmes salvatrices auraient pu apaiser. Mais, au lieu de laisser cette soupape s’ouvrir, il les ravala, étouffa ses émotions une à une en lui, comme il l’avait si bien appris, et se crispa un instant sous l’effort. Plus tard, oui, plus tard, il y reviendrait, il les analyserait, quand il méditerait. Plus tard, mais pas là. Pas devant le graärh. Pleurer était sans doute, pour eux aussi, un signe de faiblesse, surtout chez un homme.

Et au lieu de larmes, ce fut un petit rire qui lui échappa. Un son court, un peu rude, un brin grinçant,  résonnant désabusé, plus qu’amusé.

Je suis…

Une autre gifle mentale. Il allait encore s’excuser ! Et son ricanement reprit, quelques notes nerveuses venant l’accompagner. Il se passa une main dans les cheveux, un geste de gêne qu’il ne s’autorisait d’ordinaire jamais et releva des yeux presque embués vers l’autre :

On me dit souvent maître des mots, car dans notre monde je les manie, les maniais, plutôt avec talent et avais appris de grands maîtres cet art-là. Il est particulièrement ironique, bien que salvateur, que cette dure leçon des valeurs premières de cet art me soit rappelée par vous, un graärh dont le langage est peu porté sur les mots, si j’ai tout compris.

Il se leva toutefois quand l’autre l’invita à lui ouvrir la voie jusqu’à sa tente. Aucune hésitation dans ce geste, aucune inquiétude non plus. Il avait, sans qu’il ne sache pourquoi, une certaine confiance en cet être-là. Et ne disait-il pas accepter de lui en apprendre plus sur ces fameuses épreuves ? Sur les Aaleeshaans, et surtout sur les Graärhs !

Il chassa bien vite toute nostalgie et toute onde de tristesse, s’accrochant à toutes ces petites notes éphémères mais douces de joie et d’espoir qui s’égrainaient à cette idée. Il attrapa le petit réchaud de lit que le graärh lui prêtait, passa devant le grand félin, et d’un geste l’invita à le suivre. Au passage, il fit signe aux gardes qui l’attendaient de les suivre mais à bonne distance, et de ne pas s’inquiéter.

« - Pourquoi Délimar souhaite changer son comportement vis à vis du traitement porté aux Graärh ? Quel a été l’élément déclencheur après presque deux ans d’abus et d’esclavage ? Votre Aaleeshaan ne s’est certainement pas réveillé un matin avec une illumination ! Ou bien a-t-elle été visité par un Esprit ? »

Ilhan se retourna et se mit à la hauteur de son interlocuteur. Il détestait marcher seul en tête, tel un empereur devant ses sujets. Il préférait laisser cela à d’autres. Lui n’était pas fait pour marcher devant, mais pour marcher dans l’ombre. Il n’était pas fait pour parader, mais pour écouter. Et murmurer.

Cruciale question. J’ai bien peur de ne pas en avoir une réponse précise. J’en suis…

Dans un soupir, il parvint à retenir le mot qui lui était venu. Et un ricanement agacé vint finir sa phrase.

Les mauvaises habitudes ont la vie dure. Aucune réponse précise donc. Tout ce que je sais c’est que la culture de Délimar n’est pas portée sur l’esclavage d’ordinaire. Les Glacernois, une des trois grandes nations de notre ancien monde qui composent Délimar, ont de tout temps abolit l’esclavage, et se sont toujours ouvertement prononcés contre. Délimar a été la première cité à prononcer l’interdiction de l’esclavage… des races conscientes. Humains, vampires ou elfes. Je pense…

Il marqua un petit temps d’arrêt, sentant l’essoufflement le frapper à marcher tout en parlant à un rythme trop soutenu pour lui.

Je pense, mais je ne peux en être formellement sûr, que les esclavagistes des graärhs ont profité de ce vide juridique.

Il préféra taire ce qu'il entendait par vide juridique et ce que cela sous-entendait. La considération que les graärhs n'étaient peut-être que des animaux, des êtres non conscients... Il préférait ne pas mettre de mots sur cela, surtout qu'il ne partageait pas du tout cette vue-là. Il entrevoyait chez les graärhs une profondeur que même certains représentants des races de leur ancien monde ne pouvaient receler.

Par méconnaissance de votre peuple, par manque de précision à leur sujet dans nos lois, l’esclavage des Graärhs a réussi à s’installer dans la cité. Et ce, contre la volonté de notre Intendante, de cela j’en suis sûr. Mais quand l’ampleur de ce méfait a été réalisé… Il était tard. C’était devenu une mœurs bien ancrée pour certains et… difficile à abroger d’un coup d’un seul. Je pense que ce projet trottait dans la tête de notre Intendante depuis un long moment. Mais il lui fallait les bonnes personnes et le bon moment pour déclencher ce laborieux processus.

Il reprit alors la route, regardant devant lui les yeux lointains, se projetant déjà dans l’avenir, dans ce qu’il y avait à faire, à prévoir, dans ce qu’il rêvait de construire.

Abolir quelque chose semble souvent facile. On dicte l’abolition et hop… Mais non, tout n’est pas aussi facile malheureusement. Je sais que cela doit être douloureux, cruel même, d’entendre cela pour vous, mais les choses dans nos sociétés en reconstruction sont si fragiles, si précaires… Nous sortons de nombreuse guerres et nous nous devons d’éviter d’en enclencher d’autres, si possible. Si nous voulons qu’une abolition ne crée pas de tensions, nous devons tout prévoir, tout étudier, autant que faire se peut, pour limiter les répercussions. Et ce pour tous les partis. Car si l’abolition est déclarée sans préparation, ce sont encore les anciens esclavagisés qui risquent d’en pâtir le plus : les anciens esclavagistes se retourneront encore contre eux, sans chercher le bien fondé possible. Ce sera alors dissension, ségrégation, racisme déjà bien trop latent, crimes, meurtres, mais aussi révoltes ensanglantées ou pire. Bien entendu même en prévoyant tout, les risques sont encore là mais… Et il faut aussi prévoir de… « réparer »… autant que faire se peut. Prévoir d’aider les anciens esclavagisés, de leur offrir toutes les opportunités, de retrouver les leurs ou… puisqu’ils n’ont plus de tribu… d’en reconstruire une autre, ici ou ailleurs, de retrouver leur honneur…

Il s’arrêta de nouveau, devant sa tente cette fois-ci, en souleva un pan, puis réalisant soudain qu’il s’était emporté dans son laïus, il offrit un sourire contrit et invita d’un geste de la main le graärh à entrer.

Je sais, je ne réponds pas du tout à votre question. Je… Non je ne suis pas désolé, fit-il cette fois d’un sourire taquin. Je me suis laissé emporter par mes visions du futur. C’est une constante chez moi, et si nous sommes amenés à nous cotoyer, il faudra vous y habituer.

Il entra à son tour.

Le feu est éteint, et je ne sais…

le rallumer. Même avec la magie. Lui et le feu… n’étaient pas bons amis. Ce n'était pas pour rien qu'il était tombé malade...

Si vous avez froid, vous pouvez…

Il fit un geste au graärh l’invitant à faire comme chez lui. Sinon il demanderait aux délimariens de l'aider. Encore.

Si vous voulez du thé aussi… ou tout autre chose…

Il s’avança vers un semblant d’installation de bureau où, bien rangés, attendaient de nombreux parchemins, plume et encrier bien agencés. Il souleva le couvercle d’une petite coupelle, où de nombreuses douceurs sucrées les invitaient à la gourmandise. Il en prit une et ferma les yeux sous l’onde de plaisir de ce goût qu’il aimait tant. Du chocolat.

Servez-vous, faites-vous plaisir. Faites comme chez vous. Et…

Il s’avança cette fois vers son coffre. En sortit un petit coffret. Il en prit une petite bourse remplie de piécettes qu'il posa sur le semblant de table.

Dites-moi combien je vous dois, pour vos soins, vos remèdes, et pour la location de votre matériel. A moins que vous préfériez un autre paiement que de l’or ? Un ravitaillement d’herbes ou autre peut-être ? Ou les deux, cela se peut aussi.

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Si l’odeur des larmes n’échappa nullement à son flaire affûté, il n’en montra cependant rien et laissa l’homme retenir ses émotions avant qu’il ne prenne la parole dans un rire aigre, trahissant combien la leçon du félin semblait l’avoir secoué. Une paire d’oreille dressée et l’autre couchée, tête basculée sur le côté, Purnendu affichait une certaine consternation alors qu’il s’efforçait d’être patient avec les humeurs contrariées du petit homme. La palette complexe d’émotions dont se révélait capable les bipèdes le fascinait toujours. Ses explications, toutefois, mirent la lumière sur son comportement et le grand félin opina lentement du chef. Il comprenait parfaitement et s’il était désolé de l’avoir à ce point bousculé, il ne présenta nullement ses excuses ; après tout, Ilhan était celui qui avait demandé des explications ainsi qu’une leçon sur les mœurs de son peuple et le pourquoi de l’agacement qu’il avait pu contracter tout au long de leur enrichissante conversation.

« - Notre langage comporte peu de mots, il est vrai. Mais pas par refus de les utiliser, mais parce que nous avons simplement conscience de leur valeur et du poids de leur signification. Nous favorisons la qualité à la quantité. »

Déclara-t-il sobrement avant de se mettre en marche pour l’extérieur, donc. L’air frais du dehors fit gonfler sa fourrure et il prit une longue et profonde inspiration avant de s’étirer sans ralentir le pas. Sa marche était lente, ses pas parfaitement silencieux alors qu’il maintenait l’allure de l’homme bien plus petit que lui sans avoir l’air incommodé. Sur leur chemin, bien des regards se tournaient vers eux qui formaient un duo des plus intriguant et singulier. Loin de s’en préoccuper, Purnendu attendait donc les réponses de l’althaïen et quand il l’entendit manquer de s’excuser une fois de plus pour se retenir de justesse, le fauve cendré laissa filer un rire chaud et lui posa une main qui se voulait réconfortante sur l’épaule. Sa patte couvrit entièrement cette dernière et les longues griffes accrochèrent un peu le tissus quand il la lui tapota avec une extrême douceur, conscient de la différence de force entre leur race.

Attentif à la petite leçon qu’on lui prodiguait, il nota donc scrupuleusement dans son esprit toutes les informations concernant la forteresse de pierres. Ce qu’il apprenait ne lui plaisait pas et son mécontentement fut parfaitement lisible que ce soit entre la plissure de ses babines ou encore le battement bien plus nerveux et saccadé qu’adopta sa longue queue angora. Il s’arrêta en même temps qu’Ilhan afin qu’il retrouve son souffle et vint à passer une main sur une joue pour en gratter le poil épais d’un air pensif.

« - Tu es en train de me dire qu’il n’aura pas fallu plus qu’une apparence différente et une barrière linguistique pour frayer entre les mailles de votre filet juridique ? »

La question était rhétorique et le ton amer n’attendait de toute façon pas réellement de réponses en soit. Il trouvait désolant qu’un peuple supposé supérieur en tout point se retrouve abusé sur une faille de loi aussi grossière. Mais la faute revenait-elle vraiment au texte ou bien à ceux qui l’avaient écris et qui, pour x ou y raisons,, n’avaient pas eut le temps de le rectifier ? Voire seulement l’envie de le faire… après tout, il était bien pratique d’avoir des esclaves dont la force et l’endurance, toutes deux largement supérieures à la leur, s’utilisaient pour bâtir un projet aussi colossal et coûteux qu’une forteresse géante ! Maintenant que le chantier touchait à sa fin, il était temps de remettre le masque du peuple égalitaire et progressiste afin d’arrêter l’esclavage du-dit peuple n’est-ce pas ? Purnendu se garda bien de partager son point de vue et se contenta de souffler par les narines alors qu’il levait les yeux vers le camps et ses nombreux réfugiés.

« - Dois-je en conclure que l’autorité de ton Aaleeshaan est contestée ? Si elle ne peut pas décider seule et appliquer ses choix, alors elle n’est pas reconnue à l’unanimité. Du moins, c’est ainsi que mon peuple le verra si le sujet revient sur le tapis… et crois-moi, il y reviendra. »

Être la supposée dirigeante, mais ne pas être capable d’imposer ses décisions ; c’était là une marque de faiblesse. A Paadsshail, c’était le signe de cette dirigeante était sur le déclin et une femelle plus jeune et plus forte serait déjà en train de se préparer pour la défier… et la tuer. Quant à Netheril, ces pattes molles la relaieraient probablement comme simple Tribyoon dès qu’une nouvelle Aaleeshaan aura remporté leurs épreuves. Le fauve s’ébroua mentalement afin de chasser ces sombres pensées de son esprit, espérant ne pas obscurcir son jugement et regretter ses choix concernant le partage de ses informations. De plus, le Conseiller poursuivait son monologue et Purnendu recentra son attention sur ce qu’il lui disait. A la fin, il secoua la tête de droite et de gauche, vaguement incrédule.

« - Vous autres, vous vous compliquez inutilement la vie, voilà ce que je retiens de tes explications. »

Ce fut une remarque sobre, presque déclarée avec une certaine bonhomie. Il ne releva pas l’intention d’aider des graärh à rebâtir une tribu parmi les bipèdes, ni de les assister pour qu’ils retrouvent leur honneur. Ce genre de points seraient à envisager uniquement lorsque l’abolition sera imposée et acceptée -de force ou pas- parmi tous les sous-peuples qui composaient Délimar. Un vague sourire étira ses babines sombres alors qu’il levait la truffe en direction de la tente sur laquelle ils venaient de faire une seconde halte. Ils avaient marché jusqu’au cœur du campement délimarien et Purnendu pouvait à présent observer ce peuple sans plus de distraction. Il y voyait des hommes immenses, puissamment bâtis et qui lui rappelaient Ivanyr dans les traits ou certains caractéristiques physiques. Est-ce que son ami était originaire de là-bas ? Il faudrait qu’il lui pose la question à l’occasion tiens. Baissant le museau sur le petit homme à la peau sombre, il dressa les oreilles et laissa filer un nouveau rire alors qu’il répondait d’une voix chaude et amusée :

« - Il n’y a pas de soucis. Comme j’aime à le dire ; aujourd’hui nous vivons des expériences de hier afin de bâtir celles de demain. Regarder de l’avant est encore la façon la plus saine d’avancer, cela évite de se prendre inutilement les pattes dans les racines de nos erreurs passées. »

Il entra dans la tente en veillant à ne pas s’accrocher les cornes sur la toile cirée, puis observa l’intérieur si douillettement aménagé. Ses yeux d’absinthe s’arrêtèrent sur le feu éteint et il s’en approcha pour l’observer plus attentivement ; il s’agissait d’un brasero et les cendres comme les charbons étaient froids depuis de très longues heures. Il n’était pas étonna que l’humain soit tombé malade s’il avait dormi dans un tel environnement ! Se passant de tout commentaire, il releva son attention sur lui et guetta le moindre de ses faits et gestes. Les invitations cordiales pleuvaient, mais le graärh sentait une forme de détresse et peut-être de malaise émaner des intentions de son hôte. Curieux, il l’approcha et vint s’accroupir pour se mettre à sa hauteur et de là, il continua de l’observer avec une attention accrue. Ses yeux ne cillèrent même pas à la vue de la bourse, ni au tintement caractéristique des pièces d’or à l’intérieur.

« - Ilhan, si ma présence te met mal à l’aise, nous pouvons retourner dehors. »

Le fauve pencha légèrement la tête sur le côté, intrigué avant qu’il ne soupir légèrement et ne se redresse pour retourner vers le récipient en fer forgé qui trônait près du lit de camps. Il décida d’ignorer royalement la question du paiement et préféra orienter la conversation sur un sujet plus urgent :

« - J’aimerai toutefois te montrer comment l’on allume un feu et comment entretenir ton brasero. En tant que médecin, je souhaite que mes patients prennent soin de leur organisme. »

Ouvrant sa sacoche, Purnendu plongea une main jusqu’au coude dans ses méandres glyphés et lorsqu’il en émergea de nouveau ses griffes, il tenait une lamelle de métal en forme de croissant de lune et une pierre de silex. Les deux objets étaient ferrés en leur extrémité, puis reliés ensemble par une petite chaîne afin qu’ils ne soient pas séparés et perdus.

« - Tu en as déjà un ? Ceci va créer les étincelles dont tu auras besoin pour rallumer les braises. »

Il attrapa, entre les pieds du brasero, un fagot de brindilles et en arracha une bonne poignée qu’il brisa en trois pour former comme un buisson hirsute qu’il fourragea au cœur des charbons.

« - Tu dois garder de l’espace pour ne pas étouffer les premières flammes. Elles seront aussi frileuses que toi, l’ami ! Tu dois en prendre soin et les guider doucement, les encourager d’un petit souffle ainsi que d’une alimentation abondante et facile à digérer. »

Le fauve fit claquer la lamelle de métal contre le silex dans un angle qui fit bondir les étincelles sur les brindilles qu’il avait pris soin d’agrémenter de mousse séchée. Il souffla légèrement pour que les esquilles prennent suffisamment pour créer des flammèches tremblotantes.

« - Quand tu les sentiras assez forte, ajoute encore du bois par petites mesures, ensuite assure-toi d’amasser les charbons pour qu’ils se ravivent et quand ils sont rougeoyant, tu peux ajouter des bûchettes selon la température que tu veux obtenir dans l’entourage immédiat du brasero. Il est aussi possible d’ajouter aux brindilles des herbes et des branches médicinales pour la relaxation et la méditation, si jamais tu la pratiques. »

Purnendu lui tendit son outil pour qu’il puisse l’observer et lui conseilla de bien retenir la forme, la couleur et la texture du silex, car il s’agissait de pierres que l’on pouvait trouver dans la nature et qui se révélait toujours utile pour la survie. En temps normal, confia-t-il, il utilisait un sort mineur qui consistait à entourer ses griffes de l’élément souhaité ; en l’occurrence du feu. De cette manière, la tâche était grandement simplifiée, mais puisque le peuple de Délimar était si hermétique à la magie… cette approche plus conventionnelle allait tout aussi bien, même si elle était un petit peu plus longue pour obtenir le même résultat.

« - Si jamais tu te réveilles et que le feu agonise, tu dois simplement racler la couverture de cendre, attiser les braises d’un souffle vif puis ajouter les brindilles et ensuite les bûchettes, comme on vient de le faire. N’hésite pas, avant de te coucher, de remplir l’objet que je t’ai donné de braises bien rouges, de l’entourer d’un linge et de le glisser sous tes draps, aux pieds du lit. Une bonne circulation du sang est encore le meilleur moyen de passer une nuit confortable. »

Il approcha de la boite aux confiseries et renifla son contenu avant de saisir délicatement entre ses griffes un petit carré à la couleur marron pâle, onctueuse dans sa texture. Sortant une langue râpeuse, il en lécha la surface et fut amadoué par sa saveur riche et profonde du sucre et de la crème qui le constituaient. Malheureusement, lorsqu’il glissa ce qui était un réalité un caramel mou dans sa gueule, ce qui avait des airs de délice se transforma en piège cruel : sous ses crocs, la friandise colla et s’emmêla au point de rendre chaque mâche plus difficile et contraignante que la précédente.

« - Mnyaaa.. Miaa… Mnnn… Shé u’e shorshe’rie… !? Mmmgn... »

Tête levée vers le plafond pour ne pas baver au sol et sur le bureau du Conseiller, Purnendu était en train de perdre une délicieuse bataille contre un caramel. En peu de temps, il lui fut presque impossible d'écarter les mâchoires et le regard de détresse qu'il glissa au bipède était semblable à celui d'un chaton battu.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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« - Tu es en train de me dire qu’il n’aura pas fallu plus qu’une apparence différente et une barrière linguistique pour frayer entre les mailles de votre filet juridique ? »

Sur l’instant, Ilhan fut tenté de répliquer que ce n’était qu’une analyse de sa part, une vision des choses possibles, mais peut-être pas tous les possibles, pas toutes les vérités. Mais Une vérité le frappa. Ce que disait le Graärh résumait étonnamment bien une situation, pas seulement en Délimar, mais de tout l’archipel vis-à-vis de l’esclavagisme des Graärh. Alors il se tut.

L’humanité avait fauté. Aussi dure soit cette vérité, elle était là, crue, à nue, et Ilhan la reçut de plein fouet. Et lui qui se targuait de participer à construire un grand destin pour son peuple avait fauté tout autant. Car il n’avait rien fait. Il avait voulu se retrancher, prendre sa retraite… Il n’avait pensé qu’à lui, son petit confort… et n’avait rien fait. Alors il garda ses mots pour lui. Laissa ses maux s’exprimer par un Graärh pour les Graärh.

« - Dois-je en conclure que l’autorité de ton Aaleeshaan est contestée ? Si elle ne peut pas décider seule et appliquer ses choix, alors elle n’est pas reconnue à l’unanimité. Du moins, c’est ainsi que mon peuple le verra si le sujet revient sur le tapis… et crois-moi, il y reviendra. »

Il ne pouvait laisser dire cela. Mais ce n’était ni le lieu ni l’endroit pour y répondre. Il garda donc dans un coin de sa tête ce sujet. À la fois pour répondre à Purnendu, que pour faire part de ce point à Tryghild. Et soupira intérieurement. Il savait le sujet épineux, délicat, mais… il se sentait déjà épuisé rien que d’y penser.

Voilà pourquoi il avait voulu prendre sa retraite, songea-t-il en son for intérieur. Fatigué. Las. Désabusé aussi. Une pointe d’amertume revenant si souvent ces derniers temps. Même s’il lui suffisait de penser à Tryghild et à tout ce que cette femme essayait de bâtir pour en chasser les vagues acides.

Quant à se compliquer les choses… Certes oui. Les humains avaient un certain talent pour cela. Qu’aurait dit Purnendu quant aux pratiques séléniennes, bien plus complexes encore que les mœurs délimariennes !

Ilhan se contenta de continuer sur sa lancée, gardant précieusement ses pensées pour lui. Peut-être les exprimerait-il plus tard. Ou un jour. Peut-être. Mais pas maintenant. Il lui fallait régler plusieurs choses. Dont son stress grandissant à voir un intrus chez lui, possiblement mettre tout en désordre. Un Graärh si grand dans une tente si petite pour lui ! Malaise d’autant plus grandissant alors qu'il songeait, et ce pas pour la première fois, à toutes ces faiblesses qui l’auraient fait tuer chez les tribus de son invité. Déjà chez le peuple humain, la faiblesse physique, du moins chez un homme, n’était pas appropriée. Alors en ces lieux si hostiles qu'était l’archipel… et en face d’un membre du peuple Graärh…

Mais il avait beau être maitre dans l’art de dissimuler, ces êtres-là avaient un sixième sens. Et à son plus grand malheur, Purnendu avait senti son mal-être.

« - Ilhan, si ma présence te met mal à l’aise, nous pouvons retourner dehors. »

Silence de nouveau. Que répondre à cela ? Non, il ne souhaitait pas qu’ils retournent dehors. Surtout pas. Ne serait-ce que parce qu’il faisait froid. Et qu’il était fatigué. Qu’il voulait s’asseoir. Se coucher… Non, pas maintenant, plus tard il dormirait. Plus tard… Le soir venu. Pour l’instant il avait à faire.

Visiblement le Graärh avait décidé de jouer le même jeu que lui et de ne pas répondre non plus. Pas de paiement donc ? Ilhan en décida pour lui et déposa toute la bourse sur la table. Sans doute demanderait-il en outre à quelques membres de la Toile s’y connaissant de trouver de précieuses herbes médicinales et de les envoyer au guérisseur Chikitsak.

« - J’aimerai toutefois te montrer comment l’on allume un feu et comment entretenir ton brasero. En tant que médecin, je souhaite que mes patients prennent soin de leur organisme. »

Ilhan s’approcha, peu confiant toutefois. On lui avait déjà vaguement montré. Le soir, quand l’heure de monter le camp était venue. Quand, après la remontrance de Sigvald, il avait décidé de se lier un peu plus aux gardes, ces derniers lui avaient montré certaines choses. En vain, cependant. Ilhan s’était montré un incapable notoire à ne serait-ce que faire du feu.

Pour autant, il observa avec toute son attention. Notant les gestes, les mêmes qu’on lui avait déjà montrés. Même si les objets étaient un brin différents, il en avait déjà utilisé des semblables. Une telle pierre de silex… oui, il en avait une. Inusitée.

« - Tu en as déjà un ? Ceci va créer les étincelles dont tu auras besoin pour rallumer les braises. »

Il hocha simplement la tête pour toute réponse. Le Graärh lui donnait des indications supplémentaires cependant, fort utiles. Mais astuces ou non… Son problème à lui c’était de créer l’étincelle. Sous le bon angle. Il n’avait jamais réussi.

Quand Purnendu lui tendit son silex, Ilhan la saisit d’une main peu assurée et en caressa doucement les contours.

« - Si jamais tu te réveilles et que le feu agonise, tu dois simplement racler la couverture de cendre, attiser les braises d’un souffle vif puis ajouter les brindilles et ensuite les bûchettes, comme on vient de le faire. »

Ça au moins, il devrait savoir faire. Il hocha de nouveau la tête, signalant qu’il avait compris. Retenu. À défaut de savoir faire. Et rendit sa pierre au guérisseur.

Il vit alors le Graärh s’approcher de sa coupelle de friandises. À la fois soulagé que ce ne soit que pour les gourmandises et non ses parchemins, et content que son invité accepte ce petit partage. Il imita d’ailleurs Purnendu et se saisit lui aussi d’un chocolat. Il en savoura le goût qui explosa sur ses papilles et l’inonda d’un certain bien-être. Et observa avec attention son invité. Il avait l’air d’apprécier. Il avait l’air…

Oh.. Y avait-il un souci ? Soudain inquiet, Ilhan fit un pas vers le Graärh. Il avait l’air d’avoir des difficultés à mâcher.

Purnendu, murmura-t-il des tonalités inquiètes dans la voix.

Par les sept, avait-on empoisonné un de ses chocolats ? Et c’était le guérisseur qui allait périr à sa place ! Il aurait dû plus se méfier. Croire qu’on ne viendrait pas jusqu’au milieu du camp de Délimar était une erreur, il le savait ! Il ne devrait jamais baisser sa garde. Jamais !

Il ne savait que faire.

« - Mnyaaa.. Miaa… Mnnn… Shé u’e shorshe’rie… !? Mmmgn... »

Voilà que l’autre devenait incohérent ! Mais…

Pourquoi levait-il la tête ? S’il était empoisonné, n’aurait-il pas dû tomber à terre ? Convulser ou… il ne savait quoi d’autre ? Ilhan pencha la tête sur le côté et ses yeux sombres se fendirent à l’affût de tout signe indicateur. Puis soudain le Graärh tourna la tête vers lui, un regard tel que lui aurait lancé un chien perdu. Un chat pardon. Un chat ? Non, un Graärh. Un Graärh perdu par un caramel ! Et soudain le tilt se fit dans l’esprit de l’althaïen. Le caramel ! Le caramel en fondant s’était collé aux dents, aux crocs du Graärh, qui menaçait de baver partout d’ailleurs, sous la douceur traitresse. Et alors…

Ilhan partit d’un grand éclat de rire. Un rire incontrôlable. Le deuxième depuis sa rencontre avec le guérisseur. Un rire si puissant, qu’il dut se retenir à la table pour ne pas tomber à terre. C’était… si peu Avente. Mais c’était si hilarant aussi… Peu importait les bonnes manières, il était avec un Graärh après tout ! Sincérité et véracité étaient les seuls maitres mots chez eux.

Ilhan se laissa aller à rire alors, sans aucune retenue. Une main en avant en signe d’excuse envers son invité dont il se moquait. Il rit comme jamais il n’avait ri depuis des années. À en pleurer. Il essuya les larmes traitresses et son rire se calma quelque peu. Le Graärh semblait enfin reprendre un minimum de contrôle de sa mâchoire. Le caramel à force de fondre allait le libérer de son emprise.

Je suis…

Non, pas désolé. Pas d’excuses.

Mais c’était si… drôle… de vous voir ainsi.

Il en avait le souffle haché.

Je sais qu’il n’est pas de bon ton de se moquer de ses invités, mais c’était vraiment… drôle.

Et il menaça de rire à nouveau. Il dut faire appel à un minimum de contrôle pour retenir son hilarité renaissante. Il ne put masquer le grand sourire taquin qui s’étirait sur ses lèvres.

Vous êtes tombé sur un caramel. En fondant… cela colle aux dents. J’aurais dû vous prévenir… si j’avais pensé…

Un petit rire lui échappa.

Qu’on puisse vaincre un Graärh avec un simple caramel !

Et un nouvel éclat s’éleva.

Ilhan calme-toi, s’intima-t-il à mi-voix entre deux hoquets. Tu ne devrais pas… C’est… C’est… ton invité.

Il se força alors à inspirer et expirer plusieurs fois pour maitriser son rire et y parvint enfin.

Merci Purnendu. Je suis un mauvais hôte avec vous, et je me moque, mais merci. Pour vos soins, dont voici le paiement.

Il désigna la bourse.

Mais aussi pour vos conseils, votre objet que vous m’avez prêté, pour m’avoir fait rire comme jamais depuis si longtemps… et pour votre ouverture d’esprit.

Ces derniers mots furent prononcés avec un réel sérieux. Son sourire devint non plus taquin, mais sincère et ses yeux pétillaient d’un éclat plus assuré.

Pour tout à l’heure… si je vous ai semblé mal à l’aise… Ce n’était pas vous le problème, mais moi. Sans doute. Je ne suis pas à l’aise avec l'idée de laisser entrer des gens que je connais si peu dans mon intimité. D’ordinaire je le cache mieux, mais… vous avez un sixième sens, dirait-on. Ça et… le fait que…

Il se passa une main dans ses cheveux, cherchant ses mots.

Ce que vous m’avez montré pour le feu, on me l’a déjà montré. Mais… malgré cela je suis toujours incapable d’en allumer un moi-même. Pas la bonne étincelle, pas la bonne manière, pas… Bref, jamais le bon geste, la bonne technique. Donnez-moi une épée, et ce serait encore pire. Ce n'est pourtant pas faute d’avoir essayé. Je suis une calamité dès qu’il s’agit d’effectuer la moindre tâche manuelle. Je l’ai toujours été. Je suis de faible constitution et n’ai pas bonne endurance. Pourtant j'exerce quotidiennement une activité physique. Une sorte de... danse... méditative. Bref.

Il n'aurait pas gardé un tour de taille décent s'il n'avait pas un tant soit peu d'activité. Pas avec toutes les sucreries qu'il avalait tous les jours. Mais ce n'était pas là, la question. Il s'égarait.

La faiblesse physique est déjà fort peu appréciée chez mon peuple, d’autant plus chez les délimariens, même si vous pouvez compenser par d’autres forces moins visibles.

Se disant, il tapota sa tempe de son index.

Après tout, ils mont appelé chez eux pour ces forces-là, ces compétences non manuelles mais finalement utiles quand même. Mais... ce n'est pas pour autant que ma faiblesse est acceptée. Tout juste tolérée. Alors... pour votre peuple… en cet archipel… un être comme moi n’aurait jamais vécu aussi longtemps. Je peine à comprendre ce qui vous pousse à me parler, à moi si faible pour vous un Graärh.

Se disant, il s'avança vers un endroit tapissé de coussins. Il était réellement fatigué, et songeant qu’il était inutile de la cacher, après une telle confession, il s’assit sur l'un d'eux en tailleur, et invita d’un geste Purnendu à se mettre à l’aise aussi.

Mais je ne vais pas m’en plaindre. Voilà en tout cas les… possibles raisons… de mon malaise. Mais…

Peut-être était-il temps de revenir sur son Aaleeshaan et de lui faire comprendre qu’elle, entre tous, n’avait rien de faible, bien au contraire.

Mais n’allez pas croire que mes paires sont comme moi. Que notre Aaleeshaan soit aussi faible. Elle est forgée du même fer que les hommes que vous avez vus dehors, les hommes du nord de notre ancien continent. Elle est le fer forgé dans la glace, le bouclier hérissé sur les remparts, la force inébranlable de Délimar.

Il soupira un court instant, calmant son ardeur poétique.

Plus concrètement, je me suis mal exprimé tout à l’heure. Si nous voulons préparer l’abolition pour éviter des remous, ce n’est pas uniquement par peur des contestations.

Pas tout à fait.

C’est aussi dans une volonté de vouloir ouvrir les yeux à tous, non pas par la force, mais par l’adhésion consciente pleine et entière.

Soudain, réalisant une chose qui manquait, même à lui, il se releva même si avec lenteur.

Je fais un piètre hôte. Vous voulez sans doute du thé.

Il s’enquit alors de sa théière, qu’il remplit d’eau et qu’il approcha du brasero.

Sachez qu’elle n’est pas faible, loin de là. Elle a réussi à rassembler en une seule cité trois peuples différents, trois tribus si vous préférez, qui ont été en un temps rivales et ennemies, qui ont guerroyé les unes contre les autres. Donnez-moi le nom d’une seule Aaleeshaan de votre peuple ayant réussi ce tour de force et vous pourrez les comparer. Mais oui notre système sociétal est complexe et à Délimar il est basé notamment sur le vote de tout citoyen pour marquer son adhésion aux projets proposés. Je vous avoue que pour avoir testé nombre de systèmes, je soutiens avec ferveur celui-là. Il permet à tous de s’exprimer et d’indiquer à son Aaleeshaan si elle est toujours sur la bonne voie pour que tous la suivent avec conviction. Et ce n’est pas parce que l’on dit que l’on n’est pas d’accord que l'on conteste forcément l’autorité de notre Aaleeshaan…

Il déposa avec précaution sa théière sur le brasero et l’observa attentivement comme s’il allait trouver dans les braises les réponses à toutes ses pensées agitées.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Son appel de détresse silencieux ne confronta d’abord que de l’incompréhension, puis alors que le jour se faisait dans les yeux sombres de l’althaïen, le graärh se cru sauvé. Malheureusement, au lieu de recevoir enfin de l’aide il se heurta plutôt à une crise de fou rire. De surprise, Purnendu dressa les oreilles et ouvrit des yeux encore plus ronds, totalement désemparé par la réaction aussi soudaine que totalement hors caractère du Conseiller. Aurait-il été moins éduqué et ouvert d’esprit qu’il aurait très bien pu prendre la mouche et taire l’insolent d’un coup de patte en travers de la gorge. La chair tendre des humains n’aurait pas opposé une grande résistance et même une pichenette suffirait à broyer le larynx de l’homme qui, à présent accroché au bord de son bureau, continuait de se gausser librement de ses malheurs. Pourtant, le Sir Avente avait la chance inouïe d’être en présence d’un graärh qui avait une certaine auto-dérision en plus d’être particulièrement et profondément tourné sur l’ironie dans toute sa splendeur acide. Ainsi, au lieu de se braquer et malgré le caramel qui continuait de faire office de ciment dans ses mâchoires, il poussa lui aussi un vague rire.

Son éclat fut toutefois mouillé et gargouillé à cause de toute la bave qu’il tentait désespérément de garder confinée à l’intérieur de son museau, mais ses babines se perlaient inexorablement et les mains jointes sous ses moustaches avaient d’ors et déjà les coussinets ruisselants d’une bave sucrée. De la langue, il léchait inlassablement les coins de sa dentition cimentés par le caramel et petit à petit le félin commença à sentir la résistance du caramel se relâcher. De son côté, le sans-poil parvenait à retrouver son souffle et commença à s’expliquer. Ainsi, voir un pauvre graärh s’humilier était quelque chose de drôle ? Voilà une pensée bien cruelle… mais Purnendu ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, car lui-même s’était plus d’une fois amusé à voir Jangali peiner sur ses préparations du temps où il n’ajoutait pas de miel. Toutefois, quand l’autre repartit dans un nouveau fou rire, le félin décida de le punir en venant lui balayer le visage avec l’impressionnant plumeau de fourrure angora qu’était sa queue. Il suffit d’un passage pour couvrir la bouche et le nez de l’humain, lui faisant probablement manger sa dose de kératine au passage.

Ce fut alors à son tour de glousser avec les yeux plissés et les pupilles arrondies, dilatées. Fouillant dans la sacoche qui ne quittait jamais sa hanche, le graärh récupéra un linge propre et il s’en servit pour s’essuyer les mains, puis le museau de toute trace de bave. Sa longue queue ondoya encore, mais à quelques centimètres du visage de l’humain cette fois, de sorte à jouer la menace silencieuse à la caresse aussi soyeuse que chatouilleuse. Quand il abaissa l’appendice et le laissa effleurer le sol autour de ses jarrets, Ilhan et lui avaient retrouvé un semblant de calme. Une fois de plus, la bourse fut totalement ignorée alors qu’il rangeait le linge et portait plutôt son attention sur les autres friandises. Sa curiosité dépassait l’appréhension de se faire encore piéger, mais il vint attraper entre deux griffes un petit rectangle noir aux parfums plus boisés et amer. Quand bien même semblait-il concentré sur sa nouvelle trouvaille, ses oreilles tournées en direction de l’humain montraient combien il était attentif à ce qu’il lui expliquait. Un sourire ourla ses babines alors qu’il répondait d’une voix chaude et amicale :

« - Il n’y a pas de honte à vouloir préserver son territoire d’une intrusion inconnue. Après tout, il s’agit de ton sanctuaire, d’un lieu où tu dors, où tu vis et penses. C’est ici que tu éprouves tes sentiments les plus profonds. C’est ici que tu laisses tomber le masque, où tu pousses ton premier véritable souffle avant ou après une longue journée à l’extérieur. Tu devrais, au contraire, être moins frileux à défendre ce confort et affirmer davantage tes souhaits et désirs. »

Il lécha la surface du chocolat et goûta son étrange saveur avant d’émettre un bas roucoulement d’aise lorsque le parfum se déploya dans son museau. Purnendu ferma les yeux et prit une profonde inspiration avant de revenir lécher la surface du chocolat à plusieurs reprise, creusant jusqu’à la garniture de praline. Lorsqu’il rouvrit ses paupières, il darda ses iris d’absinthe sur le Conseiller et vint s’accroupir afin d’être à sa hauteur. Il l’observa, puis lécha le devant de sa truffe avant de reprendre la parole :

« - Ce que tu ne sais pas produire de tes mains, tu le fais de tes mots et de tes pensées. La force d’un être ne se définit pas uniquement par ses capacités motrices, mais par un ensemble qui doit s’équilibrer. Dans mon peuple, nous avons certes plusieurs castes et s’il est vrai qu’un artisan sera considéré moins élevé dans la société qu’un chasseur, ce n’est pas pour autant que l’on dénigrera son travail ; c’est parce que la vie dans l’Archipel nous a forgé et éduqué à favoriser la capacité de se battre par dessus le reste. Notre vie est courte, pas parce que nous avons une espérance de vie brève, mais parce que nous la rendons précaire par nos us et coutumes. L’Archipel est sauvage et plutôt que de la dompter, comme le fait votre peuple, nous nous sommes adaptés à son jeu… avec tous ses inconvénients. »

Il tendit une main pour effleurer la joue d’Ilhan d’un revers de ses phalanges. Il veilla à bien courber les griffes vers l’intérieur de sa paume pour ne pas l’effrayer ou risquer de l’écorcher. La caresse se prolongea sur sa tempe alors qu’il penchait la tête sur le côté pour mieux l’observer. Lorsqu’il repoussa une boucle sombre derrière l’oreille de l’humain, il souffla un profond ronronnement qui se voulait réconfortant, puis laissa sa dextre retomber sur sa cuisse, toujours accroupi.

« - Tu es né et tu as vécu dans un peuple suffisamment riche et diversifié pour que tu puisses te concentrer uniquement sur ta force mentale et ton intelligence. Il y en a dehors qui ont eut le luxe de ne travailler que leur force et leur dextérité manuelle. Ceci est la preuve d’une société équilibrée, riche et auto-suffisante. Il n’y a pas à avoir honte de cela… et il n’est pas nécessaire de faire sans cesse la comparaison. Tu es toi et je suis moi. »

Purnendu détourna le museau et goba le chocolat qu’il fit fondre sur sa langue avant de poursuivre :

« - Il est vrai que laissé seul, tu ne survivrais probablement pas une nuit dans l’Archipel, mais la beauté de toute cette théorie, c’est que tu ne seras jamais totalement seul… ou réellement en danger, car tu as suffisamment de savoir et de ruse pour que toujours… toujours quelqu’un t’aide ou te suive, n’est-ce pas ? »

Il lui lança un regard pétillant de malice, trahissant la vive intelligence qu'il cachait sous ses airs de peluche ou d'énorme félin, alors qu’il se relevait pour s’approcher du brasero afin d’y tendre ses mains et laisser les poils mouillés d’un peu plus tôt sécher confortablement. Il dédaigna un instant les coussins, attendit d’avoir les coussinets délicieusement roussis avant de rejoindre le Conseiller avec lui-même un soupir d’aise. Il s’étira et retira quelques couches de vêtements, notamment ses bottes adaptées à ses griffes et ses ergots, puis s’allongea comme un gros pacha dans le tas de coussin et roula à moitié sur le dos dans une contorsion purement féline. Veillant à ne pas éventrer ses appuis à cause de ses cornes courbées, il écouta ce que l’humain avait à dire et constata avec amusement qu’il avait enfin trouvé quelqu’un d’aussi bavard que lui ! Il n’allait certainement pas le laisser filer celui-là.

« - L’adhésion totale et consciente que vous recherchez n’est qu’une utopie, jamais vous ne l’obtiendrez telle que vous la rêvez. Il y aura toujours des contestataires et du racisme. Même entre vos propres peuples vous vous battez et vous vous considérez supérieurs à certains, n’est-ce pas ? Ce n’est pas une critique, mon peuple fait la même chose… Des deux Légion, celle nommée Vat’Em’Medonis au nord vous dira qu’elle est supérieure à celle du Sud Vat’Aan’Ruda. Au sein de la même Légion, il y a toujours des luttes de pouvoirs et une recherche de dominance. »

Il se gratta la gorge et, à la proposition du thé, hocha du museau avec un sourire appréciateur. Il avait hâte de goûter à la préparation du chef, si l’on pouvait dire. Il roula sur un flanc et se redressa sur un coude afin de poser une joue dans le creux de sa main. Les yeux mi-clos, il observa l’homme se lever et commencer les préparations. Sa queue tapotait le tas de coussin avec indolence.

« - J’ai du mal à considérer qu’en élevant sa voix contre sa dirigeante, l’on ne remet pas en doute sa place. Si elle a été choisi en premier lieu, c’est parce qu’elle s’en est prouvée digne… si elle ne l’est plus, que ce soit de l’avis d’une seule personne ou d’une majorité alors il faut la changer si elle n’est pas capable de maintenir ses idéaux -que ce soit par un combat ou une épreuve, c’est aussi simple que cela. Conserver le pouvoir trop longtemps n’est pas une bonne chose. Il faut garder le sang frais, comme les idées et les intentions qui en coulent. Mais je présume que cela vaut uniquement pour mon peuple, car comme je te l’ai dis plus tôt ; nous vivons des existences courtes et intenses. »

Il se lécha les babines, récupérant les restes du chocolat. Pensif, il fixa les fibres du coussin sous lui et accrocha une broderie du bout de sa griffe pour en tester les points, aimant voir les reflets du brasero se refléter sur sa texture riches et soyeuse. Sa voix se fit profonde, lointaine alors qu’il soufflait :

« - Les bipèdes aiment construire des choses qui les succéderont, ils aiment s’encombrer l’esprit et les mains de bien des choses inutiles. Votre coeur aussi est compliqué, confus et parfois totalement oublié et perdu tant vous vous êtes emmêlés dans des sentiments dilués, délayés. Mais je ne peux pas dénigrer que cela a son charme et que j’apprends, moi aussi, à m’intéresser à toutes ces choses que mon peuple à perdu ou oublié... »

Puis il dressa les oreilles comme s’il venait de se rappeler de quelques choses et tourna la truffe vers l’humain pour le détailler scrupuleusement de la tête aux pieds.

« - Tu m’as dis plus tôt que tu étais faible physiquement et que tu ne savais pas manier une épée, mais tu fais une danse méditative ? As-tu essayé d’autres formes de combat ? J’en pratique un qui peut s’adapter à toutes les constitutions physique et... me montrerais-tu ta danse méditative ? Je fais aussi de la méditation tous les matins ! »

Sa queue s’enroula en un point d’interrogation dans son dos et il eut un large sourire aux babines, révélant aussi ses crocs. Voilà des sujets plus triviaux et convenables autour d’un tasse de thé.

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Bon, se prendre un plumeau de poils bien touffu en pleines dents n’était pas le meilleur qu’il ait connu. Cela l’aida sans doute à calmer un peu son rire. Un peu seulement. S’il avait cru pouvoir rire ainsi un jour… et surtout rire ainsi en présence d’un Graärh…

S’il fut touché ensuite, d’une quelconque façon, par les mots du Graärh quant à ses possibles capacités, quant à la façon dont il oeuvrait pour sa propre tribu humaine, à sa façon à lui même si ce n’était pas de compétences physiques, mais de compétences psychiques, il n’en dit rien et n’en montra aucun signe. Si ce n’est peut-être des yeux sombres particulièrement brillants, vifs et acérés, qui semblaient à la fois sonder l’être en face de lui et engloutir les mots au fond de leur ténébreux iris, comme les happant au tréfonds de son âme. Ne disait-on pas que les yeux étaient le reflet de l’âme ? Dans le cas d’Ilhan peut-être plus encore. C’était souvent la seule partie réellement expressive, la seule partie de son corps réellement sincère...

« - Il est vrai que laissé seul, tu ne survivrais probablement pas une nuit dans l’Archipel, mais la beauté de toute cette théorie, c’est que tu ne seras jamais totalement seul… ou réellement en danger, car tu as suffisamment de savoir et de ruse pour que toujours… toujours quelqu’un t’aide ou te suive, n’est-ce pas ? »

Ce n’était pas faux. Il avait veillé à ne jamais être seul, à toujours bien s’entourer. Il avait su, par des actions bien placées, parfois totalement désintéressées même, acquérir la fidélité et la loyauté d’un grand nombre dans l’ombre. D’un grand nombre qui lui était lié par l’anneau. Qui, à tout moment, il le savait, répondrait s’il appelait à son tour à l’aide. Et puis… Il était entouré à Délimar. Sigvald veillait toujours à ce que des Gardes Loups veillent sur lui. Non, effectivement il n’était jamais seul.

Et il espérait ne jamais l’être. Car, effectivement, s’il se retrouvait un jour, un seul, perdu dans la nature, au sein de cet archipel où sauvagerie et bestialité régnaient en maitre, il ne donnait pas cher de sa peau.  Une nuit, une seule, serait une épreuve en soi de survie qu’il n’avait aucune envie d’expérimenter.

Troublé par cette soudaine idée, son imagination fertile manquant l’entrainer sur les sentiers épineux de ce qui serait un véritable cauchemar, il préféra ne pas répondre et se contenta de hocher la tête. Tout en chassant vivement toute image de lui mangé par une plante carnivore ou un énorme smilodon affamé. Non, vraiment, il n’avait nul besoin de penser à cela, surtout pas maintenant.

Mieux valait songer au confort qu’il avait présentement, dont il pouvait jouir sans honte et qu’il pouvait partager. Et voir le grand félin se désaper devant lui, puis se prélasser comme un pacha chassa bien vite toute pensée parasite. Et lui arracha un léger sourire amusé. Cette image de Purnendu soudain affalé sur le dos lui donnait l’image d’un gros chat qu’on avait envie de gratouiller sur le ventre. Heureusement pour lui, si l’idée lui effleura l’esprit, il fut encore suffisamment lucide pour ne pas tenter de la mettre en application. Fou peut-être, mais pas suicidaire.

Et puis il avait bien trop à faire soudain à se concentrer sur le thé. Il était peut-être manchot pour les questions manuelles, mais au moins, que les dieux en soient remerciés même s’ils n’étaient plus, il savait faire du thé. Tout en écoutant Purnendu répondre d’une oreille attentive, il prépara donc l’infusion puis, une fois satisfait des senteurs qui se dégageaient de la théière, il en servit deux tasses. Il posa le tout sur un petit plateau, accompagné d’une petite soucoupe de sucre, d’un pot de miel, sans oublier la coupelle de chocolats que Purnendu semblait tant apprécier, et une coupelle de petits gâteaux aux amandes. Ses préférés.

Alors qu’il arrivait avec son attirail de gourmandises, il vit le Graärh admirer un des coussins et comme jouer avec de ses griffes. Visiblement il appréciait le tissu. Bon un bon coup de griffe aurait vite eu raison de la robustesse du tissage qui était certes de qualité, mais qui n’était pas fait pour résister à des accrocs trop virulents. Mais il nota toutefois cet intérêt et réfléchissait déjà à quel coussin il pourrait donner au Graärh. Et s’il était possible d’en améliorer le tissage pour le rendre plus résistant à de telles griffes… Il en suggérerait l’idée à Dihya. Elle trouvera bien une idée…

Il posa le petit plateau entre eux, en une position sécuritaire pour éviter que dans un mouvement le Graärh renverse tout avec ses griffes ou sa queue, puis tendit une des tasses à son invité.

Il n’avait toujours pas répondu aux paroles du Graärh sur leur civilisation. Il avait pourtant écouté avec attention. Mais il aimait souvent entendre tous les arguments de son interlocuteur avant de rétorquer. Et en l’occurrence… il pensait qu’il n’y avait pas, ou peu, à répondre. Ce n’était pas de réels arguments d'ailleurs, mais un point de vue. Un point de vue qui se défendait, qui n’était pas totalement faux sur certaines choses, surtout quand on le regardait du point de vue d’un Graärh.

D’ailleurs Purnendu donnait les réponses à ses propres réflexions. Réflexions… Oui le grand félin semblait plus réfléchir à haute voix que réellement argumenter ou autre. Il cherchait à comprendre le fonctionnement complexe et tordu des civilisations humaines. Tout comme lui cherchait à comprendre le fonctionnement âpre et dur des civilisations Graärh. La compréhension mutuelle serait longue et fastidieuse, mais ils étaient tous deux dotés d’une volonté de comprendre. Alors ensemble, peut-être pourraient-ils parcourir ces sentiers ardus… Ilhan en avait bon espoir.

« - Les bipèdes aiment construire des choses qui les succéderont, ils aiment s’encombrer l’esprit et les mains de bien des choses inutiles. Votre coeur aussi est compliqué, confus et parfois totalement oublié et perdu tant vous vous êtes emmêlés dans des sentiments dilués, délayés. Mais je ne peux pas dénigrer que cela a son charme et que j’apprends, moi aussi, à m’intéresser à toutes ces choses que mon peuple a perdues ou oubliées... »

Il est vrai, les humains sont compliqués. Nous avons perdu certaines choses en cours de route. Beaucoup de choses, fit-il songeur avec une note nostalgique, triste, dans la voix.

Avant de relever les yeux vers son interlocuteur et de chasser le soudain élan de mélancolie qui menaçait, encore, de l’étreindre. Il préféra à la place boire une gorgée et croquer un gâteau.

Je pense que chaque civilisation a quelque chose à apprendre à l’autre. Aucune n’est meilleure que l’autre selon moi. Aucune n’est ni bonne ni mauvaise. Chacune a ses forces et ses faiblesses. Et si nous parvenons à apprendre, comprendre l’autre, nous pourrions combiner nos forces pour pallier les faiblesses de chacune. Et marcher ensemble sur des sentiers constructeurs et non plus destructeurs.

Folle utopie, lui souffla une petite voix cynique en son for intérieur.

Mais nous avons beaucoup de chemin à parcourir pour y parvenir. Un chemin semé d’embûches.

Un chemin qu’il était déterminé à braver, de toutes les forces qu’il avait.

« - Tu m’as dit plus tôt que tu étais faible physiquement et que tu ne savais pas manier une épée, mais tu fais une danse méditative ? As-tu essayé d’autres formes de combat ? J’en pratique un qui peut s’adapter à toutes les constitutions physiques et... me montrerais-tu ta danse méditative ? Je fais aussi de la méditation tous les matins ! »

Si le mot faible le fit grimacer intérieurement, il parvint à garder un visage lisse. Même si ses yeux se rembrunirent quelque peu. Heureusement il ne sentait nulle critique dans ces mots, et même un réel intérêt. D’ailleurs ce que disait Purnendu l’intéressait soudain grandement lui aussi.

Non je n’ai pas essayé d’autres formes de combat. Surtout pas à mains nues. Les combats à mains nues humains sont assez… violents. Ils demandent force et endurance, ce dont je ne suis guère doté. Mais en effet je pratique ce que j’appelle la danse méditative. J’ai combiné dans mes pratiques méditatives ce que j’ai pu observer et apprendre auprès de deux autres peuples. Les Hommes sont peu sujets à la méditation, ce que je regrette profondément, cela leur apprendrait tant ! Même si quelques rares la pratiquent. Surtout chez les baptistrels. C’est chez eux, durant mon long séjour en leur domaine il y a longtemps, que j’ai commencé à pratiquer d’ailleurs. Auprès des elfes surtout. D’un elfe en particulier.

Un doux sourire flotta sur ses lèvres aux souvenirs à la fois doux et âpres de Kehlvelan. Son maitre, son mentor d’alors, qui était toujours resté dans son coeur un précieux ancrage.

J’ai continué à pratiquer ce que j’avais appris, même une fois parti du Domaine. Puis j’ai rencontré des vampires. Et leur pratique de la transe. La transe est difficile à appliquer telle quelle pour les humains. Presque impossible d’ailleurs. Mais j’ai tenté de combiner les pratiques méditatives elfiques et les pratiques de transes vampiriques… et de là j’en ai… créé ? mes propres pratiques, ce que j’ai appelé transe méditative, en situation posée, ou danse méditative, une méditation en mouvement permettant une communion du corps et de l’esprit avec la nature et le monde autour. Peut-être d’autres pratiquent de même, je n’en sais rien. Je n’ai jamais rencontré personne parlant de telles méthodes en tout cas.

Il but une autre gorgée, avant de répondre, enfin, à une des questions du félin.

Et oui je peux… te…

Que le tutoiement lui semblait bizarre, étrange, difficile. Mais… l’autre le tutoyant il lui semblait plus convenable de tenter de faire de même, de s’adapter à cette sorte de coutume Graärh.

Je peux te montrer. Avec plaisir même.

Et des notes chaleureuses vibrèrent dans sa voix.

Et me montreras-tu cette forme de combat dont tu parlais ?

Et qui l’intéressait grandement soudain.

Mais pour cela il faudra sortir. Nous risquerions de tout casser ici.

Il imaginait trop bien les coups de queue intempestifs envoyer voler tous ses parchemins. Rien que cette image lui donnait des sueurs froides.

Peut-être nous pourrions aller vers le port, il y a un peu plus loin sur la grève un endroit assez tranquille, où nous pourrons pratiquer sans grand risque et sans être trop dérangés. Mais y allons-nous avant… ou après avoir parlé des épreuves ? ajouta-t-il avec un sourire taquin.

Une lueur vive et acérée brilla dans ses yeux noirs. C’est qu’il ne perdait pas le nord. Et surtout pas la raison première de leur venue dans cette tente.

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Chaque coussin avait sa texture, sa broderie et ses perles. Certains avaient des pompons qui titillaient un instinct refoulé chez le graärh, le genre de pulsion qu’il n’avait plus depuis son sevrage de graärhon. Il voulait jouer avec, les envoyer en l’air et les frapper de ses pattes arrière alors qu’il les mâchouillerait affectueusement à d’autres moments. Il voulait se rouler dans le tas de coussins et y faire une longue sieste, seulement bercé par le crépitement du brasero et le vent que l’on entendait souffler au dessus de la tente. Bien sûr, il n’afficha rien de ses désirs secrets et se redressa même en tailleur lorsque le sans-poil s’approcha avec le service à thé. La vue des chocolats lui arracha un sourire fugace tandis que la présence d’autres petits gâteaux éveillaient sa gourmandise grandissante. Le plus intriguant restait toutefois ce fameux thé.

La couleur du breuvage lui fit dresser des oreilles alors que le parfum subtile et délicat qui en émanait lui ravissait la truffe. Chez lui, le thé n’était pas réellement de cette plante chargée de théine dont on cueillait les feuilles les plus tendres et gorgées de sève. Il s’agissait davantage d’infusions et de réductions particulièrement amères coupées avec du beurre ou du lait de yak. Si l’on réduisait cette préparation pour ne laisser qu’une pâte forte et infusée, alors elle servait d’accompagnement dans des plats de poissons salés, roulée en boulettes sombres et âpres qui contrebalançaient les goûts tout aussi forts des autres assiettes. Ce fut donc avec mille précautions qu’il attrapa la délicate petite hanse entre deux de ses griffes, veillant à ne pas renverser la moindre goutte du précieux breuvage. Le récipient n’était pas vraiment adapté à sa morphologie, mais le graärh s’évertua de paraître le plus civilisé possible.

« - Merci beaucoup. »

Souffla-t-il au dessus de la coupe fumante. Par mesure de sécurité, il vint en soutenir le dessous du creux de sa paume, ressentant à peine la chaleur de la porcelaine au travers de la corne épaisse qui couvrait son coussinet central. Sa truffe remua de droite et de gauche afin de s’emplir de toutes les subtilités que ce thé avait à lui offrir. Il identifia une partie des ingrédients qui agrémentaient les feuilles séchées, mais certaines senteurs lui échappèrent ; son odorat lui faisait-il défaut ou bien s’agissait-il de plantes venues du continent abandonné par les sans-poils ? Nombre des livres d’herboristerie survolés à Cordont faisaient mention de cette flore unique que les étrangers tentaient d’implanter ici. La curiosité éveillée, il mit ce sujet dans la longue liste de tous ceux en attente. S’il était heureux d’avoir trouvé quelqu’un d’aussi bavard que lui, cela n’arrangeait pas du tout son cas.

Détourné de son analyse aiguë du thé, il écouta les propos que lui servait à présent Ilhan en autant de réponses tardives à ses propres pensées et hypothèses énoncées de vive voix quelques instants plus tôt. Il ne rata pas le regard mélancolique qu’arborait l’humain et pencha la tête sur le côté en une mimique attentive, mais aussi intriguée. Il aurait aimé en savoir plus sur la raison de cette émotion, car même s’il en devinait la source, il ne pourrait jamais s’imaginer seul les paysages et les mémoires que l’autre regrettait de la sorte. Peut-être à leur prochaine rencontre, si les Esprits se révélaient généreux avec leurs faveurs quand il en chercherait un troisième pour l’accompagner… en attendant, il préféra retenir sa langue et l’utiliser plutôt pour laper quelques gorgées du thé. Aussitôt la chaleur cuisante gagna son organe et il coucha des oreilles alors qu’il gonflait les babines, rétractant sa langue avec un petit froncement de la truffe.

Puisqu’il ne pouvait pas encore savourer sa boisson, il déposa la tasse sur le plateau et arrangea sa position pour y avoir toujours accès sans risquer de tout balayer d’un mouvement malheureux de la queue. Il ne la contrôlait pas tout le temps, à son plus grand malheur. Le temps qu’il s’installe, Ilhan en revenait au sujet qui l’intéressait le plus pour l’instant et il lui accorda un regard aussi vif que pétillant. Savoir que la méditation n’était pas une vertu humaine ne l’étonnait pas si l’on considérait leur naturel belliqueux et leur agitation constante. Que la pratique soit davantage trouvée chez les Baptistrels lui paraissait tout aussi logique puisque cette caste était, d’après les rumeurs, davantage axée sur la contemplation du Monde, de ses énergies et forces plutôt que dans l’action et l’intervention. Enfin, la mention de la transe vampirique lui arracha un autre sourire dans l’ourlet de ses babines. Pour avoir vu Ivanyr s’y plonger aux heures de sommeil, il comprenait tout à fais comment une telle pratique pouvait être source d’inspiration.

« - J’aimerai beaucoup te voir la pratiquer, en effet. »

Le tutoiement fit pétiller encore ses yeux d’absinthe et il lui fit un clin d’oeil alors qu’il goûtait à l’un des petits gâteaux à sa disposition. Il veilla à ne pas faire trop de miettes, une action assez difficile compte tenu de sa morphologie. Une fois de plus, il pencha la tête en arrière et lécha ensuite ses moustaches pour en récupérer le moindre grains sucré.

« - Et oui, je te montrerai ma propre façon de méditer ainsi que cet art du combat à mains nue. Il me faudra sûrement l’adapter, car il te manque certaines particularités physiques... »

Se disant, il fit ondoyer sa longue queue angora. Cette dernière lui offrait un équilibre remarquable lorsqu’il pratiquait les positions de son art et malheureusement pour le sans-poils ; il risquait de se faire bien du mal s’il tentait de reproduire les positions les plus précaires ! Pour éviter d’avoir à lui remettre des vertèbres en place, voire lui soigner un sacré torticolis, Purnendu préférait encore réviser son enseignement pour l’adapter au corps moins souple de l’althaïen. Passant une griffe entre deux crocs pour en tirer un dernier bout de caramel qui le gênait, le graärh laissa son regard parcourir l’intérieur de la tente afin d’en mesurant la taille et arriva à la même conclusion que son interlocuteur. S’exercer ici risquait de causer bien des dommages ! Il eut un rire fugace, proche d’un ronronnement bas et chaud.

« - Tu as tout à fait raison. Nous irons au port, même si je préférerai un lieu plus calme et isolé. Peut-être verrons nous en chemin un champs ou un sous-bois propice. »

Le sourire qui s’accrocha à ses babines sembla féroce, l’espace d’un instant, lorsqu’il fut à nouveau mention des épreuves. Et bien ! Il était impossible de noyer le poisson avec cet humain ! C’était bon à savoir et il laissa filer un autre éclat de rire ronronnant tandis qu’il attrapait la tasse avec toujours autant de délicatesse et goûtait enfin au thé qui avait tiédi entre temps.

« - Ah oui, les épreuves qui confrontent les Aaleeshaan de Netheril ! Profitons d’être bien installés et en privé… c’était pour ça, à la base, que je voulais venir ici. »

Il lapa encore une gorgée.

« - Délicieux… je n’en avais jamais bu de la sorte jusqu’à présent. »

Il couva la tasse d’un regard à l’appréciation sincère avant de déposer la petite coupe dans un tintement de griffes sur sa fine porcelaine.

« - La politique graärh est tribale, ainsi que matriarcale. C’est pour cette raison que ta dirigeante est toute indiquée pour se faire reconnaître auprès de mon peuple. Comme nous ne sommes pas unifiés comme peut l’être les Elfes ou encore l’Empire humain, voire les vampires... Pour cette raison, il lui faudra gagner directement le respect de la Légion Vat’Aan’Ruda, celle qui siège à Netheril, si elle espère être reconnue le plus rapidement possible par toutes les autres tribus. Cette Légion commande aux plus petites, qui lui sont alors vassales si je reprends bien le terme dans votre langue. »

Au sujet plus délicat et complexe, Purnendu prenait grand soin à choisir ses mots. Son accent ressortait davantage aussi alors qu’il était évident que la traduction se faisait en temps réel et semblait compliquée. Bien des termes ne lui étaient pas familier et d’autres, dans sa langue, ne trouvaient pas de traduction ou de comparaison. Heureusement, il possédait une mémoire exceptionnelle ainsi qu’une vive intelligence, sans parler de la patience dont son interlocuteur faisait preuve à son égard. Il n’avait ainsi pas à angoisser sur le jugement que l’autre porterait sur lui , au contraire, Purnendu se sentit étrangement soutenu face à l’attention que lui montrait Ilhan.

« - Une Aaleeshaan est uniquement femelle. Elle est chargée de prendre toutes les décisions de sa tribu, mais elle peut être accompagnée de Tribyoon si cette dernière est suffisamment grande… un Tribyoon est un conseiller, comme toi. d’ailleurs, si tu souhaites te présenter à un graärh et souhaiter qu’il identifie tout de suite ta position, use de ce terme. Personnellement, c’est ainsi que j’expliquerai ton rang si je dois te présenter à mon peuple lors de mes voyages. »

Il lui fit un sourire tendre, un vague ronronnement lassé à ses dernières paroles. Il était un être d’instinct et l’affection grandissante qu’il portait à ce sans-poil ne faisait que s’affirmer à mesure qu’ils se découvraient des passions et rêves communs.

« - Pour en revenir aux rites, je ne vais pas m’étendre sur ceux de Paadshail ou Nyn-Tiamat comme vous l’avez renommé. Allez sur cette île serait du suicide pour l’heure… Donc concentrons-nous sur Netheril. »

Purnendu se gratta la gorge, puis le dessous du museau alors qu’il levait les yeux sur la toile du plafond, songeur.

« - Il ne s’agit pas réellement d’une succession… enfin, plutôt d’une revendication envers une autre Aaleeshaan, mais plutôt d’un vœux de reconnaissance. Il n’y a jamais eut un tel précédent et il te faut garder à l’esprit que mes conseils sont purement hypothétiques ; l’unique décision reviendra à la Kamda Aaleeshaan de la savane et personne d’autres. Toutefois on peut espérer que des preuves soient naturellement demandées à ta dirigeante ; tel qu’un trophée particulièrement difficile à obtenir, une preuve de bonne foi de sa part aussi, une offrande à la forte symbolique... »

Il soupira légèrement.

« - Il serait bien qu’elle apprenne les salutations dans notre langue… enfin, autant qu’il en est possible dans votre peuple. Apporter la preuve que ta cité ne permet plus l’esclavage graärh serait, bien sûr, un geste qui assurerait votre bonne foi. Mais la peau ou la tête d’un animal particulièrement fort conviendrait aussi pour prouver sa valeur personnelle. Des trophées arrachés aux pirates, qui pillent sans vergogne les terres de la Légion Vat’Aan’Ruda seraient aussi quelque chose d’apprécié et une preuve que vous possédez un ennemi commun. »

Une nouvelle gorgée du thé délicat vint abreuver sa gorge alors qu’il poursuivait :

« - Habituellement, les prétendantes à la place d’Aaleeshaan se confrontent dans un tournois alors peut-être que ta dirigeante devra confronter plusieurs des champions de la Kamda. Il y aussi une quête donnée et qui se déroule dans un délai d’un mois ; si c’est le cas, il faudra que ta cité puisse se passer d’elle tout le temps de cette période… car elle devra y aller seule. »

Purnendu l’observa avec une grande attention, essayant de déchiffrer le moindre indice sur son visage pour connaître l’étendue de sa résolution quant à ce projet, mais aussi la ferveur et la confiance qu’il plaçait dans cette fameuse femelle. Purnendu se surprit à désirer la rencontrer pour se faire son propre avis.

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Ilhan observait chaque geste du Graärh. Autant par curiosité et intérêt que par volonté d’apprendre toujours plus et encore sur ce peuple natif de l'archipel. Il nota les difficultés que le grand félin avait avec son petit service à thé. Note à lui-même : en trouver un plus pratique, que ce soit pour les délimariens ou pour les Graärh. À croire que, décidément, ces deux peuples avaient les mêmes mœurs ET les mêmes difficultés quand il s’agissait d’interagir avec l’althaïen.

Quoique… Non, il était injuste. Les difficultés de Purnendu n’étaient que physiques, leurs interactions relationnelles se révélaient quant à elle enrichissantes et très positives. Malgré leurs différences de langage, de communication, ils parvenaient à échanger sereinement, sans prendre ombrage des erreurs et maladresses de l’autre. Sans doute parce qu’ils étaient dotés d’un esprit aussi ouvert et curieux que patient. Et Ilhan nota qu’en effet, il était en cet instant plus détendu qu’il ne l’avait jamais été.

Alors que le Graärh prenait la parole, Ilhan en profita pour grignoter une sucrerie. Sans lâcher des yeux son invité.

« - Et oui, je te montrerai ma propre façon de méditer ainsi que cet art du combat à mains nues. Il me faudra sûrement l’adapter, car il te manque certaines particularités physiques... »

Les orbes sombres d’Ilhan voletèrent sur la silhouette du Graärh, ses griffes, ses pattes puissantes, sa queue… Oui, autant d’atouts physiques dont il était privé. Sans compter sa faible résistance. Mais loin de s’offusquer ou de se vexer de ce constat, énoncé comme un fait et non comme une critique, il répondit au Graärh d’un sourire amusé teinté d’un brin d’impatience. Il avait hâte de voir cela, pour tout avouer. Et s’il pouvait trouver une technique de combat, plutôt basée sur la défense que l’attaque d’ailleurs, qui lui permette de montrer au général que, oui, il pouvait être capable de quelque chose, à sa manière, il ne cracherait pas dessus.

« - Tu as tout à fait raison. Nous irons au port, même si je préférerais un lieu plus calme et isolé. Peut-être verrons-nous en chemin un champ ou un sous-bois propice. »

Il hocha la tête en silence, tout en avalant cette fois un petit gâteau. Il avait faim. Enfin non il n’avait pas vraiment faim. Disons qu’il avait besoin de grignoter quelque chose. Il avait toujours besoin de manger, ne serait-ce qu’un bonbon, une cochonnerie quelconque. Le sucre était comme une drogue pour lui, qui lui permettait de mieux réfléchir, de mieux penser, d’être plus efficace. Un peu comme le feu avait besoin de bois, son esprit avait besoin de sucre.

Et enfin, enfin !, le Graärh revint sur ces fameuses épreuves. Ilhan se retint de sauter sur une plume et un parchemin. Il n’était pas bien sûr que le Graärh apprécierait s’il consignait mot pour mot ce qu’il allait lui révéler. Et il pourrait être impoli de ne pas regarder son interlocuteur en face, de ne pas lui offrir l’occasion de lire, un tant soit peu, sur son visage ou dans ses yeux, ce qu’il pourrait ressentir à ses paroles. Même si l’expression lisse que son visage arborait souvent ne devait pas aider à comprendre toutes les émotions ou pensées qui pouvaient se chamailler au fond de lui. Seuls ses yeux sombres laissaient entrevoir une lueur empreinte de curiosité, mais aussi de gravité et d’une patience bien trop sérieuse.

Il s’efforça alors de tout consigner en son esprit. Là, dans les limbes de son mental, de les inscrire de façon indélébile dans ce souvenir qui, il le savait, serait déjà un souvenir marquant et important pour lui. Un moment de partage si fort qu’il avait hâte de le décrire dans son livre des souvenirs. C’était de ces souvenirs que vous ne vouliez pas perdre, que vous vouliez chérir comme une lueur d’espoir pour éclairer un peu cet avenir sombre et incertain.

Il se répéta alors mentalement chaque mot que le Graärh lui offrait. Des mots qu’il savait choisis, et dont il percevait plus encore l’importance suite à ce que Purnendu lui avait dit au sujet du langage chez ce peuple d’honneur. Il était si concentré, que ses orbes sombres s’étaient ancrés sur le Graärh avec forte intensité. Sans qu’il ne s’en rende compte. Sans même prendre garde au fait que ce regard pouvait gêner. Par moment il hochait la tête, indiquant qu’il écoutait, qu’il entendait. Au ronronnement quand il parla de lui comme Tribyoon, Ilhan sourit, et sentit comme un… lien… se tisser entre eux. C’était étrange et déroutant. Mais pas dérangeant pour autant.

Quand enfin le Graärh sembla en avoir fini, du moins pour l’essentiel, Ilhan rompit le contact visuel, et baissa les yeux au sol d’un air songeur. Il était persuadé en son for intérieur que Tryghild allait adorer en fait. Et, plus que les épreuves elles-mêmes qui revêtaient un caractère outrageusement dangereux selon lui, c’était ce fait-là, cette propension à aimer le danger et le défi que cela allait revêtir, qui l’inquiétait.

Il chassa ses sombres pensées et ses appréhensions, et calma ses battements de coeur un peu trop palpitants à son goût, en prenant une profonde inspiration et une lente expiration de façon aussi discrète que possible. Quand un minimum de sérénité l’enveloppa de nouveau, il releva ses obsidiennes, qui cette fois ne faillirent pas.

Il ne sera pas bien difficile de trouver un trophée qui sied à votre peuple. Les Délimariens ont fait de la chasse aux pirates un sport national.

À ces mots, il accorda un fin sourire à Purnendu. Un sourire oscillant entre amusement et férocité. Laissant entrevoir le fauve qu’il pouvait être sous ses airs calmes. Ou plutôt l’araignée. Lui agissait en se coulant dans l’ombre, en tissant tranquillement sa toile, son filet en un terrible piège, puis appâtait sa proie pour mieux la happer ensuite...

Pour les salutations dans votre langage, je me ferai un point d’honneur de lui inculquer le peu que j’ai pu apprendre.

Il appuya cette dernière phrase d’un lent hochement de tête, en un remerciement muet.

Pour l’abolition de l'esclavage, je me fais aussi un point d’honneur à tout mettre en œuvre en ce sens, avec l’appui de notre Aaleeshaan. J’espère que nous avancerons rapidement et que notre Aaleeshaan pourra vous apporter des preuves de sa bonne foi.

Tous ces points-là, au final, ne lui posaient pas de réels soucis en soi. Non, le plus inquiétant pour lui, celui qui lui donnait déjà des sueurs froides…

Je ne sais la teneur exacte de cette quête d’un mois. Ni si elle peut se réaliser plus rapidement. Mais ce dont je suis sûr… Outre la dangerosité certaine qu’elle doit revêtir pour que vous teniez ce type de quêtes digne de révéler vos Kamda Aaaleeshaan, c’est que notre Aaleeshaan Tryghild Svenn… va adorer ce défi. Et se faire une joie de l’honorer.

Il se pencha alors vers le grand félin en le regardant droit dans les yeux.

Et je pèse bien mes mots, cette fois-ci.

Car, oui, il était persuadé que Tryghild s’en ferait une joie, véritable, entière et sincère. Un défi à la hauteur de ses capacités ! Un défi qui la sorte de la citadelle où sa fonction la contraignait à siéger bien trop souvent à son goût !

Il lâcha un lourd soupir. Cette femme était impossible. Admirablement impossible.

Elle devra y aller seule, pour cette épreuve, mais j’imagine que pour se rendre sur Néthéril, elle pourra être escortée tout de même. Quelles sont… les conventions ? Doit-elle montrer l’étendue du pouvoir de son peuple avec une grande escorte ? Ou au contraire, montrer qu’elle se suffit à elle-même et n’a besoin que d’une poignée d’hommes ? Peut-on avoir des exemples de la teneur de ces quêtes ? Durent-t-elles toutes un mois entier ? La cité devrait pouvoir fonctionner un mois sans son Aaleeshaan, notre fonctionnement est bien rôdé, pour parer à ce genre d’aléa temporaire. Mais peut-être cette durée n’est-elle que formelle ? Si la quête au final prend moins de temps pour être accomplie ? La durée d’un mois n’est peut-être que la durée limite pour la remplir ?

Et soudain, réalisant la flopée de questions dont il venait d’assaillir Purnendu, Ilhan se recula et s’apprêta à s’excuser.

Je suis…

Mais s’arrêta à temps.

Très curieux, parvint-il à se rattraper, avec un petit sourire de connivence.

Il espérait avoir contré l’impair à temps.

Peut-être un peu trop, ajouta-t-il en levant les mains au ciel.

Après tout, ainsi était sa nature. Inutile de la chasser, elle revenait au galop...

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Il respecta son silence et attendit avec sa patience habituelle. Sa couche était confortable, le breuvage délicieux et l’ambiance générale dans cette tente lui rappelait quelque peu la sienne dans ce confinement d’études et de méditation. Il lapa donc plusieurs autres gorgées en essayant d’être le plus discret possible, puis reposa la tasse et s’allongea de tout son long afin de s’étirer. Il en était à se peigner les poils entre ses coussinets à l’aide de ses incisives lorsque l’humain reprit la conversation. Les yeux d’absinthe du grand félin l’observèrent sans ciller alors qu’il continuait la toilette minutieuse de ses mains, bien déterminé à en retirer toute trace du caramel de tantôt.

« - Joignez donc l’utile à l’agréable dans votre trophée ; Des armes pourront être reforgées, des toiles converties en tentes ou en habits… Au delà de la symbolique première, n’oublie pas que mon peuple est très pratique dans l’utilisation de ses biens. Nous n’avons pas pour habitude de cumuler les babioles. »

Contrairement aux sans-poils à ce qu’il avait pu constater. Il aimait à voir cet éclat de férocité dans les yeux du Conseiller, car il venait à le rassurer quant à sa détermination sur tout ce projet. S’il montrait le même esprit farouche sur l’extermination des pirates lorsqu’il rencontrerait les graärh de Néthéril alors les négociations devraient plutôt bien se passer. Purnendu passa un dernier coup de langue râpeuse sur ses coussinets, lissant l’épaisse fourrure qui les bordait, puis se redressa en position assise, queue enroulée sur ses cuisses.

« - Je t’apprendrais ce que je peux le temps que nous serons ensemble ici. Nous trouverons un moyen de palier le manque d’attributs. »

Il s’en amusait toujours d’une certaine façon. Voir les sans-poils essayer de parler leur langue alors qu’ils n’avaient pas la moitié de ce qu’il fallait pour traduire toutes les subtilités de ce langage où se mêlaient le verbal et le paraverbal à égales mesures. Concernant l’esclavage, l’herboriste retrouva une expression plus neutre, le regard assombri par ce sujet délicat et il hocha la tête avec tiédeur. Il ne comprenait toujours pas pourquoi une telle cité avait cédé si promptement à cette pratique barbare dans le premier cas et le regrettait amèrement. Un soupir secoua ses épaules massives alors qu’il passait les griffes dans sa crinière dorsale.

« - Un mois est ce qui est accordé aux participantes. Si elles finissent plus tôt, leur prestige n’en sera que plus grand. Généralement d’une lune à une autre. »

Il pencha la tête sur le côté, pondérant la demande. Ou plutôt, les demandes. Une fois de plus, l’humain se laissait porter par le flot incessant de sa curiosité et Purnendu dressa les oreilles en essayant de ne rien oublier. Un vague sourire désabusé ourla ses babines quand l’autre manqua une fois de plus de s’excuser, mais salua d’un signe de tête la jolie pirouette qu’il effectua de justesse. Un rire silencieux secoua son torse alors que sa queue ondoyait et que le pompon noir ne tapait contre le bord de la table en un petit rythme indolent.

« - La curiosité est une bonne chose, mais il faut savoir la doser selon les situations… heureusement, aujourd’hui est un bon moment pour l’être. »

Il lui fit un clin d’œil avant de poursuivre :

« - Venir avec de la qualité plutôt que de la quantité serait, à mon sens, la meilleure chose à faire. Vous devez paraître assurés, confiants, mais humbles. Si vous débarquez avec une grosse flotte et une petite armée, la Kamda se sentira -à juste titre- menacée. Que ta dirigeante vienne avec une demie-douzaine de suivants, qu’ils soient guerriers, érudits ou artisans. Peut-être un peu de tout afin que des comparaisons puissent être effectuées pour que la Kamda ait une vue d’ensemble de vos qualités. »

Il haussa légèrement des épaules.

« - La suite, j’y ai déjà répondu. »

Purnendu se leva et s’écarta avec prudence de la table basse de façon à ce que les balancements de sa queue ne viennent pas en renverser ce qu’il se trouvait sur la surface. A bonne distance, il remit ses affaires en place et tourna le museau vers la sortie.

« - On y va ? »

Sans réellement attendre de réponses, il se dirigea à l’ouverture et souleva le pan de toile pour pointer le bout de sa truffe à l’extérieur. Il observa les deux glacernois qui flanquaient l’entrée et estima qu’avec de pareils gaillards, même humains, il y avait de bonnes chances pour que cela plaise à la Kamda de la savane. S’ils faisaient des luttes amicales avec les graärh de la légion ou participaient aux chasses quotidiennes, alors prouver leur force et leur valeur ne serait pas un problème. Le fauve cendré émergea complètement de la tente et s’étira une nouvelle fois sous le soleil chiche de cette fraîche journée.

« - Mh avant ça ; comment te sens-tu ? »

Mine de rien, Ilhan restait son patient -donc sous sa responsabilité- et il ne voudrait certainement pas l’épuiser en le sortant de droite et de gauche si tôt après sa prise de remède. Même en ayant totalement confiance en ses capacités de soigneurs et des dons procurés par son esprit du raton-laveur, le corps des humains était si frêle qu’il venait toujours à s’inquiéter pour eux. Une fois rassuré de l’état du Conseiller, il se mit en marche vers le Port de Cordont qui était désaxé de la ville et donc très peu touché par les séismes survenus quelques semaines plus tôt. Le paysage côtier était toutefois déformé par l’incident et ils eurent du mal à trouver un lieu aussi sécurisé que paisible ; beaucoup d’humains œuvraient à déboiser pour avoir des ressources premières à la reconstruction de la ville, d’autres battaient le sol pour obtenir quelques carrés cultivables d’ici l’arrivée du printemps.

Purnendu fini par trouver une cour blottie entre deux immenses entrepôts. Les pavés légèrement déchaussés par le séisme se voyaient aujourd’hui envahis d’une herbe folle et encore tendre, d’un vert si pâle qu’elle paraissait blanche. Un puits à moitié effondré avait dû être creusé là pour circonvenir des incendies ou fournir de l’eau potable aux travailleurs, mais maintenant il n’était qu’une relique oubliée dans l’urgence de travaux bien plus importants. Le fauve fit rapidement le tour de leur nouvelle place et leva ensuite la tête vers le ciel pour jauger combien d’heures il leur restait. Bien, ils avaient encore du temps ! Satisfait, il posa sa sacoche contre un mur et fouilla son intérieur pour sortir un porte encens circulaire en bois sombre avec des veinules chaudes, comme du noyer. Une salamandre était gravée en son fond noircis par les braises et les cendres.

« - Comme tu dois le savoir, la méditation est un exercice de respiration avant tout. Je mets toujours des saveurs dans l’air pour m’aider. »

Il attrapa un petit cône de résine et d’herbes, de racines ainsi que de baies broyées. Mettant habilement le feu à ses griffes, Purnendu en alluma l’extrémité avant de le déposer au centre de la coupelle. Il posa par dessus un chapeau du même bois avec d’autres délicates sculptures de salamandre gravées autour des aérations qui diffusèrent bien vite des rubans opaques et épicés. Le félin posa l’encensoir au milieu de la cour, fit sortir deux coussins plats de sa sacoche sans fond et se mit d’un côté avant d’inviter Ilhan à se mettre face à lui, de l’autre côté de l’objet afin que tout deux soient baignés dans ses effluves. Après plusieurs profondes et longues inspirations, mains pressées l’une sur l’autre à hauteur du plexus, il entama plusieurs amples et lents mouvements des bras et rythma chacun de ses souffles avec eux. Progressivement, il fit bouger une articulation après l’autre ; les épaules, la tête, puis le buste et la taille.

Les yeux clos, Purnendu offrait un spectacle de relaxation, coulant et glissant sur les pavés comme une brise, un ruisseau ou un roseau en communion avec les deux précédents éléments. Sa queue ondoyait dans son sillage, il ployait une jambe, tendait un bras tout en ramenant l’autre contre son flanc, se penchait dans un équilibre exemplaire avant de se redresser avec souplesse pour pivoter d’une cheville, changeant son appuis pour pouvoir tendre l’autre bras en un moulinet ample et gracieux. Il s’arrêta au bout de plusieurs minutes et ouvrit les yeux pour observer Ilhan à qui il offrit aussitôt un sourire lorsque leurs yeux se croisèrent.

« - C’est mon échauffement. Avec ça, je m’assure que toutes mes articulations et muscles soient prêts pour la suite. As-tu toi-même un exercice similaire ? »

A son tour, il vint s’asseoir en tailleur et l’observa avec curiosité.

descriptionQue le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu] EmptyRe: Que le Graärh soit avec toi - Cordont - [PV Purnendu]

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Joindre l’utile au symbolique. Aucun souci. Les délimariens étaient maitres en pragmatisme, ils se feraient une joie de reconvertir les trésors de leurs chasses aux pirates ou autres trophées en conceptions purement délimariennes, faisant montre de tout leur savoir-faire. Peut-être pourrait-il mettre aussi ses althaïens à contribution pour apporter un brin de raffinement dans ce pragmatisme parfois trop terre-à-terre. Un brin, pas trop. Il fallait rester proche de l’esprit des Graärh. Mais au vu de ce que semblait apprécier Purnendu en cet instant, peut-être y avait-il quelques conceptions althaïennes, issues des trophées délimariens, qui pourraient plaire à ce peuple particulier.

« - Je t’apprendrais ce que je peux le temps que nous serons ensemble ici. Nous trouverons un moyen de pallier le manque d’attributs. »

De tout autre, cela aurait pu être vexant comme réflexion. Mais, si Ilhan pouvait vite se vexer sur certaines critiques physiques, même sans le montrer, venant de Purnendu il ne relevait aucune critique. Juste un constat. Fort véridique qui plus est. L’althaïen se contenta donc de hocher la tête en réponse. Et écouta les réponses qui vinrent enfin.

Bien. Si Tryghild menait bien son entreprise, peut-être Délimar verrait son Intendante revenir plus tôt. Et tous, lui le premier, seraient rassurés quant à la vie de leur Reine. Enfin Intendante.

« - La curiosité est une bonne chose, mais il faut savoir la doser selon les situations… heureusement, aujourd’hui est un bon moment pour l’être. »

Oui cela, il le savait. Son ancien maitre au domaine le lui avait appris. Même si parfois il peinait encore à toujours se contenir. Son caractère purement humain sans doute. Un trait de caractère qu’il chérissait trop, pour tout avouer, pour totalement le bâillonner. Tant que cela ne lui faisait pas commettre d’impair.

Qualité plutôt que quantité, concernant l’escorte. Ilhan comprenait, mais n’était pas bien sûr de bien aimer cela. Car ce serait là mettre en danger nombre d’éléments clés de la cité, nombre d’éléments d’importance. Cela voudrait dire sans doute Sigvald, voire Nyko Svenn, peut-être lui-même (bon d’accord, la perspective de voir de près cette civilisation, même si un brin sauvage pour lui, le faisait presque trépigner d’impatience tout en l’effrayant dans le même temps), ainsi que quelques conseillers avisés, quelques maîtres guerriers, les plus expérimentés dans leur domaine, de toute ethnie pour montrer leur variété et l’étendue de leur savoir… C’était là priver Délimar de savoirs cruciaux sur une période de près d’un mois. Au mieux.

Cela voudrait dire en tout cas bien calculer les risques et bien préparer ceux chargés de veiller sur la cité en l’absence de cette escorte et de leur Intendante. Un lourd projet qui s’annonçait encore…

Et alors qu’il se plongeait dans ses pensées, entrevoyant déjà tous les plans à établir pour ce voyage, qu’il en soit ou non, il aperçut Purnendu se lever. Il leva des yeux interrogateurs vers le grand félin, mais eut bien rapidement la réponse à sa question muette.

« - On y va ? »

Déjà ? Bon, cela signifiait en langage Graärh, s’il avait tout compris, que cette entrevue-là était finie et qu’il n’en aurait pas plus pour aujourd’hui. Cela dit, il en avait eu beaucoup, et cela lui laissait déjà nombre de choses à penser, consigner.

Mais plus tard… Là, il avait un Graärh impatient qui souhaitait apparemment passer à la phase pratique. Impatience qu’il partageait, pour être honnête. Il se leva donc aussi, plutôt content de ne ressentir aucune douleur en cet instant. Mais avant de suivre l’autre vers la sortie, il attrapa rapidement une besace vide, y fourra le coussin à pompons que le Graärh avait semblé apprécier, une bourse contenant quelques friandises (il en avait toujours une ou deux de prêtes pour en transporter sur lui), ainsi que la bourse contenant quelques pièces d’or qu’il avait déposée sur sa table auparavant. Puis, sa besace sous le bras, il suivit le Graärh dehors.

« - Mh avant ça ; comment te sens-tu ? »

Fatigué, avait-il envie de répondre. Il se sentait épuisé, avait envie de dormir un bon somme de plusieurs heures d’afffilée… mais la curiosité, l’avidité d’apprendre, envoyait valser sa fatigue au loin. Quitte à s’en mordre les doigts le soir même, à pousser un peu trop sa maigre résistance au-delà de ses limites. Mais il ne voulait manquer pour rien au monde de voir ce que le Graärh pouvait lui apprendre encore.

Bien mieux que ce matin. Je suis impatient de vous suivre, Chikitsak, répondit-il alors en un sourire.

Une demi-vérité. Mais pas de mensonges. Avec les Graärh, s’il en jugeait par ce qu’il avait compris, mieux valait rester sur une ligne droite d’honnêteté et de franchise. Comme avec les délimariens. Et avec ce Graärh-là plus qu’avec tout autre, il n’avait nulle envie de rompre le petit lien de confiance qui semblait se tisser. Pas de mensonge donc. Même s’il n’osa avouer sa fatigue de peur que l’autre reporte, voire annule à jamais, leur petit échange à venir.

Le Graärh dut toutefois sentir qu’il fallait tout de même le ménager, car il conduisit la marche d’un pas lent. À la juste mesure de l’althaïen. Bien entendu ses deux gardes délimariens les suivirent, mais Ilhan leur souffla de rester à bonne distance, qu’il n’y avait nul danger. Il ne pourrait les convaincre de ne pas venir, Sigvald y avait veillé, mais qu’on leur laisse un minimum d’espace et de liberté. Et de discrétion.

Une fois arrivés à destination, Ilhan observa les lieux, et son regard sombre ne put s’empêcher de scruter leur nouvel environnement et d’en faire tout le tour. Sa vieille paranoïa nota tout de suite les différents accès, issues, possibles cachettes, possibles impasses, dans un coin de sa tête. Vieux réflexes quand il entrait dans tout nouveau lieu. Il aperçut les gardes délimariens, postés un peu plus loin, en un endroit un peu surélevé, sans doute pour pouvoir mieux le surveiller en cas de danger.

Rassuré par tous ces éléments, Ilhan retourna alors son attention sur le Graärh et l’observa s’affairer.

« - Comme tu dois le savoir, la méditation est un exercice de respiration avant tout. Je mets toujours des saveurs dans l’air pour m’aider. »

Je fais souvent de même avec divers encens, répondit-il simplement. Mais je n’avais jamais vu un tel objet.

Il utilisait pour sa part de simples porte-encens. Il nota dans un coin de sa tête de voir pour se procurer un objet semblable un jour. Il huma alors les vapeurs qui s’en échappaient et ferma les yeux pour mieux s’imprégner des senteurs qui enivrèrent ses sens un court instant.

Quand le félin l’invita à s’installer de l’autre côté de l’encensoir, l’althaïen obtempéra sans un mot et s’assit en tailleur. Il posa ses mains, paumes ouvertes vers le ciel sur ses genoux, cala sa respiration sur celle du Graärh et observa attentif ses mouvements. Gracieux, félins, calmes.

« - C’est mon échauffement. Avec ça, je m’assure que toutes mes articulations et muscles soient prêts pour la suite. As-tu toi-même un exercice similaire ? »

Ilhan hocha la tête.

Je commence toujours mes séances par une courte méditation de quelques minutes pour m’imprégner de l’environnement. Puis ensuite je commence par des exercices d’équilibre, avant de commencer ce que j’appelle mes danses méditatives.

Se disant, il se leva, défit son pourpoint et son foulard savamment noué autour du cou, qu’il alla poser plus loin vers la sacoche, restant alors en simple tunique qu’il délaça légèrement pour ne pas être gêné dans ses mouvements. Puis il défit ses bottes et ses bas, restant en braies et pieds nus. Il ne concevait pas de faire quelque exercice physique que ce soit aussi vêtu qu’il l’était en arrivant…

Il revint ensuite à sa position face au Graärh pour mieux s’accroupir ensuite. Il se pencha légèrement en avant, dans de lents mouvements contrôlés. Il étira ses bras en avant et posa les mains au sol, tout en inspirant et expirant au moment opportun. Il posa doucement ses tibias contre le dos de ses bras et bascula vers l’avant dans un lent mouvement tout en relevant la pointe de ses pieds. Après une profonde inspiration, et raffermissant sa prise sur le sol, il redressa ses coudes, collant complètement ses genoux contre ses bras. Et garda la posture de longues secondes.

Puis tout aussi lentement, il se déplia et se redressa.

C’est la position de la grue, que j’ai apprise lors de mon séjour chez un ordre particulier. Il me permet de travailler mon équilibre, le contrôle de mes mouvements et de mon souffle. Je réalise divers autres exercices d’équilibre du même genre, avant d’enfin entreprendre mes danses méditatives.

Il se mit alors en position debout, pieds bien ancrés au sol, jambes écartées, et commença par de lents et gracieux mouvements de bras, les écartant de lui pour les monter doucement au ciel, et les faire redescendre lentement en rapprochant ses mains devant lui, paumes vers le bas, comme chassant l’air qu’il avait attrapé en haut vers le bas. Il recommença plusieurs fois. Puis au lieu de chasser l’air, ses mains vinrent se joindre devant lui. Il passa ensuite à un autre mouvement, un peu plus rapide : il releva les bras à hauteur d’épaules, de part et d’autre, puis replia une jambe d’un côté se reposant sur une seule, ses bras faisant de lents et souples mouvements de vagues. Il recommença de l’autre côté. Le tout en une parfaite maitrise de son souffle, ses yeux sombres ancrés dans ceux du Graärh, comme l’invitant à se joindre à lui et à suivre son lent ballet. Il fit quelques autres mouvements d’assouplissement méditatif, avant d’enfin passer à des mouvements plus rapides, qui demandaient plus de souplesse.

En ce qu’il appelait sa danse méditative. Elle commença d’abord lentement. Ses pieds reprirent tous deux ancrage au sol. Il plia légèrement une jambe sous lui, son corps venant alors porter son poids sur elle, puis, ses bras virent chasser des ennemis imaginaires devant lui dans une lente expiration alors que son corps pivotait doucement d’un côté. Puis il fit de même de l’autre côté, et ce à plusieurs reprises. Et bien vite le rythme s’accéléra, toujours synchronisé à sa respiration, et les mouvements se firent plus complexes, même si toujours très fluides, alors qu’il tournoyait sur lui-même, parfois sur un seul pied, parfois en prenant équilibre sur une main.

Après de longues minutes de cette démonstration, il s’arrêta, se sentant un brin fatigué pour continuer de suite, et se permit quelques secondes pour calmer son souffle. Il se positionna de nouveau face au Graärh, les pieds joints, vint joindre ses mains, paume contre paume, devant lui au niveau de son plexus, et se courba vers lui en une salutation, avant de se relever doucement tout en expirant lentement. Une fois relevé, il avait retrouvé son souffle et pouvait de nouveau parler sans suffoquer.

Voilà un peu quelques exercices que je pratique.

Il avait vaguement conscience que cette pratique n'avait rien de rigoureux sur le plan purement physique. Il ne savait pas réellement quel muscle il travaillait. Il savait juste pouvoir ainsi entretenir son corps, son équilibre, le contrôle de son souffle lors d'exercice un tant soit peu physique, son agilité et ses réflexes aussi. Après tout, ces exercices étaient un mélange de ce qu'il avait vu chez les elfes, les vampires ou les humains, prenant ce qui était accessible pour lui dans chaque pratique pour créer la sienne propre, en lien avec la méditation et le contact, l'équilibre, avec la nature et le monde.

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Sa longue queue enroulée autour de ses cuisses, le félin à la couleur de cendre plongeait les griffes dans l’épaisseur cotonneuse pour en malaxer la texture douce tout le temps que dura le « spectacle » que lui offrait si généreusement le Sans-Poil. A la fin de ce dernier, il pencha la tête sur le côté et vint tapoter le devant de son museau du bout de ses griffes. Il y avait de grandes similitudes entre ce qu’il faisait et ce que l’humain pratiquait et développait sur son temps libre. Il avait une bonne posture et sûrement la volonté suffisante pour engager des exercices plus rigoureux… alors peut-être que oui ; il pouvait lui donner quelques conseils. Se redressant avec souplesse, il contourna l’encensoir et l’invita à se lever aussi afin qu’ils s’écartent sur une zone suffisamment vaste pour qu’ils puissent bouger en duo.

Durant une heure entière, Purnendu commença à lui apprendre les bases du pugilat. Il lui montra comment ajuster son centre de gravité pour donner plus de force à ses coups. Il lui enseigna les premiers mouvements qui, comme des mantras de prières, devaient être répétés encore et encore jusqu’à devenir des réflexes inconscients. Le graärh lui expliqua combien il était important à Nyn-Tiamat d’économiser son énergie et donc ses mouvements, qu’il suffisait de canaliser sa propre énergie interne pour démultiplier une frappe avec peu d’amplitude. L’heure fut entrecoupée par des méditations et mouvements de détentes et d’échauffement pour que cette énergie cumulée dans des parties spécifiques du corps puissent à nouveau circuler librement.

Au bout de cette première session, Purnendu tira de sa sacoche un réchaud et de quoi faire un thé énergisant aux épines de pin et d’autres ingrédients comme du gingembre, des prunes séchées et une pointe de miel. Durant un bon quart d’heure, ils discutèrent de ce qu’ils venaient de partager et réfléchirent à comment l’adapter davantage encore au corps humain. Sans queue pour maintenir l’équilibre, il faudrait à Ilhan davantage de rigueur sur le contrôle de son centre de gravité. Travailler ses jambes et son bassin serait la clé dans cette problématique.

Le félin se proposa de réfléchir à des remèdes pour remédier à des douleurs lombaires et articulaires, voire un baume pour les muscles et la circulation des flux internes. Il pourrait toujours lui envoyer la liste des ingrédients, préparer tout cela quand il les recevra et lui renvoyer ensuite les produits. En paiement ? Puisqu’il s’agissait d’un artisanat de consommation alors il prendrait d’autres de ces friandises. Quand leur pause s’acheva et que le félin fut assuré que son compagnon soit toujours en état, il engagea une seconde heure d’exercices avec les ajustements réfléchis tantôt. A la fin de la seconde heure, il sentait l’agréable tension de la fatigue et la chaleur des muscles travaillés.

« - Je pense que l’on peut arrêter là. »

Il regarda l’humain et ourla ses babines d’un sourire légèrement déçu. C’était l’heure des séparations et il ne savait pas quand il pourrait à nouveau revoir cet homme fort intéressant. N’aurait-il pas été un humain, mais un graärh qu’il aurait adoré l’avoir dans sa tribu… et peut-être plus, même. Purnendu s’ébroua mentalement et commença à ranger ses affaires. A peine avait-il terminé et qu’il se tournait vers Ilhan que ce dernier rapportait à son attention les fameux paiements qu’il avait déjà tenté de lui glisser dans la patte plus tôt. Un vague rire lui échappa et il secoua du chef avant de pousser un léger soupir désabusé.

« - Que tu es obstiné… mais j’aime ça. Alors voyons voir ! »

Il attrapa la sacoche et vint s’accroupir afin d’en découvrir le contenu et pouvoir le disposer sur le sol au besoin. Les oreilles droites, il ne pouvait cacher le brin de curiosité qu’il éprouvait à découvrir ce que l’humain tenait tant à lui donner en échange de ses soins, de leur conversation et de cette petite séance d’entraînement. Ses yeux brillèrent tout d’abord de joie à la vue du coussin et il passa délicatement un coussinet sur les broderies et les perles avant d’extraire le sachet avec les friandises. Sa truffe remua alors qu’il humait les parfums exotiques et délicats avant qu’il n’ourle ses babines d’un sourire désabusé en découvrant la poche où tintaient les pièces d’or.

« - Les graärh n’utilisent pas votre monnaie… et nous n’en utilisons pas de façon générale. Nous favorisons le troc et c’est par ce moyen là que je vais faire « payer » mes services en t’expliquant pourquoi et comment. Ce sera ma dernière leçon de la journée. »

Il attrapa le coussin et le fit délicatement tourner entre ses pattes, l’observant sous toutes les coutures et jaugeant du travail de précision dont avait fais preuve l’artisan. Les perles étaient belles, polies et lustrées alors que les pompons semblaient venir d’une peau de lapin ou d’un petit animal tant ils étaient doux.

« - Je vais prendre le coussin pour le paiement de mes services de guérisseur. C’est un travail d’artisan et je suis, en quelque sorte, moi-même un artisan. Il s’agit de quelque chose que tu chérissais, en plus de sa qualité, sa valeur en est augmentée. J’accepte avec plaisir ce troc. »

Il mit le coussin dans sa propre sacoche, appréciant toujours plus le glyphe d’espace sans fond. Il s’intéressa ensuite aux friandises et esquissa un sourire.

« - Je vais prendre cela en paiement de tout l’enseignement que j’ai pu te fournir aujourd’hui. Je pourrais refuser, car je me sens déjà suffisamment payé en sachant que tu en feras bon usage. Ou du moins, que tu essaieras. Il marqua une pause, sembla réfléchir, puis poursuivit d’un ton léger. Il n’y a rien à troquer pour ce que l’on vient de faire à l’instant, ces exercices furent un apprentissage partagé, j’estime avoir autant donné que j’ai reçu. »

La poche de sucrerie disparue à son tour dans les méandres magiques de la sacoche graärh. Se redressant, Purnendu rendit la besace à l’humain sans même accorder un second regard aux pièces d’or qui attendaient toujours à l’intérieur. Il lui fit un clin d’œil et s’étira avec un long bâillement qui courba sa langue et révéla sa dentition carnassière aux canines trop nombreuses et trop longues pour que cela reste confortable à observer. Se léchant le devant de la truffe, il baissa les yeux sur Ilhan et lui tendit une main à la façon des Sans-poils pour se dire au revoir.

« - Si tu le souhaites, tu peux me laisser des lettres à mon adresse de Caladon. C’est la demeure du Bourgmestre. Je les ramasserai en repassant par chez lui… et si j’ai tout compris, je peux t’en envoyer à Délimar ? »

Sa queue ondoyait avec bonne humeur à la perspective d’avoir un peu de correspondance lorsqu’il reviendrait sur cette île.

« - J’aimerai visiter cette ville à l’occasion. Discuter avec toi m’a rendu extrêmement curieux. Je tâcherai d’apporter quelque chose pour ton Aaleeshaan et pour toi aussi. Je pense que du miel noir des montagnes de chez moi devraient te plaire. »

Un sourire taquin et il le salua une dernière fois avant de rebrousser chemin. Il n’alla pas vers le campement toutefois et bifurqua vers la campagne. Le soleil était encore haut, il avait le temps de passer au crible certaines zones encore peu explorées afin de trouver des plantes ou des racines tardives. S’arrêtant au bout d’un moment, il tourna la tête pour s’assurer que la fine silhouette d’Avente soit bien sur le chemin du retour avec son escorte. Un léger sourire lui vint et il retourna à sa cueillette en fredonnant distraitement sa joie. La journée avait été fructueuse sur bien des points !

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