1 Décembre 1762
Une douce bruine tombait sur le village, vestiges des violentes moussons. Toute la Légion regagnait peu à peu une bonne ambiance et les humeurs de chacuns se faisaient plus légères. Beaucoups de Nayaak avaient théorisé sur l’aversion de la plupart des Graärh pour l’eau mais nuls n’avait été en mesure de faire un rapprochement probant avec leur cousins smilodons. Toujours était-il que Sa’Hila non plus n’était pas fâchée que la pluie eût enfin cessé de déverser des litres d’eau liquide. Si bien sûr ce n’était pas un problème chez le peuple des savanes, depuis des générations qu’ils savaient s’en accommoder, c’était sans aucun doutes un vrai plaie pour l’entretien du pelage. Ce mélange de chaleur et d’humidité…
#Kamda ?#
La voix surpris Sa’Hila, paresseusement accoudée à une petite lucarne. Occupée à battre le tambour, sous la supervision professionnellement endormie de Bahvika, elle profitait de la sieste quotidienne du village pour revoir ses accords. Elle ne s’attendait pas à être interrompue, surtout par une Geai sentinelle. Une ombre d’inquiétude pointa néanmoins son nez, ce moyen de communication étant généralement utilisé pour les urgences.
#Oui Janaan ? Que se passe-t-il ?#
#Pardon de vous déranger, mais une patrouille est de retour… avec un sans-poils. J’ai pensé que vous voudriez lui parler en première…#
#Tu as bien fait, ramenez-le moi.#
Pour l’Aaleeshaan, la pause était finie, le devoir l'appelait. Délaissant son instrument, elle se leva avec grâce et élégance féline et se dirigea vers son mannequin, où reposait son armure. Elle ne craignait surement rien au sein de sa propre Légion, aussi elle ferait office d’outil d’intimidation. L’armure de nymiastal accentuait parfaitement les courbes guerrières de la graarh et sublimait sa prestance sauvage. Alors qu’elle finissait ses deniers ajustement, la panthère noire redressa ses oreilles et se tendit d’un coup. Quelqu’un arrivait. Sa’Hila sourit. Son familier était peut-être vieux, mais pas encore sénile. D’une gratouille entre les oreilles, elle calma le noiraud et se dirigea vers le hall principal. Elle prit place sur son tas de cousins finement décorés, Bahvika venant poser sa tête sur ses jambes croisées. De part et d’autre du panneau en bois massif dans son dos, sculpté au blason de la Légion, Par’Vati et Par’Mani, les Jumelles Guerrières montaient déjà la garde, prêtes à défendre leur Aaleeshaan, et soeur, de toute tentatives d’agressions. Épée et lance au clair, rien ne semblait pouvoir menacer d’aucune sorte Sa’Hila.
Un instant plus tard, une demi-douzaine de graarhs armés pénétraient dans la salle, escortant un homme, seul et désarmé. Saluant leur cheffe d’un signe de tête, ils s’alignèrent le long des murs, délaissant l’humain. Ne sachant si l’étranger connaissait leur coutumes, Sa’Hila initia le dialogue, comme son rang et sa position le lui permettait.
-Je suis Sa’Hila, Kamda Aaleeshaan de la Légion Vat’Aan’Ruda. Se promener seul dans la savane est très risqué, même pour les plus talentueux d’entre nous. Cependant, j’aimerai savoir ce qui a retenu le bras de mes guerriers de te faire rejoindre tes ancêtres.
Bien qu’assise bien droite, son tas de cousins étant surélevé sur un petit talus, elle dominait l’humain aisément. Au milieu de la pièce, crépitait doucement un feu et un arc de cercle de coussins faisait face à l’Aaleehaan. Elle se doutait qu’il ne s’agissait pas d’un pirate, auquel cas les gueriers l’auraient réduits en charpie avant même de penser à le ramener à elle. Cependant, elle voulait l’entendre dire et lui laisser une chance de s’expliquer. Toujours en le fixant droit dans les yeux, elle poursuivit donc:
-Tu n’es pas sans savoir que nous n’acceptons pas les étrangers, surtout les pirates, dit-elle en crachant presque le dernier mot. Alors dis-moi, étranger, qui es-tu et que viens-tu faire sur nos terres ?
Sa’Hila avait passé des semaines à apprendre la langue des sans-poils auprès de nombreuses Pies, au cas où une telle occasion se présenterait. L’exercice lui avait donné mal au crâne, à cause du babillage incessant des liés, mais elle était satisfaite de pouvoir s’exprimer assez fidèlement dans ce dialecte si particulier. Bien sûr, elle parlait avec un fort accent ronronnant, que toute une vie ne saurait effacer, et que de toute façon elle ne voudrait pour rien au monde s’en débarrasser.