12 novembre
Après s'être assurée que Luna ne courait aucun risque, Orfraie avait traversé la frontière invisible avec Firindal pour aller prêter main forte aux mercenaires et autres envoyés de l'Alliance. Pendant de nombreuses heures, qui s'étaient transformées en jour, la dragonnière et son dragon avaient tiré des centaines de corps des décombres de la Chue. Le couple laissa aux autorités humaines, à savoir Nolan et les dirigeants de l'Alliance, le soin de négocier le maintient de la paix. Mais, même après huit jours, il restait beaucoup à faire.
Huit jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée de l'Empereur Kohan à Cordont. Huit jours qu'Orfraie était sur les lieux du drame. Huit jours seulement et il lui semblait que cela faisait une éternité. Le temps ne lui avait jamais paru aussi long qu'ici, à Cordont, tandis qu'elle faisait face à l'horreur sans avoir pu y faire quoi que ce soit. L'odeur du charnier lui rappelait, surtout lorsque le soleil était au zénith, à quel point la vie pouvait être injuste, à quel point elle n'avait aucun contrôle.
Il était encore tôt lorsqu'Orfraie quitta la tente de Luna. Le soleil se levait à peine. C'était, sans aucun doute, le meilleur moment de la journée. Avant que l'odeur de putréfaction emplisse l'air et bien avant la soirée, où les visages se peignaient de sentiments tous plus sombre les uns que les autres. Toutefois, en huit jours, beaucoup avaient été faits. La plupart des corps avaient été sortis des décombres de la Chue. L'aide de FIrindal et d'Orfraie n'avait pas été de trop pour cela, le couple pouvant emprunter la voie des airs pour remonter de l'immense fausse tout ce qui devait l'être. À ce balai aérien, Alkhytis et Luna s'étaient joint également, bien entendu.
Pensive, la Liée aimait croire que la présence de deux couples liés avait aidé à maintenir un moral convenable au sein des troupes, quelles soient Sélénienne ou de l'Alliance. Car, bien entendu, Orfraie ne s'était pas contentée d'aider les hommes de Nolan. Au contraire, dès qu'elle en avait eu l'occasion, la princesse elfe s'était envolée avec Firindal de l'autre côté de la frontière invisible, passant juste au-dessus de l'immense trou qui éventrait Calastin, pour se rendre auprès des renforts venant des Cités Libres. Par sa présence et son exemple, à son échelle, Orfraie avait oeuvré pour maintenir la paix.
Est-ce que cela aidait réellement ?
Pensive quant à cette question, la princesse elfique s'élança vers le gouffre où Cordont était tombée. Tout autour d'elle, les constructions étaient sorties de terre à la vitesse d'un cheval au galop. Il y avait toute une ville à reconstruire, quelques blessés à soigner et surtout de nombreux corps à identifier, à rendre aux familles pour un dernier hommage. Les améthystes fatiguées se posèrent, l'espace d'un instant, sur la tente où s'entassaient presque les corps. Il y en avait moins qu'au début, fort heureusement, mais de nombreux morts restaient encore là, n'ayant personne pour les réclamer. Une catastrophe comme celle-ci avait deux visages, songea l'Ataliel en s'éloignant. Le premier était le plus frappant. La destruction, les morts. L'autre était les familles endeuillées, les cris des mères, les larmes des pères, les hurlements déchirants des enfants. Ne pouvant être insensible, le coeur d'Orfraie s'était serré à de nombreuses reprises au cours des huit derniers jours. Mais elle n'avait jamais craqué. Elle ne pouvait tout simplement pas faillir.
Cette pensée la ramena à son propre peuple qui avait besoin d'elle également. Pas de façon aussi dramatique, certes, mais tout de même. L'immaculation, dont elle-même avait bénéficiée, causait de nombreux troubles au sein de la population Elfique, séparant plus encore les conservateurs et les progressistes. Le désir d'aider le monde entier était grand dans le coeur de la princesse, mais elle se rendait compte qu'elle ne pouvait pas s'éparpiller.
Ce fut sur cette pensée qu'elle s'arrêta au bord du gouffre, vêtue d'une tenue hautement pratique - mais de facture elfique - face à la journée qui l'attendait. Devant elle, tout était sombre. Le soleil n'éclairait pas encore les profondeurs de Calastin.