Dawan eut un petit rire devant l'expression d'Aldaron, lorsque ce dernier le prit dans ses bras. Naïvement, le chanteciel avait imaginé que Valmys préviendrait son père de leur stratagème. De toute évidence, l'enfant du bourgmestre avait également un certain goût pour la surprise !
Nul besoin, néanmoins, de fournir les explications. Le maître du marché noir avait l'esprit assez fin pour faire de lui-même les déductions qui s'imposaient. Avec son doux sourire habituel, le lié des étoiles laissa son ami faire son chemin, jusqu'à ce qu'il comprenne que le cadeau unique qu'était leur réunion n'aurait su se voir utiliser à des fins de grandes réflexions sur la magie. Valmys lui en dirait sans doute davantage. Lui, il avait d'autres savoirs, plus personnels, qu'il pouvait lui apporter.
Ainsi les questions d'Aldaron ne parurent que peu intéressantes au Sainnûr veinulé de blanc. Il les écarta d'un ton badin : "Je ne pense pas savoir tant de choses. Mais je crois que, lorsque la vérité et l'évidence veulent se cacher, elles aiment trouver refuge au coeur des rêves."
Son sourire s'étira subtilement, soulignant un air énigmatique. Là aussi, il savait qu'Aldaron comprendrait. Si lui, le lié-du-ciel, avait toujours cherché à se défaire des entraves qui plaisaient tant à ses semblables, il savait combien ces dernières pouvaient brider jusqu'à la plus belle des pensées, et la reléguer aux seuls endroits, aux seuls instants, où nul regard ne pouvait s'offenser.
La question sur son côté intemporel resta sans réponse. Lui-même peinait encore à comprendre ce qu'il était désormais.
De son pas joyeux "habituel", qui sonnait un peu plus maladroit entre les mains de Valmys, le petit être possédé suivit innocemment son guide en ces terres inconnues. Un peu à l'image de ces créatures qui, dans le conte, suivaient la musique du joueur de flûte. La différence étant qu'Aldaron n'avait pas de flûte et que, normalement, il ne comptait pas se débarasser de Dawan. L'instinct du petit être savait reconnaître une affection, un amour sincère. Sur le banc rouge, il s'assit également, même s'il doutait y rester longtemps. L'ambiance était à la fête, aux danses à en user ses souliers, aux jeux à en user ses forces, aux festins à regretter le lendemain. La musique, et ces choeurs lointain pourtant, continuaient d'influencer l'humeur déjà guillerette et légère de Dawan. Il ignorait comment le corps de Valmys faisait pour ne pas être autant attiré que le sien l'avait été par ces sons, qui avaient la chaleur d'un feu dans le froid de l'hiver. Sa vièle lui manqua. Jouer pieds nus dans la neige lui manqua. Mais il doutait que Valmys soit de son avis, lui qui avait, tout de même, prévu pour l'occasion ses bottes de voyage les plus costaudes, son écharpe la plus efficace, et ces gants de tissu elfique qui protégeaient les très importants petits doigts du joueur de psaltérion.
Il parvint à tenir quelques instants, à écouter Aldaron en le regardant poliment. Puis il eut besoin de s'occuper les doigts et, bientôt, toujours en écoutant avec attention son ami, il sculpta une petite boule de neige sur ses genoux, après avoir rangé le radis dans une des poches du manteau de Valmys. Dans son monde à lui, il aurait pu rendre cette boule toute chaude, et la glisser dans le coeur du père adoptif de Valmys. En ces basses terres, s'il essayait, il parviendrait peut-être à donner très froid à son ami, mais ce serait tout.
Dawan était ravi du lien qui unissait celui qui avait hérité de son savoir à celui qui avait hérité de son espoir. A eux trois, ils ne pouvaient que s'entraider pour escalader les monts qui venaient se mettre sur leurs routes. Restait Celeborn, qui manquait à l'équation, à cette vieille tradition qui réunissait les familles autour d'un âtre. Valmys lui avait déjà parlé de cet être qui perdait parfois Aldaron dans ses pensées. Pour être sincère, Dawan avait songé à aller le voir. Il y avait songé très fort ! Et puis il avait oublié. Pour sa défense, il avait beaucoup de songes à s'occuper, c'était un travail à plein temps ! Ce même temps qui était si dur à quantifier dans un monde qui en était détaché.
La boule de neige de Dawan était désormais sculptée d'un tronc et de quelques branches. Un arbre ? Généalogique ? Peut-être. Ou une perle de Néant. Après tout, ces perles de Néant avaient rapproché bien des gens. Luna et Aldaron, Achroma et Aldaron... "Je ne pense pas que tu devrais t'en vouloir ainsi, Aldaron. Pas maintenant." Sa voix était presque un murmure, un peu distant. D'une main, il fit léviter la boule de neige, quelques centimètres au-dessus de sa peau. De l'autre main, il créa une petite sphère de lumière, qui vint se poser sur la boule de neige, la faisant scintiller délicatement. Une petite bougie de glace pour rendre la nuit plus douillette."Tu ne sais encore ce que vit Celeborn. Tu ne sais ce que tu lui as ôté... Et ce que tu lui as apporté. Ne t'en veux pas pour des hypothèses." Il voulut hululer. Une note bizarre sortit de sa gorge, à la place, plus proche d'un micro-chant que d'un hululement. "Mais si malgré tout tu continues à te trouver cruel... Peut-être est-ce que tu as quelque chose à accomplir." Il lui offrit à nouveau son sourire le plus encourageant. Un sourire qui ressemblait trop peu avec les sourires en coin habituels de Valmys. D'un signe de la main, il incita Aldaron à continuer, puisqu'il semblait avoir à dire.
La suite du discours en valait la peine. Une sincère surprise se dessina sur les traits de Valmys. Est-ce qu'il devait comprendre ce qu'il devait comprendre ? L'allusion au guérisseur lui apporta la réponse. Au sourire triste d'Aldaron, un autre sourire vint en réponse, et une main sur son épaule, tandis que la boule de neige lumineuse flottait toujours haut dessus de son autre main. "J'espère qu'Ivanyr t'aidera à faire battre ton coeur encore longtemps, y comprit face aux plus surprenantes surprises." Il en parlait bien légèrement, lui qui avait peiné à offrir à son coeur de quoi continuer de battre lorsqu'on l'avait défait de Kaalys. C'est qu'il était confiant. Le totem des Inséparables était puissant, et doué dans ce qu'il faisait.
L'évocation d'un autre mariage fit pouffer de rire le jeune Sainnûr. Un petit rire de joie, parce qu'Aldaron expliquait bien en quoi cet événement allait être fort pour eux. "Aldaron Seithvelj... J'aime bien cette sonorité. Je suis sûr que ce nom t'ira à la perfection !" Il haussa à nouveau les sourcils à l'évocation d'Olosir, sa vièle. "Oh... Je croyais l'avoir laissée au Domaine, avec mes autres possessions. J'espère qu'il n'y a pas trop d'affaires qui se sont perdues en route, certaines pouvaient être utiles." Notamment un certain cadeau, offert par Vie. L'écharpe, elle, importait moins. Mais oui, elle était bien de lui. On la reconnaissait à quelques mailles de travers qu'il n'avait eu la foi de remettre en place. Ce tricot avait occupé ses doigts pendant quelques soirées un peu longues, et froides. L'idée de découvrir encore les nouvelles recettes de ce nouveau monde lui ouvrit l'appétit qu'il avait pour l'existence. Et pour peu qu'on lui fasse du pain d'épices aux châtaignes, avec un peu de sucre glace par-dessus, il aurait été un symbiote comblé. "Je parlerai à Valmys de ton invitation, mais je doute qu'il te refuse notre présence. J'essayerai néanmoins de ne pas trop emprunter Valmys hors de ces événements." Ce monde n'était pas sa place, et posséder quelqu'un était hors de ses principes. Il ne le faisait que sur insistance de Valmys, et de ses amis. "Je verrai si, avec son corps, j'arrive à jouer de la vièle. Tu sais, c'est très spécial de changer de corps ! Ce ne sont pas les mêmes réflexes, ni les mêmes habitudes... Même l'intérieur de son crâne est différent. Il me semble..." Sa tête se pencha légèrement sur le côté. "... Plus rangé que le mien. Et d'une sensibilité différente. Les pirates lui ont vraiment fait mal."
Profiter du mariage au sein d'une forêt de sapins serait également plus agréable pour celui qui aimait la nature. Néanmoins, les odeurs d'encens ne l'auraient pas dérangé non plus. Combien de fois en avait-il fait brûler, par goût, ou pour chasser quelques odeurs humaines ? Dawan opinait sagement, sachant que la décoration amuserait sans doute beaucoup Valmys, lorsque le silence le surprit. Un Aldaron qui ne parlait pas ? Soit il était malade, soit... Son regard suivit la direction indiquée. Lui aussi cessa de parler, la bouche entrouverte, des paillettes plein les yeux. "Oooh... On dirait Ilhan, tu ne trouves pas ? Ah, tu ne le connais peut-être pas..." Le renne était magnifique. Un petit miracle sur pattes, un majestueux porteur de bois, une merveille de Mère Terre, qui passait bien calmement si proche de ses chasseurs. "Il a peut-être faim... As-tu envie d'un ami, Aldaron ?" Fouillant ses poches, et éteignant sa boule de neige, Dawan sortit le radis plus tôt rangé, qu'il déposa dans la main du bourgmestre de Caladon. "Je sais que ton coeur va aux humains, mais que dirais-tu de laisser une chance à quelques quadrupèdes ?" Celui-ci avait l'air prêt à leur en laisser une. Son regard paisible s'était tourné vers Aldaron. Il n'avait pas l'air sauvage du tout. Avait-il connu de bons soins bipèdes, avant d'être relaché ? Pas de chant-nom, pas de réponse. Et, tandis qu'il laissait son ami décider de ce qu'il allait faire de ce radis, et de ce cef, Dawan reprit, en ajoutant une deuxième boule de neige sur la première : "J'aime beaucoup tes projets, Aldaron. En as-tu par-delà votre mariage ? Ou peut-être Achroma en a-t-il ? Ou... Désirez-vous laisser l'avenir vous faire une surprise ?" Ses doigts le démangeaient. Sa boule de neige prenait peu à peu la forme de la vièle qui lui manquait tant. Les animaux sauvages aussi méritaient de la musique. Il aurait pu chanter, mais... Il ne s'était entrainé avec la voix de Valmys. Il ne pouvait prendre le risque d'infliger de fausses notes à son fragile public.