Néthéril, début Janvier 1763.

L’aurore était le moment de la journée que le Chantefeu appréciait par-dessus-tout et ce dernier se levait souvent de très bonne heure afin d’assister au lever du soleil. En se rendant à l’extérieur du domaine, sur une falaise escarpée d’où la vue était imprenable, Ilyanth pouvait mirer la flamboyance du firmament et ses teintes d’or, de rose et d’orangé. Dans le lointain, ses prunelles céruléennes discernaient l’étendue bleutée de l’océan sur laquelle apparaissait de temps à autre des navires aux voiles immaculées dont la vue invitait au voyage.

Ce matin-là, comme à l’accoutumée, l’elfe se leva très tôt, fit sa toilette et s’habilla avant de se livrer à son rituel de salut matinal au soleil. Pourtant, loin de se sentir rasséréné par la vision de l’aube naissante, le chanteur sentit un sentiment d’inquiétude sourdre dans son cœur. Ces derniers temps, ce dernier était en proie à de sombres pressentiments et s’éveillait parfois en pleine nuit, le front baigné de sueur, en raison de mauvais songes. Ascheriit, son frère Baptistrel, apparaissait de plus en plus souvent dans ses rêves…

Ilyanth revivait la scène tragique où une chimère tentait de l’enlever et où son frère Rhapsodien s’était sacrifié pour le sauver, en devenant le captif des chimères à sa place. Puis les images se disloquaient et le Chantefeu se revoyait plus tard, au cœur de l’antre des chimères, en train de marcher vers Ascheriit, s’attendant à revoir son doux sourire et ne croisant que le regard glacé de celui qui désormais se faisait appeler Véhasiel. Reverrait-il un jour son frère Baptistrel bien-aimé, cet Enwr dont il se sentait si proche et qui avait tout fait pour le protéger ?

Une ineffable certitude lui disait que cela serait le cas dans un avenir proche et il ne put réprimer un frisson glacé à cette pensée. Ces derniers temps son anxiété latente et ses mauvais pressentiments ne faisaient que s’accentuer, le plongeant dans des abîmes de mélancolie qu’il tentait de dissimuler à son entourage.

Plus que tout au monde, le Chantefeu craignait le retour des chimères et que leur terre d’asile ne soit dévastée à l’instar de leur ancien continent. Ilyanth avait déjà enduré plusieurs pertes dont la destruction du premier domaine Baptistral, son lieu de naissance, par les perles du néant ainsi que celle du second domaine reconstruit dans les cimes Elfiques. Cependant, son cœur en portait les stigmates et il se rappelait les scènes d’horreur et son sentiment d’impuissance lors de l’attaque des chimères sur le domaine Baptistral. Comment lutterait-il pour empêcher une telle tragédie de se reproduire ?

Face à l’énergie du Néant, même la magie semblait inutile, mais l’elfe était déterminé à trouver une solution pour protéger ce nouveau monde et sauver Ascheriit, son ami disparu. Cette pensée l’obsédait de plus en plus.

Afin de se changer les idées et tenter de se distraire de l’anxiété qui l’habitait, Ilyanth décida de partir en expédition dans l’ile durant quelques jours afin de ramener certaines plantes médicinales qui ne poussaient que dans les coins les plus reculés de la savane.

Comme la plupart des elfes, le Chantefeu nourrissait une relation symbiotique, un amour fusionnel avec la nature et était capable d’y passer des journées entières. Aussi, ce dernier n’hésitait pas à quitter la quiétude du domaine pour découvrir Néthéril, cette mystérieuse île pleine de beautés mais aussi de dangers.

Le chanteur admirait la magnificence sauvage de Néthéril, avec ses marais, ses canyons, ses falaises escarpées et son immense savane. Ses immenses paysages étaient si différents de ceux des anciennes forêts Elfiques et des cimes enneigées où il avait vécu quelques années, mais leur contemplation charmait son âme.

Ilyanth marcha toute la journée à travers la savane, recueillant certaines herbes rares et cherchant les fameux champignons aux vertus médicinales évoqués par Jangali, le chasseur Graarh qu’il avait accueilli au domaine quelques temps auparavant.

Une fois la nuit tombée, le Baptistrel décida de s’arrêter devant un bosquet d’arbres et de s’y installer pour dormir. Tellement absorbé par sa quête,  ce dernier ne s’était pas aperçu de la distance parcourue et la fatigue commençait à se faire sentir.  Le Chantefeu s’assis sur le sol, adossé au tronc d’un arbre et ferma les yeux rapidement gagné par la somnolence.Toutefois, l'elfe demeurait vigilant et les sens aux aguets à cause des nombreuses créatures sauvages qui peuplaient la savane.

Les heures s’écoulèrent et la nuit paraissait bien avancée quand le Baptistrel fut réveillé par le bruit soyeux de battements d’ailes et sentit des vibrations qui l’alertaient d’une présence toute proche, dissimulée dans la pénombre nocturne, et sans doute occupée à l’observer.

- Qui est là ? Je sais qu’il y a quelqu’un. Vous pouvez vous montrer sans crainte, je suis animé d'un désir de paix, dit l’elfe d’une voix calme et empreinte de douceur, tout en scrutant l'obscurité, nimbée d'un épais brouillard hivernal, à la recherche de cette mystérieuse apparition.