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24 Janvier, non-loin de Nyn-Tiamat

Par-delà le vacarme des vagues, et l'isolement lorsqu'elles venaient l'engloutir, des rires gras résonnaient. L'Enwr aurait beaucoup donné pour réussir à les nier aussi fort qu'il le souhaitait, aussi fort qu'il l'aurait fallu pour le protéger de la peur qui, désormais, assaillait son ventre. L'eau, glacée, salée, sombre, peuplée de créatures encore inconnues aux crocs trop longs pour ne pas menacer les fragiles sans-poils, était une alliée, et une voix plus accueillante que celles, enrouées de cris, beuglaient non-loin de lui. Il n'était pas trop tard. Il pouvait encore s'enfuir et survivre. Usant de magie pour mieux tenir son souffle, le jeune immaculé plongea sa tête sous l'eau pour brouiller les pistes, et commença à s'essayer à nager, à contre-courant, de toutes ses forces. Coupé des sons extérieurs, les railleries lui étaient peut-être épargnées, mais également les plans qui visaient à le capturer, comme on capturait un beau trophée.
Valmys dut reprendre son souffle. Il sortit la tête de l'eau. Ce fut suffisant pour qu'une vive douleur dans la nuque lui arrache un cri de surprise, vite suivi d'un nouvel élan de panique. Les fourbes. Il reconnaissait cette sensation de faiblesse en lui. La magie ! Qu'avaient-ils osé faire à sa magie ? Elle était une part de lui, ils ne pouvaient l'en priver ainsi ! Les fourbes, les faquins, les...

Il n'eut pas le temps de partir bien loin. Ses bras s'emmêlèrent dans ce qui devait être un filet. De ses fines mains rendues malhabiles par une peur viscérale, il essaya de s'en défaire. Les chimères étaient encore plus douces que ce destin-là. En lui, des milliers de cris refusaient d'y retourner, de subir à nouveau ce sort. Les rires et boutades des marins résonnaient encore en lui, et des douleurs fantômes s'éveillèrent. Non. Pas après tout ce temps passé à se reconstruire. Il ne pouvait en être ainsi. Les Huit n'étaient pas aussi cruels.

"- Eh les gars ! On a été sages, regardez ce qu'Océan nous apporte !"

Valmys essayait de retenir entre ses doigts les fragments d'âme qu'il s'était reconstruits. Il n'était pas leur chose, il n'était pas à eux. Il avait une identité, qu'ils la bafouent ou non. Il était le fils d'Aldaron, l'élève de Kehlvehan. Il était un explorateur, et un historien. Sitôt passée la douleur du choc contre le pont, le petit dernier des Leweïnra chercha à se mettre debout, en titubant.

"- C'est marrant ces marques sur sa tronche. Je me souvenais pas que la syphilis faisait cela."

Il apparut que Valmys était le seul présent à ne pas avoir le sens de l'humour ; les autres pirates trouvaient cela bien drôle. Appuyé à la rambarde, crachant l'eau de mer qui lui avait brûlé, le brave "rescapé" des eaux tenta d'articuler le nom de son protecteur. Teotl était doux, Teotl était bon... Teotl n'allait tout de même pas le laisser ainsi !

"- Teotl ? Oooh ton chouchou t'a manqué ?
- Eh mais attends Teotl en a pas profité... Si ?
- Faut croire que si, et qu'il lui manque.
- C'est pas très joli ce favoritisme !"

Mentalement, Valmys les affubla de jurons fort peu charitables. Pas question néanmoins d'hausser la voix. Même s'il était détestable qu'ils le croient ainsi à leur merci, l'expérience avait prouvée à l'esclave des marées combien la résistance pouvait être un délice pour ces vauriens. Certains le provoquèrent, cherchèrent à lui attraper le menton pour mieux capturer le regard de proie qu'il avait pu leur offrir. Il cherchait toujours à détourner le regard, ou ne leur offrir qu'un air neutre. De ses bras, il enlaçait son propre ventre, dans le vain espoir de se réchauffer. Le vent collait ses habits gelés contre sa peau.
Ils en étaient là, tous, Valmys luttant pour ne pas exciter ses prédateurs, et lesdits prédateurs cherchant déjà qui allait profiter du "premier tour", quand une silhouette grande de symboles s'approcha, imposant le respect des Hommes. Un faible espoir naquit en Valmys, tut sitôt qu'il vit ladite silhouette. Ce n'était pas son protecteur. C'était un être dont les crocs aiguisés témoignaient d'une insatiable faim. De tous les monstres qui grouillaient sur cette structure de bois, mûs par les pulsions les plus bestiales de leur corps, il était le roi. Son précédent jugement n'avait fait preuve d'aucune magnanimité envers l'Enwr. Ce dernier voulut reculer. Ses hanches rencontrèrent la rambarde. L'échine courbée par le froid, il ne parvint à détacher son regard de l'Orque. Sur son visage se lisaient autant de peur que de défiance -une défiance qu'il avait travaillée, mais qui tenait pour le moment davantage par le besoin de se protéger que par réelle conviction. Les souvenirs se lisaient dans chaque crispation de ses muscles. Il ne voulait pas redevenir leur jouet.
Mais face à l'Orque, et sans magie, bridé par le filet qui le retenait encore, y avait-il seulement quelque chose qu'il puisse faire ?

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¤ Bon retour parmi nous ¤

Le Maelstrom voguait, la grande voile sortie et poussée par le vent de l’île de Tiamat, droit en direction de Nyn-Tiamat. Déjà les brises glacées se faisaient sentir et le capitaine était en train de revoir le cap à prendre pour tirer profit des vents du nord. Son objectif ? Arriver dans les temps convenus avec les membres de son équipage envoyer là-bas le mois dernier et dont il avait confié le commandement à Teotl, afin de pouvoir tuer le capitaine des assassins qui projetait d’assassiner la capitaine des catins. Le gredin avait fait un crochet pour entreposer l’or récupérer lors de l’accord avec les nations sur la vente de l’information concernant le retour des chimères. Tout s’était passé selon son plan et Nathaniel était plus que fier de son coup. Qui pouvait se vanter d’avoir pris de l’argent à toute la nation à la fois ? Toute ou presque bien sûr. Lentement, le pirate dévoilait son jeu. Son but ? La couronne d’Athgalan. L’elfe ne l’avait jamais caché. Le titre de roi était pompeux, mais il le porterait bien. Cependant il n’en avait pas après le titre, mais après le pouvoir qui en découlait et le sentiment de supériorité qui y était attaché. Nathaniel avait cependant la tête sur les épaules tout n’était pas gagné. C’est pour cette raison qu’il y allait étape par étape. Petit à petit. Tout devait se passer parfaitement.

Alors que l’elfe à la chevelure d’écume était penché sur sa carte, compas en main, en train de faire des calculs, on vint soudainement frapper à la porte de sa cabine. Le gredin arqua un sourcil. Il avait demandé à ce qu’on ne le dérange pas sauf évènement exceptionnel. Cela devait être le cas, sans quoi une tête tomberait. D’un ton presque las, le pirate parla.

« Qu’est-ce qui vaut qu’on me dérange ? »

« Un homme à la mer, capitaine. »

« Eh bien, faites comme d’habitude. Détroussez-le et mettez-le en cage. »

Le gredin avait répondu d’un ton énervé. On le dérangeait pour cela, mais il y avait une procéder, nul besoin de le déranger pour cela. Prestement on lui répondit d’une voix alarmée, la personne de l’autre côté de la porte craignait les représailles que pouvait signifier ce haussement de ton.

« Oui, mais ce n’est pas n’importe lequel … »

Nathaniel lui coupa la parole en grondant plus fort.

« Et quel homme mérite qu’on me dérange ainsi ?! »

« Il s’agit de la catin du maelstrom, capitaine. »

Un air surpris apparut sur le visage du gredin. Quoi ? Mais que faisait le petit elfe ici ? Que faisait-il encore sur la mer ? Il avait eu la chance de s’échapper, Eärendil aurait pensé que jamais il ne mettrait à nouveau un doigt de pied dans la mer ou sur une embarcation transitant par la mer. L’elfe lâcha un soupir et reposa son compas, se redressant. Il n’avait pas trente-six solutions. Il allait devoir se déplacer lui-même, sans quoi le chanteur aller passer un sale quart d’heure avec son équipage. Voilà qui serait mauvais pour les affaires. Le gredin avait appris que l’hermine s’était faite adopté par le gérant du marché noir. Lui faire du mal serait se risquer à se mettre dans de mauvais termes avec la Triade. Chose à laquelle l’orque ne tenait pas.

« J’arrive. Que les hommes n’y touchent pas avant mon arrivée. »

Soupirant, Nathaniel se leva de sa chaise et s’en aller chercher sa masse dont il saisit fermement le manche avant de sortir de sa cabine pour rejoindre lentement le pont. À peine mit-il le nez dehors qu’il pouvait entendre la cacophonie de ses hommes, les sifflements et les insultes. Le petit chanteur avait toujours la côte sur le navire. Dommage qu’il n’ait pas accepté son offre de travailler sur le navire, il aurait aisément pu remplir sa bourse, et pas que ça d’ailleurs. Catherina reposa sur l’épaule, l’elfe sombre se mit à marcher pour se rapprocher de l’attroupement. Alors que les forbans commençaient à hausser le ton, en venant limite aux mains, pour savoir qui prendrait le premier, tour, le silence s’abattit quand le capitaine arriva auprès de ces derniers. Nathaniel put voir l’espoir naitre et mourir en une fraction de seconde dans les prunelles de l’apprenti chanteur, ce qui étira les lèvres du gredin alors qu’il affichait un air jubilatoire.

« Ravi de te revoir sur mon navire ! Vous y croyez les gars ? On dirait qu’il a traversé la mer à la nage dans l’espoir de rejoindre le Maelstrom. Je savais que tôt ou tard il finirait par accepter ma proposition d’embauche. On a toujours besoin de chanteur et de catin sur un vaisseau. »

Nathaniel s’approcha et abattit sa masse devant Valmys, se penchant un peu.

« Et non, mon maitre d’équipage n’est pas là. Il est allé remplir une importante mission pour son capitaine. »

Le gredin releva sa masse, venant caresser le visage de l’immaculé avec cette dernière.

« Catherina semble bien aimer ton nouveau style, immaculé. Elle n’a encore jamais goûté de sang d’immaculé. »

L’arme vint s’appuyer sur la joue du chanteur, avant de se retirer.

« Fort heureusement pour toi, elle n’a pas soif aujourd’hui. »

Nathaniel se redressa et s’éloigna, retournant dans sa cabine.

« Qu’on lui mette les fers, qu’on le déshabille et qu’on mette à sécher ses vêtements. Envoyez-le dans ma cabine. Que personne ne lui fasse de mal. »

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Le silence s'abattit, seulement interrompu par le coeur terrifié du petit immaculé qui se tenait au milieu de ces bêtes assoiffées de chair et de vices. Contre sa cage thoracique, il sentait ces cognements, comme si au moins cet organe-là espérait pouvoir fuir. La présence qui s'était imposée écrasait les autres. D'elle émanait une profonde menace, comme si chacun pouvait ressentir le nombre de crânes écrasés par sa masse, dans la courbe de cette dernière, et tout le plaisir qui en avait été tiré dans les lignes qui définissaient les crocs de l'orque. De la pitié ? Il n'en avait. Du goût pour son propre plaisir ? Bien plus que le commun des mortels. Valmys songea très sérieusement à se jeter à nouveau à l'eau. Glacée ou pas, au milieu de l'infini ou pas, elle restait plus attrayante que les griffes de cet homme, et les plaies béantes qu'il laissait. A travers lui, il voyait également pire que la mort, pire que le sang, et son rire odieux. Il voyait son âme brisée comme un vulgaire miroir, son identité souillée, son intégrité couverte de stigmates. Il voyait ces longs mois qu'il avait passé à ramasser les petits bouts de verre qui le représentaient pour tenter de les recoller, morceau par morceau, malgré ceux qu'il manquait. Il voyait l'horreur de devoir tout recommencer, et de perdre encore des morceaux. S'il en re-sortait.
Mais la peur le paralysait. Ses muscles tendus ne lui obéirent pas, et le petit être gelé jusqu'aux os contempla son destin, impuissant, la peur au ventre.

La masse s'abattant devant lui le fit sursauter, avec une brusque inspiration qui se changea en léger couinement. Cela n'allait pas jouer en sa faveur. Il s'en voulut immédiatement. Son joli teint basané perdit quelques couleurs quand l'espoir auquel il s'était accroché s'envola. Pas de Teotl, pas de beau chevalier à l'armure immaculée pour venir le sauver, le défendre face à son père. Pire encore : pas d'autorité pour organiser les forbans afin qu'ils ne le tuent pas en se montrant trop voraces. Cela s'annonçait de plus en plus mal. Sa peau se couvrait de chair de poule, et le froid n'en était pas le seul facteur. Déjà il commençait à se dire que peut-être que s'étrangler proprement serait plus simple. Mais il n'avait laissé aucun testament, et... Il y avait sa famille, qui l'attendait, quelque part. Et peut-être qu'il pourrait s'échapper, comme il l'avait déjà fait. L'elfe aux crocs de prédateur n'avait pas encore éviscéré cet espoir-là.

Son visage avait quitté toute son expressivité naturelle, reprenant ces réflexes de jadis, quand le moindre rejet ou la moindre attirance pouvait attiser les appétits. La masse rencontra sa joue, la plissa un peu. Ses lèvres pâlirent subtilement. Ç'aurait pu être la proximité de l'arme. Mais il devait avouer être relativement confiant quant à cette dernière. Ce n'était ni sa mort ni son sang qui intéressait ces vauriens. Ils venaient de le dire. Par contre ce foutu contact lui en rappelait d'autres, de semblable allure, contre sa joue. Ce maudit capitaine le savait, c'était certain.
Aucune protestation du petit immaculé ne répondit aux ordres. Il se débattit avec toutes les forces qu'il avait, entre deux grognements frustrés de tortionnaires qui ne pouvaient le molester. Ne pas lui faire de mal... Depuis quand Nathaniel avait pitié de lui ? Avait-il eu vent de son adoption ? Allait-il oser demander une rançon à son père ? Dans le doute, mieux valait ne pas énoncer le nom de ce dernier. Mais pourquoi l'emmener nu dans sa chambre s'il devait le rendre à Aldaron après ? N'imaginait-il pas ce qu'un père pouvait faire lorsque l'on touchait à son fils ? Et ces habits mis à sécher, quand jadis ils avaient été arrachés sans plus de considération... Il y avait un souci. Etait-il possible que le pirate se soit investi dans l'étude de la subtilité, et qu'il cherchât désormais à se l'approprier par d'autres moyens ?
....
Nan.

Debout, aussi nu que vulnérable, Valmys se retrouva dans la chambre du capitaine. Il recula, de quelques minuscules pas, pour que son dos se colle à la porte fermée derrière lui. L'endroit n'avait presque pas changé. Il y avait toujours cet horrible miroir qui lui semblait refléter toujours la même image, le lit dont il devinait déjà l'odeur âcre, et le tab... Eh, il était nouveau ce tableau. L'empereur Nolan Kohan ? Nu ? Le forban avait pris goût aux têtes couronnées ? Oh par les Huit, il ne s'était tout de même pas décidé à la chasteté jusqu'à retrouver l'élu de son coeur ?! Non. Un bref regard à l'orque souffla cette idée au loin. Quelque chose émanait de lui, que Valmys n'avait pas ressenti auparavant... Et qui l'effrayait. Au fond de ses yeux d'ambre, et malgré son expression neutre, le pirate devait pouvoir deviner l'effet qu'il faisait au petit être. Son corps avait toujours froid, malgré la protection qu'offrait la cabine.

"- Qu'allez-vous me faire ?"

Du reproche hantait sa voix, plus que de la peur. Un moyen de défense comme un autre. Il n'allait tout de même pas déjà offrir sa peur à celui qui s'en nourrissait. Pas alors qu'il pouvait peut-être, encore s'en sortir. Pas alors qu'il lui restait encore ce grian d'espoir que le pirate menaçait de lui enlever.

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¤ Retour en enfer ¤

Un naufragé venait d’être péché par le Maelstrom. L’immaculé à la dérive n’était pas inconnu au navire, ni à l’équipage, ni au capitaine. Ce dernier avait déjà eu l’immense honneur de faire un premier séjour à bord de ce bâtiment. Nul doute que celui-ci l’avait profondément marqué. Toutefois, le gredin s’étonnait de le voir à nouveau ici. Plus particulièrement, il s’étonnait de le voir au milieu de la mer. Comment s’était-il retrouvé là. Y avait-il eu un naufrage ? Peut-être. Les eaux étaient dangereuses après tout. Le chemin que le Maelstrom empruntait actuellement était bordé par les crocs-du-givre et le récif de tempête. À cela s’ajoutait la faune marine qui savait se montrer particulièrement dangereuse. Quoi qu’il en soit, le capitaine à la chevelure d’écume aurait tantôt des réponses à ses questions. Le jeune naufragé les lui dirait. Quand bien même ce dernier se débâtait, il ne parvint pas à se libérer et les ordres de Nathaniel furent exécutés. Valmys fut amené à sa capitaine après qu’on lui ait retiré toutes ses possessions et qu’il était été enchainé. Il ne fallait pas que le jeune apprenti chanteur se fasse une nouvelle fois la malle, ou pire encore qu’il mette fin à ses jours. Cela ne serait pas bon pour le commerce. La porte de la cabine du capitaine fut ouverte et on poussa le prisonnier à l’intérieur avant de la refermer. L’elfe ne jeta même pas un regard sur lui, se contentant de regarder la table devant laquelle il était assis, finissant quelques derniers préparatifs. Très bientôt, le silence fut brisé par la voix tremblante de reproche et de peur du futur barde. L’inquiétude sur son sort arracha un sourire en coin au pirate. Il avait imprégné la peur dans cet être aussi surement qu’il avait été imprégné d’une partie de son équipage. Allait-il continuer sur le chemin de la peur, ou allait-il essayer quelque chose pour déstabiliser son jouet ?

« Tu espères pouvoir t’en sortir n’est-ce pas ? Secrètement, au plus profond de toi tu nourris ce zeste d’espoir. Tu te dis que tu pourras t’enfuir comme tu as réussi la dernière fois ? »

Lentement, le gredin tourna son visage en direction de son prisonnier, lui lança un regard prédateur.

« Tu peux déjà abandonner ce rêve fou. Tu ne t’enfuiras pas. J’apprends de mes erreurs et mon équipage aussi.  »

L’elfe sombre se leva et s’approcha tel un lion approchant lentement de sa proie avant de la saisir en direction de l’immaculé. Nathaniel ne se priva pas pour regarder Valmys de bas en haut comme un regard un morceau de viande. Il finit par venir poser une main sur l’épaule de ce dernier, avant de la faire descendre le long du bras. Alors qu’il descendait en direction de la hanche, l’elfe à la chevelure d’écume se retira au dernier moment avant de faire volte-face, s’amusant avec les nerfs de sa victime. Le gredin retourna vers son siège.

« Comment t’es-tu retrouvé à dériver en pleine mer ? Si tu me mens, je le saurais. Dis-moi la vérité et tu seras récompensé … mens-moi et … tu seras puni … tu sais que j’ai toujours quelques Graärh à bord. »

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"...J’apprends de mes erreurs et mon équipage aussi."

Le souffle de Valmys cessa à ce moment précis, dans un réflexe stupide pour tenter de disparaître des perceptions de l'Orque. Du souvenir de sa fuite, il avait nourri ses espoirs. Il s'était reconstruit sur la force que pouvait donner la seule idée de s'en être sorti. Son dos s'appuya contre le bois de la porte, cherchant à passer de l'autre côté, ou convaincre la matière de se dissiper temporairement pour le laisser passer. Sa cicatrice lui rappela douloureusement que le monde ne fonctionnait pas ainsi. Alors il était prisonnier, entre ces quatre murs, entre la porte et le regard prédateur de l'Orque, avec ces liens lourds et glacés autour de ses poignets. Son sang lui parut pulser plus fort contre ces derniers.

Valmys imaginait très bien comment le malheureux qui l'avait laissé s'échapper avait dû servir d'exemple. Il imaginait très bien comment l'Orque pouvait convaincre son équipage. Le regard du jeune immaculé valait bien tous les couinements de terreur qu'il aurait pu offrir, tandis qu'il restait figé sur les crocs du pirate. Alors lui, qu'allait-il subir pour donner l'exemple aux autres prisonniers ? Non, Nathaniel ne le toucherait pas. Il ne le pouvait plus, pas après tous les efforts que Valmys avait fait pour se protéger de son seul souvenir ! Il ne le toucherait pas, parce que... Non. Valmys ne pouvait pas parler de son père, pas comme ça. Qu'allaient réclamer les pirates à Caladon ? Pourtant le visage de son père ne cessait de s'imposer devant ses autres pensées. Un appel à l'aide, déjà. Non, il pouvait s'en sortir.

Un vague mouvement de hanches avait tenté de porter hors du regard du pirate quelques morceaux de sa peau. Un frisson parcourut le petit être lorsque la main de son prédateur se posa à nouveau sur lui, rompant cette barrière qui aurait pu le convaincre que tout n'était qu'un énième cauchemar, et qu'il allait se réveiller. Le contact fut doux, mais ce n'était pas là la raison de l'immobilité de Valmys. Il était tétanisé. Et il savait que se débattre risquait d'exciter les instincts de l'Orque. Les réflexes des millénaires passés entre les mains des pirates revenaient si vite.
Cette voix en lui qu'il avait réussi à endormir se réveilla, pour lui murmurer que c'était normal. Après tout, n'était-il pas fait pour cela ? N'était-il pas leur jouet ? Il le faisait si bien ! Il aurait dû être honoré d'être aussi réclamé, non ?

Le contact cessa, et Valmys réalisa qu'il avait détourné le regard, qu'il s'était mordu les lèvres. Ehben ? Qu'attendait-il, le pirate ? Par les Huit, il ne pouvait pas vraiment s'être entiché du petit Kohan ! Il ne pouvait pas être devenu fidèle, ç'aurait été... Un sacré dossier entre les mains du fils d'Aldaron. Ce dernier interrogea du regard le dos de l'Orque, profitant de la situation pour chercher à reculer, plus ou moins, s'éloigner de lui, même de quelques centimètres.
Ce sentiment de terreur qui lui prenait les tripes l'empêcha de se montrer aussi expressif qu'il savait l'être. Sans cela, il aurait sans doute haussé un sourcil aux précautions du pirate pour qu'il ne mente pas. Il se souvint, après une brève réflexion, qu'en effet il n'avait pas désigné à Nathaniel quel groupe de personnes ennuyer pour tirer le plus de parti possible de son otage. Peu importait. Il ne mentait pas, de toutes façons, et même sans serment baptistral, il ne passerait entre les pattes des Graärh. Il suffisait d'expliquer qu'il était passé par un vortex, et...

Par l'Hermine, jamais le capitaine de ce maudit raffiot n'allait le croire.

La menace devint dès lors plus réelle. Valmys eut une sorte de spasme en imaginant la chaleur et la fourrure contre son dos, et la violente douleur dans ses entrailles. Il était dit que les Graärh partageaient quelques points communs avec les chats. L'Enwr n'avait aucune envie de le découvrir.
Hâtivement, il chercha quelque chose, un plan, une idée, une façon de tourner son discours pour, sans mentir, rendre la réalité plus crédible. Rien ne lui vint, et la créature paniquée qu'était son âme n'aiait en rien. Oh non, pas les Graärhs, pitié ! Et pas les pirates non plus. Parce qu'il doutait que les Graärhs lui permettent de survivre, Valmys envisagea de dévoiler son appartenance à l'Ordre. Après tout, le séjour auprès d'eux ne lui avait-il pas prouvé qu'ils étaient là pour lui ? S'il parlait de l'Ordre, alors il n'aurait pas plus de raisons d'évoquer Aldaron. Qui Nathaniel irait-il chercher en premier, lui qui défiait sans peur les autorités et les océans ?
Légèrement recroquevillé, comme pour garder un minimum d'intimité, Valmys osa alors répondre, d'une voix au départ peu asurée :

"- Un vortex, et le souffle d'un Graärh."

Les Graärh lui faisaient si peur, soudain. Sa voix se fit plus assurée, motivée par son envie de survivre :

"- Allez-vous dire que je mens ? À quelles fins, celles de faire connaissance avec les Graärh que vous maintenez captifs ? Si j'avais voulu vous mentir, j'aurais trouvé quelque chose de plus pertinent. Quelque chose comme "j'étais avec une armada de bateaux et moult mercenaires voués à ma protection, et peut-être vous cherchent-ils désormais" !"

Il y avait une pointe de défiance dans sa voix, qui décrut peu à peu, alors qu'il se souvenait que Nathaniel pouvait se vexer de son audace. Il reprit plus délicatement, contant, la crainte faisant parfois trembler sa voix :

"- J'ai été dépêché pour une expédition dans le désert. Les Chimères nous y ont trouvés. Nous étions aux prises avec elles lorsqu'un Graärh -bien plus puissant que les autres- nous a rejoint. Son seul souffle a déclenché une tempête. Pour se sauver, les Chimères ont créé des vortex, et je suis passé à travers l'un d'eux."

Du coin de l'oeil, il observa à nouveau son bourreau.

"- Si vous ne me croyez pas, prenez le temps d'interroger certains royaumes. Je suis parti avec Hartea Thaidforoden, Aramis Thrëde, Orfraie Ataliel, et son Lié, Firindal."

Il eut un nouveau frisson. Du froid, cette fois. Il était encore humide de l'eau glacée dans laquelle il avait été plongé de force. L'Enwr s'assit au sol, ses genoux contre son torse. Mentalement, il préparait déjà quelques arguments, dans le cas où le forban décidait qu'il était plus intéressant mort que vivant. Néanmoins, c'était peu probable. Ne venait-il pas de donner des pistes insinuant l'intérêt que pouvaient avoir pour lui quelques personnes haut placées ? Non, il ne fallait pas le tuer.
Valmys profitait de la distance entre l'Orque et lui pour ramasser les fragments de ses espoirs, et tenter de les reformer. Déjà, ces efforts étaient rendus plus difficles par une lassitude ancienne. L'Orque savait jouer sur la corde fine de son esprit. Il l'avait maintenu entre l'abandon et la révolte, juste assez pour pouvoir jouer. Qu'il continue n'était pas surprenant, et les souvenirs avaient tôt fait d'écraser toutes les expériences qui auraient pu prouver à Valmys que, désormais, il n'était plus ce même être fragile duquel il avait été si simple de soutirer n'importe quoi.
Pour l'heure, il restait la proie qui guettait la façon par laquelle elle allait être mangée. Peut-être qu'entre deux crocs, elle pourrait tenter ce qu'elle faisait de mieux : fuir.

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¤ Une histoire de graärh ¤

L’ancien passager clandestin tentait tant bien que mal de dissimuler son corps au regard du pirate. Celui-ci s’en amusait, mais n’en montrait rien. L’immaculé transpirait la peur et l’elfe aimait particulièrement cette odeur. Pour cela il devait maintenir ce sentiment pas passé à l’étape au-dessus en le plongeant dans le désespoir. C’est pour cette raison que le gredin eut recours à l’une de ses anciennes menaces, qu’il n’avait jamais mise à exécution d’ailleurs. Ou plutôt, qu’il n’avait jamais eu à mettre en œuvre, pour le plus grand bonheur de Valmys d’ailleurs. Il était certain que ce dernier lui dirait la vérité, l’apprenti chanteur n’était pas assez stupide ou fou pour oser lui mentir. Cela l’orque le savait. La réponse de ce dernier ne tarda pas à tomber et il est vrai qu’elle était pour le moins farfelue. Un vortex et un graärh. Le pirate tourna légèrement la tête, un air volontairement perplexe au visage. Il savait que le petit être ne lui mentirait pas et il savait que ces révélations étaient bien trop grosses pour être un mensonge. Cependant, le capitaine de la confrérie désirait des détails. L’immaculé s’alarma d’ailleurs et s’empressa d’expliquer. La menace du pirate semblait avoir été belle et bien prise au sérieux.

Nathaniel eut du mal à retenir un soupir de soulagement quand ce dernier lui parla des chimères. Ces engeances avaient agi rapidement, heureusement qu’il avait pu conclure l’accord avant et repartir avec le pactole. Se faire coiffer au poteau ainsi aurait été profondément frustrant. Mais ce qui intéressa plus le pirate ce fut la mention du graärh. Lentement, il se pencha pour venir farfouiller dans sa poubelle, à la recherche d’une lettre reçue d’Athgalan il y a peu.

« Félicitation, Valmys. Tu as dit la vérité. »

L’elfe trouva enfin la lettre et la défroissa pour la relire, alors que son autre main il attrapait dans une sorte de besace une tunique rudimentaire et courte, beaucoup trop courte. Une fois celle-ci en main il tendit le bras en direction du jeune chanteur, lui faisant comprendre d’approcher pour s’en saisir. C’était là sa récompense.

« Je te crois concernant les chimères. J’en ai moi-même rencontré il y a peu. Je reviens tout juste d’une rencontre avec l’empire sélénien, l’alliance des cités libres, le royaume vampirique et le royaume elfique. Je leur ai vendu cette information contre un sacré pactole. Cependant ce que je sais déjà ne m’intéresse pas. »

Lorsque Valmys fut suffisamment prêt pour se saisir de la tunique, Nathaniel le saisit pour le tirer jusqu’à lui, venant lui permettre de lire la lettre froissée qu’il avait en main. Il était fait mention de quelque chose, Nathaniel avait volontairement mis son pouce dessus pour cacher cette partie du message. Mais il était aussi et surtout fait mention d’un graärh aux pouvoirs prodigieux et terribles avec une vague description.

« Parle-moi de ce graärh. Lui manquait-il les deux bras ? Était-il bossu ?  Son pelage était-il prune ? N’omets aucun détail, sinon tu iras rejoindre ses homologues dans la cale. »

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La tunique lui apparut, comme auréolée de lumière. Elle avait l'air un peu courte, mais peu importait ! Il la porterait en pagne, et ce serait merveilleux. Jamais un pagne ne lui aurait apparu autant porteur de dignité -et sans doute de chaleur. Le regard que Valmys portait sur le brave bout de tissu était plein de ces étoiles qu'ont les assoiffés devant une source d'eau. Les mots de Nathaniel ne l'intéressaient pas. Il était un pirate, que pouvait-il dire d'intéressant ? Que pouvait-il savoir de plus que lui sur les chimères, les Graärh, ou même les temples anciens ? De sa voix, Valmys ne se souvenait que de vulgarités, de menaces, et d'insanités qui avaient été comme autant de poignards plantés un à un dans sa chair, dans le seul but de satisfaire le pirate. Ce n'étaient pas des mots pour le baptistrel, ils n'étaient que pour le pirate.

Prudemment, à la manière d'un animal craintif, il se rapprocha de l'Orque, cherchant la distance optimale pour se saisir de la tunique sans s'aventurer sur le territoire de son prédateur, et se mettre à sa merci. Son propre corps était faible, et exposé. Même si, depuis leur dernière rencontre, il avait connu l'immaculation, ces veinules qui couvraient désormais tout son corps selon un schéma chaotique, il n'aurait su juger et prévoir la différence de leurs forces, encore moins avec des poings liés. Un contact forcé avec le capitaine n'aurait été que douleur et dégoût, bris de tout ce qu'il avait pu reconstruire. Il ne le voulait pas.
Ses doigts effleurèrent le tissu un peu rêche. Aussitôt son corps se raidit, et un couinement s'étouffa dans le noeud de panique qui se forma un en instant au niveau de sa gorge. Attrapé. Capturé. Il s'était fait avoir comme la créature innocente... Qu'il n'était plus. Il eut un mouvement de recul, avant que la poigne de l'Orque ne lui rappelle que se débattre n'était pas toujours la solution. Son regard voulut esquiver celui de l'Orque, mais vit la lettre qui lui était présentée. Tiens, ce vaurien savait lire ? À moins qu'il attende ce service de son rescapé des mers ? Valmys comprit tôt la situation dans laquelle il se trouvait. Les informations et la tunique, en échange de ses informations à lui. C'était...

Intéressant. Le coeur toujours galopant de panique, l'Enwr leva un regard pourtant plus posé sur l'Orque. Derrière ses yeux d'ambre, se lisaient autant une réflexion active qu'une fine surprise. Des quelques indices qu'il avait devant lui, il lui semblait que le pirate avait dû obtenir l'information selon laquelle un enfant Leweïnra valait davantage indemne que souillé. Que lui avait-on dit ? Qui le lui avait dit ? Teotl ? Quelque bon informateur désireux de ne pas voir l'Orque se faire déchiqueter par le père adoptif de l'apprenti baptistrel ? À moins qu'il ne s'agisse point de la menace d'un Aldaron, mais plutôt de celle d'un Kehlvehan ? Son retour à terre avait appris à Valmys combien de gens tenaient à lui. Ces personnes avaient très bien pu vouloir informer le monde de leurs intentions. C'était touchant, et... Le mot "soutien" prenait un sens bien plus tangible. Valmys sentait dans sa poitrine une pointe de chaleur, de courage. Il était tout autant utilisé, tout autant considéré comme un simple objet, un moyen. Mais désormais, il était un objet qui avait de la valeur.

Son corps se détendit un peu, sous la main du bandit. Il quitta la posture qu'il avait instinctivement prise, le dos courbé et les jambes arquées, prêt à utiliser son énergie pour déguerpir, pour se redresser et reprendre davantage l'apparence bipède qui était la sienne.

"- Êtes-vous si inhumain que vous en oubliez comment réagissent les vôtres ? Je vous ai fui, et désobéi, parce que vous m'outragiez et me blessiez. Si vous me traitez comme vous aimeriez que l'on vous traite, pourquoi ne partagerais-je pas ce que je sais avec vous ?"

En prononçant ces mots, il sut. Tout pouvait se vendre, et le pirate avait peut-être imaginé que ce genre de "précieuse" histoire valait trop d'or pour lui être offerte gratuitement. Oh, si Valmys n'avait pas eu d'espoir de se libérer, peut-être aurait-il déplôré que son père ait à payer pour ce qu'il aurait pu lui dire sans frais. Mais il s'inquiétait moins pour l'argent de son père, et savait qu'il aurait l'occasion de lui raconter son aventure dans les détails, en personne. Il reprit la parole, mais la défiance de sa voix avait à nouveau laissé la place à un timbre plus blanc, maladif.

"- Si vous m'aviez écouté, la première fois que vous avez porté la main sur moi, vous sauriez que j'ai bien plus à vous offrir que mon corps. Je sais des choses. Je suis néanmoins ravi de découvrir que vous avez pris conscience de la valeur que peut porter une information."

Il reprit son souffle, réalisant combien ce dernier lui était rendu complexe par la crainte. Ses côtes lui paraissaient comme prises dans un étau. Il décrivit alors le Graärh qu'ils avaient vu, son poil tigré, orange blanc et noir, sa tête également semblable à celle des tigres, sa taille haute, même vue de loin, et la largeur de ses hanche, l'importance de son ventre de son appétit. Il prit même le soin de décrire ce qui avait émané dudit Graärh, cet appétit impérieux. Ses maîtres lui avaient appris l'importance que pouvaient avoir les auras. Lorsqu'il eut fini, il eut à nouveau besoin de s'arrêter, respirer, avant de demander, sur un ton inquiet :

"- Pouvons-nous dès lors discuter ? Pourquoi ce Graärh vous intéresse tant ? Qu'avez-vous vendu à Sélénia ? Aux Cités Libres ?"

Il chercha, délicatement, sans forcer, à se débattre. Ils étaient beaucoup trop proches et n'en avaient pas besoin. Cette proximité rendait son corps fou de peur, rappelait la possibilité, toujours présente, qu'il se soit fourvoyé, et que le pirate n'aie en rien l'envie de le renvoyer indemne aux siens.

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¤ Connaitre sa place ¤

L’immaculé chanteur lui avait conté une histoire intéressante, celle d’un désert, d’expédition, de chimère et au milieu de cela un Graärh suffisamment coriace pour tenir tête à ce beau petit monde. Cette histoire n’était pas sans faire écho à celle qu’il avait entendue à Athgalan concernant un marais, des pirates, des mercenaires, des graärh et au milieu de cela, un graärh particulièrement coriace pour tenir tête à ce beau petit monde, mais surtout la notable présence de ce qui devait être un karapt. Le corps de la créature n’avait malheureusement pu être rapporté, car elle se serait décomposée très rapidement. Un phénomène étrange, mais qui paraissait banal en comparaison de l’apparition de félin doté d’une puissance exceptionnelle. Mais l’elfe sombre souhaitait en savoir plus. Le matou dont il était question dans l’histoire de l’immaculé, était-il le même que celui de l’histoire des pirates ? Le capitaine des gredins ne sut pas trop à quoi voulut jouer l’apprenti chanteur par la suite, ce qu’il avait pu penser, ce qu’il avait pu espérer. S’était-il soudainement senti pousser des ailes ? Avait-il oublié la position dans laquelle il se trouvait ? Avait-il peut-être tout simplement perdu l’esprit ? Pour une raison que Nathaniel ignorait, Valmys pensait pouvoir établir un rapport de commerce, un échange donnant-donnant. Malheureusement, l’immaculé n’avait rien à lui offrir, tout ce qu’il possédait appartenait en cet instant au pirate et il ne faisait que récupérer ce qui lui appartenait. Ce brin de rébellion il allait devoir l’éteindre, mais juste avant, l’elfe à la chevelure d’écume prit connaissance des détails concernant le graärh du désert. La description qui lui en fit ne correspondait pas du tout à celle faite par les pirates. Il s’agissait donc d’un autre individu, d’un autre graärh doté de pouvoirs spéciaux. Voilà une information intéressante et fâcheuse.

« Discuter ? Moi je ne discute pas, mais si tu veux discuter, il y a Catherina. »

Nathaniel vint se saisir de sa masse, l’approchant lentement de Valmys, venant faire des va et vient avec celle-ci comme s’il mimait des coups qu’il pouvait porter avec.

« Elle aime beaucoup discuter, le seul problème, c’est que lorsqu’elle discute, elle a tendance à s’emporter et dans ces cas-là, elle parle de plus en plus fort. »

L’elfe sombre appuyait chacun de ses mots d’un mouvement de masse plus prononcé, signifiant que chaque parole était en réalité un coup, un coup dur, violent et mortel. Le capitaine finit par présenter sa masse à quelque centimètre du visage du naufragé.

« Alors ? Tu as envie de discuter avec elle ? »

Nathaniel finit par libérer Valmys, le repoussant par la même occasion.

« Ici, c’est moi qui pose les questions et seulement moi. Il n’y a pas d’échange, il n’y a pas de marchandage. Ici, sur ce navire, tu es à moi. Tout ce qui possède est à moi, y compris ce qui se trouve dans ta petite caboche. Tu n’as rien m’offrir dans la mesure où plus rien de ce que tu as ne t’appartiens. Je suis le seul à pouvoir t’offrir quelque chose ici et je t’offre déjà beaucoup en n’autorisant pas mes gars à te passer dessus et en te permettant de te vêtir. »

Le regard provocateur et dur du gredin se posa sur celui de l’apprenti chanteur.

« Alors la moindre des choses à faire c’est de me remercier. »

L’elfe revint sur la lettre et la chiffonna à nouveau avant de la jeter dans la poubelle.

« Où on en était ? Ah oui, ce graärh. Tu disais qu’il était différent. Intéressant. Que s’est-il passé avec ce graärh ? Avez-vous discuté ? Avez-vous combattu ? Si les chimères étaient présentes, je suppose qu’il y a dû avoir un combat. A-t-il utilisé un objet ou activé quelque chose ? »

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Ce fut instinctif. Valmys chercha à reculer sitôt que la masse s'approcha de lui. Son échine se courba, il voulut se recroqueviller. Pas que le Maëlstrom avait eu tendance à manquer de délicatesse envers lui, mais... Auprès de lui, il se sentait toujours en sursis, tant sur ce qu'il avait connu, dont le retour était une épée maintenue par une ficelle au-dessus de sa tête, que sur ce à quoi il avait échappé jusqu'alors, mais dont les seules menaces suffisaient. Il se souvenait encore avoir vu la tête d'une personne avec qui il avait pu parler, coupée comme une vulgaire carotte. Il aurait pu finir ainsi. Il pouvait toujours finir ainsi. Alors un instinct très animal en lui glapissait de peur. Il ne voulait pas y passer aussi, non, non, non...

La fuite n'était pas encore permise, et ce seul rappel fut suffisant pour amplifier les angoisses qui pulsaient en lui à chaque battement de coeur. Le noeud dans sa gorge se resserra. Des images défilaient déjà dans sa tête, des douleurs atroces qu'une telle arme pouvait causer. L'arme semblait taillée pour n'avoir pas même la pitié d'une mort preste. Les os brisés, et la chair déchirée, Valmys l'imaginait fort bien, avec une nausée dont il ne savait si elle venait de ces craintes, ou de celles liées à la proximité de l'Orque. Des goûts honnis revenaient à sa bouche, des douleurs fantômes commençaient à le lancer, dans sa gorge et son ventre. Tout son être refusait d'être présent, ici, maintenant, face à cet Homme. Mais il pouvait refuser autant qu'il le voulait. Cela ne changeait rien.

Les faux coups qu'on lui porta firent leur effet, dans le regard que Valmys jeta à son tortionnaire. De la détresse, de la peine, mais moins de défiance. Ses lèvres étaient désormais fermement closes. De toute façon, ce genre de menaces mêlées à la grandiloquence n'appelait aucun public, si ce n'était l'égo de celui qui les prononçait. Pourtant, une question de plus brûla la langue de l'apprenti, tant il caressait du doigt l'idée que sa réponse pouvait l'aider à se défendre. Catherina, n'est-ce pas ? Qui était-ce ? Une amante ? Quelqu'un d'assez cher pour que l'Orque la considère plus que les autres. Quelqu'un de mort, sans doute. Une faiblesse. La marque d'une humanité, quelque part, qui attendait peut-être que l'on vienne l'arracher au royaume de Mort. Peut-être. Pouvait-il écarter cette masse de lui ?

L'Orque libéra la pauvre hermine, qui tituba un peu, avant de se stabiliser, avec quelques pas vers le centre de la pièce. Là, il pourrait mieux esquiver, il était mieux qu'acculé, contre un mur. Son regard passait frénétiquementdes environs à Nathaniel, cherchant autant à le fuir qu'à le garder en vue. L'envie de subir une attaque surprise de Catherina ne l'habitait guère.
Le seul brin de courage auquel il put s'accrocher vint, étrangement, de l'Orque, et de l'insistance qu'il mettait à vouloir maintenir leurs positions en l'état. Un très mauvais choix, une stratégie qui lui ferait perdre plus que gagner. Aldaron saurait cela. Outre ce point, il perdait tout ce qu'il aurait pu apprendre, ce que Valmys aurait pu lui offrir, sans forcément qu'il y ait pensé, sans forcément que ce soit dans le cadre de ses questions. Mais c'était ce qu'il voulait, n'est-ce pas ? Oui. Il pouvait tenter de se consoler ainsi. Peut-être passait-il un sale quart d'heure, mais son tortionnaire était en train de gâcher des chances.
Malgré cette réjouissance, Valmys ne parvenait à se défaire d'une pensée, celle qui espérait que ce fameux "sale quart d'heure" ne soit pas son dernier.

Maintenant la tunique, qu'il pouvait difficilement enfiler avec les poings liés, devant ce qu'il avait à cacher, Valmys se retrouva à ouvrir et fermer la bouche plusieurs fois, sans pouvoir répondre à l'Orque. Sa gorge nouée rendait l'exercice difficile, et il lui fallut ses meilleures ressources de contrôle de soi, ainsi qu'un peu d'imagination sur ce qu'aurait donné un Orque insatisfait, pour le poussé à répondre. Ses réponses furent énoncées avec un pragmatisme lapidaire :

"- Lorsque je suis arrivé auprès des chimères, ce Grärh n'y était pas. Il est apparu après des hurlements qui m'ont fait penser à de la terreur. Par son souffle, il a déclenché une sorte de tornade, qui nous a soulevés de terre, chimères comme bipèdes. Les chimères ont alors créé des vortex. Je suis passé par l'un d'eux."

Son coeur battit plus fort, sous l'effet de la peur, lorsqu'il conclut ce qui pouvait lui valoir bien de la colère :

"- S'il y a eu discussion, ou utilisation d'un objet, je n'en ai pas le souvenir. Mais peut-être qu'en nous rendant auprès des baptistrels, l'un des maîtres saurait tirer plus d'informations sur ce que j'ai vécu."

Il tentait, tout de même, de s'accrocher aux branches, donner à Nathaniel une raison de le maintenir en vie plus longtemps. Peut-être même pourrait-il enfin avoir le fin mot de l'histoire, une idée quant à l'étendue des connaissances qu'avait le pirate vis-à-vis de son identité. Allait-il pouvoir respirer, sachant que l'Orque n'oserait le dévorer, ou était-il condamné à devoir revivre ce qu'il avait vécu jadis, cette éternité qui hantait encore sa mémoire comme une brume noire ?

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¤ Portrait robot ¤

Le pirate à la chevelure d’écume avait été obligé de recadrer un peu le contexte pour le petit naufragé qu’il avait repêché en pleine mer. Ce dernier s’était soudainement senti pousser des ailes et par un excès de zèle avait pensé pouvoir obtenir quelque chose de lui et pouvoir marchander. Mais il n’en était rien. Valmys n’avait rien à marchander et le contexte dans lequel il se trouvait ne lui donnait aucune position lui permettant de le faire. Cela aurait été le cas avec n’importe qui d’autre se trouvant dans la situation du petit chanteur. Après avoir libéré l’immaculé de son emprise, ce dernier sembla rechercher sa contenance avant de poursuivre, donnant plus de détails à Nathaniel. Des détails fort intéressants. Les chimères étaient rentrées en contact avec cette chose, mais un lien conflictuel s’était établi. Tant mieux. Ce graärh semblait même assez puissant pour faire connaitre la peur à l’ennemi des Ambarhùniens. La suite en revanche ne fut pas pour le rassurer. Le souffle de cet individu devait être remarquable pour parvenir à souffler de terre plusieurs individus et les contraindre à fuir. Combattre un ennemi capable de vous repousser d’une simple expiration s’avérerait complexe. Le gredin se demandait bien quel type de magie l’adversaire pouvait utiliser. Était-ce de la magie issue de la trame, ou alors était-ce de la magie issue des esprits-liés ? L’elfe noir penchait plus pour un esprit-liés, mais dans ce cas, lequel était capable d’une telle puissance ? Serait-il un spirit de la libellule ? Non, Valmys avait dit que ce dernier avait soufflé, à moins qu’il ne s’agisse là que d’un stratagème pour dissimuler la nature de son pouvoir. Cela allait toutefois de pair avec la tornade. Le regard du pirate se posa sur l’immaculé. Mh, il n’apprendrait sans doute rien de plus au sujet du graärh de sa part.

« S'il y a eu discussion, ou utilisation d'un objet, je n'en ai pas le souvenir. Mais peut-être qu'en nous rendant auprès des baptistrel, l'un des maîtres saurait tirer plus d'informations sur ce que j'ai vécu. »

Nathaniel eut un léger sourire en coin quand Valmys émit la possibilité de se rendre auprès des Baptistrel afin de tirer plus d’informations. La manœuvre était pitoyable, mais il n’allait pas lui reprocher d’essayer.

« Mais oui, bien sûr, nous allons nous rendre auprès de tes maitres. Quelle excellente idée ! Non mais tu crois vraiment que je vais tomber dans une manœuvre aussi grossière ?! »

L’elfe gronda avant de se replonger plus sérieusement sur l’autre information que l’apprenti lui avait dite. Il n’y avait eu ni discussion ni utilisation d’objets. Dans ce cas, il n’avait pas vu de cercle de pierres. Peut-être le graärh a-t-il soufflé tout le monde avant de l’activer. Ou peut-être qu’il n’y avait tout simplement pas de cercle de pierres. Voilà un projet de recherche qui pourrait s’avérer intéressant. Malheureusement, l’elfe sombre n’avait pas le temps de le faire, et la confrérie non plus. Peut-être que l’analyse de leur propre portail permettait de localiser les autres.

Nathaniel posa son regard dur, froid et perçant sur les mirettes de Valmys, s’employant à essayer de lire en lui comme un livre.

« Tu m’as tout dit n’est-ce pas ? »

Le gredin laissa planer un petit silence avant de se lever. Silencieusement il prit une chaise, la plaçant devant la table et attrapa des feuilles qu’il posa sur la table devant ladite chaise. Il attrapa un fusain et le posa à côté.

« La traversée va être encore longue jusqu’à Nyn-Tiamat. Je veux que tu me dessines à quoi ressemblait ce graärh. Je veux aussi que tu en fasses de même pour Hartea Thaidforoden, Aramis Thrëde. Je sais à peu près à quoi ressemble celle qui aime à s’appeler la liée de feu. Je voudrais aussi que tu m’expliques comment un dragon n’a pas été capable de tenir tête à ce graärh. »

L’elfe tomba sur le dossier de la chaise, faisant signe au chanteur de s’asseoir.

« Et appliques-toi. »

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"Ses" maîtres ? L'immobilité totale de la petite proie était à la hauteur de ses émotions. Avait-il seulement bien entendu ? Oui. L'Orque savait qui il était, et savait qu'il avait des protecteurs. De toute évidence, il n'avait pas spécialement envie de les rencontrer. C'était... Compréhensible. La réputation de Kehlvehan précédait souvent ce dernier. Pourtant, Valmys aurait donné cher pour voir le pirate se décomposer sous le Regard du Chantelarmes, et promettre de ne plus recommencer.
Une réalisation glaçante lui vint à l'esprit, alors qu'il opinait pour affirmer avoir tout dit. Si le forban savait les représailles qui pouvaient l'attendre venant de ses proches, s'il n'avait pas prévu de leur rendre leur fils, leur apprenti, il y avait de fortes chances pour que son sort soit déjà décidé. L'Enwr serait mieux mort ou disparu que vivant, à pointer du doigt l'Orque à des êtres puissants. Valmys se voyait déjà jeté à nouveau dans les flots glacés. Il ignorait combien de temps son nouvel organisme pouvait tenir dans cette situation. Abandonné sur terre, dans la neige, il avait déjà davantage de chances de survivre - mais l'Orque le savait-il ?

C'était toujours sans aucune expression sur son visage rayé de veinules que le prisonnier fixait sans le voir son gêolier et ses agissements, trop occupé à contempler un destin qui, désormais, lui apparaissait comme inéluctable. L'annonce concernant Nyn-Tiamat ne changea rien à son état. Tant qu'il n'était pas livré à lui-même dans la neige, il ne pouvait que craindre que le sourire bardé de crocs du pirate préfarât le voir molesté, d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou une autre, sur terre.

Ainsi l'Enwr paraissait un peu hagard en se saisissant du fusain. Il l'observa avait un intérêt d'artiste qui pouvait aisément passer pour de la lenteur d'esprit. Meh. La qualité de l'outil était... Pirate. Il allait faire ce qu'il pouvait avec ceci, mais que nul ne vienne lui reprocher la qualité de son travail !
En silence, et sans jamais relever les yeux vers son bourreau, comme craignant que cela puisse influencer son destin, Valmys commença.Quelques traits de construction, peu appuyés, suggérèrent le début de la scène qu'il avait pu apercevoir après avoir passé le portail. Les traits se précisèrent ensuite, selon la mémoire de l'apprenti. Autrement dit : mal. L'émotion, et les actions précipitées, rendaient le tout un peu flou dans la tête du jeune homme. Nombre de silhouettes n'avaient de visages, et certains membres n'étaient qu'esquisses, avec une notion de mouvement assez neuve et impressionnante pour un artiste de l'Archipel. Quelques visages, et expressions, sur lesquels il avait pu porter un peu plus son intérêt, gagnèrent le privilège de la netteté. Quelques liens qui brimaient Firindal firent l'objet de tout l'intérêt. Des annotations, très claires, apparurent ici et là, pour préciser ce schéma amélioré : un titre, quelques traits et descriptions, quand les identités ou actions étaient ambiguës, ainsi qu'une flèche vers le lieu d'apparition de la Couronne de Cendres. Le peu de décor qu'avait vu Valmys apparut également sur le papier. Savait-on jamais : s'il venait à disparaitre, et si le gredin voulait s'amuser à revendre ses croquis, autant que ces derniers puissent véritablement permettre d'aboutir à quelque chose.

Lorsque l'apprenti baptistrel eut vaguemen la sensation d'avoir fini ce premier dessin, celui présentant la défaite de Firindal, il attaqua le portrait du Graärh. Encore une fois, ce dernier n'eut pas toute la précision qui aurait sans doute plu à Nathaniel. Valmys y mit pourtant une application qui honorait son rang d'enfant de la connaissance. Ce ne fut pas exactement une vision qu'il avait eu, plutôt une sorte de croquis explicatif qui regroupait les fragments de visions qui pouvaient lui revenir. Il essaya également, vaguement, de donner un rapport de taille à ce Graärh qui lui avait parut aussi haut que large, surtout par rapport à eux, frêles sans-poils. Quelques notions de couleur furent également notées, sachant l'importance que pouvait avoir ces dernières chez les habitants premiers de Tiamaranta. Ensuite vinrent les portraits de la dame d'Armes du royaume elfique, et celui de la Chantebrise. Ces portraits-là furent les plus détaillés, les mieux réalisés également. Valmys était bon en dessin, et ceux-ci permettaient vraiment d'en prendre conscience. L'anatomie était exacte, tant par rapport à ce qui était possible que par rapport aux identités concernées. Le trait restaient clair, lisible, et les éléments les plus importants jusqu'à certains détails de bon observateur y étaient. Il ne s'embêta pas à les dessiner de pied en cap, jugeant que ce n'était pas nécessaire. Il ne s'inquiétait pas de donner tant d'informations à Nathaniel. Les personnes représentées savaient se défendre en cas de rencontre pirate. Et tout en réalisant ces travaux, il complétait ceux précédemment effectués, de temps en temps, d'une nuance oubliée ici, d'une ombre en plus là.

Cela lui prit un long moment. Une heure ? Deux ? Plus ? En tout cas, quand tout fut achevé, Valmys prit conscience de la force qu'il avait mise dans sa tenue du fusain. Il avait mal au doigt. Oh, cela partirait, comme à chaque fois qu'il oubliait d'être délicat. Des dessins, il fit un petit tas, qu'il tendit un peu timidement au gredin, en silence, comme un élève qui aurait été jadis reprit sévèrement sur un même genre de travail. Inquiet, son regard oscilla ensuite entre le parquet du bateau (moche) et le visage du capitaine (tout aussi moche de son point de vue, mais qui avait l'avantage de pouvoir contenir des indices sur les pensées derrière ce crâne de cétacé), pour éviter son regard mais y chercher la réponse à sa grande question : alors, allait-il le revendre, le tuer, ou juste le faire souffrir suffisamment pour briser ce lien fragile qui protégeait l'envie de vivre des bipèdes ?

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¤ Le sorcellerie du mensonge ¤

La connaissance de sa proie, voilà finalement comment on différencie un bon chasseur d’un mauvais chasseur … à moins que ça ne soit la différence d’un chasseur expérimenté d’un chasseur médiocre ? Mh, encore une éternelle question laissée sans véritable réponse. Mais cela n’avait pas d’importance. Le gredin savait qui était le naufragé et il comptait bien l’utiliser à son avantage. Qu’importe si cela pouvait lui attirer des ennuis, il s’en moquait bien. L’elfe sombre était un pirate, un criminel, alors s’il devait aujourd’hui commencer à s’inquiéter des risques qu’il encourait, il se retrouverait parfaitement immobilisé. Non, Nathaniel n’était pas un hypocrite, il avait choisi sa voie et il s’y tenait, qu’importe les conséquences. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Le capitaine allait exploiter les connaissances de Valmys autant qu’il pouvait avant de l’utiliser comme monnaie d’échange. Comment pourrait-il l’utiliser ? Il avait déjà amassé beaucoup de richesse, en voulant Sélénia, puis en marchandant avec les puissances de l’archipel. Même si l’or l’intéressait toujours autant, il en avait suffisamment pour se pencher vers autre chose. Il verrait bien le moment venu de quoi il aurait le plus besoin.

Donnant de quoi dessiner à l’immaculé, le gredin se tourna vers un bureau accolé contre un des murs de la cabine. Ouvrant un tiroir, il sortit une petite boîte qui se trouvait à l’intérieur avant de l’apporter jusqu’ à la table. Nathaniel posa la boîte et l’ouvrit, avant de jeter un coup d’œil sur le premier dessin de l’apprenti chanteur, cela représentait un dragon immobilisé par des liens. Cela n’annonçait rien de bon. Une chose suffisamment puissante pour restreindre les mouvements d’une créature comme un dragon allait s’avérer très dangereuse. Laissant Valmys continuer sans l’interrompre, l’attention du pirate s’en retourna vers la boite. Il plongea les mains à l’intérieur pour en ressortir cinq petits morceaux de bois de violette. Sortant une dague, il les tailla légèrement à la base, venant faire de petite encoche, avant de venir lier le tout à l’aide d’un morceau de ficelle pour former une étoile à cinq branches. Reposant l’ouvrage Nathaniel observa à nouveau le premier dessin de l’immaculé. Ce dernier avait ajouté des annotations. Mh, ce n’était donc pas le graärh à l’origine de l’immobilisation du dragon, sans doute était-ce les chimères. Sur l’image dessinée, le graärh n’était pas encore là, il semblait être à l’intérieur d’un édifice sous terre. Étrange. Le félin rencontré par les pirates dans le marécage sortait d’un édifice hors-sol. Les deux bêtes avaient donc été enfermées ? Fort probable. Quelle nouvelle menace venait de s’éveiller ?

Laissant Valmys poursuivre, l’elfe sombre continua la préparation d’un objet rituel. Se saisissant à présent d’étoffe de feutre, d’un ciseau ainsi que d’une aiguille et d’un peu de fil, il commença à couvrir l’étoile à cinq branches de façon peu grotesque, ne laissant qu’une seule ouverture qu’il ne cousu pas tout de suite. S’employant à lui donner une forme, sa construction commença à ressembler à une sorte de figure humanoïde. Deux jambes, deux bras, une tête. Attrapant du coton, Nathaniel commença à bourrer l’intérieur pour que la forme demeure.  Il y allait avec soin pour éviter de briser l’étoile de bois. Ceci fait, l’attention du pirate se porta à nouveau sur les dessins. Deux nouveaux venaient d’arriver. Le premier représentait le Graärh. Il était plutôt réussi. Cela suffirait à l’elfe. La bête semblait particulièrement grande et d’une couleur orangée bien qu’un peu terne, son pelage semblant relativement tigrer. Mais surtout, l’animal semblait embonpoint. Un Graärh bossu, et maintenant un Graärh obèse. Cela ressemblait presque à des bêtes de foires. L’autre dessin représentait d’une elfette en armes. Mh, un autre témoin de la scène. Nathaniel demanderait surement à la capitaine des catins de la localiser. S’il pouvait l’approcher pour compléter les dires de Valmys se seraient parfaits. Le gredin ne fit aucune remarque et continua son travail. Il vint commencer à coudre sur ce qui semblait être la tête de ce qui commençait à ressembler à une poupée. Défigurant Valmys par moments, le capitaine s’employa à essayer de faire une figure ressemblante. Il n’était pas un expert en couture et encore moins en fabrication de poupée, mais tant que cela lui permettrait de la différencier des prochaines qu’il aurait l’occasion de faire, ça lui suffirait. Nathaniel usa de deux petites agates pour faire les yeux de la poupée avant de finalement la reposer sur la table. Bien, son œuvre était presque terminée. Seul le ventre de cette dernière n’était pas encore cousu, restant ouvert avec un peu de coton en dépassant comme si on avait éventré la pauvre créature. Nathaniel se saisit d’une autre paire de ciseaux ressemblant fort à des ciseaux de coiffeur. Il ne lui manquait plus que l’élément final.

Tranquillement, le gredin se dirigea dans le dos du chanteur, tenant un ciseau entre ses mains. Il se pencha un peu pour observer le dernier dessin. Une autre elfette au trait fin. Le visage de celle-ci lui disait quelque chose. L’observant un long moment il finit par avoir une révélation. Mais oui ! Il avait déjà vu ce visage quelque part. Il s’agissait de l’impératrice elfique. Voilà une personne qui n’allait pas être aisée d’approcher. Elle n’était pas uniquement impératrice, mais également une baptistrelle renommée et surtout ancienne championne de l’armée elfique. Il devrait probablement se contenter de l’autre témoin de la scène. Finalement, l’elfe passa une main dans les cheveux de Valmys.

« Ne bouge, tu ne veux pas que je te coupe les oreilles n’est-ce pas ? »

Nathaniel finit par repérer une mèche de cheveux un peu plus longue dans la tignasse de Valmys et la coupa sans plus attendre. Récupérant la mèche de cheveux il s’en retourna à sa poupée. Il vint glisser à l’intérieur la mèche de cheveux avant de recoudre la dernière ouverture. Voilà, la poupée était complète, ou presque. Dans le même temps, l’apprenti chanteur venait de finir ses propres œuvres et les tendit à Nathaniel. Ce dernier les regarda à nouveau, plus en détail cette fois.

« Très bien. Cela devrait me suffire. Pour l’instant. Avec un peu de chance, la capitaine des catins devrait pouvoir faire quelque chose avec ça. Ce sera l’occasion pour elle de se montrer utile. »

Nathaniel vint refermer la boîte et poser les croquis dessus, avant de reprendre la poupée en main et la pointer en direction de Valmys. Il était temps de faire un peu de magie et surtout de mentir beaucoup.

« Tu vois ceci ? C’est toi. Bon je sais, ce n’est pas très ressemblant, mais je n’ai pas besoin qu’elle le beaucoup. Je ne sais pas encore combien de temps je vais te garder sur ce navire, mais ça pourrait durer un moment. Du coup, j’ai décidé de prendre des mesures pour que tu ne files pas. »

Saisissant fermement la poupée, le gredin murmura quelques mots avant de venir inonder de magie l’effigie de Valmys. Celle-ci se mit à luire quelques instants avant de revenir à la normale. Parfait. Voilà le premier ajout à sa collection.

« J’ai ensorcelé cette poupée. Elle est liée à toi. Tout ce que je lui ferais, ton corps le subira. Cela signifie que si je la transperce d’une aiguille, tu saigneras. Si je la jette dans le feu, tu bruleras. Et si je la caresse, tu gémiras. Donc si tu ne veux pas que je l’utilise, tu ferais mieux de te tenir à carreau. Sans quoi, même si tu prends la fuite, je te ferais subir mille délices et mille supplices. Tu auras beau d’enfuir au bout du monde. Tant que cette poupée sera avec moi, c’est comme si j’étais toujours auprès de toi. »

L’elfe sombre vint attacher la poupée à sa ceinture et se saisit des croquis ainsi que de la boîte pour aller les ranger. Il désigna ensuite un coffre.

« Ouvre-le, tu trouveras de quoi t’habiller un peu plus. Tu as gagné de quoi te vêtir. Mais seulement de quoi te vêtir. Je vais bientôt me faire servir à manger. Si tu veux manger toi aussi, je te conseille de trouver une chanson pour accompagner mon repas. Si ça me plait, je daignerais te laisser quelques morceaux. »  

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