- Le caladonien ouvrit les yeux lorsqu'il sentit la main d'Ivanyr se poser sur lui, glissant hors de sa torpeur sournoise, encore un peu secoué. Ses prunelles le miraient silencieusement et un fin sourire venait sur ses lèvres pour rassurer le vampire. Il aurait pu aller pire. Mais il avait l'impression d'avoir trouvé la clé, enfin. Cela ne l'empêcherait pas de souffrir en pensant à Morneflamme, il n'était pas insensible mais il regardait la prison avec plus de force d'esprit.Son souffle lent retombait sur les écailles nacrées, nuage chaud dans l’hiver glacial. Une caresse sur les écailles remerciait le saurien de l'avoir inspiré. Les hennissements lugubres l’avaient sorti pleinement de sa léthargie, retentissant dans toute la forêt comme l’annonce d’un mauvais présage. Les prunelles verdoyantes du bourgmestre s’étaient ouvertes sur les branchages torturés dans une croissance difforme de Licorok. Le jour se levait, froid et endeuillé par l’écarlate nuit qui avait rougi la neige. L’elfe frémit, non pas de froid puisque sa cape le protégeait très bien, mais d’une crainte face à ce qui émergerait, tôt ou tard, de là dedans. La licorne n’avait pas été qu’un mythe. Il y en avait même plusieurs, assoiffées de sang, viles et corruptrices. Il se redressait sur la selle improvisée et ses mires régaliennes retombèrent sur ce que le dragon traînait derrière lui. Il en manquait, du cortège initial, beaucoup. Au moins revenaient-ils, d’autres avaient pas eu cette chance. Là, dans la glace, ces vampires se trouvaient en stase, il leur faudrait des soins, ensuite. Le domaine baptistral était la meilleure option pour eux. Le peuple de la nuit n’était pas le plus tourné par la médication et Irina était bien trop endommagée pour se contenter de maigre pansements.
Devant eux se dessinait la ville de Nevrast, de retour au point de départ. Annoncer ce qui se tramait dans la forêt allait être un sale coup, et il ne savait pas exactement ce que la stase d’Irina allait bien pouvoir déclencher. Nombreux étaient ceux qui, perfides, profiteraient de l’instant de faiblesse pour prendre le pouvoir. L’air entrait dans ses poumons pour apaiser ses craintes. Il ne faisait pas le fier, après ce qui s’était passé. Une chance pour lui de se relever de cette nouvelle blessure et il lui semblait, pour une fois, être plus solide et vivant. « Asshaal... » fit-il en portant son regard sur la féline bipède : « Vous devriez faire route vers les vôtres pour prévenir votre Aaleeshaan de... Ce qui a été appâté par les convois de sang dans cette forêt. La licorne ne semblait pas être seule. Je ne doute pas que cette menace sera imputée à la faute des vampires... mais je préfère encore voir une guerre éclater entre la légion et le royaume vampirique, plutôt que de les voir tout deux rasés par les créatures de cette forêt. » Un soupir souligna son désespoir à cette idée. Il était las des orgueil des peuples, las de la guerre, à plus forte raison quand on savait les chimères de retour. Combien de temps avant l’affrontement ? Devraient-ils encore fuir ?
Son regard coula sur les vampires : « Un navire les mènera au domaine baptistral pour bons soins et s'assurer que leurs esprits n'aient pas été rendus instables, si les vampires de Nevrast nous laissent faire. Il faudra que tu les persuades, Ivanyr. On les maintiendra dans la glace pendant le voyage et un messager expliquera ce qui s'est passé au Gardien. Ainsi nous éloignons Irina d'Aerthia. Elle nous en voudra probablement... Mais il m'est d'avis que vu combien elle est contestée... C'est encore la meilleure solution pour la garder en vie hors des représailles le temps qu'elle rassemble ses fidèles. Je ne pensais pas que la situation ici était si proche de la guerre civile. » Son regard coulait sur Asshaal : « Je sais qu'elle était votre garantie pour la paix entre les vampires et les graärhs... Mais elle ne vous servira plus à rien, morte à Aerthia. » Il finit par observer Ivanyr, songeur autant qu'inquiet : « Avant de s'attaquer à ce qui rôde dans cette forêt, il nous faut voir dans quel état se trouve Aerthia. Si la faim les guette, si le soulèvement est proche. Et surtout... Ils ont eu la bêtise de construire leur capitale dans un endroit enclavé entre la montagne et la forêt. Un parfait cul-de-sac pour un danger qui viendrait des bois... » Il secouait la tête de gauche à droite : « Il va falloir évacuer la ville et sans passer par la forêt. Plus à l'ouest en la longeant, il y a la mer. Pas de port certes, mais les navires amarreront au large et les vampires seront évacués par barques. »
Il s’arrêta là sur le fond de sa pensée, massant l’arrête de son nez. Il ne doutait pas que Kaalys prête main forte, c’était un dragon bon, qui avait à cœur les bipèdes. Nevrast se dessinait enfin et l’elfe couvrit sa tête de la capuche de sa cape. Il laissa le dragon présenter les rescapés, et Ivanyr le soin de les informer plus en détail. Au fond, c’était lui qui avait mené cette expédition par la suite. La Triade s’engouffra dans les méandres du Marché Noir, bien vite, on lui fit porter une statuette draconique. Elle représentait un saurien finement sculpté dans du bois d’ébène, dressé dans un rugissement puissant. Lorsqu’il revint auprès de Kaalys, il déposa l’offrande dans la neige, pour l’activer, avant de la glisser entre ses griffes imposantes : « La statuette va vous protéger des attaques, s’il y en a. La tension ici est palpable, et nous ne savons pas tant si cela va finir en guerre civile, ici et à Aerthia. Nous allons avoir besoin de votre aide, si vous le voulez bien… Pour le voyage et pour ce qui se passera là-bas. Mais il faut vous reposer et réparer complètement vos ailes. Je n’ai fait que stabiliser la situation… La statuette draconique vous offre son sanctuaire pour l’exercer en toute quiétude. »
Il passa un peu de temps avec le dragon et puis il s’isola dans la chambre d’une auberge éclairée d’un chandelier, fort loin des standards de richesse dans laquelle l’elfe vivait aisément depuis quelques siècles. A peu de choses près, cela lui rappelait ses débuts lorsqu’il avait quitté le royaume elfique, mais aussi ses voyages avec Achroma et puis… Les événements de Cordont. Tout le monde semblait être encore sur le pied de guerre. Il avait fait venir là de nombreux effets, preuve de l’efficacité et de la rapidité du Marché Noir à manier les marchandises, qu’importe le milieu où ils se trouvaient. Il était clair qu’il se préparait à un départ pour Aerthia, comme on pourrait entrer dans une ville en guerre. Lorsqu’Ivanyr entra, la Triade abandonna le décompte de l’inventaire pour venir se loger dans ses bras. Le peuple vampire avait enfin laissé respirer le visage d’Achroma. Il pouvait récupérer son fiancé pour lui. Il fermait les yeux au simple confort de sa présence à ses côtés, elle lui faisait tellement de bien après l’invasion de la licorne. Après un long silence, il annonça : « Nous allons aller là-bas, toi et moi, Ivanyr. A Aerthia. Il y a beaucoup de choses à y faire pour le peuple vampire. »