Février
Au moins ce n'étaient pas les récits qui lui manquaient.
L'Enwr aux veinules cuivrées avait deviné, en partant pour Keet-Tiamat quelques mois plus tôt, que quelques surprises viendraient à lui. Moteurs de son existence, les découvertes exerçaient sur lui un attrait fatal. Fatal... Oui, ç'avait bien failli être le cas. Il s'était attendu à explorer pacifiquement un temple, éventuellement devoir jouer de patience et de diplomatie avec quelques entités et créatures encore inconnues et mystérieuses. Il ne s'était pas attendu à ces violences, ces explosions, ces douleurs, l'aura terrifiante des chimères, le bain glacé dans les eaux de Nyn-Tiamat, les rencontres "intéressantes" avec les figures emblématiques de son passé. Beaucoup d'émotions qui, liées à une convalescence trop tôt abrégée, avaient permis de donner l'illusion d'un trajet de retour plus court, en l'obligeant à beaucoup de sommeil pour refaire ses forces.
Néanmoins, Valmys avait été celui qui avait insisté pour pouvoir faire son rapport à son maître attitré "au plus tôt possible tant que cela lui convient et lui plait". Peut-être craignait-il de s'ennuyer. Peut-être avait-il besoin de conter. Trop d'images et de son hantaient sa mémoire. S'il s'imaginait porter ces mémoires à un Cawr, l'idée lui venait qu'il s'en sentirait libéré, sans savoir pourquoi. Dans tous les cas, faire son rapport était à ses yeux le premier acte à effectuer à son retour au sein du Domaine, celui après lequel il pourrait véritablement songer à établir quelque plan pour l'avenir.
Ces foutus plans pour l'avenir. C'était plus fort que lui. Jamais il ne s'était arrêté quelque part sans savoir où aller après, sans avoir quelque plan de départ plus ou moins esquissé. Revenu auprès des siens, dans un lieu qui avait presque tout ce dont il pouvait rêver, Valmys était incapable de savourer pleinement le repos auquel il aurait pu s'adonner. Son regard se tournait vers Tiamaranta, et toutes ces histoires qu'ils ne savaient pas encore, ces trésors qu'ils n'avaient pas découverts. Une porte ouverte au rêve autant qu'un réflexe gênant. Une sensation mi-figue mi-raisin qu'il n'appréciait pas vraiment. Un inconfort quand, pour une fois, ce n'était pas le monde qui l'embêtait. Quel gâchis de bonheur.
C'était avec le coeur entre joie, impatience, frustration, que l'Enwr voyageur s'était enfin présenté auprès de Kehlvehan, dans cette partie du Domaine qu'il ne connaissait pas. Des yeux, il dévora l'endroit, comme s'il avait également un rapport à faire sur ce dernier ensuite.
Face à celui qui était désormais son maître, Valmys avait l'impression d'être un enfant. Ce n'était pas qu'une histoire de verticalité. La jeune pousse vouait à son aîné un profond respect mêlé d'admiration muette. Le Chantelarme avait vu, vécu, appris, et créé. Il gardait cette allure magnifique malgré les épreuves qui avaient voulu le mettre à genoux. Bon, d'accord, il buvait, parfois, mais... Si Valmys avait dû juger les bipèdes pour cela, ses multiples nuits passées dans les tavernes auraient été moins joyeuses.
Il avait beaucoup avoir bu cent quarante ans de savoirs, Valmys peinait à considérer ses propres connaissances au même titre que celles du Maître. Mais le pire, encore, ce qui vraiment faisait scintiller des étoiles dans son regard, c'était ce que les elfes devaient à Kehlvehan. Entre ses mains, le Cawr en avait la preuve. Le carnet qui lui avait été remis était le carnet "commun" de Valmys, celui où il croquait le monde, et veillait à ne pas perdre la main en matière de dessin. Dans les premières pages se trouvaient encore quelques reproductions de la capitale elfique, des endroits qui avaient captié le petit être sensible qu'était l'Enwr. Ces dessins étaient nombreux, prenaient parfois plusieurs angles, et quelques notes, pour ne rien oublier. Ils inspiraient d'autres édifices venus tout droit de l'imagination. A côté, quelques habitants du royaume elfique étaient esquissés. Quelques visages se reconnaissaient et se répétaient : le bourgmestre de Caladon, ainsi qu'un elfe masqué, notamment.
Le reste du carnet était plus sage. Caladon avait été une ville moins intéressante architecturalement. Quelques vagues dessins narraient le mariage de deux dragonnières. Beaucoup de bipèdes qui tenaient au coeur de Valmys étaient immortalisés ici ; sa nouvelle famille, des Enwrs auxquels il s'était attachés, un pirate particulier. Il y avait aussi des animaux. Surtout deux. Shi'Ry, souvent le nez vers le bas à profiter de l'herbe, et Deïa, sa chienne au port altier, qui s'était assise aux pieds de son bipède, refusant de le laisser aller voir son maître sans protection.
Mais Valmys avait ouvert le bel ouvrage directement sur les pages qui les intéressaient présentement. Le temple qu'ils avaient voulu visiter était croqué, un peu à la hâte, il était vrai. Quelques écritures graärh avaient pu être reportées, le tout sur l'initiative de l'Enwr. Une vague esquisse du Gardien qui les avait "accueillis" trouvait également son coin de page, avec une petite note comme quoi il avait reculé sur menace du dragon de jade. Un schéma rapide, plan du temple, trônait dans un autre coin, assez simple, clair, et direct, en comparaison avec le reste du contenu du carnet. Un autre endroit était clair : celui qu'il avait préparé pour les notes qu'Aramis lui donnerait quant à ce qu'elle pouvait percevoir de spécifique de cet endroit. Une seule phrase résidait là : "les vibrations sont étranges".
Il fallait tourner la page pour retrouver enfin un récit, mais qui n'avait pas véritablement été écrit sur le coup. Valmys y racontait qu'il était allité, au sein du Palais elfique et que, franchement, la décoration, l'agencement, les sculptures, et la construction en elle-même que représentait le palais, était magnifique. Ces considérations faites, il expliquait comment ils s'étaient scindés en groupe - Aramis et Hartea d'un côté, Orfraie et lui de l'autre. Il racontait les veinules qui brillaient, pulsaient, et la magie d'Orfraie qui implosaient. Il contait Orfraie à terre, alors qu'un incroyable golem végétal naissait de leur chaos. Il racontait sa douleur, la façon par laquelle elle l'avait jeté à terre, puis ce qu'on avait pu lui rapporter ensuite. Un bref schéma montrait son dos, l'emplacement de l'excroissance magique qui lui avait été retirée, et la cicatrice qui demeurait.
Les notes suivantes étaient leur seconde expédition. Le désert était moins intéressant à dessiner lorsque l'on s'écartait des sculptures de roches pour ne croiser que les dunes. Néanmoins, un magnifique dessin de ver des sables occupait une double page, avec quelques flèches et indications sur ses blessures. Les notes qui suivaient, encore, ne dataient pas du même jour. Elles dépeignaient leur rencontre avec l'Enwr du Néant et la Couronne de Cendres... Puis l'arrivée très malheureuse au sein d'un bateau pirate connu. Venaient ensuite de magnifiques et soignés dessins de Nyn-Tiamat. Valmys avait toujours aimé la neige.
Sage et silencieux, l'apprenti laisser à Kehlvehan le soin de découvrir tout cela. Dans l'expectative, il passait son impatience en caressant et gratouillant sa chienne. Ce à quoi il s'attendait ? Il ne savait pas trop. Une déduction que lui n'aurait pas pu faire, et une quête qui lui avait échappée.
Il l'avait noté, et c'était évident à ses yeux : leur mission avait été un échec sur bien des points. Son coeur était lourd de leurs destructions, et le maître le percevrait sans doute. Il s'en tenait coupable, tout impuissant qu'il avait été. Mais il était incapable encore de prendre du recul sur tout cela, et voir plus loin. Il n'attendait nul réconfort sur ce qu'il avait pu vivre, et nul remerciement ou félicitations. Juste la suite, une direction pour sa boussole désoeuvrée.
Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Sam 19 Jan 2019 - 13:39, édité 1 fois
Au moins ce n'étaient pas les récits qui lui manquaient.
L'Enwr aux veinules cuivrées avait deviné, en partant pour Keet-Tiamat quelques mois plus tôt, que quelques surprises viendraient à lui. Moteurs de son existence, les découvertes exerçaient sur lui un attrait fatal. Fatal... Oui, ç'avait bien failli être le cas. Il s'était attendu à explorer pacifiquement un temple, éventuellement devoir jouer de patience et de diplomatie avec quelques entités et créatures encore inconnues et mystérieuses. Il ne s'était pas attendu à ces violences, ces explosions, ces douleurs, l'aura terrifiante des chimères, le bain glacé dans les eaux de Nyn-Tiamat, les rencontres "intéressantes" avec les figures emblématiques de son passé. Beaucoup d'émotions qui, liées à une convalescence trop tôt abrégée, avaient permis de donner l'illusion d'un trajet de retour plus court, en l'obligeant à beaucoup de sommeil pour refaire ses forces.
Néanmoins, Valmys avait été celui qui avait insisté pour pouvoir faire son rapport à son maître attitré "au plus tôt possible tant que cela lui convient et lui plait". Peut-être craignait-il de s'ennuyer. Peut-être avait-il besoin de conter. Trop d'images et de son hantaient sa mémoire. S'il s'imaginait porter ces mémoires à un Cawr, l'idée lui venait qu'il s'en sentirait libéré, sans savoir pourquoi. Dans tous les cas, faire son rapport était à ses yeux le premier acte à effectuer à son retour au sein du Domaine, celui après lequel il pourrait véritablement songer à établir quelque plan pour l'avenir.
Ces foutus plans pour l'avenir. C'était plus fort que lui. Jamais il ne s'était arrêté quelque part sans savoir où aller après, sans avoir quelque plan de départ plus ou moins esquissé. Revenu auprès des siens, dans un lieu qui avait presque tout ce dont il pouvait rêver, Valmys était incapable de savourer pleinement le repos auquel il aurait pu s'adonner. Son regard se tournait vers Tiamaranta, et toutes ces histoires qu'ils ne savaient pas encore, ces trésors qu'ils n'avaient pas découverts. Une porte ouverte au rêve autant qu'un réflexe gênant. Une sensation mi-figue mi-raisin qu'il n'appréciait pas vraiment. Un inconfort quand, pour une fois, ce n'était pas le monde qui l'embêtait. Quel gâchis de bonheur.
C'était avec le coeur entre joie, impatience, frustration, que l'Enwr voyageur s'était enfin présenté auprès de Kehlvehan, dans cette partie du Domaine qu'il ne connaissait pas. Des yeux, il dévora l'endroit, comme s'il avait également un rapport à faire sur ce dernier ensuite.
Face à celui qui était désormais son maître, Valmys avait l'impression d'être un enfant. Ce n'était pas qu'une histoire de verticalité. La jeune pousse vouait à son aîné un profond respect mêlé d'admiration muette. Le Chantelarme avait vu, vécu, appris, et créé. Il gardait cette allure magnifique malgré les épreuves qui avaient voulu le mettre à genoux. Bon, d'accord, il buvait, parfois, mais... Si Valmys avait dû juger les bipèdes pour cela, ses multiples nuits passées dans les tavernes auraient été moins joyeuses.
Il avait beaucoup avoir bu cent quarante ans de savoirs, Valmys peinait à considérer ses propres connaissances au même titre que celles du Maître. Mais le pire, encore, ce qui vraiment faisait scintiller des étoiles dans son regard, c'était ce que les elfes devaient à Kehlvehan. Entre ses mains, le Cawr en avait la preuve. Le carnet qui lui avait été remis était le carnet "commun" de Valmys, celui où il croquait le monde, et veillait à ne pas perdre la main en matière de dessin. Dans les premières pages se trouvaient encore quelques reproductions de la capitale elfique, des endroits qui avaient captié le petit être sensible qu'était l'Enwr. Ces dessins étaient nombreux, prenaient parfois plusieurs angles, et quelques notes, pour ne rien oublier. Ils inspiraient d'autres édifices venus tout droit de l'imagination. A côté, quelques habitants du royaume elfique étaient esquissés. Quelques visages se reconnaissaient et se répétaient : le bourgmestre de Caladon, ainsi qu'un elfe masqué, notamment.
Le reste du carnet était plus sage. Caladon avait été une ville moins intéressante architecturalement. Quelques vagues dessins narraient le mariage de deux dragonnières. Beaucoup de bipèdes qui tenaient au coeur de Valmys étaient immortalisés ici ; sa nouvelle famille, des Enwrs auxquels il s'était attachés, un pirate particulier. Il y avait aussi des animaux. Surtout deux. Shi'Ry, souvent le nez vers le bas à profiter de l'herbe, et Deïa, sa chienne au port altier, qui s'était assise aux pieds de son bipède, refusant de le laisser aller voir son maître sans protection.
Mais Valmys avait ouvert le bel ouvrage directement sur les pages qui les intéressaient présentement. Le temple qu'ils avaient voulu visiter était croqué, un peu à la hâte, il était vrai. Quelques écritures graärh avaient pu être reportées, le tout sur l'initiative de l'Enwr. Une vague esquisse du Gardien qui les avait "accueillis" trouvait également son coin de page, avec une petite note comme quoi il avait reculé sur menace du dragon de jade. Un schéma rapide, plan du temple, trônait dans un autre coin, assez simple, clair, et direct, en comparaison avec le reste du contenu du carnet. Un autre endroit était clair : celui qu'il avait préparé pour les notes qu'Aramis lui donnerait quant à ce qu'elle pouvait percevoir de spécifique de cet endroit. Une seule phrase résidait là : "les vibrations sont étranges".
Il fallait tourner la page pour retrouver enfin un récit, mais qui n'avait pas véritablement été écrit sur le coup. Valmys y racontait qu'il était allité, au sein du Palais elfique et que, franchement, la décoration, l'agencement, les sculptures, et la construction en elle-même que représentait le palais, était magnifique. Ces considérations faites, il expliquait comment ils s'étaient scindés en groupe - Aramis et Hartea d'un côté, Orfraie et lui de l'autre. Il racontait les veinules qui brillaient, pulsaient, et la magie d'Orfraie qui implosaient. Il contait Orfraie à terre, alors qu'un incroyable golem végétal naissait de leur chaos. Il racontait sa douleur, la façon par laquelle elle l'avait jeté à terre, puis ce qu'on avait pu lui rapporter ensuite. Un bref schéma montrait son dos, l'emplacement de l'excroissance magique qui lui avait été retirée, et la cicatrice qui demeurait.
Les notes suivantes étaient leur seconde expédition. Le désert était moins intéressant à dessiner lorsque l'on s'écartait des sculptures de roches pour ne croiser que les dunes. Néanmoins, un magnifique dessin de ver des sables occupait une double page, avec quelques flèches et indications sur ses blessures. Les notes qui suivaient, encore, ne dataient pas du même jour. Elles dépeignaient leur rencontre avec l'Enwr du Néant et la Couronne de Cendres... Puis l'arrivée très malheureuse au sein d'un bateau pirate connu. Venaient ensuite de magnifiques et soignés dessins de Nyn-Tiamat. Valmys avait toujours aimé la neige.
Sage et silencieux, l'apprenti laisser à Kehlvehan le soin de découvrir tout cela. Dans l'expectative, il passait son impatience en caressant et gratouillant sa chienne. Ce à quoi il s'attendait ? Il ne savait pas trop. Une déduction que lui n'aurait pas pu faire, et une quête qui lui avait échappée.
Il l'avait noté, et c'était évident à ses yeux : leur mission avait été un échec sur bien des points. Son coeur était lourd de leurs destructions, et le maître le percevrait sans doute. Il s'en tenait coupable, tout impuissant qu'il avait été. Mais il était incapable encore de prendre du recul sur tout cela, et voir plus loin. Il n'attendait nul réconfort sur ce qu'il avait pu vivre, et nul remerciement ou félicitations. Juste la suite, une direction pour sa boussole désoeuvrée.
Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Sam 19 Jan 2019 - 13:39, édité 1 fois