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23 Février 1763


La fin de semaine approchait et avec elle ses marchés qui fleurissaient dans les cours et les places communes comme autant de ruches bourdonnantes. Les routes déneigées étaient dès lors encombrées par les paysans qui portaient en charrettes le fruit de leur labeur hebdomadaire. Les ornières vomissaient leur boue nauséabonde au passage innombrable des roues empressées, éclaboussant le bas des carrosses ainsi que les jambes des piétons et des chevaux. Heureusement pour la Princesse Kohan, elle était confortablement installée dans son habitacle et les vitres couvertes d'épais rideaux la protégeaient autant de la vision écœurante de toute cette saleté que du froid mordant qui régnait à l'extérieur. Le doux tangage du carrosse, accompagné par le claquement régulier des sabots, la rendait d'humeur somnolente alors que ses yeux papillonnaient sur les délicats motifs brodés sur la fourrure en lapin de son manchon.

Il n'y avait pas une heure de route entre les portes de Sélénia et le manoir Harrington et pourtant elle avait déjà terriblement envie de s'allonger sur la banquette pour dormir jusqu'à plus pouvoir. Le froid avait cet effet déplaisant sur elle, tout comme les chaleurs extrêmes en y repensant ! Son corps délicat ne supportait pas les climats difficiles et la jeune princesse avait le plus grand mal à se motiver pour organiser et participer à quoi que ce soit qui lui demandait de mettre le nez dehors. Si elle trouvait des excuses ingénieuses pour refuser des Bals ou des réceptions mondaines à l'extérieur du Palais, si elle arrivait à se glisser entre les mailles diplomatiques ou sociales la majeur partie du temps, cette fois elle ne pouvait décemment pas se refuser alors qu'elle était, en quelque sorte, la cause même de cette situation !

Seule dans le carrosse à l'exception de sa demoiselle de compagnie, Victoria leva le manchon à son visage pour cacher ce dernier lorsqu'elle bâilla à s'en décrocher la mâchoire. De petites larmes pointèrent à ses yeux et elle soupira en venant dodeliner du chef de droite et de gauche. Tout comme son véhicule, ses pensées voguèrent au loin. Il y avait moins d'une semaine, le Palais avait brillé de mille feux lorsque la Cour s'était réunie en grandes pompes pour célébrer l'anoblissement de la famille Harrington, de la Hanse. Ce fut avec beaucoup de fierté et d'attente que la noblesse observa Honor mettre un  genoux au sol, devant le Chancelier, pour recevoir son titre de Baronne. Cet honneur fut accordé à sa famille en remerciement des nombreux services rendus à la Couronne ainsi qu'au peuple tout entier. Les immenses navires de la compagnie marchande avaient porté la race humaine lors de l'Exode et encore aujourd'hui, ces mêmes navires lourdement armés avaient été d'une grande aide lors du Siège d'Azzuréo, en milieu de mois.

Pour Victoria qui connaissait Honor depuis plusieurs années, il était tout à fait naturel qu'elle soit enfin remerciée pour ses bons et loyaux services. La jeune tête couronnée avait alors poussé, dans l'ombre des salons mondains, les bonnes personnes pour que l'idée remonte jusqu'aux décisionnaires. Elle aurait pu aller directement voir son frère et lui parler de cette idée, mais Victoria souhaitait rester discrète et à bonne distance du cœur des sphères politiques. Elle n'avait pas encore assez de soutient pour y risquer sa nuque et s'était naturellement tournée vers des proies plus accessibles tel que le Chancelier. Ce fut donc naturellement, du moins en apparence, qu'une famille hissée au sommet de la haute bourgeoisie se retrouva avec le mérite d'un rang tout aussi confortable au sein de la noblesse sélénienne. Suite à la cérémonie pompeuse et officielle, une grande fête avait été organisé dans les sublimes salons du Palais Impérial, réunissant la fine fleurs de l'Empire, diplomates des royaumes voisins compris. Toutefois, la Hanse avait tenu à célébrer l'anoblissement de leur dirigeante à leur façon et c'était à ce deuxième bal que la Princesse se rendait.

Les chevaux du carrosse ralentirent leur galop jusqu'à s'arrêter dans un hennissement et des piétinements, signalant aux passagers qu'ils venaient d'arriver au Manoir Harrington. Victoria se redressa légèrement et se tapota ses joues pour se réveiller. Un regard fut échangé avec sa dame de compagnie qui lui assura à voix basse que sa tenue était impeccable. Un instant plus tard et le cocher ouvrait la porte, glissait le marche-pied et lui tendait galamment une main pour l'aider à descendre. Amassant la traîne de sa cape, elle descendit du carrosse avec une prudence empreinte de grâce, puis porta un regard de velours sur son environnement immédiat. Les Lames Noires de son escorte s'étaient divisés en deux groupes : une majorité venait mettre pieds à terre pour l'accompagner à l'intérieur quand le reste irait avec le carrosse jusqu'aux écuries. Guère incommodée de pareille compagnie, bien au contraire, Victoria remonta l'allée principale dans un crissement de gravillons et de givre.

Ce ne fut qu'une fois au couvert du grand hall et au regard des nombreux invités déjà présents qu'elle défit la boucle qui retenait, à hauteur de gorge, sa lourde cape de laine banche et de zibeline. En dessous, la jeune princesse portait une sublime robe au bleu pervenche dont le bustier, délicatement brodé de fils blancs agrémentés d'argent, se paraît des fleurs dont la teinte tirait son nom. Le col était ouvert sur sa gorge gracile et couvrait à peine ses fines épaules et si une telle mise aurait pu paraître indécente, surtout en cette saison, une étole de mousseline couvrait la peau mise à nue avec légèreté et candeur, la soie aérienne de couleur mauve étant piquée de perles et de diamants comme une rosée étincelante. La coupe générale mettait en valeur sa silhouette délicate et la taille élancée se serrait d'une ceinture de tissu plissé, tenue en place d'une fibule d'or blanc torsadée comme un petit flocon. Le tombé de la robe s'évasait jusqu'aux pieds, puis s'étendait en une traîne courte aux bords cousus de dentelles et de mousseline d'une couleur apparente à celle de l'étole.

Lorsque les valets annoncèrent en cœur d'une voix forte et intelligible son arrivée, son rang et son nom, Victoria se para de son plus beau sourire et fixa l'assemblée d'un regard aussi doux que légèrement impressionné, battant de ses longs cils au blond de miel pour ajouter une touche de candeur à sa mise qui respirait déjà la pureté et l'innocence. Elle resta quelques secondes immobile pour laisser aux autres le temps de la mirer, puis elle s'avança et commença à se fondre dans la foule colorée pour saluer des connaissances ou, justement, en faire de nouvelles. Son heure d'apparition était parfaitement calculée ; la majorité des invités étaient présents, le Bal avait commencé depuis presque deux heures et les groupes s'étaient naturellement formés ce qui lui simplifiait grandement la tâche pour trier ses futurs partenaires de soirée. Bien sûr, Victoria restait encore en périphérie de ce bassin de mondanité puisqu'elle attendait que la maîtresse de maison vienne la chercher pour l'escorter littéralement au cœur des festivités.

Quand enfin la silhouette d'Honor se profila à son regard, la Princesse eut la blancheur d'un sourire sincère et ravis alors qu'elle tendait les mains vers la matriarche pour saisir les siennes d'une étreinte chaleureuse. Son visage rayonnait de bonheur, rendant à l'éclat vibrant de son opulente chevelure blonde l'impression d'un petit soleil. Les lourdes mèches d'or pâle étaient torsadées, tressées de rubans et agrémentées de perles et de fleurs en cristal colorés d'un millier de nuances de bleu et de violet, rehaussant la couleur déjà saisissante de ses prunelles. A seulement un pas de la marchande, elle se hissa sur la pointe des pieds pour venir poser sa joue sur la sienne en l’ersatz d'un baiser qui ne chiffonnerait pas le maquillage carmin de ses lèvres, puis recula d'un pas léger pour l'observer dans son ensemble, sans jamais se départir de son sourire.

« - Baronne Harrington. »

Le titre fut annoncé avec un rire dans la voix et une affection particulière. Cette femme de fort caractère tenait un empire à la seule force de sa volonté et méritait tout le respect que la jeune princesse pouvait accorder à quelqu'un d'étranger à sa famille et ses proches. Elle lui lâcha les mains après une dernière pression délicate de ses doigts et se tourna vers sa dame de compagnie qui l'avait suivie comme son ombre depuis l'instant où elle avait quitté le carrosse. Cette dernière était une fille de la haute noblesse, à peine plus âgée que Victoria. Elle portait une robe qui n'avait pas à faire rougir la princesse d'embarras et dont les couleurs comme les motifs étaient assortis à la mise royale de sa maîtresse. Cette jeune fille, donc, portait dans ses bras une petite caisse de bois qu'elle tendit à Honor avec une révérence, parvenant à jongler l'un et l'autre sans impair.

« - Voici un vin qui devrait vous plaire. Il vient du domaine du Boh'Jolet, l'on dit que sa robe est acidulée, fraîche et piquante avec de fortes inclinaisons fruitées. Personnellement, j'adore le déguster avec des châtaignes grillées, mais beaucoup le préfèrent accompagné de charcuterie ou de venaisons. »

D'un geste de la main, Victoria congédia sa dame de compagnie et lui accordait par la même occasion la liberté de jouir de la fête, comme toutes les autres jeunes filles bien nées présentes. Laissant à Honor le temps d'observer les deux bouteilles logées dans la boite, têtes bêches, la jeune princesse mira pour sa part les décorations de la salle et savoura les notes claires de l'orchestre.

« - C'est une réception ravissante que vous avez là ! M'accorderez vous un peu de votre temps ? Même si nous n'avons eut guère le plaisir de converser ces derniers temps, je ne voudrais pas vous tenir loin de vos autres invités. »

Elle reporta son attention sur la femme, sourire doux aux lèvres alors qu'elle joignait les mains à hauteur d'estomac en une posture d'attente et de courtoisie. Si elle se doutait qu'un refus ne lui serait pas prononcé, eut égard à son rang et à leur amitié, l'étiquette demandait à ce qu'elle s'assure que la maîtresse de maison lui soit ouvertement favorable.


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Honor observa la foule réunie dans la grande salle de réception du manoir Harrington d’un air sévère. La bâtisse était vaste et l’extérieur avait une élégance sobre, alors qu’à l’intérieur, des lustres en cristal diffusé une lumière magique chaleureuse sur les convives réunis en ce jour un peu spéciale. Les tables regorgeaient de mets divers et variés. Honor appréciait cette nouvelle mode de bal, où l’on ne passait pas une partie de la soirée assis autour d’une table mais où l’on pouvait allait de groupes en groupes et discuter avec les personnes qui nous intéressaient.

Mais elle ne supportait pas la raison de cette soirée. Elle appréciait les réunions mondaines mais pas cette soirée. Si ça n’avait tenu qu’à elle, Honor n’aurait ni organisé la soirée, ni accepté le titre qu’on lui avait offert. Mais dans cette situation, elle n’avait pas été la seule à décider.

Après le siège du port de Sélénia, durant lequel l’arrivée de l’Intrépide avait suffisamment désorganisé les rangs ennemis qui le siège fut levé peu après, l’empereur avait décidé d’anoblir Honor Harrington. Et ceci n’avait pas été au goût de la Salamandre. Nul n’ignorait que les tensions entre les cités libres et l’empire était au plus haut en ce moment. Marchander avec elles n’était pas chose aisée en temps normal car la Hanse était principalement installée sur le territoire impérial. Mais maintenant, Honor aura encore plus de difficulté à faire affaire en étant noble.

De plus, ce titre était presque une insulte à la puissance de la famille Harrington. Baronne. Et puis quoi encore. Les Harrington étaient bien plus riches que la plupart des comtes de la cour impérial et avait fait bien plus pour l’empire, en particulier Honor, que la presque totalité des seigneurs réunis. Et on la remerciait comment ? Par un titre de basse noblesse, lui fermant des marchés. Quelle honte. Mais elle n’avait pas eu le choix d’accepter.

Les membres fondateurs de la Hanse avait estimé en majorité que cela ne fera que raffermir la position et la légitimité de la Hanse au sein de l’empire et dans les autres nations, et que le commerce trouvera toujours son chemin dans les différents conflits. Malgré un entêtement peu habituel, Honor avait dû céder et accepter son anoblissement. Malgré une fête en grande pompe à la cour, la Hanse avait voulu célébrer elle-même sa représentante principale.

Honor se revoyait encore, recevoir ses insignes de baronnes et son nouveau blason. Elle n’avait pas souri de la cérémonie, l’air grave de celle qui accepte une lourde tâche autant qu’un honneur dissimulant sa frustration.

Elle avait déjà déambulé dans la salle, saluant des gens par-ci par-là. Souriant à des amis, discutant avec d’autres marchands. Elle essaya d’y mettre du cœur, mais c’était ardu. Léopoldine de son côté nageait dans son élément. Elle faisait exactement ce que sa mère faisait d’habitude, bien que ce soir, cette dernière n’y arrivait pas vraiment.

Elle avait quitté sa tenue de capitaine pour une longue robe fine, mettant en valeur ses formes, ses cheveux coiffés d’une simple queue, un diadème de cristal dans les cheveux. Beaucoup de marchande avait abandonné la mode des robes à froufrou trop larges, mais pas tout à fait.

On annonça l’arrivée de la Princesse Victoria et le sourire d’Honor se fit plus sincère. Elle avait vu Victoria grandir, pas entièrement mais elle avait pu voir l’enfant devenir une femme et la jeune princesse s’entendait assez bien avec Léopoldine. Toutefois, malgré son envie, Honor continua la discussion sans grande intérêt sur le transport d’essence d’arbre nouvelle, découverte par la guilde d’exploration au sud de l’archipel. Le seul intérêt était que la guilde d’exploration, commandait par un certain Loup Solitaire, menait à bien ses missions et c’était tant mieux. Le Hanse avait investi dans ce groupe d’homme et de femme, fournissant arme et équipement au début et les payant grassement pour qu’ils découvrent au plus vite les richesses de ce nouveau monde.

Mais enfin, elle toruva une excuse pour s’éclipser à temps pour voir la princesse venir vers elle. Elle lui saisit les mains, dans un mouvement qu’Honor n’arrivait pas à décrypter. Elle ne connaissait pas assez l’étiquette de la cours pour savoir comment la saluer.

Princesse KohanRépondit la dame blanche avec un sourire amusé. Difficile de se comporter comme il se doit quand on venait de passer plusieurs mois en mer puis sur des batailles maritimes.

Honor réceptionna la bouteille avec un signe de tête de remerciement puis une expression appréciatrice. Dame, il ne fallait pas. Mon père raffole de pareils crus et les préfère pour sa part, avec un de ces vieux fromages à la pate friable. Honor sortit une des bouteilles et en observa l’éclat. Un présent que je saurais apprécier à sa juste valeur, soyez en certaine. Un serviteur passa et Honor lui demande poliment de bien vouloir disposer de ces deux bouteilles dans le salon de monsieur son père. Il sera lui trouver une place dans la cave mieux que quiconque. Chez nous, ce sont les femmes qui gèrent l’argent et les hommes l’agencement. Il ne faudrait pas leur fournir des tâches trop complexes.

Honor invita Victoria vers le bord de la salle, où de grandes portes fenêtres ouvraient sur les jardins. En cette saison, elles étaient fermées mais des luminions éclairés joliment le parc. Je peux amplement offrir à une des bienfaitrices de ma famille du temps. Mes invités sont soit des marchands que je vois très souvent et certains trop à mon goût, soit des nobles venus admirer le nouveau singe qui se veut leur semblable. Avez-vous Léopoldine ? Elle sera certainement heureuse de vous voir.

Honor regarda les jardins un moment. Contrairement à l’habitude, elle ne croisa pas les mains dans son dos mais délicatement sur son ventre. Je tiens à remercier la famille Kohan pour ce titre. Mais au risque de paraitre bien ingrate, je vais vous avouer que je m’en serais bien passée. Nous nous connaissons depuis assez longtemps pour nous permettre de la franchise et de l’honnêteté. Je ne cherche pas le pouvoir pour le pouvoir, ni la richesse pour ce qu’elle est. Et je crains que ce titre ne menace même l’essence même de ce qu’être une Harrington.

Son regard se porta sur le dessus de la grande porte où le nouveau blason des Harrington était peint ainsi que sa devise. Par de nouveaux chemins. Est-ce que la noblesse ne risquait par d’installer sa famille dans un confort paresseux ?

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Un simple, mais élégant hochement de tête fut tout ce qu’elle accorda aux remerciements de la matriarche et elle contempla à son tour la robe rosée du vin avec un pâle sourire gracieux alors qu’elle étouffait un petit gloussement au commentaire visant à émasculer les hommes au sein de la famille Harrington. De tels propos ne plairaient pas à nombre des gens de la noblesse et c’était exactement pour cette raison que la jeune Princesse avait tant œuvré pour hisser Honor parmi ses insupportables pairs de la Cour Impériale. L’esprit féministe de cette femme ainsi que son aplombs seraient une brise avant-gardiste des plus appréciée pour ceux ayant le désir de dépoussiérer un peu les habitudes et coutumes de Sélénia. Elle était persuadée qu’une telle compagnie aux côtés de son frère, l’Empereur, ne serait que bénéfique au long terme. Il fallait plus de femmes comme Honor et moins d’hommes de la trempe des anciens conseillers de Fabius… ou de ce dernier.

Malgré elle, un frisson lui coula dans le dos et elle poussa un léger soupir inaudible aux oreilles mortelles alors qu’elle suivait son hôtesse sur le bord de la salle, sans jamais se départir de son adorable sourire et de sa prestance. Elle sentait peser sur elle bien des regards, mais en bonne habituée elle n’affichait jamais le fond de sa pensée. Le masque du paraître était parfaitement vernis, ornant son adorable minois sans défaut. Seuls ses yeux transpiraient parfois ses véritables émotions, car elle n’était encore qu’un bourgeon à peine éclot à son quinzième printemps. S’arrêtant près des portes-fenêtres, elle contempla l’extérieur et se laissa ravir par l’agencement du parc à la lueur de ses lumignons. Le dois droit, elle croisa les mains dans son dos et laissa ses doigts graciles jouer dans les boucles mousseuses de sa chevelure, captant quelques perles et rubans éparpillés.

Silencieuse concernant la critique sur les bourgeois présents à cette soirée, elle se tendit légèrement sur celle portée à la noblesse et tourna un regard prudent bien qu’un peu surpris en direction de l’adulte. Elle chercha, dans le secret de son expression impavide, un quelconque indice sur la sincérité de ses propos. Connaissant le caractère d’Honor, l’adolescente n’avait aucun doute sur la franchise de chacun de ses mots, toutefois il ne lui coûtait rien d’essayer de s’en assurer. Un mauvais pressentiment lui vint et elle se mordit l’intérieur d’une joue pour ne pas trahir la soudaine montée d’angoisse qui vint à saisir son petit cœur. Pourquoi avait-elle l’impression que cette conversation allait fortement lui déplaire ? Victoria se força à prendre une inspiration et reporta ses yeux sur le parc… seulement pour revenir vivement sur la baronne, incapable cette fois de cacher sa surprise.

Et quelle mauvaise surprise ! Se dire être ingrate était une mauvaise estimation de l’impression qu’Honor lui laissait et ce, avec autant de brutalité que d’indélicatesse. Se serait-il agit de qui que ce soit d’autre que la Princesse lui aurait donné un soufflet sans y réfléchir à deux fois. Une note amère gagna sa gorge et il lui fallu toute sa maîtrise pour ne pas laisser transparaître une seule once de son véritable émoi. Son sourire se fana sur les bords alors qu’elle fronçait délicatement des sourcils. Joignant les mains sur sa gorge gracile, Victoria vint à pincer sa lèvre inférieure de ses dents, dosant avec justesse une expression contrite alors qu’elle baissait ses grands yeux à ses pieds.

« - En effet, je suis chagrinée d’entendre pareil propos. Lorsque j’ai œuvré pour vous faire obtenir ce titre, de facto je pensais que vous en saisiriez toutes les nuances et toutes les opportunités qui s’y associeraient… même en ce qui concernerait les plus subtiles. »

Elle marqua une pause bien mesurée, soupira, puis ajouta alors qu’elle posait une main sur sa joue en une expression désolée, voire légèrement contrariée et triste. Pour le coup, elle n’avait pas besoin de feindre ces émotions puisque elle était vraiment déçue par le comportement d’Honor. Elle l’aurait cru faite d’une autre trempe et pensait la connaître depuis suffisamment longtemps pour ne pas se tromper sur une telle estimation. Son cœur s’affola une seconde à l’idée des conséquences désastreuses que cela pouvait avoir pour elle et ses alliés.

« - Je suppose, après votre aveux, que j’ai présumé de votre clairvoyance. Pour cela, je vous pris d’accepter mes excuses et soyez assurée, mon amie, que je n’ai jamais souhaité vous mettre en si fâcheuse situation ! Si seulement j’avais su... »

Le timbre de sa voix se fit légèrement plus froid, plus acéré alors qu’elle continuait en la fixant droit dans les yeux, corps et buste toujours tourné vers les portes-fenêtres piquées de givre et nimbées à la lueur douce des lampions.

« - Si seulement j’avais su que les Harrington ne vivaient déjà plus à la hauteur de leur réputation, jamais je ne vous aurais engagée dans une situation si délicate, ma chère amie. Je me basais sur les leçons d’Histoire, car lorsque votre famille s’est lancée pour la première fois dans le commerce, taillant sa place dans ce qui était une voie longue, ardue et semée d’embûche, je ne crois pas me souvenir qu’elle se soit rétractée lorsque elle se confronta à l’inconnu des cruelles lois du marché ou encore aux courbes et aléas parfois nébuleux du cours économique, voire qu’elle abandonna face à la vicieuse concurrence. Il semblerait que ma mémoire m’ait fais défaut et voyez dans quelle situation je vous ai mise ! Je suis une piètre amie. »

Elle détourna lentement les yeux, laissant son regard glisser sur la silhouette de la femme et secoua doucement la tête avant de hausser des épaules. Son expression retrouva sa neutralité et elle lissa un pli à hauteur de sa taille gracile, chassant parla suite une poussière invisible alors qu’elle soufflait :

« - Mais quel dommage que vous ne voyiez pas votre promotion sociale comme un nouveau terrain à conquérir. Toutefois, j’entends votre plainte ! J’essaierai d’aborder le Chancelier pour voir avec lui s’il serait possible de rétracter votre anoblissement d’une façon…  ou d’une autre. »

La perspective ne lui semblait pas plaisante, autant pour sa réputation que pour les conséquences dont elles écoperaient toutes deux. Mais il valait mieux s’amputer maintenant que d’attendre que la gangrène ne se propage trop en avant dans ses relations. Si Honor gâchait sa chance, elle ne comptait pas tomber avec elle. Il lui faudrait trouver un autre allié, ailleurs, pour lui ouvrir et sécuriser les océans infinis de l’Archipel. Si de l’extérieur elle semblait simplement chagrinée, intérieurement la Princesse bouillonnait et réfléchissait déjà à la liste complète de ses autres prétendants.

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Honor leva un sourcil perplexe en entendant les paroles de la jeune femme. Les propos étaient acides, sous un ton désolé bien construit. Cette jeune fille vivait dans un milieu bien trop faux pour son propre bien. Même avec Honor, il semblerait qu’elle n’ose montrer ses vrais sentiments ou être naturel.

La Salamandre fronça les sourcils devant les propos de la princesse. Qu’est-ce qu’elle essayait de faire ? La vexée ? Honor ne dissimulait jamais d’expressions franches. Elle ne montrerait pas toujours ce qu’elle pensait, jouant souvent la comédie, mais seulement quand elle avait quelque chose à y gagner. Or, son mécontentement aux paroles de Victoria était le message qu’elle souhaitait faire passer.

La jeune femme jouait à un jeu dangereux, non seulement en insultant indirectement une personne influente à qui l’empire devait encore beaucoup, et à travers elle son organisation, mais aussi en s’appuyant sur des faits qui hélas, n’était pas tout à fait vrai. Le passé de la famille Harrington n’était pas aussi connu que cela, puisque les Harrington n’avaient commencé à se faire connaitre qu’avec son père, et sa présence sur les marchés, pour éclater avec Honor et son audace, en partie grâce à la guerre. Victoria poussa même le vice jusqu’à sous-entendre le déshonneur d’un retrait de titre.

L’expression mécontente laissa cependant place à un sourire entendu. La voix d’Honor s’éleva, calme et posée. Vous présumez, jeune princesse. Mais pire encore, vous présumez mal et en jouant à un jeu dangereux. Imaginons un instant que je prenne la mouche et que l’amitié que ma famille vous porte ne soit finalement pas si importante à mes yeux. Alors vos sous-entendus pourraient me convaincre de ne plus m’arranger avec l’empire. La situation politique actuelle, avec toutes ces menaces, les cités libres, l’histoire de Cordont et le retour des Chimères, n’est pas propice pour se fâcher avec autant de marchands que la Hanse en compte. Me retirer mon titre ne me fâcherait pas, mais tous ceux qui ont appuyé pour que je l’accepte.

Elle laissa planer un bref silence. Vous avez de la chance cependant, j’ai une amitié sincère envers vous, et ma fille aussi. Et j’ai assez d’expérience pour savoir que faire une guerre commerciale ne plait à personne, même si on est gagnant à la fin. Je vais donc me contenter de corriger vos dires. Ce n’est pas parce que je m’en serais passée, que je ne relèverai pas les défis que cette nouvelle position offre. Il faut savoir faire la différence entre défi et difficulté inutile. Ce titre nous rend honneur et nous encombre à la fois. Je déplore simplement la nécessité de devoir forger de nouveaux outils alors que les relations entre la Hanse et le sud de l’île ne sont pas pleinement établies. Mais ce n’est pas ce qui m’arrêtera.

Elle planta son regard gris dans celui de la princesse. Quand à la leçon d’histoire. Méfiez-vous à qui vous la faites. Ma famille était déjà riche avant ma naissance et celle de ma mère, mais elle n’était riche que d’un commerce qu’elle maîtrisait, contenant peu de risques et qu’elle avait pris du temps pour accaparer, tout comme on construit un empire. La réputation dont vous parlez date de moins de cinquante ans. Ce sont mes parents et moi-même qui avons fait de notre famille ce qu’elle est aujourd’hui. Il y a encore deux générations, les Harringtons n’aurait pas formé la Hanse, même forcés. Vous êtes encore jeune et je tiens à vous mais n’oubliez que tout acte a une conséquence qu’on ne peut défaire aisément. Il est important d’avoir des alliés proches et de leur fait montre de son amitié, mais il faut aussi se méfier de ce qu’on offre et de conséquences que cela peut avoir.

La nouvelle baronne fit un sourire chaleureux. A cheval donné, on ne regarde pas les dents. Mon père ajoute toujours qu’il faut voir combien de viande on peut en tirer. Si je me serais bien passée de ce titre, je compte bien le garder et en tirer un maximum de profit, après tout, je suis une marchande. Princesse, vous avez fait entrer un loup dans le chenil, et j’espère que vous savez jouer au jeu dans lequel vous me plongez, car j’en apprendrai bien vite les règles.

Le sujet de discussion qu’Honor avait amené avait pris une tournure qu’elle n’appréciait pas vraiment. Victoria avait certainement quelque chose de plus derrière la tête, en la provocant pour qu’elle garde son titre. De toute manière, Honor ne pouvait autoriser qu’on le lui retire. Les autres marchands de la Hanse auraient pris ça comme une insulte et auraient même pu se sentir viser. Des sanctions économiques ne seraient pas difficile à mettre en place, surtout avec la tension avec Caladon. La Hanse s’appauvrirait pendant un temps, mais finalement, ce serait l’empire qui en pâtirait bien plus et les conséquences ne seront bonnes pour personne.

Sur ces entre faits, la fille d’Honor fit son apparition. Plus grande que Victoria, elle portait une robe bien plus élégante que sa mère, mais moins que celle de la princesse. Sa robe était blanche, comme ses cheveux et sa coiffure était élaborée. On pouvait facilement imaginer que Léopoldine avait passé plus de temps à se préparer que sa mère. Honor se souvint qu’elle était pareil à son âge, peut-être même encore plus enthousiaste à l’idée d’aller danser.

La jeune femme arriva avec un grand sourire et salua la princesse selon l’étiquette, mais non sans trahir une certaine excitation. Madame, c’est un honneur de vous avoir parmi nous. De même que le présent que vous avez fait à ma mère. Si Léopoldine était déjà douée dans l’art du marchandage, elle était loin d’également sa mère ou Victoria dans l’art du paraitre et des faux semblants. Sa voix trahissait sa joie et son excitation face à l’anoblissement de sa famille, une joie sincère. Comment se passe la vie au palais ? Comment vous portez-vous ? Et votre frère ? Porte-t-il tous les fardeaux de l’empire sur ses épaules ou vous confie-t-il quelques tâches ?

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Dès les premières paroles de la matriarche, les fines épaules de Victoria se crispèrent et ses yeux se refroidirent tellement qu’un glacier en aurait lui-même frissonné. Son nez se mit à lui piquer alors que la colère lui montait et cette dernière aurait pu faire rosir ses joues si seulement l’adolescente ne possédait pas un tel contrôle de soit. L’outrage qu’on lui présentait lui coupa un instant le souffle et elle serra doucement la mâchoire tandis que ses mains venaient distraitement lisser un pli imaginaire sur le devant de sa robe. Son souffle ne s’altéra pas le moins du monde et son sourire ne vint pas à faner malgré le grand émois qui la secouait intérieurement. Les menaces qu’Honor proférait à l’encontre de l’Empire étaient autant de coups de poignards que la Princesse encaissait sans se départir d’une expression attentive, voire un brin inquiétée comme si elle écoutait, dans toute sa prime candeur, les véritables conseils avisés d’une aînée bienveillante à son égard. Toutefois les mots ainsi que leurs conséquences ne tombaient pas dans l’oreille d’une sourde et elle saurait se souvenir, en temps et en heure, de la fidélité volage dont faisait preuve la représentante de la Hanse.

Au silence que l’autre lui accorda, que ce soit pour reprendre son souffle ou lui laisser le temps de digérer ce qu’elle venait de lui asséner, Victoria ne perdit pas l’occasion de répliquer platement :

« - Oh oui. Je n’ose pas imaginer un tel scénario. »

Elle n’en dit pas plus pour l’heure et se contenta d’écouter la suite sans faillir. Le ton de sa voix ne cachait qu’un brin d’ironie alors que ses yeux luisaient fugacement d’un regain de colère. Si un tel abandon porterait effectivement un coup dur à l’Empire et son économie, il ne serait toutefois que passager. Sélénia saurait se remettre sur pieds grâce à sa propre richesse interne et si les routes commerciales seraient alors plus délicates en présence des navires pirates écumant les côtes comme les hauts fonds, la Hanse péchait d’orgueil à se croire ainsi inestimable. Cette insulte portée à la couronne, et donc à Nolan, ne saurait être excusée aux yeux de la Princesse. Toutefois, son masque d’enfant attentive et studieuse ne se fissura pas le moins du monde et le vernis encaissa les insultes suivantes avec autant de dignité que de superbe. Sa déception à l’encontre d’Honor monta encore d’un cran lorsqu’elle se révéla incapable de saisir la subtilité de ses propos à l’égard de sa famille et la petite leçon d’Histoire qu’elle tenta de lui inculquer glissa sur l’adolescente sans l’atteindre le moins du monde. Serait-elle moins bien élevée qu’elle aurait très certainement roulé des yeux.

Une fois de plus, Honor crachait librement sur le cadeau qu’elle venait de lui faire, trop aveuglée par sa fierté mal placée pour réaliser combien elle y perdait en dénigrant de la sorte un titre de noblesse, aussi bas soit-il. Un fin sourire ourla les lèvres de Victoria alors qu’elle hochait de la tête dans un faux semblant d’humilité tandis qu’en son âme et conscience, elle mourrait d’envie de gifler cette insolente et d’aller réclamer son exile séance tenante. Il était effarant de constater combien les nouveaux riches oubliaient les codes les plus rudimentaires de l’étiquette. Quelques semaines auparavant, il s’agissait du Général Iskuvar, véritable rustre sans éducation et aujourd’hui Honor Harrington ? Mais où allait la bonne éducation, on se le demandait. Un fin et inaudible soupir lui échappa lorsque la marchande continua son interminable monologue. Au couvert de ses longs cils, la Princesse coula un regard envieux en direction de la piste de danse, mais aussi de la cheminée et du buffet. Elle qui avait espéré passer un bon moment loin du palais, à savourer une fête de la haute bourgeoisie ! La voilà bien récompensée.

Elle retourna son attention sur Honor et croisa un sourire chaleureux qui n’éveilla en elle qu’un mépris plus profond encore. La comparaison avec un cheval lui donna la nausée et elle eut un peu plus de mal à conserver une expression courtoise. La suite, toutefois, fut de trop et elle glissa d’un ton doucereux :

« - Un loup dans le chenil… vraiment ? »

La remarque fut aussi candide que son sourire se révéla un brin incrédule. L’hésitation formulée, parfaitement dosée dans la rhétorique qu’elle soulevait de la sorte, parlait mille fois mieux que le silence conservé jusqu’à présent. Si Honor était un loup alors le chenil dont elle faisait mention était rempli de Fenrisulfr ! Cette dinde arrogante se croyait vraiment à la hauteur des Nobles dont elle décriait le mérite aussi vertement ? Contrairement à elle, ils étaient tous nés, reproduis et éduqués pour parfaire une vision élitiste de la Cour Impériale. Pire encore, ils étaient pour beaucoup le fruit du règne de Fabius et des Empereurs de Sélénia bien avant lui ! Les dents de ces hommes et femmes rayaient le parquet tant leurs ambitions étaient longues. Ils maniaient l’art de la politique comme un jeu dont l’échiquier n’était autre que les provinces et maisonnées de nos terres, pire encore ; ils pariaient sur les relations publiques avec les autres Royaumes comme on le ferait d’une course de chevaux ! Se croyait-elle réellement à la hauteur, elle qui ne parvenait même pas à saisir les subtilités qu’elle lui avait si généreusement tendues un peu plus tôt ? Victoria retint de justesse un gloussement nerveux à cette pensée et conserva de justesse son calme.

Heureusement, l’intervention de Leopoldine vint abréger l’élan de narcisse dont faisait preuve la matriarche, épargnant à la Princesse d’autres interminables minutes de calvaire. Le mauvais côté dans cette affaire c’est que la fille était pire que la mère et c’était peu dire ! Le titre que lui accorda cette dernière, si l’on pouvait seulement le catégoriser de la sorte, fit grincer des dents à l’adolescente dont le regard déjà polaire sembla entrer dans une aire glaciaire pour l’occasion. L’excitation de la jeune femme apaisa à peine la Princesse qui lui accorda toutefois un ravissant sourire et vint lui faire la bise comme elle l’avait offerte à sa mère ; en effleurant sa joue de la sienne de sorte à ne pas froisser leur maquillage.

« - Oh Léopoldine, quelle joie de vous revoir ! Vous êtes adorable dans cette robe, mais je crois que le terme que vous recherchiez en vous adressant à moi est « Princesse ». Oh, je présume que cette fête doit vous rendre fébrile pour que vous commettiez une telle étourderie. « Mademoiselle » à la rigueur, même si entre nous je préférerai encore un « Victoria » à ce « Madame » dont vous m’affublez. Je ne crois pas m’être mariée depuis notre dernière rencontre. »

Elle eut un rire parfaitement maîtrisé, ni trop fort, ni trop aiguë ou dissonant. Elle déploya le charme subtile de son Esprit afin de parer les notes cristallines de l’éclat magnétique du Paon de sorte à adoucir l’impact de ses propos. Elle n’était pas en colère contre Léopoldine qui, contrairement à sa mère, semblait sincèrement apprécier son cadeau. Peut-être était-il temps de passer le flambeau à la prochaine génération, Matriarche Harrington… Cette pensée acerbe vint ourler son regard d’un éclat plus prédateur alors qu’elle glissait affablement son bras sous celui de la jeune femme. Elle comptait bien profiter de la soirée, mais elle n’en avait pas non plus terminé avec Honor. Cette dernière n’allait pas s’en tirer à si bon compte et saurait combien elle venait de fâcher une Princesse Impériale.

« - Mon frère sera ravi d’apprendre que vous célébrez votre nouveau titre ! Baronne Léopoldine Harrington… que voilà une sucrerie à prononcer ! Je ne m’en lasse pas, et vous ? Mais, seriez-vous une amie pour aller me chercher quelque chose à boire le temps que j’en finisse avec votre mère ? Ensuite, nous irons danser et profiter de la fête ! Là je vous conterai tous les derniers événements du Palais, promis. »

Elle s’était tournée vers le buffet, à l’autre bout de la salle et avait naturellement entraînée avec elle la pauvre jeune femme puisque leur bras étaient toujours entrecroisés. Elle attendit que Léopoldine s’éloigne, n’hésitant pas à insister si elle traînait des pieds, voire à devenir plus ferme dans sa façon de la congédier si jamais elle faisait la sourde oreille. Lorsqu’elle fut de nouveau seule avec Honor, elle leva un regard franc sur la femme et prit la parole avec une douceur trompeuse, empoisonnée, lacée dans la voix :

« - Baronne, c’est en tout amitié que je vais vous dire ceci : Imaginons en effet que l’affection que ma famille vous porte ne soit finalement pas si importante à mes yeux. Alors vos paroles et vos évidentes intentions de trahison pourraient bien me convaincre de raccourcir la Hanse disons... d’une bonne tête. Ne me faites plus jamais l’affront de vous croire au dessus de la Couronne ou je pourrais à mon tour prendre réellement ombrage d’une telle arrogance et décider de la punir en conséquence.
Concernant la situation actuelle et l’essor économique que subit Calastin au même titre que l’entièreté de l’Archipel, en cela causé par l’arrivée imminente des Chimères et le traité visant à l’entraide de tous les peuples, je n’ose imaginer le peu de difficulté que l’Empire éprouvera à trouver d’autres familles marchandes aux dents suffisamment longues pour remplacer la votre et aux ambitions certainement moins aveugles. Oh certes, l’Empire perdra un allié de poids et en souffrira… un temps seulement, mais je reste persuadée que la Hanse sera la plus durement touchée si vous mettez en action vos menaces.
Privée de l’Empire Sélénien, vers qui iriez-vous donc… je me le demande. L’Alliance ? Ne me prenez pas pour une sotte. Drapée de ce nouveau titre de noblesse, vous êtes d’office et définitivement exclue de sa route de commerce. Parce que je peux vous assurez d’une chose, Dame Harrington, si vous mordez encore une fois la main que je vous offre, ce n’est pas de votre titre dont je vous destituerai. Non, je le laisserai à votre gorge comme le médaillon d’un chien et je m’attaquerai à votre réputation ainsi qu’à votre fortune. Si vous êtes assez naïve pour penser que le compromis que les Cités Libres ont signé avec la Couronne sur le cas de Cordont la Chue vous ouvre de quelconques portes... Sachez que les velléités persistent et que votre nouveau sang bleu est une tare qu’aucun appât du gain ne saurait surpasser et ce, même à Caladon.
Sans l’Empire et sans l’Alliance, vers qui iriez-vous donc ? Le Royaume elfique est plus fermé et frileux qu’une huître à la perle rutilante. Et même si vous essayez d’engager des négociations avec le beau peuple depuis votre arrivée sur l’Archipel, ce ne sera que votre fille ou votre petite-fille qui en récolteront les fruits tant les elfes mettent du temps à délibérer et s’organiser. De plus, cette optique n’est valable que si l’on omet les implications politiques qu’une telle démarche engendrera forcément, car n’oublions pas que dans cette hypothèse vous vous êtes fâchée avec l’Empire… Croyez-vous vraiment que les elfes, si promptes à la neutralité, iraient risquer de se fâcher avec la Couronne pour faire commerce avec vous ?
Enfin, que nous reste-il ? Oh oui, les vampires. Le peuple de la nuit ne possède malheureusement aucune richesse propre, qu’elle soit culturelle ou monétaire. Ils ont été saignés, sans jeu de mot, par l’odieux commerce écarlate qui leur fut imposé et si leurs caisses possédaient encore quelques pièces à dépenser avec la Hanse, je peux vous assurer que la construction d’Aerthia les en aura drainé jusqu’au dernier cuivre.
Oh bien sûr, il vous reste la promesse de l’investissement, mais sans les ports de l’Empire et de l’Alliance pour remettre à flot vos calles, comment comptez-vous survivre jusqu’à ce que les vampires ou même les elfes vous remboursent de votre générosité ?
 »

Elle expira et reprit son souffle, relevant le menton avec audace alors qu’enfin elle laissait transparaître une infime partie de la colère et de l’indignation qui l’étreignaient. Les bords de son sourire s’étaient fanés et elle acheva avec un brin de gaieté grinçant :

« - Bien sûr rien de tout cela n’arrivera, n’est-ce pas ? Après tout, nous sommes bien trop amies pour prendre la mouche sur de tels trivialités. Quant au jeu… ma chère amie, j’en suis le fruit, la toute dernière pièce sur cet immense échiquier. Polie et façonnée par des dizaines de générations avant moi, je suis née de ce jeu… alors oui, n’ayez aucune crainte : j’en connais assez bien les règles. »

Elle s’inclina gracieusement devant elle, puis tourna les talons pour s’éloigner à la recherche de Léopoldine. Peut-être aurait-elle plus de chance avec la fille, ce qui ne serait pas compliqué vu combien la mère avait abaissé la barre de ses attentes.

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Oreilles indiscrètes et chuchotements derrières des éventails tirés de broderies sonnent comme le glas d'une réputation ternie. Y a-t-il seulement un seul secret qui résiste à la noblesse ? Y-a-t-il un seul sujet qui ne s'ébruite et passe de salon en salon par ces dames friandes de cancans désolants et croustillants ? On dit que la nouvelle Baronne tient des propos peu élégants. De la Couronne, elle profite des grâces tout s'amusant à l'accabler d'une menace à peine esquissée. La Hanse cesserait-elle donc de s'arranger avec l'Empire si l'Empire ne satisfaisait plus les Harrington ? Quelle audace. Quelle témérité qui par le retour de bâton ne saurait qu'être récompensée !

Quittant les salons de jeux par les époux, un Duc penché à l'oreille de l'Empereur lui relate la fantaisie d'Honor Harrington. L'insulte s'est répandue comme le feu sur une traînée de poudre. La maison Harrington qui menace la Couronne d'infidélité : le roi se laissera-t-il marcher sur les pieds ? La Baronne fera-t-elle sa loi dans le panier aux serpents ? La convocation ne tarda pas à être portée à la Salamandre et avec elle, un sombre pressentiment.

A l’audience, Hornor est publiquement disgraciée, et ses terres retirées. Son titre perdurant comme... Comment l'avait dit Victoria ? Le médaillon d’un chien qui ne saurait se réclamer sans maître pour fuir. L'Empereur ne peut accepter qu'on le menace ainsi d'interférer dans l'économie de son Royaume. La Couronne ne donnera que peu d'affaires à la Hanse au cours des six prochains mois, et comme le peuple suit son Roi, il y aurait fort à parier que les affaires de la Hanse soient chaotiques... A moins qu'elle ne fasse amende honorable et se rachète aux yeux de ceux sur qui elle a craché. La Noblesse est si cruelle, l'on rira beaucoup dans les salons mais la miséricorde pourrait frapper aussi soudainement que la déchéance, pour peu qu'on y mette du cœur et de la persévérance. Honor est sommée de se racheter, telle une porte ouverte vers de meilleurs augures.

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