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descriptionIlhan Avente - Le Renne Couronné, des Contes des cent et une lunes EmptyIlhan Avente - Le Renne Couronné, des Contes des cent et une lunes

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Les contes althaïens des cent et une lunes


Il était une fois… un roi qui vivait heureux avec son épouse. Tout irradiait de bonheur dans son palais, jusqu’au jour où sa femme fut éprise d’un autre et le trahit. Fou de rage et de peine, le roi la tua, dans un coup de folie. Désespéré, il se remaria. Mais tua sa nouvelle épousée. Et recommença le lendemain, et le lendemain encore… Chaque matin se finissait dans une marre de sang, lui berçant le corps gisant de sa nouvelle épouse. Aucune ne passait une seconde nuit.

Les épouses se succédèrent et l’humeur naguère joyeuse du palais s’assombrit de jour en jour, de nuit en nuit. Jusqu’à ce que…

Arriva une jeune femme à la beauté radieuse. Elle se proposa elle-même pour devenir l’épouse du roi fou. Son nom était Ayashaad. Le soir de son mariage, elle commença à lui conter une histoire... et reporta la fin au lendemain. Tant et si bien que le roi, éperdu de ce conte, voulut en connaître la suite et l’épargna. Le soir vint de nouveau, la jeune épousée survécut et raconta la suite de son histoire… reportant la suite encore au lendemain. Et encore, et encore…

Cent lunes passèrent ainsi, et finalement le roi fou se prit d’affection et de tendresse pour sa belle conteuse. Il ne put l’exécuter et ils vécurent heureux des années durant.


Voici une des histoires de Ayashaad.

L’histoire du renne couronné.



Chapitre un


Il était une fois...

Un jeune homme peu fortuné artisan de son métier, qui errait dans les rues à la limite de la mendicité. Faim et froid avaient frappé à sa porte, père et mère étaient souffrants, agonisants, ils risquaient de ne pas passer l’hiver. Ces sombres pensées ravageaient l’esprit du jeune homme, alors qu’il errait dans les rues, à la recherche d’une nouvelle commande.

Quand soudain, son regard happa l’agitation sur la place centrale. Un noble roi se pavanait, escorté de preux chevaliers. Mais ce qui subjugua Elyan, comme le jeune homme s’appelait, fut la merveille qui irradiait à ses côtés. Telle une perle d’ivoire satinée. Une jeune femme splendide, à la chevelure de jais et aux yeux d’azur. Elyan sentit son coeur battre tambour. Là, son destin se tenait devant lui, dans cette immense cour. Pourtant peur et honte le tétanisèrent. Aucun geste il ne fit, aucun pas il n’osa. Et il resta figé telle une statue de cire. Non lui pauvre mendiant, il ne pouvait oser espérer un regard de cette belle, ce serait un outrage à cette beauté. Ces yeux si purs et si limpides risquaient de se souiller à sa simple vue. Il se tapit donc dans l’ombre et l’observa partir, d'un sourire triste et d'une larme affligée.

Sa belle était partie depuis longtemps quand enfin il se détourna. Dans un soupir à fendre l’âme, il s’écarta de son petit muret. Il laissa ses pas le trainer sur d'étranges sentiers. Jamais encore il ne les avait empruntés. Le soir tomba, les ténèbres montèrent, mais son chemin il continua. Sans savoir où il allait. Et soudain, il trébucha. Il s’apprêtait à invectiver racine et motte de terre qui avaient osé l’enchevêtrer, quand soudain il aperçut un éclat. Il regarda autour de lui et constata se trouver dans d’anciennes ruines. Ces vieux tombeaux qu’on disait maudits. Et là, près d’une des vieilles pierres aux noms effacés, un objet, scintillant, l’appelant. À tâtons et à quatre pattes, Elyan l’approcha. Longuement l’observa. L’objet semblait chuchoter. Ou peut-être n’était-ce que le vent ?

Pourtant sa main caressa l’objet. Et enfin, tremblante, apeurée, s’en saisit. Il s’agissait d’une fiole, aux courbes doucement esquissées, au verre sale presque brisé.

Intrigué, Elyan l’observa à la lumière de la lune. Une vapeur étrange semblait flotter à l’intérieur. Mais le verre était si terni… Doucement de sa manche grise, il en frotta la surface lisse. Et soudain une vapeur bleutée en sortit. Elyan sursauta et relâcha la fiole avant de vivement reculer. Tous ses instincts lui hurlaient de fuir. C’était là de la magie ! Mais si près des ruines maudites ? Était-ce de ces sombres magies qu’on leur contait dans les vieilles histoires ? Elyan frissonna. Et pourtant il ne put détourner le regard et ne prit pas la fuite. Non, il ne pouvait se détacher de cette belle lumière bleue qui tout doucement scintillait, là, devant lui. Et peu à peu prenait forme, oui.

La vapeur palpitait de vie, au sein de cette sombre nuit. Une forme, une silhouette !

– Bonjour, jeune maître, murmura enfin l’être vaporeux. Je te remercie de m’avoir libéré.

Son coeur manqua un battement, ses yeux pétillaient de joie et d’effroi, mais il n’eut toujours aucun mouvement.

– Je m’appelle Schaarim et je suis là pour te servir, jeune maître, reprit l’être.

Elyan déglutit, la gorge sèche, et trouva enfin le courage de réagir.

– Qu’es-tu ? Tu étais… dans la fiole… et soudain tu es…

– Sorti. Oui. Grâce à toi. Certains disent que je suis un démiurge. J’ai été enfermé ici par mes frères et soeurs. Mais tu m’as libéré. Et je t’en sais gré.

Elyan hocha la tête, même s’il n’était pas bien sûr de comprendre. Démiurge ? Un dieu ? Là, devant lui ? Il était vrai que l’être était… sublime, magnifique. Irradiant de magie pure. Mais…

– Je lis le doute en toi. Et c’est normal. Mais je ne souhaite que ton bien. Et surtout je souhaite te remercier. Je peux exaucer pour toi trois vœux.

– Trois… vœux ?

– Oui, trois vœux. N’importe lesquels. Ordonne et j’exaucerai.

– N’importe lesquels ? Vraiment ?

– Je suis un démiurge. Oui, vraiment, n’importe lesquels. Tout m’est possible. Mais attention, ajouta l’être en levant un doigt éthéré, tu as le droit à trois vœux seulement. Réfléchis bien.

Elyan acquiesça en silence, et réfléchit. Avec ces vœux, il pourrait ravir la main de cette belle dame qu’il avait vue l’après-midi. Mais…

Mais ce serait égoïste non ? Et s’il y avait un vœu, un seul, qu’il voulait exaucer, c’était…

– Sauve ma mère. Sauve-lui la vie. Elle est mourante.

L’entité acquiesça avec un étrange sourire.

– Bien. Elle est sauvée. Prends la fiole avec toi. Et rentre donc vérifier. Je serai là, tu n’auras qu’à frotter le verre et je reviendrai. Tu auras deux autres vœux à exaucer.

Et à ces mots, l’être disparut.

Aussitôt Elyan attrapa la fiole, et courut rejoindre sa maisonnée. Il était tard. Ou plutôt très tôt le matin. Mais il ne put s’empêcher de pénétrer la chambre de ses parents. Il aperçut sa mère, debout, vivante, et radieuse de santé. Elle tenait la main de son époux, des larmes et de joie et de peine coulant sur ses joues.

Elyan s’élança vers elle et tendrement l’enlaça. Il la serra de toutes ses forces, manquant l’étouffer. L’entité avait dit vrai !

Mais sa mère pleurait. Elyan s’écarta alors doucement et aperçut son père, sur son lit mourant.

Schaarim ! songea alors Elyan. Il sortit en courant, s’enferma dans sa chambre, et frotta sa petite fiole avec avidité.

– Merci, merci, noble démiurge. Tu l’as sauvée !

– Je te l’avais dit. Tu as fait un vœu, il a été exaucé. Il t’en reste deux.

– Alors maintenant sauve mon père, souffla Elyan sans hésitation.

– Soit. Comme tu le souhaites.

Elyan n’attendit pas et de nouveau se rua dans la chambrée. Et vit son père doucement se lever, encore hagard. Il se rua sur lui, et comme sa mère l’enlaça, tous trois formant une belle chaine et pleurant de joie. Il contempla alors avec tendresse les retrouvailles de ses parents aimés. D’un doux sourire, il sortit à reculons, à pas comptés.

Un vœu. Il lui restait un vœu. Tout était possible, avec un vœu il pourrait… Il frotta de nouveau la fiole, fébrile et fou d’espoir. Déjà du deuxième jour tombait le soir. Mais pour lui, peu importait.

Un vœu, encore un. Il ne devait pas se tromper.

– Jeune maître, vous m’avez demandé, fit Schaarim en un doux sourire.

Elyan hocha la tête.

– Tu veux réclamer ton troisième vœu ?

Nouveau hochement de tête.

– Alors choisis bien. Il ne t’en reste plus qu’un.

– Oui, oui, je voudrais…

La main de cette belle dame, songea-t-il, mais sa gorge sèche lui refusa ces deux mots. Pourtant l'être sembla avoir encore lu en lui.

– Réfléchis. Est-ce le meilleur à demander ? Tu pourrais demander plus, mieux, et tout avoir… Tout. Et plus encore, susurra l’entité.

Elyan alors hésita. Effectivement, à bien y songer… Demander d’épouser sa belle et après ? Il était pauvre, presque mendiant, le froid et la faim étaient toujours là. Ses parents mourraient de nouveau de faim. S’il ne trouvait pas à les sortir de là, ses deux premiers vœux n’auront servi à rien. Rien.

Schaarim avait raison, il devait songer à plus, plus grand, plus puissant. Plus… puissant… Qu’est-ce qui en ce monde était suffisamment puissant pour vaincre le froid, la faim, et ravir sa belle aussi ? Il ne savait. Il hésita, et préféra attendre. Il congédia Schaarim. Il ne devait pas se tromper.

Cent nuits il hésita. Et soudain, au cent et unième jour, il trouva.

Les princes, susurra une petite voix en son esprit. Il lui fallait devenir prince. Qui de plus puissant qu’un prince devenant roi ? Qui épousait les princesses si ce n’étaient les princes eux-mêmes ? Voilà la solution ! Oui, un prince a tout pour lui. Il aurait ainsi de quoi faire vivre ses parents, sa famille, sans crier à l’agonie… et il pourrait vivre son amour éternel avec sa belle. On ne refuse pas les vœux d’un prince n’est-ce pas ?

Alors il appela son dieu. Schaarim apparut et exauça son vœu. Puis le démiurge disparut, libéré de sa proie.

Elyan devint prince, fou de joie. Il n’avait toutefois pas précisé prince de quoi...

Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 7 Juin 2019 - 19:26, édité 1 fois

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Chapitre 2



Oh oui Elyan devint prince. Mais prince de rien. Il en avait l’allure, les atours, mais… aucun palais, aucune Cour.  Il se sentit trahi, déçu, et désemparé. Il resta longuement telle une statue figée, à mirer son image dans la grande étendue du lac gelé.

Mais non lui souffla soudain une petite voix. Il ne pouvait baisser les bras. Il était intelligent et rusé, n’est-il pas ? Alors il prit son courage à deux mains, et paré de ses nouveaux beaux atours, il se rendit au palais de sa belle aimée. Là où son destin l’attendait, à n’en pas douter. Il se drapa d'une audace incroyable, insoupçonnée. Et se présenta à la porte comme un prince en voyage. Il avait été victime de brigands de grand chemin qui lui avaient tout pris, tout volé, sa monture et son or, en un si terrible outrage. Ne lui restait que sa volonté. Il requérait leur hospitalité, que sa dignité écornée ne soit pas plus durement piétinée encore par une porte fermée.

Si tous furent perplexes et hésitants, ils durent avouer être touchés par les mots du jeune prince. Il en avait effectivement tous les attraits et une sauvage beauté. On ne pouvait lui refuser l’hospitalité. Les portes s’ouvrirent donc, en un souffle d’espoir certes bien mince, et dans le noble palais, il put entrer.

S’il ne fut pas traité tout à fait comme un prince, il fut servi noblement toutefois. Mille saveurs et nourriture en abondance saisirent ses papilles, luxueux confort et douce euphorie s’offrirent à ses sens alanguis, ambiance feutrée et mélodie enchanteresse le comblèrent d’ivresse. Bien entendu mille chuchotis le suivaient à chaque pas. Quel était donc ce prince des contrées inconnues, arrivé un beau matin sans rien presque à nu ?

Il se devait de les charmer. D’endormir leur méfiance alarmée. Il conta alors mille et une aventures, tant et si bien que la Cour du palais, fascinée par ce beau conteur, écouta, écouta, et écouta encore. Et, peu à peu, ses contes devinrent célèbres et son histoire devint pour tous vérité d’or. Il était un prince contant de belles aventures de l’au-delà des mers, d’autres contrées… Et tous se bousculaient pour entendre sa nouvelle histoire, et mieux l’écouter.

Il fascina sa belle aussi qui bientôt n’avait plus d’yeux que pour lui. Belle qui devait se marier. Mais elle refusa tout autre prétendant, prétextant sans cesse mille et une fantaisies. Son père se voyait contrarié, d’autant plus quand elle refusa la main d’un prince de la comté. Mais impossible pour lui de convaincre sa fille. Un autre avait ravi son coeur et elle ne voulait plus que lui. Ce père aimait bien trop sa tendre enfant pour la forcer à se marier avec un homme qu’elle ne désirait pas. Il ne pouvait toutefois céder sa main à ce prince inconnu, certes si beau et si charmant, ce prince de l’au-delà.

Cent nuits passèrent, et la situation s’enlisait, tous se désespéraient d’un mariage tant attendu qui ne venait pas. Le démiurge soudain réapparut et à l'oreille du jeune homme une sombre proposition lui murmura. Une proposition au doux venin. Il pouvait convaincre le père de sa douce aimée pour qu’il lui cède sa main. Bien entendu ce dernier vœu offert, ce quatrième imprévu, demanderait qu’Elyan lui exauce alors à son tour un vœu quand le temps sera venu. Le jeune homme d’abord méfiant se laissa convaincre par les belles paroles de l’entité. Et il accepta. Son coeur battait si fort pour sa belle si désirée.

Et ainsi, quand le cent et unième jour sonna, le père céda. Il accorda la main de sa fille bien-aimée à ce prince de l’au-delà, dont il ne connaissait rien mais dont il entendait tant de bien. Elyan sourit face à son nouveau destin, tous ses vœux comblés.

Tous, vraiment ? Et quel serait alors celui de l’entité ?

Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 7 Juin 2019 - 19:26, édité 1 fois

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Chapitre 3


Le mariage fut magnifique, deux beaux jeunes gens dans leurs plus beaux atours, tous les courtisans dans un beau ballet leur tournant autour, douce symphonie de bonheur et de joie, annonçant une digne nuit de noces pour de passionnés ébats.

Ils coulèrent des jours heureux des semaines durant. Jeunes gens qui n’avaient d’yeux que pour eux. Qui avaient oublié le monde autour d’eux. Ils se miraient l’un l’autre, s’enlaçaient avec tendresse, de l’autre s’enivraient avec ivresse, délaissant tous leurs hôtes. Elyan, enfin véritable prince, put chérir sa belle princesse. Mais aussi choyer ses parents, qui avait tant souffert mais qui lui avaient tout offert : de tout besoin il les mit à l’abri.

Bonheur fut à son paroxysme quand on leur annonça la venue d’un enfant. Un fils viendrait combler la royale lignée. Un nouveau nom de prince pourrait bientôt être chanté.

Mais voilà, le bonheur si parfait ne pouvait durer. Et quand les cris du premier né rugirent, réapparut la sinistre entité. Il réclama son dû, son propre vœu : l’enfant. Il voulait ce premier sang. Le jeune prince refusa, sa femme en larmes ne voulut lâcher leur nouveau-né. Le génie n’usa pas de force mais maudit le couple pour l’éternité.

Ah ! Elyan avait voulu être couronné ? Et bien il le serait, et hanterait les forêts autour à tout jamais. Il serait un prince renne, par les siens désormais chassé, d’un palais plus jamais il ne pourrait approcher, et son enfant lui serait ravi par les cieux quand l’heure aura sonné. Les deux amants maudits furent transformés, lui en renne couronné, elle en femelle apeurée. L’enfant ne fut plus que faon anormalement tacheté. Le palais alerté chassa ces animaux honnis, qui avaient osé pénétrer dans leur demeure dorée. Les deux rennes fuirent dans la forêt, avec leur faon effarouché.

Bientôt ils se perdirent dans cette immense forêt, les branches claquant autour d’eux, les arbres menaçants de leur ombre ténébreuse. Ils tentèrent de trouver un endroit où se réfugier. Deux jours passèrent et ils commencèrent à se faire une raison, à accepter cette vérité hideuse. Peut-être n’étaient-ils plus qu’animaux, mais ils étaient ensemble, n’est-ce pas ? C’était là tout ce qui comptait. Ensemble, ils pourraient survivre à tout, rien ne pouvait les atteindre, ensemble ils seraient invincibles et rien ne pourrait les contraindre. Ils apprivoisèrent leur nouveau corps, leur nouvel environnement et en leur coeur pulsa un sentiment bien plus noble, bien plus fort. Ensemble, ils s’aimaient, c’était tout ce qui importait.

Cent nuits passèrent ainsi. Une douce léthargie s’insinuait. Un autre rythme de vie s’imposait.

Mais le cent et unième jour... un tonnerre éclata.

Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 7 Juin 2019 - 19:27, édité 1 fois

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Chapitre 4


Un tonnerre rugit non loin d’eux. Et un autre. Et un autre encore, en un ballet affreux. Un orage tonitruant les prit de tout côté. Ils semblaient complètement cernés. Un éclair lumineux les aveugla à quelques pas et un vieil arbre centenaire fut foudroyé. Le couple et son faon frémirent de peur, une onde glacée leur hérissa le poil et leur étreignit le coeur. Un grondement sinistre fit vibrer la terre sous leurs sabots. Le grand renne couronné frappa le sol de petits coups rapides tout en regardant vers le haut. La cime des arbres formait une immense voûte mais entre les branches agitées le ciel se paraît de son manteau le plus noir. Il fit quelques pas vers la sortie de la forêt, mais un éclair lui barra la route, manquant de le foudroyer, lui et cet espoir.

Un autre pas à droite, un éclair rugissant de nouveau. Un autre pas à gauche, et la colère du ciel toujours grondant. Le renne couronné se retourna vers sa petite famille, et l’entraina dans son sillage au coeur de la forêt. C’était là pure folie, pensa-t-il tout en évitant un arbre tombé d’un saut gracile. Ils allaient en plein coeur du piège. Pourtant ils n’avaient d’autres choix, toutes les autres voies leur étaient fermées.

Une autre branche traitre, un autre saut, par dessus son épaule il jeta un coup d’oeil apeuré. Son faon et sa reine vaillamment suivaient. Mais derrière eux, un feu s’embrasait et empourprait la forêt.
Il redoubla l’allure, encourageant les siens de brames inquiets. Ils fuirent les flammes avec frénésie, folle peur consumant leur sens, et tout espoir se réduisant en cendres.

Un autre regard, tous deux suivaient. Un arbre devant eux craqua et tombait. Il fit un écart et de peu l’évita. Sur la gauche, il prit le petit sentier, et à folle allure continua. Il avait l’impression de voir une sortie se dessiner, là-bas au loin, devant eux entre les branches enchevêtrées. Fuir, fuir était sa seule pensée, folle utopie. Un autre coup d’oeil et peur panique le submergea : son petit faon n’était plus là !

En effet petit faon n’était pas encore bien vaillant et de peur se perdit. Le feu rugissant toutefois bien vite le rattrapa et d’un mur menaçant l’enveloppa. Dans la vieille clairière, il se retrouva encerclé. Par les flammes cerné, il pouvait presque les sentir le lécher.

Le renne couronné brama de peur et de rage, son petit faon lui répondit. Il entraina avec lui sa reine et avec une folle énergie, son petit faon rejoignit. Mais les flammes lui barrèrent le chemin. Il tenta de les braver et de sauter par dessus ce mur embrasé. Il ne put que se bruler, et entendit son petit faon pleurer. Pour mourir sous ses yeux, consumé par un feu sans fin. Il entendit sa reine hurler sa peine, éplorée, puis dans les flammes ardentes elle aussi se jeter. Le renne couronné s’apprêtait à les rejoindre lui aussi dans le mort. À quoi bon leur survivre, s’il restait seul alors ? Mais… le ciel se mit lui aussi à pleurer et une averse torrentielle éteignit le grand brasier.

Le renne rugit sa colère au ciel. Il lui avait ravi son fils et sa belle ! Et il ne lui avait pas laissé les rejoindre. Était-ce donc son destin de vivre sans plus pouvoir les étreindre ?

Cent nuits passèrent où il hurla sa colère à la lune. Désespoir rongea son coeur avec amertume.

Puis, au cent et unième jour, soudain, une belle entité devant lui apparut. Elle avait un message pour lui, s’il voulait être leur élu...

Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 7 Juin 2019 - 19:28, édité 1 fois

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Chapitre 5


Le renne couronné en resta bouche bée. L’entité était plus belle encore que l’être de la fiole piégée. De forme également éthérée, elle pulsait d’une douce lumière. Elle brillait tant qu’il était difficile d’en distinguer les traits mais on les devinait beaux et fiers. Quel était-ce encore que cette magie ? Une autre entité venue lui faire subir quelque duperie ? Une envoyée du ciel qu’il avait tant maudit ? Et qui, son faon chéri, sa belle aimée, lui avait ravis ?

– Non le ciel ne t’a rien ravi, fit l’entité d’une douce voix. Non, renne couronné, tu as choisi seul ta vie. Tu as fait des vœux, des choix. Et ce sont eux qui t’ont conduit jusqu’ici. Non les cieux ne t’ont rien ravi.

Le renne ne dit mot, mais ses paroles n’apaisèrent en rien ses maux.

– Les cieux ont même entendu ton ardente peine. Tu as fait des erreurs petit renne. Mais nous voulons te donner une dernière chance, tu vas pouvoir te racheter et retrouver ta belle et ton enfant.

Le renne resta toujours coi, mais en larmes acquiesça. Était-ce encore mensonges éhontés ? Ou pouvait-il laisser l’espoir en son coeur s’installer ?

– Non, petit renne, espoir est là, tu peux y croire. Mon frère Néant t’a trompé et de tes beaux rêves a abusé. Il aime détruire autour de lui, et semer partout où il passe le vide. Mais nous ne pouvons laisser nos enfants subir sa colère. Nous avons entendu tes pleurs et tes prières. Et nous allons te montrer la voie pour racheter tes erreurs. Il te faudra oublier toute avidité, et écouter ton coeur.

Le renne couronné sentit les larmes ruisseler, mais acquiesça et accepta ce nouveau marché.

– Laisse-moi tout d’abord te conter une histoire, reprit l’entité.

Et d’un geste noble, sur l’herbe humide, l’invita à s’asseoir. Ce que fit le renne couronné. La belle entité lui conta l’histoire de ses frères et sœurs, issus de Magie. L’existence de ce frère, ce mauvais génie, qui avait renié sa fratrie. Il ne voulait plus obéir à Magie, il ne voulait plus protéger ce monde. Son coeur était rongé d’une sombre nostalgie et se laissa envahir par les ombres. Magie et ses autres enfants furent peinés et tentèrent de ramener l’enfant perdu de ces ténébreux sentiers. Mais il ne voulut les écouter. Il repoussa toute main tendue et laissa ses envies destructrices tout ravager. Il s’enfonça toujours plus profond dans les méandres du Néant et même Magie dut se résoudre à neutraliser ce sombre enfant.

Mais ce frère du vide était rusé. Il sut se cacher avec intelligence et efficacité. Il s’amusa des faibles coeurs et les dupa en usant de leurs plus folles ardeurs. Il leur promettait mille merveilles, et un sort meilleur. Un génie qui se moquait de Mère Magie et en pervertissait l’essence même en l’utilisant à tort pour nuire à autrui.

– La magie est belle, souffla l’entité, la magie est puissante et peut tout magnifier. Mais la magie ne devait être utilisée qu’avec bon sens, pour aider le monde, pas pour le détruire dans son essence. Aide-nous petit renne, et nous t’aiderons aussi. Aide-nous, retrouve notre frère avili et aide-nous à le neutraliser.

Le renne, dans un lourd hochement de tête, accepta. C’était là son unique chance mais surtout sa rédemption pour un autre au-delà. Il savait comment retrouver ce frère honni. Il lui fallait retrouver le vieil objet maudit. Cette fiole fourbe : c’était ainsi que l’être happait ses proies. Il avait laissé la fiole chez ses vieux parents, dans cet ancien chez-soi.

Aller là-bas. Retrouver ses parents, qui ne le reconnaitraient pas. Un grand risque, il n’avait pas le droit au moindre faux pas.

Le renne prit son courage à deux mains et s’y rendit. Il vit son père le menacer de son épée brandie. Le renne couronné se fit humble et s’inclina. D’un regard clair il observa son père qui son épée abaissa. Alors d’un pas doux le renne entra dans la maison et trouva l’objet. Sa mère déjà frottait la fiole aux âpres attraits…

Il voulut l’arrêter, et envoya son sabot, telle une main. Mais il percuta la tête de sa mère en plein élan sur son chemin. Sa mère tomba à terre, et lâcha l’objet dans son dernier soupir. Le renne s’approcha, des larmes ruisselant sur ses joues de sang salies. Sans prendre garde à ce qui tapissait le sol souillé… et son sabot frotta l’objet oublié.

L’être du vide sortit de sa fiole en une ombre éthérée et ricana en le voyant lui et sa mère décédée. Le renne couronné rugit de peine et de colère. Mais sous la douleur, il ne put que poser genou à terre. Son père arriva soudain, regarda la scène hébété, et menaça le renne de son épée. Il voulut frapper mais fut arrêté par l’entité. Et sur le coup fut tué. L’être avait entendu le vœu du fils, du cerf couronné. Cet instinct qui priait de le sauver. Et il venait de l’exaucer.

Le renne manqua suffoquer devant la scène macabre.

– Je t’avais pourtant dit que tu ne pourrais jamais plus approcher d’humain. Que plus jamais tu ne pourrais côtoyer ceux qui avaient été les tiens, susurra l’entité sournoise tout en le sondant de son expression de marbre.

Et de nouveau la voix et les conseils insidieux de la sombre entité résonnèrent en lui. Il pouvait tout recommencer. Il avait encore deux vœux, deux, et tout pourrait aller mieux. Redevenir humain, ou même prince, et cette fois il ne serait pas maudit. Tentation douce un court instant. Il pourrait aussi retrouver une autre belle, susurra l’être, et son enfant.

Ce fut le murmure de trop. Le renne couronné réalisa alors la cupidité qui avait rongé son coeur jusque-là. Mais son amour, réel, pour sa belle, et son petit faon, était plus fort que tout. Non, il ne ferait pas deux fois son erreur, il n’était pas si fou. Pas de vœu cupide ou égoïste pour cette fois-là. La magie était puissante, mais belle, lui avait dit la lumineuse entité, mais la magie devait servir à une noble et grande cause, pas à de petits forfaits aux saveurs éphémères et aux plaisirs écourtés.

Il secoua alors la tête en négation et sourit à l’être mauvais qui le sondait. Il avait un vœu qui lui était cher oui, un vœu : qu’il disparaisse à jamais. De son monde, et de la terre entière. Le génie perdit tout sourire, et le foudroya d’un regard amer. Mais s’il usait de ruse pour happer ses proies, il était lui-même tenu à un serment. Il devait exaucer les vœux même les plus déments, sous peine de perdre lui-même tous ses pouvoirs. Mais… disparaître avec ses pouvoirs ? Ou perdre ses pouvoirs et rester ici bas ? Non, il ne pouvait abandonner toute sa puissance… Il choisit alors d’exaucer le vœu, tel le contrat. Il disparut ainsi dans une purée de pois et, du monde mortel, disparut cette sombre essence.

Et le renne s’effondra près de ses parents morts. Cent nuits il les pleura, des larmes de cendres, des larmes d’or.

Mais, au cent et unième jour, la lumineuse entité réapparut. Et avec elle, l’espoir gonfla son coeur perdu.

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Chapitre 6


La lumineuse entité le félicita. Il avait accompli sa mission. Leur sombre frère avait fui même si toujours nourri de son irraison. De chagrin et de douleur affligé, le renne renifla.

Il écoutait la belle entité envoyée par Magie, mais son espoir s’effritait à chaque mot, craignant duperie.

– Mais il te reste encore un vœu, petit renne, murmura la douce voix. Choisis bien, n’écoute que ton coeur, nul autre que toi ne choisira ta nouvelle voie. Quel est ton vœu, petit renne ?

Le renne couronné sentit son coeur battre fort d’espoir et de peine.

Un vœu, encore un ! Cette fois il ne se tromperait pas. Et il n’hésita pas. Il voulait les rejoindre, son aimée et son faon. Et son père et sa mère aussi, peut-être, ces êtres chers qu’il aimait tant. Qu’importe où ils étaient, il voulait être avec eux à jamais.

L’entité lui sourit.

– Tu as enfin compris. Oui, le véritable pouvoir de Mère magie se révèle en effet, quand tu l’utilises par amour. Mais moi aussi j’ai un vœu pour toi, petit renne couronné qui a tant voulu et tant donné. Oui, tu vas les rejoindre dans un au-delà pour toujours. Mais avant cela...

D’un geste, elle rendit son apparence au jeune renne, qui redevint un jeune homme aux beaux attraits.

– Oui, Elyan, tu les retrouveras pour toujours et à jamais.

Elyan… Depuis combien de temps n’avait-il pas entendu ce nom-là ?

Puis d’un autre geste, la belle entité le fit disparaître. Il se transforma soudain en une petite lumière. Petite orbe pulsante qui monta au ciel, ce ciel qu’il avait tant invectivé, et soudain deux petites lumières le rejoignirent en un doux ballet. Les trois lucioles s’unirent et dansèrent, dans le ciel s’illuminèrent, et aveuglèrent un court instant les étoiles autour. Pour finalement les rejoindre en un triangle parfait, dans cette céleste toile unis à jamais et pour toujours.


~~ FIN ~~

descriptionIlhan Avente - Le Renne Couronné, des Contes des cent et une lunes EmptyRe: Ilhan Avente - Le Renne Couronné, des Contes des cent et une lunes

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