Les contes althaïens des cent et une lunes
Il était une fois… un roi qui vivait heureux avec son épouse. Tout irradiait de bonheur dans son palais, jusqu’au jour où sa femme fut éprise d’un autre et le trahit. Fou de rage et de peine, le roi la tua, dans un coup de folie. Désespéré, il se remaria. Mais tua sa nouvelle épousée. Et recommença le lendemain, et le lendemain encore… Chaque matin se finissait dans une marre de sang, lui berçant le corps gisant de sa nouvelle épouse. Aucune ne passait une seconde nuit.
Les épouses se succédèrent et l’humeur naguère joyeuse du palais s’assombrit de jour en jour, de nuit en nuit. Jusqu’à ce que…
Arriva une jeune femme à la beauté radieuse. Elle se proposa elle-même pour devenir l’épouse du roi fou. Son nom était Ayashaad. Le soir de son mariage, elle commença à lui conter une histoire... et reporta la fin au lendemain. Tant et si bien que le roi, éperdu de ce conte, voulut en connaître la suite et l’épargna. Le soir vint de nouveau, la jeune épousée survécut et raconta la suite de son histoire… reportant la suite encore au lendemain. Et encore, et encore…
Cent lunes passèrent ainsi, et finalement le roi fou se prit d’affection et de tendresse pour sa belle conteuse. Il ne put l’exécuter et ils vécurent heureux des années durant.
Voici une des histoires de Ayashaad.
L’histoire du renne couronné.
Chapitre un
Il était une fois...
Un jeune homme peu fortuné artisan de son métier, qui errait dans les rues à la limite de la mendicité. Faim et froid avaient frappé à sa porte, père et mère étaient souffrants, agonisants, ils risquaient de ne pas passer l’hiver. Ces sombres pensées ravageaient l’esprit du jeune homme, alors qu’il errait dans les rues, à la recherche d’une nouvelle commande.
Quand soudain, son regard happa l’agitation sur la place centrale. Un noble roi se pavanait, escorté de preux chevaliers. Mais ce qui subjugua Elyan, comme le jeune homme s’appelait, fut la merveille qui irradiait à ses côtés. Telle une perle d’ivoire satinée. Une jeune femme splendide, à la chevelure de jais et aux yeux d’azur. Elyan sentit son coeur battre tambour. Là, son destin se tenait devant lui, dans cette immense cour. Pourtant peur et honte le tétanisèrent. Aucun geste il ne fit, aucun pas il n’osa. Et il resta figé telle une statue de cire. Non lui pauvre mendiant, il ne pouvait oser espérer un regard de cette belle, ce serait un outrage à cette beauté. Ces yeux si purs et si limpides risquaient de se souiller à sa simple vue. Il se tapit donc dans l’ombre et l’observa partir, d'un sourire triste et d'une larme affligée.
Sa belle était partie depuis longtemps quand enfin il se détourna. Dans un soupir à fendre l’âme, il s’écarta de son petit muret. Il laissa ses pas le trainer sur d'étranges sentiers. Jamais encore il ne les avait empruntés. Le soir tomba, les ténèbres montèrent, mais son chemin il continua. Sans savoir où il allait. Et soudain, il trébucha. Il s’apprêtait à invectiver racine et motte de terre qui avaient osé l’enchevêtrer, quand soudain il aperçut un éclat. Il regarda autour de lui et constata se trouver dans d’anciennes ruines. Ces vieux tombeaux qu’on disait maudits. Et là, près d’une des vieilles pierres aux noms effacés, un objet, scintillant, l’appelant. À tâtons et à quatre pattes, Elyan l’approcha. Longuement l’observa. L’objet semblait chuchoter. Ou peut-être n’était-ce que le vent ?
Pourtant sa main caressa l’objet. Et enfin, tremblante, apeurée, s’en saisit. Il s’agissait d’une fiole, aux courbes doucement esquissées, au verre sale presque brisé.
Intrigué, Elyan l’observa à la lumière de la lune. Une vapeur étrange semblait flotter à l’intérieur. Mais le verre était si terni… Doucement de sa manche grise, il en frotta la surface lisse. Et soudain une vapeur bleutée en sortit. Elyan sursauta et relâcha la fiole avant de vivement reculer. Tous ses instincts lui hurlaient de fuir. C’était là de la magie ! Mais si près des ruines maudites ? Était-ce de ces sombres magies qu’on leur contait dans les vieilles histoires ? Elyan frissonna. Et pourtant il ne put détourner le regard et ne prit pas la fuite. Non, il ne pouvait se détacher de cette belle lumière bleue qui tout doucement scintillait, là, devant lui. Et peu à peu prenait forme, oui.
La vapeur palpitait de vie, au sein de cette sombre nuit. Une forme, une silhouette !
– Bonjour, jeune maître, murmura enfin l’être vaporeux. Je te remercie de m’avoir libéré.
Son coeur manqua un battement, ses yeux pétillaient de joie et d’effroi, mais il n’eut toujours aucun mouvement.
– Je m’appelle Schaarim et je suis là pour te servir, jeune maître, reprit l’être.
Elyan déglutit, la gorge sèche, et trouva enfin le courage de réagir.
– Qu’es-tu ? Tu étais… dans la fiole… et soudain tu es…
– Sorti. Oui. Grâce à toi. Certains disent que je suis un démiurge. J’ai été enfermé ici par mes frères et soeurs. Mais tu m’as libéré. Et je t’en sais gré.
Elyan hocha la tête, même s’il n’était pas bien sûr de comprendre. Démiurge ? Un dieu ? Là, devant lui ? Il était vrai que l’être était… sublime, magnifique. Irradiant de magie pure. Mais…
– Je lis le doute en toi. Et c’est normal. Mais je ne souhaite que ton bien. Et surtout je souhaite te remercier. Je peux exaucer pour toi trois vœux.
– Trois… vœux ?
– Oui, trois vœux. N’importe lesquels. Ordonne et j’exaucerai.
– N’importe lesquels ? Vraiment ?
– Je suis un démiurge. Oui, vraiment, n’importe lesquels. Tout m’est possible. Mais attention, ajouta l’être en levant un doigt éthéré, tu as le droit à trois vœux seulement. Réfléchis bien.
Elyan acquiesça en silence, et réfléchit. Avec ces vœux, il pourrait ravir la main de cette belle dame qu’il avait vue l’après-midi. Mais…
Mais ce serait égoïste non ? Et s’il y avait un vœu, un seul, qu’il voulait exaucer, c’était…
– Sauve ma mère. Sauve-lui la vie. Elle est mourante.
L’entité acquiesça avec un étrange sourire.
– Bien. Elle est sauvée. Prends la fiole avec toi. Et rentre donc vérifier. Je serai là, tu n’auras qu’à frotter le verre et je reviendrai. Tu auras deux autres vœux à exaucer.
Et à ces mots, l’être disparut.
Aussitôt Elyan attrapa la fiole, et courut rejoindre sa maisonnée. Il était tard. Ou plutôt très tôt le matin. Mais il ne put s’empêcher de pénétrer la chambre de ses parents. Il aperçut sa mère, debout, vivante, et radieuse de santé. Elle tenait la main de son époux, des larmes et de joie et de peine coulant sur ses joues.
Elyan s’élança vers elle et tendrement l’enlaça. Il la serra de toutes ses forces, manquant l’étouffer. L’entité avait dit vrai !
Mais sa mère pleurait. Elyan s’écarta alors doucement et aperçut son père, sur son lit mourant.
Schaarim ! songea alors Elyan. Il sortit en courant, s’enferma dans sa chambre, et frotta sa petite fiole avec avidité.
– Merci, merci, noble démiurge. Tu l’as sauvée !
– Je te l’avais dit. Tu as fait un vœu, il a été exaucé. Il t’en reste deux.
– Alors maintenant sauve mon père, souffla Elyan sans hésitation.
– Soit. Comme tu le souhaites.
Elyan n’attendit pas et de nouveau se rua dans la chambrée. Et vit son père doucement se lever, encore hagard. Il se rua sur lui, et comme sa mère l’enlaça, tous trois formant une belle chaine et pleurant de joie. Il contempla alors avec tendresse les retrouvailles de ses parents aimés. D’un doux sourire, il sortit à reculons, à pas comptés.
Un vœu. Il lui restait un vœu. Tout était possible, avec un vœu il pourrait… Il frotta de nouveau la fiole, fébrile et fou d’espoir. Déjà du deuxième jour tombait le soir. Mais pour lui, peu importait.
Un vœu, encore un. Il ne devait pas se tromper.
– Jeune maître, vous m’avez demandé, fit Schaarim en un doux sourire.
Elyan hocha la tête.
– Tu veux réclamer ton troisième vœu ?
Nouveau hochement de tête.
– Alors choisis bien. Il ne t’en reste plus qu’un.
– Oui, oui, je voudrais…
La main de cette belle dame, songea-t-il, mais sa gorge sèche lui refusa ces deux mots. Pourtant l'être sembla avoir encore lu en lui.
– Réfléchis. Est-ce le meilleur à demander ? Tu pourrais demander plus, mieux, et tout avoir… Tout. Et plus encore, susurra l’entité.
Elyan alors hésita. Effectivement, à bien y songer… Demander d’épouser sa belle et après ? Il était pauvre, presque mendiant, le froid et la faim étaient toujours là. Ses parents mourraient de nouveau de faim. S’il ne trouvait pas à les sortir de là, ses deux premiers vœux n’auront servi à rien. Rien.
Schaarim avait raison, il devait songer à plus, plus grand, plus puissant. Plus… puissant… Qu’est-ce qui en ce monde était suffisamment puissant pour vaincre le froid, la faim, et ravir sa belle aussi ? Il ne savait. Il hésita, et préféra attendre. Il congédia Schaarim. Il ne devait pas se tromper.
Cent nuits il hésita. Et soudain, au cent et unième jour, il trouva.
Les princes, susurra une petite voix en son esprit. Il lui fallait devenir prince. Qui de plus puissant qu’un prince devenant roi ? Qui épousait les princesses si ce n’étaient les princes eux-mêmes ? Voilà la solution ! Oui, un prince a tout pour lui. Il aurait ainsi de quoi faire vivre ses parents, sa famille, sans crier à l’agonie… et il pourrait vivre son amour éternel avec sa belle. On ne refuse pas les vœux d’un prince n’est-ce pas ?
Alors il appela son dieu. Schaarim apparut et exauça son vœu. Puis le démiurge disparut, libéré de sa proie.
Elyan devint prince, fou de joie. Il n’avait toutefois pas précisé prince de quoi...
Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 7 Juin 2019 - 19:26, édité 1 fois