Inès et le corbeau maudit
Chapitre I : Les étoiles noires du bûcher
Le premier jour de septembre, les chants aux mélodies graves résonnèrent dans les hauts quartiers de Gloria. Sous un ciel pâle, frais et humide, Inès, tout de noir vêtue, montait une jument à la robe claire. Devant elle, deux gardes à cheval, et derrière elle, un corps inerte était transporté sur une carriole décorée d’or. Ils descendirent le long de la magnifique et les gardes leur ouvrirent les portes de la ville. Une vingtaine d’hommes et de femmes passèrent derrière la carriole en marchant, la tête basse et chantant en cœur.
Inès, elle, murmurait ses prières aux déesses Mort et Vie à toute allure. Elle les implora d’être clémentes avec son père qui ce matin se remettait à elles dans le cycle qui le réclamait.
« Et feu, toi qui es la plus mal aimée de tes sœurs, je prononce ton nom afin d’éclairer son attente entre la mort et la vie. »
À l’extérieur de la ville, on sortit le corps de la carriole et on le posa sur un bûcher. Inès s’approcha du corps et l’observa une dernière fois. Elle posa ses doigts fins sur le visage froid, désirant plus que tout à ce moment imprégner dans sa mémoire les doux traits de son père. Elle passa les doigts sur les rides près de ses yeux, songeant qu’elle aurait tant aimé voir les rides sur son visage se multiplier avant de le voir brûler vers le royaume des morts. À cette pensée, ses lèvres tremblèrent dans un rictus de douleur. Elle prit l’une de ses mains immobiles et la serra entre les siennes. Et comme son visage s’effondrait, ses genoux se posaient sur l’herbe mouillée de la rosée. Inès s’efforça de ne pas maudire les Déesses, songeant qu’elle avait besoin de leurs grâces aujourd'hui plus que jamais. Les longues mèches blondes se déposaient sur le sol alors qu’elle baissait la tête comme si elle faisait face à son exécution. Et tous regardèrent la fille s’humilier en silence.
Inès releva la tête et usa de toute sa force intérieure pour inspirer profondément avant de porter son regard vers le ciel. La voix haute et forte, elle prononça pour tous : « Augustus Soreneir de la magnifique, je te rends aujourd'hui aux déesses : Vie, ta créatrice, et Mort, qui t’accueillera généreusement en son royaume. Puissent-elles voir la force et la bonté de ton âme comme elle me fût bonne et grande. Puisses-tu revivre dans le cycle de leur bénédiction. »
Inès se releva, digne, elle replaça le joyau au centre du cou de son père et recula parmi la petite foule. Tous regardèrent le bûcher s’embraser puis baissèrent la tête alors que la chaleur du brasier leur chauffait les joues. Mais Inès, elle, regardait vers le ciel qui se teintait d’étoiles noires sous la lumière rouge. Et parmi les cendres qui volaient, une plume de la même couleur tomba, alors qu’un corbeau descendit sur le macabre paysage. Il se posa sur l’une des planches du bûcher, sans pourtant sembler effrayé par le feu.
« Ô corbeau, dis-moi, combien de morts injustes as-tu vues ? Ne mange pas les yeux de mon père, car il fût bon et juste. »
C’est avec grande surprise qu’Inès entendit l’oiseau lui répondre.
Dernière édition par Autone Falkire le Sam 29 Déc 2018 - 6:40, édité 1 fois