Conte issu de Paadshail : Nuliajuk la Borgne, Mère des océans
Il y a très très longtemps, alors que les graärh venaient tout juste d'être élevés au dessus des Smilodons pour devenir une jeune race pensante et bénie par les Esprits-Liés, une tribu quitta les terres fertiles de Néthéril pour gagner Paadshail qui était alors une île sévère, stérile et glacée. Ses eaux n'offraient rien de plus qu'un linceul de froide mort alors que son sol dur ne possédait qu'un gibier rare et farouche. Il était impossible de cultiver et bientôt seuls les plus robustes purent survivre.
Dans cette tribu se trouvait Anguta, un chasseur émérite qui était le père d'une jeune graärh réputée aussi belle que douée dans les arts de la broderie et du tannage. Elle s'appelait Nuliajuk et malgré ses nombreux dons, elle refusait de se choisir un mâle. Son père aurait aimé qu'elle choisisse un bon reproducteur pour qu'ils puissent chasser ensemble et avoir une descendance forte afin de survivre sur Paadshail. Excédé, il finit par la rabrouer sèchement : « Autant t'accoupler avec un animal puisque tu rejettes tous tes prétendants ! » Et ainsi il l'emporta sur un îlot proche, l'abandonnant là avec son renard des glaces dans l'espoir qu'elle médite sur son comportement égoïste.
Un jour, un graärh arriva sur une barque et invita Nuliajuk à se joindre à lui. La jeune femelle accepta, voyant là une bonne occasion pour fuir l'île et prit place dans le bateau de l'inconnu. A l'issu d'un long voyage, ils finirent par arriver au village de l'inconnu et Nuliajuk le choisit comme compagnon. Elle comprit rapidement qu'il n'était pas un graärh, mais un Jonkped capable de prendre forme féline. Terrifiée, elle ne songeait dès lors qu'à s'échapper.
Entre-temps, son père, qui la cherchait, la vit et se cacha derrière des rochers en attendant que la créature soit partie. Une fois le Jonkped envolé, lui et sa fille quittèrent rapidement le village pour s'enfuir à bord de leur embarcation. Malheureusement, la créature revint juste à temps pour voir la barque disparaître derrière un cap et, enragée, s'envola à leur poursuite ce qui provoqua une énorme tempête qui mit à mal le frêle esquif. Pour se sauver, Anguta jeta son propre enfant à l'océan.
Accrochée au rebord du bateau, toutes griffes sorties, Nuliajuk le supplia de la sauver.
Alors que la tempête redoublait, un par un, son père lui coupa les doigts... qui se transformèrent au contact de l'eau en poissons. Les pouces et les mains devinrent des phoques, des baleines, des orques et toute sorte d'animaux marins. Avant qu'elle ne disparaisse totalement dans les vagues, son père lui creva un œil d'un coup de pagaie.
Nuliajuk descendit vers le monde inférieur, au fond de l'océan où elle devint la maîtresse et la gardienne des animaux marins qui étaient nés de ses doigts et de ses mains. Son dos se transforma en banc de sable blanc, ses cornes en récif de corail alors que sa crinière fut une forêt d'algues emmêlées.
Anguta rejoignit le rivage, puis finalement son village. Il se reposait tranquillement dans son abri quand les flots montèrent et l'emportèrent. Il est désormais captif dans la gueule de Nuliajuk la Borgne dont le renard des glaces garde la porte.
Malgré le tort qui lui a été fait il y a très longtemps, Nuliajuk fait généralement preuve d'une grande générosité à l'égard des tribus de Paadshail à condition, bien entendu, qu'ils respectent ses règles. S'ils se révèlent dignes, elle libère les animaux dont elle a la responsabilité et ils obtiennent des pêches fructueuses. Lorsque les animaux se font rares, ils organisent une cérémonie à son honneur et l'un des Naayak va alors lui parler pour la supplier de laisser partir les poissons et les autres animaux marins... et si jamais un acte tabou est violé, nous devons aller jusqu'à sa crinière d'algues pour la lui peigner et ainsi libérer les créatures captives telles que les baleines et les phoques.
La morale est qu'il ne faut jamais servir ses propres intérêts avant ceux de la tribu. Que cela soit par les actes de Nuliajuk refusant tous les mâles, pour finalement accepter un inconnu pour fuir sa responsabilité initiale, ou encore son père qui l'aura abandonnée aux flots enragés ; prendre pour acquis ce que l'on possède est une pensée dangereuse qui ne mènera qu'à votre perte.
Rien n'est dû et tout doit se gagner.
Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Jeu 27 Déc 2018 - 18:09, édité 1 fois