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2 Janvier 1763


Le ciel azuré était vide de tout nuage, clair et libre, annonçant une belle journée, en un temps idéal pour naviguer. Par bonheur, leur voyage depuis Néthéril s'était déroulé sans encombre, paisible et serein ce qui n'était pas anodin en cette période de l'année où les vents pouvaient s'avérer violents et où les tempêtes se déclaraient promptement. La terre qu'ils avaient quitté vivait sous l'emprise d'une chaleur constante, même dans les mois les plus froids de l'année. Ce n'était pas le cas de Calastin, qui disposait d'un climat plus tempéré et connaissait ainsi la morsure du givre au sein de l'hiver. La rencontre des vents chauds et froids pouvait conduire à quelques surprises de tailles, parfois même mortelles. Fort de cette connaissance, le capitaine du navire sur lequel l'elfe voyageait n'avait eut de cesse de le prévenir. Et lui n'avait, bien entendu, eut de cesse de lui affirmer que tout irait très bien, et qu'il prenait le risque en toute connaissance de cause. Ainsi, à présent qu'ils approchaient du port de Caladon, Kehlvehan se trouvait satisfait d'avoir effectuer ce pari. L'hiver était la saison la plus propice aux déplacements, pour lui, car c'était la saison où ses devoirs le contraignait le moins, contrairement au printemps, temps du renouveau, la vie couronnée de triomphe revenant en ce monde pour le faire déborder de ses dons. Ce temps béni était encore absent, alors que Décembre tirait sa révérence et que les premières lumières d'une nouvelle année scintillaient dans les cieux autant que dans les demeures. Il viendrait bien assez tôt et avec le carillon de son arrivée, le Gardien tirerait sa révérence pour s'en retourner sur le Domaine afin d'y célébrer l'éveil de la Mère Terre. Il y aurait alors des chants, de la musique et de grandes festivités. La fête de la Terre avait toujours été particulièrement importante pour l'Ordre, d'aussi loin que remontait sa mémoire. Son père y tenait particulièrement et il savait que son grand-père l'avait toujours fêté avec une passion, illuminant le Domaine de lueurs stellaires, plus brillantes que des milliers de bougies, lançant vers le ciel son défi au désespoir, un hymne vibrant d'émotions, une ode à la Vie, à l'Espoir. Il aurait aimé pouvoir en être lui-même témoin.

Un soupire lui échappa, alors qu'il émergeait de ses ruminations pour revenir à l'instant présent, un arrière goût amer dans la bouche. Repenser au passé n'était jamais une bonne idée, mais repenser à l'époque où il avait encore une famille réelle et unie était pire encore. Son enfance au sein du Domaine sur l'ancien continent était un rêve lointain, beau, nostalgique, et qui ne reviendrait jamais. Jamais. Y repenser ne servait à rien, sinon à le rendre triste et pire encore, à retourner l'ignoble couteau dans la plaie. Il devait se focaliser sur l'avenir, comme on se focalisait sur le retour inéluctable du printemps. La seule différence qui le démarquait ? Il voyait surtout l'Hiver revenir par la suite, avec son cortège de glace, et de nuit. Il y avait aussi de la beauté dans cet univers nocturne, mais il n'était plus aussi doux à son cœur meurtrit. Non, les songes du passé ne lui réussissaient vraiment pas. Mieux valait regarder droit devant soi. Sur le pont, les marins s’affairaient à préparer le navire pour l'arrivée à quai et son arrimage. On bordait les voiles, on tendait les cordages, on nettoyait le pont avec énergie au son des chansons entraînantes de la haute mer. Installé dans un coin en tant qu'invité d'honneur, le Gardien leur laissait le champ libre, se contentant de suivre l'activité des yeux, et se perdant parfois sur le vol d'une blanche mouette venant jouer entre les mâts en se moquant d'eux. L'eau scintillait contre la coque, sous les reflets du soleil haut dans le ciel, à peine teintée d'écume. Puis la fascination de son entourage immédiat se rompit tandis que la clameur des quais déferlait sur lui comme une puissante marée qu'il aurait totalement ignoré jusque là. Surpris sans le vouloir, Kehlvehan se redressa et se détourna du pont pour observer le port contre lequel ils accostaient à présent. Même au cœur des frimas l'activité se poursuivait au sein de cette haute place marchande, avec son échange de richesses, mais aussi la souillure d'un vicié mensonge, inhérent lorsque l'on touchait aux affects d'une cité et de ses besoins. Il aurait voulu pouvoir affirmer que c'était là un défaut du peuple enfant, mais hélas, il ne pouvait y prétendre. Même chez les elfes la fourberie existait, il était le mieux placé pour le savoir, même si celui qu'il était venu voir en avait également une excellente expérience.

D'autres navires étaient amarrés le long des docks, transportant des marchandises provenant de nombreux horizons. On y trouvait pourtant quelques incontournables de cette période de l'année. Les arbres dont le bois servirait à garnir les cheminées, mais également les chatoyantes cargaisons dont raffolaient les nantis de la ville, le vin venu des grandes propriétés, l'encens elfique, l'ambre et le sucre de néthéril et tant d'autres encore. Il pouvait être difficile de croire que de telles richesses terrestres étaient véhiculées dans des caisses d'aspect si pauvre, sur des quais humides et odorants, mais ainsi était le commerce, cœur de cette grande ville. Beaucoup de ces marchandises ne se retrouvaient jamais dans les entrepôts du Domaine, pas parce qu'ils ne pouvaient se les offrir mais bien parce qu'il n'était pas dans leurs coutumes de céder à une telle opulence. La Rhapsodie maintenait un esprit de pragmatisme, d'utilité et de sobriété… un esprit qui contredisait parfois avec ses propres goûts d'ailleurs mais qu'il avait apprit à aimer très tôt. Quittant son recoin il suivit finalement les marins qui déchargeaient les biens de leurs passagers et fit récupérer ce qui lui appartenait afin que ses effets soient livrés directement chez son hôte, un vieil ami qui s'était établit à Caladon comme guérisseur. Donnant l'adresse, il n'accompagna cependant pas la charrette, préférant faire un petit détour afin de prendre la mesure de la Revenante en hiver. L'année passée, il avait établit ses quartiers de saisons à Sélénia. Cela le changerait pour quelques semaines que de profiter des merveilles qu'avait à offrir la cité de l'or. D'un pas paisible, l'elfe emprunta une des rues principales menant aux échoppes et au cœur actif de la ville. Sous ses bottes, la neige crissait légèrement, fraîche et coupante. Elle ne datait que de quelques heures, et encore était-ce là une large estimation. Les murs des entrepôts et des nœuds logistiques de la ville laissèrent bientôt la place à des façades fringantes aux décorations hautes en couleurs et pourtant plus subtiles qu'on ne pourrait l'attendre du peuple enfant. Le rouge parme de certaines toitures le disputait au vert des espaces de végétation, les constructions s'agençant adroitement avec les carrés naturels. Néanmoins, cela manquait d'ambition à son goût, cela manquait de cette magie inhérente au domaine et au royaume elfique. Et oui, il se jetait des fleurs.

Dépassant le premier carrefour, l'elfe bifurqua après avoir demandé son chemin à l'un des gardes de la ville, vers les boutiques des tanneurs. Une destination étrange pour un membre de sa race, sans doute, mais il désirait trouver une peau pour le nouvel instrument qu'il travaillait à l'heure présente. Il avait effectué un premier essai avec une peau de chèvre et désirait tenter un second essai avec une peau de renne pour l’acoustique. S'étant vu conseillé l'un des tanneurs spécifiquement, il entra en faisant sonner le grelot de l'entrée et manqua rire à l'expression du marchand. Néanmoins, il n'était nullement d'humeur à le laisser bailler aux corneilles et mena sa barque sans lui laisser l'occasion de tisser le moindre boniment. Il ressortit une trentaine d'âpres minutes plus tard avec son acquisition, dans un nouveau bruit de cloche. Le paquet sous un bras, Kehlvehan déambula encore pendant un moment, continuant de s'imprégner de l'atmosphère citadine puis se convainquit enfin de faire son apparition chez son ancien apprenti. Humain, Lyssien, il arborait les traits typiques de son ethnie, avec des cheveux et une barbe blanchies, un peau couleur de pain d'épice et des yeux clairs brûlant d'un feu étincelant. Leur réunion fut joyeuse après une année de séparation et de très nombreux dangers, et Tau l'invita à profiter de cette première journée en sa compagnie avant de proposer une rencontre au Bourgmestre. Coi, Kehlvehan se garda de lui rétorquer que ce serait sans doute Aldaron qui viendrait à lui, après tous les agents du marché noir devant lesquels il était passé. Mais il s'en garda, car il n'était pas de son ressort de révéler ce que certains chuchotaient. Il ne mettrait pas en péril la discrétion de cette organisation simplement pour avoir le dernier mot dans une discussion amicale. A la place, il accepta sobrement l'invitation et le remercia de lui permettre de profiter de la chaleur de sa famille pendant quelques heures. Tous deux se comprenaient à demi-mots, tous deux savaient combien l'elfe souffrait encore de la perte de sa famille.

La fin de la journée fut des plus apaisantes pour lui. Installé avec son hôte dans deux fauteuils superbement décorés, ils discutèrent longuement, d'une voix tranquille. Près d'eux, l'âtre grondait d'une belle flambée, pour chasser un froid que seul les humains ressentaient. Les bûches crépitaient et crépitèrent d'autant plus lorsque le jeune fils du guérisseur se trompa et y déposa un morceau de sapin. Lui observa la réprimande d'un œil bienveillant, tentant tant bien que mal de ne pas se tourner vers son propre passé pour y trouver semblables échos. L'amour qui émanait de ses souvenirs n'avait d'égale que la douleur toujours aussi vive de la trahison subie.  Lorsque la nuit vint à recouvrir la ville, il se trouva gêné de constater que le dîner préparé à son intention était un véritable festin. Il comprenait aisément leur tradition de fêter dignement la venue d'un être apprécié surtout quand les visites étaient rares mais… tout de même. La table débordait beaucoup trop pour lui. Il mangea avec parcimonie, se consacrant avant tout aux éléments les plus nobles de la tablée : fruits de saisons, légumes rôtis. Le dessert, composé de confiseries à base de châtaigne, fut abandonné sans scrupule aux enfants qui s'en régalèrent. Les trilles de joie rendaient leur satisfaction plus palpable encore. Et elle ne fit qu'augmenter lorsqu'il quitta finalement la table pour chanter ses vêpres. Héritier de la lignée fondatrice, il était dépositaire de rites anciens et sacrés de l'Ordre et tenait à les faire vivre, aussi chantait-il chaque matin à l'aube pour saluer le soleil, et veillait-il chaque soir jusqu'à minuit afin de saluer la lune et les étoiles lorsqu'elles étaient au plus haut dans le ciel. Chaque journée était ainsi rythmée, et il ne dérogeait à la règle qu'en cas de besoin majeur. Pour cette fois, il fut accompagné de son ancien élève, qui lui servait de chœur, ayant prit cette habitude du temps de sa jeunesse, lorsqu'il étudiait sur l'ancien continent auprès de lui. Une façon de se rapprocher d'autant plus près de la perfection qui lui était si chère et si douloureuse.

Lorsqu'il eut achevé les vêpres et que le silence s'abattit de nouveau sur eux, le maître-chanteur souhaita une bonne nuit à son hôte et gagna la chambre qu'on lui avait allouée. Un chandelier constitué de coraux était installé dans un coin, la flamme des bougies tremblotante, jetant des lueurs et des ombres dans la pièce. Il se mit à l'aise, défit sa chevelure et se coucha sans toucher à cette source lumineuse, l'observant et se laissant bercer jusqu'à sombrer dans un sommeil sans rêves. Le lendemain matin, il était levé bien plus tôt que tout autre âme dans la maisonnée. Chantant les aubades, Kehlvehan attendit que son ancien apprenti se lève avant de prendre congé pour le reste de la journée, ayant reçu la confirmation que le Bourgmestre l'attendait par messager. Contrairement à ses habitudes, le Gardien se vêtit sobrement d'une tunique couleur de neige aux longs pans frôlant le sol, aux doublures d'argent et aux délicats filigranes, de gants sombres en daims ornés d'une fine doublure de fourrure poivre et sel aux poignets, d'une écharpe de soie aux chatoyantes couleurs, qui lui avait été donné en cadeau voilà longtemps par sa femme et qu'il affectionnait particulièrement et d'un long manteau d'un vert pâle comme une jeune pousse. Tressant simplement ses cheveux, il en glissa la pointe dans son écharpe puis quitta les lieux et se dirigea vers la demeure du Bourgmestre. Il aurait pu se présenter à son office, si c'était là ce que l'Indigne avait voulu, mais de toute évidence, leur rencontre se ferait sur un terrain plus personnel, et ce n'était pas plus mal, en un sens, sachant les nouvelles qu'il devait lui conter. Là encore, il n'était pas bien difficile de se repérer pour arriver à destination, et il laissa à l'un des employées de maison le loisir d'annoncer sa présence au maître des lieux. Introduit dans la riche demeure, un coup d’œil alentour et les vibrations du lieu lui apprirent que Valmys avait déjà commencé à faire de cette maison la sienne. Des souliers dans l'entrée, dans lesquelles on avait fourré à la hâte une paire de chaussettes, un rond, ou une boule, peinte derrière un meuble. Ah tient, il avait goûté aux spécialités Caladonniennes alors ?

- -

On le guida jusqu'au salon, après lui avoir prit son manteau et il prit le partit de s'asseoir sagement en attendant la prompte venue du maître des lieux qu'il sentait non loin, certainement très occupé par ses devoirs, qu'ils soient officiels ou familiaux. Distraitement, le chanteur jouait avec les deux dagues cérémonielles dont il se servait pour ses danses. Elles ne quittaient presque jamais sa ceinture, sans que lui-même soit tout à fait capable de dire pourquoi. Un souvenir ? Un vœu pieu ? Une dernière volonté ? Parfois il se demandait simplement s'il n'était pas fou. Les pas de son cadet le tirèrent de ses pensées et il se releva finalement pour le saluer sobrement.

« Leweïnra »

La voix grondante était dépourvue d'hostilité mais elle n'était pas pour autant chaleureuse. Il se montrait cependant rarement chaleureux avec qui que ce soit, ce n'était donc pas une marque de jugement de leur relation. Celle-ci, au demeurant, s'avérait de bon aloi lorsqu'ils s'en tenaient à des considérations purement officielles et pratiques. Car bien que certains puissent penser que leur cohabitation relevait du miracle, il n'en était rien. Tous deux étaient bien assez intelligents, normalement, pour différencier le privé du public et au demeurant, tous deux savaient se montrer courtois en toute circonstance. Ce n'était pas le cas de tous, et récemment, le Gardien des préceptes avouait aisément avoir été agréablement surpris de la constance et du doigté dont il avait fait preuve. Plus encore de sa résilience face aux épreuves.

« Merci de me recevoir »

Jamais il ne prenait la parole sans pleinement supporter les mots prononcés, à l'exception de ceux dictés par ses coupes. Il connaissait la charge de travail de son interlocuteur, pour partager nombre de ses devoirs au sein de son propre Domaine. Un bref instant, il l'observa attentivement, jaugeant de son état de santé en expert averti, puis, sans faire voix de ses conclusions, produisit hors du sac qui l'accompagnait deux bouteilles de verre scellées, l'un au contenu sombre, presque noir, l'autre au contenu aussi rosé que les écailles d'un saumon de rivière. Il avait motivé l'introduction d'activités supplémentaires lorsque le Domaine avait été reconstruit et parmi elles, celle qu'il appréciait définitivement le plus était le travail des vignes. La première année, les vins n'avaient pas été totalement satisfaisant, mais ça ne l'avait guère étonné. Cette fois cependant, ils étaient dignes d'une table extérieure.

« Il me semble que c'est une coutume locale que d'offrir un cadeau lorsque l'on vient visiter, n'est-ce pas ? »

Lui transmettant les deux bouteilles frappées du sceau de la Rhapsodie, l'elfe fit un pas pour reculer, croisant ses longs doigts avant de planter son regard dans celui de son vis à vis avec une tranchante franchise. Il s'était montré peu prolixe sur les raisons exactes de sa venue, pour de nombreuses raisons, mais rendu devant le principal intéressé… il allait bien devoir s'ouvrir, une chose extrêmement difficile à faire. Surtout à froid, alors qu'ils venaient juste de se saluer. A la place, il décida donc d'entamer sur autre chose, comme l'ouverture de la symphonie mène à son rythme principal à retardement. Fort heureusement, ils avaient de nombreux sujets communs qui pouvaient servir à dépasser le stade des premières hésitations.

« On a porté à ma connaissance votre souhait commun, avec l'Intendante, d'effectuer une modification du serment qui se trouve incrusté dans l'épée de l'Alliance... »

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    De... La peau de renne ? Outre le fait qu'on lui rapporta la présence du Gardien à Caladon, l'elfe avait trouvé ses emplettes aussi déconcertantes que sa venue. Heureusement qu'on trouvait de tout, dans la cité marchande, pour peu qu'on y mette le prix... Car Kehlvehan serait rentré au Domaine bredouille. Gageant de s'organiser une rencontre fortuite avec lui, au moins à titre diplomatique, sinon plus... Il s'était fait de nouveau surprendre par la demande qu'on lui adressait et qu'il retourna avec une politesse intriguée. Son domaine se faisait approprié, il y avait moins de monde alentours pour proférer d'honnis mensonges, excepté lui même... Mais il se jugulerait. Au palais de justice régnait abondance de foule, malgré la grandeur des lieux, rien ne valait le cocon d'intimité qu'il lui offrait... Une part de lui espérait trouver le courage de lui demander comment se portait Celëborn. Et s'ils venaient à glisser sur ce terrain pentu, il préférait que cela se fasse dans son salon plutôt que dans son bureau.

    Sur la table basse, de la vapeur d'eau parfumée quittait l’embouchure de la théière, le service était prêt. Quelques biscuits et des fruits venaient compléter le plateau en argent, reposant dans de petite coupelles de porcelaine blanche. Aucune fioriture néanmoins. Si l'elfe s'offrait le luxe d'un confort et d'une décoration riche, tout était épuré. Ne restaient que les matériaux bruts et leurs lignes délicates pour en honorer la grandeur. Les bois étaient lisses, parcimonieusement gravés, là où la porcelaine était d'un blanc immaculé. Cette simplicité lui venait de son propre parcourt : il n'était ni un elfe pour s'accorder l'harmonie de leur décoration étouffante, ni un humain pour n'accepter l'objet que pour son utilité fugace. Il était un entre deux.

    Cirthë, son fils, jouait avec la ceinture de cuir pendant que son père s'habillait. Le son tintant de la boucle attirait son intérêt et l'elfe le laissait à sa découverte du monde qui l'entourait. L'immaculé de quatre ans avait été adopté à son retour de Cordont. Son père avait jadis péri au front face aux chimères et sa mère, marchande, avait trouvé la mort lorsque la terre s'était effondrée tragiquement. Les elfes adultes étaient encore bien rares et confier un enfant avec une telle longévité à un couple d'humains aurait été préparer un nouveau deuil pour ce petit être. Aldaron lui avait offert un foyer et une double présence paternelle pour le guider. Tendant la main vers son enfant, il réclamait l'objet pour le passer autour de sa taille et cintrer sa tunique grise. Il confia le petit à sa gouvernante qui arrivait à pic pendant que le Gardien fut installé dans le salon.

    Descendant d'un étage pour le rejoindre, le bruit de ses pas se fit entendre sur le bois rougi du parquet. Ses mires verdoyantes se posaient sur la silhouette gracile et racée de Kehlvehan. Il aurait fallu être aveugle pour refuser de dire que cet homme n'était pas un chef d’œuvre à lui tout seul. Il était finement dessiné, comme bien d'harmonieux danseurs... Ou bien était-ce Aldaron qui virait un peu trop gérontophile. Inclinant respectueusement la tête pour le saluer, ses bras légèrement ouverts n'attendaient guère que le chantepluie vienne s'y loger. C'était un un geste d'accueil, mais également l'expression de sa surprise. Qu'aurait-il à cacher à cet homme qui entendait son chant-nom comme on respirait ? Il s'étonnait de le voir ici, à Caladon. « J'aurais regretté m'abstenir d'une entrevue avec vous, Gardien. Soyez le bienvenu. » Non seulement pour le manque de révérence qu'il aurait eu à l'égard du maître de la Rhapsodie, mais également parce que ses propres inclinaisons l'auraient mis mal à l'aise : n'était-il pas le professeur de Valmys ? Il avait suffisamment pêché sur sa première paternité pour être un éternel absent sur le second essai.

    C'est alors que la triste hypothèse fit son chemin dans son esprit : Kehlvehan venait-il le trouver pour lui annoncer une mauvaise nouvelle ? Ou son mécontentement au sujet de l'adoption de l'un de ses apprentis ? Son cœur se serrait à ces idées. Il n'envisageait pas encore la possibilité que Valmys lui soit arraché, par le malheur, la mort ou la volonté d'autrui. L'alcool offert vint lui retirer progressivement le noir tableau. Si Valmys avait rencontré le moindre désœuvrement, le Chantelarme ne prendrait pas ainsi son temps dans les offrandes : il irait droit au but. Prenant les bouteilles en main, il en observa les scellées, après un remerciement machinal mais pas moins authentique. L'ébauche qu'on lui offrit sur la raison d'une telle venue le tira de son observation alors que ses prunelles venaient s’ancrer dans le bleu d'ardoise de son vis-à-vis.

    Il arquait discrètement un sourcil tandis que sa tête se penchait un peu sur le côté. Étrange, il n'aurait pas parié là dessus comme motif d'entrevue. « Je peine à croire que vous soyez venu jusque Caladon pour traiter d'un sujet que des correspondances auraient pu couvrir avec aisance. » Il se mordit l'intérieur de la joue. Pour être honnête, une part de lui préférait se ranger à la stratégie du Gardien plutôt que d'entrer dans le vif du sujet. Car il y en avait un, c'était évident. Et si Kehlvehan préférait emprunter des chemin détourné, c'était qu'il devait bien avoir ses raisons. S'il était curieux, il s'en était suffisamment pris plein la figure par le peuple elfique en incarnant cet Indigne, pour qu'il ne veuille tendre la joue à frapper aisément. Aussi plia-t-il à sa demande implicite. Il l'invita d'un geste de la main à s'asseoir de nouveau, mais plutôt que de déposer les bouteilles un peu plus loin, il les mit sur la table. Elles détonnaient sérieusement avec le reste du petit déjeuner... Mais il avait le pré-sentiment, humain, qu'elles leur seraient de fort bonne utilité sous peu.

    Prenant lui-même place dans l'un des confortables fauteuils, il ébaucha une réponse : « Je vais quitter mes fonctions de Bourgmestre. » L'annonce n'était pas une surprise : l'elfe n'avait jamais réussi à tenir en place quelque part. Cela avait été sa déchéance jadis, auprès des elfes, et il n'avait pas changé sur ce point. « L'Intendante et moi pensons que lier des personnes à un serment vient très nettement réduire sa portée et sa fiabilité. Mon vœu restera inchangé, ma dévotion pour l'union des Cités Libres est sincère. Je crois en sa richesse... Mais ce serment ne liera pas le prochain bourgmestre. Ni les suivants. Il conviendra de renouveler le serment à chaque nomination, ce qui est à la fois fastidieux et risqué. Nous souhaitons que ce soit le cœur des Cités qui fasse ce vœu : leurs dirigeants, quelque soit leurs titres, quelque soit leurs intentions et leurs convictions. Lorsque nous nous sommes liés, nous pensions au présent et au front qui nous attendait. Il n'était pas encore question d'avenir. Maintenant... Maintenant oui. Pensez-vous que cela soit possible ? Acter de la promesse d'une personne s'entend... Mais acter la promesse d'une fonction ? » Il n'en avait aucune idée. Cela n'était pas son domaine. « Du thé ? » demanda-t-il à son aîné pour le servir, alors que sa main se refermait sur la anse blanche.

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Son regard restait planté dans le sien sans frémir, et s'il était d'une dure franchise, il était cependant dépourvu d'inimité. L'introduction était-elle une réelle surprise pou son vis à vis ? Il n'avait pas pensé à cela. Cependant, même s'il avait mit en avant cette motivation en premier, c'était cependant qu'elle avait de l'importance, autrement qu'en ouverture de la suite. Son esprit extrêmement pragmatique et discipliné avait tendance à forcément vouloir aborder les points professionnels avant de se tourner vers tout ce qui se révélait de l'ordre du privé. Au devant de sa réponse, la sienne fut également franche, autant parce qu'il s'agissait de son serment que parce que ça aurait été insulter l'intelligence de son vis à vis que de faire quoi que ce soit d'autre. De toute façon, Aldaron aurait le plus grand mal à lui arracher autre chose que ce qu'il voulait bien dévoiler au fur et à mesure, alors autant faire tout cela bien, c'était déjà dur pour lui, alors si on le pressait il prendrait tout simplement congé. Ce serait dommageable pour tous deux, mais il le ferait, il le sentait intuitivement, dans cette part de lui qui était encore blessée et profondément affligée.

« Non, en effet. Cependant je n'ai jamais affirmé être venu uniquement pour ça. C'est cependant le premier sujet que je désir traiter »

On ne le poussait pas, et c'était très bien. Aldaron avait bien grandit pendant ces années. Peut-être n'était-il vraiment plus cet elfe inconséquent qu'il avait vu fuir l'autel nuptial voilà des centaines d'années. L'autre n'imaginait sans doute pas à quel point cette marque de respect et de retenue portait auprès de lui en l'instant. Il aurait fallu qu'il soit maître cawr pour cela, et écoute attentivement son chant-nom. Mais puisque les innocents hériteraient certainement du monde, il ne comptait pas être ingrat avec lui, puisqu'il savait apprécier ses efforts. Hochant légèrement la tête, il s'installa en sa compagnie en repoussant une fois encore les pans de sa longue tunique claire. Les bouteilles trônant au milieu du sage petit déjeuné manquèrent lui arracher un sourire. Mais c'était encore insuffisant pour ce miracle-là sans doute. Coi, il le laissa exposer plus librement le contenu de sa requête et lui préciser sa volonté. A l'offre de thé, il hocha simplement la tête et le laissa leur verser deux tasses, s'amusant intérieurement de le voir si bon hôte, respectant les coutumes elfiques sans doute par simple volonté de bien tenir sa demeure. Se souvenait-il seulement de ces codes ?

Immédiatement, l'arôme riche monta en volutes élégantes jusqu'à eux, aux notes rondes et pleines : vanille, cannelle, gingembre, citron et épices rouges. La boisson avait du caractère, son amertume diluée par la puissance des saveurs qui composaient sa partition. De façon bien évidemment parfaitement accidentelle, il s'agissait également de son mélange le plus prisé. Il prit sa propre tasse, huma le parfum qui s'en dégageait avec davantage de précision. La dose était juste, ni trop chargée, ni trop légère. Il plongea la main dans sa bourse, en retira sa flasque et versa une dose ajustée de liquide clair et presque inodore dans les profondeurs du thé. Laissant le mélange fusionner un instant, il en testa ensuite le produit et s'avéra satisfait. Prenant son temps, l'elfe mit plusieurs minutes avant de reprendre la parole. Dire qu'il était inactif n'était pas correct, il réfléchissait effectivement à ce que le Bourgmestre lui avait confié car la demande n'était pas tout à fait si simple qu'elle pouvait le paraître car il s'agissait de modifier une très puissante office. Il n'était pas responsable de l'office en question, mais il était certainement le mieux placé pour effectuer la modification si elle s'avérait possible. Lorsqu'il revint au moment présent, Kehlvehan expira très lentement tout l'air de ses poumons avant de s'exprimer.

« Voilà exactement pourquoi je désirais en discuter directement avec vous plutôt que par courriers. Je pense qu'il serait possible, en théorie, d'effectuer un serment placé sur une fonction et non une entité faite de chair et de sang. Il s'agit d'un choix de formulation. Plutôt que de lier le nom d'une personne effectuant un serment, il faudrait pouvoir user de la formulation suivante, ou d'une forme proche : 'Tout individu, personne, entité, répondant des devoirs de la fonction sera liée par le serment'. Cela permettra également une forme de sécurité si un individu souhaite tenter d'usurper les pouvoirs de la fonction en question. Néanmoins, il s'agit là d'une théorie et c'est l'application qui me préoccupe davantage. L'office effectuée sur l'épée au bord du lac d'émeraude est puissante et sa portée a déjà un effet bien à lui. Il faudra que je l'étudie en détail afin de savoir exactement comment procéder, si c'est possible. Pour le moment, je peux soit délier totalement l'actuel serment en place afin d'en établir un autre. Ce serait long, mais selon moi et sans plus d'inspections, beaucoup plus sécurisant, pour moi comme pour vous. L'autre solution est de venir apposer sur l'office originale un changement, ou une annotation, ce qui peut s'avérer beaucoup plus problématique »

Il y eut un léger silence, le temps pour lui de prendre une gorgée de thé pour assouplir sa gorge, et réchauffer ses sens. Puis, il compléta ses premières explications.

« De plus, si vous désirez lier une fonction, plutôt qu'une personne, afin de garder la même efficacité en termes de pur suivi de ce serment, je conseillerais d'inclure tout objet de fonction dans l'apposition de l'office, pas uniquement l'épée de l'alliance. Je pense en cela à vos sceaux officiels avant tout. J'irais voir la lame afin de m'assurer de mes hypothèses, mais si je dois effectivement refaire complètement un serment afin d'inclure ces changements je pense que ce serait également l'occasion de vous concerter pour en établir d'autres si vous estimez cela nécessaire, car ce n'est pas quelque chose que l'Ordre pourra faire à chaque nouveau mandat, je ne vous apprend rien »

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    La confirmation tombait, inévitablement, comme Aldaron s'en était douté. Kelhvehan n'était pas seulement là pour couvrir l'affaire du serment de la lame. Une part de lui avait, brièvement, rêvé qu'il le détrompe. Qu'il lui dise qu'il était bien là rien que pour cela, et quelques emplettes à base de peau de renne. Nulle satisfaction en la matière, mais au moins pouvait-il se rassurer : le sujet n'était donc pas d'urgence pour qu'il se voit refuser de l'aborder dans l'immédiat. Le Bourgmestre était toujours autant mal à l'aise avec les elfes. Il arrivait à bien plus de familiarité avec des vampires. Mais le peuple elfique, en particulier la poignée de ceux qui avait plus de 400 ans... Avait la dent dure et la mémoire agaçante. Parviendrait-il seulement un jour à passer outre ce titre qui lui collait à la peau comme une sangsue ?

    Servant le thé à son hôte, il priait que ses informations soient justes. On lui avait rapporté les goûts de Kehlvehan et Aldaron avait sincèrement le désir de ne pas le froisser. Autant pour sa propre survie que par intérêt. Il avait tout à y gagner : le Gardien était celui qui apprenait tout son art à Valmys, il lui enseignait que ce son fils désirait pour son avenir et Aldaron avait bien envie que sa boîte à musique bénéficie d'une avenue sans embûche pour accomplir ses rêves et désirs. Tout comme il préparait un similaire chemin pour Eleonnora à la tête de Caladon. Voir le Gardien ajouter un alcool dans son thé le tira de ses réflexions et il tâcha de dissimuler son sourire en coin derrière sa propre tasse de thé. Il eut bien le temps de l'étouffer puisque son hôte prenait, comme tout les elfes, tout son temps à la réflexion. Rah... Ça ne lui avait presque pas manqué. Une chance qu'il ne soit pas attendu ce matin.

    Le seul point positif, ce fut qu'après ce silence, son hôte gagna bien vite toute son attention. Il n'était pas un spécialiste en la matière mais les explications du maître baptristel étaient suffisamment pédagogues pour qu'il en saisisse l’entièreté. Il acquiesçait d'un signe de tête entendu : « Je vous remercie de ces éclairages et du temps que vous allez consacrer à cette tâche. Caladon pourra vous fournir des pierres de transport des aînés pour votre aller-retour, si vous le désirez, ainsi que des vivres, évidement et tout ce dont vous pourriez avoir besoin. Nous réunirons les sceaux et j'aviserai l'Intendante d'en, faire de même. » Il était assez soulagé que leur projet puisse prendre forme assez rapidement. Il préférait quitter ses fonctions en ayant bien bordé ses bagages. Il ne resterait qu'à attendre le retour du Cawr pour connaître l'ampleur de la tâche à venir, mais il avait à présent la certitude que c'était possible, alors cela se ferait.

    Aldaron prit une longue gorgée de son thé, ses mires perçant son hôte du regard, sans avoir par quel bout prendre la discussion avec lui. Non vraiment, il n'y avait bien que les elfes pour mettre le spirite du saumon qu'il était en déroute. Après un instant, il reprenait : « J'aimerais vous poser quelques questions. » commença-t-il, patientant après l'autorisation qui ne tarderait à venir : ils n'allaient pas se regarder dans le blanc des yeux pendant des heures. « Valmys m'évoque souvent ses travaux et son apprentissage au Domaine. Il s'en enthousiasme sincèrement et je... Enfin, je me demandais ce qu'il en était, de votre point de vue. » Il commençait à buter sur chacun de ses mots et finit par se masser l'arrête du nez. Pourquoi était-il autant stressé d'un coup ? « Je suis désolé, je n'ai... Jamais fait ça. Je ne sais pas vraiment... Ce qu'échangent les parents d'un enfant avec l'enseignant de celui-ci, c'est... Je m'inquiète seulement de savoir si... Son apprentissage se passe bien et si... S'il est heureux et progresse. S'il y a des choses qui sont de mon ressort et que je dois faire pour lui, pour l'aider... Enfin, c'est ridicule, il est grand, ce n'est pas comme un petit enfant. » Comme lui avait dit Aurore, songea-t-il.

    Il ferma ses lèvres, jugeant s'il s'était suffisamment ridiculisé comme ça, à ne pas savoir ce qu'il fallait dire ou faire. Et n'était-ce pas ce que lui reprochait justement le peuple elfique ? Il venait de sauter à deux pieds joints dedans, pour se vautrer en hésitations ignorantes. Il inspira lentement l'air : « Aux dernières nouvelles, il m'annonçait faire route pour Keet-Tiamat, en suivant Cawr Aramis Thredë. J'ai rencontré Valmys lors de sa dernière excursion là-bas, qui n'avait guère était très réjouissante en terme de sécurité. J'espère juste qu'il ne lui arrivera rien de dangereux en y retournant, vous comprenez ? Après ce qui s'est passé à Cordont, je suis on ne peut plus averti des dangers que recèlent notre nouvel archipel. » Ni Valmys ni lui ne connaissait le motif de se voyage, mais il espérait que Kehlvehan puisse lui en dire d'avantage.

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La réponse le satisfit, et il hocha la tête rapidement, n’ajoutant à la liste donnée par le Bourgmestre que la demande d’une garde réduite mais efficace. On ne savait jamais ce qui pouvait advenir sur place, aucune forme de garde ou de campement ne se trouvait aux abords du lac d’émeraude après tout. Il ne voulait pas perdre de temps à regarder en permanence par-dessus son épaule plutôt que se concentrer sur la tâche qu’il avait entreprise. C’était excessivement frustrant. Savourant le silence suite à leur entente sur ce point et n’étant pas pressé de la suite, il prit une gorgée de thé chaud, la laissant rayonner dans son organisme et lorsque son vis à vis reprit la parole, il haussa un sourcil un bref instant et hocha la tête. Oui, sans doute avait-il envie de lui poser des questions et il était flatté que le Bourgmestre apprécie ce genre de souhait. Mais qu’était-ce donc à dire ? La suite vint lentement arquer ses sourcils dans un masque sincère de tracas à le voir ainsi hésiter et buter sur chaque mot. Enfin, qu’il se reprenne bon sang, s’il y avait une chose pour laquelle il était doué en plus de séduire les jeunes femmes c’était bien user de sa parole non ? Et c’était un art noble, même appliquer au domaine du marchandage. Qu’avait-il à perdre ses moyens ainsi ? La suite le fit se détendre et son expression méfiante et circonspecte se fit lasse, épuisée au-delà des mots et en même temps presque compatissante. Expirant profondément, lorsque Aldaron eut achevé, le maître chanteur déposa sa tasse de thé, pressa un instant la fine serviette à ses lèvres, puis joua avec de ses longs doigts, quittant le marchand des yeux en cherchant comment lui répondre sans l’achever séance tenante à coup de massue.

« Je comprend tout à fait, Leweïnra et j’espère la même chose »

Et il n’avait pas eut besoin d’une catastrophe pour se faire un sang d’encre mais son pessimisme datait du vieux continent et il était indécrottable à ce sujet. En un sens, cela lui laissait le champ libre pour être agréablement surpris, n’était-ce pas au moins positif à ce sujet ? Il l’observa à nouveau, incertain de ce qu’il devait lui dire ou pouvait lui dire. S’il était un maître dur et critique, il n’était néanmoins ni injuste ni fermé et il voyait bien autant les efforts de l’autre que sa sincérité. Ne rien lui dire aurait été mal remercier tout cela et mal saluer ses changements. Mais éliminer un extrême n’était pas vraiment une réponse à sa problématique. En fin de compte, le vieil elfe décida de se passer de toute forme d’art verbal et d’aller, comme le disaient les humains, au plus simple. Reprenant la parole avec un mouvement des mains, il répondit donc finalement, sans le quitter des yeux.

« Il s’agirait d’un lieu pouvant receler des indices sur un phénomène prenant actuellement place au sein des peuples elfiques et vampiriques. Un changement profond, signalé par des souffrances et dont un des symptômes est l’apparition de veinules cuivrées sur le corps. Vous l’avez vu en action lorsque Valmys y a été sujet, n’est-ce pas ? Je ne peux pas promettre sa sécurité, nul n’est jamais parfaitement à l’abri, mais il se trouvera néanmoins dans une compagnie qui devrait pouvoir prendre soin de lui, en la personne de la princesse Ataliel et de son lié »

Il ne chercha pas à dissimuler l’oubli de la Cawr dans cette liste et n’offrit aucune explication à ce sujet. Il n’en avait pas envie et puis de toute façon qu’aurait-il pu dire ? Que cette idiote lui avait ôté tous les êtres qui comptaient le plus à ses yeux ? Que sa négligence aurait dû lui faire perdre ses pouvoirs depuis longtemps ? Origin seul savait pourquoi elle était encore élue, quel acte il attendait d’elle exactement, il s’y pliait, à cela et à sa présence puisqu’il le devait, mais cela ne lui apportait ni plaisir ni réconfort, uniquement de l’amertume et la certitude qu’il aurait dû faire sa paix depuis longtemps, sans y parvenir. Il ne pouvait pas oublier. C’était trop dur, trop douloureux, trop prenant. Il ne pouvait pas oublier. c’était un pal planté dans son cœur, un gouffre immense et sombre dans lequel il aurait engloutit l’océan entier. Simplement effleurer le sujet était déjà atrocement délicat, invoquant des images qu’il voulait garder sous clef.

« Et ne vous excusez pas inutilement. Je déteste ça. Il n’y a pas un guide pré-établit de la façon dont vous devez vous enquérir des progrès de votre fils. Ne cherchez pas à suivre une route quelconque, agissez simplement avec votre affection et votre intérêt pour lui. Ce sont vos guides les plus sûrs. Ce n’est pas parce que Valmys n’est pas un nourrisson ou un très jeune enfant qu’il n’a pas besoin d’un père. Un âge limite à la paternité ? Au besoin de la présence d’une famille ? C’est une notion sordide. Faites moi le plaisir d’oublier ça immédiatement et de ne plus jamais faire mention d’une chose aussi grotesque »

Bon… peut-être que cette fois, ce n’était pas tout à fait sous clef. Mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas entendu quelque chose d’aussi stupide que cette affirmation. Il lui décocha un regard noir et rajouta une rasade d’alcool dans son thé avant de le boire d’un air crispé, contenant manifestement tout le ‘bien’ qu’il pensait de ce genre d’idée préconçue. Sa respiration était légèrement sifflante de colère. Il avait envie de le mettre au pilori pour ça maintenant qu’il était revenu dessus. Reposant méticuleusement sa tasse, il pinça les lèvres, joignit les mains, phalanges blanchies, arrête du nez dure, crispée par son irritation. Ce coup-là, il ne l’avait pas vu venir, mais au-delà de simplement secouer le marchand, il voulait surtout le garder dans le droit chemin. Valmys était son fils adoptif, il avait une grande place dans sa vie et devait la tenir cette place, ou il risquait de lui faire du mal et ça, il n’allait pas pouvoir l’accepter. Une fois déjà il l’avait vu faire du mal à des innocents, et là il y avait moyen de l’empêcher car le principal intéressé s’accrochait encore.

« Il a besoin de vous. Différemment d’un bambin mais pas moins. De votre présence, de votre soutient, de votre affection. Parfois de votre expérience... »

Expirant sèchement, Kehlvehan se massa l’arrête du nez longuement pour essayer de se détendre, puis reprit, désabusé.

« Il est doté d’une grande sensibilité, artistique et sociale, même s’il ne s’en rend pas toujours compte. J’ai repris son tutorat récemment, cependant il possède déjà des bases fermes. Je cherche à affiner son appréhension du monde avant tout mais cela prend des années. Son avancée est tout à fait adéquate pour l’heure mais je pense qu’il a besoin de voyages afin de progresser sur le long terme. La vie sédentaire du Domaine ne lui convient pas pour le moment. C’est là, je pense, un sujet pour lequel vous pouvez lui être d’une grande aide. Moi-même j’ai trop d’obligation pour pouvoir parcourir l’archipel à ma guise. J’ai énormément à lui transmettre et il lui faudra des centaines d’années pour tout intégrer, mais ce que notre monde a à lui offrir, ça je ne peux pas le remplacer. C’est également ainsi qu’un Baptistrel se construit et se forme, par sa propre expérience du monde. Vous pouvez l’aider à voyager, en assurant une part de sa sécurité par exemple »

Impliquer un parent n’était jamais bien difficile en fin de compte, lorsque celui-ci était volontaire pour cela. Et il l’était, non ?

« Je pense que vous pourriez également lui trouver des audiences profanes pour lui permettre de s’exercer. Il est important d’être en contact avec un auditoire, pour n’importe quel musicien, mais plus encore pour nous. Il faut apprendre à sentir son public, son état d’esprit, à le voir évoluer et le guider dans la performance. La musique est une expérience de groupe, un partage et un chemin dont le Baptistrel ouvre la marche. Tout cela n’a rien d’inné. De plus je pense que cela aiderait à lui redonner confiance. Pour le reste, je suppose que s’il émet un souhait spécifique d’apprentissage, il se trouvera à Caladon des artisans pouvant lui permettre de s’exercer auprès d’eux en plus de son entraînement au Domaine. L’afflux de connaissances doit varier »

Est-ce qu’il l’avait perdu ? Non, il n’avait pas les yeux vitreux de toute évidence, il l’avait encore avec lui. Parfait ! Il testa son attention d’une tape sèche de l’ongle sur la table et, satisfait, se permit de faire reposer son dos dans l’assise. En conclusion, et surtout pour qu’il ne prenne pas peur, le vieil elfe fit l’effort de lui tendre une main amicale, métaphoriquement parlant.

« Agissez avec naturel et n’ayez pas peur de mal faire. Nul doute que certains vous jugerons de par le monde, mais leur avis ne vous intéresse pas. Au sein du Domaine, nous ne vous reprocherons jamais de mal faire si vous avez la volonté d’apprendre. Ne pensez pas à tout cela, pensez à ce que vous souhaitez donner à Valmys »

Le blanc qui suivit fut doux amer alors qu’il se fendait d’une grimace qui aurait éventuellement pu passer pour un sourire. Il se dissimula un instant dans ses mains puis, lorsqu’il lui fit face de nouveau, ses yeux avaient une autant une profonde gravité qu’une douleur sous-jacente vibrante qu’il gardait difficilement sous contrôle.

« Il y a… un autre de vos fils dont il faut que je vous parle »

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    Le père qu'il commençait enfin à être s'inquiétait et il fut heureux de ne pas être seul dans cette crainte, non pas qu'il eut douté de la bienveillance de Kehlvehan, car cela aurait été bien contraire à ce qu'Aldaron savait des baptistrels. Mais il devait avouer qu'une condoléance était bienvenue. Souffrir ensemble de cette même angoisse aidait à se soutenir mutuellement, n'était-ce pas le propre de l'humanité que de savoir faire front commun pour affronter l'adversité ? Les mires verdoyantes se baissaient sur ses mains, loin de désirer précipiter la réponse que le Cawr lui apporterait. Son cœur se serra un l'instant à l'idée qu'on vienne un jour lui annoncer que Valmys était mort, portant à lui sa dépouille. Il s'était attaché à lui, très sincèrement et il ressentait la peine le tenailler comme elle ne l'avait plus tenaillé depuis la mort d'Achroma. Il lui avait alors semblé que toutes ses émotions l'avaient quitté. Comme s'il ne craignait pas de pouvoir souffrir plus. Maintenant, il connaissait de nouveau l'attachement et avec lui venait la peur et la douleur du spectre  dévoreur de la perte. Il ne l'empêchait pas d'avancer mais... Il s'étonnait de les sentir à nouveau.

    Redressant ses prunelles en direction de son interlocuteur, il l'écouta lui parler du cœur de mission dans laquelle Valmys avait suivi Aramis. Aramis qui n'était d'ailleurs pas citée comme protectrice de l'apprenti. Kehlvehan lui en tenait-il rancune ? Probablement un peu, elle avait apporté à Merithyn une large part de son éducation baptistrelle, bien que cela ne fasse guère tout. Le ChanteOmbre avait un tempérament de feu. Même à l'ère du Tyran Blanc, il était venu lui donner des forces, à lui comme à d'autres, en dépit des ordres. Eux, les instigateurs de la grande évasion. Bien sûr, cela était sous couvert d'une cruauté en apparence mais la discussion qu'il avait eu avec lui, aussi brève eut-elle pu être, avait mis en lumière une personnalité flamboyante et attachée. Néanmoins, pour en revenir à Valmys, il se satisfaisait d'apprendre qu'Orfraie et Firindal seraient présents. Il portait la dragonière dans son cœur, assurément parce qu'ils avaient des vies qui se faisaient écho par leurs ressemblances. La caste des dragonniers avait cherché à les couvrir, mais faute de représentants, elle s'était essoufflée.

    Aldaron acquiesça d'un signe de tête entendu, priant en son for intérieur que cette excursion apporte des réponses sur l'imaculation tout en préservant l'intégrité de son fils adoptif. La réplique suivante ne manqua pas de le laisser sur le derrière tant qu'il avait là deux sons de cloche de la part des baptistrels. D'un côté, Aurore s'étonnait de voir un adulte se faire adopter parce que ce dernier n'en avait pas besoin... De l'autre, Kehlvehan le sommait de ne plus dire pareille stupidité. C'était déconcertant : « L'Enwr Aurore n'en a pas parlé dans les mêmes termes. Je ne vis pas vraiment pour pour être dans des formats pré-établis, votre façon de voir cela me convient mieux que... Et bien, disons que je n'avais pas vu le problème de l'âge de Valmys avant qu'elle me le mette sous le nez. » Voilà qui était assez parlant et sincère : cela ne lui était pas venu à l'esprit de lui-même. Comme beaucoup des choses anormales qu'il pouvait faire – fréquenter des vampires et avoir un couple homosexuel, par exemple – cela ne titillait pas son esprit tant qu'on ne venait pas le pointer du doigt en l’appelant Indigne. Sa liberté d'action s'accompagnait souvent d'une claque dans la figure, offerte par les bonnes mœurs et les dogmes qu'il faisait vriller, quand cela devenait public. Rarement, il en démordait ; il était bien trop attaché à ses propres choix pour les renier... Mais c'était toujours aussi déroutant pour lui, qu'on vienne lui dire que ce qui faisait était une aberration quand lui n'en avait pas le sentiment le moins du monde.

    Probablement était-ce pour cela qu'il préférait l'ombre à la lumière. A l'ombre, il n'avait pas à craindre leur jugement chaque fois qu'il transgressait des règles pré-établies. Il fallait croire que le rejet du peuple elfique sur ses décisions l'avait marqué plus qu'il ne l'avait pensé. Il avait tant voulu faire plaisir à son père, le rendre fier, mais leurs disputes avaient été bien trop fréquentes pour que cela ne tienne sur le long terme. Aujourd'hui, même s'il était mort, il lui arrivait souvent de se demander ce que son père aurait pensé de tel ou tel choix, avant que son cœur ne se serre en imaginant sa déception. Il s'accrocha aux paroles du Gardien, y trouvant là un peu d'espoir qu'aucun elfe ne lui avait donné jusque là parmi ses aînés. Mentalement, il prenait note des préconisations qu'on lui fournissait. En son fort intérieur, il se félicitait que le Marché Noir puisse aisément apporter tout cela à Valmys. Si c'était ce dont il avait besoin, Aldaron lui donnerait cette richesse culturelle. Des voyages, ses navires marchands en faisaient mille et un, d'un bout à l'autre de l'archipel. Il pourrait facilement lui trouver des chevaux, des guides, des protecteurs dans les terres inconnues de Tiamaranta. Des artistes et des artisans, il y en avait beaucoup à Caladon. L'elfe faisait venir ces talents de tous horizons. Il appréciait particulièrement les voler à Sélénia.  

    Il acquiesçait d'un signe de tête et dans le silence installait, il confirmait : « Je pense pouvoir lui donner tout cela aisément. » Il avait fondé un empire, sans frontière et libre. Beaucoup d'elfes avaient fini par reconnaître sa valeur par cela, même si d'autres avaient toujours la dent dure. « C'est même assez... Logique au final qu'il soit bon d'alimenter les gardiens du savoir en culture. Les arts sont probablement l'un des plus purs moyens de la transmettre et de la préserver du temps. » Il était fier de savoir combien Valmys donnait satisfaction à ses Maîtres dans son apprentissage. Il n'avait pas éduqué Valmys, il n'y était pour rien en cela et c'était probablement parce qu'il ne l'avait pas poussé, protégé qu'il était fier de ce qu'il accomplissait par lui-même. « Je vous remercie de votre bienveillance. » souffla-t-il après les derniers conseils qu'on lui prodiguait, agréablement surpris qu'on vienne un jour lui parler de paternité sans le lapider et cracher sur ses nombreuses lacunes. Néanmoins, l'attitude grave que pris Kehlvehan ne le rassura pas le moins du monde. Le Bourgmestre fronça les sourcils, sensiblement inquiet, par empathie. L'autre en avait montré pour lui, il était normal qu'Aldaron se sente plus enclin à le suivre dans ses émotions.

    Ses mots sonnaient le glas d'une conversation sans accrocs. A l'évocation de son fils et de la douleur que le ChanteLarme y plaçait, il sut immédiatement que quelque chose clochait. Quelque chose de tragique. Ravalant difficilement sa salive, le blanc qui s'en suivit était plein d'angoisse et si la droiture fière du corps racé de la Triade en faisait un roi, sa voix vacilla dans quelques tremblements à peine perceptibles... Mais un Cawr l'entendrait aisément : « Que lui arrive-t-il ? » Là donc... C'était pour cela qu'il était à Caladon.

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Si un regard pouvait tuer, sans doute le chantelarme aurait-il perdu ses pouvoirs en l'instant. Il pinça très sensiblement des lèvres, mais sa pâle complexion accentuait la mimique alors que ses sourcils se fronçaient encore davantage et que ses traits se tendaient sous une sévère critique. Aurore hein ? Un apprentie sous la direction de quel Cawr ? Aramis bien sûr. Il n'était donc guère étonnant de la voir commettre une telle bourde. Il inspira profondément, raide comme la justice elle-même et mit quelques instants à trouver une réplique adéquate à cette révélation aussi surprenante que désagréable. Ses doigts tapotaient, léger tic trahissant son irritation contenue. L'elfe resta encore quelques instants silencieux, à court de mots devant cette invraisemblable béance tant éducationnelle que diplomatique.

« Je me chargerais de rectifier cette faute. Son apprentissage débute à peine et pose de nombreuses questions. Si vous n'aviez pas vu de problèmes, c'est que ces problèmes n'existaient pas, cela n'a rien de surprenant »

Voilà qui suffirait. Quelle sorte d'esprit malade et distordu considérait l'âge de maturation physique comme un critère discriminant à l'union familiale ? Il ne savait vraiment pas ce qu'Aramis apprenait à ces jeunes esprits laissés à ses 'soins' mais cela devenait réellement alarmant. Pas étonnant que Merithyn ait finalement décidé de prendre un crimiel de guerre pour seule famille si c'était avec ce genre de préceptes qu'il était devenu maître Cawr. Il faudrait vraiment qu'il ait une conversation avec elle. De toute urgence. Cela ne pouvait plus durer. Mais outre cela, il n'allait pas déballer les problèmes de l'ordre devant un étranger à moins d'avoir une raison motivée de le faire. Il traiterait de cela quand il serait seul. Néanmoins, il ne traiterait quoi qu'il arrive. L'image que cela donnait de l'Ordre était dommageable pour eux, en plus d'être criminel pour leurs élèves.

Pour l'instant, il avait un père adoptif désemparé à gérer. Et il avait des révélations douloureuses à faire. Alors si Aramis pouvait pourrir un peu dans un coin, il serait parfaitement satisfait. Le voir aller dans son sens et reconnaître les vertus du partage culturel lui fit hocher la tête.

« Parfaitement, Leweïnra. L'Ordre ne fait pas l'art à proprement parler et il n'est pas source de culture, mais d'éducation et d'élévation intellectuelle. Si nous n'avons pas accès au renouvellement des cultures, aux mouvements des mœurs et des idées, des goûts de l'art, comment pouvons nous archiver, conserver, répandre et cultiver tout cela ? C'est un cercle vertueux entre le monde et nous. Une forme de symbiose et de coexistence raisonnée »

Un échange favorisé par le commerce, d'ailleurs, s'il fallait lui reconnaître des qualités. Par l'acquisition de denrées provenant d'autres horizon, les populations stimulaient leur curiosité et leur besoin de découvertes et s'ouvraient ainsi, d'esprit et de mœurs. De plus, les caravanes de marchands convoyaient les nouvelles, les rumeurs, les éléments qui faisaient d'excellents terreaux pour les chansons et les contes. Les remerciements furent accueillit d'un clignement des yeux, et d'une réponse sobre, mais non moins sincère. Elle avait, cependant, plus d'un sens.

« J'essaie d'être juste comme vous essayez d'être père »

Il essayait, mais ça n'était pas toujours probant, il essayait avec sa vision des choses, son passé et ses difficultés. Personne n'était parfait, le jugement dépendant ensuite uniquement de l'esprit et de la tenue de la personne.Retombé dans le silence, il contemplait bien plus que le décor alentours. Il contemplait ces derniers mois, et peut-être même toute sa vie depuis leur installation dans l'archipel. Toutes les vies du Domaine… et toutes celles qu'ils avaient perdus. Comment devait-il lui annoncer les choses ? Ce n'était pas comme les nouvelles du front. La douleur ne le frapperait pas de plein fouet, en pleine face comme elle l'avait fait avec lui. Avait-il vraiment la crainte de lui faire du mal ? S'il devait s'avouer sincère, il avait plutôt peur de se faire du mal à lui-même. Et n'avait-il pas assez payé comme ça ?

« Il... »

Le souffle mourrait bien trop rapidement, bien trop facilement. La douleur le rendait fragile. Bien plus fragile que son apparence diamantine ne le laissait supposer. Cette douleur, profonde, lui emplissait la poitrine. D'abord comme un poids contre son plexus, et un tiraillement qui se diffusait à chaque inspiration et expiration, emplissant son corps, lui serrant lentement la gorge et l'étouffant. Le tuant. Parler serait invoquer la vérité de tout cela, de tout ce qui s'était passé. Il n'avait jamais affirmé à voix haute le deuil qu'il vivait. L'énoncer aurait été lui donner un corps plus terrible encore, un aspect concret. C'était inepte mais il ne parvenait pas à s'en défaire. La blessure était profonde.Et pourtant, était-ce vraiment le sujet ? Ne pouvait-il pas simplement l'esquiver ?

Inspirant profondément, Kehlvehan secoua un peu la tête et croisa les doigts.

« Il est récemment devenu père. Un fils, Elothil... »

Ses lèvres se scellèrent, comme pour retenir tout le reste. Un barrage à la crue de sa propre douleur. Le silence le happa quelques instants, alors qu'il prenait sur lui et s'ancrait dans l'instant présent. Sa respiration restait égale, inspiration, expiration, mais il sentait toujours ce poids sur lui. Il le sentait à chaque instant davantage. Le deuil était une chose compliquée, mais pour un être aussi ancien que lui, aussi elfique, en fin de compte, c'était pire encore. Et le silence n'arrangeait rien, il le savait bien. Le silence le tuerait. Mourir ne lui faisait pas peur, mais se laisser mourir ainsi… ce n'était pas ce qu'il voulait non plus. Il avait encore beaucoup à faire pour protéger ses petits après tout. On avait encore besoin de lui. Mourir maintenant n'était pas une option.

« Cependant, son épouse... est décédée... lors de l'accouchement. Je pensais que vous aimeriez vous tenir au courant de ce que Celëborn traverse à l'heure présente »

Voilà, ainsi c'était très bien. Il n'avait pas besoin de parler de ses propres soucis. Si Celëborn pouvait retirer un quelconque soulagement de ce que son père biologique sache sa présente situation, alors c'était bien suffisant pour lui. Crispant les épaules sous le tissu immaculé qui les couvrait, il chercha comment poursuivre, ayant l'impression diffuse de tâtonner pour circonvenir une blessure ouverte avant de la traiter. Après un bref instant, ayant suffisamment orienté son propos pour se persuader de ne pas laisser sa privauté déborder sur son fils adoptif, le chantelarme poursuivit, d'une voix ténue mais ferme.

« Il se trouve en ce moment même au sein du Domaine, il y vient régulièrement car Elothil s'y trouve. Nous nous occupons de lui. Sans doute voudriez-vous le rencontrer également... »

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    Le silence retombé après son ultime question avait le don de l'angoisser. Les vibrations craintives de son corps étaient imperceptibles mais pour autant existantes, telles les frémissements de son âme paternelle. Il se tenait à l'affût, tendu dans l'expectative. Il refusait de croire que cela puisse être tragique, et pourtant le faciès évasif du Gardien venait tarauder ses doutes inexorablement. L'idée brutale de prendre Kehlvehan pour le secouer comme un prunier jusqu'à ce qu'il parle lui effleura l'esprit et il jaugea rapidement des conséquences de cela, pour se raviser et ronger son frein. On n'avait pas idée de venir titiller de la sorte ses nerfs ! Il se doutait bien que le Chantepluie ne le faisait pas exprès mais tout de même ! Cette attente, ce suspens ! Cela devenait un supplice !

    La nouvelle tomba, bribe par bribe. Dans un premier temps, l'elfe des cendres eut bien du mal à saisir le pourquoi du problème. L'air sinistre assorti de la naissance de son petit-fils eu du mal à faire son chemin. L'événement était excellent, glorieux, au contraire. Il ne doutait pas que cela s'agisse toujours d'une bonne chose. Elle n'avait pas été aussi joyeuse, jadis, pour lui-même, parce qu'il s'était trouvé bien trop jeune pour assumer le rôle de père. Mais Celëborn avait amplement l'âge de gérer tout ceci la tête haute. Les mœurs elfiques voulaient que la lumière éclaire les jours des nouveaux-nés et de leur famille. Chaque enfant était loué de son existence des jours durant. Ils pouvaient se réjouir alors... Pourquoi cette difficulté à parler pour Kelhvehan ? Le bourgmestre ne put empêcher le fin et discret sourire fier de marquer ses lèvres. Même sans lui, sans la présence d'un véritable père, son fils avait su trouver l'amour et fonder une famille. C'était encore tout le mal qu'il pouvait lui souhaiter.

    Oh oui, il était terriblement fier... Puis terriblement triste. La douleur l’irradia à l'échec et son visage donna l'impression qu'il venait de se prendre une douche glacée. Il se souvenait de sa visite au Royaume Elfique, en juillet. Il avait suivi ce que sa boussole du cœur désignait. Arrivé devant une douillette chaumière, il avait aperçu sa progéniture par la fenêtre et des bras féminins venir l'étreinte avec une affection complice. Là, il avait détourné le regard et il avait fui, certain que son fils avait réussi à se construire, même sans lui, trouvant un entourage aimant et solide... Et puis ça. Celle nouvelle, comme le glas qui tombait et l’assommait. Il avait l'impression qu'on venait de le frapper derrière la tête. Ses traits s'étaient affaissés puis raidis, contrit de cette déchéance obscure. Les Leweïnra n'auraient-ils donc jamais une parenté commune ? Aldaron n'avait guère connu sa mère, trépassée au cours de son enfance. Il avait abandonné son fils à sa mère et voilà qu'Elothil connaissait le même sort, à grandir dans les seuls bras d'un père.

    L'envie violente d'envoyer valser la table à l'autre bout de la pièce fut jugulée, et celle de crier, de hurler, était étouffée dans une réserve pleine de noblesse. Droit, il était régalien, mais en son cœur il était dévasté de l'apprendre. Que n'aurait-il pas donné, de toutes ses possessions, pour remonter le temps et... Quoi ? Empêcher cela ? Trouver un moyen, un espoir, une aide. Les derniers mots le laissaient sans voix. Il ne savait pas même quoi répondre, il laissa ses épaules retomber lentement et son corps se voûter vers l'avancer pour saisir le goulot d'une bouteille sur la table. Dans son geste il se leva, aller fouiller dans un tiroir du vaisselier de quoi ouvrir ceci et savourer l'alcool comme un pansement sur une plaie. Corps au trois quart détourné, il baissait la tête, poussait un soupir alors qu'il posait la bouteille sur le meuble, dépité. « Je suis désolé de l'apprendre et... » La voix s'arrêtait là, incapable de poursuivre. Quels mots ? Que dire ?

    Il ouvrit la bouteille et revint vers la table avec deux verres cristallins. Cela détonnerait du thé... mais bon, puisque Kelhvehan avait commencé. « Je ne sais pas si... Ma présence pourra... faire autre chose que de raviver de la douleur ou de la rancœur, ou que sais-je... Dont il n'a pas besoin. En ce moment. En plus de... » Il servait deux verres, mais il était incapable de se rasseoir. Il aurait tout explosé s'il n'était pas bien élevé... Alors s'asseoir ? Il avait l'impression de devenir aussi instable que Tryghild à une réunion pompeuse dès qu'il s'agissait de sa famille. « Cela... » A nouveau il se détournait, dans la pudeur de ce qu'il camouflait, l'embarras diffus sous la peine. Il ne savait pas comment réagir. Tout père aurait voulu prendre son enfant dans ses bras pour le réconfort et en son for intérieur, Aldaron le désirait... mais il n'y parvenait pas. Il n'avait pas résolu son conflit intérieur, au sujet de Celeborn, celui qui lui disait que revenir la bouche en cœur dans la vie de celui qu'il avait lâchement abandonné.

    Non, ça n'était certainement pas le moment et il s'en voulait, de cette absence, une seconde fois. « Quant à... Elothil, vous dîtes ? » Il portait sur lui le regard égaré d'un chiot battu avant de se détourner à nouveau, s'éloigner et parvenir à s'apaiser. « Elothil... » répétait-il. « Il serait injuste de le priver d'un grand-père, comme j'ai privé Celëborn d'un père, juste parce que je... je ne sais pas comment résoudre cela, une bonne fois pour toute. » Il descendit bien rapidement son verre. S'il l'avait pu, il aurait été se terrer dans un coin du jardin pour se rouler en boule, caché du monde avec sa souffrance. C'était dans ce genre de situation qu'il détestait la lumière et sa bonne éducation. « Si Celëborn me le permet, je tâcherai de venir au Domaine... Au Domaine ? Pourquoi son fils est-il au Domaine ? » finit-il par demander : « C'est là que son épouse est venue vous trouver ? Pour que vous l'aidiez à mettre son enfant au monde ? » Cela faisait sens au fond. « C'est pour cela que vous avez... Vous m'avez l'air impacté par cette tragédie... » Même s'il avait plus de superbe et de réserve que ce qu'Aldaron désespérait maintenir.

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Le regard que le Bourgmestre lui lançait, bien des hommes de pouvoir auraient été ravis de le contempler, et sans aucun doute de le savourer. Ainsi allait la destinée des hommes de pouvoir, respectés, jalousés, détestés ou adorés. Quel adversaire de la Triade n'aurait pas rêvé de voir le fier et imperturbable regard de gemme se tourner vers lui avec une telle détresse, une telle peine ? Mais il n'était non seulement pas un de ces sinistres individus, pour toute sa froide dureté, mais en plus, il comprenait au moins en partie sa souffrance. Elle vibrait autours de lui et même en tâchant de clore ses perceptions, il sentait sa pointe sourde pénétrer ses os et son esprits.L'empathie, comme une implacable condamnation, l'étrillait alors même qu'il la défiait. Sa propre peine était déjà suffisamment périlleuse à porter, pourquoi aurait-il accepté de porter celle d'un autre ? Quelle force avait-il à prêter à Leweïnra pour faire face à tout cela qu'il n'ait pas déjà dépensé pour tenter d'endiguer son affliction personnelle ? Bien incapable d'offrir une condamnation claire à cette situation ambiguë, impuissant à désavouer ce qu'on versait en son esprit, il se contentait d'essuyer la soudaine épreuve avec sa dignité habituelle. Sans doute avait-il fauté en désirant lui convoyer les nouvelles en personne. Un autre maître aurait ressenti moins de difficultés à l'accompagner. Un autre maître aurait trouvé les mots, offert sa brillance et sa douceur pour apaiser l'âme tourmentée. Mais le Gardien n'était pas brillance, seulement étoile tombée, morte-étoile comme une certaine lame impossible à occulter. Et il n'était rien moins qu'incertain de sa capacité à offrir la moindre forme de confidence à son interlocuteur, partenaire dans le drame et la douleur.

« Certes »

C'était tout ce qu'il avait trouvé la force de répondre, dans un premier temps. D'une main au tremblement infime, il prit le verre d'alcool pur, le descendit, puis fit de même pour ce qui restait du thé. En l'état, il avait besoin de tout le courage nécessaire et contemplait encore l'idée d'éluder une partie de sa curiosité. Mais en fin de compte, bien que ses scrupules et sa propre pudeur auraient bien davantage préférés le silence, Leweïnra avait droit à la connaissance, quant bien-même elle ne ferait qu'aggraver son infortune. La vérité n'était, très souvent, pas un couffin de soie, bien davantage une vierge de fer aux aiguilles acérées. Cette seule réalisation ne lui suffisait cependant pas à prendre son courage à deux mains pour dépasser le bourbier de son deuil. Il hésita, une fois, deux fois, se resservit un verre lui-même et laissa la traînée de flammes lui paver la gorge.

« Elle était venue me trouver. Parce qu'elle avait confiance en moi, en mes capacités de guérisseur. Mais elle a trouvé porte close, car je n'étais pas présent et son état de santé ne lui permettait pas de voyager de nouveau, même par magie. C'est un autre maître qui a veillé sur elle jusqu'à la fin »

Énoncer tout cela lui donnait le sentiment de s'enfoncer une dague dans le cœur. Que n'importe quel imbécile affirme tout cela et il aurait déjà ressentit l'impact de la réalisation qui suivaient ces mots. Comme si parler ancrait les faits dans la réalité. Mais lorsqu'il prononçait tout cela lui-même, avec la puissance Baptistrale… c'était pire encore. Sa propre douleur menaça de le submerger. Raide, il déglutit lentement, douloureusement. Ses cils tremblèrent alors que ses yeux menaçaient de se fermer mais il baissa les yeux, jouant avec le verre. Il devait se focaliser, ne pas laisser l'écluse de sa peine silencieuse s'ouvrir et se vider. Non seulement il n'était pas coutumier des démonstrations de sentimentalisme exacerbé, mais en plus de cela, il se refusait à agonir plus encore son hôte qui n'avait réellement pas besoin de ce poids supplémentaire.

« J'ai appris ce qui était advenu à mon retour au sein du Domaine. Celëborn m'a rejoint, autant pour reconnaître son fils que pour m'aider à préparer les rites de passage pour ma fille. Les cendres ont été répandues sur la côte afin que ses restes puissent bénéficier de la bienveillance de vent et de la mémoire ancestrale de l'océan »

C'était la moindre des choses, après son don et sa souffrance. Il avait soudain l'impression d'être glacé jusque dans la moelle des os. Son souffle restait le même, mais il était douloureux, pénible à supporter, et le poids sur son plexus lui donnait envie de s'arracher le cœur pour rejeter tout ce qu'il ressentait. C'était stupide et simplet mais il ne pouvait s'empêcher d'y aspirer. Ne plus avoir de cœur réglerait définitivement la question de sa lucidité non ? Quand il regardait son cheminement sur plusieurs mois, depuis cette atroce perte, il avait l'impression d'avoir agit pas pur mécanique, par instinct comme un somnambule. Il n'y avait pas d'âme dans tout cela. Pourtant il n'avait pas perdu ses pouvoirs, il faisait encore parti du cycle. Que devait-il en penser ? Que son aspiration, cette intense sensation de vouloir s'ouvrir la poitrine n'était pas un sacrilège ? Ou bien ne comprenait-il simplement pas ?

« Je pense que dans ces circonstances spécifiques, Celëborn acceptera que vous veniez à lui. L'amour qu'il portait à Claira était passionnel. Et si je dois être brutal avec vous, je dirais que même une ire contre vous serait un bienfait afin de lui faire ressentir autre chose que le vide de la perte et du deuil »

Son regard se posa dans le sien.

« Vous aimez vous-même, vous comprenez ce dont je parle, n'est-ce pas ? Le vide... »

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    Certes ? Les mires verdoyantes se posaient sur un interlocuteur qui semblait vivre de plus en plus mal leur entretien, tout en n'offrant aux yeux qu'une posture régalienne à l'impassibilité noble. Il aurait voulu lui dire qu'il n'avait rien à lui prouver, pas à lui. Qu'il se moquait bien qu'il perde la face ou même qu'il se mette à pleurer, lui-même semblait avoir du mal à se contenir... Alors de quoi l'aurait-il blâmé ? Pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi restait-il figé ? Aldaron, lui, aurait voulu tout envoyer valser et probablement même saisir le Cawr et le secouer comme un prunier pour qu'il retrouve des réactions humaines, loin de cette plastique marbrée, muette et immobile. L'alcool sembla se montrer comme un exutoire, pour l'un comme pour l'autre. D'une traite, Kehlvehan avait vidé le verre dont il l'avait gracié, puis la tasse de thé disparut dans les méandres de sa bouche sèche, comme on cherche à combler naïvement un puits sans fond. L'elfe ferma les yeux, la dextre posée en soutien sur un meuble, des fois que ses nerfs décideraient de le lâcher et qu'il vienne à s'écrouler au sol, accablé.

    L'histoire lui vint, finalement. Les mots de Kehlvehan étaient un crève-cœur dans ses vibrations sous entendues, une harmonie bien triste, lourde comme un requiem. Aldaron pouvait comprendre, en son for intérieur. Lui-même n'avait pas été présent pour beaucoup de monde, absent au mauvais moment. Et quand ceux qui en pâtissaient étaient des gens auxquels on tenait, cela faisait d'autant plus de mal. Se sentait-il coupable de n'avoir pu aider cette jeune femme ? Comme on regrette d'avoir été pris à d'autres occupations à l'instant le plus fatidique ? Puis, dans les mots du baptistrel, une vérité lâchée au milieu d'une phrase comme si rien n'était lui glaça le sang. « Votre... ? » Sa fille ? Ainsi leurs enfants s'étaient unis et c'était en donnant la vie que la jeune femme avait perdu la sienne. Là était probablement la raison de sa venue en personne, à n'en pas douter. N'était-ce pour autant pas une conflictuelle idée ? Se donner ainsi en pâture de sa propre fragilité pour lui annoncer ce que sa descendance vivait ? Il appréciait le geste altruiste au demeurant, tout comme il aurait voulu le gifler pour cette sottise. Il aurait voulu lui dire de rentrer chez lui, qu'il n'était pas obligé de s'offrir de la sorte...

    Mais cherchait-il de l'aide ? Dans ce vide qui l'appelait, tendait-il une main pour qu'il la prenne ? Ou serait-ce déplacé de sa part que de chercher à le soutenir ? Kehlvehan s'en offusquerait-il ? Bon sang... Il n'en savait fichtrement rien. Il ne le connaissait pas, ou du moins pas assez. Il avait parfois du mal à trouver les bonnes attaches pour ses proches alors un parfait inconnu ? La seule chose qu'il savait soutenir le baptistrel était de toutes évidences l'alcool que le Chantepluie avait accepté de bon gré. Devait-il le saouler ? Il ne savait que trop bien combien cela pouvait être un refuge aussi salvateur que peur glorieux. Après son évasion de Morneflamme, l'alcool et l'ombre avaient été des pansements remarquables. Il n'en était pas fier... Mais cela avait fait le travail le temps qu'il soit capable de remettre la tête hors de l'eau.

    Les derniers mots de Kehlvehan furent très durs à entendre pour lui. Tant ceux au sujet de son fils que cette question posée comme un reflet de sa souffrance. Bien sûr qu'il savait ce que c'était que le vide. L'effroi qu'il soulevait dans son cœur éveillait des souvenirs qu'il préférait étouffer. Fort heureusement pour lui, il en était capable et... L'air de rien, se retrouver face à une personne qui endurait plus rudement que lui le deuil de Claira eut le don de l'apaiser. Non pas qu'il jubilait devant la souffrance de l'autre, mais elle lui ramenait les deux pieds sur terre et lui rappelait qu'il n'était pas le nombril du monde. La douleur avait frappé mais la gifle avait été bien plus violente pour le Gardien que pour lui. Il rationalisait plus facilement et ne laissait plus l'horreur exploser en lui comme des milliers d'incendies meurtriers. « Oui, je comprends... » fit-il, dans un murmure, le souffle coupé, comme la confidence secrète balbutiant qu'il avait déjà, lui-même traversé se désert. La mort d'Achroma l'avait violemment vidé de ses espoirs, de son essence. L'Inséparable avait déjà pris soin de ses élus et la peine avait été à la hauteur de ce lien pourtant indestructible. Il avait avancé, traîné le souvenir de ces yeux céladons comme un boulet accrocher à son pied.

    Il se savait aussi terriblement chanceux. Claira ne reviendrait probablement jamais comme Ivanyr s'était montré un beau matin, dans la caserne centrale. Le vampire pansait ses plaies avec un soin religieux, mais Kehlvehan ? Jamais on ne lui rendrait Merithyn, jamais on ne lui rendrait Claira. Les parents ne devraient pas porter le deuil de leurs enfants. C'était comme se priver d'avenir, comme pour démolir les sacrifices auxquels on pouvait consentir pour le bonheur de sa progéniture. L'elfe posa son verre sur la table, puis alla fermer la porte et les rideaux, offrant à l'endroit plus d'intimité... Pour l'abandon de dignité, car il n'avait pas la moindre idée de là où tout cela allait finir. Il préférait être prévoyant. « Vous traversez une terrible épreuve. » Une de plus. Il acheva de fermer respectueusement le rideau, les isolant des regards indiscrets.

    « Je suis navré de l'apprendre. J'aimerais... J'aimerais sincèrement vous apporter mon soutien, d'une façon ou d'une autre. Je ne sais seulement pas comme m'y prendre exactement sans que cela vous paraisse... Déplacé ou incongru. » Si cela n'avait tenu qu'à lui, il lui aurait pris les mains pour les lui serrer avec toute la compassion qu'il éprouvait. Il se mordit la lèvre en retournant s'asseoir dans le fauteuil qu'il avait quitté un peu plus tôt. « Vous êtes ici comme chez vous, Kehlvehan. »Le prénom, oui. N'aurait-il pas fait montre de froideur après ce qu'on lui révélait ? N'étaient-ils pas à présent membres d'une seule et même famille frappée par la mort ? « Vous n'avez pas à vous cacher, vous avez toute ma discrétion. Si vous souhaitez que je vous laisse un peu avec vous-même, je peux me retirer. » Quand bien même il était chez lui : il lui en laissait le bénéfice et la réserve. L'elfe se servit un autre verre, veillant à ce que celui de son hôte soit toujours plein, et vida le sien d'une traite, avant de pousser un soupir, dans le silence retrouvé.

    Perdre un enfant. Il n'osait pas même imaginer ce que cela devait être comme douleur. Rien que de l'envisager lui glaçait le sang alors le vivre ? Il tenait bien trop à Celëborn, Valmys, Eleonnora et Cirth pour cela. Si le destin venait à lui retirer l'un d'eux... il ne serait plus jamais le même, indéniablement. « Je peux aussi rester et vous servir un verre autant de fois que nécessaire. J'ai d'autres bouteilles aussi. » se proposa-t-il, à son service, avec un maigre et triste sourire, pour dérider l'atmosphère, essayer de le rendre plus léger. Mais lui-même n'avait pas envie de sourire, son visage s'assombrissait bien vite. « Je vous remercie d'avoir fait le voyage jusqu'ici pour me l'annoncer. J'ose penser que vous l'avez fait pour Celëborn, et c'est très... Courageux et altruiste de votre part, lorsqu'on en sait les implications personnelles que cela appelle. »

    Servant leurs verres à nouveau, dans un geste devenu machinal pour combler le vide et la peine, il chercha dans son esprits de bons souvenirs. Mais en vérité, il n'en avait pas. Il n'avait que les souvenirs d'un absent et cela ne remplissait pas grand chose. En vérité, il avait plus que des suppositions : « Cela n'a pas du être facile pour un Leweïnra de vous convaincre de lui céder la main de votre fille, je me trompe ? » Il secoua la tête de gauche à droite en s'imaginant déjà la scène : « Je lui ai mis assez de bâtons dans les roues. Je ne veux pas rencontrer Celëborn. Pas maintenant. Pas seulement pour lui. Mais aussi plus égoïstement, je ne veux pas prendre cette décision. S'il désire me voir, j'irai à lui. Mais je ne veux rien forcer qui ne vienne de lui. Je sais que le peuple elfique attend que ce soit les aînés qui prennent le pas sur leurs cadets mais... Mais en vérité, c'est plus une marque de respect pour les anciens qu'une véritable règle. Ce même respect que je lui voue. » Ses prunelles restaient ancrées sur le liquide dans son verre, contemplant ses lueurs chatoyantes comme pour donner de l’inspiration à ses mots. « Je l'ai vu en juillet, lors de mon voyage sur Keet-Tiamat. Je crois que ce sont les protocoles elfiques qui l'ont empêché de faire le premier pas. Ou peut-être pas, je n'en sais rien. Je veux juste qu'il sache qu'il n'y a pas de règles à respecter entre nous. Je ne suis pas quelqu'un de façonné par les règles et j'ai bien assez à me faire pardonner pour lui imposer des contraintes. »

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Il n'y avait pas besoin d'en dire plus. Le vide ne s'expliquait pas, le vide ne se décrivait pas. Le vide… le vide ne se partageait pas. Il existait, ou n'existait pas. Ceux qui avaient vécu sa venue savait. Ceux qui avaient eut la grâce de ne jamais le connaître ne pouvaient simplement pas se l'imaginer. Son verre se vida une fois de plus, pavant sa gorge de flammes dévorantes. Combattre le feu par le feu n'était pas toujours une mauvaise idée. N'ayant rien de plus à exposer, le vieil elfe garda le silence et le peu de force qui lui restait afin de ne pas s'effondrer sur l'instant. Exactement comme il l'avait pressentit, donner corps à la réalité le mettait au supplice. Comment douter un seul instant de la perte de sa fille, comme espérer s'illusionner, ne serait-ce qu'un instant, si la voix de la vérité énonçait les faits. Et peu importait qu'il détesta cordialement l'idée de ne pas s'ancrer au quotidien dans la réalité, comment pourrait-on lui en vouloir de ce revirement après ce qu'il expérimentait ? Après, voilà qui était même naïf. Est-ce qu'il y avait réellement un après ? Quel supplice pour un parent pouvait dépasser celui de devoir inhumer ses enfants ? Il ne trouvait guère d'inspiration pour répondre à cette terrible question. Il avait vu son fils et sa fille naître, il les avait tenu dans ses bras, les avait nourrit, éduqué, il les avait vu grandir, évoluer, connaître la vie et le monde, briller… et il avait encore été spectateur à les voir fauchés par… quoi ? La vie ? Le monde ? Le destin ? Quoi ? Quel sorte d'équilibre pouvait-il y avoir à cela ?

Le soudain mouvement du bourgmestre le surprit, le déstabilisant assez pour le faire ciller. Le regard qu'Aldaron reçu fut perdu et perplexe, comme si l'être derrière les yeux d'ardoises se demandait encore pourquoi il était destiné à souffrir autant et que son interlocuteur ait pu, miraculeusement, lui donner la réponse. Comment aurait-il pu la détenir, par quel étrange miracle, cela, il ne l'imaginait pas consciemment. Ce n'était que le faux-pas d'un homme blessé qui peinait à garder la tête hors de l'eau. Une part de lui, cruellement objective, remerciait néanmoins son hôte de sa prévenance. Aucun regard extérieur sur sa peine et son insupportable solitude. Lui si entouré, si respecté, se sentait terriblement abandonné en ayant perdu ce qui lui était le plus cher. Sa fille avait été ce qu'il pensait avoir de plus précieux, alors qu'il avait perdu sa femme, son fils, Claira avait perduré. Sa petite fleur. Mais l'hiver était venu. De nouveau, une horrible douleur vint emplir son corps et manquer le submerger, le noyer de son totalitarisme. L'aurait-il voulu qu'il aurait été incapable de répondre. Contraint de n'être que coi mime de sa propre impuissance, ses yeux transmirent sans doute assez bien sa propre incapacité, son propre handicape. Il s'était refermé tellement fort, s'était coupé tellement profondément de ses propres sentiments et pendant tant d'années qu'il n'avait absolument aucune idée de ce qui pouvait l'aider. Si seulement quoi que ce soit pouvait l'aider tant il avait l'impression d'être… fini.

Tout ce qu'il retenait à grand peine n'avait pas de cure à ses yeux, aucune qu'il connaisse pleinement. Le deuil ne se vivait pas de façon uniforme et parfois, il était sans espoir.

« Je ne sais pas »

Le halètement était discret, à peine une hachure dans des mots si doux et si faibles qu'ils étaient spectraux. Est-ce qu'il voulait de l'aide ? En réalité, il plaignait profondément la personne qui essayerait.

Il aurait voulu le lui dire, qu'il était seul même en cet instant, que chaque mot et chaque geste lui coûtait énormément mais aurait-il comprit ? Aurait-il pu l'aider, s'il avait même su comment s'y prendre ? Il secoua la tête, très légèrement, tant qu'il eut l'impression qu'Aldaron l'avait forcément manqué mais sans parvenir à recommencer. Non, il ne voulait pas que l'autre parte. C'était sans doute soudain mais il avait l'impression, sur l'instant de s'accrocher sans le vouloir à cette présence qui essayait de le stimuler et de l'empêcher de s'abrutir dans sa propre souffrance débilitante. La question suivante fut couronnée d'un léger hochement de tête. Oui, l'alcool lui irait très bien. La brûlure était plus corporelle, plus réelle, plus barbare et la sensation d'engourdissement, de chaleur irradiante le rassurait et lui faisait oublier. Les saveurs piquaient son palais, tentant d'inspirer son amour des arts… Dans d'autres circonstances, sans doute aurait-il discuté avec plaisir de ces distilleries mais pour le moment, il tâchait de se concentrer sur le vibrato de la voix du bourgmestre. Fort à propos, Leweïnra avait eut une éducation dans les formes, aussi avait-il une diction riche et rythmée qui permettait à son oreille entraînée de ne pas s'assoupir mais surtout, pour l'occasion, de le forcer à une certaine attention. De plus, l'autre dégageait bien assez d'impact pour le garder quelque peu présent auprès de lui. Il avait bien hérité, de port comme de stature. Les épreuves ne l'avait pas diminué. De nouveau, il vida son verre et de nouveau il se laissa gagner par la fièvre passagère.

« ... »

La question le fit pondérer, avec cette raideur caractéristique, mais quand il parla enfin, ce fut perclus d'une forme discrète, pudique, d'affection et de douceur.

« Je l'ai menacé de le tuer s'il ne se montrait pas devant l'autel au jour donné »

La constatation était un souvenir heureux, doux amer désormais. Bien entendu, à l'époque, il avait réellement pensé chaque mot, ce qui rendait la menace d'autant plus violente mais Celeborn n'avait pas fuit pour autant. Mais le temps avait transformé les choses, atténué la rancœur et la peur pour faire fleurir la complicité. Non, lui laisser sa fille n'avait pas été simple, quant bien même elle était une femme forte capable de se défendre et d'endurer. En père aimant et attentif, il voulait son bonheur et avait des réserves sur ce rejeton aux origines pleines de polémiques. En y repensant, tout le royaume avait dû penser la même chose, et se surprendre de son acceptation même sous menace de mort. Mais combien d'espoirs avait-il pu nourrir que sa fille fasse un mariage correct selon les règles elfiques ET qu'elle aime sincèrement son époux ? Et Celeborn n'avait pas déçu. Jusqu'à la fin, elle l'avait aimé. Elle l'avait aimé suffisamment pour donner naissance à son enfant au prix de sa propre vie. Si ça, ce n'était pas une preuve de leur lien sincère alors il ne savait pas ce qu c'était. Aujourd'hui, la disparition de Claira lui avait fait réaliser qu'il pouvait être plus proche de son beau-fils, que tous deux n'étaient pas si éloigner et renforcer le sentiment que le jeune conseiller n'était en rien l'image du père inconséquent qui l'avait abandonné. Mais cela avait été une longue route. Une très longue route. Bien souvent, il n'y avait pas mit beaucoup du sien et Claira lui avait forcé la main. Elle, elle avait cru en Celeborn dès le premier instant.

« Je crois que ça l'a surpris. Je crois qu'il s'attendait à rencontrer de la résistance de ma part mais pas ça. Peut-être suis-je dans l'erreur mais c'était alors mon sentiment. Claira m'en a beaucoup voulu, mais pour elle, j'aurais réellement pu tuer, j'aurais pu tout sacrifier... »

Elle lui en avait voulut mais elle avait toujours eut confiance en lui également. Elle connaissait l'amour qu'il lui avait porté. Étrangement, parler de Celeborn était plus simple. Moins atroce. Il se sentait davantage capable d'émettre des sons en forçant en ce sens. En un sens, cela permettait également à Aldaron d'en savoir davantage pour son fils… il était encore en vie lui, après tout, il avait encore du temps devant lui. Il pouvait faire cela pour lui. Comme il était venu ici pour lui. Sa poigne se serra un instant sur le verre. Il était toutefois bien trop atteint pour aller jusqu'à le briser par accident. Un instant plus tard, il parvenait à poursuivre, ayant l'impression viscérale de gravir une montagne à pied et sans crochets.

« Celeborn était bien devant l'autel au bon moment et il a toujours été là où il fallait, je pense. Vous savez aussi bien que moi que les mariages au sein du peuple elfique s font rarment par les sentiments. Mais c'était un mariage d'amour. Je ne pouvais pas m'y opposer. Et il… il prenait bien soin d'elle... »

Pouvait-il se noyer dans l'alcool ? Il l'aurait fait si cela l'avait aidé à supporter. Était-ce pour cela qu'il buvait si souvent ces derniers temps ? Pour s'échapper ? Non. Non sans doute pas, ça n'aurait pas eut de sens. Pas à ses yeux en tout cas. Dans la pénombre des tentures closes, il se raccrochait alors désespérément aux bons souvenirs qu'il possédait, fort de sa mémoire longue et ancienne. Et il n'y avait pas que Celeborn. Elothil. Il y avait aussi Elothil bien entendu. Il devait lui parler un peu de son petit-fils. Leur petit-fils en réalité. Aldaron devait absolument venir le voir à un moment ou un autre, ne serait-ce que pour renouer peut-être plus aisément… et Elothil le méritait bien non ? Il n'était pas bien certain que tout cela ait le moindre sens. La suite en avait un peu plus.

« Peut-être que de ne pas suivre les règles est justement une contrainte pour lui, si elles lui conviennent, y avez-vous pensé ? Peut-être est-ce une souffrance supplémentaire que de l'obliger à vous réclamer une nouvelle fois après l'avoir obligé à vivre sans vous pendant toute son existence ? Vous lui avez imposé votre absence, qui vous dit qu'il n'a pas simplement peur de vous voir tourner les talons une nouvelle fois ? Vous ne pensez pas qu'avec tout ce qui lui est arrivé, il mérite mieux que de subir votre égoïsme indéfiniment ? »

Un silence. Il n'avait pas voulu se montrer aussi agressif. Le chagrin rognait sans aucun doute son éducation. Et il avait eut une éducation sans failles aucunes. S'humilier ainsi ne lui aller pas le moins du monde, simplement… avec la perte de Claira, il ne lui restait que Celeborn et Elothil. Pour autant, s’immiscer n'était pas une bonne idée. Garder un ton hypothétique, garder de la distance, ne pas faire jouer ses propres sentiments dans tout cela. Mais n'était-ce pas tout le cœur de son deuil ? Le blanc ne dura qu'un instant, le temps d'une inspiration profonde, tandis qu'il fermait les yeux, tordant plus violemment encore ses propres affects pour se retenir. Il devait à tout prix rester composé. Ne serait-ce que pour honorer l'amabilité de son hôte.

« … Je vous prie instamment de m'excuser. Ce n'était pas tolérable de ma part. Celeborn a sa propre façon de voir le monde, dont je ne puis donner la teneur avec exactitude. Ce que je sais pour certain, c'est que si vous voulez aller vers lui, c'est sont rythme que vous devez saisir, et à vous de vous y adapter. C'est tout ce que je pense et je l'affirme en connaissance des difficultés à jauger de son humeur et de son état d'esprit. Je comprend que cela puisse être difficile. Epargnez-moi, considérez mon écart comme une simple incartade due au chagrin »

Ce n'était même pas faux, sinon, il aurait déjà perdu ses pouvoirs. Raide, il pencha la tête pour observer le contenue de son verre. Un instant, le silence dura… puis, sa voix se fit frêle, presque brisée.

« Je… ne sais pas quoi faire Aldaron. J'ai l'impression d'être… prisonnier de mon propre corps depuis les funérailles. Incapable d'exprimer ma peine. Incapable de lui donner voix ou corps. Je n'ai plus composé une seule note depuis son départ. Plus rien du tout. Les étoiles ce sont éteintes pour moi »

Son éclat, soudain et involontaire, semblait pourtant lui avoir ouvert l'instant pour confier cela… son cœur déchiré exposé à tous les vents. Ce n'était pas simplement de la peine. Et ce n'était pas une simple formulation artistique. Les étoiles s'étaient éteintes. Les mêmes mots que son grand-père avait prononcé lorsqu'il avait renoncé à ses pouvoirs. Mais pour lui dont les étoiles étaient la première vision en ce monde, le premier contact de son existence toute entière, cette affirmation était pire encore…

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    Le sourire en coin qui vint marquer ses lèvres était ourlé d’une affection paternelle, vibrante et sans commune mesure, en imaginant la tête qu’avait du faire Celeborn lorsque Kehlvehan avait proféré, à son encontre, une telle menace. A en juger par la raideur grandiose de l’elfe baptistrel, cela avait du avoir son petit impact. Le Gardien avait du paraître effrayant à sa manière froide et cruelle de vérité. Il aurait du avoir pitié de son pauvre enfant qui avait été confronté à un tel accueil, non pas pour se propre faute mais celle, jadis, de son père. Mais il éprouvait bien assez d’affection pour garder un sourire à cette image cocasse et unique. Il acquiesça d’un signe de tête , satisfait d’apprendre que son fils avait fait un bon époux et que son mariage avait été une réussite amoureuse. Son esprit-lié de l’Inséparable ne pouvait qu’approuver une telle harmonie, même s’il s’attristait de la chute dramatique et inévitable que cela emportait avec le trépas de l’un. Son esprit avait refusé d’imaginer une suite si Ivanyr venait à s’éteindre. Dans son esprit, cela était comme censuré. Cela n’aurait plus d’existence, il mourrait simplement, de chagrin, de ce vide. Il savait que les autres histoires d’amour s’en trouvaient moins intenses, moins extrêmes… Il n’en demeurait pas moins vrai qu’il pouvait comprendre que la douleur fut d’autant plus grande que l’amour était sincère. Quelle sombre période que celui que son fils traversait. Et que Kehlvehan partageait, différemment.

    La claque verbale qui s’en suivit, il ne la vit pas venir. Ses mires verdoyantes restèrent figées sur le verre au contenu alcoolisé qu’il tenait dans sa main, avec l’immense envie de le boire d’une traite. Il en avait entendu, des reproches, tant et tant qu’ils ne lui faisaient plus rien. Ils ne le touchaient presque plus. Il savait avoir été un père indigne, et il s’en traînait le qualificatif pour titre dans son peuple de naissance. Il était habitué par les remontrances des elfes, tous amères et imbus qu’ils étaient, persuadés de détenir la vérité, la bonne façon de mener une vie et d’éduquer un enfant. Le seul dont il craignait sincèrement les remontrances, c’était Celeborn. Cela le faisait trembler d’effroi que d’entendre ces mêmes mots sortir de la bouche de son propre fils, un jour. Égoïstement, c’était ce qu’il redoutait. Mais il n’agissait heureusement pas que par égoïste. Son refus de faire le premier pas, outre sa peur, était d’imposer sa présence après avoir imposé son absence et de bousculer un enfant qui n’attendait et refuserait peut-être son retour. Il était tant et tant persuadé que Celeborn le haïssait qu’il n’envisageait pas concrètement l’idée que son fils puisse simplement l’attendre et que sa plus grande peur serait de le voir partir à nouveau. Son esprit avait définitivement rayé cette option, probablement pour se préserver d’un faux-espoir qui s’en trouverait trop dur à encaisser s’il était trompé ?

    Il serra les mâchoires, laissant les excuses venir, les approuvant d’un signe de tête affirmatif, bien incapable de prononcer le moindre mot. Il n’avait pas été blessé par les mots du Chantepluie. Les elfes l’avaient habitué à bien pire en terme de remontrance. Il avait, pour le moins, été surpris du revirement si soudain de leur conversation. Il lui avait tendu une main, et l’intimité d’une dignité préservée. Il ne s’était pas vraiment attendu à recevoir une gifle en retour. Mais il ne connaissait que trop bien les sentiments, pour les avoir lui-même éprouvé : la douleur poussait trop souvent à la violence. C’était le réflexe défensif d’une bête acculée qui ne savait trop si elle pouvait accepter une proximité sincère sans danger… Ou si elle devait l’éloigner. C’était la réponse d’un homme qui ne savait pas quoi faire et Kehlvehan le lui confirma sans détour, dans une pénibilité telle qu’Aldaron en eut une boule dans la gorge, par compassion. Le verre d’alcool fut descendu pour l’étouffer. Alors il se levait à nouveau, trouvant la pénombre de l’endroit trop morose : il n’avait pas voulu déprimer son hôte à ce point.

    Mèche après mèche, il alluma les bougies dressées dans des chandeliers en argent, prenant son temps et pondérant son action de mots : « On n’y croit pas, au début, à la mort de l’être chéri. On nie, on refuse, on se dit que cela ne peut pas être vrai. Que le destin ne peut pas être aussi cruel. Que vous allez fermer les yeux, et que lorsque vous les ouvrirez, tout cela reviendra à la normale, comme après un horrible cauchemar. » Il se souvenait bien du corps d’Achroma Seithvelj s’effondrant au milieu du champ de bataille. Son frère, sa sœur. Tout ceux qu’il chérissait profondément. Il avait cru naïvement qu’ils se relèveraient, qu’ils souriraient toujours à ses côtés. « Puis on réalise, on essaie de négocier, de trouver un moyen de remonter le temps, de changer le cours des choses, donner sa vie pour que l’autre vive… On essaie de réécrire l’histoire, de corriger toutes les fautes dont on s’accable… Et puis, on est en colère. Contre soi-même. Contre le défunt lui-même. Contre un responsable, n’importe lequel, pourvu qu’il y en ait un, contre qui diriger toute cette déferlante d’émotions vivaces. » Il en avait voulu à Achroma d’être parti. D’avoir abandonné. De l’avoir laissé seul pour affronter ce monde.

    Il sursauta à la brûlure de la cire sur ses doigts, mémoire de l’emprunte de Morneflamme. Cela s’estompa vite et ses souvenirs aussi alors qu’il se tournait vers Kehlvehan. « Enfin, on se rend compte qu’on ne peut rien faire, que le résultat est cruellement immuable, et cela nous accable. Cela nous broie. On aspire au vide et à l’ombre. On essaie de continuer sa vie, machinalement. On essaie de garder le tête haute ou au moins d’en avoir l’air, préserver les autres du chagrin qui nous ronge. Mais rien n’est plus pareil. Tout est si fade, tout est si terne. Les étoiles, elles-même perdent leur éclat, tant qu’elles nous semblent s’être éteintes, néanmoins… Néanmoins elles sont toujours là. » Il venait s’agenouiller à la table basse et levait ses prunelles d’émeraude, tristes d’une compassion sincère, sur son hôte. « Vous ne m’y croyez pas, n’est-ce pas ? Je pense que vous êtes intimement persuadé de ce que vous dites. » Sans quoi il aurait mis en poussière son serment baptistral : « Mais ce n’est pas parce que vous y croyez dur comme fer, que cela en fait un vérité infalsifiable. »

    Baissant les yeux, il apporta la petite bougie près de la table basse, allumant le chandelier qui y reposait. La lumière était chaude, proche. « Un jour, il y a quelqu’un, ou quelque chose qui rentre dans votre vie et qui allume à nouveau cette flamme sèche. Celle que vous croyez ne jamais plus voir briller. » La chaleur de la flamme piquait ses yeux et pourtant, il gardait les yeux rivés dessus. « Une personne qui vous tire vers le haut, de toutes ses forces... » Comme Ivanyr l’avait relevé de la terre sur laquelle il rampait. « Ou une idée, un désir, une croyance… Un projet qui vous inspire, qui gonfle et brûle d’une chaleur satisfaisante dans votre poitrine. » Il porta son regard sur le Chantepluie, puis leva une main pour venir la poser, à peine, sur le cœur de Kehlvehan. Il effleurait ses vêtements, sans vraiment les toucher, sans vraiment entrer en contact, ne serait-ce que par respect. Sa main recula et retomba doucement sur celle de son hôte, l’englobant dans un contact à la fois ferme de volonté, et doux d’une tendresse délicate : « Quelque chose qui vous fait aller de l’avant à nouveau… Et qui chasse les nuages qui camouflaient les étoiles. » Ses doigts glissaient sur sa main pour se retirer. Il était d’un naturel tactile et son aura charismatique passait par son corps tourné vers les autres, comme une partie de lui qui parlait aussi, à sa manière implicite.

    Assis sur ses talons, le dos droit, Aldaron portait sur son aîné ses mires à la fois inquiètes et sincèrement brillantes d’un espoir en lequel il croyait férocement. « Chaque histoire est unique. La vôtre ne ressemblera peut-être pas à la mienne, cela prendra du temps. Vous n’êtes pas obligé d’exprimer ce qui remue en vous, bien que vous en éprouvez l’envie, bien que cela vous emprisonne. Si vous ne parvenez pas à donner forme et voix à votre douleur… Peut-être est-ce tout simplement parce qu’il n’est  pas encore temps. Vous avez besoin de faire la lumière en votre for intérieur, même si cela implique de garder ce marasme en vous. » Combien d’années avait-il gardé Morneflamme en lui avant de pouvoir, enfin, trouver l’oreille adéquate et l’osmose pour recracher toute cette horreur macérée ? Il priait pour que Kehlvehan n’ait pas à endurer cela aussi longuement, sans pour autant pouvoir affirmer qu’il en serait ainsi. « Celeborn est, comme vous, un spirite du geai moqueur. Je suis persuadé que les esprits-liés n’unissent pas deux personnes sans une bonne raison. Je peux me tromper, évidement. Je trouve seulement curieux qu’il ait été placé sur votre route, lui, le fils en manque d’un père et vous, le père en manque d’un enfant. Vous ne trouvez pas ? »

    C’était assez dur et troublant pour lui que d’affirmer pouvoir être remplacé par l’homme qu’il avait devant lui. C’était égoïstement douloureux, néanmoins, par ces mots affirmés, il énonçait sa volonté de ne pas entraver ce rapprochement, et même de l’y encourager. Il n’avait pas été à la hauteur, à bien des égards. Probablement était-ce le signe qu’il n’avait pas sa place dans cette famille qu’il avait refusée jadis. « Je ne le connais pas... » murmura-t-il « Je ne sais pas quel est son rythme, je ne sais pas… » Secouant la tête de gauche à droite, il se disait que tout cela aurait besoin d’être digéré et  fait par étapes. « Mais je suis rassuré, puisqu’il vous a. » L’alcool coula dans les verres avant qu’il ne laisse brûler la langue brûlante dans sa gorge.

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Les flammes s'élevaient sur leurs fibres délicates, dansant sur un rythme connu d'elles-seules, leur lueur chaude caressant les murs et les meubles, l'espace obscure qu'ils occupaient, lui conférant une vibration confinée mais tranquille, comme un nid clos à l'abri du monde et de ses dures réalités. Un doux mensonge, si beau à regarder. Il grimaça cette fois, secouant doucement la tête à ses paroles, n'arrivant simplement pas à accepter. Oui, il connaissait les phases du deuil mais ce n'était pas ça. Ou bien si ? Il ne savait pas. Il n'avait pas envie de savoir. Cela lui faisait déjà bien assez mal d'avoir ainsi invoqué toute l'ampleur de la mort de sa fille. Il l'aimait tant. Son enfant, son premier enfant. Il se souvenait encore l'avoir tenu dans ses bras pour la première fois. Il se souvenait sa décision de s'enrôler, sa fierté d'avoir été intégrée chez les rôdeurs. Il se souvenait de chaque instant avec une vivacité terrible, violente, qui s'ancrait en lui comme un fer rouge. Il aurait donné sa vie pour son enfant, comme tout père l'aurait fait. Devoir contempler ses cendres s'étiolant au vent de l'Archipel était alors une dévastation pour lui. Son souffle était si douloureux en l'instant, comme si son âme et son essence même l'abandonnait. Comme s'il se vidait de toute sa substance avec ces aveux. Avait-il retiré le dernier barrage qui l'empêchait de mourir ? Était-il entrain de mourir ? D'une certaine façon peut-être. Ne pouvait-il simplement en finir définitivement ?

« Non… je n'y crois pas. Je n'y arrive pas »

Une vague souffrance éclaira son regard avant d'être remplacée par une violente ironie qui fit briller ses prunelles caméléons d'un vert semblable à ceux de son hôte, et pourtant chargé d'un poison très personnel. Si seulement il savait à quel point il avait raison au sujet de la vérité. Mais il n'avait pas envie de penser à ça. Sa vérité à lui était un monde mort, et il n'avait que faire des autres pour l'instant. Son regard se perdit dans les ondoiements de la flamme jusqu'à ce qu'il sente ses yeux piquer et tirailler. Qui donc pourrait bien exhumer ce qui restait de lui, dans cette tombe de silence qui l'entourait et le contenait ? Qui en aurait donc la force, et au-delà de cela, la volonté ? Le contact de la main sur la sienne le crispa avec une telle violence qu'il en trembla avant de comprendre ce qui se passait, clignant enfin des yeux, perdu et désarçonné. Sous les doigts d'Aldaron, sa main était délicate, presque frêle en comparaison. Sa peau si fine qu'elle aurait pu être translucide si elle n'avait pas eut cette teinte si profonde. Et elle était glacée contre la dextre de l'archer. Glacée comme celle d'un mort. Il n'arrivait pas à exprimer ce qui l'emprisonnait, la peine, immense comme l'océan, qu'il contenait sans même savoir comment. Ce qu'il émettait n'était qu'une simple goutte, une larme dans une immensité. Peut-être avait-il peur de blesser un récepteur de tout ce qu'il nourrissait, de ce qui tempêtait à l'intérieur d'un cœur devenu pierre. Peut-être ne pensait-il pas que qui que ce soit ait la force d'âme de recevoir ce qu'il ruminait. Il ne désirait pas torturer quelqu'un… simplement trouver une… trouver un...

« Je ne sais pas, Leweïnra. J'essaye simplement de l'aider »

Un instant il songea lui dire qu'il ne désirait pas le remplacer. Mais c'était une formulation pauvre et loin de la vérité, de l'exactitude de l'affirmation. Il ne s'agissait pas de remplacement. Aldaron était le géniteur de Celeborn et cela ne changerait jamais. Et ce n'était pas non plus ce dont le bourgmestre parlait. Il ne s'agissait pas de remplacement. À aucun moment. Mais il était clair qu'il questionnait ses propres capacités parentales sur le moment. Ses deux enfants avaient connus des fins tragiques. Pour la sécurité de Celeborn, peut-être serait-il préférable qu'il s'en tienne à un rôle de beau-père. Et après un instant, ce fut exactement ça qu'il avoua à son hôte avant de descendre une fois de plus son verre. Vu la propension de ses enfants à y passer, ils allaient peut-être éviter de lui adjuger le titre de père de Celeborn. Oh qu'ils faisaient belles figures tous deux. Bourgmestre de Caladon et Gardien de la Rhapsodie, entrain de s'imbiber avec détermination, pleurant une âme sans doute très heureuse dans sa roue de réincarnation. Qu'il était stupide, stupide vraiment ! Il se sentait tellement stupide, et en même temps cette raison n'avait aucun poids pour lui, sur lui, aucune forme d'atteinte. Il avait beau se dire que Claira reviendrait sous une autre forme, il crevait toujours autant de cette peine immense, comme si le monde entier s'était soudain arrêté. Il bu, encore un verre, puis un autre. D'une voix basse, il narra un autre épisode de la vie compliquée de leur famille. Il s'agissait d'un souvenir joyeux, qui datait de la reconstruction du nouveau Domaine Baptistrale et de la visite de Claira et Celeborn pour le baptême du sanctuaire de l'eau.

Depuis combien de temps buvaient-ils exactement ? Combien de verres ? Aucune idée. Beaucoup. Beaucoup de souvenirs aussi. Des éclats de vies. Contés d'une voix rauque d'émotions retenues mais lisibles dans les mots et les tournures employées. La tendresse était réelle, malgré l'apparence si terriblement froide du Gardien des Préceptes. Il se souvenait également avoir offert à Aldaron de venir voir son petit-fils. Celeborn n'était pas tout le temps présent, il n'aurait qu'à venir à un moment où son fils ne serait pas là bien qu'avec son accord. Il avait le droit de rencontrer Elothil et de partager sa vie s'il le désirait. Sur une surface d'eau, il ne savait laquelle, le Chantelarme lui avait montré le doux visage du poupon. Il ne savait plus exactement ce qu'ils avaient fait ensemble. Le persil sentait terriblement bon, même dans la bise glacée, à présent. La matinée rayonnait. Les ombres obscures s'étaient envolées loin de Caladon, d'apparences au moins. Son cœur restait lourd. Il ne savait plus très bien ce qu'ils avaient faits d'autres pendant la nuit, à part planter du persil dans le jardin. L'alcool pouvait avoir cet effet-là. Mais il semblait que personne n'ait remarqué, ou bien ils avaient été discrets. Face à face dans l'air frais de l'aube, leurs augustes figures soulignées par la lueur rosée et tendre, le chanteur observa une fois de plus son vis à vis. Le silence se rompit sur sa dictée, de nouveau parfaitement maîtrisé après s'être rompu un nombre incalculables de fois pendant la nuit.

« Considérez mon invitation, Leweïnra. Une visite au domaine, lorsque vos fonctions vous le permettrons, pourrait être souhaitable. Selon les termes énoncés. Cela… vous permettra de faire d'une pierre deux coups et de voir certains des travaux de Valmys également... »

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    Planté du persil. Il avait planté du persil avec Kelhvehan dans son jardin. En plein hiver. Ce fut alors avec l'amusement sur les lèvres, au petit matin, qu'il contemplait ces tiges au feuillage verdoyant s'extirper du lit de neige. Il n'était pas certain d'avoir réussi à arracher le Gardien à son mal-être, mais en son for intérieur, il espérait l'avoir au moins un peu touché, plaçant un ersatz de bonheur dans son cœur devenu dévoreur et vide. Même s'il l'avait fait sortir un bref temps de son marasme, cela lui convenait assez. Le véritable bonheur était fait de petites satisfactions et d'instants partagés. On ne pouvait pas être heureux tout le temps, sinon, cela n'aurait plus de sens. L'alcool avait bien aidé. Il un souffrait légèrement, se disant, comme un petit vieux, que cela n'était plus tout à fait de son âge ces bêtises-là. Il avait écourté la réunion le lendemain car ses céphalées ne l'aidaient pas le moins du monde à maintenir sa concentration. Évidement, il avait connu pire comme conditions de vie, et c'était probablement ces épisodes qui l'avaient rendu plus fragile et moins enclin à endurer stupidement la douleur alors qu'il lui était possible de s'en départir.

    Son voyage à Nevrast ne s'était pas passé véritablement comme prévu. Là où il avait cru trouver un lien avec cette couronne de cendres et retrouver Purnendu, il était tombé sur une licorne sanguinaire et sur un peuple au bord de la guerre civile. Il avait laissé Ivanyr derrière lui lorsqu'il avait quitté ce port moisi en direction de Caladon, après s'être personnellement occupé du redressement financier de cet endroit. Il avait également conclu un pacte avec les pirates. Beaucoup voyaient en ces gredins la marque de la déchéance et des vices et beaucoup lui reprocheraient son affiliation s'ils l’apprenaient un jour. Ils ne verrait pas l'équilibre qu'il maintenait, la paix qu'il étendait sur l'archipel, ils ne verraient que la trahison. Aussi avait-il prit toutes ses précautions pour que la vérité n'éclate pas au grand jour, mais en dépit de cela, il s'était préparé pour le jour où cela exploserait.

    La tristesse enveloppait son cœur à mesure qu'il s'éloignait de Nyn-Tiamat, laissant derrière lui son Inséparable à ses ambitions, là où lui-même était appelé pour ses fonctions et pour la guerre contre les chimères qui se préparait. Inéluctable, il était encore possible que ce soit la fin de tout espoir pour les enfants de Dieux... Aussi avait-il considéré l'invitation du Gardien à se rendre au Domaine. Il y avait renvoyé Valmys quelques jours plus tôt, afin qu'il relate aux siens ce qui lui était arrivé sur Keet-Tiamat mais il savait que son petit-fils s'y trouvait aussi. S'il n'avait pas la force d'affronter Celeborn, il désirait rencontrer Elothil. L'accueil fut assez agréable et Aldaron avait suffisamment de verbe pour se prémunir de tout mensonge qui pourrait franchir ses lèvres. On l'avait conduit à travers les jardins : il n'avait jamais vraiment pris le temps de s'interroger sur ce que faisaient les apprentis ici et force était de constater qu'en plein hiver, ils préféraient la chaleur des chaumières. Ce fut au sein de l'une d'elle qu'on le conduisit. Il avait demandé à être seul lorsque le landeau s'était dessiné sous ses yeux. Il s'était approché à pas feutrés, tendu par l’appréhension.

    Le petit corps de bambin était allongé sur le dos, ses lèvres de poupon entrouvertes sur une respiration lente et profonde. Ses prunelles closes confirmaient l'état léthargique du sommeil alors que son visage enfantin était entouré de douces mèches brunes. Cela lui faisait un drôle d'effet de rencontrer la chair et sa chair, celui qui, par le sang, était un peu de lui. Ses doigts émaciés, couleur de cendre, effleurèrent la joue de l'endormi avec une tendresse sincère. Puis, avec une délicatesse extrême, il passa une main sous la tête de l'enfant et la seconde sous son corps pour le soulever lentement et le prendre contre lui. S'il n'avait pas appris avec sa propre descendance, il avait appris avec celle des autres comment s'occuper d'un être aussi fragile. Il le berçait en contemplant son visage, fredonnant tut bas un air elfique qu'il avait entendu pendant sa propre enfance. Il se souvenait de la forêt de jadis, son caractère insouciant... Et ses disputes avec son père, leur continuel désaccord. Une opposition qui l'avait conduit à partir. S'il avait été soutenu dans sa différence et sa singularité, peut-être serait-il resté auprès de Celeborn. La peur aurait pu être rassurée au sein d'une famille aimante et compréhensive. Cela n'avait pas été le cas. Il sentait dans le creux de sa gorge la boule d'un sanglot alors que l'inséparable étendait ses ailes plus encore autour de lui, le saisissant d'un manque pénible. Quand révérait-il Ivanyr ? Pourrait-il un jour lui présenter Elothil ?

    Il resta quelques heures à bercer l'enfant jusqu'à ce que celui-ci se réveille et ouvre ses grands yeux verts. Il lui parla, un instant, se présentant, échangeant avec lui quelques sourires et quelques gazouillis qui ruinaient tous son charisme. Ce fut d'ailleurs ce moment qu'avait choisi Valmys pour entrer, un biberon chaud à la main et annonçant que Maître Kehlvehan lui avait demandé de lui apporté ceci, sans qu'il comprenne le pourquoi ni comment. Il profita des retrouvailles avec celui-ci pour lui présenter Elothil, ce neveu dont il était à présent l'oncle.

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