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7 Février 1763



La brise matinale cinglait son dos, balayait sa lourde cape et ébouriffait son épaisse fourrure. A la façon d'une main insistante dans son dos, elle semblait le pousser à franchir les derniers pas qui le séparaient du cercle composé de yourtes et de igloo qui marquaient les défenses de la Légion Vat'Em'Medonis. Malgré tout son courage et l'urgence de sa venue, le graärh à la couleur de cendre hésitait encore. Alors qu'il détournait le museau des habitations qui se découpaient sur la neige pure, alors qu'il regardait par dessus son épaule l'immense étendue stérile de l'Inlandsis, il entendit approcher le crissement caractéristique des pattes frappant la poudreuse. Les battements de son cœur s'accélérèrent et il vint crisper les phalanges de sa dextre sur la longe du Yak qui servait à transporter toutes ses affaires. Sa fourrure gonfla légèrement d'appréhension, sa queue balaya le sol derrière lui en saccades et ses narines se dilatèrent sur un souffle profond, à peine plus rapide.

Il éprouvait un mélange complexe d'émotions alors que ses yeux revenaient sur les shikaaree qui l'approchaient, armes en mains. Il était heureux de rejoindre son peuple, même s'il aurait préféré que ce soit en d'autres circonstances. Il était soulagé de trouver le village en un seul morceau, chassant la mémoire fantôme de sa tribu décimée. Mais il était tout aussi nerveux à la réalisation que le moindre faux pas, que le moindre changement d'Aaleeshaan en son absence, lui vaudrait d'être tué sur l'instant. Après tout, il était un Ashuddh de rang trois, condamné pour désertion, trahison et collaboration avec un peuple ennemi. Le simple fait qu'il remettre une griffe sur la glace de Paadshail lui vaudrait en temps normal une exécution sommaire... et pourtant il était là, à seulement quelques mètres du cœur de son ancienne Légion. Fièrement dressé sur ses antérieures, vêtu d'une armure de cuir d'origine graärh, mais aussi d'une cape de confection humaine glyphé de sorte à lui tenir douillettement chaud dans ce climat implacable.

Il fut aisément encerclé et on le questionna sur son identité ainsi que la raison de sa venue. Répondre avec honnêteté ne lui servirait pas, mais mentir ne ferait qu'empirer davantage sa situation si qui que ce soit le reconnaissait avant qu'il n'atteigne Illidim. Ce fut donc un compromis qu'il choisit ; en des gestes lents pour ne pas éveiller la suspicion, Purnendu ouvrit d'une main le rabat de sa sacoche et de l'autre plongea dans ses méandres infinis pour y trouver le sceau que l'Aaleeshaan lui avait confié avant son départ, presque un an plus tôt. Gravé dans un omoplate de phoque, le symbole emblématique était peint aux couleurs de la Légion grâce à des pigments naturels. Après un bref regard à l'objet, seul gage de sa sécurité, il le tendit à celui qui dirigeait la troupe de shikaaree et resta ensuite parfaitement silencieux lorsque des murmures de confusion s'élevèrent. Il sentait leur incertitude, comprenait instinctivement le malaise dans leur posture. Ô combien ces langages silencieux lui avaient manqué ! Plus que jamais, l'absence de diversification des bipèdes dans leur mode de communication lui apparaissait de façon crue.

Il fut abandonné là, sous la surveillance de deux mâles et d'une femelle. Le reste s'en retourna entre les yourtes pour gagner la demeure de leur dirigeante afin de s'assurer que le sceau, tout comme le graärh qui le présentait, n'étaient pas des fraudes. Immobile, Purnendu observa ses gardes avec l'ombre d'un sourire dans les babines, puis il s'occupa de donner plusieurs poignées de paille à son yak pour le remercier de ses efforts tout au long de leur voyage. Il l'avait troqué dans une précédente tribu côtière après avoir faire parvenir depuis le Domaine sa malle et ses autres affaires. Il en avait profiter pour prévenir le Gardien de son détour, s'excusant de ne pouvoir venir dans les délais annoncés tantôt. Il espérait qu'Ivanyr ou qu'Aldaron aient vent de cette nouvelle et ne s'inquiètent pas trop de son absence prolongée loin d'eux. Tant de choses s'étaient produites en si peu de temps ! L'année commençait terriblement mal et le fauve cendré n'avait pas encore la moindre idée de ce qu'il se tramait avec les Chimères, n'ayant obtenu aucun nouvelle des peuples bipèdes depuis qu'il avait entamé sa pérégrination forcée dans l'Inlandsis.

L'attente ne fut heureusement pas longue et lorsque le reste des shikaaree s'en retourna auprès de lui, Purnendu fut invité à entrer dans la Légion en leur compagnie. La composition du village hétéroclite dans ses structures n'avait pas tant changé, même si l'herboriste pu constater que sa taille avait augmenté. Est-ce que les autres tribus remontaient lentement vers la péninsule pour fuir les nouveaux peuples ? Très probable. Qui serait assez fou pour confronter les grandes étendues stériles de leur île ou naviguer dans les eaux parsemées de dents rocheuses et d'autres glaciers tout aussi traîtres ? Laissant le yak dans un élevage qui s'en occuperait tout le temps de sa visite, il fut ensuite convié dans l'immense structure au centre de la Légion. Aidé par un autre graärh, Purnendu entra avec son imposante malle sans fond et fut guidé non pas dans la salle commune où les tribyoon se réunissaient et où les conflits se réglaient, mais dans une pièce séparée par de lourds panneaux de bois et des tentures épaisses suffisantes pour isoler les conversations.

Là se tenait Illidim. A sa vue, l'herboriste baissa aussitôt la tête et vint émettre un long et profond ronronnement. Posant la malle entre lui et la dirigeante, il attendit que les autres graärh soient congédiés pour oser relever la truffe. Il plongea son regard d'absinthe dans le sien et quand bien même il la savait aveugle, il esquissa un sourire ironique emprunt d'un fond d'amertume. Étaient-ils enfin arrivés à la fin de toute cette farce ou n'était-ce là qu'une étape supplémentaire pour atteindre leur objectif réciproque ? Seule la finalité de cette rencontre saurait lui apporter une réponse. Il allait devoir habilement jouer de ses cartes s'il ne voulait pas terminer avec une fourrure roussie, voire être carrément réduit d'une tête. Le silence se posa entre eux, presque confortable dans la chaleur de leur enclos. D'un roulement d'épaules, Purnendu se débarrassa de sa longue cape et la plia proprement avant de la déposer près d'un brasero. Malgré la distance qui le séparait de l'Aaleeshaan, il pouvait tout de même sentir le brasier qui se dégageait de son corps racé.

Illidim était une belle femelle, sublime même selon certains critères. Sa fourrure lustrée brillait comme une nuit de solstice et son faciès blanc rappelait la lune gibbeuse. Ses cornes élégamment torsadées s'ornaient de quartz semblable à l’œil d'un smilodon tant l'ambre fendu de noir rappelait le fauve ancestral et à cela s'ajoutait un  charisme farouche que la dirigeante exsudait naturellement. Les nombreuses cicatrices témoignaient de ses nombreuses batailles et rappelaient avec quelle violence la femelle avait récupéré le trône qu'elle occupait encore aujourd'hui. Elle venait d'une autre époque, ne respirait que pour la victoire et la sécurité de son peuple. Qu'importait les moyens mis à disposition, seule la finalité comptait à son attention impitoyable. C'était pour ce caractère sauvage et peu encombré de remords qu'il avait été possible à Purnendu de parvenir à un accord qui lui avait permis de troquer temporairement son honneur contre sa liberté et ce afin d'accompagner Ivanyr sur Calastin sans être chassé à vue sur tout Paadshail. Illidim lui avait donné une avance de plusieurs semaines avant de faire tomber sur lui les nombreux chefs d'accusations qui pesaient désormais sur ses épaules.

« - Je vous suis revenu et comme convenu je vais partager avec vous tout mon savoir sur les bipèdes. Toutefois, à la façon d'Esprit Corneille, je suis aussi le porteur de terribles et urgentes nouvelles... »

Le timbre était profond, roulant et caressant. Il n'avait pas besoin de hausser le ton, il savait que l'Aaleeshaan l'entendrait parfaitement même s'il murmurait et par égard à son ouïe excessivement fine, il veilla à ne jamais élever la voix. Il contourna la malle et vint s'asseoir dessus, prenant ses aises en sachant que dans le secret de leur rencontre, il n'était pas vraiment l'heure aux courbettes combien même les graärh n'en étaient déjà pas bien friands. Illidim savait sûrement tout le respect qu'il lui portait, un sentiment sincère dont il ne s'était pas caché lors de leur première rencontre. Sans attendre plus longtemps, l'herboriste entama son long récit sur les événements qui avaient pris racines dans les marécages d'Athvamy, sur Néthéril.

Il conta sans détours combien l’ensorcellement qui l'avait saisi de ses cruelles griffes le guida jusqu'à un mausolée et l'utilisa pour défaire la prison d'un monstre tout droit sorti des Ages Oubliés. Il expliqua la présence d'un groupe de pirates venant profaner ce lieu aussi sacré qu'interdit pour leur seul profit et éveillant davantage encore la rage de Rog, une des Couronnes de Cendre. Sans faire de pose, il détailla le bref combat qui s'en était suivit, décrivit la panique des Esprits Liés et leurs paroles, insista sur le fait que la Couronne survivait après de lourdes blessures et qu'un Karapt était intervenu en leur faveur. Enfin, ce fut d'une voix blanche qu'il parla du portail et de l'avalanche, expliquant que cette technologie ancienne reliait désormais leur île à celle de Néthéril. Un côté s'ouvrait au cœur de l'Inlandsis et l'autre à quelques heures de marches de la cité puante d'Athgalan, chef lieu des pirates esclavagistes.

Un nouveau silence tomba avant qu'il ne crispe les poings sur les bords de la malle, de part et d'autre de ses cuisses. Les griffes courbes et sombres raclèrent le bois en un bruit d'agonie avant qu'elles ne s'accrochent aux renforcement de métal et ne viennent blanchir ses phalanges sous la tension qu'il employa afin de contenir le tremblement soudain qui secouait son corps. Oreilles plaquées en arrière, sa longue queue soufflait le sol derrière lui.

« - J'ai plongé dans le portail avant qu'il ne se referme, débouchant dans les tunnels creusés par les Vers de Glace. Toutefois, je n'étais pas le seul à avoir eut ce réflexe et je confrontais bientôt Rog dans ce qui semblait être une succession de grottes effondrées les unes sur les autres. »

Le souvenir de cette rencontre lui glaçait encore le sang et sa fourrure se hérissa. Ce fut d'une voix plus ténue, hantée par les images que son esprit s'amusait à cruellement rejouer devant lui, qu'il conta cette fois combien il avait tenté de raisonner Rog, de lui faire miroiter la nouvelle époque dans laquelle ils vivaient. Purnendu avoua être naïf, mais le sang qu'il partageait avec ce fauve couleur prune ne pouvait être ignoré et tout le savoir, toute la puissance qu'il possédait ne pouvaient être, eux non plus, dédaignés si facilement. Malheureusement, ses tentatives tombèrent dans les oreilles d'un sourd et pire encore : cette grotte étaient en réalité un tombeau. Sa voix se brisa et Purnendu vint masser ses tempes, ayant encore la sensation fantôme des doigts de la Seconde Couronne pressant sur son crâne, prêt à le lui broyer.

« - Il y en avait un autre dans les entrailles de l'Inlandsis, Aaleeshaan. Le corps démembré s'est reconstruit et s'ébroua comme si tout cela n'était que futilité... Pire encore, il recomposa les bras et le thorax de Rog comme s'il ne s'agissait que d'une broutille. Je ne sais pas quel Esprit Sacré contraint-il pour avoir un tel pouvoir ou quelle arcane de magie a-t-il en sa possession, mais sa capacité de soin est au delà de tout ce qu'il m'est connu ! Même chez les autres races, aucune de leur magie n'est capable d'une telle prouesse, si ce n'est un groupe extrêmement réduit nommé les Baptistrels. »

Ses épaules se voûtèrent et il posa finalement les coudes sur ses genoux, croisant les mains avec une expression sinistre. Il n'ajouta rien, laissant à la femelle tout le temps qu'il lui était nécessaire pour digérer un tel récit.

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L’Aaleeshaan de la plus puissante légion de Tiamaranta avait fort à faire et pour cause les siens étaient sur le pied de guerre. Une guerre qui serait menée contre les envahisseurs venus de par delà les eaux et l’horizon. Ces derniers portaient de nombreux noms : elfes, humains, vampires. Ils étaient d’une race différente et certains d’entre eux s’étaient présentés à elle. Des humains qui lui avaient fait une forte mauvaise impression et des vampires qui avaient réussi l’exploit de ne pas repartir sans leur tête au prix d’un humiliant d’accord. Si la féline n’avait que peu d’estime pour ces étrangers, ceux aux longs crocs lui paraissaient les plus pitoyables. Comment avaient-ils pu accepter pareil accord ? Oh cela elle s’en doutait bien, car ils souhaitaient la paix, mais surtout pour pouvoir se reconstruire. Non sa question était plutôt : comment leur honneur avait-il pu accepter une telle humiliation ? Oui ce traité ne pouvait avoir d’autre interprétation. Illidim aurait peut-être eu plus d’estime pour eux s’ils avaient décidé de se battre au lieu de s’écraser. Quoi qu’il en soit, cet accord n’était au final qu’une profonde perte de temps et cela l’Aaleeshaan le savait déjà quand bien même elle le laissait courir. Les vampires ne tiendraient pas leur parole. Qui accepterait au traité aussi humiliant ? Personne. Il y aurait des rébellions au sein de ce peuple à l’encontre de leur dirigeante qu’elle jugeait bien trop faible. L’accord ne serait pas respecté et la guerre aurait lieu. C’est à cela que servait le délai laissé par Illidim pour réaliser les obligations du traité. Durant ce laps de temps, la cheffe de légion préparait ses troupes. Lentement les tribus étaient montées vers le nord, grossissant les rangs de Vat’Em’Medonis. C’est dans cette agitation qu’un élément perturbateur que l’Aaleeshaan n’espérait plus fit son apparition. Purnendu Chikitsak, un graärh qui avait perdu son honneur, mais auquel Illidim avait décidé d’offrir une chance. La stratégie, voilà un domaine dans laquelle la féline excellait. Or pour en mettre une en place, pour faire face à l’ennemi, il s’avère nécessaire de le connaitre. C’est ainsi qu’elle avait confié à l’Ashuddh la mission d’espion.

Des soldats firent irruption dans la yourte centrale pour lui présenter le sceau qu’elle avait confié à ce mâle. Passant ses coussinets dessus, Illidim finit par acquiescer et ordonner qu’on lui amène le porteur de ce sceau. La graärh pouvait cependant déjà le sentir au travers de la terre. Elle le voyait aussi distinctement que si elle avait encore la vue. Celui-ci entra et l’Aaleeshaan congédia les autres afin de se retrouver seul à seul.

« Je ne t’attendais plus, Purnendu Chikitsak. Voilà bien des lunes que tu es parti. Si tu es revenu, c’est que tu as accomplis ceux pourquoi je t’ai épargné lors de notre précédente rencontre. Parle donc, fais-moi ton rapport. »

L’Aaleeshaan était assise dans un siège fait en os de baleine et en peau de fenrisúlfr. Son museau aveugle était penché en direction de l’Ashuddh, ses oreilles s’agitaient comme si elle tentait de déceler toutes variations au sein de la respiration du graärh qui trahiraient ses paroles. Sans dire un mot, elle écouta le mâle parler du début à la fin. Ses sourcils se fronçant au fur et à mesure de son récit. Lorsqu’il eut fini, la femelle resta silencieuse un moment avant de se lever de son siège et s’approcher de l’espion. Elle vint soulever le museau de ce dernier d’une main, avant de la faire remonter lentement jusqu’au front de celui-ci.

« Je ne sens plus la présence d’esprits-lié en toi. Quelque chose semble les avoir muselés. Peu d’individus sont capables de faire cela. Je te crois, Ashuddh Purnendu Chikitsak. Je règlerais se problème dépendamment de la suite, si je le peux. »

Lentement, l’Aaleeshaan s’éloigna à reculons pour remettre de la distance entre eux deux. Son air se faisant dur.

« Tu as été naïf, oui. Et cette naïveté a permis à une puissante menace à peine éveillée de disparaitre dans la nature. Mais tu es parvenu à affronter le blizzard de l’inlandsis sans la protection d’aucun esprit pour revenir jusqu’ici. Je récompenserais ta bravoure et ton sens du devoir en ne punissant pas trop sévèrement ta naïveté. Un bon ennemi est un ennemi mort Purnendu Chikitsak, tâche de ne pas l’oublier. »

Illidim s’en retourna sur son siège, s’y asseyant, le museau toujours tourné en direction du gris.

« J’ordonnerais aux corneilles de chercher la menace que tu as laissé filer, à défaut de pouvoir m’en occuper aujourd’hui. Si cet ennemi est aussi puissant qu’il te fait trembler d’effroi, alors mieux vaut que Vat’Em’Medonis en ait rapidement fini avec ses affaires afin de pouvoir y faire pleinement face. Je laisse les pirates et karapt aux fils et filles de Néthéril, ils doivent pouvoir gérer eux-mêmes leur territoire. Ici, nous avons d’autres préoccupations pour le moment. J’ai conclu un accord avec les vampires. Un accord qui, je le pense, ne sera pas respecté. En conséquence, nous devrons leur faire comprendre que les graärh ne plaisantent pas. Les tribus ont répondu à l’appel de la légion et une armée sera bientôt en marche pour chasser ses buveurs de sang esclavagiste hors de notre ile. »

L’Aaleeshaan leva une main en direction de son espion.

« Je savais que ce jour viendrait, c’est pour cette raison que je t’ai laissé la vie sauve en te confiant une mission. Purnendu Chikitsak, que m’as-tu amené. Qu’as-tu à m’apprendre sur l’ennemi des miens ? Que m’as-tu apporté ? »

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Le raconter de vive voix restait éprouvant et même s’il s’agissait de la seconde fois qu’il s’essayait à l’exercice, le nombre ne facilitait toujours pas l’expérience. Il avait encore l’impression de sentir le musc de Rog et de son compagnon flotter à ses narines, autant d’odeurs qu’il n’oublierait jamais. La voix de son ancêtre, le feutre de son timbre blottit au fond de ses oreilles, voire qui grattait jusqu’à l’intérieur de son crâne ! Toutes ces années, la voix qu’il avait confondu avec celle de sa conscience… ne plus jamais l’entendre ? La perspective était aussi terrifiante que l’absence de ses Esprits-Liés et pourtant il n’en partagerait jamais l’aveu. Il ne voulait pas être associé aux Couronnes, mais n’arrivait pas à se dissocier d’eux. Pas après tout ce qu’il avait vécu et enduré. Gorge serrée, le graärh restait immobile dans sa posture quasiment prostrée. Ses pattes griffèrent le sol quand il les replia contre la malle qui lui servait de siège, sa queue s’enroula plus étroitement autour de ses jarrets et il fit un gros effort pour ne pas mordre dedans et en mâchouiller le pompon comme à chaque fois qu’il se sentait mal.

L’approche de sa Kamda le fit frémir tant par la chaleur qu’elle dégageait par le biais de la Salamandre, mais aussi par la crainte et le profond respect qu’il portait à la femelle. Gardien de nombreux contes, légendes et histoires, Purnendu connaissait celles tragiques et sublimes à la fois que représentait ce museau aveugle. Le contact lui coupa un instant le souffle, ayant l’impression de reposer sur des galets brûlant plutôt que des coussinets. Docile, il leva la tête à l’invitation de la femelle, mais il n’osa pas relever les yeux sur elle. Ses fautes pesaient lourdement en ses épaules basses, massées dans une position abattue et coupable, toutefois le jugement de l’Aaleeshaan pèserait plus lourd encore sur sa conscience. Dans un silence pesant, il attendit ce verdict et lorsqu’il fut énoncé, le félin fut incapable de trancher ses propres émotions. Comment ne pouvait-elle pas sentir ses Esprits ? Il était capable d’effleurer leur présence et ce, depuis des semaines maintenant… à moins qu’ils ne soient encore trop faibles pour être perçu par une volonté tiers ? Pire encore ; le punissaient-il de ses actions en lui accordant le minimum de leurs faveurs, un don si ténu que même Illidim ne pouvait les percevoir ?

Inquiet, Purnendu vint à déglutir en silence et rabaissa la truffe alors que la fourrure de son dos s’agitait de spasmes nerveux. S’il avait été naïf, il ne comptait pas le rester en avouant à sa dirigeante qu’elle se trompait en supposant qu’il était venu directement à elle après les incidents rencontrés à Néthéril. En sortant des caves de glace, il avait instinctivement cherché à rejoindre la chaîne de montagne et ne devait la vie qu’à l’intervention d’un jeune dragon ; Kaalys. Après une semaine à ses bons soins, il avait regagné une petite tribu portuaire à l’Est où il avait pu envoyer un pigeon pour le Domaine Baptistral afin d’y récupérer ses biens comme cette malle sur laquelle il trônait. Seulement après avait-il fait route vers la Légion et sa Kamda… mais puisque cette dernière préférait son histoire et que cela risquait fort d’arranger son propre cas, l’herboriste garda le museau fermé et hocha humblement du chef. Il ne voulait pas risquer la peine de mort, encore moins un exile où il serait démuni de tous ses biens avant d’être abandonné sur le territoire d’un Vers de Glace. L’extrémité de sa queue tapa le sol nerveusement et il poussa un long et lourd soupir alors qu’il se levait et contournait la malle.

« - Je n’oublierai pas, Kamda Aaleeshaan. Vous avez ma parole. »

Si tuer ne le dérangeait pas, il n’était toutefois pas friand de l’activité à moins que nécessité ne fasse loi. Il avait sincèrement cru pouvoir changer Rog et le fait que celui-ci ait plaidé sa préservation face à son compagnon n’ôtait pas tous les espoirs du félin, même s’il savait que cette fois-là avait été en grande partie un coup insolent de sa bonne étoile.

« - La Légion Vat’Aan’Ruda est totalement dépassée par ce qu’il se passe avec les envahisseurs. Les pirates se gavent d’esclaves sur son dos… ils ont même pu installer leur fief sur Netheril, de l’autre côté du Canyon Karaptia, sur la pointe Ouest. »

Il n’y avait aucun mépris dans sa voix, aucun jugement particulier. Ce n’était pas sa place de remettre en doute les actions d’une Kamda, mais il tenait à apporter les nouvelles qu’il avait pu accumuler depuis son voyage, presque six mois auparavant. La situation de la Légion au Sud de l’Archipel n’était pas reluisante… même si elle n’avait rien de comparable avec celle que vivait la sienne ici.

« - Un accord avec les vampires ? Comment... »

Il n’alla pas plus loin dans ses propos, mais la surprise autant que la consternation étaient parfaitement audibles dans le timbre chaud et ronronnant de sa voix. Il avait appris l’instabilité du peuple vampirique ainsi que ses coutumes les plus archaïques bien que semblables de façon troublantes à celles qui prenaient lieux dans son propre peuple : la loi du plus fort. Une hiérarchie stricte, une succession seulement possible dans la mort de l’ancien dirigeant. Passer un accord de paix avec ce peuple était aussi risqué que volatile et heureusement pour les graärh de Paadshaïl, Illidim n’était pas née de la dernière neige. Guère dupe des risques, elle semblait même y compter afin de renverser la situation et se donner tous les droits pour une contre-attaque sanglante. Un appel à toutes les tribus n’était pas quelque chose qui se faisait à la légère, même pour une Kamda. Un frisson d’excitation primaire et instinctif coula sur l’échine du cendré qui regretta presque d’avoir d’autres affaires à Calastin. Il aurait aimé participer à un tel événement… mais il le pouvait encore, à sa façon !

« - Je pense avoir ce qu’il vous faut en ce cas... »

Accroupi derrière la malle, il l’ouvrit en grand et observa son intérieur insondable, présumé vide pour un regard profane. Il expliqua le principe des glyphes et que cet objet en particulier possédait un espace illimité, confiné à son intérieur et accessible sur un vœux de volonté et d’un minimum de connaissance sur l’objet qui y était stocké.

« - Grace à mon patient, Ivanyr Veanya, nous avons immédiatement voyagé de Paadshaïl sur Calastin et plus précisément dans le port qu’ils appellent Caladon la Revenante. Cette ville est leur plateforme commerciale, c’est un véritable carrefour où se brassent toutes les cultures, ressources et connaissances apportées par les bipèdes et qui devraient être, en temps normal, dispatchées aux quatre coins de l’Archipel. Grace aux contactes et amis de mon patient qui se sont révélés sur place, j’ai eut accès à ce qu’ils appellent une… bibliothèque. Je n’ai pas le terme dans notre langue, mais il s’agit d’un lieu de savoir. »

Le graärh plongea les deux bras dans la malle et commença à sortir plusieurs ouvrages et parchemins qu’il disposa proprement sur une surface plane, hors du passage et des risques d’être abîmés.

« - Heureusement pour nous, les bipèdes raffolent des histoires –qu’elles soient pertinentes ou pas d’ailleurs– et parce qu’ils ont peur d’oublier, parce qu’ils sont majoritairement égocentriques et destructeurs, ils vouent un véritable culte à l’écriture et par conséquent ; à ces fameuses bibliothèques. J’ai contemplé des murs entiers encombrés d’ouvrages, allant du récit des peuples à ceux de simples familles. Il y a autant d’études sur la faune et flore de leur ancien continent qu’il y a de livres sur des contes imaginés, voire des recettes de cuisine ou d’architecture… Ils compilent absolument tout ce qui est possible de l’être sans logique apparente. »

Son incrédulité ressortait clairement et il secoua la tête de droite et de gauche, un soupir dans les babines.

« - Mais grâce à ce comportement, nous allons pouvoir en apprendre énormément sur eux. Durant mon séjour à Caladon, j’ai focalisé mon attention sur la traduction de leur langue commune et je l’ai compulsé à mon tour dans un ouvrage. Bien sûr, il y a beaucoup de mots et de termes qui ne peuvent être retranscris dans un sens comme dans l’autre… mais je me suis assuré de rendre le tout aussi complet que possible. »

Mis simplement, il s’agissait d’un dictionnaire graärh – commun. Il posa l’ouvrage sur le dessus de tout les autres et en effleura l’épaisse couverture de bois et de cuir avec un profond respect. Il lui avait fallu des semaines, voire des mois pour l’achever. Il l’avait commencé un an auparavant, quand il apprenait la langue avec Ivanyr dans le confort de leur yourte, mais ce n’était qu’une fois à Caladon qu’il avait pu le peaufiner et l’achever.

« - J’ai aussi rapporté des ouvrages sur leur Histoire, celle de tous les peuples, d’autres concernent leur magie ainsi que leurs us et coutumes… mais ceux qui devraient vous intéresser le plus sont dans cette pile. »

Il tapota les livres concernés.

« - Écris philosophiques ou simplement académiques sur les techniques militaires de chaque peuple au cours de leur Histoire jusqu’à aujourd’hui… du moins, ce qu’ils ont réussi à sauver dans leur exode. J’ai des livres sur l’artisanat de la forge, le travail du cuir, le laquage du bois, mais aussi sur l’architecture, leur ingénierie navale pour le transport et la pêche. Je n’ai pas pu obtenir de secrets militaires, mais les bipèdes adorent raconter ce qu’ils voient et ce qu’ils découvrent par eux-même ! Des membres de la caste civile ont donc écris sur les armes, les armures et d’autres procédés semblables que l’on pourra aisément rapprocher de ce que leurs armées peuvent utiliser. »

Purnendu couva les livres du regard.

« - J’en ai traduit une partie, mais je n’ai pas eut le temps de tout faire. J’ai fais des annotations sur les zones les plus complexes des ouvrages que j’ai pu survoler, mais je reste persuadé que nos Tribyoon n’auront aucun mal à saisir la langue commune et poursuivre d’eux-même, d’ici quelques mois, ces traductions. »

Il releva le museau sur la Kamda.

« - J’ai aussi apporté plusieurs pièces d’armures et d’armes afin que vous constatiez vous-même de leur niveau technologique… et j’ai un cadeau qui vous est spécialement désigné, si vous me permettez cette audace. »

Il sentait ses doigts trembler légèrement alors qu’il rabaissait humblement la truffe et contempler le fond obscure de la malle, attendant les réactions de sa dirigeante avant de poursuivre.

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La graärh adoptait la posture digne et noble d’un chef. Son espion était enfin de retour après tant de lunes. Celui-ci venait lui faire son rapport sur ce qu’il avait pu apprendre sur les envahisseurs venus de par delà l’océan. De ces peuples brisés et pourtant prompts à la destruction, à la violence, au pillage. Il n’y avait aucun honneur en eux, ils avaient fui un ennemi, incapables de le vaincre, plutôt que de le combattre jusqu’au bout et de mourir l’arme au poing. Toutefois, si l’Aaleeshaan était capable de comprendre cette tactique et ce désir de préservation, elle ne pouvait l’accepter. Ils avaient préféré abandonner leurs terres plutôt que de mourir sur elles en les défendant. Il n’y avait pas grand-chose à craindre d’individu de cette sorte, cependant, la féline ne pouvait nier qu’ils représentaient une menace, une épine dans son coussinet. Un moustique désagréable qu’il fallait éliminer ou tout du moins encadrer. L’élimination restait toutefois la solution de facilité et elle le préférait. Il n’y avait ainsi aucun risque de tromperie. Le museau de l’aveugle était figé sur le banni. Ce dernier lui avait fait part d’une menace qu’il jugeait terrible. L’Aaleeshaan n’avait pas pris à la légère l’avertissement de celui-ci, cependant elle avait beaucoup à faire et ne pouvaient pas se battre sur tous les fronts. Ces mystérieux graärh, ces couronnes de cendres. Eux aussi constituaient une menace et elle s’en chargerait en temps voulu. Elle procéderait de la même façon qu’elle l’avait fait pour les envahisseurs. Tout d’abord, elle récolterait sur eux des informations et les localiserait, avant de lancer une attaque dans le but de les détruire. Mener une bataille n’est pas une chose que l’on fait à la légère, il faut se préparer. Et dans l’immédiat, elle se préparait à une guerre contre le peuple aux longs crocs. L’accord avait très peu de chances d’être respecté, elle ne se leurrait pas. Elle avait jaugé la dirigeante adverse et l’avait estimé faible. Un chef doit par moments prendre des décisions contestables, mais pas seulement, il doit aussi pouvoir faire appliquer lesdites décisions. Or si elle l’avait jugé apte à prendre de telles décisions, elle ne l’avait pas jugé apte à les faire appliquer. En conséquence de quoi, Ilidim mettrait sa menace à exécution et marcherait en direction du sud. Enfin, comme attendu, Purnendu commença à faire son rapport.

La nouvelle concernant la légion du sud ne la surprit point. Les félins de l’ile de l’été avaient toujours été plus moues, plus laxiste, plus faibles que ceux de l’ile de l’éternel hiver. La grâce offerte par les rayons du soleil rend la vie certes plus facile, mais elle ne permet pas au peuple de s’endurcir. Mais de là à ne pas réagir face à des individus agissant comme une tribu voyou, c’est un aveu de faiblesse. L’Aaleeshaan renâcla à cette nouvelle, affichant sans masque son mépris pour la légion Vat’Aan’Ruda et sa dirigeante. Un jour, elle et Ilidim devraient se rencontrer en raison des opportuns s’arrogeant le droit d’occuper leur archipel. Elle n’aurait pas de difficulté à prendre le dessus sur cette dernière. D’un petit geste de la patte, l’aveugle indiqua au médecin de continuer, il aurait bien le temps d’apprendre les détails de ce qui s’était produit avec les vampires plus tard. Sur l’heure, elle voulait en apprendre davantage sur ses adversaires, sur leur capacité militaires dans l’éventualité plus que certaine de futures batailles. Avec une grande attention, elle écouta, en silence. Elle aurait presque ricané en entendant cette histoire de bibliothèque. Si elle reconnaissait et comprenait l’intérêt de la chose, elle ne pouvait pour autant l’accepter. Cette façon de procéder, de conserver les secrets, il pouvait permettre à l’ennemi de les apprendre. Et c’est justement ce qui venait de se produire. Alors que chez les graärh. Un sage préférerait se trancher la langue ou mourir plutôt que de révéler ses connaissances à un adversaire. De plus, cette façon de procéder, d’accumuler des connaissances … elle conduisait à la vanité et à la catastrophe. Les graärhl’avaient bien compris, et même s’il avait oublié pourquoi et comment, une chose était sûre, leur façon de procéder aujourd’hui résultait sans nul doute de leur arrogance passée.

Avec tranquillité, Ilidim se leva pour s’approcher desdits ouvrage, elle les effleura afin d’en jauger le volume, ce qu’elle ne pouvait faire avec son esprit-lié. Il y avait là beaucoup de connaissances. Nul doute que le banni avait dû passer de nombreux jours à travailler. Et si ce qu’il disait était vrai, si la somme de connaissances accumulées par l’ennemi était importante, alors ce qu’il y avait ici n’était qu’une fraction. Une fraction qu’elle savait toutefois concentrer sur ce qu’elle attendait.

« Tu as bien travaillé Purnendu. Nos Tribyoons prendront le relais sur ce que tu as à apporter. Répartir les tâches entre plusieurs individus permettra d’abattre le travail plus facilement et rapidement. Montre-moi les armures et armes tu as apporté. Nous en avons déjà récupéré auprès des vampires. Mais les envahisseurs sont des peuples différents et non unis. Ils doivent donc disposer d’armement différent. Avec des qualités différentes. Nous devons savoir à quoi nous attendre afin d’adapter nos propres équipements. »

Ilidim haussa un sourcil. Un cadeau ? Il lui avait apporté un cadeau ? Qu’est ce que cela signifiait ? Qu’espérait-il de la sorte ?

« Soit, montre-moi ce donc ce que tu comptes m’offrir. Mais avant cela. J’ai une question. Tu dis disposé de connaissance sur leurs histoires. Tu les as donc lus. »

La féline s’approcha lentement d’un brasero, venant caresser les flammes à l’intérieur.

« Un feu-incarné est venu à nous il y a bien des lunes. Aussi grand qu’une montagne. Aussi puissant qu’une licorne … plus je dirais même … Jamais de toute vie graärh pareille créature n’a été aperçue. Dragon, c’est comme ça que se nomme son espèce. Il est arrivé en même temps que les envahisseurs. Je sais qu’il en existe plusieurs autres comme lui sur notre terre, sans pour autant en connaitre le nombre exact. Il nous a … montré des choses. Des images … des sensations … c’était … assez troublant. Il s’agissait selon lui de l’histoire des peuples envahisseurs, tout du moins de celle qui concerne leur guerre aussi bien entre les peuples qu’au sein de ces mêmes peuples. Mais également du traitement que son espèce a reçu des ‘bipèdes’ comme il les nomme. Toi qui as pu avoir accès à leur ouvrage historique. Raconte-moi ce que tu as pu lire. Même si ce qu’il a montré … non je dirais partager … avec la tribu semblait empreint d’une profonde vérité, je ne peux totalement m’y fier. Tous, nous avons senti de sa part de la colère, la haine … mais aussi du chagrin. Les sentiments brouillent les pensées. Aussi je dois m’assurer de ces propos. Parle donc Purnendu.»

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Il pu sentir son approche par la chaleur irréelle que dégageait la fourrure de la femelle. Favorite de la Salamandre, elle n’avait à craindre ni le froid ni les combats rapprochés tant le brasier de son Esprit-Lié l’occupait. De cette ardente protection, elle était aussi la lumière qui guidait à nouveau la Légion Vat’Em’Medonis au travers d’un âge sombre. Cette fois cependant, Purnendu désirait que ce soit définitif et que les Tribyoon cessent de la replonger en stase dès qu’ils n’avaient plus besoin d’elle. Tête toujours basse, il huma les parfums qui s’attardaient dans son sillage et observa le balancement indolent de sa queue alors qu’elle passait près de lui pour effleurer les nombreux ouvrages disposés tout autour de la malle comme autant d’édifices glorifiant la connaissance. Il serait mentir que de dire qu’il n’éprouvait pas une attraction pour elle, car Illidim représentait toutes les valeurs que l’on pouvait attendre d’une Kamda et plus encore pour celle régnant sur cette île aux terres hostiles.

« - Vos paroles me comblent. »

Et il était sincère. Savoir qu’il venait de la satisfaire lui procurait un profond sentiment d’achèvement et de soulagement. S’il avait quitté Nyn-Tiamat voilà bien sept mois à présent, ce n’était pas uniquement pour soulager Ivanyr et l’accompagner dans la voie de sa guérison. Ce n’était pas non plus uniquement pour satisfaire sa propre curiosité et soif de savoirs nouveaux… il voulait, sincèrement et viscéralement, aider son peuple contre l’esclavage mais aussi tous les autres dangers que les sans-poils apportaient avec eux. Ceux plus sournois, plus lents à se développer et qui, pourtant, seraient bien plus mortels que des chaînes autour du cou. Bien avant qu’il ne confronte Rog et ne découvre l’Anneau de Transport, les légendes des temps anciens faisaient déjà mentions de merveilles oubliées, mais pas perdues ; elles dormaient, silencieuses, quelque part sur l’Archipel. Il était hors de question que les nouvelles races se les accaparent !

« - Un cadeau… en effet ! J’espère qu’il saura vous combler, Kamda Illidim. »

Le félin à la couleur de cendre s’arracha à ses sombre pensées et plongea à nouveau un bras dans l’obscurité de la malle sans fond. Il laissa cependant sa main dans cet univers de poche, griffes refermées sur le tissus glyphé qu’il comptait lui offrir, obéissant avec diligence à chacune de ses demandes. Oreilles dressées, il écouta ce qu’elle avait à lui conter et ouvrit de grands yeux à la mention d’un Dragon ayant approché son peuple. Purnendu fut contraint de se mordre la langue pour ne pas l’interrompre de ses questions abruptes et se força à l’écouter jusqu’à la fin. Il s’en félicita d’ailleurs lorsqu’il lui fut encore démontré combien Illidim était une stratège posée et réfléchie malgré sa féroce réputation. Un silence flotta après la requête de la dirigeante et l’herboriste resta songeur durant de longues minutes. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut tout d’abord pour demander la couleur des écailles de ce grand saurien et quand il eut obtenu l’information, il hocha lentement la tête.

« - Il s’agissait de Verith Feu de l’Ire. Le Soleil Rouge, la Fureur Vermeille. Il est l’incarnation du Dragon Libre et l’Aile de Mort à tout ceux qui s’opposent à lui et ses plans. »

La voix profonde du graärh vibrait de crainte et de respect alors qu’il connaissait le dragon depuis les légendes et nombreuses rumeurs qui suivaient l’ombre du colosse où qu’il aille.

« - Les dragons possèdent la capacité de partager leurs pensées… et je présume aussi leurs souvenirs et émotions arrivés à un certain age ou une certaine puissance. »

Il n’avait rencontré, jusqu’à présent que deux dragons et tout deux étaient relativement jeunes si l’on comparé leur existence à celle, totale, de leur race. Encore un moment songeur, le graärh retira sa main de la malle et déposa un petit paquet sur le sol, près de cette dernière alors qu’il se redressait pour approcher d’une des piles de livres.

« - Il est exacte que les nouveaux peuples sont belliqueux… toutefois l’avis du Dragon Rouge est biaisé à cause d’une magie qu’ils nomment le « Lien » et dont l’origine remonte à très loin dans les racines de leur Histoire commune. J’ai rencontré un couple de Liés ; une jeune femelle humaine et un dragon à la couleur de cuivre, tous deux sont en adoration pour cette magie et se trouvent incapable d’imaginer une existence sans elle. Un autre dragon a connu la vie avec et sans ce mystérieux « Lien »… et aux dernières nouvelles, il se porte comme un charme. »

Il fit glisser la courbe d’une griffe sur les tranches de plusieurs ouvrages, cherchant celui qui saurait lui convenir pour l’occasion. Lorsqu’il le trouva, il tira le livre de sa pile et commença à le feuilleter dans un bruissement de pages. Quelle douce musique à ses oreilles ! Lorsqu’il trouva les paragraphes relatant l’histoire des peuples, Purnendu vint s’asseoir en tailleur, replia la queue contre lui et conta les événements qui couvraient le Second Age avec les premiers dragonniers et les guerres terribles qui s’y succédèrent entre Elfes et Vampires, leurs motivations et achèvements. Il enchaîna avec le Troisième Age et l’arrivée des humains sur le continent d’Ambarhuna, leur expansion affolante puis leur participation forcée au conflit séculaire opposant les deux autres peuples.

Le félin toucha du doigt les premières dissension draconiennes entre ceux qui n’aimaient pas voir leurs paires se soumettre à ce Lien et se retrouver mêlés à des guerres de créatures inférieures et ceux, charmés par cette magie unique, qui combattait farouchement pour les principes de leurs liés. La lecture se poursuivit longuement et la voix rythmée et modulée du grand félin traduisait les textes avec aisance. Il les connaissait lui-même presque par cœur. Il parla du lien entre les dragons et la magie, leur disparition du continent et entra ainsi sur le dernier âge de mémoire d’Hommes ; débuté à seulement une décennie d’aujourd’hui. Il était dis que la magie du Lien avait permis le retour des dragons sur Ambarhuna et avait laissé une seconde chance aux peuples de survivre.

La décennie suivante fut seulement survolée, car la complexité des œuvres politiques était horriblement indigeste, même pour lui. Il ne fit mention que des nombreuses guerres, alliances brisées et trahisons qui secouèrent les royaumes et peuples tout entiers… jusqu’à leur fuite causées par les fameuses « Chimères ». Lorsque sa voix s’estompa, les dernières syllabes avalées par le crépitement des flammes dans le brasero, il referma doucement l’ouvrage et en caressa la couverture de ses coussinets rêches.

« - C’est une longue histoire consignée ici… mais qui permet d’en apprendre beaucoup sur eux, heureusement. »

Il se releva et déposa le livre sur le sommet de sa pile avant de s’accroupir afin de ramasser le petit paquetage. Tirant délicatement sur la cordelette qui le maintenait en place, il révéla un rectangle de tissu blanc dont deux des coins étaient cerclés d’anneaux de métal brossé pouvant être passés au travers des cornes de la femelle de sorte à ce que le voile ne lui tombe sur le front, les yeux et une partie du museau. En broderies graärh, l’esprit du Faucon était cousu de fils chatoyants sur la partie supérieure avec le glyphe habilement tissé dans les nœuds et courbes du motif à la symbolique parlant pour elle-même. Il avait fais l’acquisition du tissus et de son glyphe dans le marché magique de Caladon sous les conseils avisés du Bourgmestre Leweïnra et de son ami Ivanyr. La broderie venait d’une graärh sur la côte Est de Nyn-Tiamat, une œuvre exquise en échange d’une jarre de lait de chèvre.

« - Si vous acceptez ceci, vous serez en mesure de lire tous ces livres et vous assurer de leur contenu vous-même, Kamda Aaleeshaan. »

S’il doutait de ses Tribyoon ? Juste un petit peu… suffisamment pour ne pas paraître naïf quant aux jeux de pouvoirs qui pouvaient se dérouler même chez eux, au sein d’une caste aussi élitiste et étroite que les naayak. Il voulait qu’Illidim obtienne ses propres connaissances, sans aucun filtre ni contrainte. Il lui tendit le voile et courba l’échine ce faisant, puis attendit qu’elle accepte ou refuse avec un léger frisson secouant son épaisse fourrure de cendre.

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L’aveugle félicita Purnendu pour le travail qu’il avait accompli. Le voilà revenu avec une partie du savoir des envahisseurs. Cela serait très utile dans les temps à venir, la guerre semblant être une solution sérieuse. Le peuple ayant décidé de squatter leur île étant belliqueux et dépourvu d’honneur. Les interrogations de l’Aaleeshaan ne cessèrent toutefois pas. Elle avait de nombreuses questions. Beaucoup trouveraient réponse lorsqu’elle prendrait connaissance du contenu des livres. Mais pour certains d’entre elles, Purnendu devait les exprimer de vive voix. Après avoir indiqué la couleur des écailles du feu-incarné ayant prit contact avec la légion du nord, Illidim écouta la réponse. Elle ne dit mot, réfléchissant sur la réponse apportée. L’expertise de Purnendu était contradictoire, l’envahisseur était effectivement belliqueux, pour autant l’avis du feu-incarné sur ces derniers serait biaisé. Il faudrait savoir. L’avis était-il biaisé à tort en raison d’une idéologie, ou à raison par certaines connaissances justifiant sa défiance. La cheffe patienta le temps que son espion lui décrive l’histoire dans les grandes lignes des nouveaux peuples. Ce qu’elle y apprit ne fut pas pour la réjouir. Le temps passa et l’aveugle fit preuve d’une grande patience alors qu’elle s’imprégnait des récits.

« C’est une longue histoire consignée ici… mais qui permet d’en apprendre beaucoup sur eux, heureusement. »

Tout aussi tôt, l’Aaleeshaan poursuivit.

« Une histoire rythmée par la guerre, la destruction, la trahison et la part la fuite, voilà ce que j’en retiens. Voilà la nature de ceux avec qui nous devrons traiter. »

Apprendre l’histoire des envahisseurs n’avait pas joueur en leur faveur à l’intérieur de l’esprit de la féline. Et ce qu’elle apprenait là faisait écho avec ce que sa tribu avait pu apprendre du feu-incarné. Ils avaient été invités à la méfiance, un judicieux conseil qu’il faudrait appliquer chaque jour et à chaque contact avec l’envahisseur.

Le museau de la graärh se tourna vers l’espion, qu’elle observait par la terre. Ce dernier était en train de sortir un objet, visiblement ce qu’il comptait lui offrir. Il comptait lui rendre la vue avec ? Voilà une intention l’louable, surtout si cela lui permettait de lire par elle-même les nombreux ouvrages. Cependant, elle avait sacrifié sa vue pour obtenir le pouvoir de sauver son peuple. La féline se leva et s’approcha doucement, passant la main au-dessus de l’objet comme pour l’analyser par des sens magiques.

« J’accepte ton présent, Purnendu. Mais je ne puis t’assurer que je l’utiliserais, quand bien même je sens que ton intention est louable. J’ai sacrifié ma vue à la Salamandre afin d’obtenir un pouvoir capable de fendre la glace de l’inlandsis et sauver mon peuple. Il me faudra l’interroger pour savoir si elle m’autorise à recouvrer temporairement ce sens que j’ai perdu. Pose-le avec le reste, et mets tout cela de côté. »

Illidim se retourna tout en portant une main à une des sacoches qu’elle portait à la ceinture. L’Aaleeshaan leva son autre patte libre, venant puiser dans la force de son esprit-lié pour raviver les braséros, venant se faire élever des flammes avant d’y jeter une sorte d’herbe réduite en poudre qu’elle extirpa de sa sacoche. Le feu prit une teinte verte et une fragrance s’en échappa.

« Tu accomplis un grand travail pour la légion, Purnendu Chikitsak. Ces connaissances me seront très utiles. En dépit de la naïveté dont tu as fait preuve face à cette nouvelle menace qui s’est éveillée, je vais t’aider à renouer avec tes protecteurs. Leur aide te sera précieuse, car j’ai une autre mission à te confier. Elle sera d’une grande importance. Une fois que tu l’auras accompli, tu pourras revenir auprès des tiens. Suivant son résultat je serais même disposé à t’attribuer une place de Tribyoon auprès de mon conseil. »

La lueur s’échappant des flammes sembla devenir plus lugubre et la fragrance qui s’en échappait plus forte.

« Lors de sa première venue, le feu-incarné a montré un intérêt certain à nos légendes du Bâoli. Dernièrement, il est revenu. Il semble avoir la volonté de vérifier si la légende est vraie en le découvrant. Il est venu demander mon assentiment et je lui ai donné. En échange il m’a donné un objet. Selon lui, l’artefact devrait aider à sa découverte du puits des esprits-liés. Tu vas l’aider dans sa quête et ainsi surveiller son déroulement. Si jamais cela devait réussir, tu devras m’informer immédiatement et sans délai. »

Illidim sortit l’objet en question. Cette dernière ressemblait à une langue de feu avec une encoche laissant présager qu’il n’était qu’un fragment d’un objet plus grand. Une puissante magie s’en dégageait. Elle le tendit à Purnendu, l’intimant de le ranger.

« Approche du feu Purnendu. Plonge ton regard au cœur du brasier. »

L’Aaleeshaan remit une patte dans l’une de ses sacoches, en sortant cette fois-ci des sortes de baies. Fermant le poing qu’elle plongea dans le brasier, elle le ressortit ensuite. Les baies étaient devenues cendre et une fumée très odorante et agressive s’en échappait. Elle vint placer sa main sous la truffe du graärh.

« Inspire Purnendu Chikitsak et ne détache pas ton regard des flammes. Tes protecteurs t’apparaitront bientôt et t’accorderont à nouveau leur bénédiction. »

Illidim fit plonger Purnendu dans un état de transe, l’accompagnant de psalmodie, forçant son esprit à se détacher du plan terrestre afin de lui permettre de s’élever et d’entrer en communion avec les protecteurs lui ayant accordé leur bénédiction.

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Il attendait, docile et patient. Il y avait des chances -et pas des moindres- que la Kamda prenne ombrage de son présent et ne le rabroue. Faire mention d’un handicape, même s’il était causé par un Esprit, était un sujet délicat à approcher, plus encore lorsque l’on se confrontait à une femelle liée à la Salamandre. Un frisson coula dans le dos du graärh en la sentant approcher et sa longue queue s’enroula autour de ses jarrets alors qu’il courbait davantage encore l’échine et baissait plus bas son museau de sorte à tendre sa nuque, se mettant volontairement en position vulnérable. Le son de sa voix le fit légèrement tiquer, mais ses paroles l’apaisèrent aussitôt et il émit lui même un léger roucoulement chaud et caressant pour la remercier de sa générosité. Reculant d’un pas, il se détourna afin de poser l’objet sur la pile la plus haute des livres.

Lorsqu’il se tourna de nouveau vers elle, s’arrachant à la contemplation de tous les ouvrages qu’il avait lentement collecté et traduit pour les siens, Purnendu remua de la truffe à la soudaine fragrance qui baignait l’air. Ses oreilles se dressèrent et ses yeux se plissèrent alors qu’un sourire appréciateur ourlait ses babines sombres. Il reconnaissait ces herbes et cela présageait une conversation très favorable… et il eut raison de le penser lorsque Illidim pardonna ses erreurs et proposa même au guérisseur de l’aider à renouer avec ses Esprits. S’il les avait récupéré depuis des semaines maintenant, il devait avouer que leurs pouvoirs lui semblaient parfois brouillés comme s’il y avait encore des perturbations ou qu’il était volontairement mis sur le banc… Comment se fâcher ? Il méritait pareille punition.

La promesse, toutefois, le fit légèrement sursauter et il releva le museau vers la Kamda, n’en croyant pas ses quatre oreilles. Lui, accepté dans les Tribyoon de la Légion !? Non, c’était un appât pour le motiver. Rien de plus. Il ne devait pas se laisser si aisément leurrer, il n’avait pas l’honneur et la réputation suffisantes dans la Légion pour qu’une telle décision soit reconnue auprès des autres héros qui constituaient le fier peuple de la Médonis. Ses doutes et son incrédulité, toutefois, furent préservés au secret de ses babines alors qu’il se contentait de s’abaisser et de moduler un ronronnement. Il lui était toutefois reconnaissant, sincèrement et du fond du cœur, de considérer cette option. Humble, il se contenta de souffler en lui coulant un regard furtif :

« - Je remercie la générosité de vos paroles. Toutefois, simplement redevenir un kisaan et pouvoir à nouveau marcher la tête haute en ma terre natale serait un honneur suffisant, Kamda Aaleeshaan. »

Il n’insista pas, ne voulant pas non plus avoir l’air de cracher sur sa parole donnée. Seul le futur saurait lui donner raison ou tort. Mettant de côté tout cela, il se redressa alors que la suite venait et qu’elle le plongeait dans une perplexité plus grande encore. Au parfum entêtante des plantes, ses sens commencèrent à s’émousser, mais il était encore assez lucide pour sentir son esprit bouillonner de questions qu’il n’osa pas poser. Pas immédiatement. Mais tout de même ; le Baôli !? Oui, bien sûr qu’il voulait faire partie de cette expédition !!! Il s’agissait d’une des plus vieilles légendes de son peuple et elle était probablement liée aux Couronnes de Cendre. Inconsciemment, Purnendu gonfla sa fourrure à l’excitation qu’il éprouvait soudainement et le pompon de sa queue battait le sol en petites saccades.

« - Je ne vous décevrez pas, Kamda Illidim. »

Jamais.

« - Je trouverai le Baôli et notre Légion pourra réclamer les terres sacrées sous son égide. »

Il prit l’objet avec respect et l’observa sous tous les angles afin d’en graver les moindres détails dans sa mémoire. Lorsque ce fut fait, il l’enroula dans un tissu et le glissa dans sa sacoche. Il allait devoir se replonger dans ses plus vieux écris et trouver un moyen de contacter ce dragon.

« - Au cas où Feu de l’Ire reviendrait, dite lui que j’ai réclamé une grotte dans le Nin-Daaruth, aux pieds de la Gorge du Monde. Ce serait un honneur de discuter avec lui de mes connaissances sur le Baôli. »

Ayant terminé avec ce sujet, le félin s’approcha du brasero et sentit immédiatement les fumées l’entourer, s’enrouler à ses sens pour le plonger dans une transe profonde. Les yeux d’absinthe s’accrochèrent aux reflets des braises, pupilles étrécies à deux fins traits de pinceaux. Il obéit au rituel, inspira profondément et expira tout aussi lentement. La pièce tangua, puis disparues et seul resta un rêve de communion auprès de ses Esprits protecteurs.

* * *

Lorsqu’il émergea de l’immense yourte, Purnendu fut ébloui par la lumière extérieure et ce, malgré les nuages qui couvraient le soleil et la neige cotonneuse qui virevoltait dans l’air humide. Un frisson le gagna et il s’ébroua alors qu’il regardait autour de lui en ayant encore le bourdonnement de son sang à ses tempes, totalement étourdi de sa transe. Gonflant le poil pour augmenter son isolation au froid extérieur, le félin s’avança dans les rues bondées de la Légion et alla d’abord s’assurer que son yak soit bien traité à l’écurie. Il le trouva dans un enclos, entouré d’autres animaux de traits en train de paître les herbes sèches qui se récoltaient au printemps sur les falaises rocailleuses, plus à l’Est. Sourire aux babines, il s’en alla vers le centre de la ville là où tous les kisaan vivaient et troquaient le fruit de leurs artisanats.

Accroupi devant une étale de sculptures d’os et de bois sur le thème de l’océan et de ses merveilles cachées, il cherchait une silhouette particulière. Délicatement, ses griffes bougeaient les nombreuses babioles et petites effigies, puis lorsqu’il trouva son bonheur, Purnendu ne pu s’empêcher de roucouler d’admiration. Taillée dans un seul bloc de corail, haute d’une dizaines de petits centimètres, l’hippocampe avait des yeux en perles d’ambre vert et se lustrait d’un vernis qui mettait encore plus l’accent sur les teintes orangées et roses qui marbraient son corps si délicatement détaillé. Sa queue s’enroulait sur une lanière de cuir tressé à de la laine de rhinocéros ainsi qu’une gerbe de perles d’ambre rouge. Il fallu de âpres négociations pour que l’ashuddh puisse l’obtenir. Contraint de se séparer d’un couteau de chasse de facture humaine, il s’éloigna ensuite vers une autre yourte pour fureter du côté des encens de résines et des plaques en bois pour les offrandes à brûler lors des prières dédiées aux Esprits.

Finissant ses achats, il en était à se demander quel serait le meilleur endroit pour adresser sa communion à l’Hipoccampe lorsqu’il sentit une main se poser sur son épaule. Se tournant, il confronta des yeux au vert aussi saisissant que les siens perdus dans une fourrure épaisse blanche mouchetée de noir. Plus massif que lui, mais légèrement plus petit, Goutham avait bien changé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu. Son unique enfant encore en vie et, à voir les peintures de guerre qu’il arborait, il était devenu un puissant shikaaree dans la Légion. Un sourire vint naturellement aux babines de Purnendu qui serra l’avant-bras de sa progéniture en réponse, soulagé de le trouver bonne santé et nullement agressif à son égard. Combien de fois avait-il hésité à venir le trouver et combien de fois avait-il renoncé de peur d’être arejeté ? Les deux graärh échangèrent un long regard qui se passait de toutes paroles, puis marchèrent côte à côte pour trouver un lieu calme où ils pourraient rattraper le temps perdu.

Quelle ne fut pas la surprise de Purnendu lorsque son fils s’arrêta en bordure des dernières yourtes et igloo, en plein cœur du quartier des guerriers qui défendaient la Légion pour montrer à l’herboriste quatre jeune graärhons. Une femelle et trois mâles s’entraînaient farouchement à la lutte. Deux possédaient une fourrure sombre semblable à l’Âpre-Cendre tandis que les autres se partageaient la blancheur de la neige avec des rayures ou des tâches. Son cœur se serra alors qu’il approchait pour prendre connaissance de leurs noms. Les heures passèrent et Purnendu retrouva la nostalgie d’une vie en tribu.

La sienne avait disparu un an auparavant, peut-être plus pour ce qu’il en savait. Sa génitrice, sa sœur et ses membres ; d’aucun n’avaient survécu. Son père avait été banni pour son incapacité à les protéger et ivre de rage, il avait plongé dans une croisade contre les vampires. Cependant, par delà les flots, le graärh avait trouvé des alliés, des amis même pour panser sa solitude et son chagrin. Toutefoisn ils n’étaient et ne seraient jamais des graärh. Même Ivanyr, son tendre Ivanyr… le faire accepter ici semblait être une utopie.

Alors qu’il plongeait les griffes dans la fourrure angora de sa petite-fille, qu’il la soulevait au dessus de ses cornes pour l’entendre miauler et s’extasier de sa soudaine hauteur, il sentit la mélancolie l’envahir aux souvenirs qui l’assaillaient. Vaakin, son père, l’avait souvent perché sur ses épaules pour lui montrer l’étendue infinie des plaines enneigées jadis. Il se souvenait de l’odeur de sa mère et la chaleur de leur couche quand il n’était qu’un petit graärhon trop maladroit pour tenir debout de lui-même. Il se rappelait du village en ruine, brûlé jusqu’aux fondations et les corps déchirés des siens, abandonnés dans une fosse commune, seulement à moitié rongés par le feu.

« - La mémoire... »

Reposant la petite femelle turbulente, il fouilla dans les plis de sa tunique et referma les doigts sur la sculpture d’hippocampe. Il comprenait maintenant. Jusqu’à présent, il avait agis par simple curiosité à l’égard de ses racines et des vieilles légendes. Il avait désiré obtenir cet Esprit pour aider Ivanyr… mais qu’en était-il de lui !? Son regard glissa sur les toits couverts de neiges, passa les rubans de fumées pour aller se perdre sur les falaises et le grand large agité. Lui ? Il voulait se souvenir. Il voulait être le gardien d’une mémoire perdue. Il voulait connaître la vérité et la préserver. Il voulait comprendre et partager ce savoir pour que son peuple renaisse, humble de ses erreurs passées tout en étant fort de ses nouvelles découvertes. Seul, il n’y arriverait pas… il avait besoin de l’Hippocampe. Autant pour acquérir sa mémoire que pouvoir fouiller dans celle des autres.

« - Goutham, je dois tenter un rituel. Je ne sais pas combien de temps…
- Je comprends. Mon igloo t’est ouvert. Reviens lorsque tu auras terminé. »

Il le remercia chaleureusement, pressant son front au sien avec un roucoulement grave, puis Purnendu tourna les talons et marcha vers la côte houleuse. Il comptait trouver une caverne et s’immerger dans l’eau pour communier avec l’Esprit Hippocampe. Il brûlerait des encens et des tablettes de prière et offrirait au courant cette effigie en son honneur. Le Baôli, Ivanyr… Les secrets du Bayou et toutes ces choses effleurées dans les contes graärh ! Le fauve prit une profonde inspiration et durcit son coeur comme son esprit d’une résolution farouche. Il devait se souvenir, pour que plus jamais personne n’oublie.

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