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Nuit du 10 janvier - Demeure Avente



Il était tombé ce soir-là épuisé. Il avait tout juste pris le temps de se déchausser et de se dévêtir avant de se laisser tomber dans son lit.

Mauvaise idée. Très mauvaise idée, songea-t-il avant de poser la tête sur l’oreiller. Il savait pourtant que lorsqu’il ne méditait pas avant de dormir, les cauchemars s’invitaient ensuite dans des songes honnis. Il ferait mieux de se lever, d’allumer les encens et de se plonger dans une transe méditative. Une courte séance. Juste quelques minutes. Cela pourrait suffire… Cela pourrait...

Mais il n’eut pas la force de se relever. Ses yeux papillonnèrent à plusieurs reprises. Il lutta pour les rouvrir. Mais de nouveau ils se fermèrent d’eux-mêmes. Et alors qu’il songeait à reprendre la lutte… dans un profond sommeil, il plongea.

Au début ce ne fut que doux songe, ses parents étaient là. Il était enfant encore, sa mère le félicitait alors qu’il venait de résoudre un problème politique que son père lui avait soumis en exercice. Il n’avait que dix ans, et avait su trouver une solution… inattendue. Son père en avait ri. Et lui avait promis un bel avenir en la matière.

Puis les parents s’éclipsèrent et il se retrouva dans la neige. Devant ce beau sapin. Il était à genou, devant sa femme, ou plutôt future épousée. Sa demande en mariage… Puis alors qu’il se relevait en contemplant le doux sourire de sa bien-aimée, un lent ballet les entraina dans une autre époque, une autre contrée. Elle l’entrainait avec lui, à pas lents, en reculant. Elle lui enlevait son pourpoint puis sa tunique, à gestes prudents. Il frissonna sous la peau douce de cette main, mais se laissa faire et osa même lui rendre la pareille. Ils étaient tous les deux dans la plus simple tenue, quand sa femme disparut et qu’une sombre brume l’emporta.

Quand il atterrit de nouveau, sa femme aimante et son fils nouveau-né l’attendaient. Lui souriaient.

Il connaissait ce rêve. C’était le même, très souvent. Il savait ce qui allait se passer, il savait l’horreur cachée. Et pourtant, pourtant…

Pourtant, il ne put s’empêcher, comme à chaque fois, de leur sourire à son tour. Il leur tendit une main, son épouse la prit… et s’effondra sous le coup. Il s’affaissa lui aussi à genou et la berça un long moment. Les joues ravagées de larmes, son coeur s’effrita à chaque balancement, pour ne devenir plus que miettes. Et soudain ce n’était plus sa femme décédée, mais son enfant nouveau né qu’il berçait. Mort lui aussi, dans un râle d’agonie. Il serra contre son coeur embrumé ce petit être et hurla sa rage et sa douleur au ciel si cruel. Il hurla, hurla encore… sans doute hurlait-il également dans son lit tout en se débattant. Mais nulle main bienheureuse ne vint le secourir pour le sortir de son cauchemar coutumier. Sa chambre était si soigneusement calfeutrée…

Et alors que sa voix éraillée criait de lui donner à lui aussi trépas, une autre brume de ses doigts glacés l’enveloppa. Il frissonna sous l’emprise, manqua chavirer quand elle le relâcha. Et s’effondra de nouveau quand il croisa le regard fourbe et cupide de son sinistre sire. Fabius, là, devant lui… Fabius, lui prenant le bras, le conduisant… là où il ne voulait pas, mais là où il n’avait pu refuser. Une belle femme l'y attendait. Assurément son sire ne se moquait pas de lui. Mais… non, il ne voulait pas. Mais il ne pouvait refuser. Déjà la dame le déshabillait et dans son lit le poussa. Un breuvage au goût amer lui fut offert, et soudain tous ses sens s’embrumèrent. Son âme criait son refus et son outrage, mais son corps ne voulut plus être sage. Il céda aux avances de la dame et fut un armant hardi.

Jusqu’à… jusqu’à ce qu’un autre se glisse dans le lit, et viennent les rejoindre dans leurs ébats. Quand cet autre, ce fourbe sire, se glissa dans son dos et… Il ferma les yeux, ne voulant plus voir, ni revivre. Il hurla, il rugit, mais nul n’entendit.

Et alors qu’il fermait son esprit pour en chasser ces images, une autre brume l’attira vers d’autres rivages. Des rivages bien assombris, où rudes batailles se jouaient. Les chimères honnies ravageaient leur terre, et tuaient toute âme sur leur passage. Même le ciel se souillait de leurs ténèbres sanglantes, en se pâmant de noirs nuages. Et alors qu’il tentait de reculer, d’échapper à cette vision horrifique, soudain il la vit. Là, devant lui. Tryghild. Aux côtés de son époux Sigvald. Tous deux combattant fièrement. Et soudain Sigvald les yeux fous vers Tryghild se tournant, de son épée l'embrasser, fier guerrier possédé. Pour ensuite à son tour se tuer, le geste sûr de son épée acérée, et tous deux sous une traitre chimère mourant. Leurs corps convulsant, leurs âmes ravies… Ces nobles guerriers ne pouvaient mourir ainsi !

Non, hurla-t-il, non, fit-il en un souffle inutile. Pas eux, pas eux aussi. Mais nul ne semblait entendre ses larmes et il n’était plus temps de prendre les armes...

-- Ecrit sur Lili's Theme --

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Au milieu des songes, il l'entendit. Sa conscience et ses yeux gris de Lune se tournèrent vers lui. Il reconnut Ilhan, dans un élan d'affection. Ilhan, c'était cet esprit affûté, et ce coeur si grand et si blessé. C'était un magnifique cervidé, une figure de proue forte et fragile à la fois. Il était le minerai coloré et brillant qui se taillait lui-même. Mais là, surtout, il était une grande détresse, qui fendit la poitrine du veilleur de songes en deux. En un de ces étranges bonds qu'il faisait pour rejoindre les vivants, Dawan se glissa, sans heurt, au milieu des affrontements.

Les notes lourdes et implacables de la mort accablaient son protégé. La menace des chimères, irrémédiable, le hantait. Rien de ces plaies ne l'auraient touché s'il n'avait eu en lui cet amour qui vivait en catimini. Écartant de son propre esprit ce que lui inspiraient les chimères, Dawan se rapprocha d'Ilhan, son pas aussi délicat que si le monde autour d'eux ne connaissait le chaos. Il n'aurait pu soutenir Ilhan s'il avait laissé les peurs de ce dernier assombrir le flambeau qu'il voulait lui remettre. Les canons rugissaient, les flots éclataient, le bois craquait, les bipèdes rugissaient, et lui était là, ses pieds nus effleurants tout juste le sol, ses traits enfantins soulignés de sa lumière de Chanteciel, comme un intrus. Mais autour de cet intrus, l'air lui-même semblait changer, pour devenir plus frais et léger. Ses cheveux blonds étaient ceints d'un diadème d'argent, et son frêle corps tout juste enroulé dans une toge. Il n'était pas un guerrier, ne l'avait jamais été, ne le serait jamais. Néanmoins, les batailles n'impliquaient pas que les guerriers.

Il aurait pu dissoudre tout cela. C'était d'une simplicité que les mortels ignoraient. Une pensée, et les chimères seraient devenues des poupées côtonneuses, que les Délimariens auraient chôyées. Il aurait pu entraîner Ilhan dans un de ses multiples sanctuaires, pour l'apaiser, et lui permettre de terminer sa nuit. Une note particulière, imperceptible, indiquait au chanteciel que l'heure n'était plus à cela. Les cauchemars d'Ilhan devaient cesser, et seule sa main saurait leur porter le coup de grâce.

Dawan ne voulait l'effrayer. Il évitait, en temps normal, de s'introduire dans les rêves de personnes qu'il n'avait connues. Il évitait aussi de se montrer. Mais Ilhan, n'avait-il pas besoin d'un allié, quand les siens tombaient ? Chantonnant faiblement, le petit elfe s'entoura de notes tendres, maternelles. Il attendit que le regard de son jeune faon se soit posé sur lui pour franchir l'ultime distance qui les séparait. Sa main effleura l'épaule de l'enfant d'Althaïa, y déposant quelques paillettes d'espoir, et de cette douce envie de protéger qu'ils partageaient.

"- Tu as raison, comme souvent." Il eut ce sourire, très doux, souvent attribué aux elfettes, qui le caractérisait. "Mais tu préfères croire en ton esprit plutôt qu'en ton coeur, mais ton coeur n'est pas sans esprit."

Sa voix n'était pas celle, lente et juvénile, qu'il avait habituellement. Le ton en était plus adulte, et toujours enlacé de ces notes qu'il avait croisées lorsque lorsque les rêves d'Ilhan se tournaient vers sa mère. Il était serein. Tout dans son attitude était calme, amour, et confiance.
Ses doigts papillonèrent dans les airs. Entre eux, deux objets vinrent apparaitre, scintillants. Deux bagues, d'apparence commune, que le chanteciel venait de forger à partir de ce que le rêve maintenait loin d'Ilhan. En touchant ces bagues, le né-romantique pourrait retrouver ces sentiments puissants qui avaient fait hurler sa détresse.

"- Passe-les à tes doigts, et tes poings retrouveront leur pouvoir. Ce monde est tien. Puisses-tu le façonner pour qu'il te ressemble."

S'il allait l'aider ? Peut-être. Mais avant, il préférait voir comment s'en sortirait son petit faon. Sagement, et naturellement, Dawan s'assit dans les airs, y flottant, son attention portée sans assistance sur son apprenti héros.

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Au milieu de cette brume sombre, au milieu de ces vapeurs empoisonnées, au milieu du vacarme assourdissant de son coeur agonisant, en voyant tomber les siens par millier, au milieu du vrombissement que faisaient ses cris silencieux parmi les éclats de sang, il entendit, diffuse, presque sourde, une étrange mélodie éthérée. Des notes douces, enchanteresses, de ses notes dont une mère vous berce. Des notes qui semblèrent soudain figer le temps. Le sablier se ralentit autour de lui, les ombres se firent plus sourdes, douce accalmie, et un étrange tourbillon retint dans sa main l’action en suspens.

Ilhan tendit l’oreille, son coeur tambour se calmant peu à peu à cette mélodie apaisante. Il la chercha du regard, s’attendant à voir voler dans l’air des notes envoûtantes. La symphonie était proche, toute proche, toutefois. Il tourna sur lui-même, son regard sombre avide scrutant le monde, une fois, deux fois… et se figea à son tour quand il aperçut cette lumière là, tout près. Qui se rapprochait. Belle lumière virevoltante, qui menaçait de l’éblouir tout en le réchauffant en son sein. Magnifique lumière d’abord vague forme grandissante… peu à peu délicate silhouette humaine.. non, pas humaine, vit-il enfin. Un elfe. Bel elfe. Jeune, délicat, d’une beauté éblouissante, d’une douceur éclatante.

Quand la main vint l’effleurer, il manqua sursauter. Mais son soubresaut mourut dès la première impulsion, quand une tendre chaleur l’irradia. Et que de magnifiques étoiles pailletées virevoltèrent sur son épaule et le long de son bras. Telles les étoiles éclairant les voyageurs égarés… Telles les étoiles d’espoir dans la nuit la plus enténébrée.

"- Tu as raison, comme souvent."

Ilhan fronça soudain les sourcils. De quoi parlait-il ? Et qui était-il ?

"Mais tu préfères croire en ton esprit plutôt qu'en ton coeur, mais ton coeur n'est pas sans esprit."

Double froncement de sourcil. Son cerveau aussi devait être ralenti car il peinait à comprendre les mots soudain. Pourtant, étrangement, cette phrase se grava en lui. Même si elle ne faisait pas encore sens, il sentait qu’elle était d’importance.

Il sentit en tout cas son coeur prendre un rythme bien moins effréné et cesser de menacer d’exploser. Un rapide regard autour de lui lui apprit toutefois que la scène était toujours là. Figée, mais non éteinte. Comme retenue par une puissante étreinte.

Ilhan scruta alors l’autre de ses perles noires, cherchant dans ses traits un nom connu, un visage déjà rencontré. En vain. Du moins pas qu’il ait pu connaître dans sa réalité. Ou peut-être… Un elfe ? Chantant de façon si envoûtante, si apaisante… Un baptistrel ? Cette lumière vive, telles des étoiles… Des étoiles… Un chanteciel ? Mais quel chanteciel se permettrait de venir habiter les rêves, ou cauchemars, des pauvres mortels qu’ils étaient ? Quel chanteciel oserait… N’était-ce pas à l’encontre des préceptes baptistrels ? Ou alors… Il avait entendu parler d’un chanteciel frôlant parfois les limites des préceptes de ces maitres. Un baptistrel peu commun, qui avait balayé toute convention pour protéger les siens. Un baptistrel… que la légende disait décédé… Quel était son nom déjà ? Pourquoi ce nom s’obstinait à lui échapper ?

Mais bien vite son attention fut accaparée par autre chose. Deux… anneaux ? Un fin sourire se dessina timidement sur ses lèvres. Il avait, douce ironie, une certaine affinité avec les anneaux, songea-t-il en caressant du pouce celui qu’il ne quittait plus jamais, toujours à son doigt en tout temps, en toute opportunité. Son anneau maitre, son anneau de la Toile.

"- Passe-les à tes doigts, et tes poings retrouveront leur pouvoir. Ce monde est tien. Puisses-tu le façonner pour qu'il te ressemble."

Nouveau froncement de sourcil. Décidément, en cette nuit, il était dit que les mots seraient pour lui incompris. D’un geste hésitant, il prit les anneaux et les observa un long moment. Et lentement, alors qu’il hésitait, le sablier sembla vouloir reprendre le fil du temps. Et le cauchemar qui faisait hurlait son coeur chanta de nouveau toutes ses horreurs. Il regarda les corps inertes près de lui, presque à ses pieds. Il regarda le sang en flaque immense, souillant le sol de cette terre pourtant si puissante. Son coeur saigna, pleura.. et ses orbes ténébreuses vrillèrent les anneaux dans sa paume. Ils semblaient lui chuchoter, l’appeler.

" Tes poings retrouveront leur pouvoir "

Quel pouvoir ?

"Ce monde est tien."


Vraiment ?

.. Retrouveront leur pouvoir. Sien. Un monde sien. Son pouvoir…

Ses mots résonnèrent, dansèrent, voltigèrent en lui. Le monde sembla tourner, se dilater, l’enserrer, comme voulant l’étouffer. Tout ce sang, tous ces cris rugissant, ces pleurs agonisant… Sans plus réfléchir, n’écoutant que son coeur, il passa les anneaux, traitres peut-être ?, à ses doigts. Et dans un cri de rage et d’espoir, il hurla en balayant l’air devant lui. Propulsa le plus puissant bouclier protecteur dont il n’avait jamais été capable de son vivant. Un bouclier voulant protéger tous les siens, tous les humains, et peut-être les non humains aussi, quiconque voulant la paix en cette vie, de cette mort chimérique, de cette dévastation onirique. Une puissante vague d’amour, d’espoir, qu’il envoya devant lui en hurlant un mot, un seul. Paix. Paix ! Paix !

Que Vie pulse de nouveau et que Paix la guide sur les sentiers les plus beaux.

Paix. Son coeur pulsa alors au même rythme que ce simple mot. Il sentit l’onde vriller l’air autour de lui, tel un cyclone protecteur, et s’étirer, encore et encore. Une onde qui le ravit, même si les larmes qui bruissaient de ses yeux l’empêchaient de voir se réaliser les vœux de son coeur.

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Dawan était confiant.
Il aurait pu ne pas l'être. Si ce monde était celui où il pouvait créer à loisir, sans entraves, cela n'impliquait pas de fatalement arriver à ses fins. Les mortels étaient des créatures fragiles, et leur monde était cruel. Prononcer le mauvais mot était bien trop aisé. Même avec les bons mots, certains ne vivaient plus que parce que les forces leur manquaient pour arrêter. Envers ceux-là, Dawan ne pouvait que ressentir une profonde compassion.
Ilhan lui évoquait ces héros glorieux qui, face aux géants qu'étaient leurs combats, se voyaient révélés de plus grands pouvoirs encore. En lui dormait une nébuleuse, qu'il tardait à Dawan de voir accoucher d'étoiles. Son petit protégé était fait de notes tièdes, mesurées, enroulées autour de notes bien plus passionnées.

Mais pouvaient-elles enfin lui montrer ce dont il était capable ? Les mille carcans de fer forgé qui les maintenaient en place avaient fière allure. Néanmoins, ce carcan-là, face à cet ennemi-là, ne faisait pas le poids.
Dawan laissa échapper un cri de joie, un petit cri d'oiseau, quand la magnifique tempête vint le heurter. "Ouiiii !" Désormais, c'étaient de véritables couinements d'un enfant ravi qui émanaient de celui qui avait été, quelques fragments de temps plus tôt, un adulte éthéré. Il applaudissait, riait aux éclats, des perles de lumière jaillissant à chaque claquement de mains et, de temps en temps, au coin de ses yeux. "Oui, exactement ! Bravo Ilhan !" Il n'aurait pu rêver mieux, ou imaginer aussi bien. Ilhan dépassait ses espoirs, et son éclat était magnifique. Il était merveilleux, quand il était lui-même, et qu'il enflammait sa propre force. Dawan caressa l'espoir qu'à son réveil, cette dernière soit légèrement plus proche de lui, juste sous sa peau, plutôt qu'enfouie sous des années humaines de barreaux.

La voix de Dawan restait près d'Ilhan, des félicitations d'un engouement aussi sincère. D'autres voix s'élevaient, et le héros n'avait pas besoin d'yeux pour découvrir ce qu'il était en train de faire. Les délimariens exultaient, et les hourras fusaient. Des "Ilhan !" emplis d'admiration et de fierté, des "Avente !" portés par la reconnaissance, et autant d'encouragements à venir à bout des chimères. Au lieu du fracas des armes et des cris de douleur, c'étaient désormais les applaudissements et autres heurts de plats de lame contre les boucliers qui emplissaient l'air, une clameur victorieuse qui portait un nom, et mesurait environ un mètre soixante-quinze.

Ladite clameur devint de plus en plus diffuse, et les mots de plus en plus incertains. En un battement de cils, l'environnement avait changé. L'effet des bagues s'était assourdi égalemennt, pour n'avoir plus effet que dans le coeur de leur porteur. Les délimariens paraissaient désormais plaisanter entre eux, à coups de boutades aussi légères que grasses, et de chopes qui s'entre-choquaient. Leurs voix étaient étouffées par les murs qui les séparaient. Dawan transmit néanmoins une information à l'âme d'Ilhan : ces voix étaient en train de fêter leur victoire. Elles buvaient en son nom.
Eux, ils étaient dans une pièce bien plus paisible. Un salon comme Ilhan avait pu en connaître, bordé d'étagères qui croûlaient sous les livres et les bibelots, éclairé par quelques chandeliers ici et là, chauffé par une cheminée bienveillante. Ils s'enfonçaient dans des fauteuils moelleux, sur un tapis épais, devant une table basse où fumait une théière.
Dawan essuya quelques paillettes qui perlaient au coin de ses yeux, sous l'effet de sa joie. Il reprenait son souffle, autant que possible, mais l'énergie pulsait encore de son petit corps. Maladroitement, il s'empara de la théière, et versa dans sa tasse du chocolat chaud. Oui, il avait arbitrairement décidé que c'était la meilleure boisson du monde. C'était bien un de ses regrets de ne pas avoir connu Tiamaranta. On lui disait tant de bien du chocolat, et il ne l'avait pas connu... Lorsque la théière revint entre Ilhan et lui, elle contenait un liquide qui trouvait bien plus de faveurs au yeux du jeune renne.

"- À ta victoire, Ilhan ! Puisses-tu désormais faire appel à loisir à ta plus belle force !"

Un doux sourire éclaira le visage du Chanteciel, alors qu'il portait le chocolat chaud à ses lèvres. Mh. Encore un peu trop chaud. Il re-posa la tasse.

"- Laisse-moi te montrer comment faire ces bagues, si tu en as besoin."

Délicatement, Dawan rappela à lui les bagues. Elles quittèrent Ilhan en glissant gentiment, avant de se loger sur les genouxs de Dawan. D'un geste de la main, il révéla leur vraie nature : c'étaient de simples feuilles, de banales feuilles d'arbre ou de buisson, percées d'un trou. Il les rendit à Ilhan.

"- Tu en as assez vu pour cette nuit. Tu peux respirer. Tout va bien se passer." Dawan se redressa, profitant de la sensation contre son dos, avec un petit air de contentement. "Je m'appelle Dawan. J'aime veiller sur les rêves des gens. Normalement, je n'existe plus dans le monde de l'Éveil. Tu n'as rien à craindre de moi." Un nouveau sourire, tendre, passa sur ses lèvres. "Ce n'est pas facile, n'est-ce pas ? De ne pas craindre. Je peux le comprendre. Chaque chose en son temps. Si tu le souhaites, nous affronteront cela une autre nuit." Quelques fins doigts de vielliste vinrent contre le bas de sa joue, dans une attitude songeuse. Il pensait. Mais il pensait trop fort, et même Ilhan put l'entendre se dire : "peut-être que je devrais plutôt le laisser faire ça dans son monde. Ou peut-être que je pourrais lui présenter Valmys. Ils se ressemblent, ils devraient se comprendre". Le chanteciel dut sentir de l'attention sur lui car, l'instant suivant, il observait à nouveau Ilhan, avec toujours cette attention maternelle. "Que penses-tu de tout cela, Ilhan ?"

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"Ouiiii !"

Le son lui parvint à la fois proche et lointain, mais il était bien trop subjugué par ce qui se passait devant lui pour prendre garde au bruit.

"Oui, exactement ! Bravo Ilhan !"

Il tourna la tête, le regard hagard, vers la voix. Et vers ce visage juvénile, enfant sans l’être, qui pétillait de lumière. Puis soudain cette voix fut deux, trois, cent. Et Ilhan sentit une chaleur étrange au creux de son être, là, lové dans sa poitrine. Les voix d’une famille l’acclamant, l’appelant. L’acceptant. Les voix d’une famille… Pas celle qu’il avait perdue, pas celle d’Althaïa si chérie, dans les cendres parties, d'un ancien temps révolu. Non c’était là une tout autre famille, celle qu’il tentait de reforger en leur nouvelle cité. Sa famille en Délimar.

Mais si cette clameur le faisait vibrer de joie, si bonheur d’avoir peut-être trouvé sa voie, parmi toutes ses voix, l’enserrait en son coeur, un malaise insidieux s’insinuait aussi en lui. Trop d’attention, trop de regards, trop… lui soudain en lumière alors qu’il avait tant l’habitude des ombres, lui soudain mis à nu alors qu’il avait tant l’habitude dans son stoïcisme de se fondre… Cela l'étouffait soudain. Non, c’était là trop soudain, bien plus qu’il n’aurait souhaité. Et peu à peu, le tintamarre tonitruant s’estompa. Son coeur éprouvé peu à peu s'apaisa. Et avec soulagement, Ilhan vit chacun se détourner tout doucement de lui, sans plus prêter d’attention au petit homme qui d’un pas dans l’ombre se tapit.

Puis brusquement, il se retrouva, sans qu’il ne comprenne comment, dans un salon bien plus paisible. Confort et sérénité y transpiraient, et Ilhan prit une grande inspiration soulagée. La curiosité reprit rapidement ses droits et d’un regard avide il en fit le tour, contemplant en ce lieu tout ce qu’il aimait. Tout y était, savoir et plaisir, ravissement de sens et apaisement de la conscience. Tout. Comme si…

Il tourna alors un regard étonné et méfiant tout à la fois vers la silhouette de lumière.

"- À ta victoire, Ilhan ! Puisses-tu désormais faire appel à loisir à ta plus belle force !"

Sa plus belle force ? Certes, il avait un esprit puissant. Mais c’était bien là la seule force qu’il avait réellement. De quoi l'autre voulait-il donc parler ?

"- Laisse-moi te montrer comment faire ces bagues, si tu en as besoin."

D’un regard dubitatif, il observa l’être, toujours sans un mot. Et eut la vague impression d’une vague fumisterie. Des anneaux… de feuilles ? La méfiance, sa vieille compagne de toujours, flamba de nouveau d’un cran. Ses orbes sombres palpitèrent d’un nouvel éclat, celui du danger, de la peur, et parcoururent la salle tout autour. Où étaient-ils ? Étaient-ils encore dans ses songes ? Ses rêves ou cauchemars ? Ou… L’autre semblait avoir un pouvoir en ce lieu. Ces changements… Tout cela venait de lui. Même l’onde de puissance précédente qui avait mis tous leurs ennemis fantomatiques à bas. Il en était sûr, maintenant. Pauvre de lui, pathétique qu’il était, d’avoir cru pouvoir d’une volonté, d’une seule…. Esprit fort peut-être, mais en cet instant, un autre semblait l’avoir envahi. Ou l’avoir transporté en un autre esprit ? Un autre endroit ?

Qu’est-ce que tout cela signifiait, nom d’un parchemin !

"- Tu en as assez vu pour cette nuit. Tu peux respirer. Tout va bien se passer."

Il en doutait, soudain.

"Je m'appelle Dawan. J'aime veiller sur les rêves des gens. Normalement, je n'existe plus dans le monde de l'Éveil. Tu n'as rien à craindre de moi."

Le sourire qui accompagna ses mots l’apaisèrent un peu. Un peu seulement. Son coeur reprenait un rythme plus décent du moins. Ses pupilles noires semblaient soudain dévorer l’être en face de lui. Ce nom lui disait quelque chose… Dawan… comme le célèbre baptistrel qui avait…

"Ce n'est pas facile, n'est-ce pas ? De ne pas craindre. Je peux le comprendre. Chaque chose en son temps. Si tu le souhaites, nous affronterons cela une autre nuit."

Diantre, il le connaissait bien trop ! Il n’avait même pas eu besoin de parler.

"Peut-être que je devrais plutôt le laisser faire ça dans son monde. Ou peut-être que je pourrais lui présenter Valmys. Ils se ressemblent, ils devraient se comprendre".

Valmys ? Le petit baptistrel qui voguait dans l’ombre de la Triade ? Ilhan fronça les sourcils, complètement perdu et clairement circonspect.

"Que penses-tu de tout cela, Ilhan ?"

J’en pense que… Tout ceci… est anormal. Tout ceci est…

Il se tut, pinça les lèvres, méfiance et envie de croire se combattant vivement en une mêlée dantesque. Il dut faire appel à tout son self contrôle pour ne pas hurler, mais sentit les livres vibrer autour de lui. Ce qui le fit presque sursauter et calma toute ardeur coléreuse en lui. Il ne fit pas un geste vers le thé. Et ne commit surtout pas l'inconscience de le boire sans savoir...

Dawan, comme le baptistrel qui aurait oeuvré contre le Tyran en un autre temps ? Qui me dit qu’il s’agit bien de vous et non pas d’un autre voulant se faire passer pour vous… un autre se jouant de moi… dans mon esprit. Qui me dit… J’en connais peu sur les arts de l’esprit, bien qu’ils me fascinent, mais le peu que je connais… me dit que tout ceci est…

Il soupira, les mots lui manquant pour une des rares fois de sa vie. Irréel, aurait-il voulu dire. Mais c’était inutile et stupide : bien sûr que tout ceci était irréel ! Ils étaient plantés dans le monde de l’esprit, quel que soit l’esprit qui les piégeait !

Dans quel esprit sommes-nous ? Si nous sommes toujours dans le mien, comment avez-vous fait pour entrer ? Et que faites-vous là ? Nous ne nous connaissons pas, de réputation seulement, la vôtre étant fameuse. Mais… Pourquoi seriez-vous venu… me voir… moi…

Que de questions, songea Ilhan à part lui. Comme toujours. Toujours tant et tant de questions… Bien d’autres brûlaient en lui, mais il ne pouvait décemment noyer l’autre sous une avalanche éprouvante. Et rien ne lui disait qu’il aurait le temps de les poser ou l’autre le temps d’y répondre.

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Dawan eut une grimace. Ilhan avait raison, sa situation n'était pas normale. Il le savait. Cela ne restait pas plaisant à entendre. C'était le rappel de son échec en tant que Lié, ce rôle pour lequel il s'était préparé toute sa petite existence. Même cet échec, il n'avait pas réussi à bien le faire, ne parvenant jusqu'au Royaume de Mort. Parfois, le petit Chanteciel se demandait ce qu'il avait pu faire de mal, s'il y avait quelque savoir sur la mort qui lui avait été caché. Une ombre passa brièvement sur son visage. Il la fit disparaitre en cachant son visage derrière la tasse de chocolat chaud. Le liquide épais vint contre ses lèvres, lui rapporter ce goût qu'il croyait connaître. Force était de reconnaître que les plaisirs liés au goût étaient moins puissants dans les rêves. Moins de surprise... Dawan appréciait la nourriture pour sa générosité. Elle était l'extérieur qui venait à l'intérieur. Dans les rêves, elle était tristement intérieure. Peut-être était-ce parce qu'elle était de son fait. Pour le plaisir d'Ilhan, il essaya de ne pas laisser ses songes s'occuper de sa boisson, finalement. Ce fut lui qui décida de son thé. Au fond de la tasse se blottit un thé d'hiver, aux notes de cannelle et d'agrumes. Dawan espérait le surprendre, un peu.

La suite des questionnements lui paraissait revenir à une seule et même question. Elle était légitime, et il en avait l'habitude. Elle n'était pas pour lui faire plaisir, mais c'était un détail. Il fut sensibles aux vibrations des livres alentours, cela le fit sourire. S'enfonçant un peu plus dans son fauteuil, il leur demanda mentalement de chanter. Une très douce musique vint bercer la pièce, alors que les voix Délimariennes se faisaient plus distantes, petit à petit. Est-ce qu'Ilhan apprécierait ? Le Chanteciel sentait d'ici la frustration de celui qui aimait savoir, maitriser, et se protéger. Peut-être y avait-il été un peu trop fort, un peu trop franchement. Plus question de faire machine arrière, néanmoins. Cela n'aurait été que cruauté, laissant Ilhan avec ses doutes.

Un livre voleta, jusqu'entre eux, flottant dans les airs au-dessus de la théière. Sa couverture était sobre, sans indications, ni titre. Il s'ouvrit, ses pages se tournant toutes seules, l'encre se décollant pour venir danser dans les airs, les mots prenant la forme et la couleur de ce qu'ils décrivaient. Bientôt, une scène champêtre se dessina. Un lapin, une chouette... Et un renne. Une information se glissa dans l'esprit d'Ilhan, liant son identité à celle du renne. Se souvenait-il de ce rêve où il avait été un renne, et où, au lieu d'une couronne, il avait reçu des pommes rebondissantes ? Elles vinrent se mêler à la scène qui dansait sous leurs yeux.

"- Tu fais beaucoup de cauchemars."

Murmura Dawan, sur le ton de la confidence, dans un souffle à peine perceptible. L'image changea. La scène s'éloigna de plus en plus, jusqu'à n'être plus qu'une petite lumière posée sur un ciel sombre, au milieu d'autre lumières. Un ciel nocturne, composé de rêves.

"- Tu n'es pas le seul que je viens voir. Tant de cauchemars hantent les rêves des bipèdes... Des terreurs et des angoisses face auxquelles ils se retrouvent démunis."

Quelques nouvelles images passèrent, comme des ombres, au milieu du ciel étoilé. Une silhouette draconique, pâle, les râles, cris et supplique de désespoir qui avaient résidé au creux d'un volcan, et l'image d'un autre bipède pleurant, une lame à ses pieds. Dawan écarta ces ombres d'un geste de la main, comme pour tourner une page. Le ciel étoilé laissa place à un jardin aux couleurs pastels, de pierre ocre, herbe et arbres verts, et eau bleue ciel. Une hermine paraissait y jouer avec une sorte d'oeuf.

"- J'essaye d'aller principalement trouver les personnes que je connais, dont je sais l'aval quant à mes interventions. Il m'arrive cependant de glisser vers d'autres rêves. Que ferais-tu à ma place, si tu entendais trop régulièrement les hurlements de désespoir d'une même personne ?"

Dawan avait beau connaître peu son protégé, il devinait que ce dernier le comprendrait, quand bien même il n'aurait pas agi de la même façon que lui. Il n'avait pas reconnu en lui cet aura qui faisait les êtres cruels. Sa douleur avait pris une autre forme, et cette forme maintenait de la distance entre eux, sans pitié pour la peine que pouvait en ressentir le Chanteciel. Un sourire attendri se dirigea vers le maître de la Toile.

"- Nous sommes dans ton rêve. Je peux m'amuser à le modifier, mais il reste à toi. Demande-moi de partir, et je pars. Souhaite de te réveiller, et nous serons séparés. Souhaite que ta boisson soit autre, et elle le sera. Je te conseille néanmoins de goûter avant, cela peut valoir le coup." Il sentit que ce n'était pas suffisant. Il ajouta : "Crains-tu vraiment de mourir dans un rêve ? Qu'aurais-je à y gagner ?" Pour le coup, sa bouille d'enfant paraissait vraiment à la fois dubitative et étonnée d'un tel raisonnement. Dans son souvenir, mourir dans un rêve n'avait aucun impact sur l'autre monde. "Pourquoi voudrais-je du mal à quelqu'un dont j'ai déjà protégé le sommeil ?" Ses questions portaient un ton sincèrement intrigué. De ce qu'il avait perçu d'Ilhan, il lui paraissait que ce dernier avait un esprit fin, très fin... Beaucoup plus apte à élaborer des plans complexes que le sien. Ses peurs devaient être tout aussi complexes. Et lui, s'il voulait le rassurer, ne devait-il pas le comprendre ?

Non. Il y avait un autre moyen. Alors qu'il reprenait une respiration dont il n'avait pas besoin, Dawan constata que le livre ne présentait plus l'hermine qu'il avait voulu utiliser pour apaiser Ilhan. Il dépeignait désormais sa rencontre avec Asmo, le Cauchemar. On y voyait le colérique s'acharner à vouloir évincer les rêves alentours, ainsi que le Chanteciel. On y voyait les barrières que Dawan dressait autour d'eux pour protéger les rêves et son attitude d'enfant alors qu'il restait insensibles aux tentatives pour le blesser. C'était peut-être flatteur, mais ce n'était pas ce dont il voulait bercer Ilhan. D'un geste de la main, Dawan referma le livre, et, comme par télékinésie, le déposa sur les genoux du Maître-Chèvres. À quoi pensait-il, déjà ? Beaucoup trop de choses, comme d'habitude. Ah, si ! Rassurer son jeune renne.

"- Est-ce qu'il existe seulement un moyen pour toi d'être certain de mes intentions ? Quelque acte qui te permettrait d'être profondément convaincu de l'allié que j'aimerais être pour toi ?" Il re-posa sa tasse, et ouvrit les bras. "Si tu veux m'observer, autant que ce monde te le permet, fais. Je ne t'en empêcherai pas. Cela ne me gênera pas."

Dernière édition par Valmys Neolenn Leweïnra le Mer 27 Fév 2019 - 11:09, édité 1 fois

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Ilhan ne toucha toujours pas à sa tasse. Il observa l’autre boire, son regard sombre s’assombrissant de seconde en seconde. Une douce musique les enveloppa, mais loin d’apaiser l’althaïen, elle attisa sa méfiance. Car elle montrait là le pouvoir qu’avait l’autre sur son rêve. Ou plutôt le rêve. Pouvait-il encore prétendre être dans son rêve propre quand des intrus s’y incrustaient ? Sans invitation aucune.

Il regarde le livre voleter, s’ouvrir, son encre voler et former des images, une histoire, avec une méfiance grandissante encore, atteignant des sommets dont il se serait cru incapable. Pourtant… Oui, pourtant, avouait une part de lui, c’était là de la belle magie. Magnifique, ensorcelante. Elle envoûtait vos sens et touchait votre âme en plein coeur. Ce renne… Oui ce renne, il le connaissait, il l’avait déjà vu. Il en avait déjà rêvé. Mais était-ce bien lui qui avait rêvé de ce renne ? Ou…

Ilhan tourna ses orbes de jais vers le chanteciel et le fusilla du regard. Ou était-ce le baptistrel d’éther qui lui avait insufflé ces rêves-là aussi ? Une onde de dégoût s’infiltra soudain en lui. Il se sentait…

"- Tu fais beaucoup de cauchemars."


L'esprit violé. Souillé. Dans la plus intime partie de son âme. Celle qu’il avait toujours cru si bien protégée, si bien scellée, par toutes les défenses qu’il avait si bien forgées au cours de toutes ces années.

Mais cette conviction-là s’envola en éclat. Vaste fumisterie que toutes ces duperies ! Quelles illusions allait-on encore lui ravir ?

"- Tu n'es pas le seul que je viens voir. Tant de cauchemars hantent les rêves des bipèdes... Des terreurs et des angoisses face auxquelles ils se retrouvent démunis."


Ilhan tourna son regard vers les images devenues étoiles. Et sursauta en observant le dragon d’opale. L’agonie, la peine, rugissant plus fort encore qu’un volcan en éruption. Ilhan s’enfonça dans son siège et sentit son coeur battre chamade. Il avait soudain envie de hurler à l’unisson de ce désespoir. Heureusement les chimères du passé furent chassées par une petite hermine rieuse.

"- J'essaye d'aller principalement trouver les personnes que je connais, dont je sais l'aval quant à mes interventions. Il m'arrive cependant de glisser vers d'autres rêves. Que ferais-tu à ma place, si tu entendais trop régulièrement les hurlements de désespoir d'une même personne ?"

Ilhan haussa un sourcil. Désarçonné par la question plus qu’il ne voudrait l’avouer. Ce qu’il ferait ? S’il entendait trop souvent… Attendez une minute. Les hurlements de désespoir d’une même personne ? Cela voulait dire… que si le chanteciel était venu, c’était parce que lui, Ilhan, hurlait trop souvent… de désespoir ?

Ilhan se renfonça dans son siège plus encore, le regard songeur. La méfiance était toujours là, mais plus nuancée. Plus… perdue aussi. Il était perdu, complètement...

"- Nous sommes dans ton rêve. Je peux m'amuser à le modifier, mais il reste à toi. " 

Vraiment ? Avait-il envie de lui demander. Mais il se retint. Peu sûr de contrôler le ton amer qui le titillait. Mais la suite lui arracha une grimace malgré lui. Touché. Maudit chanteciel. Il renifla, de plus en plus dépité. Son égo lacéré. Il était aussi faible d’esprit que de corps, lui qui se targuait du contraire. À tel point qu’il hurlait apparemment bien trop souvent dans ses rêves qu’il laissait de parfaits inconnus les envahir et qu’il n’était pas même capable de reprendre le contrôle. Faible ! Navrant.

"Pourquoi voudrais-je du mal à quelqu'un dont j'ai déjà protégé le sommeil ?"

Voilà au moins une réponse à ses questions. L’autre était déjà venu. Pire même, il était venu sans qu’Ilhan s’en aperçoive.

La scène du livre changea de nouveau et arracha une nouvelle grimace à Ilhan, toujours aussi mutique. Pour autant… mutique, mais curieux, il n’avait toujours pas cherché à chasser l’autre. Il aurait pu, il le sentait. Mais… Il voulait comprendre, savoir. Ensuite, il aviserait… Il ne voulait pas non plus condamner l’autre par un jugement trop hâtif.

Quand il sentit le livre sur ses genoux, il ne put réprimer un sursaut toutefois.

"- Est-ce qu'il existe seulement un moyen pour toi d'être certain de mes intentions ? Quelque acte qui te permettrait d'être profondément convaincu de l'allié que j'aimerais être pour toi ?"

Ilhan soupira. Un moyen de lui faire gagner confiance ? Il n’en avait aucune idée. Vraiment… aucune. Sa paranoïa était si enflammée, qu’il peinait à faire confiance en qui que ce soit, véritablement, entièrement. Ces personnes-là se comptaient sur les doigts des mains. D’une main seulement peut-être. Alors quand on le prenait ainsi par surprise…

"Si tu veux m'observer, autant que ce monde te le permet, fais. Je ne t'en empêcherai pas. Cela ne me gênera pas."

Vous pourriez déjà boire ce thé, ordonna-t-il d’une voix calme.

Son ton posé était aux antipodes de son esprit agité. Mais il avait envie de goûter ce thé. Le chanteciel avait titillé sa curiosité. Hors de question toutefois de goûter sans que l’autre ait testé avant. Même s’il ne pouvait mourir… ce dont il n’était pas si sûr… selon lui si l’esprit pensait qu’il mourrait, il pouvait tout à fait mourir, même dans un rêve… Donc même si soi-disant il ne pouvait mourir, il se sentait incapable de passer outre ce qui était devenu pour lui si ancré. Il s’en sentait littéralement in-ca-pa-ble. Sauf cas particulier, par exemple s’il était seul avec sa Reine… Il serait alors son goûteur, cela allait de soi.

Je ne vois toujours pas pourquoi…

Il s’arrêta, soupira, et se pinça l’arrête du nez de deux doigts.

En fait, non, vous ne pourrez rien faire, et il n’y a rien que je puisse vous demander pour me convaincre de vos bonnes intentions. Je suis trop…

Il retira sa main et releva son regard sur le chanteciel, une moue dépitée déformant quelque peu son sourire habituel.

Bien trop paranoïaque pour cela. Faire confiance… ne fait plus partie de mon vocabulaire, je le crains. Ou très difficilement.

Quelle sinistre constatation. Cela le déprimait lui-même. Quand bien même c’était ce trait-là de caractère qui lui avait souvent sauvé la vie, par le passé. Mais… Le passé était révolu. Et l’avenir qu’il se forgeait était a priori bien différent. Confiance pourrait-elle y trouver sa place ?
Il n’en avait aucune idée.

Je sais… que vous n’êtes pas censé être néfaste. Vous êtes baptistrel. Et si je n’ai jamais eu l’honneur de vous connaître de votre vivant, votre réputation ne m’a pas échappée. Mais…

Un autre soupir.

Vous m’avez pris par surprise. Et je n’aime pas qu’on… s’invite… en moi… sans ma permission.

Il prononça ces derniers mots la mâchoire serrée et dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas se lever, fuir et se réveiller, pour chasser cette conversation si gênante.

Celui qui pleurait à terre… C’était vous ?

La question lui avait échappé et il se pinça les lèvres offrant un sourire contrit.

C’était une question indiscrète et douloureuse. Oubliez-la.

Se disant, il détourna les yeux, gêné, et ses orbes noirs se posèrent sur le thé. Il s’empara, enfin, de sa tasse, la porta à ses lèvres, hésitant… Mais ne parvint pas à en boire la gorgée tant désirée. Au lieu de cela, il en huma les délicates flagrances et ferma les yeux pour chercher à en trouver les arômes.

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Dawan n'eut pas besoin de vie pour sentir quelque chose en sa poitrine se pincer. Ilhan était un renne encoe juvénile. Ce n'était pas de crainte dont il avait besoin, mais d'amour et d'innocence. Lui, l'elfe, celui qui ne pouvait protéger les précieux joyaux de coeur, avait supplié que l'autre monde soit tendre envers ses enfants. Qu'il les choie et les abreuve, que rien ne vienne à leur manquer. Il se berçait, entre chaque rêve, de doux espoirs et tendres illusions. À chaque fois, les cauchemars le rappelaient à la réalité. À chaque fois, la même peine revenait, la même tristesse venait se lamenter devant la muraille de son impuissance.
Le petit elfe lunaire avait ramené ses bras contre lui, et son regard filait autour d'eux, suivant des ombres fugaces. Un léger mouvement de buste l'accompagnait, comme un métronome, alors qu'il agençait ses pensées. Une déclaration de plus, une vérité, et Dawan portait un de ses doigts à ses lèvres, comme pour le mordre. Ilhan ne voulait pas de lui ici. Il s'en était douté, et s'était imposé. Un poids se fit dans son torse. Il n'y avait plus qu'une chose à faire ; partir, et laisser désormais les cris sans se tourner vers eux. Mais alors, qui était-il ? Pourquoi était-il dans ces mondes ? Quelle allait être son existence, à entendre la souffrance sans pouvoir ne serait-ce qu se proposer à leur chevet ?

Le centre de la Toile mit fin à ses réflexions de façon un peu abrupte, et le regad pâle de Dawan se posa à nouveau sur lui. Celui-qui-pleurait-à-terre ? Oui, c'était lui. Le visage du Chanteciel se fit de marbre, comme si la roche pouvait lui épargner de porter cette identité. C'était stupide. Celui-qui-pleurait.. C'était sa définition, n'est-ce pas ? C'était intime, c'était douloureux, c'était...

"- Non, je ne veux pas oublier. N'est-ce pas la moindre des choses que je te dois ? J'ai vu tes faiblesses. Vois les miennes."

Dawan s'accouda à son fauteuil, appuyant sa tête dan sa main, cachant ses yeux, avec une longue inspiration, comme pour se préparer à une apnée. Sa main libre se tendit vers le livre, ré-usant de télékinésie pour l'ouvrir, délicatement. La pièce parut alors disparaitre dans les souvenirs, noyée dans les couleurs des images qui revenaient.
Les premières ébauches portaient les couleurs châtoyantes de la jungle elfique. Elles sentaient bon, et leur musique était un silence parsemé de froissements de feuilles. Une énergie fraîche courait dans les veines d'Ilhan qui, s'il s'observait, porterait les traits de Dawan. Une peau pâle et belle d'elfe, des cheveux blonds qui tombaient devant les yeux, et cette agilité naturelle que portaient les siens. Son pas était bondissant, léger. Sa gorge était comme un joyau de pureté, qui n'était pas désagréable à porter. Ses cordes vocales, inutilisées depuis des années, ne donnaient pas même l'impression d'être présentes. À travers la forêt, du bout des oreilles, du bout de ses sens, jusqu'au bout de sa magie, il cherchait quelque chose. Depuis tout petit, il le cherchait, sans le trouver. À travers la musique, il essayait de l'atteindre, sans y arriver. Au sein de ce petit être, quelque chose d'indescriptible manquait. La sensation de ne pas être complet.

Les couleurs changèrent. Moins de vert, plus de blanc et d'ocre, la pierre qui avait façonnée le Domaine Baptistral qu'ils avaient établi au sein des montagnes. Là, l'image paraissait rester fixe, durer une éternité. De l'herbe soutenait le corps du Chanteciel, et les vibrations apaisées du Domaine étaient une berceuse des plus adaptées au soleil de la mi-saison. Sous sa tête, les côtes de Kaalys se soulevaient et s'apaisaient, lentement. Dans sa tête, l'absence était comblée. Kaalys était là, sa vie pouvait commencer. Il avait envie de tout vivre, tout découvrir avec lui. Même la chaleur contre sa peau était nouvelle, et le touchait davantage. Si l'âme de Kaalys était contre la sienne, la vie valait d'être vécue. Parce qu'ensemble, ils étaient un.

Tout s'assombrit, d'un coup, avec un hurlement d'une douleur qui n'avait rien de physique, et d'un désespoir qui ancrait l'âme à la tombe.
Dawan était à genoux. Là où s'était trouvé Kaalys, il n'y avait plus qu'un vide, immense. Pas une simple absence. Un gouffre abyssal qui menaçait de l'engloutir. Son esprit ne trouvait plus d'écho. Le dragon lui était aussi inaccessible qu'un inconnu. Et lui, le Lié, celui qui l'avait tant attendu, tant rêvé, celui pour qui Kaalys avait éclos... Il avait échoué.
Il avait cru qu'ils étaient les enfants des étoiles. Qu'ils pouvaient briller de leur lumière propre. Il les avait cru invincibles, parce que son coeur le lui avait dit. Il était la faiblesse de Kaalys, et il ne valait pas ce que le dragon aurait pu lui offrir. L'absence en lui, il ne voulait pas la combler. À partir de cet instant... Pourquoi était-il vivant ?
S'ensuivirent une série d'images plus floues et, cette fois-ci, Ilhan put les voir depuis l'extérieur, Dawan refusant de lui imposer ce qu'elles avaient été pour lui. Il put voir toutes les drogues dont il avait usé pour se maintenir envie, et ces nuits entières de larmes. Il put voir les doux sourires à l'apprenti auquel il transmettait ce qu'il pouvait avoir à offrir, et les efforts colossaux que ces sourires demandaient. Il se forçait la main, au cas où. L'envie n'était plus là. Il n'aspirait plus qu'à une chose. Ilhan eut droit à une ultime image, que seuls les yeux de Dawan avait pu un jour voir : cet instant où il avait quitté le Domaine vers les bois, à la recherche de l'endroit où reposerait son corps.

"- Je veux partir..."

Ils n'étaient plus dans les souvenirs. Le livre, fermé, tomba à terre. En revanche, ils n'étaient pas non plus de retour dans le salon qui les avait accueillis. Ils se trouvaient dans l'ancien Domaine, dans cette chambre où Dawan avait chanté pour un Enwr prêt à l'écouter. L'Enwr dormait, paisiblement, derrière eux. Dawan était assis, dans l'exacte position dans laquelle il avait commencé son conte. Ses joues étaient trempées de larmes, et son souffle saccadé. Il mit un moment à se calmer, à reprendre un souffle assez correct pour s'exprimer à nouveau. D'un revers de poignet, il essuya ses larmes, avant de se redresser.

"- Je veux partir. Je suis désolé, Ilhan, d'être venu dans tes songes sans t'en avertir. Je ne veux pas reproduire cela."

Il dut s'arrêter à nouveau, pour reprendre son souffle, et empêcher sa voix de trembler. Par les Huit. Dire que ce monde-ci le protégeait, et l'empêchait de revivre de plein fouet ce qu'il avait pu connaître ! Qu'avait-il donc connu ? Comment les Dieux avaient pu laisser à ce monde la possibilité d'infliger ceci à une de leurs créations ?
Dawan avait besoin de se remettre d'aplomb. Depuis ses débuts en tant que protège-rêve, il n'avait pas expérimenté toute cette tristesse. Comment était-il censé aller mieux ? Est-ce que cela allait partir tout seul ? Il allait avoir le temps de le découvrir, de toutes façons, puisque le son d'Ilhan était en sécurité. Il se leva, son regard fuyant celui de son petit renne.

"- Mais si tu as un jour besoin de mon aide... Appelle-moi."

Ses pas prirent la direction de la porte.

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"- Non, je ne veux pas oublier. N'est-ce pas la moindre des choses que je te dois ? J'ai vu tes faiblesses. Vois les miennes."

Ilhan grimaça au mot faiblesse. Il détestait de plus en plus ce mot. Il avait la sinistre impression que ce mot le définissait un peu trop et il abhorrait cette sensation qui lui collait de plus en plus à la peau. Toute sa vie, il s’était battu pour montrer que même un faible physiquement pouvait être fort autrement. Il avait cru réussir… Mais s’était-il dupé ? Ses cauchemars… et maintenant cet autre devant lui affirmant cette dure vérité ?

Il garda toutefois cette pensée pour lui et l’enferma à double tour au fin fond des ombres de son esprit. Il se contenta d’observer l’autre qui semblait en proie à un combat interne. Cette façon de prendre son inspiration pour mieux se lancer dans une épreuve difficile… Il connaissait ce geste-là, cette manie, il avait la même. Il avait d’ailleurs appris les techniques de respiration méditative chez les elfes.

Puis soudain, le livre s’agita sur ses genoux. Ilhan eut un léger mouvement de recul du torse, mais ne fit pas un mouvement pour arrêter les pages. Il se crut soudain téléporté dans un autre lieu, une autre contrée.

La forêt. La forêt des elfes, dirait-on. Ilhan se laissa un court instant transporter par les sensations qui rugissaient en lui. Il se sentait soudain fort, vivifié… il regarda alors ses mains et manqua sursauter. Il était… l’autre. L’autre l’avait transporté dans son moi d’alors. Il était un elfe ! Il avait déjà vécu l’expérience de pénétrer l’esprit d’un elfe et maintenant le corps ! Même si en rêve, dans un monde fantasmagorique… Il sentait tout de même cette énergie que jamais il n’avait ressentie. Cette force, cette vigueur… Sa voix chantait, son corps dansait… C'était magique.

Mais il sentait ce vide aussi. Ou plutôt ce manque. Cruel manque que même la douce musique, la puissante harmonie, ne parvenait à combler.

Il se retrouva alors au Domaine. La Rhapsodie. Si belle, si pure, si apaisante aussi. Ilhan se souvenait. Il ne savait si ses souvenirs venaient de lui ou de l’elfe, mais il n’en avait que faire en cet instant. Et préféra profiter de ces doux moments. Le dragon sous lui le berçait presque… Il n’était plus vide, mais entier. Quelle douce sensation que celle-là. Jamais Ilhan n’avait connu cela. Et cette fois, il sut que cette pensée-là venait autant de lui que de l’autre. Lui non plus n’avait jamais été entier au final. Sa presque-moitié était partie bien trop tôt, l’avait quitté… et leur fils l’avait suivi. Il n'avait jamais eu le temps de combler ce vide en lui. Ni alors, ni depuis. Mais là, il était tout, il était un. C'était... oui magique, encore.

Et soudain, la fin. De tout. Plus rien. De nouveau le vide. Cruel. Agonie mortelle. Désespoir sans nom alors qu’il touchait les abysses sans fond. Il avait lui-même connu la perte et la souffrance du manque. Mais là… Tout semblait décuplé. Et alors qu’il touchait tout juste la sensation du doigt et manquait hurler, il se sentit expulsé du corps elfique. Il continuait de voir, mais était de nouveau Ilhan. Faible. Et impuissant.

Mais au final, même l’elfe si fort et si présent avait été tout aussi impuissant que le petit humain qu’il était. À quoi servait donc force et énergie, vigueur et magie, si nous ne pouvions rien en faire de plus ? La puissance et le pouvoir… N’était-ce que piètre rêve illusoire ? Il observa donc l’autre, impuissant, se droguer, se meurtrir, s’enliser dans les ombres du passé, s’avilir le corps pour mieux s’abrutir l’esprit et oublier. Douce et cruelle illusion aussi que celle-là. Car jamais l’on n’oubliait, toujours le passé vous rattrapait. Ilhan l’avait vite compris quand il avait perdu tous les siens. Mais pouvait-il en vouloir à l’elfe et le condamner d’une faiblesse qu’au final il comprenait ? Une faiblesse qui l’avait si bien tenté lui aussi. Qui des fois le tentait. S’il n’était pas aussi intelligent, il aurait usé depuis longtemps de drogues pour rendre son corps plus puissant et plus endurant. Et pour que son esprit oublie…

"- Je veux partir…"

Lui aussi l’avait voulu. En ce temps-là seuls les mots de Kehlvelan, seule la férocité exigeante du vieux baptistrel avait maintenu le jeune humain à flot. Qui avait été là pour le petit elfe devant lui ? Personne. Ou plutôt personne n’avait pu, sa moitié était partie.

Quand ils revinrent dans la petite pièce, Ilhan en avait encore le coeur battant. Fou, comment il pouvait encore ressentir des sensations corporelles même dans un rêve. La puissance de l’esprit ancré dans ses habitudes et ses vieilles sensations… Pouvait-on mourir en rêve ? Il aurait répondu oui, en cet instant. Si l’esprit le croyait…

Hébété, tourmenté, balloté par toutes les émotions contradictoires qui se chahutaient en lui, Ilhan se contenta d’observer l’elfe pleurer. Il se sentait incapable de le consoler. Il en avait envie, mais… ne parvenait à faire aucun geste. À ne dire aucun mot. Il se sentait si… mal. Peiné, mais plus encore. Coupable aussi. C’était lui qui avait provoqué ça, qui avait ravivé cette douleur, cette souffrance, c’était lui qui…

Il avait soudain envie de pleurer. Il fit appel à toute sa raison pour se retenir. Pour ne pas céder. Son coeur était si faible...

"- Je veux partir. Je suis désolé, Ilhan, d'être venu dans tes songes sans t'en avertir. Je ne veux pas reproduire cela."

Il vit l’autre se lever. Il voulut le retenir, mais un étau comprimait son coeur. Sa raison s’effritait alors que son coeur psalmodiait plus fort.

"- Mais si tu as un jour besoin de mon aide... Appelle-moi."

Et soudain sa raison éclata et son coeur prit le dessus. Peu importe la faiblesse ou la force, le pouvoir ou l’impuissance… Il avait toute sa vie couru après le contrôle, la maitrise… Il en avait fait tout un art. Mais la vie ne valait la peine d’être vécue si la souffrance gagnait toutes les victoires. Alors il envoya valser sa raison, et laissa sa faiblesse s’exprimer. Son coeur battit tambour alors qu’il se levait.

Attends, cria-t-il presque.

Et par un puissant souffle de volonté, les portes de la pièce se fermèrent avant que l’elfe ne puisse sortir. D’un pas, il le rejoignit.

Attends, répéta-t-il en posant une main hésitante, tremblante, sur l’épaule du chanteciel.

Son coeur cognait fort comme cherchant à s’échapper de sa prison. Et c’était toutes ses émotions, les siennes propres, qui soudain s’échappaient alors qu’il sentait des larmes traitresses s’écouler.

Ne pars pas. Je suis… désolé.

Et sans crier gare, étonné lui-même de son geste, il enserra l’autre dans ses bras. Dans une étreinte douce et forte à la fois. Sa force d’esprit et sa douceur de coeur.

Je ne voulais pas… te faire revivre ça.

Il se surprit au tutoiement, mais ne le dédit pas.

Reste. S’il te plait. Ne pars pas. Ne m’abandonne pas. Je n’avais pas compris. Je voudrais… j’aimerais… prendre ta peine. Te soulager. T’aider, moi aussi.

Il serra un peu plus fort encore et projeta son esprit vers l’elfe, comme s’il essayait de l’entourer d’un bouclier, de son protego, pour mieux l’apaiser. Même si en rêve il y avait peu de chance que cela marche… Fou qu’il était.

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On aurait presque cru voir un léger mouvement d'oreilles de l'elfe, lorsqu'Ilhan l'appela. Ce n'était pas prévu. Certes, occupé à vaincre ses souvenirs, Dawan ne prévoyait plus beaucoup. Néanmoins, lorsque les mots s'éteignirent, il resta surpris. Attendre ? Il n'y avait plus rien à attendre. Tous deux en avaient fini, l'échange étant enfin devenu bipartite.
Les portes se refermèrent juste devant son nez. La surprise fut cette fois-ci assz grande pour s'imposer devant les autres pensées. Oh ! Ilhan avait pris le contrôle du rêve ! Lui qui était si timide... Cela avait un aspect touchant. Dawan ne put retenir une nouvelle pulsion d'un amour maternel. Il auait voulu prendre la main de son petit renne, et l'encourager encore à recommencer, le complimentant sur son courage, et chaque progrès qu'il faisait. Nombre de mortels n'aimaient pas être traités ainsi, passé un certain âge. Il s’abstint, par égard pour lui. Mais peut-être pouvait-il trouver un autre moyen de concilier ses envies de Cawr-poule et Ilhan.

Lorsque Dawan se retourna, lentement, il était déjà prêt à consoler les sentiments qui émanaient du petit Althaïen. Les bras passèrent autour de lui dans une étreinte certes inattendue, mais très douce, avec une chaleur toute douillette. Avant même de réfléchir, le Chanteciel se blottit contre le maître de la Toile, sa joue contre l'épaule de ce dernier venant porter ses peines. Instinctivement, ses propres fins bras d'elfe vinrent autour du torse d'Ilhan, sans appuyer, juste pour lui offrir l'identique appui qu'il lui apportait. Il aurait dû s'inquiéter, se paniquer, ou quelque chose du même acabit. L'esprit d'Ilhan vint contre le sien, comme l'aurait fait celui de Kaalys, sans ce côté sauvage, unique, ce côté draon. Mais il venait avec ce qu'il était, et un geste qui écartait ses peurs.
Très lentement, au rythme prolongé des respirations du Chanteciel, les larmes de ce dernier séchèrent. Le monde autour d'eux se fit de plus en plus végétal, jusqu'à ce qu'ils aient quitté le Domaine pour une sorte de jardin à moitié sauvage, encombré d'arbres, lianes, fleurs sauvages, et bassins d'eau. Ses émotions s'apaisèrent, dans un silence qui se prolongeait. De lui n'émanait que cette aura attrbuée aux dormeurs. Contre l'esprit d'Ilhan, c'était un petit animal sauvage qu'il y avait. Toujours indomptées, ses pensées allaient selon un flot que nul n'aurait su calculer. Mais la peur les rendait plus lentes, moins effrénées et chaotiques.

Les feuilles se mouvaient mollement dans un vent absent, l'eau respirait sans peine depuis un long moment désormais lorsque, timidement, Dawan se détacha d'Ilhan. Il avait attendu, espérant que ses propres bras, que son propre calme, et que les éléments délicats qui veillaient sur eux, puissent protéger son ami comme il était protégé. Désormais, il portait les traits d'Ilhan, en plus jeune, à l'âge peut-être où l'Althaïen avait fait sa taille. Un doux sourire vint le remercier.

"- Merci, Ilhan. Tu fais cela très bien. Alors même que... Tu sais, c'est moi qui ait choisi de tout te raconter. Ne te sens pas coupable, s'il-te-plait."

Il se tourna vers une branche de lierre fleurie qui pendait mollement près de lui, et en caressa quelqus pétales.

"- J'aurais dû te prévenir. Ce monde prend soin de moi. En lui, je ne peux souffrir comme je le fis dans l'autre monde." Un très délicat sourire s'orienta vers Ilhan. "Mais j'ignore combien de temps il m'aurait fallu pour me remettre, sans toi. J'ignore combien de rêves je n'aurais pu voir"

Des voix lointaines leur parvinrent comme si, à l'autre bout du jardin, par-delà moult arbres, les Délimariens continuaient de festoyer. Dawan émit un soupir semblable à du soulagement, tandis que son dos s'appuyait sur un tronc plus fin que lui, et plus solide.

"- Je comprends mieux ce qu'est ta confiance." Il n'en avait vu que cette partie dont Ilhan privait les inconnus, jusqu'alors. Désormais, il caressait du doigt ce que pouvait être la confiance que son ami offrait à ceux qui parvenaient à l'atteindre. Cette confiance-là était belle, précieuse, pleine de force et de potentiel. Son esprit approcha celui d'Ilhan, tout juste à sa limite, pour lui présenter cela, cette vision que Dawan avait, comme pour avoir son approbation, s'exprimer plus clairement, et offrir un miroir. Puis il s'écarta. Mini-Ilhan eut un sourire qui n'était pas le sien."Si tu souhaites que nous partagions tes rêves, je viendrai, et veillerai à ce que tu puisses te reposer. Si tu préfères que je ne vois pas certaines choses... Je le sentirai, normalement. Mais n'hésite pas à me repousser. Et le jour où tu seras prêt, si tu le souhaites..." Son sourire se fit un peu plus malicieux. "Nous briserons tes entraves, et changerons tes peurs en libertés." N'était-ce pas un excellent programme ? D'un geste de la main, par un peu de télékinésie, Dawan s'assura que les joues de son hôte en ces terres étaient sèches. Un souffle de vent tiède et tendre effleura Ilhan.

"- Mais pour ce soir, peut-être vaut-il mieux en rester là. Tu as une victoire à fêter... C'est déjà beaucoup. Qu'en dis-tu ? 'Au repos' ?"

Dawan avait tenté ces derniers mots dans un Nordique plus qu'approximatif, et son propre accent le fit sourire. Pour sa défense, c'était bien là la dernière des langues qu'il avait apprises !
Il savait que le temps impactait ceux qu'il aimait, qu'il faisait un travail que lui ne pouvait faire pour façonner les esprits. Un peu comme il faut parfois laisser la peinture, les encres, ou même la terre, sécher, avant de reprendre son oeuvre. Mais Dawan n'était pas le plus expérimenté de Sculpteurs d'Ilhan. Mieux valait laisser ce dernier estimer sa cuisson.
Avant la réponse d'Ilhan, Dawan glissa juste une dernière, petite, mais non moins importante, précision.

"- Tu n'as pas oublié que j'étais baptistrel, n'est-ce pas ?" Un très bref temps de silence, le temps que le non-dit s'énonce, avant d'achever sa phrase : "Je ne t'abandonnerai jamais."

Si sa voix était douce, pleine d'affection, mais aucune note, pas même la plus infime, n'aurait pu remettre en question son sérieux. Comment un mini-Ilhan aurait pu trahir son futur ? Comment un baptistrel pouvait-il trahir une promesse ?

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Ilhan aurait cru se sentir mal à l’aise d’avoir osé un tel geste envers un total inconnu. Baptistrel ou non. Mais… étrangement il n’en fut pas tout à fait ainsi. Certes, ses mouvements dénotaient un côté malhabile, hésitant, mais… non pas vraiment de malaise. Peut-être même un certain soulagement. Et une douce chaleur l’enveloppant. Pour une fois, il osait écouter son coeur. Pour une fois, il osait suivre son élan, ses émotions, les écouter… et les laisser parler. Et, il devait l’avouer, cela faisait du bien. Il sentait son carcan d’impassibilité, ce mur lisse de toute émotion, qu’il avait érigé en bouclier toutes ces années durant, s’abaisser quelque peu et le laisser se livrer, un peu, juste un peu, au chanteciel maintenant dans ses bras.

Rectification : au chanteciel maintenant pleurant dans ses bras. Il le berça doucement. Comme on bercerait un enfant. En des gestes doux, tendres, presque affectueux, bien que timides, des gestes spontanés qui lui venaient d’un instinct insoupçonné. L’instinct d’un père qu’il n’avait pu être, mais qu’il aurait rêvé de pouvoir incarner. À croire que les paroles d’Aldaron avaient finalement su le toucher et ouvrir une petite brèche dans son coeur fermé pour le faire renaître au monde...

Il aperçut le rêve autour d’eux changer peu à peu, se parer de végétaux plus sauvages, plus denses, mais aussi plus apaisants. Il laissa le baptistrel procéder, créer dans son rêve, sans intervenir ni l’empêcher, et continua de le bercer tout simplement. Jusqu’à ce que le chanteciel se détache de lui.

Et sursauta quand il se retrouva face à son propre lui. Ses propres traits. En plus jeune. Il leva une main tremblante vers cet autre lui juvénile, mais la main n’alla pas jusqu’au bout, s’arrêta dans l’air entre eux deux, caressant le miroir invisible qui se tenait au milieu tout en redessinant les courbes fines et racées qui étaient aussi les siennes. Puis sa main tomba alors que l’autre s’installait au sein de la végétation. Il s’observa bouger, comme savourant la nature autour, et fut fasciné par le jeune être devant lui. Avait-il été ainsi ? Si… beau ? Il se savait beau, certes, mais… là il semblait irradier d’une beauté bien plus puissante encore.

Et alors que cette pensée pulsait en son esprit, il sentit soudain un doux contact. Léger, tendre, un contact affirmé, mais non invasif. Un contact qu’il accepta. Et alors il vit. Il vit ce que l’autre voyait. Ce sentiment, cette ouverture vers l’autre… ce petit œuf de confiance qui ne demandait qu’à éclore, naitre, et s’épanouir. La confiance… Le mot occulta tous les autres et laissa Ilhan sans voix, sans réponse. Il ne put que hocher la tête, d’un mouvement lent, mais étonnamment conscient pour un rêve.

Il sentit une légère brise lui effleurer la joue. Toute trace de larmes disparut. Il porta une main à son visage, mais, sans en être étonné, il comprit. L'autre avait séché ses larmes. Dans tous les sens du terme. Et il sourit en retour à son étrange hôte. Manqua rire franchement à son accent nordique presque pitoyable.

Ce soir, nous ne festoierons pas, répondit-il enfin en un nordique mieux maitrisé. La victoire n’est pas encore là.

Ce n’était encore qu’un rêve. Un rêve un peu fou si l’on voulait son avis.

Mais nous pouvons nous réjouir d’un pas franchi peut-être, ajouta-t-il cette fois en langue elfique.

Comme tendant une passerelle vers l’autre en face de lui.

Et non, il n’oubliait pas que l’autre était baptistrel. Chanteciel. Et donc qu’il ne mentait pas. A priori… Petit doute pernicieux qui ne voulait totalement le quitter… Après tout, qui lui disait que les baptistrels en rêve étaient tenus au même serment de vérité ? Il chassa rapidement cette félonne pensée et préféra croire, un peu du moins, en la sincérité de la main tendue qu'on lui offrait. Un peu comme il avait voulu croire en Tryghild. En Sigvald. En Aldaron. En ces rares gens à qui il voulait, même s’il n’y parvenait totalement, faire confiance…

Je n’ai pas oublié, répondit-il alors en un nostalgique sourire. Et je vous appellerai.

Et cela sonnait aussi comme une promesse. Un serment. Non plus de vérité, mais de confiance. Un fragile serment, qui, au moindre faux pas de l’autre, à la moindre note dysharmonique, menaçait de se briser. Un serment toutefois auquel il voulait se raccrocher.

***

Auquel il se raccrocha. Et le petit baptistrel plusieurs fois il appela. D’abord en terrain neutre, juste pour voguer au gré de ses rêves qu’il apprenait peu à peu à maitriser. Des sortes de rêves lucides, à la frontière entre le sommeil et l’éveil. De ces rêves que vous avez conscience de faire, que vous pouvez contrôler, mais qui vous contrôlent presque tout autant.

Des rêves où tous deux voguaient dans les souvenirs les plus apaisants de toute sa vie, même si aussi les plus durs en enseignement. Son séjour, il y a longtemps, au Domaine des Baptistrels. Ses souvenirs de Kehlvelan, de son maître en tant de choses. Et plus encore. Ce maitre qui lui avait appris la maitrise, le contrôle, et qui l’avait aidé à reprendre le fil de sa vie, là où il avait bien failli le rompre. Ce maitre qui lui avait appris la patience, la force de volonté aussi, avec qui il avait partagé la passion pour tous les arts de l’esprit, et une farouche envie de retrouver son essence.

Ils voguèrent tous deux dans ses souvenirs…

Lorsque Kehlvelan lui faisait faire la position de la grue des heures durant, sur une pierre au milieu d’un immense bassin d’eau… puis au milieu de braises tout juste étouffées, encore bien ardentes…

Lorsque Kehlvelan lui faisait faire de la broderie pour lui inculquer patience et un tant soit peu d’obéissance. De la broderie ! Broderie que chaque jour il s’évertuait, heure après heure, laborieusement, se piquant de nombreuses fois à l’aiguille aiguisée, à tisser… et que chaque nuit Kehlvelan s’amusait, malicieusement, se moquant presque de lui, à détisser…

Lorsque Kehlvelan le conduisit en pleine forêt et l’y laissa, l’intimant de rentrer par ses seuls moyens… Autant dire que de nombreuses fois il se perdit fit des détours, manqua s’empoisonner avec divers champignons et herbes et crut mourir un certain nombre de fois. Mais à chaque fois une aide inopinée, inattendue, du moins le croyait-il, lui donnait des pistes, des informations, indications, pour qu’il retrouve, enfin, le bon chemin et ne meurt pas…

Puis, quand il fut un peu plus en confiance, il conduisit le chanteciel dans des souvenirs plus difficiles, plus douloureux. Du temps de son épouse décédée, disparue, qui lui manquait tant, mais qu’il espérait toujours rejoindre en son temps. De son fils qui n’avait jamais vécu, et qu’il aurait tant aimé bercer, connaître, voir vivre, espérer, et grandir invaincu. Puis du temps de Fabius, lorsque d’habile politicien doué et utopiste il se transforma en traitre désillusionné et illusionniste… Du temps de Korentin, en qui il pensa pouvoir placer ses fous espoirs… Du temps de Luna, sincère Kohan alors en ce temps, mais au pouvoir illusoire…

Et enfin, enfin… un jour, une nuit… Alors que les paroles d’Aldaron, de ce soir à Cordont, résonnèrent de nouveau en lui…

Il invita de nouveau le chanteciel, dans son cauchemar récurrent. Du temps de Fabius l’innommable parmi les siens, la cupidité avide et l’infamie sans fin. Le cauchemar avait commencé et, sans qu’il ne sache comment, sans qu’il ne sache pourquoi, il l’avait figé. Là, en pleine action, en pleine irraison. Ilhan s’était comme détaché de son autre moi qui revivait cet instant affligeant. Il était là, forme éthérée voguant près du lit, détournant la tête toutefois de ce spectacle honni. Et il l’avait appelé. Le chanteciel. Il l’avait convié… à voir son intimité. Il en aurait rougi s’il avait pu, la honte irradiant soudain de lui comme de son coeur à nu.

Vous aviez dit que " Nous briserons tes entraves, et changerons tes peurs en libertés." Il est temps. Je le veux. Maintenant.

Cela sonnait presque comme un ordre, réalisa-t-il soudain. Mais la gêne, la panique, qui menaçait de le déborder et de les expulser tous deux dans d’autres contrées, parlait pour lui.

Vous avez dit ne pas m’abandonner.

Et cette fois il se fustigea d’entendre sa voix comme celle d’un enfant blessé et apeuré.

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"- Je suis là, Ilhan, je suis là..."

Murmura mélodieusement et tendrement la voix d'enfant du Chanteciel, dans un coin du rêve d'Ilhan. Il était là, comme il avait été là dans ses précédents rêves : une ancre, pas toujours visible, toujours perceptible, par l'aura pulsante d'espoir qui émanait d'elle. Une main tendue, prête à être saisie, pour apaiser le sommeil de plus douces visions, et lui murmurer des mots qu'il connaissait déjà ; ces mots qui venaient fatalement en soi, pour aider les vivants à continuer par-delà les épreuves. S'il avait suivi ses aventures les plus épiques et pittoresques avec un entrain juvénile, moult sautillements d'encouragementset applaudissements aux fracas de plumes, il s'était fait plus mature, et plus discret, respectueux, quand les rêves s'étaient faits plus durs. Au lieu de ses fines mains de joueur de vièle, il avait préparé pour Ilhan les bras du père qu'il n'avait jamais pu être, prêt à l'y étreindre.

Il était là, avec l'apparence qu'il avait eue quelques années avant sa mort. Une apparence sincère et neutre, un regard auréolé d'étoiles, une crinière blonde tout juste défaite de ses entraves. Sa tenue était elfique. Elle tranchait avec les tenues toutes humaines du rêve qui les entourait. Le Chanteciel était serein. Fait étrange, néanmoins, il paraissait plus grand qu'Ilhan, et pas uniquement par sa mauvaise habitude de flotter au-dessus du sol plutôt que d'y avoir les pieds posés.

"- Tu peux relâcher ton attention. Je suis là. Le rêve ne reprendra pas tant que toi et moi nous ne le voudrons pas."

Il s'assit dans les airs, et un coussin vint naturellement apparaitre sous lui, comme s'il avait besoin de confort et de soutien. Il avait parlé avec sa douceur habituelle, sa lenteur habituelle. Il reprit sur le même ton :

"- Je pourrais m'occuper moi-même de ce rêve, tu sais ? Mais qu'est-ce que cela t'apporterait ? Je ne serai pas dans l'Autre monde. Je ne serai pas là quand tu seras seul, avec tes souvenirs. Je peux te donner les outils, je peux t'assurer la victoire. Mais le mouvement pour l'obtenir t'appartient."

Il ne se sentait pas très clair, dans ses mots. Avec un petit sourire, amusé de sa propre maladresse, il reformula :

"- C'est toi qui a les clefs pour te défaire de tes entraves." Il laissa un temps à Ilhan, pour assimiler ces mots, puis brisa à nouveau le silence, avec délicatesse toutefois : "Les clefs sont en toi. Leur structure est complexe. Ton intelligence, ta vision du monde, et ces divers soutiens, inébranlables, qui font que tu ne crains pas d'avancer... Ils en sont quelques composants. Ils t'aideront."

Il se sentait toujours aussi sybillin. C'en devenait frustrant. Mais comment pouvait-il s'exprimer autrement ? Il n'y avait parfois aucun mot plus juste qu'une métaphore. C'était exactement pour cela qu'elles étaient venues au monde.

"- Prends ton temps, Ilhan. Nous ne sommes pas même obligés de nous en occuper cette nuit, si tu ne te sens pas prêt."

Prendre son temps ? Mais pour quoi faire ? Pour faire ce qu'il avait à faire. Dans la tête de Dawan, c'était trop évident pour avoir besoin d'être énoncé. Son regards s'était perdu vers le plafond, ouvert sur un ciel nocturne. Les étoiles veillaient sur eux, comme toujours. Leur picotement contre la peau manquait souvent au Chanteciel. À travers elle, il retrouva ce qu'il avait oublié de dire à Ilhan, ce qu'il aurait dû lui préciser, bien plus tôt.

"- ...Sais-tu que tu as déjà gagné ? Au moment où tu as décidé de l'affronter, Fabius a perdu." D'un vague mouvement du menton, il indiqua la scène figée non-loin d'eux. Cette bataille, que Fabius avait initée à ce moment précis, était ce dont il parlait. "L'as-tu réalisé ?"

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"- Je suis là, Ilhan, je suis là..."

Étrange comment ces seuls mots apaisèrent la chamade de son coeur. Il ressentit un élan de profond soulagement et se serait jeté dans les bras du Chanteciel si la décence ne le lui interdisait pas.

Au lieu de cela, il ancra son regard de jais dans les perles brillantes du baptistrel et s’y accrocha, comme une ancre à la mer, comme une bernique à son rocher. Il offrit tout ce qu'il avait dans ce regard, ce regard si sombre et pourtant souvent si brillant, seule trace d’une âme vibrante au fond de lui, seul indice de ses réelles pensées, de ses pudiques émois, lui qui savait si bien arborer un masque lisse de toute expression, un marbre poli dépourvu de toute émotion. Lui qui n’offrait au monde extérieur, si abrupt et si violent, que ce sourire énigmatique entre politesse forcée et cynisme amusé. Mais en cet instant, les masques étaient mis à bas et le sourire était triste et las.

"- Je pourrais m'occuper moi-même de ce rêve, tu sais ? Mais qu'est-ce que cela t'apporterait ? "

Rien, il le savait. Il savait, au fond de lui, qu’il devait trouver ses armes et affronter cette souillure de l’âme.

"- C'est toi qui as les clefs pour te défaire de tes entraves."

Certes, mais encore ? Où les trouver ? Un instant ces propos sibyllins lui rappelèrent les enseignements souvent énigmatiques et aux accents parfois mystiques que Kehlvelan lui avait prodigués il fut un temps. À croire que ces emphases métaphoriques étaient l’apanage des baptistrels en tout temps et en tout lieu.

Son intelligence une clef ? En quoi ? En de telles situations, où irraison semblait avoir tous les droits, dans ce maelstrom d’émotions qui sans cesse menaçaient de le noyer… comment son intelligence pouvait-elle espérer raisonner ce raz-de-marée ?

Sa vision du monde ? Lui qui se sentait si désabusé par lui… comment pouvait-elle seulement l’aider ? Lui qui n’avait ressenti, pour ce monde corrompu, une once d’espoir tout juste renaissant qu’en venant à Délimar…

Ces soutiens inébranlables… Lesquels ? Les délimariens dont un quart le méprisaient pour sa magie, un autre quart pour son côté politicien, dont une bonne partie se méfiait de tout ce qu’il représentait ? Tryghild ou Sigvald, rares spécimens glacernois à réellement l’apprécier pour ce qu’il était ? Ils étaient ses supérieurs hiérarchiques, pas ses soutiens… Sa maisonnée ? Ils étaient liés par le désespoir d’une espèce en voie de disparition… Sa Toile ? Ils étaient liés par un but commun, et il se devait, lui, d’être leur soutien, et non eux d’être le sien.

Non, vraiment, il ne comprenait pas où voulait en venir le Chanteciel.

"- Prends ton temps, Ilhan. Nous ne sommes pas même obligés de nous en occuper cette nuit, si tu ne te sens pas prêt."

Ah si, maintenant, il le voulait, là, tout de suite ! Il ne l’avait pas appelé, il n’avait pas affronté la honte cuisante de cette vision éhontée, pour abandonner maintenant ! Il sentit son corps se tendre rien qu’à cette idée. Il en grinça des dents et serra les poings pour ne pas hurler sa frustration. Elle irradiait, pulsait, de lui toutefois, bien plus que les mots auraient pu l’exprimer.

Et l’autre qui soudain détournait le regard ! Ilhan fit un pas de côté, cherchant à capter de nouveau l’attention de l’autre. N’était-il pas venu l’aider ? Préférait-il contempler le ciel imaginaire de ses rêves? Non, un instant. De SON rêve. C’était son rêve, ou plutôt cauchemar, à LUI. Et ce ciel lui appartenait aussi. Fort de ce constat et profondément agacé, Ilhan se concentra et fit rugir un éclair au loin.

Au loin, pas assez près pour que les nuages assombrissent ces belles étoiles. Il n’avait pas envie non plus de se faire tremper par une averse orageuse. Pas même en rêve. Et puis les étoiles étaient trop belles pour être voilées. Même par sa colère.

"- ...Sais-tu que tu as déjà gagné ? Au moment où tu as décidé de l'affronter, Fabius a perdu."

Ce nom le fit frissonner tout en lui donnant la nausée. Il parvint à réprimer sa moue de dégoût. Mais au loin l’orage gronda plus fort. Un peu plus près aussi.

Je ne comprends pas un traitre mot de ce que vous dîtes, susurra-t-il entre ses dents serrées.

Si serrées, qu’il crut un moment qu’elles allaient se casser sous la pression.

Comment dois-je procéder ? Comment suis-je censé faire ? Mon intelligence ?

Il avait l’impression soudain d’être le plus idiot des althaïens, à ne rien comprendre des propos du Chanteciel.

La raison a-t-elle seulement sa place dans… ça ? ajouta-t-il en montrant la scène d’une main.

Sans pour autant la regarder lui-même, toujours le dos tourné. Sans pour autant parvenir à la nommer d’ailleurs. Et soudain un tilt se fit en son esprit… Et si… Et si ? Fallait-il commencer par la nommer et la regarder pour en affronter toute la vérité souillée, l’accepter comme un fait, pour ensuite…

N’était-ce pas ainsi qu’il procédait d’ailleurs avec ses émotions les plus fortes ? Lors de son apprentissage avec Kehlvelan, il avait appris à affronter ses émotions les plus néfastes, colère, peine, tristesse, envie morbide. Il avait appris à les attraper, à les regarder bien en face, à les accepter comme siennes, pour s’en montrer maitre ensuite et non plus en rester esclave. Devait-il faire de même ici ?

Oui, certainement, lui souffla une petite voix en lui.

Ma vision du monde ? Mais… Et quels soutiens ? Quels…

Il se sentait perdu. Hésitant. Apeuré. Non, pire, tétanisé. Il entrevoyait les prémisses de la compréhension, mais la terreur le paralysait. L’orage au loin crépita encore en un éclair foudroyant. La pluie torrentielle tendait à se rapprocher.

Ilhan déglutit péniblement, tout en regardant le Chanteciel, d’un air éperdu. Mais il devait le faire, il devait se tourner. C’était là le premier pas déjà. Alors il risqua un coup d’oeil par-dessus son épaule. Il sentit tout son corps se crisper, une nausée le happer et il ne put retenir les biles acides qui le rongeaient. Dans un brusque sursaut, il s’effondra à genou et vomit tripes et boyaux.

Cela ne dura que quelques secondes, mais il eut soudain l’impression d’un sablier cassé. Le temps semblait figé. Il happa une goulée d’air et tenta de trouver la force de recommencer. Il lui fallait… Il lui fallait… Son regard de nouveau se tourna par-dessus son épaule. Il le devait, il – le – devait.

Et soudain, il vit. Là, la scène, dans toute son horreur. Il posa une main à terre, manqua suffoquer de nouveau, mais parvint à maitriser les nouveaux spasmes. Il tenta alors, maladroitement, de se tourner. Sans prêter attention au fait de s’embourber dans son propre vomi.

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Le regard de Dawan glissa vers l'orage selon un instinct irrépressible qu'il ne devait sans doute pas qu'à son élément. Il aurait aimé pouvoir regarder Ilhan dans les yeux. Pouvoir lui dire qu'il était là, et qu'il faisait attention à lui. C'était vrai, il n'aurait pas menti. Mais faire attention à lui passer par cet orage au loin. Dawan le contemplait et, sans totalement en saisir les tenants et aboutissants, l'appréciait. Ses éclairs, son tonnerre, et toute sa pluie. Ils allaient être bénéfique à Ilhan. Ils allaient l'aider. Mieux valait qu'il s'exprime un grand coup, plutôt que garder encore tout cela en lui.

La peur qui émanait, de plus en plus, de son jeune renne, parvint à le détacher du captivant spectacle, pour le ramener vers son protégé. Trop tard. Dans un sursaut, l'elfe d'or et de nacre se jeta presque auprès de l'enfant de la Romantique, pour au moins poser une main sur son dos, que la douleur dans sa gorge et ses entrailles soit apaisée par l'idée de ne pas être seul. Il ne prêta aucune attention au fait d'avoir ou non les genoux dans du vomi. Il s'en moquait. Il était mort, ces choses-là ne l'atteignaient pas. En revanche, un léger froncement de nez soucieux lui échappa. Il espérait que, dans le monde des vivants, le corps d'Ilhan n'ait pas réagi de semblable manière, ou cela pouvait s'avérer dangereux pour lui. Mais... Ce genre de chose était assez violent pour réveiller les dormeurs, non ? Surtout Ilhan, il n'avait pas l'air d'avoir le sommeil si lourd.

Sitôt que le maître de la Toile parut chercher son souffle, Dawan s'inquiéta à nouveau de ce qui pouvait émaner de lui. Il chassa sa mine inquiète, prit lui-même une inspiration assez profonde pour chasser ses pensées, se forcer à se rassurer, et se concentrer sur ce moment si important pour son jeune renne. Avant qu'il ait pu réfléchir, ou réagir, ce dernier se tournait à nouveau vers cette scène honnie. Les spasmes secouèrent à nouveau ses épaules. D'un geste de la main, Dawan effaça les premiers fruits de ses entrailles. Ces derniers n'aidaient que rarement à contenir les nausées. Et, tandis qu'Ilhan affrontait à nouveau, en face, la vision qui lui valait tant de tourments, Dawan retira sa main de son épaule. Ce n'était pas le moment pour un contact. C'était le momentde se libérer de la douleur, en la subissant. En l'observant, en la reconnaissant. Il laissa ce temps à Ilhan, s'asseyant en tailleur à côté de lui, guettant ses réactions, les mimiques de son visage, et les aléas de son aura. Quant l'instant lui parut adéquat, il reprit la parole, murmurant d'abord, très délicatement :

"- Oui. Cette scène a eu lieu. C'était toi, et c'était lui." D'un mouvement, il bougea légèrement, de sorte à être dans un coin du champ de vision d'Ilhan. "Tu n'es pas le seul, et il n'est pas le seul. Beaucoup de bipèdes font cela. Par solitude, par douleur, par colère, par ignorance. Ils brisent les êtres, ils brisent les confiances. Quand ils ont fini, ils se repaissent de la honte et du silence de leurs victimes."

Les mots étaient lents, et sa voix d'enfant portait une gravité qu'Ilhan n'avait pas dû lui voir souvent, une intonation subtilement différente de celle habituelle. Dawan avait connu Fabius. Il avait connu les Humains. Mais surtout, il avait connu Valmys. Inconsciemment, il avait singé l'accent étrange de celui qui n'avait été ni elfe ni humain, celui qui lui avait parlé avec tant de ténèbres dans la voix, et ce regard comme un miroir brisé. Naïvement, il espérait que cela aiderait Ilhan.

"- Et quand leurs victimes se relèvent, quand elles continuent de vivre, quand de leurs blessures elles se font une force, alors ils ont échoué."

Un lourd soupir s'échappa de Dawan. Sa vision du monde avait toujours été bien plus obscur que celle qu'il avait offerte aux autres, celle qu'on lui octroyait souvent. Il n'aimait pas en parler. Ce n'était pas des mots à offrir au monde. Les êtres savaient déjà, subissaient déjà. Énoncer ne faisait qu'ajouter à la réalité.
Mais... L'orage au loin murmurait à Dawan que, pour libérer Ilhan, il fallait le pousser à regarder en face certaines choses. Lui montrer l'horreur tel qu'il pouvait l'affronter, telle quelle était. Alors, même si c'était bien triste, même s'il y avait mille autres mots qu'il voulait offrir à son renne favori, il fallait passer par ici. Il retrouva son sourire tout doux, maternel, et sa voix se finit à nouveau plus tendre et légère, comme s'il évoquait un banal jeu :

"- Veux-tu y aller, Ilhan ?" Du menton, il pointa la scène. "Il est peut-être temps de montrer à Fabius ce dont tu es capable, non ?"

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Il eut à peine conscience de la présence à ses côtés. Il en sentait les émanations rassurantes, la main apaisante sur son dos, son épaule… mais ces sensations lui semblaient vagues, lointaines. Si lointaines. Si étrangères aussi. Tant il était accaparé par ce qu’il voyait, ce qu’il ressentait, dans sa chair, dans son coeur, dans son âme. Ce déchirement, ces lacérations qui le hantaient depuis des années. Cette errance, cette déchéance, qui l’avait rongé depuis une éternité. Il eut à peine conscience des vomissures qui disparurent, de cette main pudique qui s’écarta…

Une pensée éphémère, émue aussi, l’en remercia en son for intérieur. Mais ce fort était en cet instant si fermé, si cloisonné, pour s’empêcher de sombrer dans les vicissitudes de la folie, que les remerciements se turent, tout en silence et non dit. Pas même un regard vers ce soutien si présent, si constant, et si puissant. Oh oui, il lui en était reconnaissant. D’être là avec lui, d’affronter cette vision honnie. De ne plus lui imposer le moindre toucher qui l’aurait écoeuré, pas alors que… pas quand devant lui se jouait sa pire honte, sa plus vile agonie. Il lui en était reconnaissant malgré une froide indifférence à cette silhouette éthérée agenouillée près de lui.

Il était incapable du moindre mouvement, du moindre mot. Son regard était rivé sur la scène qui se jouait devant eux, le narguait, agitait les ombres de ses vieux cauchemars, de ses sombres souvenirs, à ses yeux éplorés. Le voile était tiré, et tout se dévoilait. Dans la plus abjecte laideur et dans la plus charnelle horreur. Car oui, en cet instant le plaisir charnel réclamait tous ses droits et devenait roi des sens en cet instant humiliant, délitant sa propre essence. Il se voyait lui plus jeune hagard, figé face à cet assaut éhonté, impudique et imposé, puis se crisper sous la répugnante infamie, l’atroce douleur, pour peu à peu, honte à lui, se fondre dans une danse lascive, tout en sensualité et délice licencieux, son corps répondant contre sa volonté, devenant lambeaux face à ces assauts audacieux, tandis que son âme hurlait son outrage aux dieux.

"- Oui. Cette scène a eu lieu. C'était toi, et c'était lui."

Non, il ne voulait pas. Non cela ne pouvait être !

"Tu n'es pas le seul, et il n'est pas le seul. Beaucoup de bipèdes font cela. "

Oui, mais non, il ne voulait pas.

L’orage éclata plus fort tout près d’eux.

" Ils brisent les êtres, ils brisent les confiances. "

Non, il ne voulait pas. Et pourtant… les mots peinaient à se frayer un chemin, à faire sens… Et pourtant, oui. Les mots avaient raison. Ils lézardaient les murs de ses remparts qu’il avait voulu si infranchissables. Ils se faufilaient dans les fissures et leur écho se répercutait jusqu’à lui. Lui, tapi tout au fond, hurlant sa peine. Ô rage, ô désespoir, ô honte ennemie !

Mais son hurlement ne fut que silence. Il ouvrit la bouche, crispa les poings, riva son regard au ciel, et hurla… sans qu’aucun son ne vienne. Ce fut l’orage qui hurla pour lui, crépitant de mille feux, mille éclairs. Puissants, ils zébraient sa longue nuit, en un rempart lézardé de colère. Nul cri, mais ce fut le tonnerre qui rugit.

"- Et quand leurs victimes se relèvent, quand elles continuent de vivre, quand de leurs blessures elles se font une force, alors ils ont échoué."

Nulle larme, mais ce fut la pluie qui pleura pour lui. Elle ruissela sur ses joues et laissa dévaler toute la tristesse qu’il ne parvenait à laisser couler. Un fleuve torrentiel semblait se déverser sur eux, dans un jeu de lumières et d'ombres, au milieu des éclairs crépitant, au même rythme que se déversait son fleuve d’émotions.

"- Veux-tu y aller, Ilhan ? Il est peut-être temps de montrer à Fabius ce dont tu es capable, non ?"

Ilhan soudain tourna la tête vers la silhouette à ses côtés. Vers ce gardien des rêves, qui ces viles vérités lui révélait… et qui un dur sentier lui montrait. Mais qui était là, avec lui, pour les affronter. Et pour gravir les plus âpres chemins, tous deux, main dans la main.

Lui montrer ce dont il était capable ? Lui montrer… Mais de quoi était-il capable ? De quoi… Que devait-il montrer ?

L’orage éclata de nouveau. Ilhan regarda alors le ciel. Hésita. Ses orbes vides descendirent de nouveau sur la scène, sur ce visage honni qui osait susurrer des mots doux à son double, lui caresser les cheveux alors qu’ils reprenaient leur souffle erratique, lui souffler dans l’oreille des atrocités qu’il n’avait jamais voulu se rappeler… Il le vit. Un spasme le happa, mais d’une pensée rageuse, il le chassa. Et d’une autre pensée, envoya l’orage venger son outrage.

Un éclair, un seul, puissant, éclata et foudroya son tortionnaire, l’enveloppant en un terrible linceul.

Non. Pas seulement son tortionnaire. Toute la scène avait été foudroyée. Son double plus jeune aussi. Si ce n’est que…Mais qu’est-ce que cela voulait dire ?

À la fois horrifié et surpris, il aperçut les cendres de son double se reformer. Se reconstituer. En un autre lui, toujours le même et pourtant soudain plus fort. Un double qui contempla les cendres du fourbe à ses pas, avant de relever les yeux vers lui, son lui plus vieux, à genou. Et d’un sourire, il le salua. Avant de disparaître, en même temps que ce tableau obscène.

Entre incompréhension et lassitude, Ilhan se tourna alors vers son gardien, son chanteciel. Des larmes ruisselantes sur ses joues. Cette fois les siennes.

Que s’est-il passé ?

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Quand le regard d'Ilhan sur lui se porta, Dawan lui répondit par un sourire tendre, qui se voulait encourageant. Si la question que posait ce regard était d'avoir son avis, pour pouvoir guider le sien, il avait la seule réponse que le Chanterêve pouvait lui apporter : peu importaient les choix du petit renne, il serait toujours à ses côtés, et toujours à croire en lui et en sa capacité à affronter ses tourments.

Le ciel gronda, vibrant jusque sous leurs pieds. L'enfant de la musique imita le maître de la toile, levant ses yeux vers les nuages, profitant un instant du souvenir qu'il avait de l'eau s'écrasant et ruisselant contre la peau de son visage. Une sensation précieuse et belle, pour celui qui avait connu le désert et sa soif. Sans réfléchir, il remua la tête, cherchant à l'avoir totalement humide, un doux fredonnement lui échappant.
Il s'intéressa à la scène juste à temps, juste avant que l'éclair et sa vive lumière viennent éblouir jusqu'au fond de ses yeux. Mort depuis trop peu de temps, il eut le réflexe de vouloir s'en protéger, d'une main. Lorsqu'il l'écarta de son champ de vision, la scène lui plut. Nulle exclamation, néanmoins, et nul mouvement autre que son sourire habituel, qui s'élargissaient et plissait finement ses joues. Son aura, sans doute, devait pulser autant de soulagement que de fierté, d'une joie sincère pour son nouveau-né. Mais il ne fallait troubler ce dernier. Cet instant appartenait à lui seul, et les pensées qui devait le traverser, en ce moment, avec toutes les émotions qui y seraient liées, devaient prendre le temps de naître et se sculpter, avant de s'ancrer dans la psyché du Protégé. Ils avaient leur temps... Et Dawan avait bien plus le temps qu'Ilhan.

À nouveau les questions vinrent vers lui. Tiens, Ilhan pleurait ? Ce n'était pas de la pluie ? Relevant brièvement le nez, Dawan réalisa que non, la pluie ne tombait que sur lui. Oh. Ça lui convenait.Le tissu sur ses épaules commençait à se détremper. Il se tourna vers son jeune renne :

"- Fabius n'est plus. Tu renaquis de tes cendres."

Il lui laissa le temps de saisir le plein sens de ses mots, guettant dans ses yeux le petit signe qui lui dirait qu'Ilhan avait franchi ce pas, et qu'il pouvait continuer. Alors, se redressant, Dawan prit une longue inspiration, qui lui était inutile, mais apportait le fantôme d'une sensation d'air frais dans le torse.

"- Félicitations Ilhan. Tu es sorti victorieux de ton combat. Et moi... J'ai juste eu à te regarder faire !"

Il pouffa de rire.

"- Tu devrais mieux dormir, maintenant." Et peut-être mieux vivre, aussi. Mais cela, Dawan ne pourrait le constater. Il eut un petit pincement au coeur, en y pensant, et sa crainte s'énonça dans un murmure songeur : "Tu n'as plus besoin de moi..." La croissance des enfants était un vrai drame. Dawan aimait beaucoup son petit renne. Il aimait sa présence, et ce qui se dégageait de lui. Il aimait le voir grandir. Mais maintenant que le petit renne n'avait plus besoin de lui... "J'espère tout de même avoir de nouvelles de toi. Entendre tes exploits." Par lui, ou par un autre. Il ne l'y forcerait pas. Il laissa tout de même un temps, si jamais Ilhan voulait exprimer une envie quelconque, avant de reprendre :

"- Tu dois être fatigué. Je t'aurais bien proposé de t'aider à te reposer, mais... Je ne sais pas faire partir les gens du monde des rêves. Je peux juste te proposer de t'aménager un rêve plus paisible..."

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"- Fabius n'est plus. Tu renaquis de tes cendres."

Il détestait toujours ce nom. Une crispation foudroya son corps alors qu’il s’apprêtait à hurler de ne plus prononcer ce nom honni, abject, qui s’était bâti au fil des trahisons impies. Mais… La peur d'un nom ne faisait qu'accroître la peur de la chose elle-même, lui souffla une petite voix. Il ne devait plus rejeter ce nom. Mieux même, il devrait le prononcer lui-même. Il avait après tout vaincu l’un de ses plus sombres cauchemars. Un cauchemar qu’il avait vécu, un cauchemar vivant, éveillé, qui l’avait si longtemps hanté. La peur d’un nom… donnait plus de force encore à la chose.

Cette chose immonde. Cette haine viscérale qui lui rongeait le coeur là, tout au fond de lui. Cette haine de la chose et pire même de lui. Il devait prononcer ce nom, lui aussi.

Tout à son combat intérieur, Ilhan écouta d’une oreille les paroles vibrantes et encourageantes du chanteciel. Il puisa dans cette voix aux doux accents chantants la force qu’il n’était pas sûr d’avoir, avant d’enfin, doucement, lentement, comme si le mot lui écorchait la gorge, susurrer :

Fabius. Il n’est plus. Fabius… n’est plus.

Voilà une phrase qu’il devrait se souvenir et se répéter quand il viendrait de nouveau le hanter. Il psalmodia rapidement encore cette phrase, simple, d’apparence anodine, pour bien l’ancrer en lui, en son esprit. En faire un de ses si nombreux barrages qui l’empêcherait de chavirer à l’avenir.

Renaître de ses cendres…

Il entendit soudain l’autre rire à ses côtés et se relever. Il l’imita, bien qu’un peu vacillant. Vacillation purement psychique plus que physique en cet instant, il en avait vaguement conscience. Vaguement. Tout lui semblait flou, flottant. Le paysage autour d’eux semblait d’ailleurs onduler, frétiller, grésiller, comme si sa psyché fatiguée lâchait prise et ne contrôlait plus trop le rêve.

"- Tu n'as plus besoin de moi..."

Oh si. Il en aurait sans doute encore besoin. Pas pour ce rêve-là. Peut-être pas. Il l’espérait du moins.

S’il avait su renaître de ces cendres-là, il n’était pas bien sûr qu’il n’ait pas encore quelques autres bûchers cachés. Sa femme éplorée, décédée, son fils parti à peine né… Son Althaïa ravagée, les siens dispersés… Lui dernier seigneur de la Romantique incapable de les sauver de ce naufrage dramatique… Oui, bien des bûchers étaient encore là, tapis dans l’ombre de son esprit.

"- Tu dois être fatigué…"

Oh oui il l’était. Pour preuve, tout avait disparu, ils n’étaient plus tous deux que dans un lieu vide, à la fois sombre et clair, d’un gris pâle, à la fois chaud et froid, d’une température peu estivale… Il se sentait partir. Peut-être se réveillait-il. Ou peut-être d’autres contrées du rêve l’appelaient. Pourtant… Il avait encore une dernière chose à dire à son chanterêve.

Merci, murmura-t-il. Sans toi… Jamais je n’aurais appris à renaître de mes cendres.

Le passage au tutoiement, très rare chez lui, était aussi un signe qu'il avait tissé un lien irrémédiable, fort et inébranlable. Un lien d’une confiance inestimable, qu’il accordait à si peu de monde. La confiance cachait parfois de mortelles ombres... Mais pas celle-là, maintenant il le savait.

Je sais maintenant comment lutter… comment vaincre mes peurs et mes parts obscures. Mais je sais aussi que j’aurais toujours besoin de toi. Viens, quand tu le souhaites. Je ne suis pas homme à exploit, alors…

Le gris pâle devint gris sombre et déjà il se sentait s’éloigner. Sa silhouette se faisait éther et le chanteciel perdait peu à peu toute matière.

Alors si tu veux entendre parler de moi, il te faudra revenir me voir ici. Je t’attendrai. Ma porte te sera ouverte.

Et lui laisser la clé de son esprit c’était là la preuve ultime, si le chanteciel en eût besoin.

Toujours. Je t’attendrai. Ne m’abandonne pas.

Et dans un dernier geste, il le serra dans ses bras, laissant quelques larmes s’échapper, avant de… finalement, doucement se déliter. Un nouvel éveil l’appelait. Un nouveau jour commençait.

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